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Seul le prononcé fait foi
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Discours de M. Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique sur
Sciences Po : une forte ambition, une gestion défaillante
Jeudi 22 novembre 2012
Mesdames, Messieurs,
C’est un rapport attendu que la Cour présente aujourd’hui sur Sciences
-Po. Il vise à informer le
citoyen sur les constats définitifs que la Cour porte sur la gestion de cet établissement entre 2005 et 2010.
Pour m’assister dans la présentation de son contenu, j’ai autour
de moi Patrick Lefas, président de la
troisième chambre, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général, Michel Clément,
conseiller maître, rapporteur, Alice Bossière, auditrice, et Loïc Robert, rapporteur. Je remercie les autres
magistra
ts qui ont contribué à l’élaboration de ce rapport : Pierrick Blairon, contre rapporteur, et Pascal
Duchadeuil, président de section.
Le
contrôle de Sciences Po
a été mené de
la fin de l’année 2011
à la fin du premier semestre
2012. Comme chaque rapport de la Cour, il a donné lieu
à l’envoi d’un rapport provisoire
aux entités
contrôlées, à leur tutelle et aux tiers concernés. Compte tenu des irrégularités constatées à ce stade, et
sachant que ce rapport serait sensible, la Cour a pris de son côté toutes les précautions pour éviter toute
divulgation prématurée. Je rappelle que les rapports provisoires de la Cour sont des documents
confidentiels et non communicables. Pourtant, le contenu de ces rapports, et, au-delà des échanges
contradictoires avec Sciences Po, a été rendu public à plusieurs reprises. La Cour le regrette vivement. De
telles fuites livrent des éléments qui ne sont pas nécessairement ceux que retiendra finalement la Cour ; elles
nuisent également aux contrôlés car la contradiction les protège en leur permettant de faire valoir leur point de
vue. Le
dispositif d’enquête et de sanctions
en cas de pareilles
fuites mériterait d’être renforcé
, en
particulier dans le cas où leurs auteurs ne sont pas des fonctionnaires soumis au secret professionnel.
La Cour a choisi de faire connaître ses constats définitifs par la publication d’un
rapport public
thématique
, sans attendre son traditionnel rapport annuel. C
’est aujourd’hui la première fois que la Cour
s’exprime
publiquement sur la gestion de Sciences-Po. Je le fais parce que le rapport est devenu définitif : il a
été adopté il y a deux jours par la chambre du conseil, la formation la plus large de la Cour des comptes ,
après avoir pris en considération les réponses des destinataires du rapport. En conséquence, tout document
antérieur présenté comme définitif qui aurait pu circuler à l’insu de la Cour, y compris tout récemment, est
caduc.
Seul le rapport que je présente aujourd’hui engage la Cour
: vous observerez d’ailleurs qu’il porte
un
titre différent ! Sciences Po : une forte ambition, une gestion défaillante qui résume bien la teneur de ce
rapport.
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Sciences Po
est le nom générique donné à un ensemble formé par deux personnes morales
distinctes. La première, de droit privé, est la Fondation nationale de sciences politiques (FNSP). Elle est
chargée d
’un
e mission large : la promotion des sciences politiques, économiques et sociales. Sa gestion
privée ne lui permet cependant ni de dispenser des diplômes nationaux, ni
d’accueillir des
enseignants-
cherche
urs rémunérés par l’État. C’est le rôle de la seconde
personne morale, celle-là
de droit public, l’Institut
d’études politiques de Paris. Son statut a évolué pour devenir celui d’
un « grand établissement », c'est-à-dire
un établissement public obéissant à
des règles dérogatoires en matière d’organisation et de fonctionnement.
Cette architecture singulière trouve son origine dans un compromis de 1945. S
on l’objet était de
préserver ce qui avait fait le succès de
l’École libre de
s sciences politiques à laquelle Sciences Po a succédé :
l’autonomie par rapport à l’université de Paris et
à
l’État, la libre disposition de ses moyens, notamment de son
patrimoine immobilier. Sciences Po se distingue également par son modèle pédagogique original. Fondé sur
la pluridisciplinarité en premier cycle, le recrutement sélectif de ses étudiants et la diversité de son corps
enseignant, ce modèle pédagogique la rapproche davantage des grandes écoles que des universités .
La FNSP, fondation privée, est la clé de cette autonomie de gestion et joue un rôle essentiel
: c’est
elle qui assur
e la gestion administrative et financière de l’IEP. Ce dernier ne dispose ni d’un budget propre, ni
de personnels à gérer, ni d’un patrimoine immobilier. C’est donc avec la souplesse d’un enviro
nnement de
droit privé que Sciences Po peut assumer ses missions de service public
d’enseignement et de recherche. Ce
compromis est marqué par les circonstances de l’époque, les universités ne disposant alors d’aucune
véritable autonomie.
Trois messages sont livrés dans ce rapport :
Le premier message est que grâce à son autonomie de gestion, Sciences Po a pu mener une
ambitieuse politique de développement qui a rencontré un indéniable succès. Le coût qui en
est résulté
jusqu’ici
pour l’État
, comme pour les élèves, conduit la Cour à estimer que
poursuivre sur la même voie est insoutenable
: Sciences po doit s’engager dans une
démarche de maîtrise de ses dépenses ;
Le deuxième message est le constat par la Cour de nombreuses irrégularités dans la gestion
de Sciences Po. L
a Cour formule des recommandations concrètes pour qu’il y soit mis fin
.
La troisième chambre de la Cour des comptes a par ailleurs saisi la Cour de discipline
budgétaire et financière de certains faits pour que ceux qui en sont les responsables
puissent rendre des comptes et, le cas échéant, être sanctionnés ;
Le troisième message est que l’organisation interne de Sciences
Po doit évoluer : si la remise
en cause de la dualité entre la fondation et l’IEP n’apparaît pas
comme une nécessité, des
mesures doivent être prises pour renforcer l’effectivité des contrôles internes et externes.
Je vais revenir sur chacun de ces messages.
Au cours des dix dernières années,
Sciences Po a mené une politique de développement rapide
et ambitieuse
: elle a
augmenté le nombre des étudiants qu’elle accueille, diversifié leur profil, s’est ouverte
sur l’international et a développé son potentiel de recherche. Elle a pu mener cette
politique en tirant
pleinement parti des possibilités d’innovation et d’expérimen
tation que son statut original lui offre.
Entre 2000 et 2011, l
e nombre d’étudiants
en formation initiale est passé de moins de 4 000 à 8 500,
sans que l’attractivité de Sciences Po ni sa capacité à placer ses élèves sur le marché du travail
ou dans la
haute fonction publique ne se dégrade. Les cursus se sont internationalisés : 35 % des étudiants à Sciences
Po sont des étrangers et 23 doubles diplômes avec des universités étrangères ont été créés.
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La croissance des effectifs
s’est accompagnée de l’ouvert
ure de trois nouveaux campus en région, à
Reims, au Havre et à Menton
, qui s’ajoutent aux trois qui existaient déjà auparavant
, à Nancy, Dijon et
Poitiers. Les surfaces occupées à Paris ont parallèlement continué de croître. Cette rapide expansion des
effe
ctifs, qui devrait se stabiliser dans les prochaines années, a donné à Sciences Po la taille d’une petite
université.
Sciences Po a poursuivi la politique de diversification sociale qu’elle avait entamée en 2001
: la part
d’élèves boursiers continue de p
rogresser pour atteindre 26 %, ce qui reste encore en-
deçà de l’objectif de
30
% qu’elle s’est fixé. Toutefois, la part des
élèves issus de familles de cadres et de professions
intellectuelles supérieures continue d’être importante et a même progressé au c
ours des dernières années en
passant de 58,5 % en 2006 à 63,5
% en 2011, mais ce débat sur l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur
est général, et ne concerne pas seulement Sciences Po.
Le modèle pédagogique de Sciences Po ne favorise pas le développement des activités de
recherche
: l’enseignement repose sur près de 3
000 vacataires, qui n’ont en général aucune activité de
recherche. Ils assurent 93
% des heures d’enseignement. L’État met à disposition de Sci
ences Po environ 90
enseignants-chercheurs
qu’il rémunère principalement, ainsi que 53 chercheurs du CNRS. P
our gagner en
attractivité et en visibilité internationale, Sciences Po a souhaité renforcer ses activités de recherche. La FNSP
a recruté par contrat privé une cinquantaine de chercheurs et
formé deux nouveaux départements, l’un
d’économie et l’autre de droit. Je reviendrai sur les conditions financières dans lesquelles ces recrutements
ont été effectués.
Chacun peut se réjouir des succès obtenus et du dynamisme dont a fait preuve l’institu
tion. Mais ce
succès a eu une face cachée que la Cour se devait de présenter également
elle est la seule d’ailleurs à
disposer
des pouvoirs d’enquête permettant de le faire –
:
un coût excessif, une insuffisante maîtrise des
dépenses et des irrégularités de gestion
.
Tout d’abord le
coût : le budget de la FNSP a progressé entre 2005 et 2010,
passant de 78,7 M€ à
127,1
M€. Le financement de ces nouvelles dépenses a reposé
à titre principal sur une progression soutenue
des dotations de l’État et à titre secondaire
sur une hausse importante des frais de scolarité.
Je commencerai par les
frais de scolarité
: ceux-ci ont triplé entre 2005 et 2010, passant de 9,9
M€
à 27,9
M€. Ils représentent 22
% des ressources de la FNSP. Ils induisent pour les étudiants et leurs familles
des efforts financiers qui peuvent être lourds : modulés selon les revenus du foyer auquel les étudiants sont
rattachés, ces frais varient de 0 à 9800
€ par an pour les années qui précèdent le master et de 0 à 13
500
pour les masters. Ils représentent en moyenne près de 3 000
€ par étudiant.
Même si les ressources propres de Sciences Po ont été beaucoup développées, le principal
financeur, sans lequel la politique de développement n’aurait pas pu être menée, est l’État. Celui
-ci a apporté
un
soutien financier constant à Sciences Po
: la subvention annuelle de l’État, hors rému
nération des
enseignants-chercheurs
sous statut public, a progressé d’un tiers depuis 2005 pour atteindre 63,6
M€ en
2010. Une évolution aussi favorable des dotations publiques contraste avec celle
qu’ont
connue sur la même
période d’autres établissements d’enseignement supérieur qui
, par ailleurs, ne pouvaient avoir recours au
levier de l’augmentation des frais de scolarité.
Cette situation
s’explique par des modalités d’attribution
entièrement dérogatoires
: c’est par
des
instructions directes du directeur de cabinet du Premier ministre en 2008, puis du secrétaire général de la
présidence de la République à compter de 2009 que Sciences Po est parvenu chaque année à obtenir des
subventions conformes à ses exigences. De telles modalités d’attribution n’ont pas permis à l’État de négocier
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de réelles contreparties, notamment en matière de maîtrise des dépenses, ni même de pouvoir exiger de
Sciences Po d’assurer un suivi satisfaisant
de
l’emploi des subventions versées.
Sciences Po a bénéficié également du soutien financier de certaines
collectivités territoriales
, à
hauteur de 3
M€, en contrepartie de l’installation des campus en région.
Ce financement est par nature
précaire, les dépenses d’enseignement supérieur ne faisant pas partie des compétences obligatoires des
collectivités. Il y a donc un risque que certaines collectivités territoriales se désengagent, comme cela a déjà
été le cas pour certaines par le passé.
Enfin, l’établissement a eu recours à plusieurs
emprunts
, qui ont porté le niveau d’endettement à
53
M€ au 31 décembre 2010. Une partie de cet endet
tement, qui entre dans la dette publique, est constituée
par un emprunt qui a été souscrit sans consulter ni même informer le
conseil d’administration
, auprès de la
banque Dexia, pour un encours de 15
M€. Cet emprunt, par sa complexité, son mode d’indexati
on et le risque
qu’il induit pour l’emprunteur, est classé aujourd’hui
dans la catégorie des produits spéculatifs et dangereux.
Désormais, en tant qu’organisme divers d’administration centrale faisant partie des administrations publiques
,
la FNSP est tenue
de ne contracter à l’avenir que des prêts de moins d’un an.
Le modèle de financement de Sciences Po présente donc de réelles fragilités. En outre, la Cour a pu
constater que l
’abondance des financements et la souplesse de la gestion privée n’avaient pas
incité
l’établissement
à mettre en œuvre
une gestion efficiente. Ainsi, la masse salariale a augmenté de 55 % en
cinq ans, Sciences Po ayant offert à ses agents des évolutions de rémunération plus favorables que celles
observées pour les agents publics. Le
coût par étudiant demeure élevé, de l’ordre de 15
000 € par an, soit à
peu près autant qu’un élève en classe préparatoire aux grandes écoles et nettement plus qu’un étudiant en
université, dont le coût est de l’ordre de 10
000
€.
La Cour estime que la si
ngularité et l’originalité de Sciences Po pourront être préservées
, mais
seulement
si des réformes sont mises en œuvre pour en augmenter l’efficience. La Cour invite l’État et
Sciences Po à définir un
projet à moyen terme pour l’établissement,
précisant le dimensionnement souhaité et
les moyens financiers et humains nécessaires
pour l’atteindre au moindre coût. Le financement par l’État
devrait avoir pour contrepartie une réelle transparence dans la gestion de la FNSP, et inclure un plafonnement
du nombre d
’emplois et de la masse salariale de l’établissement, comme pour les autres opérateurs de l’État
.
La Cour recommande que le financement par l’État de Sciences
Po soit désormais stabilisé, afin que
l’établissement prenne sa part de l’effort de redressement des comptes publics auquel il a jusqu’ici échappé et
réalise les nombreux gains d’efficience qui sont à sa portée.
Un tel effort d’efficience n’apparaît pas
incompatible avec le maintien d’une politique de développement ambitieuse pour Sciences Po.
Le deuxième message est
le constat par la Cour de nombreuses irrégularités dans la gestion
de Sciences Po.
Cette dérive est essentiellement une traduction de la préoccupation
qu’ont eue ses
dirigeants, en invoquant la concurrence internationale,
d’êt
re en mesure
d’offrir à certain
s chercheurs ou
cadres
des conditions d’accueil aussi attractives que possible
. Ceci leur a fait oublier le cadre législatif et
réglementaire que
l’établissement
devait respecter.
La volonté d’attirer davantage
d’enseignants
-chercheurs
renommés a conduit Sciences Po à
mettre en place un système de rémunération peu transparent pour les enseignants recrutés sous contrat de
droit privé. Ainsi, les salaires et les charges
d’enseignement et de recherche requis apparaissent
variables
d’une personne à l’autre.
Ce cadre contractuel est négocié au cas par cas avec l
’administration de Sciences
Po, de façon opaque et sans validation par une instance collégiale.
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La Cour a détecté de nombreuses irrégularités dans le système de rémunération complémentaire
des enseignants-
chercheurs, dont la rémunération principale est assurée par l’État
. Parmi celles-
ci, j’en
soulignerai deux :
Les paiements d’heures complémentaires à des enseignants
-chercheurs bénéficiant de
décharges d’enseignement statutaires au ti
tre de diverses responsabilités administratives ;
Un système de comptabilisation des heures de cours qui conduit à compter doubles, triples,
voire quadruples les heures de cours magistraux
. L’analyse de la Cour démontre que ce
système
n’est pas
conforme aux textes réglementaires. Il conduit à ce que les heures
réellement assurées par les enseignants-
chercheurs ne représentent qu’en réalité les deux
tiers des heures comptabilisées.
Ce système revient à majorer la rémunération des enseignants-chercheurs, tout en limitant leur
charge d’enseignement. Aucune retenue sur salaire n’est d’ailleurs mise en œuvre par Sciences Po à l’égard
des enseignants n’assurant pas la totalité de leur service obligatoire, y compris après application des
décharges et des coefficients. Par contraste, la rémunération des enseignants vacataires, qui assurent 93 %
des heures de cours, ne représente que la moitié de la masse salariale que Sciences Po affecte aux
enseignants et aux chercheurs.
La Cour a relevé plusieurs autres anomalies, par exemple la gestion et la déclaration des logements
de fonction. Elle met également en évidence le non-respect par Sciences Po des dispositions
de l’ordonnance
du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au
code des marchés publics, qui lui
impose de respecter les principes de transparence, de liberté d’accès à la
commande et d’égalité de traitement des candidats. Cette situation place la fondation dans une situation de
risque juridique, y compri
s pénal, et d’inefficience, puisque ses procédures ne lui permette
nt pas de choisir le
meilleur rapport qualité/prix.
Enfin, je voudrais insister sur deux autres irrégularités qu’a constatées la Cour.
La première concerne
la rémunération des cadres diri
geants et de l’administrateur
-directeur
.
S’agissant des cadres dirigeants d’abord, la Cour a constaté qu’année après année, presque tous les cadres
avaient bénéficié de substantielles augmentations de salaires ou de primes,
sans qu’un système réellement
fo
rmalisé et transparent d’évaluation ait été mis en place
. En 2011, les rémunérations des 11 cadres
concernés se sont échelonnées entre 95
000 € et 180
000
€ bruts par an.
Le cas spécifique de la rémunération de l’administrateur
-directeur a fait apparaître une dérive. La
Cour n’a pu en mesurer l’ampleur qu’en reconstituant, bulletin de salaire après bulletin de salaire, tous les
éléments de sa rémunération. Entre 2005 et 2010, celle-ci est passée de 315 000
€ à 5
37 000
€ bruts par an,
soit une augmentation de 70 %. Un tel niveau de rémunération est hors de proportion avec celui que
perçoivent en France les dirigeants d’établissement
s publics ou privés
d’enseignement supérieur. Par
exemple, un président d’université perçoit entre 6
000 et 9 000
€ bruts par mois contre 44
000
bruts dans le
cas de Sciences Po.
Rien ne justifie qu’une rémunération
aussi élevée, bien au-delà de toutes les autres rémunérations
de responsables publics, ait pu être, sans aucune transparence, consentie dans une institution financée
principalement par l’État. La hausse des frais d’inscription qui a eu lieu sur la même période aurait dû inciter
,
au contraire,
à l’exemplarité. La FNSP est un organisme d’intérêt général à but non lucratif. Ce statut impose
une gestion désintéressée et transparente, ainsi
qu’une stricte limitation de la rémunération de ses dirigeants.
La Cour recommande de revoir la procédure de
fixation de la rémunération de l’administrateur
-directeur,
d’en
réduire fortement le montant,
de la faire adopter par le conseil d’administration et de la publier.
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Pour les autres cadres dirigeants, la Cour recommande un système plus formalisé
d’évaluati
ons
fondé sur une appréciation détaillée des performances au regard des objectifs fixés, ainsi que le vote annuel
d’un plafond
pour
l’enveloppe de primes pouvant être versées.
Enfin,
l’autre
irrégularité sur laquelle je souhaite insister est
le financement de la « mission Lycée
pour tous »
. Cette mission a été confiée
intuitu personae
à Richard Descoings par le Président de la
République en 2009. Sa prestation personnelle a été rémunéré
e par l’État
à hauteur de 16 500
, qui se sont
ajoutés à ses autres rémunérations.
Sans consulter le conseil d’administration, il a choisi de faire supporter
des dépenses pour la réalisation de cette mission par la FNSP
. Si l’État a
versé à celle-ci une subvention à cet
effet de 200 000
€, les dépenses de Sciences Po se sont
élevées au total à 836 252
€. Les contrats ont été
passés sans mise en concurrence, notamment celui prévoyant pour 250 000
€ une mission de conseil en
« stratégie et communication ». Les services de Sciences Po ont également été mobilisés, et des frais de
mission ont été engagés pour assurer des déplacements dans 76 départements. Ces dépenses sont
critiquables par leur ampleur naturellement et
par le fait que leur financement n’entre pas dans l’objet de la
fondation. Les
instances de gouvernance n’ont pas
été appelées à se prononcer sur leur engagement. Il y a
un défaut de transparence manifeste vis-à-
vis de l’organe délibérant chargé de voter les budgets.
Le précédent contrôle de la Cour, en 2003, avait déjà mis en évidence des irrégularités dans la
gestion de Sciences Po. Elles avaient entraîné des suites juridictionnelles, y compris pénales.
Devant l’ampleur
et le caractère répété de certaines de ces défaillances, la Cour des comptes, par
une délibération de la troisième chambre, a décidé de
saisir la Cour de discipline budgétaire et financière
de certains des faits constatés et a transmis le dossier au parquet général à cette fin.
Avec le présent rapport public se clôt la procédure de contrôle de Sciences Po par la Cour des
comptes sur la période 2005 à 2010. Le rapport public que je vous présente ce matin comporte page 108 la
mention de cette saisine pour la bonne information du public. Une autre procédure
s’engager
a devant la cour
de discipline budgétaire et financière, si le procureur général en décide ainsi.
Les faits
susceptibles d’être
concernés sont les irrégularités les plus significatives. Concernant les
anomalies en matière de gestion des personnels, le contrôle de la Cour a mis en évidence que plusieurs
directions sont impliquées dans les dysfonctionnements constatés : la direction des études et de la scolarité,
la direction de l’information scientifique, la direction scientifique et la direction des ressources humaines.
L’écheveau des responsabilités est
complexe et il appartiendra à la Cour de discipline budgétaire et
financière, si le parquet près celle-ci décide de poursuivre
, d’en démêler
les fils et de sanctionner, le cas
échéant,
les responsables, au terme d’une procédure juridictionnelle
.
Enfin, j’aborderai plus brièvement, ava
nt de répondre à vos questions, le troisième message de la
Cour, qui est la nécessaire
évolution de l’organisation interne
de Sciences Po.
Les liens entre la FNSP et l’IEP sont étroits
, les deux entités étant financièrement imbriquées.
Cependant, leurs instances de gouvernance sont distinctes, ce qui conduit à
un nombre important d’
instances
de gouvernance et de direction
. S’y sont ajoutées progressivement de nouvelles instances
de coordination
formelles ou informelles. Par exemple, pour la gouvernance de la recherche, on compte deux instances à la
FNSP, deux à l’IEP et deux supplémentaires qui visent à assurer la coordination.
A l’opposé, l’exécutif est
unique, car la même personne cumule traditionnellement les fonctions d’administrateur de la FNSP et de
d
irecteur de l’IEP.
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Les instances de gouvernance apparaissent ainsi fragmentées et peu informées face à un exécutif
unifié et puissant. Elles n’ont pas exerc
é avec la vigilance nécessaire leur rôle de supervision de
l’activité de la
fondation.
L’État, pourtant principal financeur de Sciences Po, n’est pas représenté ès qualité dans la principale
instance de gouvernance, le conseil d’administration de la FNSP. S’il y a bien deux
hauts fonctionnaires qui y
siègent, ils ne représentent ni la tutelle technique, traditionnellement assurée par le ministère de
l’enseignement supérieur et de la recherche, ni la tutelle financière, généralement assuré par le ministère du
budget.
L’absence d’effectivité dans les contrôles internes et externes de Sciences Po constitue l’un des
éléments expliquant les défaillances et les irrégularités dans sa gestion. C’est pourquoi la Cour estime
essentiel qu’il y soit remédié, afin de s’assurer qu’à l’avenir, une telle dérive ne puisse se reproduire.
La Cour
ne considère pas pour autant que cet objectif rend néces
saire une remise en cause du choix d’organisation
retenu en 1945 conduisant à faire gérer par une entité privée une mission de service public : les dirigeants,
agents et élèves de Sciences Po y sont attachés.
La Cour recomm
ande d’engager les réformes législatives et réglementaires nécessaires pour
assurer la transparence de gestion de l’établissement et la bonne information de l’Etat. Cette évolution
suppose :
-
de permettre le passage de Sciences Po au régime des responsabilités et compétences
élargies
des établissements d’enseignement supérieur afin qu’elle rémunère elle
-
même les enseignants-chercheurs sous statut public ;
-
de
modifier la composition du conseil d’administration de la FNSP en prévoyant la présence
d’un représentant du ministère de l’économie et des finances et d’un représentant
du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
, chacun devant
disposer d’une voix délibérative
et non pas seulement consultative ;
-
de limiter le nombre de mandats que peuvent effectuer le directeur et le président du conseil
de direction de l’IEP, ainsi que l’administrateur et
le président du conseil
d’administration de la FNSP ;
-
de clarifier le statut juridique de la FNSP, en déterminant explicitement si elle constitue une
fo
ndation soumise à une gestion désintéressée pouvant bénéficier d’avantages
fiscaux ou non.
La Cour ne porte pas de jugement sur l’opportunité ou non de poursuivre la stratégie suivie par
Sciences Po. Celle-
ci lui a permis de s’adapter aux évolutions de l’
enseignement supérieur et de la recherche,
tout en conservant son modèle pédagogique original.
Elle constate qu’elle doit cependant
faire évoluer en
profondeur sa gestion pour la rendre plus transparente, bien plus efficiente
et qu’elle se prépare à une
stabilisation des moyens que lui accordera
l’État. Sa
gouvernance doit également évoluer pour que les
contrôles internes et externes permettent de faire en sorte que les irrégularités constatées ne puissent se
reproduire.
Je vous remercie de votre attention.