COUR DES COMPTES
Dépôt du Rapport public annuel devant l’Assemblée Nationale
1
er
mars 2005
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Allocution de M. Philippe SÉGUIN,
Premier président de la Cour des comptes
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Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des finances,
Monsieur le Rapporteur Général,
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales,
Mesdames, messieurs les députés,
En application de l’article 136-1 du code des juridictions financières, j’ai
l’honneur de déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale, le rapport public
annuel de la Cour des comptes, que j’ai remis ce matin au Président de la
République et que je viens de commenter devant le Sénat.
En me présentant ainsi devant la Représentation nationale, je me conforme à une
tradition qui remonte à l’année 1832. C’est à cette date, en effet, que le rapport
public fut accessible aux parlementaires après avoir été réservé à l’Empereur puis
au Roi. Et vous savez qu’il faudra encore attendre plus d’un siècle et la veille de la
deuxième guerre mondiale pour qu’on autorise enfin sa lecture par les citoyens.
Depuis lors, c’est-à-dire près de sept décennies plus tard, le rapport public n’est
plus la seule publication de la Cour. Outre ses communications sur l’exécution de
la loi de finances et sur l’application de la loi de financement de la sécurité
sociale, bien connues de votre assemblée, la Cour fait connaître en effet certaines
de ses observations par la voie de rapports publics particuliers. Ainsi au cours des
trois ou quatre derniers mois a-t-elle consacré des rapports thématiques à l’accueil
des immigrants et à l’intégration des populations issues de l’immigration, au
« maintien en condition opérationnelle des matériels des armées », et enfin au
« démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets »...
Près d’une dizaine d’autres rapports publics particuliers sont en ce moment même
en cours d’élaboration et vous seront transmis, pour la plupart, dès cette année ; ils
témoigneront de la diversité des interventions de la Cour et de ce qu’elle me paraît
pouvoir apporter en termes de contribution à l’amélioration de l’efficience de la
gestion publique et d’appréciation de l’efficacité des politiques conduites.
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S’agissant du contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, je ne
saurais omettre de signaler qu’au cours des douze derniers mois la Cour a
également publié des rapports sur le Comité français pour l’Unicef, sur
l’Association française contre les myopathies et, il y a quelques jours à peine, sur
l’Association pour la recherche sur le Cancer. Elle s’apprête par ailleurs à
procéder aux vérifications qui déboucheront sur un bilan public de l’utilisation des
fonds recueillis à la suite de la catastrophe du sud-est asiatique. Ce rapport,
élaboré au plan national, sera complété par un autre, de portée internationale,
qu’elle publiera parallèlement en sa qualité de commissaire aux comptes de
l’ONU.
C’est assez dire que les communications de la Cour se sont multipliées...
Pour autant, nous entendons conserver au rapport public annuel toute sa
spécificité, toute sa singularité. Bien loin d’être vidé de son sens par la croissance
du nombre des autres publications, nous nous attachons à le faire évoluer pour
qu’il ne cesse de constituer à la fois un relevé des activités de la Cour et des
chambres régionales et territoriales des comptes, un inventaire des observations
les plus significatives et les plus exemplaires auxquelles elles ont pu procéder, et
un état des suites qui leur ont été réservées.
Les deux volumes du rapport qui vous est remis y contribuent chacun à sa
manière.
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Le rapport d’activité, publié depuis quatre ans dans un fascicule distinct, est le
moyen de rendre compte de notre activité, et de répondre à une obligation de
transparence à laquelle les juridictions financières veulent d’autant plus souscrire
que c’est pour elles le moyen de faire connaître l’efficacité de leurs interventions.
L’absence de suites aux interventions de la Cour est en effet une légende qui n’a
que trop duré. Peut-être la Cour et les chambres régionales sont-elles trop
modestes pour revendiquer la paternité de réformes intervenues après leur
passage ? Peut-être retient-on plus l’anecdote que les réformes de fond auxquelles
nous avons contribué ? Toujours est-il que contrairement aux idées reçues nombre
de nos contrôles produisent des effets tangibles. L’actualité même en offre la
démonstration : les péripéties diverses qu’affronte actuellement telle fédération
sportive doivent quelque chose à la Cour. A l’inverse, le redressement de telle
association de lutte contre le cancer n’aurait pas été possible sans l’intervention de
la Juridiction.
Dans le rapport d’activités, vous trouverez d’autres illustrations encore des
résultats obtenus. Ils sont loin d’être négligeables, si l’on considère, par exemple,
la réforme entreprise par la Protection judiciaire de la jeunesse après le contrôle de
la Cour en 2003 ou les modifications significatives que nombre de collectivités
territoriales ont dû opérer dans leur rapport avec leurs délégataires de service
public, après les contrôles des chambres régionales des comptes.
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Quant au contenu du deuxième volume, il n’a peut-être
plus le caractère exhaustif
de jadis. Mais, il ne se limite pas non plus à un propos d’ambiance. Il permet, à
partir de quelques exemples significatifs, de prendre la mesure de ce qu’est la
gestion publique, de l’écart qui peut la séparer de ce qu’elle devrait être ou encore
d’en retracer les évolutions, d’en évaluer les succès ou les insuffisances, suite -
notamment - aux observations que nous avions pu formuler précédemment.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés,
Tant ses nouvelles publications que le nouveau contenu du rapport public attestent
que la Cour ne cesse de s’adapter aux évolutions de son environnement,
caractérisées en particulier, depuis plus de dix ans, par un renforcement progressif
et continu de sa contribution à l’information du Parlement. Ce renforcement, à
l’initiative duquel je m’honore d’avoir pris ma part dans une vie antérieure, a été
confirmé, amplifié et approfondi par la loi organique relative aux les lois de
finances.
Ainsi la Cour participe-t-elle d’ores et déjà à l’Assemblée nationale aux travaux
de la MEC - mission d’études et de contrôle créé par votre Commission des
finances - et à ceux – récents - de la MECSS, la mission d’études et de contrôle
sur la sécurité sociale mise en place à l’initiative du président Dubernard par votre
Commission chargée des affaires sociales. Elle s’efforce par ailleurs de répondre
dans les meilleures conditions aux demandes d’enquêtes qui sont formulées par la
commission des finances au titre de l’article 58-2 de la LOLF.
Enfin, ses référés font, désormais l’objet, dans les conditions prescrites par la loi,
de communications systématiques aux Commissions des finances des deux
assemblées.
Sans doute faudra-t-il aller plus loin encore si l’on veut être certain de disposer
des meilleurs moyens pour apprécier la performance réelle des administrations et
pour optimiser l’usage qui est fait de ce bien rare qu’est l’argent public.
Je demanderai ainsi à la Cour de mieux exprimer encore ses recommandations et
préconisations afin de faciliter les suites qui leur seraient réservées par l’exécutif
ou, à défaut, pour mettre davantage le Parlement en mesure d’en pointer l’absence
et d’en évaluer les conséquences.
Peut-être faudra-t-il également veiller à ce que l’ensemble de ces propositions soit
connu du Parlement. Si l’on ne devait pas souhaiter une communication plus
rapide des référés aux deux assemblées, du moins pourrait-on envisager que leur
soit transmis trimestriellement une synthèse des propositions qu’y formule la Cour
- ce qui faciliterait leur exploitation rapide.
Mais les principales implications à tirer du nouveau contexte restent probablement
encore à venir.
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Demain, on le sait, la Cour assumera, à l’intention du Parlement la tâche nouvelle
de certification des comptes de l’Etat. Elle jouera par ailleurs, avec les chambres
régionales des comptes, un rôle majeur dans le processus de l’évaluation de la
performance des politiques publiques. Il reviendra ainsi aux juridictions
financières d’être les garantes d’une mise en oeuvre satisfaisante de la LOLF, dont
le législateur a souhaité qu’elles soient l’un des rouages essentiels.
Car ne nous y trompons pas : rien n’ira de soi dans le jugement de la performance
qui ne pourra évidemment pas reposer sur les seules données chiffrées. Un
complément d’appréciation d’ordre qualitatif sera indispensable. Les Anglo-
saxons l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils ont abandonné l’approche par les
indicateurs pour opter en faveur de celle fondée sur les mesures de performances
qui permet à la fois une évaluation quantitative et qualitative plus conforme à la
réalité multiforme et évolutive de l’action publique.
Ce complément d’ordre qualitatif, c’est d’abord à la Cour qu’il va revenir de
l’apporter.
Mais il n’y aura pas que cela.
La Cour devra être ainsi non seulement autorisée, mais expressément invitée à
formuler des propositions de réforme de la LOLF, dont ce serait une erreur de la
considérer comme un monument intangible. Ainsi, je ne suis ni le premier, ni le
dernier à souligner que la France est probablement le seul pays à présenter la
totalité des dépenses de l’Etat sous la forme de programmes, alors même qu’on
peut se demander si toutes les formes de l’action publique peuvent y trouver
systématiquement leur traduction.
Il est ainsi probable que nous découvrirons rapidement le danger qu’il y aurait à
rester prisonnier de tel programme qui serait considéré comme complet et
immuable, alors que les actions, par nature, changent en fonction des décisions
des pouvoirs publics. Il faudra pour le moins accepter que la gestion par
programme soit appliquée avec souplesse et pragmatisme en attachant davantage
d’importance à l’esprit général du programme plutôt qu’à son contenu, et, si cela
ne suffit pas, avoir le courage de procéder aux changements qui s’avèreraient
nécessaires.
La réussite de la LOLF constitue un enjeu trop important en terme de
renforcement de la démocratie parlementaire, de transparence et de responsabilité
des gestionnaires dans l’usage de l’argent public, pour que toutes les chances de
réussite ne soient pas réunies. Vous aurez compris que les juridictions financières
sont résolues à tout mettre en oeuvre pour qu’il en soit ainsi.
Mais vous ne serez pas surpris de m’entendre dire que, pour qu’elles puissent agir
avec une totale impartialité et efficacité, il est indispensable de reconsidérer la
place qui leur est faite.
Bref, il s’agit de tirer toutes les conséquences du choix qui a été fait par notre pays
de ne retenir aucun des modèles habituels de positionnement de l’Institution
supérieure de contrôle, à savoir son rattachement à l’exécutif ou son rattachement
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au législatif. Certes le choix ainsi opéré en 1958 par le pouvoir constituant était
implicite. Et sans doute cela peut-il expliquer qu’il ait fallu attendre les années
1990 pour que le Parlement et la Cour en tirent les premières conséquences
concrètes et 2001 pour que le Conseil constitutionnel pose clairement le principe
de l’équidistance de la Cour par rapport au Gouvernement et au Parlement, que
parallèlement la logique de la LOLF allait rendre incontournable.
Dans ces conditions, il m’est vite apparu que la présence des juridictions
financières dans un programme rattaché à une mission du Ministère de
l’économie, des finances et de l’industrie - comme à tout autre élément de
l’exécutif, d’ailleurs - était difficilement défendable. La Cour, avec le renfort du
Conseil d’Etat, a donc formulé un certain nombre de suggestions pour que son
positionnement soit remis en conformité avec les principes que j’ai rappelés.
L’affaire est d’importance : ce sont la clarté, la qualité et la pérennité des rapports
de la Cour et du Parlement qui sont en question.
Nous avons été sensibles à l’écoute de la Commission des finances de
l’Assemblée. Grâce à elle l’idée s’est fait jour d’un rattachement des programmes
de la Cour et du Conseil d’Etat à une mission spécifique de conseil des pouvoirs
publics, qui pourrait également inclure le conseil économique et social.
L’exercice du contrôle financier, l’exonération des crédits et la régulation
budgétaire feraient ainsi l’objet d’un traitement adapté.
C’est une formule à laquelle nous pouvons souscrire, sous réserve que nul
rattachement ne mette en cause notre double référence à l’exécutif et au législatif
et dès lors que les chambres des comptes pourraient nous accompagner. C’est en
effet la spécificité des juridictions financières de former un tout indissociable
comme en témoignent les nombreuses missions d’évaluation conjointes des
politiques publiques appelées à se développer encore après la loi du 13 août 2004
sur les libertés et responsabilités locales.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Les treize insertions du présent rapport public ne tiennent pas de ce qu’on
dénomme communément l’épinglage. Elles ne se veulent pas un tableau de
chasse.
Elles sont une contribution, parmi d’autres, à l’effort national du bon usage de la
ressource publique.
Il s’agit d’abord d’appréciations du suivi réservé à des observations antérieures.
Ainsi en va-t-il de la
« refondation indemnitaire »
. Les ministères concernés,
ayant pris en compte les recommandations faites par la Cour en 1999, ont procédé
à une régularisation juridique des dispositifs concernés. Mais cette réforme paraît
essentiellement formelle et l’on peut déplorer que l’objectif de motivation des
personnels et de rénovation de la gestion publique, affiché entre-temps par les
pouvoirs publics, ne l’ait pas davantage inspirée. L
’opération de désamiantage
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du campus de Jussieu
appelle des critiques analogues. Malgré les préconisations
faites en 1999 par la Cour, cette opération particulièrement complexe a été menée
sans la coordination indispensable qui aurait évité la dérive des délais et des coûts.
Il s’agit encore de démontrer que la Cour n’intervient pas seulement pour blâmer,
mais parfois aussi pour souligner les progrès accomplis et l’amélioration de la
gestion publique. La construction progressive du
service public de la transfusion
sanguine
ou la rationalisation de l’organisation financière de
France Télévisions
,
dans le cadre d’une holding que la Cour avait appelé de ses voeux, en constituent
deux bons exemples...
Il s’agit de manière probablement plus classique d’alerter sur des gestions
défaillantes...
C’est le cas des
opérations immobilières du ministère des affaires étrangères
,
qui révèle une situation critique, caractérisée par des incohérences nombreuses et
un défaut de pilotage patent, sources de surcoûts, de retards dans les réalisations
et, au final, d’une efficacité largement insuffisante. Il est urgent que le ministère
professionnalise la gestion de son patrimoine. A défaut, ses projets de révision de
ses implantations parisiennes, tout comme la modernisation de l’hébergement de
son réseau diplomatique et consulaires risqueraient de réserver de bien mauvaises
surprises.
C’est aussi le cas du fonctionnement de la
direction générale de la santé
. Au lieu
de proposer les axes d’une politique de prévention et de protection de la santé et
d’en coordonner la mise en oeuvre, son efficacité est mise à mal par l’éclatement
des responsabilités, le foisonnement des textes juridiques, le poids des tâches de
gestion ou la succession des urgences sanitaires. Tout indique par ailleurs que la
création d’une Haute autorité à la Santé ne facilitera pas le repositionnement
souhaitable de ladite direction.
Telles sont, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les députés, les quelques
considérations dont je souhaitais, avec votre permission, assortir le dépôt du
présent rapport public.
Je vous remercie de votre attention.
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