L
E CAMPUS DE
J
USSIEU
:
L
ES DERIVES D
’
UNE
REHABILITATION MAL
CONDUITE
Rapport public thématique
Novembre 2011
L
E CAMPUS DE
J
USSIEU
:
L
ES DERIVES D
’
UNE REHABILITATION
MAL CONDUITE
Photographie de la première page : la tour centrale du campus de
Jussieu en cours de réhabilitation. Source : EPAURIF
SOMMAIRE
DELIBERE
....................................................................................................
9
INTRODUCTION GENERALE
...............................................................
11
CHAPITRE I - UNE OPERATION COMPLEXE MARQUEE PAR
UNE DERIVE CONTINUE DES DELAIS ET DES COUTS
.................
17
I
- Les défaillances dans la conduite des cinq opérations principales
....
20
A - La construction du bâtiment ATRIUM
..............................................
21
B - Le désamiantage et la réhabilitation de la tour centrale
.....................
22
C - La réhabilitation de l’îlot Cuvier
........................................................
27
D - Le désamiantage et la réhabilitation du secteur ouest du gril
.............
30
E - Le désamiantage et la réhabilitation du secteur est du gril
.................
40
II
- Le glissement du calendrier et ses conséquences sur les coûts de
location des locaux temporaires
.................................................................
43
A - L’augmentation importante des surfaces prises à bail
........................
43
B - L’augmentation du coût des locaux de substitution
...........................
45
III
- La dérive des coûts de l’opération
....................................................
46
A - Les réévaluations entérinées par différents arbitrages
........................
46
B - Les dérives de l’enveloppe financière
................................................
47
C - Les prévisions à fin 2010
...................................................................
48
CHAPITRE II - LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION... 51
I
- Un établissement public insuffisamment armé
...................................
52
A - La structuration tardive de l’Etablissement public du campus de
Jussieu (EPCJ)
..........................................................................................
52
B - Le rôle insuffisant du conseil d’administration
..................................
54
C - Les défaillances de la maîtrise d’ouvrage
..........................................
54
II
- L’insuffisante responsabilisation des établissements universitaires 59
A - Les trop nombreuses évolutions de programme
.................................
59
B - Les conflits concernant les relogements
.............................................
62
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6
COUR DES COMPTES
III
- Les carences du pilotage de l’opération par l’Etat
..........................
65
A - Le pilotage insuffisant de l’Etablissement public du campus de Jussieu
(EPCJ)
......................................................................................................
65
B - L’absence de coordination avec l’opération ZAC Paris Rive Gauche 67
C - Les incertitudes sur l’affectation des bâtiments
.................................
70
D - L’absence de mise en oeuvre des observations des missions de contrôle
..................................................................................................................
72
CONCLUSION
...........................................................................................
81
RECOMMANDATIONS
............................................................................
85
LISTE DES SIGLES
...................................................................................
89
ANNEXE
....................................................................................................
135
Cour des comptes
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Les rapports publics de la Cour des comptes
- élaboration et publication -
La Cour publie, chaque année, un rapport public annuel et des
rapports publics thématiques.
Le présent rapport est un rapport public thématique.
Les rapports publics de la Cour s’appuient sur les contrôles et les
enquêtes conduits par la Cour des comptes ou les chambres régionales des
comptes et, pour certains, conjointement entre la Cour et les chambres
régionales ou entre les chambres. En tant que de besoin, il est fait appel au
concours d’experts extérieurs, et des consultations et des auditions sont
organisées pour bénéficier d’éclairages larges et variés.
Au sein de la Cour, ces travaux et leurs suites, notamment la
préparation des projets de texte destinés à un rapport public, sont réalisés par
l’une des sept chambres que comprend la Cour ou par une formation
associant plusieurs chambres.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour des comptes, ainsi que des chambres régionales des comptes, et
donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration
des rapports publics : l’indépendance, la contradiction et la collégialité.
L
’
indépendance
institutionnelle
des
juridictions
financières
et
statutaire de leurs membres garantit que les contrôles effectués et les
conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique que toutes les constatations et appréciations
ressortant d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes les
observations et recommandations formulées ensuite, sont systématiquement
soumises aux responsables des administrations ou organismes concernés ;
elles ne peuvent être rendues définitives qu’après prise en compte des
réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des responsables concernés.
La publication dans un rapport public est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte que la Cour se propose de publier aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Dans le rapport
publié, leurs réponses accompagnent toujours le texte de la Cour.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication.
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COUR DES COMPTES
Tout contrôle ou enquête est confié à un ou plusieurs rapporteurs.
Leur rapport d’instruction, comme leurs projets ultérieurs d’observations et
de recommandations, provisoires et définitives, sont examinés et délibérés de
façon collégiale, par une chambre ou une autre formation comprenant au
moins trois magistrats, dont l’un assure le rôle de contre-rapporteur, chargé
notamment de veiller à la qualité des contrôles. Il en va de même pour les
projets de rapport public.
Le contenu des projets de rapport public est défini, et leur élaboration
est suivie, par le comité du rapport public et des programmes, constitué du
premier président, du procureur général et des présidents de chambre de la
Cour, dont l’un exerce la fonction de rapporteur général.
Enfin, les projets de rapport public sont soumis, pour adoption, à la
chambre du conseil où siègent, sous la présidence du premier président et en
présence du procureur général, les présidents de chambre de la Cour, les
conseillers maîtres et les conseillers maîtres en service extraordinaire.
Ne prennent pas part aux délibérations des formations collégiales,
quelles qu’elles soient, les magistrats tenus de s’abstenir en raison des
fonctions qu’ils exercent ou ont exercées, ou pour tout autre motif
déontologique.
*
Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne
sur le site Internet de la Cour des comptes et des chambres régionales et
territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
. Ils sont diffusés par
La
documentation Française
.
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Délibéré
La Cour des comptes, délibérant en chambre du conseil, a adopté
le présent rapport sur « Le campus de Jussieu : les dérives d’une
réhabilitation mal conduite ».
Le rapport a été arrêté au vu du projet communiqué au préalable
aux administrations et organismes concernés, et des réponses qu’ils ont
adressées en retour à la Cour.
Les réponses sont publiées à la suite du rapport. Elles engagent la
seule responsabilité de leurs auteurs.
Ont
participé
au
délibéré :
M. Migaud,
premier
président,
MM. Picq, Babusiaux, Descheemaeker, Bayle, Mme Froment-Meurice,
MM. Durrleman, Lévy, présidents de chambre, M. Bertrand, président de
chambre, rapporteur général, M. Pichon, Mme Cornette, M. Hespel,
présidents de chambre maintenus en activité, MM. Mayaud, Devaux,
Gillette,
Ganser,
Monier,
Troesch,
Beysson,
Briet,
Mme Bellon,
MM. Moreau, Lefas, Mme Pappalardo, MM. Cazala, Lafaure, Frangialli,
Andréani,
Mmes
Morell,
Fradin,
MM. Gautier
(Louis),
Morin,
Braunstein, Mmes Saliou (Françoise), Dayries, MM. Gautier (Jean),
Vermeulen, Tournier, Vivet, Mme Moati, MM. Cossin, Davy de Virville,
Sabbe, Valdiguié, Ténier, Lair, Mme Trupin, M. Corbin, Mme Froment-
Védrine, MM. Doyelle, de Gaulle, Guibert, Uguen, Mme Briguet,
M. Guédon, Mme Gadriot-Renard, MM. Martin (Claude), Bourlanges,
Sépulchre,
Guéroult,
Mme
Malgorn,
MM.
Chouvet, Clément,
Mme Cordier, MM. Le Mer, Migus, Rousselot, Laboureix, Lambert, de
Nicolay, Mme Dardayrol, MM. de la Guéronnière, Guillot, Jamet,
Mme Fontaine, conseillers maîtres, MM. Schott, Klinger, Gros, Blairon,
Leclercq, Marland, Schmitt, Jouanneau, conseillers maîtres en service
extraordinaire.
Etaient également présents :
- M. Bénard, procureur général, qui a présenté ses observations, et
M. Vallernaud, avocat général, qui l’assistait ;
- Mme Fau et M. Robert, rapporteurs extérieurs, qui assistaient le
rapporteur général.
***
M. Terrien, secrétaire général, assurait le secrétariat de la chambre
du conseil.
Fait à la Cour, le 15 novembre 2011
.
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10
COUR DES COMPTES
Le projet de rapport soumis à la chambre du conseil a été
préparé, puis délibéré le 8 septembre 2011,
par la troisième chambre de
la Cour des comptes, présidée par M. Picq, président de chambre, et
composée de MM. Pichon, président de chambre maintenu, Mayaud,
Duchadeuil, Frangialli, Andréani, Gautier, Tournier, Couty, Sabbe,
Bourlanges,
de
Nicolay,
Mme
Dardayrol,
conseillers
maîtres,
MM. Marland et Blairon, conseillers maîtres en service extraordinaire, les
rapporteurs étant Mme Fau et M. Robert, rapporteurs extérieurs, et le
contre-rapporteur, M. Clément, conseiller maître.
Il a été examiné et approuvé, le 20 septembre 2011, par le comité
du rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé
de MM. Migaud, premier président, Bénard, procureur général, Picq,
Babusiaux, Descheemaeker, Bayle, Bertrand, rapporteur général du
comité, Mme Froment-Meurice, MM. Durrleman et Levy, présidents de
chambre.
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Introduction générale
Le campus de Jussieu, à Paris, a été construit dans les années 1960
à l’emplacement de l’ancienne Halle aux vins pour accueillir la faculté
des sciences. La protection au feu de la majorité des bâtiments du campus
était assurée par un flocage à base d’amiante. En 1996, la prise de
conscience des risques liés à l’amiante pour la santé publique et la
pression des utilisateurs du campus ont poussé le ministère à lancer
l’opération de désamiantage des locaux.
A cette date, le campus accueillait deux universités (Paris 6 et Paris
7, devenues respectivement l’université Pierre et Marie Curie et
l’université Paris Diderot) et un grand établissement, l’Institut de
physique du globe de Paris (IPGP), soit, au total, 45 000 étudiants et plus
de
10 000
personnels
enseignants,
chercheurs,
administratifs
et
techniques.
Il offrait plus de 311 000 m² de surface hors oeuvre nette (SHON),
sur une emprise de 13 ha au coeur du 5
ème
arrondissement, et était
principalement constitué des trois ensembles de bâtiments universitaires
suivants :
-
les « barres de Cassan » (65 000 m
2
SHON) : 2 bâtiments au
nord et à l’est du campus, le long du quai Saint-Bernard et de la
rue Cuvier, édifiés entre 1958 et 1961 par l’architecte Urbain
Cassan
1
;
-
le
« gril d’Albert » (155 000 m
2
SHON) : ensemble de
38 bâtiments disposés en forme de grille et appelés « barres »
comprenant cinq niveaux en superstructure, entrecroisés par
24 rotondes, édifiés entre 1964 et 1971 par l’architecte Edouard
Albert
2
; il est construit sur une dalle sous laquelle se trouve un
1
Urbain Cassan est un architecte français (1890-1979), formé à l’Ecole nationale
supérieure des beaux arts et à l’Ecole polytechnique. Il commence sa carrière à la
Compagnie des chemins de fer du Nord. En 1944, il est nommé directeur général de la
reconstruction au ministère de la reconstruction et de l’urbanisme, et, en 1953,
architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux. Parmi ses réalisations,
outre les barres portant son nom sur le Campus de Jussieu, figurent le campus de
l’université d’Orsay (1955-1965) et la tour Montparnasse (1969-1972).
2
Edouard Albert, architecte français (1910-1968), formé à l’Ecole nationale
supérieure des beaux arts, a commencé sa carrière par des études sur les bétons
précontraints (1949), les structures tubulaires (1954-1957), puis sur l'urbanisme
tridimensionnel (1960). Il est notamment à l’origine de la construction du premier
gratte-ciel
à
Paris,
immeuble
d’habitation
de
23
étages
situé
dans
le
13
e
arrondissement.
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COUR DES COMPTES
« socle », formé du rez-de-chaussée Saint-Bernard et d’un sous-
sol partiel (64 000 m
2
SHON) ;
-
la tour centrale de 24 étages implantée au milieu de la place
centrale du campus (11 000 m
2
SHON).
Seules les barres de Cassan n’étaient pas amiantées.
Vue aérienne du Campus de Jussieu en 2003
Source :
l’établissement public du campus de Jussieu (EPCJ)
L’opération de désamiantage des bâtiments annoncée en 1996
devait être menée en trois ans en site occupé pour un budget estimé à
183 M€.
Un établissement public spécifique, l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ), a été créé en 1997 pour en assurer la maîtrise
d’ouvrage et conduire l’ensemble des travaux de désamiantage et de
réhabilitation du site, ainsi que le relogement des entités délocalisées. Cet
établissement
est
devenu,
en
2010,
l’Etablissement
public
d’aménagement universitaire de la région Ile-de-France (EPAURIF).
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INTRODUCTION
13
En 2000, l’emprise de l’îlot Cuvier, située à l’angle des rues
Cuvier et Jussieu, qui abritait notamment le pavillon historique de Pierre
et Marie Curie, a été intégrée au périmètre de la rénovation. En 2001, à la
suite du plan d’accélération du chantier, l’enveloppe prévisionnelle de
l’opération a été portée à 681,5 M€.
Le contrôle mené par la Cour en 2003 avait relevé les défaillances
de la conduite générale de cette opération, notamment l’insuffisance des
travaux de préparation et l’absence de structure de pilotage pour un projet
aussi complexe.
Les dérives étaient déjà importantes : le budget était alors estimé à
800 M€ et le calendrier accusait plusieurs années de retard. En 2004,
seuls le désamiantage et la rénovation d’une petite partie du gril avaient
été menés à bien.
La Cour avait alors particulièrement souligné la nécessité de mettre
en place des structures de pilotage et d’arbitrage pour une opération de
cette envergure.
Les conclusions du précédent contrôle de la Cour
L’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) a fait l’objet
d’un contrôle de la Cour dont les conclusions ont été publiées dans le rapport
public annuel 2004 sous le titre : «
Du désamiantage à la réhabilitation du
campus de Jussieu
3
».
Les principales observations de la Cour étaient les suivantes :
- une conception mal maîtrisée, tant en termes de diagnostics et
d’études préalables que de définition de programme ou d’allocation des
surfaces réhabilitées. La Cour soulignait en particulier l’absence d’études
approfondies de solutions alternatives avant la prise de décisions et l’absence
de programmation d’ensemble ;
- l’absence de pilotage, notamment pour assurer la coordination des
projets et pour arbitrer les éventuels litiges entre établissements bénéficiaires,
et l’impossible stabilisation des programmes en résultant ;
- les difficultés de relogement et l’augmentation de leurs coûts, directs
et induits ;
- les entorses nombreuses aux règles de la commande publique
justifiées par l’urgence ;
- la très forte augmentation du coût global et en particulier des coûts
liés aux relogements.
3
Rapport public annuel 2004, chapitre 3, pages 103 à 139.
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14
COUR DES COMPTES
La conclusion du rapport soulignait la nécessité de tirer toutes les
leçons des difficultés rencontrées, en particulier des défauts d’études
préalables, de programmation et de pilotage de l’opération. La Cour insistait
sur la nécessité d’un «
engagement fort de l’autorité ministérielle voire
gouvernementale
», le seul établissement public ne pouvant l’assumer. Elle
saluait la création d’une mission interministérielle visant à examiner les
différents scénarios d’évolution possible du chantier de désamiantage et de
rénovation, tout en regrettant qu’il ait fallu attendre six ans avant que ces
structures d’arbitrage et de suivi soient mises en place.
Au cours de l’année 2004, les perspectives de l’opération
apparaissaient très sombres. La difficulté à libérer les locaux retardait
considérablement les chantiers et les différents scénarios élaborés par
l’établissement étaient tous caractérisés par un dérapage très important de
délai et de coût. Cette situation a conduit le ministère à solliciter un
contrôle conjoint mené par l’inspection générale des finances (IGF),
l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la
recherche (IGAENR) et le conseil général des ponts et chaussées
(CGPC). Les conclusions de la mission tripartite définissaient, en 2005,
un nouveau scénario permettant de contenir la dérive des délais et des
coûts et formulaient de nombreuses recommandations pour en améliorer
la conduite.
Lors d’un nouveau contrôle réalisé en 2010 et 2011, la Cour a
examiné
les
principales
opérations
de
travaux
réalisées
par
l’établissement public depuis la précédente intervention de la Cour, ainsi
que les modalités de pilotage global. Il en ressort que toutes les opérations
conduites par l’établissement public ont connu des dérives importantes en
termes de calendrier et de coûts, dues, d’une part, aux défaillances de
l’établissement maître d’ouvrage, mais également au contexte difficile
dans lequel il a conduit les travaux, la question essentielle de la mise en
place d’une structure de pilotage n’ayant pas été résolue.
Le dérapage financier est très important : le coût final, estimé à
1,8 Md€, a presque triplé par rapport au coût prévu en 2001. Cet
investissement, sur le seul campus de Jussieu, apparaît considérable,
notamment au regard des programmes immobiliers universitaires
envisagés par l’Etat. Le plan Campus annoncé en 2008 prévoit en effet la
mobilisation de 5,5 Md€ répartis entre douze campus.
L’établissement
n’est
pas
en
conformité
avec
l’obligation
réglementaire de désamiantage au 31 décembre 2010, les travaux ne
devant s’achever qu’en 2011. Quant à la réhabilitation des bâtiments, elle
devrait se poursuivre jusqu’en 2015.
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INTRODUCTION
15
Si la nécessité de donner à l’université Pierre et Marie Curie des
conditions d’installation à la mesure de son niveau scientifique,
internationalement reconnu, ne fait pas de doute, il reste que cet objectif
aurait dû être atteint à un bien moindre coût financier pour la collectivité
publique.
Le présent rapport, centré sur la réhabilitation du campus, décrit
(chapitre I) et analyse (chapitre II) les dérives de délais et de coûts qui
l’ont affectée.
Malgré la spécificité de l’opération, la Cour considère que les
enseignements qui peuvent être tirés de l’ampleur des dérives constatées
ont une portée dépassant le seul cadre du campus de Jussieu. La
compréhension de l’enchaînement des faits, de leurs causes et de la
chaîne des responsabilités qui les ont rendus possibles est un préalable
indispensable pour éviter que des errements semblables n’affectent les
grands chantiers immobiliers universitaires projetés pour les années à
venir dans le cadre du plan campus et du « grand emprunt ».
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Chapitre I
Une opération complexe marquée par
une dérive continue des délais et des
coûts
Une opération d’une grande complexité
Un projet de grande ampleur, en site occupé
L’étendue du site de Jussieu, le nombre de ses occupants, leurs
activités d’enseignement et de recherche nécessitant des aménagements et
des équipements très spécifiques expliquent la complexité de l’opération.
Cette complexité a été encore accrue par le choix de réaliser les chantiers
tandis que le site restait occupé par de nombreux utilisateurs.
L’absence de documentation sur les méthodes de construction des
bâtiments a également constitué un facteur de complexité.
Contrairement à ce que leur aspect extérieur laisse présager, la
construction de l’ensemble n’a pas été réalisée de façon homogène, et
l’absence de plans de structure a gêné le bon déroulement des travaux.
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18
COUR DES COMPTES
L’occupation des bâtiments n’était pas non plus documentée,
l’université Pierre et Marie Curie n’ayant pas été en mesure d’indiquer
précisément par quelles entités étaient occupés les locaux. Il n’existait pas
d’outil de gestion des surfaces, et les modalités d’occupation du site
étaient totalement désorganisées et incontrôlées du fait de la sur-
occupation des locaux prévus initialement pour 25 000 étudiants : en
1996, chaque m² était occupé, y compris les circulations, en particulier les
rotondes, au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité.
Des utilisateurs nombreux et exigeants
L’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) a dû gérer
des relations avec de très nombreux utilisateurs, ce qui n’a pas créé un
environnement propice à la rapidité et à la simplicité des arbitrages. La
renommée des laboratoires de recherche, et parfois de leur directeur,
explique, en outre, un degré d’exigence élevé sur les conditions d’accueil
des équipes. Enfin, la complexité de la gouvernance universitaire a rendu
parfois difficile l’identification des prescripteurs réels, notamment en
matière de définition des besoins.
Par ailleurs, les désagréments très importants subis par les
établissements présents sur le campus doivent être soulignés.
La réduction des espaces d’enseignement, la délocalisation des
entités de recherche, la neutralisation de certaines zones au fur et à
mesure de l’avancement des travaux et toutes les nuisances subies autour
des chantiers perturbent le fonctionnement des établissements depuis de
nombreuses années. Le président de l’université Pierre et Marie Curie a
ainsi signalé en audition que l’université en avait été parfois réduite à
organiser des travaux pratiques « dans les caves », du fait du manque
d’espace.
L’absence de coordination avec l’opération ZAC Paris Rive
Gauche
A la fin de l’année 1996, le projet d’installation de l’université
Paris 7 sur un nouveau campus devant être construit sur la ZAC Paris
Rive Gauche était adopté par le conseil d’administration de cette
université. La maîtrise d’ouvrage de cette opération était confiée au
recteur de Paris. Le désamiantage du campus de Jussieu était donc dès
l’origine dépendant du déroulement d’un autre projet immobilier
d’envergure, pilotée par un maître d’ouvrage distinct.
La libération des zones du campus de Jussieu devant être
désamiantées puis réhabilitées dépendait de la capacité à reloger les
utilisateurs. S’agissant des entités de l’université Paris Diderot, cela
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UNE OPERATION COMPLEXE MARQUEE PAR UNE DERIVE CONTINUE
DES DELAIS ET DES COUTS
19
supposait l’achèvement de leurs locaux définitifs, pour éviter des
relogements intermédiaires.
Cette stratégie a engendré des retards importants dans le
déroulement de la réhabilitation du campus de Jussieu. Elle impliquait
une collaboration étroite entre les deux maîtrises d’ouvrage en matière de
pilotage global pour que soient pris en compte les besoins de libération du
site. Cette nécessaire coordination entre les deux opérations ajoutait à la
complexité de l’ensemble et aurait dû relever d’un acteur ayant autorité
sur les deux projets.
L’absence de vision prospective globale
L’absence de vision prospective et stratégique d’ensemble a été
une caractéristique déterminante de l’opération.
L’Etat ne disposait pas au départ de perspective claire sur
l’occupation à terme des surfaces du site. Le départ de l’université Paris
Diderot du site de Jussieu permettait d’envisager une redistribution des
surfaces pour les établissements parisiens. Cette circonstance représentait
une opportunité, à condition que les surfaces rendues disponibles soient
affectées par l’Etat, afin que les programmes puissent ensuite être définis
en lien avec les utilisateurs.
Or l’affectation des surfaces du site n’a été définitivement
stabilisée qu’en 2010. La conduite de l’opération a souffert des
incertitudes pesant sur la destination finale des bâtiments.
Le contexte particulier de l’amiante : le risque pesant sur la
santé publique et les contraintes de délais
Le contexte particulier de risque de santé publique du fait de
l’exposition à l’amiante a fortement pesé sur le pilotage du projet. Le
décret du 7 février 1996 relatif à la protection de la population contre les
risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante, modifié par décret du
13 septembre 2001, prévoyait que les travaux de désamiantage relatifs à
l’amiante friable devaient être achevés dans un délai de trois ans, ceci dès
lors qu’avait été observé un niveau d’empoussièrement dépassant le seuil
de 5 fibres d’amiante par litre d’air. Ce délai initial pouvait être prorogé
deux fois par arrêté préfectoral.
La période initiale a ainsi couru jusqu’au 31 décembre 2004 et a
été prorogée par arrêté préfectoral du 22 juillet 2004 jusqu’au
31 décembre 2007. Une dernière et ultime prorogation a été accordée le
26 décembre 2007, repoussant le délai de désamiantage des bâtiments du
campus de Jussieu au 31 décembre 2010.
Cour des comptes
Le campus de Jussieu : les dérives d'une réhabilitation mal conduite – novembre 2011
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Le comité anti-amiante de Jussieu a été créé en octobre 1994 par
un enseignant de l’université Paris 7, dès qu’ont été connus les premiers
cas de maladies liées à l’amiante parmi les personnels travaillant sur le
site. Des plaintes avec constitution de partie civile ont été déposées en
1996
4
et 1997
5
devant la juridiction pénale.
Le 12 janvier 2005, après audition des présidents des universités
Pierre et Marie Curie et Paris Diderot et du directeur de l’Institut de
physique du globe de Paris, ces trois établissements sont mis en examen
pour mise en danger d’autrui, en tant que personnes morales.
L’instruction est toujours en cours à la date de publication du présent
rapport.
Ainsi, les différents responsables ont agi pendant de nombreuses
années dans un climat de tension, et sous une forte pression médiatique,
en raison de l’enjeu de santé publique du désamiantage.
La première partie du présent chapitre décrit le déroulement des
cinq grandes opérations de travaux conduites par l’établissement public
au cours de la période contrôlée. Les dérives de chacune d’entre elles ont
entraîné d’importants surcoûts de location de locaux décrits dans la
deuxième partie. Le dérapage très important de l’enveloppe financière
globale est l’objet de la troisième partie.
I
-
Les défaillances dans la conduite des cinq
opérations principales
Les travaux sur le campus de Jussieu, présentés ci-après en
respectant leur chronologie, ont été organisés en cinq grandes opérations :
-
la construction du bâtiment ATRIUM ;
-
le désamiantage et la réhabilitation de la tour centrale ;
-
la réhabilitation de l’îlot Cuvier au profit de l’Institut de
physique du globe de Paris ;
-
le désamiantage et la réhabilitation du secteur ouest du gril
d’Albert ;
-
le désamiantage et la rénovation du secteur est du gril d’Albert.
4
Deux employés du campus portent plainte avec le comité anti-amiante de Jussieu
pour « blessures involontaires et omission de porter secours ».
5
80 victimes déposent une seconde plainte contre X, invoquant cette fois le délit de
« mise en danger de la vie d'autrui ».
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Chacune a connu des dérives importantes, de calendrier et de
coûts, mais difficiles à quantifier précisément car l’établissement public
ne formalisait pas, lors de leur lancement, les objectifs en termes de
périmètre, de calendrier et de coûts.
Principales opérations sur la période contrôlée
A - La construction du bâtiment ATRIUM
L’ATRIUM est un bâtiment de 16 750 m
2
SHON (10 400 m
2
de
surface utile), dont la vocation principale est l’accueil d’activités
pédagogiques (salles de cours et de travaux dirigés). Il s’agit d’une
construction neuve sur le campus, décidée en 2001, pour permettre
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l’accélération des opérations de désamiantage à la suite de la parution du
décret du 13 septembre 2001
6
.
Le budget affecté à cette opération pour la partie travaux était de
17,9 M€ hors taxes. Le calendrier de réalisation prévoyait une livraison à
l’été 2005 pour permettre une mise en service à la rentrée universitaire de
la même année.
La construction du bâtiment ATRIUM est marquée par une
réévaluation très importante de l’enveloppe des travaux au fur et à mesure
de son déroulement :
-
la part travaux est réévaluée une première fois à 19,98 M€ HT
(+11,6 %) lors du concours de maîtrise d’oeuvre, l’ensemble des
candidats ayant proposé des projets au-delà de l’enveloppe
fixée et plusieurs membres du jury s’étant étonnés de la
faiblesse de l’estimation de l’administration ;
-
elle est réévaluée à 23,16 M€ HT (+15,9 % par rapport à
l’estimation précédente) lors de l’approbation de l’avant-projet
définitif, du fait des nombreuses évolutions de programme
demandées par les utilisateurs.
Finalement, le bâtiment a été livré à l’été 2006, avec un an de
retard et pour un montant de travaux de 24,8 M€ hors taxes, soit une
augmentation de 38,6 % du coût des travaux par rapport à l’enveloppe
initiale, alors que dans le même temps, l’augmentation de l’indice du coût
de la construction BT01
7
n’était que de 14,2 %. La construction du
bâtiment ATRIUM illustre les difficultés de l’établissement public à
estimer correctement le coût final lors du lancement de l’opération et à
contenir les évolutions de programme.
B - Le désamiantage et la réhabilitation de la tour
centrale
La tour centrale est un bâtiment phare du campus de Jussieu.
Immeuble de grande hauteur (88 m), elle comprend 24 étages pour une
surface SHON de 11 400 m
2
correspondant à une surface utile de
6
Décret n° 2001-840 du 13 septembre 2001 modifiant le décret n° 96-97 du 7 février
1996 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une
exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis et le décret n° 96-98 du 7 février 1996
relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l’inhalation de
poussières d’amiante.
7
L'indice BT01 est la référence officielle de révision des prix de construction qui
mesure l'évolution du coût des facteurs de production dans le bâtiment.
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6 500 m
2
. La protection au feu du bâtiment reposait sur un flocage des
structures métalliques à l’amiante.
La tour accueillait la présidence et certains services administratifs
de l’Université Pierre et Marie Curie, ainsi que certains services de Paris
Diderot (étages 1 à 9).
a)
Les incertitudes sur l’avenir de la tour après désamiantage
La tour centrale a été fermée en 2003 pour des raisons de sécurité :
la commission de sécurité intervenue à la demande de la préfecture de
police de Paris avait montré que l’exigence règlementaire de stabilité au
feu de la tour pendant deux heures en cas d’incendie
8
n’était pas
respectée.
Le désamiantage de la tour était nécessaire et préalable à toute
opération, quel que soit son avenir, déconstruction ou rénovation.
Les travaux de désamiantage ont été entrepris fin 2003 et achevés à
l’été 2005, pour un coût total de 6,5 M€ HT. Contrairement à l’objectif
initial de dépose totale des plaques en fibrociment
9
, du fait de difficultés
techniques
apparues
en
cours
de
chantier,
seules
les
plaques
endommagées ont été déposées. Le désamiantage de la tour centrale n’a
donc pas été exhaustif puisque le bâtiment contient encore de l’amiante
lié. La règlementation
10
l’autorise, car cette forme d’amiante ne présente
pas de risque pour les utilisateurs des locaux.
La gestion de la tour centrale, en tant qu’immeuble de grande
hauteur, était soumise à des contraintes spécifiques. Sa réhabilitation
faisait
débat,
compte
tenu
des
surfaces
laissées
libres
par
le
déménagement de l’université Paris Diderot.
Les analyses prospectives menées par l’EPCJ à l’été 2004 sur le
déroulement de l’opération Jussieu avaient cependant montré l’intérêt de
réhabiliter la tour centrale afin de reloger les services administratifs et la
présidence de l’université Pierre et Marie Curie et permettre la libération
du secteur est du gril.
Le budget global de la réhabilitation était évalué à 26,8 M€ TTC
11
,
mais aucune décision formelle n’avait encore été prise, ni de
8
La tour centrale est classée IGH de type W2 au sens du code de la construction et de
l’habitation (type bureau, hauteur>50m).
9
Matériau contenant de l’amiante lié.
10
La réglementation impose seulement en cas de démolition du bâtiment le retrait
préalable de l'amiante lié (code du travail et code de la santé publique).
11
Valeur janvier 2004.
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réhabilitation, ni de démolition. L’EPCJ avait posé officiellement la
question au ministère fin 2003 puis l’avait alerté à l’été 2004 sur la
nécessité d’une décision rapide, afin de pouvoir lancer l’opération de
travaux sans délai à la suite du désamiantage.
La question de l’avenir de la tour centrale a été traitée par la
mission conjointe menée par les inspections générales en 2005. La
mission préconisait de réhabiliter la tour centrale à condition d’accueillir
sur le campus de Jussieu l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle dont le
centre principal, situé à Censier, devait également être désamianté. La
mission recommandait d’utiliser le produit de la vente de certains sites de
l’université Paris 3 pour financer cette réhabilitation.
La décision de conserver la tour centrale n’a été prise qu’en juillet
2006, soit deux ans après que la question avait été posée officiellement.
Parallèlement, l’établissement public avait anticipé le lancement, dès
novembre 2005, de la mission de maîtrise d’oeuvre pour la réhabilitation
de la tour centrale.
b)
Les conséquences de la modification du mode de dévolution des
travaux
En décembre 2006, l’établissement entérinait la modification du
mode de dévolution des travaux : alors qu’il était envisagé de confier les
travaux de réhabilitation à une entreprise générale, il était décidé, pour
accélérer l’opération, de séparer les travaux en quatre marchés distincts
dont deux (dépose et pose des façades, protection au feu) pouvaient être
lancés immédiatement sans attendre la fin des études nécessaires à la
préparation du marché regroupant les corps d’état les plus classiques. Les
travaux faisant l’objet de quatre marchés s’élevait à 22,4 M€ HT
(26,8 M€ TTC).
En août 2007, quelques mois après le démarrage des travaux,
l’établissement est contraint de notifier un nouveau marché pour la
mission d’OPC (ordonnancement, pilotage et coordination) des quatre
marchés de travaux. Ces prestations n’avaient pas été incluses dans le
marché de maîtrise d’oeuvre puisqu’elles devaient au départ être gérées
par l’entrepreneur général. Plusieurs tâches d’organisation du chantier
avaient été confiées au titulaire du premier marché, mais son incapacité à
gérer cette mission et les difficultés de coordination des différentes
entreprises ont nécessité la contractualisation des prestations d’OPC.
Dans le même temps, compte tenu de la crise interne à
l’établissement public pendant cette période, le chef de projet de la tour
centrale avait quitté l’établissement. Son successeur, qui assumait ces
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fonctions en plus de ses responsabilités antérieures, éprouvait de grandes
difficultés à gérer correctement cette opération.
c)
Bilan de l’opération
Les travaux, prévus pour 21 mois, ont finalement duré 10 mois de
plus. Plusieurs éléments ont contribué au retard :
-
des difficultés de coordination technique et spatiale des
marchés, la répartition des moyens communs de chantier et la
coordination entre les entreprises s’étant avérées beaucoup plus
difficiles que prévu ;
-
une sous-estimation initiale des contraintes de sécurité qui a
obligé les entreprises à revoir les dispositions prévues à la suite
des demandes de l’inspection du travail ou de la commission de
sécurité ;
-
les difficultés financières d’un sous-traitant pour la pose des
façades ;
-
des travaux non prévus liés à un mauvais diagnostic initial et
aux nombreuses difficultés techniques qui sont intervenues en
cours de chantier.
Les quatre marchés initiaux de travaux ont fait l’objet d’avenants
ou de décisions de poursuivre ayant pour objet de prendre en compte
l’incidence financière des travaux supplémentaires ou modificatifs,
décidés au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Plusieurs
avenants ont permis également d’indemniser certaines entreprises du
retard imputable à d’autres.
Enfin,
plusieurs
marchés
ont
fait
l’objet
de
marchés
complémentaires pour répondre à de nouveaux besoins de l’université
Pierre et Marie Curie
(transfert du PC sécurité au sein de la tour centrale,
travaux au sein du local informatique DSI2). Les procédures de passation
retenues pour plusieurs de ces marchés présentent des irrégularités vis-à-
vis du code des marchés publics.
Alors que les marchés de travaux représentaient un montant total
de 22,4 M€ HT, le montant final de l’ensemble des marchés modifiés
atteint 28 M€ HT, soit 25 % d’augmentation.
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Principaux marchés de travaux de l’opération tour centrale et
leurs évolutions (€)
Montant HT
Montant TTC
augmentation /
marché initial
Notification
06T564
Marché n°1 Mur Rideau
6 224 715,74
7 444 760,03
25/10/2006
Décision de poursuivre
6 847 009,94
8 189 023,89
10,00%
13/01/2009
07T573
Marché n°2 Structure CE techniques et
architecturaux
14 960 000,00
17 892 160,00
25/01/2007
Avenant n°1
17 615 900,73
21 068 617,27
17,75%
24/09/2008
Décision de poursuivre
18 213 214,88
21 783 005,00
21,75%
25/05/2009
MN09T698
Marché complémentaire 2-1 Transfert PC
sécurité
934 045,00
1 117 117,82
6,24%
25/06/2009
MN09T706
MC2-2 Sous stations eau chaude/froide
260 000,00
310 960,00
1,74%
10/09/2009
MN10T738
MC2-3 Travaux local DSI2
228 000,00
272 688,00
1,52%
16/07/2010
1 422 045,00
1 700 765,82
9,51%
19 635 259,88
23 483 770,82
31,25%
06T565
Marché n°3 Protection au feu
998 566,86
1 194 2 85,96
06/11/2006
Décision de poursuivre
1 079 186,91
1 290 707,54
8,07%
29/05/2008
MN07T629
MC3-1 Protection au feu des fers de rive
179 559,17
214 752,77
17,98%
30/11/2007
MN08T651
MC3-2 Décapage et peinture complémentaire
98 002,67
117 211,19
9,81%
26/06/2008
277 561,84
331 963,96
27,80%
1 356 748,75
1 622 671,51
35,87%
07T583
Marché n°4 Protection solaire
190 000,00
227 24 0,00
13/03/2007
Décision de poursuivre
208 454,32
249 311,37
9,71%
19/05/2009
22 373 282,60
26 758 445,99
28 047 472,89
33 544 777,58
25,36%
Total Marchés initiaux
Total final
Marché n°2 Total des marchés complémentaires
Marché n°2 Total Général
Marché n°3 Total des marchés complémentaires
Marché n°3 Total Général
Source : Cour des comptes d’après les rapports de présentation des marchés
A ce bilan viennent s’ajouter des indemnités pour retard versées
aux entreprises dans le cadre des décomptes généraux définitifs.
Parallèlement, le marché de maîtrise d’oeuvre a été modifié par
avenants et a fait l’objet de marchés complémentaires. Le montant total
est passé de 1,9 M€ HT à 2,3 M€ HT, soit une augmentation de 24 %.
En définitive, par rapport au coût de 26,8 M€ annoncé par
l’établissement à l’été 2004 avant le lancement des travaux, le coût global
de l’opération présenté par l’établissement, permettant de prendre en
compte l’intégralité des travaux au-delà des marchés principaux présentés
ici, atteint 42,5 M€ TTC, soit une augmentation de 58,5 % alors que sur
la période, l’indice BT01 augmentait de 24 %.
***
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En conclusion, pendant deux ans, l’absence de décision officielle
sur l’avenir de la tour a engendré un retard important et contraint
l’établissement à lancer les travaux d’études, alors que la décision de
réhabiliter le bâtiment n’était pas prise formellement.
L’opération de réhabilitation elle-même a fait l’objet d’un retard de
presqu’un an et d’un surcoût très important. La décision initiale de
fractionnement en quatre marchés, afin d’accélérer le démarrage des
travaux, s’est révélée peu efficace en termes de calendrier et de coûts.
Une partie du surcoût de cette opération est une conséquence des
difficultés de coordination des entreprises et des indemnités pour retard
qui leur ont été versées.
Enfin, les nouveaux besoins de l’université Pierre et Marie Curie
ont systématiquement été pris en compte, sous forme de marchés
complémentaires.
C - La réhabilitation de l’îlot Cuvier
Le plan université du 3
ème
millénaire, dit U3M, et le contrat de plan
Etat-région (CPER) 2000-2006 prévoyaient, sur l’îlot Cuvier, la
démolition de plusieurs bâtiments et la réalisation d’un nouvel ensemble
immobilier développant environ 16 000 m
2
SHON pour y implanter deux
entités précédemment installées sur le campus de Jussieu :
-
l’Institut de physique du globe de Paris, grand établissement
autonome
qui
regroupe
des
activités
de
recherche
et
d’enseignement de troisième cycle dans le domaine des
sciences de la terre (13 600 m
2
) ;
-
la bibliothèque des sciences de l’univers, qui rassemble deux
sections de l’actuelle bibliothèque interuniversitaire scientifique
du campus de Jussieu, rattachée à l’université Pierre et Marie
Curie (2 400 m
2
).
La construction du bâtiment neuf sur l’îlot Cuvier était inscrite au
CPER 2000-2006 pour un montant total de 28,96 M€. Le programme
initial prévoyait le démarrage de l’opération fin 1999 pour une livraison
mi-2003.
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COUR DES COMPTES
a)
Le retard lié au manque de coordination avec la ZAC Paris Rive
Gauche
Cette opération a subi un retard très important, dû aux difficultés à
reloger les entités hébergées dans les anciens bâtiments qui abritaient :
-
des logements de fonction, libérés à la livraison des nouveaux
logements à l’extrémité du gril fin septembre 2006 ;
-
des services de l’université Pierre et Marie Curie, transférés
dans le nouveau bâtiment ATRIUM à l’été 2006 ;
-
des laboratoires de recherche pour lesquels différentes solutions
de relogement ont été retenues : barres de Cassan, muséum
national d’histoire naturelle, secteur est du gril par exemple.
C’est la difficulté à reloger un laboratoire de chimie de l’université
Paris Diderot, l’ITODYS, qui a retardé le démarrage de l’opération.
Ce point avait été identifié dès mars 2003 : en conseil
d’administration de l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ),
le président de l’université Paris Diderot pose la question du relogement
de ce laboratoire dont le déménagement sur le nouveau campus de la
ZAC Paris Rive Gauche n’est pas prévu.
Cette situation de blocage perdure pendant deux ans, jusqu’à ce
que la mission des inspections générales identifie une solution :
l’université Paris Diderot accepte le principe d’un « resserrement » de ses
laboratoires de physique, ce qui doit permettre l’accueil de l’ITODYS au
sein du campus ZAC Paris Rive Gauche. La mise en oeuvre de cette
solution, décidée en 2005, sera pourtant compliquée par le manque de
coordination entre les travaux de la ZAC Paris Rive Gauche et l’opération
Jussieu et par l’opposition des chercheurs de Paris Diderot.
Le déménagement de l’ITODYS n’est finalement achevé que fin
septembre 2007, accusant 18 mois de retard sur le calendrier envisagé par
la mission tripartite.
b)
L’instabilité du programme
Le retard de l’opération a entraîné des difficultés budgétaires,
compte tenu de l’évolution des prix du bâtiment sur la période. Le contrat
de projets Etat-Région 2007-2013 sera l’occasion de revoir l’enveloppe
financière à la hausse : elle est portée à 39,6 M€ (10,6 M€ pour la part
Région et 29 M€ pour la part Etat).
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29
Le marché de maîtrise d’oeuvre de l’opération est notifié en juillet
2003. Bien qu’il ait validé le projet en phase d’avant-projet sommaire
(APS), l’Institut de physique du globe de Paris a fait connaître à
l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) sa volonté de
modifier le programme de l’opération et n’a remis le programme
modificatif qu’en décembre 2005. La reprise consécutive des études par
le maître d’oeuvre conduit à une nouvelle remise de l’avant-projet
définitif (APD) le 30 mars 2006 et à un coût prévisionnel des travaux
revu légèrement à la hausse, l’Institut de physique du globe de Paris ayant
cependant consenti des suppressions pour rester dans l’enveloppe de
l’opération.
Le décalage enregistré sur le déroulement de l’opération, du fait
des retards des études liées aux phases d’avant-projet et d’un appel
d’offres infructueux lors de la consultation des entreprises, n’a cependant
pas eu d’incidence véritable sur le calendrier du projet, puisque celui-ci
ne pouvait pas démarrer avant le déménagement des laboratoires de
recherche.
Pendant la phase de travaux, le projet a subi une révision de
programme majeure, portant sur les locaux destinés à la bibliothèque des
sciences de l’univers. Alors que les travaux sont déjà lancés, il est
finalement annoncé en conseil d’administration par l’université Pierre et
Marie Curie et l’Institut de physique du globe de Paris que la bibliothèque
restera sur le secteur est du gril d’Albert et que les locaux devront
accueillir en lieu et place un laboratoire de physique, le laboratoire
Langevin. L’EPCJ est contraint de séparer les deux opérations pour ne
pas retarder l’installation de l’Institut de physique du globe de Paris. Le
surcoût de cette décision, correspondant aux mesures conservatoires à
prendre sur l’îlot Cuvier et sur le secteur est, est estimé à 1,1 M€ TTC.
***
L’opération relative au réaménagement de l’îlot Cuvier est une
illustration des conséquences sur le calendrier de l’absence de
coordination et de pilotage des opérations Jussieu et d’aménagement de la
ZAC Paris Rive Gauche au profit de l’université
Paris Diderot.
Jusqu’à l’apparition, en fin de chantier, du changement de
programme majeur concernant la bibliothèque, l’enveloppe financière
paraissait maîtrisée. Seule la dérive des délais avait engendré une
augmentation du coût liée à l’érosion monétaire. L’évolution de l’indice
BT01 entre fin 1999 et février 2007 a été de 30,26 % alors que, dans le
même temps, la progression de l’enveloppe financière de l’opération était
de 36,74 %. L’évolution non liée à l’augmentation des prix était donc
mesurée.
En
effet,
les
augmentations
liées
aux
évolutions
de
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30
COUR DES COMPTES
programmation sont restées modestes, et les modifications les plus
significatives ont été gagées par des révisions de programme en moins-
value.
Ce constat d’une enveloppe financière relativement maîtrisée doit
être rapproché du mode de financement retenu pour cette opération.
Cofinancée par l’Etat et la région dans le cadre des CPER, elle a fait
l’objet d’une convention de mandat. L’existence de cette convention
comportait l’avantage de fixer un objectif de coût contraignant à
l’établissement maître d’ouvrage.
Cependant, le changement de programme subi en fin d’opération
fait actuellement l’objet d’études et va induire un surcoût.
D - Le désamiantage et la réhabilitation du secteur
ouest du gril
L’opération « secteur ouest » porte sur la réhabilitation d’un
ensemble de bâtiments situés au sein du gril d’Albert constitué de dix-huit
barres, leurs rotondes de liaison, et trois constructions nouvelles en
extension de rotonde pour des logements de fonction, pour une superficie
totale d’environ 110 000 m² SHON. Le secteur ouest a vocation à
héberger principalement des activités d’enseignement et de recherche en
mathématiques, physique et informatique.
Le désamiantage des bâtiments (secteurs ouest-nord
et ouest-sud)
a fait l’objet, de fin 2002 à 2006, de différents marchés pour un montant
total de 30,7 M€ TTC.
a)
Une augmentation très importante de l’enveloppe des travaux au
stade de l’avant-projet sommaire
La réhabilitation du secteur ouest a donné lieu à l’attribution d’un
marché de maîtrise d’oeuvre, notifié le 26 novembre 2003 à l’issue d’une
procédure de concours.
Au cours des études d’avant-projet sommaire (APS), le programme
initial du secteur ouest a été remis en cause plusieurs fois par l’université
Pierre et Marie Curie, avec pour conséquence une reprise des études de
programmation et un allongement des délais.
D’autre part, le coût prévisionnel des travaux a été très fortement
réévalué pendant la phase d’étude de l’APS : alors qu’il était de
116 M€ HT au moment de la consultation et de l’attribution du marché de
maîtrise d’oeuvre, le maître d’oeuvre l’estimait à 160 M€ HT à la fin des
études.
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DES DELAIS ET DES COUTS
31
La raison invoquée par l’établissement public pour justifier cette
augmentation très significative de l’enveloppe des travaux est une erreur
dans l’estimation initiale
12
. Ainsi, il apparaît que l’enveloppe financière
affectée aux travaux par le maître d’ouvrage était insuffisante, et que le
chiffrage du coût de son projet par l’équipe du maître d’oeuvre, lors du
concours, était notablement sous-évalué.
Compte tenu de cette augmentation très importante de l’enveloppe
des travaux, l’approbation de l’APS a été gérée au plus haut niveau. Le
rapport des inspections générales avait mis en avant le risque juridique
pris en cette affaire notamment en ce qui concerne les conditions initiales
de mise en concurrence du marché de maîtrise d’oeuvre. Cette analyse a
été reprise en partie dans un courrier adressé le 22 mars 2005 au ministre
de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre
délégué au budget et à la réforme budgétaire. Ce courrier identifiait des
risques de mise en cause pénale, liés à la fragilisation du marché de
maîtrise d’oeuvre, le dépassement de l’enveloppe des travaux pouvant
avoir des répercussions sur la rémunération du maître d’oeuvre. Les
ministres enjoignaient à leur collègue de différer la validation de l’avant-
projet sommaire, pourtant autorisée par courrier du ministre chargé de
l’éducation au président de l’Etablissement public du campus de Jussieu
(EPCJ) le 22 février 2005.
Finalement, après un arbitrage interministériel rendu à Matignon,
l’EPCJ était autorisé à approuver l’APS avec un coût prévisionnel établi à
145 M€ HT (+25 % d’augmentation sur le montant des travaux).
A ce stade de l’opération, les difficultés rencontrées au moment de
l’approbation de l’APS étaient à l’origine d’environ un an de retard sur le
calendrier initial de la réhabilitation, qui prévoyait l’approbation de l’APS
en avril 2004.
12
Dans une note non signée datée du 15 avril 2005, la direction de l’EPCJ expose la
méthode retenue par les équipes qui l’ont précédée : le coût des travaux au m² a été
fondé sur le coût constaté pour la rénovation du secteur 1 (1 164 € HT/m² SHON),
ramené sans justification économique, souligne ce document, à 1 055 € HT/ m²
SHON, et appliqué au 110 000 m² SHON de l’opération secteur ouest. La note ajoute
que le recours au coût actualisé de 1 164 € HT/m² SHON (soit 1 200 € HT/m² SHON
en valeur septembre 2003), aurait conduit à une estimation des travaux de
131 943 000 € HT.
Ce document précise qu’une étude confiée à un économiste a conduit à mettre en
évidence un surcoût
spécifique lié à l’ambition architecturale et urbanistique du projet
retenu, de 255 € HT/m² SHON. L’estimation de l’APS par la maîtrise d’oeuvre est
validée par ce cabinet.
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32
COUR DES COMPTES
b)
Les conditions singulières de passation du marché principal de
travaux
Le marché M7 est le principal marché de travaux de l’opération
secteur ouest. Il porte sur la réhabilitation de la « coque » des bâtiments,
en interaction avec les marchés M8 et M9 prévus pour l’aménagement
intérieur des barres.
Lors de la consultation des entreprises, menée sous la forme d’un
appel d’offres restreint, trois offres sont reçues (GTM/GTC, Bouygues,
Eiffage), toutes les trois supérieures à l’estimation financière de la
maîtrise d’oeuvre, et présentant des écarts de prix très importants
13
. Seule
l’offre de Bouygues s’avère assez proche de l’estimation (+ 4 %).
Or l’analyse technique de l’offre de Bouygues suscite des
interrogations au sein de l’établissement quant à l’opportunité de
poursuivre l’appel d’offres, le candidat ayant relevé l’inexistence de
documents indispensables à la signature du marché (plan de réseaux et de
structure notamment), car leur absence fait peser un risque sur la validité
de la solution technique retenue pour la démolition des rotondes. Dans
une note d’analyse, le chef de projet de l’Etablissement public du campus
de Jussieu (EPCJ) estime que : «
l’offre Bouygues est la moins disante
mais les modifications à apporter avant attribution du marché sont de
nature à remettre en cause les caractéristiques substantielles de l’offre :
il ne s’agit pas seulement de précisions ou de compléments, mais bien
d’un travail de fond. L’appel d’offres serait alors déclaré infructueux au
titre de l’article 35.I.1 (offres inacceptables)
».
Suite à ces premières analyses, l’établissement a cependant
poursuivi
l’appel
d’offres
par
des
«
demandes
complémentaires
d’informations aux trois entreprises
» et a proposé à la commission
d’appel d’offres, le 13 décembre 2006, de retenir l’offre de Bouygues,
sans que les difficultés identifiées au stade de la consultation soient
évoquées.
Le choix de poursuivre l’appel d’offres dans ces conditions est
intervenu alors que le président de l’EPCJ avait quitté ses fonctions en
octobre et que l’établissement était dirigé par son directeur, lui-même
devant quitter ses fonctions à la fin du mois de décembre.
La nouvelle directrice générale de l’établissement, nommée le
3 janvier 2007, décide d’attribuer et de notifier le marché à Bouygues, en
ajoutant une annexe spécifique stipulant que «
le maître d’ouvrage a pris
bonne note que l’entreprise a signalé dans son offre qu’elle considère ne
13
+51 % entre l’offre la plus chère et l’offre la moins chère.
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33
pas disposer de certaines pièces nécessaires à l’établissement des
documents d’exécution et des plans d’atelier et de chantier. En
conséquence, les parties conviennent de se rapprocher pour en arrêter les
modalités de réalisation, dans la semaine qui suit la notification du
marché… ».
Après la notification du marché, l’EPCJ a confirmé à Bouygues
l’absence des plans d’exécution. Lors des échanges qui ont suivi entre
l’EPCJ et l’entreprise, il a été convenu de confier à Bouygues la
réalisation de sondages supplémentaires. Ces derniers devaient être
contractualisés sous la forme d’un ordre de service que Bouygues a
finalement refusé d’exécuter. La lettre de refus du 23 mars 2007 identifie
plusieurs points de désaccord : le fait que l’EPCJ considère que la
réalisation des sondages suffit pour résoudre l’absence de plans de
structure, alors que Bouygues estime qu’il reste un travail d’exploitation
nécessaire, et l’absence d’impact sur le calendrier de ces travaux
complémentaires. La situation est alors bloquée entre l’entreprise et
l’EPCJ.
Cette situation de blocage avec l’entreprise de travaux n’a été
résolue que par la commande au maître d’oeuvre des prestations d’études
et de diagnostics nécessaires au démarrage des études d’exécution de
Bouygues (avenant n° 4 au marché de maîtrise d’oeuvre notifié le 20 juin
2007) et la notification de l’avenant n° 1 au marché de travaux notifié le
6 août 2007. Cet avenant a été notifié par le directeur général de
l’enseignement supérieur qui assurait temporairement la conduite
opérationnelle de l’opération, suite au limogeage en juin 2007 de la
directrice générale.
L’avenant
n° 1
correspond
au
versement
d’un
montant
indemnitaire lié au décalage du calendrier études et travaux de
l’entreprise de 6 913 102,00 € HT, soit 8 268 069,99 € TTC.
L’EPCJ n’était pas en mesure de négocier sereinement cet avenant,
l’entreprise refusant de démarrer les travaux sans prise en compte
préalable des incidences financières et calendaires en cours de
négociation. Tout report de démarrage des travaux aurait entraîné une
demande d’indemnisation complémentaire, un retard de livraison et des
coûts de location des locaux tampons complémentaires.
La seule alternative ouverte à l’établissement aurait été la
résiliation du marché. Le rapport de présentation de l’avenant affirme :
«
Une telle résiliation se serait traduite sans nul doute par un
contentieux, mais surtout par un retard supplémentaire de plusieurs mois
(nécessité de relancer une consultation) et à l’évidence par un
renchérissement du coût des travaux car il ne fait aucun doute qu’une
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COUR DES COMPTES
nouvelle consultation se ferait sur des bases économiques beaucoup
moins favorables pour l’Etablissement public du campus de Jussieu
(EPCJ), l’offre de Bouygues s’étant avérée très compétitive lors de la
consultation. Dans de telles conditions, le maître d’ouvrage aurait été
susceptible d’ouvrir aussi un contentieux avec la maîtrise d’oeuvre et le
bureau de contrôle pour identifier les responsabilités des différentes
parties sur les lacunes du dossier des entreprises. Les conséquences
d’une résiliation auraient donc été, dans une première approche, bien
supérieures en termes de décalage de calendrier et de surcoût.
»
En
conclusion,
l’insuffisance
des
diagnostics
initiaux,
la
consultation et la notification du marché de travaux dans ces conditions et
le blocage qui s’en est suivi avec l’entreprise ont eu pour conséquences
une perte de 6,9 M€ HT pour l’Etat et un retard d’environ six mois de
l’opération.
c)
L’insuffisance des diagnostics initiaux
Dans le cadre de la mission « diagnostics sur les existants » confiée
à la maîtrise d’oeuvre au titre de l’avenant n° 4, celle-ci a identifié
plusieurs difficultés techniques lourdes de conséquences, dont notamment
des surépaisseurs des complexes de béton sur la toiture des bâtiments et la
présence résiduelle d’amiante (locaux en infrastructure, éléments de
façades en superstructure, faux-plafond de la dalle Jussieu).
La contractualisation des travaux devenus nécessaires, qui auraient
dû être prévus et intégrés au marché initial si les diagnostics initiaux
avaient
été
correctement
réalisés,
a
fait
l’objet
d’un
marché
complémentaire de travaux, notifié à Bouygues le 25 mai 2008, pour un
montant total de 13,8 M€ HT.
Ce marché complémentaire était indissociable de deux autres
actes : la contractualisation de l’avenant n° 2, qui prenait en compte de
nombreux travaux supplémentaires ou modificatifs, et un contrat de
transaction pour un montant de 3,8 M€ HT, justifié par l’établissement
par la nécessité d’indemniser l’entreprise des impacts de ces nouveaux
travaux sur l’organisation des travaux du marché initial.
Ces découvertes en cours de chantier ont entraîné encore environ
un an de retard.
d)
La séparation de l’opération « secteur ouest-centre »
Compte tenu des difficultés techniques rencontrées sur le chantier
et du retard très important pris par l’opération îlot Cuvier, il est apparu
que l’opération secteur ouest-centre ne pourrait pas être traitée comme la
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35
seconde phase d’une opération qui avait déjà dû être fortement adaptée à
la réalité du chantier.
Au
printemps
2008,
les
deux
opérations
sont
séparées :
l’établissement décide de ne pas affermir la tranche conditionnelle du
marché M7 correspondant aux travaux sur le secteur ouest-centre et,
parallèlement, de remodeler en profondeur le marché de maîtrise
d’oeuvre. Les prestations correspondant au secteur ouest-centre sont
supprimées du marché initial et un nouveau marché, sous la forme d’un
marché complémentaire, est notifié pour la maîtrise d’oeuvre du secteur
ouest-centre. La moins-value liée à la suppression des prestations
(-1,8 M€ HT) est largement inférieure à la tranche conditionnelle du
marché initial (3,0 M€ HT), elle-même inférieure au nouveau marché
(4,4 M€ HT), alors que ces prestations devraient porter sur les mêmes
missions.
L’obligation dans laquelle s’est trouvé l’établissement d’augmenter
la rémunération de la maîtrise d’oeuvre, compte tenu de l’augmentation du
coût des travaux, correspond bien au risque identifié préalablement par la
mission des inspections. D’autre part, la procédure contractuelle retenue
par l’établissement était irrégulière.
e)
L’impact des travaux modificatifs et supplémentaires
L’opération a nécessité la contractualisation de nombreuses
modifications liées à des difficultés techniques, des évolutions de besoins,
ou des adaptations apparues nécessaires en cours de chantier.
Pour le marché de travaux, ces prestations ont été contractualisées
par les avenants n° 2, 3 et 4 représentant un surcoût global de
11,2 M€ HT, soit 15 % de la tranche ferme du marché initial.
Au total, le surcoût global pour la réalisation des travaux de
« coque » des secteurs ouest-nord et ouest-sud, incluant les avenants, le
marché complémentaire et la transaction, s’élève à 35,7 M€ HT soit 48 %
du montant de la tranche ferme du marché initial M7.
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Bilan du marché M7 et des actes associés (€)
Montant HT
Montant TTC
%
marché (TF)
Notification
07T576
M7 - Tranche Ferme
74 331 939,62
88 900 999,79
07/02/2007
M7 - Tranche Conditionnelle n°1
35 075 301,22
41 950 060,26
AVT n°1
81 245 041,62
97 169 069,78
9,30%
06/08/2007
AVT n°2
83 595 256,62
99 979 926,92
12,46%
26/05/2008
AVT n°3
84 017 785,64
100 485 271,63
13,03%
08/07/2009
AVT n°4
92 417 785,64
110 531 671,63
24,33%
12/01/2010
MN08T643
Marché Complémentaitre M7
13 833 894,00
16 545 337,22
26/05/2008
3 800 000,00
3 800 000,00
26/05/2008
110 051 679,64
130 877 008,85
Surcoût / Tranche Ferme du marché initial
35 719 740,02
41 976 009,06
48,05%
(sur HT)
Transaction
Total général
Source : Cour des comptes, d’après les rapports de présentation des marchés
f)
L’augmentation des coûts de maîtrise d’oeuvre
Parallèlement, le marché de maîtrise d’oeuvre est modifié par
avenant pour prendre en compte une série d’augmentations de
rémunération liées à des prestations complémentaires.
Si l’on procède à l’exercice de consolidation sur l’ensemble du
secteur ouest, en agrégeant les montants du marché de maîtrise d’oeuvre
modifié par avenant et des marchés complémentaires, la rémunération du
maître d’oeuvre augmente de 48,7 %, passant de 13 340 000 euros HT
dans le marché initialement attribué, à 19 845 297 euros HT.
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DES DELAIS ET DES COUTS
37
Bilan de l’évolution des marchés de maîtrise d’oeuvre (€)
Montant HT
Montant TTC
augmentation /
marché initial
Notification
03 S 320
MOE Réhabilitation du secteur ouest
26/11/2003
tranche ferme
10 357 176,00
12 387 182,50
tranche conditionnel
2 982 824,00
3 567 457,50
tranche ferme + tranche conditionnelle
13 340 000,00
15 954 640,00
Avenant n°3
14 580 000,00
17 437 680,00
9,30%
29/07/200 5
Avenant n°4
15 093 000,00
18 051 228,00
13,14%
26/06/20 07
Avenant n°5
14 374 920,85
17 192 405,34
7,76%
26/02/200 9
Avenant n°6
14 863 279,24
17 776 481,97
11,42%
28/05/20 10
08 S 644
MC n°1 : traitement de l'amiante
résiduelle en superstructure et
enlèvement des recharges en toiture
terrasse.
564 518,02
675 163,55
4,23%
14/05/2008
09 S 682
MC n°2 : MOE Réhabilitation du secteur
ouest - centre
4 417 500,00
5 283 330,00
33,11%
22/02/2009
4 982 018,02
5 958 493,55
37,35%
19 845 297,26
23 734 975,52
48,77%
Total Marchés complémentaires
Total Général
Source : Cour des comptes, d’après les
rapports de présentation des
marchés
g)
L’aménagement intérieur des locaux
Le
marché
M8
a
pour
objet
l’ensemble
des
travaux
d’aménagement intérieur après réhabilitation de la superstructure du
bâtiment, pour la partie du secteur ouest qui correspond initialement à la
tranche ferme du marché M7 (soit les secteurs ouest-nord et ouest-sud).
La procédure d’attribution du marché M8 ne présente pas
d’irrégularité formelle, mais les conditions de mise en concurrence
suscitent néanmoins des interrogations.
En effet, alors que 13 dossiers de consultation avaient été retirés
lors de l’appel d’offres, une seule offre a été déposée par Bouygues, ce
qui semble attester que l’avantage comparatif dont disposait l’entreprise
titulaire du marché M7 ait pu être dissuasif pour les concurrents
potentiels.
Le marché d’aménagement M8, d’un montant de 68,8 M€ HT, a
ensuite été modifié par avenant pour tenir compte de demandes de
modifications ou d’aménagements du programme et des aléas techniques,
pour un montant total de 7,6 M€ HT représentant 11 % du marché initial.
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COUR DES COMPTES
Au-delà du marché M8 qui avait pourtant été modifié par avenant
pour répondre aux évolutions des besoins des équipes de recherche,
l’établissement a contracté un marché de parachèvement, non prévu
initialement lors du découpage de l’opération en marchés de travaux, pour
réaliser toutes les adaptations nécessaires en vue de l’installation des
laboratoires de recherche.
Cette consultation a fait l’objet d’un appel d’offres restreint, seuls
trois candidats ont été retenus et une seule offre a été remise : il s’agit de
l’offre du groupement ETDE-PHIBOR-CLAISSE dont ETDE est
mandataire. ETDE et PHIBOR étaient sous-traitants de Bouygues pour le
marché M8.
Le montant total estimé des bons de commande de ce marché est
de l’ordre de 10 M€ HT, ce qui représente encore une augmentation très
importante des coûts d’aménagement des locaux.
h)
Bilan des dérives de délais et de coûts
L’opération de réhabilitation du secteur ouest a subi un retard très
important lié au délai nécessaire à l’approbation de l’avant-projet
sommaire (douze mois), au blocage de l’opération après la notification du
marché M7 (environ six mois) et aux découvertes sur le chantier (environ
douze mois).
Le plan de relance gouvernemental de 2009 a permis d’accélérer
les travaux en fin d’opération, ce qui a conduit à une livraison des travaux
du secteur ouest-nord et sud concomitamment en mai 2010.
Du fait du retard très important subi avant le démarrage des
travaux du secteur ouest, et des incertitudes sur le lancement de la
réhabilitation de la tour, les travaux sur le campus ont semblé bloqués à
l’université Pierre et Marie Curie, qui qualifie cette période de «
crise de
2003-2007
», situation particulièrement inacceptable pour l’université qui
subissait parallèlement la réduction de ses surfaces et l’éclatement de ses
entités dans des locaux loués.
L’Institut de physique du globe de Paris n’ayant pu être déménagé
qu’à l’été 2010 à la livraison du bâtiment de l’îlot Cuvier, les travaux
concernant la partie ouest-centre doivent faire l’objet d’une nouvelle
opération, dont la livraison est aujourd’hui prévue pour décembre 2014.
Le coût final estimé de l’ensemble de l’opération de désamiantage
et de réhabilitation du secteur ouest est aujourd’hui de 459,5 M€ TTC
14
alors qu’il était de 270 M€ TTC en 2005, au moment de l’approbation de
14
Tableau budget global prévisionnel au 8 novembre 2010.
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39
l’APS, soit une augmentation de 70 %. Parallèlement, l’indice BT01 a
varié de 18 % entre le 1
er
janvier 2005 et le 1
er
janvier 2010
15
. Ce coût est
essentiellement constitué du coût de la réhabilitation des secteurs nord et
sud (308 M€ TTC) et du coût prévisionnel de la réhabilitation du secteur
ouest-centre (105,5 M€ TTC).
***
L’opération secteur ouest est à l’origine d’une part très importante
des dérives calendaires et financières de l’opération. C’est une opération
complexe par sa taille (110 000 m
2
), et par la nature des travaux à
réaliser. Les locaux destinés aux laboratoires de recherche doivent obéir à
des
spécifications
particulières,
ce
qui
constitue
des
conditions
inhabituelles pour des ouvrages de si grande taille et exige des
compétences spécifiques de la maîtrise d’oeuvre.
L’opération a souffert d’un problème de conception initiale : le
coût du choix architectural retenu lors du concours de maîtrise d’oeuvre
s’est rapidement révélé très supérieur à l’enveloppe financière des
travaux, elle-même probablement sous-évaluée. Ce choix, qui n’a pas été
remis en cause, est à l’origine des nombreuses difficultés techniques
rencontrées sur le chantier.
L’opération a également souffert de l’insuffisance des diagnostics
réalisés pendant la phase d’étude, qui n’a pas permis de pallier le manque
de documentation sur les ouvrages existants. Ces défaillances dans la
préparation de la phase travaux sont à l’origine des difficultés rencontrées
lors de la notification du principal marché de travaux.
L’insuffisance des diagnostics initiaux a engendré en cours de
chantier des découvertes aux conséquences très pénalisantes en termes de
coûts et de délais.
L’importance des modifications de programmes prises en compte
dans la phase d’aménagement des locaux et la nécessité de passer un
marché de parachèvement ont encore grevé le budget de l’opération.
Enfin, la séparation de l’opération secteur ouest-centre et son
lancement très retardé ont entraîné une importante augmentation du coût
final estimé du secteur ouest.
15
Le coût final estimé par l’établissement intègre cependant les provisions pour
révision de prix jusqu’en 2015.
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40
COUR DES COMPTES
E - Le désamiantage et la réhabilitation du secteur est
du gril
L’opération secteur est porte sur le désamiantage puis la
rénovation de la partie est du gril d’Albert qui regroupe onze barres et
demie, sept rotondes et quatre patios, ainsi que le parvis de la tour
centrale.
Sa
surface
est
d’environ
68 000
m
2
SHON,
dont
approximativement 38 000 m
2
SHON en superstructure, 11 000 m
2
SHON dans les rotondes de liaison et 19 000 m
2
SHON dans le socle.
Les travaux du secteur est programmés en fin d’opération subissent
l’ensemble des retards des opérations précédentes, plusieurs entités
hébergées au sein du secteur est devant attendre la livraison des locaux
réhabilités pour emménager dans leur locaux définitifs et libérer les
locaux amiantés.
Ainsi, le calendrier de l’opération n’a cessé de dériver : en juillet
2003, le démarrage du chantier sur le secteur est était prévu fin
2006/début 2007, aujourd’hui, il est prévu que les derniers travaux de
désamiantage débutent en 2011 et que le secteur est réhabilité soit livré
fin 2014.
a)
Le déménagement tardif du secteur est
L’impact
des
difficultés
rencontrées
par
l’opération
de
déménagement de l’université Paris 7 vers la ZAC Paris Rive Gauche
La libération du secteur est a fait l’objet de deux vagues
successives de transferts, une première en 2007 correspondant pour
l’essentiel aux déménagements des entités de Paris 7 vers les nouveaux
locaux de la ZAC Paris Rive Gauche, une seconde en 2008-2010 ayant
pour but de vider complètement le gril.
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UNE OPERATION COMPLEXE MARQUEE PAR UNE DERIVE CONTINUE
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La libération du secteur est du gril était d’abord conditionnée par la
livraison par l’Etablissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux
culturels (EMOC) et par la Société d’économie mixte d’aménagement de
Paris (SEMAPA) des bâtiments prévus pour accueillir les entités de
l’université Paris Diderot. La livraison des bâtiments M3C, Grands
Moulins et Halle aux farines par l’Etablissement public de maîtrise
d’ouvrage des travaux culturels
a été retardée de plusieurs mois (de mi-
2006 à fin 2006 environ) et la livraison du bâtiment M3F a accusé un
retard de près d’un an et demi (fin 2007) suite à l’absence d’avis
favorable de la commission de sécurité. Les déménagements des entités
de Paris 7 prévus à partir de 2006, ont dû être repoussés en 2007. Les
déménagements des entités hébergées dans les bâtiments livrés par la
SEMAPA (M3I et M5B) en avril 2008 ont été réalisés en 2008-2009.
Parmi l’ensemble des relogements à organiser pour déménager la
totalité de l’université Paris Diderot, deux déménagements ont posé des
problèmes particuliers et ont engendré des retards : le relogement de
l’institut Jacques Monod et celui de l’IUT de Paris 7.
Le relogement des entités de l’université Pierre et Marie Curie
Les entités de l’université Pierre et Marie Curie du secteur est sont
relogées dans différents bâtiments du campus ou établissements
extérieurs : tour centrale, secteur ouest rénové, barres de Cassan, bâtiment
K
16
, Ecole normale supérieure, Collège de France, Ecole nationale
supérieure de chimie de Paris (ENSCP).
Parmi les dernières opérations de relogement des entités de
l’université, celle qui a engendré le plus grand retard est le relogement
des laboratoires de chimie de Paris 6. L’objectif était de reloger la chimie
de l’université Pierre et Marie Curie à Ivry, après avoir relogé les entités
installées à Ivry au sein des barres de Cassan. Un appel d’offres
infructueux
au
premier
semestre
2008
portant
sur
l’opération
initiale d’aménagement des locaux des barres de Cassan a retardé tout cet
enchaînement et le transfert de la chimie de Paris 6, prévu à l’été 2009,
n’a pu avoir lieu que fin 2010.
Finalement, les dernières zones amiantées de la partie est du gril
n’ont été libérées de leurs occupants qu’en décembre 2010. Ce résultat ne
correspond pas à l’objectif fixé par l’arrêté de fin des opérations de
désamiantage au 31 décembre 2010.
16
Bâtiment préfabriqué construit sur le campus pour accueillir, à partir de la rentrée
2009, la bibliothèque de recherche en physique-chimie ainsi que des services
pédagogiques (coût total de 5,2 M€).
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b)
Les aléas de la programmation du secteur est
La programmation définitive de la réhabilitation du secteur Est
nécessitait la validation d’un schéma directeur d’occupation du campus
de Jussieu après désamiantage. Or, pendant toute la phase préparatoire de
l’opération, les hypothèses d’affectation des surfaces du gril n’ont cessé
d’évoluer de façon significative, modifiant ainsi les travaux de
programmation. Les hypothèses d’accueil de l’Ecole nationale supérieure
de chimie de Paris et de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, décidées
en juillet 2006 et à la base du projet de schéma directeur sur lequel devait
s’appuyer
le
dossier
de
consultation
des
concepteurs,
ont
été
progressivement abandonnées.
Le marché de programmation s’est déroulé de novembre 2006 à
juillet 2008. Il a dû être plusieurs fois modifié par avenant compte tenu
des incertitudes sur l’allocation des surfaces.
Plusieurs modifications de programme ont déjà été validées pour
l’opération secteur est :
-
au stade de l’avant-projet sommaire, l’établissement a valorisé
les modifications les plus importantes à hauteur de 5,5 M€ HT
dont en particulier l’installation de la Bibliothèque des Sciences
de l’Univers pour 1,18 M€ HT ;
-
au stade de l’avant-projet définitif, les modifications ont été
estimées à 5,5 M€ HT supplémentaires (le montant total des
surcoûts s’établissant alors à 11 M€ HT).
Le coût final estimé de l’opération secteur est, comportant le
désamiantage, l’ensemble des travaux d’accompagnement et les marges
pour seuil de tolérance, aléas, et provisions pour hausse économique est
estimé fin 2010 à 347,9 M€ TTC
17
.
L’établissement a identifié à ce jour plusieurs risques significatifs
pesant sur cette opération :
-
le respect des dates de désamiantage, qui conditionne le
démarrage effectif des travaux de réhabilitation, notamment
compte tenu des nouvelles découvertes (amiante dans les
peintures des barres longitudinales) qui imposent des travaux
supplémentaires ;
-
un risque géotechnique : à l’issue des premières campagnes de
sondages et des calculs de structures correspondants, la société
chargée des sondages géotechniques estime devoir renforcer les
17
D’après le tableau de bord de suivi des opérations mis à jour le 12 octobre 2010.
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fondations actuelles du secteur est. Le surcoût est estimé à
plusieurs millions d’euros et le délai d’exécution pourrait être
rallongé de plusieurs mois.
L’opération secteur est a connu un retard de démarrage dû au
décalage des opérations précédentes et aux retards ayant affecté le
déménagement des entités de Paris 7 vers la ZAC Paris Rive Gauche.
Elle est également caractérisée par une incertitude sur l’affectation
définitive des locaux aux établissements universitaires. Cette absence de
décision a obligé l’établissement à engager les études alors que le
périmètre des travaux n’était pas stabilisé.
Plusieurs surcoûts liés à des révisions de programme ont déjà été
identifiés au stade de l’APD et le calendrier de l’opération, ainsi que le
budget estimé ne comportent plus de marge, compte tenu des risques
récemment repérés.
***
La logique générale de l’opération Jussieu, qui lie entre eux les
différents chantiers par la nécessité de reloger les occupants dans les
locaux récemment réhabilités, et les retards importants subis par chaque
chantier, ont entraîné une dérive continue du calendrier de l’opération.
Le plan d’accélération arrêté le 14 novembre 2001 prévoyait la
libération de tous les locaux amiantés avant 2006 et la rénovation des
bâtiments avant 2009. En 2005, après la mission d’inspection,
l’établissement envisageait une fin des travaux en 2012/2013. La
libération de tous les locaux amiantés n’a été effective qu’en décembre
2010 et la fin des travaux de réhabilitation est prévue en 2015 pour le
secteur ouest-centre, opération retardée par le départ tardif de l’Institut de
physique du globe de Paris dû au retard des travaux sur l’îlot Cuvier.
II
-
Le glissement du calendrier et ses
conséquences sur les coûts de location des locaux
temporaires
A - L’augmentation importante des surfaces prises à
bail
La location de locaux temporaires de substitution permet
d’accueillir les unités et les activités de recherche des universités
déplacées le temps nécessaire à la réalisation des travaux, avant qu’elles
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ne soient réinstallées, sur le campus de Jussieu pour l’université Pierre et
Marie Curie ou sur le nouveau campus de la ZAC Paris Rive Gauche pour
l’université Paris Diderot. Entre 1997 et 2010, les surfaces prises à bail
sont passées de 6 848 m² à 77 561 m², avec un pic de 81 900 m² en 2006.
Les sommes consacrées annuellement à la location de ces locaux ont suivi
une évolution similaire à celle des surfaces, passant de 1,3 M€ en 1997 à
41,6 M€ en 2010, le pic annuel se situant en 2008 : 45,7 M€ ont été
mandatés au titre des dépenses de location dues pour cet exercice.
Deux tournants majeurs ont marqué l’évolution de la gestion des
baux de location. En 2001, suite à la parution du décret amiante,
l’accélération de l’opération est décidée. La solution retenue est alors de
mettre en chantier le plus rapidement possible le secteur ouest, ce qui
suppose de reloger temporairement ses occupants dans de nouveaux
locaux de substitution. En outre, en juillet 2002, la décision de fermer la
tour centrale pour raisons de sécurité est prise : les services administratifs
de l’université Pierre et Marie Curie et de l’université Paris Diderot
doivent également être relogés. Les surfaces prises à bail par
l’établissement maître d’ouvrage passent de 33 269 m² en 2001 à
70 594 m² en 2002 et 75 113 m² en 2003.
La seconde accélération intervient en 2006, quand la décision est
prise de reloger au plus près de la ZAC Paris Rive Gauche les entités de
Paris Diderot encore présentes sur le campus de Jussieu, et notamment
certains services administratifs qui doivent se rapprocher de la présidence
de l’université installée dans ses nouveaux locaux. Les locaux loués
passent de 76 597 m² en 2005 à 81 900 m² en 2006. Dès l’année 2007, la
décrue des surfaces prises à bail est amorcée, correspondant aux
premières livraisons de bâtiments neufs du campus de la ZAC Paris Rive
Gauche.
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Situation des locaux provisoires
Source :
l’Etablissement public du campus de Jussieu
(EPCJ)
B - L’augmentation du coût des locaux de substitution
La décision d’accroître les surfaces louées en 2002 était liée à la
volonté d’accélérer la réalisation de l’opération pour respecter les délais
de désamiantage. Ce choix s’est avéré très coûteux quand les opérations
de réhabilitation du secteur ouest du campus se sont trouvées bloquées
entre 2004 et 2007.
Le retard pris dans le déroulement des opérations a obligé
l’établissement à prolonger la durée de plusieurs baux de location dans
des conditions très désavantageuses. Dans certains cas, le refus des
bailleurs de prolonger la durée de bail l’a même contraint à organiser des
déménagements dans de nouveaux locaux, ce qui a occasionné de
nouvelles nuisances pour les utilisateurs et des surcoûts importants pour
l’établissement public. Les retards de réalisation ont considérablement
gêné la synchronisation entre les dates de livraison des locaux réhabilités
et les dates de libération des locaux loués.
Le maintien des équipes de recherche dans des locaux loués
entraînait mécaniquement des surcoûts équivalents à la valeur des loyers
consentis pendant ces périodes. Mais les surcoûts ont également été
alourdis par la nécessité de payer des pénalités de retard en cas de non
respect des dates de libération prévues au contrat.
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La location de locaux sur le site de l’ancien hôpital Boucicaut,
dans le 15
ème
arrondissement, illustre bien ces difficultés. Ce site, qui
accueillait les équipes de chimistes et de physiciens de l’université Pierre
et Marie Curie, a été loué en 2002 et le bail prévoyait une fin de location
au 1
er
août 2008. Un avenant signé en 2006 avait, entre autres
dispositions, durci les pénalités de retard prévues en cas de dépassement
de la date de libération
18
. Or les retards de l’opération de réhabilitation du
secteur ouest à Jussieu ont contraint l’établissement public à maintenir sur
le site de Boucicaut les équipes de l’université Pierre et Marie Curie
jusqu’en décembre 2010, soit plus de 28 mois au-delà de la date limite de
libération prévue par le bail.
L’établissement public a donc consenti un supplément de loyer de
21,5 M€ pour cette période, mais il a dû également s’acquitter de près de
7 M€ de pénalités de retard
19
. Pour la période qui s’étend du 1
er
août 2008
au 31 décembre 2010, le surcoût de location lié aux retards de livraison
du secteur ouest s’élève donc à 28,5 M€ pour le seul site Boucicaut.
Au total, la location des locaux tampons a engendré des coûts très
importants estimés à 442,7 M€, soit 26 % du coût final estimé de
l’opération. En 2005, la mission tripartite d’inspection estimait à
361,2 M€ le coût prévisionnel des locaux tiroirs et formulait des
recommandations permettant de le contenir à 306 M€. En six ans,
l’augmentation s’élève donc à près de 82 M€.
III
-
La dérive des coûts de l’opération
A - Les réévaluations entérinées par différents
arbitrages
Depuis le démarrage de l’opération, le coût total prévisionnel des
travaux de désamiantage et de rénovation du campus de Jussieu a connu
de multiples réévaluations : de la première annonce officielle en
septembre 1996 prévoyant une réalisation en trois ans pour 183 M€ TTC,
le coût total a été réévalué en 1998 à 591 M€ TTC pour l’extension du
périmètre de l’opération à la mise en sécurité du campus, puis à
681,5 M€ TTC par le plan d’accélération de 2001 suite à la parution du
18
Le site appartenait à la mairie de Paris, qui avait projeté une vaste opération
d’aménagement sur l’emprise foncière de l’ancien hôpital Boucicaut, et souhaitait dès
lors un strict respect du calendrier de libération de l’emprise.
19
Pour une partie des locaux, à compter du 1
er
juillet 2009 et jusqu’au 31 décembre
2010, les pénalités de retard prévues par l’avenant au contrat de location signé en
2006 s’élevaient à 100 % du montant du loyer dû.
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nouveau décret sur l’amiante, et à environ 800 M€ TTC fin 2002 lors du
dernier contrôle de la Cour.
Ces enveloppes budgétaires étaient approuvées en réunion
interministérielle.
B - Les dérives de l’enveloppe financière
En 2005, la mission des inspections générales définit, sur la base
des propositions de l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ)
et des universités, un scénario valorisé à 1 029,9 M€ TTC. Ce scénario et
l’enveloppe budgétaire associée ne sont pas arbitrés formellement, mais
seront à la base des différentes études menées par la suite, concernant
notamment l’attribution des surfaces du campus.
Depuis la fin de la mission tripartite, l’enveloppe budgétaire
allouée à l’opération n’a fait l’objet que d’une seule validation formelle,
sous la forme d’une annexe financière à une réunion interministérielle
d’avril 2007. L’annexe identifie un coût total de 1,35 Md€ TTC pour
l’opération Jussieu.
Depuis cette dernière validation, l’enveloppe budgétaire globale
allouée à l’opération ne fait plus l’objet d’aucune validation formelle par
les tutelles. Elle est réévaluée régulièrement par l’EPCJ et présentée
trimestriellement en réunion de préparation du conseil d’administration
avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le
ministère du budget. Ce sont ces réunions, qui ne sont pas formalisées,
qui entérinent les différentes réévaluations de l’enveloppe sans pour
autant faire l’objet de décisions explicites. Le budget annuel de l’EPCJ
est présenté lors de ces réunions puis voté en conseil d’administration sur
la base de ces prévisions.
Depuis les travaux de la mission, le coût global continue à dériver.
Le scénario financier de l’EPCJ de septembre 2005 (1,06 Md€
2005 TTC) s’appuie sur le scénario de la mission mais inclut une hausse
de 28,3 M€ sur le budget des relogements pour lequel les propositions de
la mission n’ont pas été suivies.
En mai 2007, le coût global est réévalué à 1,184 Md€ TTC (euros
2005) soit 1,495 Md€ courant, du fait d’une forte augmentation des
prévisions pour le secteur est et de la prise en compte des travaux de mise
en sécurité des barres de Cassan.
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Ce scénario est ensuite plusieurs fois mis à jour, avec notamment
une forte réévaluation fin 2008 des coûts du secteur ouest (+74 M€
20
soit
+27 %), du secteur est (+8 %), des travaux campus commun (+61 M€ soit
+123 %) et des coûts des locaux provisoires compte tenu des difficultés
rencontrées dans la gestion des opérations de réhabilitation, du retard
global de l’opération, et des pénalités importantes infligées sur différents
sites (+59 M€, soit +11,5 %).
Ainsi, l’enveloppe totale est réévaluée à 1,774 Md€ TTC fin 2008,
puis à 1,85 Md€ TTC fin 2009. Elle est stable depuis, le coût final estimé
des grandes opérations ayant été fixé à cette date.
C - Les prévisions à fin 2010
Les prévisions financières fin 2010 font état d’un coût final estimé
de l’opération atteignant 1,85 Md€ courant TTC.
Cependant, au sein de ce coût final estimé, le budget affiché pour
l’opération de remise en sécurité des barres de Cassan ne correspond à
aucune réalité physique : le coût final estimé pour cette opération, inclus
dans le tableau de financement, est de 142,2 M€, alors que son budget
global a été évalué à 240 M€ et doit être financé dans un autre cadre. Il
convient donc de supprimer le financement des travaux des barres de
Cassan du tableau global, ce qui porte le coût final estimé à 1,71 Md€.
La ventilation du coût final estimé de l’opération montre le poids
très faible (9 %) des opérations de désamiantage proprement dites dans le
coût global de l’opération. Celui-ci est majoritairement constitué des
coûts de construction et de réhabilitation des locaux universitaires (58 %),
et des coûts des locaux de substitution qui, aménagements et transferts
inclus, représentent un tiers de l’opération.
20
En euros 2005.
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Répartition du coût final estimé de l’opération
(en M€ courants TTC)
Désamiantage
146,87
9%
Construction/Réhabilitation
995,59
58%
Location des locaux
442,67
26%
Aménagements provisoires
71,33
4%
Transferts
54,74
3%
Total
1 711,20
Source : Cour des comptes d’après des données de
l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ)
Enfin, le coût des travaux sur le campus de Jussieu apparaît très
élevé. A titre de comparaison, en ne se basant que sur les coûts
spécifiques de construction neuve ou de réhabilitation liés aux quatre
opérations principales achevées (ATRIUM, tour centrale, îlot Cuvier,
secteur ouest-nord et sud), il apparaît que le coût moyen au m² des locaux
de Jussieu est 43 % plus élevé que celui des locaux réalisés sur la ZAC
Paris Rive Gauche, autre opération immobilière universitaire d’envergure
réalisée sur la même période
21
.
Comparaison des coûts au m² ZAC Paris Rive Gauche et
Jussieu
Surfaces
(en m²
shon)
Financement
total
(en M€)
Ratio coût/surface
(en euros/m² SHON)
ZAC Paris Rive Gauche
110 000
272,3
2 476
Jussieu
122 150
433,1
3 546
Sources : MESR pour les données relatives aux locaux de la ZAC PRG,
EPAURIF pour les données relatives aux locaux Jussieu (concernant les cinq
opérations principales)
21
L’opération ZAC Paris Rive Gauche est constituée de travaux de constructions
neuves et de réhabilitations.
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50
COUR DES COMPTES
Ce constat atteste que l’opération ZAC Paris Rive Gauche a fait
l’objet d’un cadrage financier plus rigoureux. Par ailleurs, il doit inciter
pour l’avenir à ne lancer des opérations de réhabilitation qu’après examen
approfondi des options alternatives de démolition/reconstruction.
Compte tenu des risques identifiés aujourd’hui, un glissement du
calendrier de l’opération n’est pas à exclure ce qui se traduirait encore par
des surcoûts.
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Chapitre II
Les causes des dérives de l’opération
Une responsabilité partagée
Cinq ans après les constats effectués en 2005, la description de
l’opération montre que la dérive des coûts et des délais a continué. Les
causes de ces nouvelles dérives sont multiples et les responsabilités à
établir nombreuses.
La description de l’enchaînement des faits révèle que tous les
acteurs impliqués dans le projet portent une part de responsabilité.
L’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) n’a pas joué
correctement le rôle de maître d’ouvrage qui lui était confié par l’Etat :
pendant de nombreuses années, il n’a pas apporté la plus-value technique
qui était attendue de lui, et il n’a pu assumer pleinement les fonctions de
maître d’ouvrage de plein exercice.
Les établissements bénéficiaires n’ont pas été suffisamment
responsabilisés, associés et intéressés à la conduite de l’opération.
Enfin, l’Etat n’a pas joué pleinement le rôle qui aurait dû être le
sien, à savoir celui du pilote de l’opération, capable d’en définir les
grandes orientations et les objectifs, et d’arbitrer les litiges ou désaccords
entre établissements bénéficiaires.
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52
COUR DES COMPTES
I
-
Un établissement public insuffisamment armé
A - La structuration tardive de l’Etablissement public
du campus de Jussieu (EPCJ)
1 -
L’évolution des effectifs et de l’organisation
Au 1
er
janvier 2004, l’établissement comptait 38 personnes.
L’essentiel des personnels était regroupé dans le service technique, dont
le management n’était pas satisfaisant, la coordination et le pilotage des
projets étant insuffisants. Les services administratifs étaient éclatés en
différentes cellules trop isolées, directement rattachées au président et au
directeur. De façon générale, la formation des personnels lors de leur
arrivée dans l’établissement était jugée insuffisante. L’organisation, assez
peu structurée, présentait une déficience d’encadrement intermédiaire.
Au cours de la période, les effectifs ont régulièrement augmenté,
atteignant 57 personnes fin 2010. Parallèlement, l’organisation a été
structurée : les services administratifs ont été regroupés d’abord au sein
d’un secrétariat général puis d’une direction des affaires financières. Les
équipes techniques ont été regroupées en 2004 au sein d’un service
technique rebaptisé direction de la construction en 2007, et divisé en 2010
en deux directions : la direction de la construction qui regroupe les
équipes de projets chargées des opérations de réhabilitation, la direction
de l’immobilier responsable des opérations de gestion et d’aménagement
des locaux provisoires, de déménagement et de désamiantage.
L’organisation
actuelle
résout
le
défaut
d’encadrement
intermédiaire identifié en 2004 et paraît bien adaptée aux missions d’un
établissement public maître d’ouvrage.
2 -
La crise de 2007
Pendant l’année 2007, l’établissement a connu une grave crise à la
suite de la nomination, le 3 janvier, de la nouvelle directrice générale, qui
a rapidement rencontré une vive opposition de la part des personnels de
l’établissement ainsi que de certains interlocuteurs universitaires.
Selon son propre témoignage, elle a constaté, dès son arrivée, des
défaillances dans le fonctionnement de l’établissement concernant la
gestion des opérations et notamment des procédures contractuelles en
cours, une attitude trop laxiste avec les universités, qui conduisait à des
surcoûts pour l’EPCJ (prise en charge financière dans de nombreuses
conventions de travaux gérés par les universités), ainsi que des
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
53
dysfonctionnements
liés
au
manque
de
moyens
humains
de
l’établissement, dont l’effectif était trop faible et les personnels peu
encadrés ou sous-qualifiés pour leur fonction. Cette situation l’a
contrainte à reprendre la gestion de certaines affaires : «
Or, dans le
même temps, les difficultés rencontrées dans la conduite des opérations
dont les études ont été « bâclées » ou simplement « oubliées » se
multiplient, nécessitant que je m’implique de plus en plus, et même que je
doive dans certains cas totalement prendre en main les choses, en lieu et
place des agents théoriquement en charge des projets
22
».
Cette volonté affirmée de remettre de l’ordre dans le pilotage de
l’opération, que ce soit dans le cadre des relations avec les universités ou
du management interne de l’établissement, a été rapidement très mal
perçue par les personnels et certains interlocuteurs universitaires.
Ainsi, lors de l’assemblée générale du personnel du 26 avril 2007,
une motion à la directrice générale, critiquant vivement les méthodes de
management de l’établissement, a recueilli plus de trente signatures.
Parallèlement, de nombreuses personnes ont quitté l’établissement lors
des premiers mois de 2007. Dix-huit départs, soit un tiers des effectifs de
l’établissement,
sont
dénombrés
en
2007.
Lors
du
conseil
d’administration
du
17
juillet
2007,
le
directeur
général
de
l’enseignement supérieur «
tient à souligner la forte implication des
agents en poste mais déplore le départ d’un nombre important de
collaborateurs. Ceci fragilise l’établissement dans la mesure où
d’importantes fonctions ne sont plus assurées que par intérim : la
fonction juridique, la direction de l’équipe amiante, la direction de
l’équipe projet du secteur ouest notamment
». Les chefs de projet de la
tour centrale et du secteur ouest ont ainsi quitté l’établissement lors de la
phase de démarrage des travaux de ces opérations.
Dans le même temps, les relations sont devenues très tendues avec
l’université Pierre et Marie Curie. Lors du conseil d’administration du
15 mai 2007, le président de l’université indiquait
« qu’il n’y a plus de
dialogue avec l’EPCJ, ce qu’il a exprimé à plusieurs reprises dans
différents courriers
» et regrettait
« une remise en cause des décisions
prises par l’ancienne direction
».
Il a été mis fin aux fonctions de la directrice générale le 20 juin
2007. Son successeur, l’ancien directeur de l’établissement de 2003 à
2006, a été nommé le 20 septembre 2007. Pendant l’été 2007, alors que la
situation de certains chantiers était très critique (tour centrale, secteur
ouest), l’établissement était privé de directeur général. Durant cette
22
Synoptique remis à la Cour des comptes par l’ancienne directrice générale.
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54
COUR DES COMPTES
période, la conduite des opérations était confiée directement au directeur
général de l’enseignement supérieur.
La mise en place de la réorganisation de l’établissement au cours
de l’été 2007 et des recrutements très nombreux au second semestre de
2007 ont permis de remettre l’établissement en ordre de marche pour
gérer ses opérations de maîtrise d’ouvrage.
B - Le rôle insuffisant du conseil d’administration
Le conseil d’administration, dont la composition représentait
l’ensemble des acteurs de l’opération (ministères, recteur, collectivités
territoriales, établissements universitaires), n’a pas exercé l’ensemble des
prérogatives prévues par le décret constitutif de l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ).
Un point a été particulièrement négligé : le suivi de l’enveloppe
financière globale de l’opération. Le conseil d’administration était censé
délibérer sur les orientations de l’établissement, son programme d’activité
et d’investissements pluriannuels. Or ces documents n’ont jamais été
présentés au conseil.
Les seules informations présentées en conseil d’administration
concernant le suivi de l’opération ne permettaient pas aux administrateurs
de suivre l’opération sous tous ses aspects (évolutions de périmètre,
gestion des délais, maîtrise des risques, suivi financier notamment) et
d’identifier les éventuels glissements par rapport à la situation antérieure.
Le conseil d’administration n’était pas le lieu de prise de décision
sur l’opération. Les décisions difficiles, qui ont fait l’objet de discussions
ou de débats au conseil d’administration, ont en général été arbitrées dans
d’autres instances, souvent même en réunions interministérielles
(relogement des laboratoires de recherche, programmation du secteur est
notamment).
Ainsi,
le
conseil
d’administration,
qui
réunissait
pourtant
l’ensemble des acteurs de l’opération mais a été qualifié de «
théâtre
d’ombres
» par le président de l’université Pierre et Marie Curie, n’a pas
suffisamment exercé ses prérogatives concernant le pilotage, notamment
financier, de l’opération, coeur même de l’activité de l’EPCJ.
C - Les défaillances de la maîtrise d’ouvrage
Toutes les opérations gérées par l’EPCJ sur la période contrôlée
ont été affectées de surcoûts importants et de retards de réalisation.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ces dérives.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
55
1 -
Les insuffisances des phases de préparation
Les phases de préparation des opérations n’ont pas permis de
définir avec suffisamment de précisions le périmètre des travaux à mener
et ont été à l’origine de la prise en compte de nombreux travaux
modificatifs.
a) Le précédent rapport de la Cour, de 2005, avait relaté les
difficultés de l’établissement lors du démarrage de l’opération, confronté
à l’absence de suivi de l’utilisation des locaux du campus et à l’absence
de documentation sur l’état ainsi que sur les techniques de construction
des ouvrages existants.
Les études et diagnostics réalisés pendant la phase de préparation
sous la responsabilité de l’établissement n’ont pas permis d’acquérir
toutes les connaissances sur l’état du bâti, nécessaires pour démarrer les
opérations de réhabilitation sur des bases solides. L’exemple le plus lourd
de conséquences est celui du secteur ouest pour lequel les études
techniques manquantes n’ont été réalisées par la maîtrise d’oeuvre
qu’après la notification du marché de travaux.
b) Les différents diagnostics amiante réalisés lors de la préparation
des opérations de désamiantage se sont révélés insuffisants.
A chaque nouvelle phase de travaux sur le gril d’Albert, la
présence d’amiante a été identifiée à des endroits qui n’avaient pas été
repérés pendant les phases précédentes. Lors de l’opération secteur ouest,
de l’amiante a été découvert derrière les façades, alors que les travaux de
dépose des façades menés précédemment pour le secteur 1 n’avaient pas
fait l’objet de mesures particulières pour la protection des opérateurs.
Dans le cadre du désamiantage du secteur est, de l’amiante a été détecté
dans les peintures des poutres longitudinales de soutien des planchers et
sera traité. Les diagnostics réalisés pour le secteur 1 et le secteur ouest
n’avaient pas permis de le détecter et ce désamiantage n’a pas été réalisé.
Il n’est pas exclu que ces difficultés soient en partie dues aux
différentes techniques de construction employées sur le gril. Cette
situation expliquerait que les constatations sur l’état du bâti ne soient pas
reproductibles d’une zone à l’autre.
c) A plusieurs reprises, l’établissement a été défaillant pour
l’estimation financière de l’opération, l’enveloppe financière allouée aux
travaux étant manifestement sous-évaluée.
Cette défaillance dans les compétences attendues d’une bonne
maîtrise d’ouvrage est évidente dans le cas de la construction du bâtiment
ATRIUM : lors du jury de concours, un des membres du jury s’est étonné
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56
COUR DES COMPTES
de la faiblesse de l’enveloppe, conduisant ainsi à sa réévaluation pendant
la séance. De même, l’enveloppe travaux allouée au secteur ouest, fondée
sur des hypothèses trop optimistes qui ont rapidement été dénoncées lors
de l’étude d’avant-projet sommaire, était notablement sous-évaluée.
Le choix des maîtrises d’oeuvre sur jury de concours, associé à une
enveloppe travaux sous-évaluée, a conduit à la sélection d’un projet sur
esquisse, sans lien avec l’enveloppe financière prévue, puisque les
maîtres d’oeuvre étaient tentés de proposer un chiffrage cohérent avec
l’enveloppe annoncée pour remporter la mission.
d) Pour les opérations étudiées, la phase de préparation n’a pas non
plus permis de circonscrire le périmètre des travaux au programme établi
antérieurement à la passation des marchés. Toutes les opérations ont été
affectées par des demandes d’extension de périmètre ou de révision de
programme en cours de chantier. L’Etablissement public du campus de
Jussieu (EPCJ) n’a pas été en mesure de s’opposer aux demandes de
modifications des établissements universitaires et d’imposer la stabilité
des programmes.
2 -
L’absence d’objectif de maîtrise des coûts
a)
L’importance des prestations commandées sans mise en
concurrence et les entorses aux règles de la commande publique
Pour
répondre
aux
évolutions
du
périmètre
des
travaux,
l’établissement a systématiquement contracté sous forme de procédures
négociées
sans
mise
en
concurrence :
avenants
ou
marchés
complémentaires. Le tableau ci-dessous identifie pour chaque marché le
montant et le poids des travaux ou des indemnités contractualisés sans
mise en concurrence :
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
57
Pourcentage des dépenses contractualisées sans mise en
concurrence par opération (prix en euros HT)
ATRIUM
TOUR CENTRALE
Secteur Ouest (M7, M8)
ILOT CUVIER
Maîtrise d'oeuvre
Marché initial
2 280 000 €
1 888 540,00
13 340 000,00
2 550 580 €
Total sans mise en concurrence
194 000 €
445 667,23
6 505 297,26
396 376 €
Avt/DP
194 000 €
206 467,23
1 523 279,24
396 376 €
Marchés complémentaires
239 200,00
4 982 018,02
Transaction
% sans mise en concurrence
8,51%
23,60%
48,77%
15,54%
Travaux
Marché initial
24 004 616 €
22 363 282,60
142 949 354,62
25 966 888 €
Total sans mise en concurrence
811 842 €
5 674 190,29
43 321 170,02
2 653 390 €
Avt/DP
811 842 €
3 974 583,45
25 687 276,02
2 653 390 €
Marchés complémentaires
1 699 606,84
13833894
Transaction
3 800 000,00
% sans mise en concurrence
3,38%
25,37%
30,31%
10,22%
Source : Cour des comptes d’après les rapports de présentation des actes
contractuels
L’importance de la part des travaux qui n’a pas fait l’objet d’une
mise en concurrence permet probablement d’expliquer une partie des
dérives financières des opérations.
D’autre
part,
les
procédures
contractuelles
utilisées
pour
commander
de
nouvelles
prestations
sans
mise
en
concurrence
apparaissent irrégulières à plusieurs reprises.
b)
L’absence d’objectif de maîtrise des coûts
Aucune des opérations menées par l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ) n’a fait l’objet lors de son lancement d’une
définition des objectifs, en termes de périmètre, de délais, et de coûts,
engageant l’établissement sur les conditions de sa réalisation. Chaque
opération a connu des dérives importantes, notamment de coûts, sans que
leurs causes soient retracées dans un document officiel.
L’absence d’objectif de coût imposé par le financeur a
certainement contribué à la dérive financière générale.
Pour chaque opération, les budgets étaient discutés annuellement
sans obligation de respect d’un coût final prédéterminé. Seule l’opération
îlot Cuvier a fait exception à ces modalités de financement et c’est celle
dont le coût a le moins dérivé : en effet, la définition initiale de
l’enveloppe financière globale par le contrat de plan Etat-région a imposé
des choix de réduction de périmètre pour la respecter.
Le coût final estimé de l’opération Jussieu déterminé par l’EPCJ a
été plusieurs fois réévalué sur la période pour prendre en compte les aléas
et les révisions de programme de chaque opération. Ainsi, fin 2008, après
les aléas majeurs sur le secteur ouest, l’estimation du coût final de
l’opération a été fortement réévaluée pour inclure de nouvelles marges,
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indispensables au financement du marché de parachèvement du secteur
ouest rendu nécessaire pour répondre à l’importance des révisions de
programme.
Ainsi, l’EPCJ n’était pas responsabilisé sur une enveloppe
financière à respecter. Les contraintes financières ne semblent pas avoir
été une priorité pour l’établissement, essentiellement guidé par les
impératifs de délais et par une logique de satisfaction des utilisateurs
finaux.
La culture de maîtrise des coûts, qui commence par la définition
initiale et le respect des objectifs de chaque opération avec les clients et le
financeur, était méconnue par l’établissement.
3 -
L’impact de l’urgence
L’opération de désamiantage et de réhabilitation du campus a été
en permanence contrainte par l’impératif de respect des délais
réglementaires de désamiantage.
A plusieurs reprises, les choix qui ont été faits par l’établissement
pour accélérer une opération se sont révélés inefficaces en termes de
coûts et de délais.
Pour la tour centrale, la décision de changer le mode de dévolution
des travaux prévus en entreprise générale en quatre macro-lots s’est
révélée catastrophique : l’établissement s’est trouvé dans l’incapacité de
gérer la coordination entre les entreprises, ce qui a entraîné des retards, et
des versements aux entreprises d’indemnités de retard élevées.
De même, les vicissitudes qui entourent la contractualisation du
marché M7 et de son avenant n° 1 peuvent s’expliquer à la lumière des
contraintes de délais.
Au stade de la consultation, les bâtiments étaient déjà libérés de
leurs occupants, logés dans des locaux tiroirs depuis plusieurs années, et
la phase d’approbation de l’APS avait engendré un retard important. La
pression de l’université Pierre et Marie Curie sur l’EPCJ peut expliquer,
en partie, la décision de poursuivre l’appel d’offres malgré l’annonce, par
l’entreprise, que les documents fournis étaient insuffisants pour démarrer
les travaux et malgré les zones de flou des offres. Quelques mois après, la
décision de verser une indemnité de retard très importante à Bouygues
pour débloquer la situation a été retenue, la seule alternative étant la
résiliation du marché et la relance de la procédure qui aurait engendré un
retard important et un risque de contentieux avec Bouygues.
***
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
59
Dans le contexte particulier de l’opération Jussieu, l’EPCJ n’a pas
appliqué les règles de base de la maîtrise d’ouvrage publique (définition
exhaustive des objectifs de l’opération à lancer, traçabilité des décisions
en cours de réalisation, respect des règles de la commande publique). Un
mode de fonctionnement particulièrement défaillant s’est instauré dans
lequel l’objectif de respect des délais et de satisfaction des besoins des
utilisateurs, besoins évolutifs en cours d’opération, a primé sur le respect
des procédures contractuelles et la maîtrise des coûts de l’opération. Il
paraît indispensable pour l’établissement de revenir aux fondamentaux de
la maîtrise d’ouvrage publique.
La Cour note cependant une amélioration de l’organisation de la
maîtrise d’ouvrage au sein de l’établissement public depuis 2008, liée à la
structuration de l’établissement, à la professionnalisation des équipes, à la
mise en place de méthodes et d’outils de pilotage de projet plus
performants et à la clarification des relations avec les établissements
universitaires, pour la formalisation des besoins et le suivi de la
réalisation.
II
-
L’insuffisante responsabilisation des
établissements universitaires
A - Les trop nombreuses évolutions de programme
La nature de l’opération a évolué depuis son démarrage : d’une
opération de désamiantage, elle s’est transformée en une opération de
mise en sécurité, puis de réaménagement complet du campus.
En effet, la phase de désamiantage a conduit à mettre totalement à
nu les infrastructures métalliques des bâtiments, ce qui n’était pas anticipé
au lancement de l’opération. Par ailleurs, le départ de l’université Paris
Diderot a permis une totale redistribution des surfaces entre les
composantes de l’université Pierre et Marie Curie, bénéficiaire finalement
unique de l’opération. Ces deux paramètres ont conduit à reformuler ex
nihilo les éléments de programme liés à l’aménagement des locaux. En
outre, sans que cela ait été formalisé, la mission confiée à l’établissement
maître d’ouvrage ne s’est pas limitée aux opérations de désamiantage,
mise en sécurité et reconstruction : il a également pris en charge, de
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COUR DES COMPTES
manière extrêmement poussée, l’aménagement de l’ensemble des locaux,
y compris en assurant l’installation des mobiliers spécifiques
23
.
Dans ce contexte, un des facteurs de complexité de l’opération est
devenu la relation de l’établissement avec les universités et l’Institut de
physique du globe de Paris, considérés par l’établissement comme ses
« clients » car devenus prescripteurs en matière de définition des
programmes des opérations de reconstruction après désamiantage.
Or l’établissement n’a pas été en mesure de s’opposer aux
nombreuses évolutions de programme exigées par les établissements ou
les laboratoires de recherche.
L’établissement met en avant une difficulté structurelle à l’origine
des évolutions de la programmation : la difficulté à établir correctement
les spécifications nécessaires des laboratoires de recherche à horizon de la
livraison des futurs bâtiments. Plusieurs années s’écoulent entre la phase
de programmation et la livraison des bâtiments et ce rythme n’est pas
compatible avec le rythme d’évolution des laboratoires de recherche.
Deux causes principales sont identifiées :
-
la restructuration des laboratoires de recherche sur les dernières
années avec notamment les fusions d’équipes lors de
l’établissement des contrats quadriennaux des universités. Les
travaux sur le secteur ouest ont ainsi coïncidé avec la
restructuration des laboratoires de recherche en physique de
l’université Pierre et Marie Curie ;
-
l’évolution des techniques et notamment des équipements de
recherche lourds, dont les spécifications ont des impacts sur le
local d’accueil.
Une autre explication réside cependant dans l’instabilité des
besoins des établissements universitaires. Plusieurs exemples sont
relevés : les opérations de l’îlot Cuvier et du secteur ouest ont connu une
révision de programmation majeure, pour la première, en phase
d’approbation de l’avant-projet sommaire du fait d’une divergence de
vues entre les directeurs d’UFR avec lesquels l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ) avait élaboré les programmes et la présidence
23
Cette conception du rôle de l’établissement maître d’ouvrage est en partie justifiée
par le fait que les équipements de recherche nécessitent des aménagements très
particuliers des locaux. C’est le cas par exemple des hottes de laboratoires ou
« sorbonnes », que les impératifs de ventilation rendent étroitement dépendantes du
cadre bâti dans lequel elles sont installées. De la même manière, certains équipements,
compte tenu de leur taille et de leur poids, supposent des volumes et des résistances au
sol spécifiques.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
61
de l’université, et pour la seconde, en phase d’approbation de l’avant-
projet définitif, lors de la nomination du nouveau directeur. Pour le
secteur ouest centre, le programme finalisé en mars 2008 a fait l’objet en
phase d’APD, à l’été 2010, d’une révision majeure portant sur 50 % des
surfaces utiles, et de plusieurs demandes supplémentaires.
Un autre exemple significatif concerne l’îlot Cuvier : des
divergences de vues sur le rattachement de la bibliothèque des sciences de
l’univers sont à l’origine d’une révision majeure de la programmation.
Alors que les travaux de construction du nouveau bâtiment étaient
déjà lancés, une difficulté concernant l’installation de la bibliothèque est
apparue. Elle a été évoquée lors du conseil d’administration du 2 avril
2009, au cours duquel le directeur de l’Institut de physique du globe de
Paris a fait part des difficultés qu’il rencontrait pour définir conjointement
avec l’université Pierre et Marie Curie les modalités de gestion du
bâtiment.
Lors du conseil d’administration suivant, le 16 octobre 2009, la
représentante de l’Institut de physique du globe de Paris «
retrace
l’historique des faits aux termes desquels
[le directeur de l’Institut de
physique du globe de Paris],
devant les difficultés qu’il a rencontrées
pour conclure un accord avec l’université Pierre et Marie Curie
concernant les conditions de gestion de la BSU, en est arrivé à proposer
le relogement de l’institut Paul Langevin en lieu et place de la
bibliothèque.
Cette
proposition
recueille
d’ailleurs
l’accord
de
l’ensemble des parties prenantes : le Président de l’université Pierre et
Marie Curie, le directeur du laboratoire Paul Langevin, la Ville de Paris
et la Région Ile de France.
[La représentante de l’Institut de physique du
globe de Paris]
souligne avoir reçu un courrier du Recteur donnant son
accord de principe sur ce changement de programme. Elle précise qu’il y
aura une incidence financière dont la Ville et la Région ont été informées,
mais que le financement des travaux nécessaires devra être assuré par
ailleurs. La bibliothèque restera sur le campus
».
Les directeurs des deux établissements donnent des explications
divergentes sur les raisons de ce revirement en toute fin de réalisation de
l’opération de travaux.
Selon le président de l’université Pierre et Marie Curie, cette
décision résulte de l’opposition des agents de bibliothèque, soucieux de
rester sur le site de Jussieu, et de la décision prise unilatéralement par
l’Institut de physique du globe de Paris d’accueillir le laboratoire
Langevin dans les locaux de l’îlot Cuvier.
Le directeur de l’Institut de physique du globe de Paris affirme de
son côté que cette décision est née du blocage des discussions entre
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62
COUR DES COMPTES
l’Institut de physique du globe de Paris et l’université Pierre et Marie
Curie concernant la définition des modalités de gestion de la bibliothèque.
C’est cette explication qui est mentionnée à plusieurs reprises dans les
procès-verbaux des conseils d’administration de l’Etablissement public
du campus de Jussieu (EPCJ).
L’EPCJ a été mis devant le fait accompli et a subi les
conséquences de cette décision qui est intervenue au plus mauvais
moment puisque le marché de travaux était en cours d’exécution. Le coût
de cette décision (en dehors du coût d’installation du laboratoire
Langevin) est estimé à 1,1 M€ TTC. Elle a été prise sans aucune
évaluation financière car les études d’impact ont été réalisées après la
décision annoncée en conseil d’administration.
Enfin, de façon plus générale, le poids financier des évolutions de
programme est particulièrement important dans la phase d’aménagement
des locaux. Ainsi, pour le secteur ouest, le marché M8 a d’abord été
modifié par avenant à hauteur de 7,6 M€ HT, puis un autre marché de
parachèvement a été contracté pour un montant total d’environ
10 M€ HT, ce qui représente un montant très important d’évolutions de
programme.
La mise en place par l’établissement d’une procédure spécifique
pour la validation des modifications de programme, fondée sur
l’évaluation financière des impacts et une approbation par le président de
l’université, est très récente. C’est une première étape positive qui permet
de formaliser et de retracer les demandes d’évolutions.
Cependant, elle repose sur la validation par le président
d’université, qui n’est pas responsabilisé sur la tenue du budget, des
demandes d’évolution qui représentent un surcoût pour l’opération. Le
président a en outre intérêt à veiller à ce que les locaux soient
parfaitement aménagés pour l’installation des laboratoires de recherche.
Cette déresponsabilisation des établissements sur les coûts est à l’origine
d’une partie des dérives financières de l’opération.
B - Les conflits concernant les relogements
A de nombreuses reprises, l’établissement s’est heurté à des
difficultés concernant les choix de relogement des laboratoires de
recherche, les exigences concernant les locaux d’accueil étant sources de
surcoûts importants.
Un exemple particulièrement significatif de ce type de difficulté
est apporté par l’épisode du transfert des informaticiens de l’université
Pierre et Marie Curie entre les locaux du Commissariat à l’énergie
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
63
atomique (CEA) et ceux du site Passy-Kennedy. La location de ces
locaux visait à accueillir les chercheurs en informatique de l’université
Pierre et Marie Curie (laboratoire LIP 6). Depuis 1998, ils étaient logés
sur le site dit du CEA, local en réalité loué par le CEA à un tiers et sous-
loué à l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ).
En 2005, une société immobilière, la SCI Féderimmo s’est portée
acquéreur de l’immeuble et a fait savoir au CEA son intention de ne pas
renouveler le bail, dont le terme était fixé au 30 juin 2006, afin de mener
une réhabilitation d’envergure.
Le problème est évoqué en conseil d’administration de l’EPCJ dès
le mois de décembre 2005. Face à cette perspective, l’établissement
propose à l’université Pierre et Marie Curie un relogement du LIP 6, ce
que l’université refuse, mettant en avant l’inconfort qu’entraîne un
troisième déménagement.
Le refus de l’université entraîne un retard conséquent dans les
opérations
de
recherche
de
nouveaux
locaux.
Une
réunion
interministérielle tenue le 13 avril 2006 tranche la question et décide le
déménagement des informaticiens du LIP6 vers un nouveau site. Par
courriers du 21 juin au recteur, puis du 29 juin au président de l’EPCJ, le
nouveau président de l’université Pierre et Marie Curie accepte le
changement de local en précisant l’absence de responsabilité de
l’université dans les retards constatés sur ce dossier. Le bail du site CEA
prenant fin en juin, et le nouveau site Passy Kennedy nécessitant des
travaux, l’EPCJ est contraint de signer un protocole avec la SCI
Féderimmo pour prolonger le bail initial de six mois (durée prévisionnelle
des travaux), parallèlement à la signature du bail pour le bâtiment
Kennedy.
Ce protocole conduit l’établissement public à accepter des
conditions financières très désavantageuses : il prévoit l’occupation du
site de juillet à décembre 2006 moyennant le paiement d’un surcoût de
loyer de 0,5 M€ par mois, soit 2,5 M€ pour l’ensemble de la période
d’occupation supplémentaire.
Cet épisode a été relaté par l’ancien président de l’université Pierre
et Marie Curie, Gilbert Béréziat, dans un ouvrage publié en janvier 2009.
Il éclaire notamment les raisons de son opposition au déménagement des
informaticiens :
«
Fin janvier 2005 un courrier du président de l’EPCJ (tiens ! Il
existe encore celui-là ?) m’apprend que j’aurais refusé un déménagement
du laboratoire d’informatique de l’université. Je savais évidemment que
le CEA avait décidé de vendre l’immeuble dans lequel ce laboratoire était
installé à titre transitoire, mais je considérais cependant que c’était les
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64
COUR DES COMPTES
retards et les lenteurs du chantier, dont l’EPCJ portait l’entière
responsabilité, qui nous mettraient dans cette situation. Le laboratoire
concerné avait déjà effectué deux déménagements, le premier pour
rejoindre ce site et permettre la rénovation du premier secteur, le second
une année auparavant, à la demande de l’EPCJ pour complaire au CEA
qui voulait y regrouper un laboratoire dédié à la sécurité. Le retour de ce
laboratoire étant programmé début 2007, il était scandaleux de lui
imposer un troisième déménagement, synonyme de perte de temps de
recherche. Dans ces conditions, il était inconcevable que la présidence de
l’université ne fasse pas preuve d’une solidarité active vis-à-vis des
enseignants et des chercheurs en informatique qui refuseraient un
traitement mettant en péril leur activité scientifique et qui pourrait bien
signifier pour eux un nouveau retard dans leur retour à Jussieu. Ce en
quoi je me trompais d’ailleurs car un an plus tard ils acceptèrent de
déménager. Mais l’EPCJ
dut y mettre le prix.
»
24
Il est surprenant qu’un ancien président d’université puisse ainsi se
satisfaire publiquement des surcoûts occasionnés par ses propres
décisions sur un établissement public travaillant pour le compte de son
université.
Un autre épisode a eu un impact très significatif sur le bon
déroulement de l’opération, bien qu’il soit impossible de le chiffrer avec
précision.
Alors que le projet initial prévoyait que fût traité en même temps
l’ensemble du secteur ouest du gril d’Albert, la décision a été prise en
2005, à la demande de l’Institut de physique du globe de Paris, de ne pas
imposer à cet établissement deux déménagements, un premier pour
quitter le gril d’Albert puis un second pour réintégrer ses locaux neufs sur
l’îlot Cuvier. La raison invoquée par l’établissement est que les
équipements utilisés pour ses activités de recherche sont si volumineux,
fragiles et sensibles, qu’un déménagement dans des locaux provisoires
était impossible. En outre, l’aménagement de l’îlot Cuvier était au départ
programmé pour être achevé avant le déménagement des occupants du
secteur ouest. Pour ces différentes raisons, l’Institut de physique du globe
de Paris est resté dans ses locaux, dans le secteur ouest-centre. Quand les
secteurs ouest-nord et sud ont été évacués, l’opération d’aménagement de
l’îlot Cuvier ayant par ailleurs pris du retard, le désamiantage a été
engagé en redécoupant le secteur ouest pour isoler le secteur ouest-centre,
qui est resté comme une enclave au milieu du chantier de rénovation
pendant toute la durée des travaux. Ceci a non seulement compliqué
24
Gilbert Béréziat. «
Quand l’université se réveille.
Tout devient possible
. »
L’harmattan, janvier 2009. Pages 280 – 281.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
65
l’opération, mais a également eu pour conséquence de différer la
réhabilitation du secteur ouest-centre.
***
Les changements de position des « clients finaux » sur la
programmation ont engendré des surcoûts importants des opérations.
L’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) n’était pas en
mesure de s’y opposer, les établissements universitaires exprimant le
besoin scientifique et lui-même devant être garant de l’adéquation des
locaux aux besoins.
A plusieurs reprises, les blocages des établissements concernant les
conditions de relogement des laboratoires de recherche ont entraîné des
retards et des surcoûts.
En l’absence d’une autorité d’arbitrage entre l’EPCJ et les
établissements universitaires, celui-ci n’a pas été en mesure d’imposer la
tenue des objectifs initiaux de chaque opération et a subi les
conséquences des décisions prises par des tiers qui n’étaient pas
responsabilisés sur leurs impacts financiers.
III
-
Les carences du pilotage de l’opération par
l’Etat
A - Le pilotage insuffisant de l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ)
Le pilotage de l’opération de réhabilitation du campus de Jussieu
justifiait la mise en place de mécanismes et d’outils de suivi de l’activité
de l’établissement public dès sa création en 1997. Ils n’ont en réalité été
mis en place que très tardivement, et jamais de manière formalisée et
transparente.
Ainsi les documents de suivi financier et de programmation
pluriannuelle de l’opération n’ont-ils été stabilisés qu’en 2008, date à
laquelle ils ont atteint leur pleine maturité. Ils n’ont par ailleurs jamais
donné lieu à un vote formel d’approbation du conseil d’administration, ni
même à une présentation. Ils étaient approuvés à l’occasion de réunions
avec les tutelles de l’établissement, sans que les décisions prises soient
formellement actées.
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66
COUR DES COMPTES
Le décret constitutif de l’établissement modifié par le décret
n° 2006-1543 du 7 décembre 2006 relatif au statut de l’Etablissement
public du campus de Jussieu prévoit explicitement en son article 3
25
que
«
lorsque l’Etablissement public du campus de Jussieu agit en qualité de
maître d’ouvrage pour le compte de l’Etat, les modalités d’exécution des
missions qui lui sont confiées sont définies par une convention qui précise
notamment les principales caractéristiques fonctionnelles de l’ouvrage à
réaliser, les décisions qui relèvent de la seule responsabilité de
l’établissement public, les modalités selon lesquelles il rend compte aux
autorités de tutelle du déroulement des projets, les conditions de mise en
place des autorisations d’engagement et de versement des crédits de
paiement et, le cas échéant, les relations administratives et financières de
l’établissement public avec les services préfectoraux
».
La mise en oeuvre de ces dispositions aurait offert à l’Etat la
possibilité de mieux piloter l’activité de son opérateur, mais il s’est
délibérément privé de ces capacités de pilotage, estimant que l’article 2
du décret du 7 décembre 2006 précisant le périmètre d’intervention de
l’établissement était suffisant.
Les responsabilités de maître d’ouvrage confiées à l’Etablissement
public du campus de Jussieu (EPCJ)
La loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à
ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée, dite loi MOP, dispose, en son
article 2, que «
le maître de l'ouvrage est la personne morale […] pour
laquelle l'ouvrage est construit. Responsable principal de l'ouvrage, il
remplit dans ce rôle une fonction d'intérêt général dont il ne peut se
démettre
». Elle prévoit également (art. 3) que le maître d’ouvrage peut
confier à un mandataire une grande partie de ses attributions, à l’exclusion
des deux plus importantes: la définition du programme des travaux et
la
détermination de l’enveloppe financière qui leur est allouée. Les rapports
entre le maître d’ouvrage et le mandataire sont fixés par un contrat écrit.
Lorsque le programme ou l’enveloppe financière évoluent, un avenant au
contrat doit être établi.
25
Devenu l’article 4 dans la version modifiée par le décret n° 2010-965 du 26 août
2010 relatif au statut de l’Etablissement public d’aménagement universitaire de la
région Ile-de-France.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
67
Au début des années 2000, certains acteurs de la maîtrise d’ouvrage
publique reprochaient à ce système une certaine lourdeur et demandèrent au
gouvernement un aménagement de la loi MOP pour les constructions
réalisées par l’Etat. Une ordonnance du 17 juin 2004 modifia la loi MOP et
offrit à l’Etat la possibilité de bénéficier d’un régime dérogatoire pour la
réalisation de ses ouvrages : «
Lorsque l'Etat confie à l'un de ses
établissements publics la réalisation d'ouvrages ou de programmes
d'investissement, il peut décider que cet établissement exercera la totalité des
attributions de la maîtrise d'ouvrage
» (art. 2-III de la loi MOP modifiée).
Pour l’opération de réhabilitation du campus de Jussieu, l’Etat a choisi
le régime dérogatoire de la loi MOP, ce qu’il n’était pas contraint de faire, et
a confié à l’établissement la totalité des attributions d’un maître d’ouvrage.
Mais l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) n’a jamais été en
capacité de les exercer de manière satisfaisante, n’ayant ni la légitimité ni
l’autorité pour arbitrer sur les demandes liées aux définitions et aux
évolutions de programmes.
Les statuts de l’établissement prévoient la signature d’une convention
avec l’Etat pour préciser les modalités d’exécution de ses missions, en tant
que maître d’ouvrage. Cette convention n’a jamais été établie, alors même
qu’elle aurait pu constituer un cadre d’organisation et de gouvernance
permettant à l’Etat d’exercer son autorité sur l’ensemble des acteurs de
l’opération de réhabilitation du campus de Jussieu.
C’est ce « vice de construction » dans l’organisation générale du
projet qui est à l’origine de la relation triangulaire défaillante qui s’est
instaurée
entre
les
trois
acteurs
principaux
de
l’opération,
l’Etat,
l’établissement et les universités.
B - L’absence de coordination avec l’opération ZAC
Paris Rive Gauche
Le bon déroulement de l’opération sur le campus de Jussieu
dépendait en partie de la libération du site par ses utilisateurs, et
notamment par les entités de l’université Paris Diderot, qui devaient être
accueillies sur le nouveau campus de la ZAC Paris Rive Gauche. La
coordination entre les deux opérations revêtait donc une grande
importance.
Or la décision a été prise, dès le démarrage des deux opérations, de
les distinguer et de les confier à des maîtres d’ouvrage différents.
L’opération de réaménagement de Jussieu est confiée à l’Etablissement
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68
COUR DES COMPTES
public du campus de Jussieu (EPCJ) et l’opération de construction du
campus de l’université Paris Diderot au rectorat de Paris qui délègue la
maîtrise d’ouvrage à l’Etablissement public de maîtrise d’ouvrage des
travaux culturels (EMOC) pour quatre bâtiments (Grands moulins, Halles
aux farines, UFR de sciences de la vie et UFR de physique) et à la Société
d’économie mixte d’aménagement de Paris (SEMAPA) pour deux
bâtiments (UFR de chimie et de biologie). Aucune instance de
coordination n’est prévue et les deux opérations seront donc pilotées
comme deux opérations distinctes.
Cette absence de coordination explique qu’à plusieurs reprises le
déroulement de l’opération de réaménagement du campus de Jussieu sera
gêné et ralenti. Trois exemples particulièrement significatifs illustrent ces
difficultés.
Le premier est le déménagement du laboratoire ITODYS, situé
dans l’îlot Cuvier, dont l’évacuation était nécessaire pour engager
l’opération de réaménagement de l’îlot et la construction de nouveaux
locaux permettant l’accueil de l’Institut de physique du globe de Paris et
la libération du secteur ouest-centre. Le déménagement de ce laboratoire
est intervenu près de cinq ans après que le problème de son accueil sur la
ZAC Paris Rive Gauche a été identifié.
Le déménagement de l’institut Jacques Monod offre un deuxième
exemple de ce type de dysfonctionnement.
Ce laboratoire est «
l'un des principaux pôles de recherche
fondamentale en biologie de la région parisienne
26
», constitué d’une
trentaine d’équipes de recherche et de près de 300 chercheurs.
Initialement situé au coeur du secteur est, il devait être relogé
définitivement dans le bâtiment M3F de la ZAC Paris Rive Gauche à
partir de début 2007. Or, il s’est avéré que l’enveloppe fixée par le
rectorat pour conduire les travaux du bâtiment M3F était largement en-
deçà du financement nécessaire pour réaliser les spécifications des locaux
du laboratoire (notamment pour l’animalerie, le contrôle d’accès, la
climatisation des locaux pour l’imagerie).
Afin de réduire l’enveloppe financière du projet, ces spécifications
ont été supprimées, étant entendu qu’il reviendrait à l’université de
réaliser par la suite les aménagements nécessaires. Ces travaux
d’aménagements spécifiques ont été réalisés à partir de début 2008 par
l’université, ne permettant à l’institut Jacques Monod d’être déménagé
qu’en avril 2009, retardant ainsi la mise en chantier du désamiantage du
secteur 5. Pour gérer les difficultés d’anticipation des dates de libération
26
Site web de l’institut Jacques Monod.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
69
des locaux, dont le relogement n’était pas sous sa responsabilité,
l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) a dû prévoir des
marchés de désamiantage en plusieurs phases, ce qui n’était pas optimal
pour les coûts des travaux (immobilisation inutile du matériel de
l’entreprise, multiplication des dévoiements et consignations des
réseaux).
Le cas de l’IUT de l’université Paris Diderot apporte une dernière
illustration des problèmes de coordination entre les deux opérations.
L’installation de l’IUT était initialement prévue sur la ZAC Paris
Rive
Gauche.
En
1999,
à
la
demande
de
la
mairie
du
18
ème
arrondissement, le ministre de l’éducation décide de localiser l’IUT
sur la ZAC Pajol. Cette opération, inscrite dans le plan U3M et intégrée
au contrat de plan Etat-Région (CPER) 2000-2006 sera finalement
repoussée au CPER 2007-2013, faute de crédits. Ces retards entraînent la
nécessité de reloger provisoirement l’IUT pour libérer les locaux de
Jussieu, opération dont la maîtrise d’ouvrage est confiée au rectorat. Un
projet de relocalisation de l’IUT dans le bâtiment Guy de la Brosse
proche du campus a été étudié, puis abandonné en mars 2007. Par la suite,
un autre projet de relogement de l’IUT dans une caserne désaffectée du
18
ème
arrondissement a été étudié puis abandonné après un an d’études en
raison de la découverte de graves problèmes de pollution du terrain.
Parallèlement, afin de libérer les locaux situés dans une zone où les
travaux de désamiantage devaient commencer, l’IUT a été transféré à
l’été 2008 dans la barre amiantée 44/54 libérée par le déménagement des
chimistes de l’université Paris Diderot. Finalement, le relogement
provisoire de l’IUT étant dans l’impasse, l’université Paris Diderot a
organisé elle-même à l’été 2010 l’installation de l’IUT dans des locaux
loués par l’EPCJ (site Biopark) sur la ZAC Paris Rive Gauche.
***
Le contexte de l’opération est marqué par l’absence de pilotage
global et de coordination avec l’opération de réaménagement de la ZAC
Paris Rive Gauche au profit de l’installation de l’université Paris Diderot,
dont l’avancement conditionnait pourtant la libération des locaux occupés
par cette université sur le campus de Jussieu. L’identification tardive de
l’impossibilité de déménager certaines composantes, les retards de
l’opération Paris Rive Gauche, la nécessité de prendre de nouveaux
locaux à bail, ont engendré des retards de l’opération Jussieu et des
surcoûts liés aux nouveaux locaux tampons.
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COUR DES COMPTES
C - Les incertitudes sur l’affectation des bâtiments
Le campus de Jussieu accueillait à l’origine une part importante de
deux grandes universités, Paris Diderot sur 62 488 m
2
et Pierre et Marie
Curie sur 126 931 m
2
.
A la suite de la décision prise fin 1996 de délocaliser l’université
Paris Diderot dans les nouveaux locaux de la zone Paris Rive Gauche, des
surfaces sont disponibles sur le campus, bien que ce point fasse l’objet de
débats
27
.
Les surfaces disponibles sur le campus de Jussieu (m
2
)
Répartition des surfaces de
Jussieu au 31 décembre 2010 et
aux termes des travaux sur le gril
au 31/12/2010
à terme
Université Paris 6
126 931
Secteur 1
30 400
30 400
Université Paris 7
62 488
Secteur ouest Nord et Sud
61 000
61 000
IPGP
6 958
Secteur est
0
44 560
Interuniversitaire
19 140
Secteur ouest centre
0
22 713
Atrium et Esclangon
17 600
17 600
SS Total
215 517
Tour
7 600
7 600
Locaux provisoires
10 635
0
Restaurant
6 500
Cassan
41 000
41 000
Locaux tiroirs
21 675
0
dont Ivry
13 206
0
dont Lourmel
900
0
dont Passy Kennedy
7 569
0
Total
222 017
Total
189 910
224 873
Répartition des surfaces sur la
campus de Jussieu au 31
décembre 1997
Sources : Cour des comptes, d’après le rapport IGF/IGAENER/CGPC pour
la répartition des surfaces au 31 décembre 1997 et les
données transmises
par l’EPAURIF pour les répartitions de surfaces au 31 décembre 2010 et en
fin d’opération.
27
La question des surfaces disponibles sur le campus a suscité un litige persistant
entre l’université Pierre et Marie Curie et ses interlocuteurs. Selon l’université Pierre
et Marie Curie les surfaces disponibles sur le campus de Jussieu après la réhabilitation
sont très inférieures à ce qu’elles étaient au début de l’opération (soit un peu plus de
210 000 m²), du fait de la baisse de rendement induit par les contraintes de sécurité.
Le ratio surface utile / surface hors oeuvre net a en effet été dégradé par les travaux de
mise en sécurité.
Pour autant, la construction de nouveaux bâtiments (Esclangon et Atrium) a permis de
compenser cette diminution de surfaces utiles et au terme des travaux de réhabilitation
du gril d’Albert la surface utile disponible sur le campus devrait être de 216 000 m²
utiles, soit l’équivalent de ce qu’elle était avant le démarrage des travaux.
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71
Lors de la réunion interministérielle du 17 janvier 2006, la
disponibilité de plus de 30 000 m² sur Jussieu est actée, et la décision est
prise d’allouer 10 000 m
2
de locaux à l’Ecole nationale supérieure de
chimie de Paris (ENSCP), 14 000 m
2
à l’université Paris 3 Sorbonne
Nouvelle qui doit lancer une opération de désamiantage sur son site
principal de Censier, 10 000 m
2
restant à attribuer.
Un schéma de répartition des locaux entre l’université Paris 3,
l’université Pierre et Marie Curie et l’ENSCP leur est communiqué le
27 septembre 2006. Ce schéma d’implantation est refusé par l’ENSCP, au
motif que ses structures apparaissent trop éclatées. L’accueil de l’ENSCP
sur 10 000 m
2
est abandonné sans décision officielle. Finalement, seule
l’installation d’un de ses centres de recherche est actuellement prévue.
Il était prévu par le schéma directeur dans sa version de novembre
2006 que l’université Paris 3 s’installe dans la tour centrale (services
administratifs) et sur le secteur est du gril. En 2007, les conclusions des
études de diagnostic menées sur les barres de Cassan ont révélé la
nécessité de neutraliser la barre Cassan F pour mener à bien sa mise en
sécurité et sa réhabilitation. En février 2008, le président de l’université
Pierre et Marie Curie exposait au ministère la nécessité de revoir l’avant-
projet sommaire du secteur est afin de réaliser dans Paris intra muros «
un
campus majeur exclusivement dédié aux sciences et ce dans le droit fil du
plan campus récemment initié par le Président de la République
». Il
remet directement en cause la venue de Paris 3 qui ne s’inscrit pas dans
cette ligne et pour laquelle la configuration prévue lui paraît impossible,
en particulier compte tenu du nombre d’étudiants à accueillir.
A la demande du président de l’université Pierre et Marie Curie,
l’installation de Paris 3 sur le campus a été revue et programmée par
l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) au sein des barres de
Cassan dont la nécessaire remise en sécurité ne permettait pas d’envisager
l’emménagement avant 2016. Compte tenu de l’urgence des travaux à
Censier, cette décision a été comprise par l’université Paris 3 comme une
remise en cause de la décision de janvier 2006 et son exclusion de fait du
campus de Jussieu.
Le rapport sur l’immobilier universitaire parisien commandé par la
ministre à Bernard Larrouturou proposait en 2009 l’attribution de la
totalité des surfaces de Jussieu à l’université Pierre et Marie Curie. Selon
le ministère, cette décision n’a été formellement validée que lors de la
préparation de la convention de dévolution du patrimoine de l’université
en 2010.
L’opération de réhabilitation du campus de Jussieu a conduit à une
augmentation très significative des surfaces allouées aux entités présentes
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72
COUR DES COMPTES
sur le campus et en particulier à l’université Pierre et Marie Curie. Les
réponses fournies par le ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche
semblent
attester
que
l’augmentation
des
coûts
de
fonctionnement induits n’a pas été un objet de discussion et n’a pas été
prise en considération lors des arbitrages concernant l’attribution des
surfaces du campus.
***
Les décisions prises lors de la réunion interministérielle en 2006
prévoyant d’affecter une partie des surfaces à l’Ecole nationale supérieure
de chimie de Paris et à l’université Paris 3 n’ont finalement jamais été
appliquées. L’attribution officielle de l’ensemble du campus à l’université
Pierre et Marie Curie n’est intervenue qu’en 2010. Pendant toute cette
période, l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) préparait le
lancement de l’opération de réhabilitation du secteur est alors que
l’affectation des surfaces n’avait pas été tranchée.
D - L’absence de mise en oeuvre des observations des
missions de contrôle
La Cour et la mission d’inspection tripartite avaient identifié en
2005 la nécessité de désigner une autorité de pilotage de l’opération.
La Cour avait souligné que «
le pilotage d’une opération aussi
complexe et qui met en jeu un aussi grand nombre de partenaires et, au
premier rang, des universités jalouses d’une autonomie qu’elles n’ont pas
toujours les moyens d’assumer pleinement, exige un engagement fort de
l’autorité ministérielle, voire gouvernementale. En l’occurrence, il ne
saurait être assumé par le seul établissement public
28
».
La mission d’inspection avait préconisé de confier la maîtrise
d’ouvrage de plein exercice de cette opération au rectorat de Paris, qui la
déléguerait à l’EPCJ par convention. La mission demandait également de
mettre en place un comité de pilotage commun avec l’opération ZAC
Paris Rive Gauche.
Ces recommandations n’ont pas été mises en oeuvre. Le mode de
pilotage de l’opération n’a pas été revu : la maîtrise d’ouvrage de
l’opération n’a pas été confiée au rectorat, et a été conservée par l’EPCJ.
Le comité de pilotage recommandé par la mission n’a pas non plus été
mis en place. Le système de responsabilité n’a pas été modifié : l’EPCJ
n’a pas été placé sous mandat de maîtrise d’ouvrage et les universités ne
28
Conclusion de l’insertion intitulée « Du désamiantage à la rénovation du Campus de
Jussieu », rapport public annuel 2004 de la Cour des comptes, page 129.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
73
se sont pas vues confier la responsabilité du financement et de la gestion
des locaux tiroirs.
1 -
L’opposition aux recommandations formulées
Les raisons qui expliquent l’absence de mise en oeuvre des
recommandations de la mission tiennent en grande partie à l’opposition
de différents acteurs majeurs de l’opération.
Ainsi, le directeur général de l’établissement considérait que «
la
nature et la qualité des préconisations formulées à l’époque par cette
commission ont totalement méconnu les avis formulés par les
professionnels de l’EPCJ et se sont avérées totalement irréalistes
». Et le
directeur mettait en exergue ce qu’il considérait comme la vraie cause des
dysfonctionnements observés, à savoir «
l’absence d’arbitrages clairs
quant aux exigences (parfois contradictoires) des universités, le comité
de pilotage proposé par la mission en 2005 ne pouvant être une réponse
que s’il peut imposer ses décisions aux universités
29
».
La perception du travail de la mission tripartite par la présidence
de l’université Pierre et Marie Curie est résumée dans l’ouvrage publié
par le président de l’époque déjà évoqué :
«
Par contre, rien dans les propositions immédiates de [
la mission
tripartite]
ne nous convenait. Elles étaient pour nous nulles et non
avenues et je ne prenais pas la peine d’y répondre car je ne voulais même
pas en discuter
»
30
.
Cette position assez constante a été rappelée dans le discours de
son successeur à la présidence de l’université à l’occasion de
l’inauguration de la tour centrale, en juin 2009 :
«
Le chantier a ensuite été bloqué pendant plus de deux ans, suite
au changement de direction à
la tête de l’EPCJ en 2004 et aux multiples
rapports qui ont suivi :
Bercy souhaitant affecter les locaux libérés par
Paris 7 à tout sauf à la science, au mépris de l’intérêt national, puisque
c’est un atout considérable de disposer d’une force d’attraction
scientifique et technologique au coeur de Paris, pour attirer des talents,
innover, créer des emplois et donner à notre jeunesse une image positive
des sciences pour faire face aux défis de notre temps : biodiversité,
climat, nouvelles énergies, etc. Dans tous ces domaines, l’université
Pierre et Marie Curie est à la pointe de la recherche.
29
Note du directeur général de l’EPCJ au directeur général de l’enseignement
supérieur, 29 janvier 2009.
30
Gilbert Béréziat, «
Quand l’université se réveille.
Tout devient possible
. »
L’Harmattan, janvier 2009, page 291.
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74
COUR DES COMPTES
Cette journée est symbolique car c’est le signe que ce
gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, renoue
avec la volonté gaulliste qui a installé la faculté des sciences sur ce site,
volonté de refaire de la France une grande nation dans la science et dans
l’économie de la connaissance. Car les nombreuses vicissitudes et
retards (2 ans sur la tour centrale et plusieurs dizaines de millions de
surcoût) sont largement imputables à tous ceux qui ne voyaient pas
l’intérêt
de conserver des activités scientifiques et de l’innovation au sein
de la capitale et qui n’avaient de cesse de découper Jussieu par
appartement, d’y mettre des activités n’ayant rien à y faire, voire de le
raser pour pouvoir y spéculer à loisir. Les dernières interventions en ce
sens datent du rapport
[de la mission tripartite]
en 2004 et il a fallu
l’intervention de François Fillon - alors ministre de l’éducation nationale
- pour remettre le chantier en route
. »
L’inexécution des recommandations de la mission tripartite, du fait
de l’opposition d’acteurs majeurs de l’opération, explique en partie les
nouvelles dérives de calendrier et de coûts.
Le calendrier de réalisation et l’enveloppe financière ont même
encore fortement glissé par rapport aux craintes exprimées dans la lettre
de mission du 29 décembre 2004 adressée aux inspections et au conseil
général des ponts et chaussées, craintes qui avaient à l’époque justifié la
commande. Le travail de la mission devait permettre d’éviter que la
rénovation globale ne soit achevée qu’en 2017 (et le désamiantage en
2012), et que le surcoût de l’opération par rapport à l’enveloppe validée
de 681,45 M€ n’atteigne les 469 M€ annoncés dans le scénario au fil de
l’eau présenté par l’établissement.
Force est de constater aujourd’hui que les dernières hypothèses
relatives tant aux délais de réalisation de l’opération qu’à son coût final
estimé ont encore été dégradées par rapport aux dérives que le travail de
la mission avait pour objet d’éviter.
2 -
Une question centrale non résolue : le pilotage de l’opération
Le pilotage effectif de l’opération de réhabilitation du campus de
Jussieu,
intégrant
une
capacité
d’arbitrage
entre
les
différents
intervenants, et en particulier les différents clients de l’établissement
public, est le problème le plus difficile à résoudre. Les conditions
optimales de réalisation de cette opération ne peuvent être considérées
comme réunies tant que la question du pilotage n’est pas tranchée de
manière efficace.
Les derniers rapports en date, sur l’immobilier universitaire
parisien, insistent eux aussi sur les défaillances observées en matière de
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
75
pilotage
31
. Les fonctions de pilotage intègrent en effet un rôle de
coordination transversale des acteurs, d’arbitrage en cas de divergence de
points de vue ou de blocage sur une option impactant le bon déroulement
de l’opération, et enfin de contrôle du prestataire que doit être
l’établissement public, qui réalise sa mission pour le compte de l’Etat.
Ces fonctions supposent, eu égard au poids des interlocuteurs clients que
sont les présidents d’université, une légitimité très forte, et un soutien
sans faille des tutelles, et ce jusqu’au plus haut niveau.
En pratique, de nombreuses décisions relevant de la conduite du
chantier ont été prises à un niveau politique (cabinet ou arbitrage
interministériel) que leur nature ne justifiait pas et sans que cela évite leur
remise en cause fréquente.
La mission interministérielle avait proposé que le pilotage soit
assuré par le recteur, chancelier des universités de Paris, au sein d’un
comité de pilotage qui associerait tous les acteurs concernés par le projet.
Cette fonction de pilotage n’a pas été assumée par le recteur, malgré
l’instruction en ce sens qui lui avait été donnée par le cabinet du ministre.
Interrogé sur ce point, le recteur a indiqué que l’attachement traditionnel
des enseignants chercheurs à leur autonomie, reconnue et consacrée par
une
jurisprudence
du
Conseil
constitutionnel
comme
principe
fondamental reconnu par les lois de la République
32
, et le mode de
gouvernance des universités à travers l’élection des présidents, rendent
très difficilement applicables les arbitrages qui ne satisfont pas les
présidents et la communauté universitaire
33
. Il ajoutait que l’éclatement de
31
Le rapport conjoint de l’inspection générale des finances, de l’inspection générale
de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et du conseil général
des ponts et chaussées de novembre 2008, relate l’épisode qui a abouti à l’éviction de
l’université Paris 3 du site de Jussieu et conclut à l’idée qu’il illustre la défaillance du
pilotage. Le rapport Larrouturou est également très explicite sur cet épisode, puisqu’il
écrit (page 50) : «
[…] Ce site [Jussieu] était originellement partagé avec Paris 7,
mais Paris 6 l’occupe désormais très majoritairement, et sa volonté d’occuper tout le
site a ruiné les projets d’installations d’autres acteurs, même après arbitrage au
sommet de l’Etat comme je l’ai écrit plus haut. Il ne faut pas se cacher le caractère
anormal de ce qui s’est passé, du point de vue du fonctionnement de l’Etat et du
service public […]
».
32
Le principe d’indépendance des enseignants chercheurs a été reconnu comme
principe fondamental reconnu par les lois de la République par la décision n° 83-165
DC, loi relative à l’enseignement supérieur du 20 janvier 1984.
33
Dans sa lettre à l’EPCJ du 13 mars 2007, le président de l’UPMC écrit, à propos
d’un arbitrage rendu par le recteur sur l’utilisation des surfaces de Jussieu : «
Les
collègues physiciens et chimistes et les étudiants sauront s’opposer à toute utilisation
arbitraire du campus qui se ferait au détriment des opérations en cours de
désamiantage destinées aux établissements concernés ou au détriment de leurs études
et/ou du risque santé
».
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76
COUR DES COMPTES
la faculté de Paris s’est traduit par la création d’universités rivales dont
les intérêts sont souvent difficiles à concilier.
La Cour relève que cet argument est en décalage par rapport au
rôle statutaire du recteur, chancelier des universités.
Le recteur indiquait ne pas pouvoir être toujours l’arbitre des
conflits
nés
entre
les
universités.
La
direction
générale
pour
l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, interrogée sur le
même point, indiquait elle aussi que le recteur de Paris n’était
probablement pas la personne la mieux placée pour piloter de manière
efficace l’opération de réhabilitation du site de Jussieu, dans la mesure où
il lui était très difficile d’imposer aux présidents d’université des
arbitrages qu’ils ne jugeaient pas suffisamment favorables aux intérêts de
leur établissement.
Enfin, il convient de souligner que, dans le rapport au ministre de
l’éducation établi par le recteur de l’académie de Paris, rendu en
décembre 2005, et qui avait pour objet d’étudier les conditions de
faisabilité des recommandations de la mission tripartite, le recteur écrit
que l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) et l’université
Paris 6 contestent le bienfondé de cette préconisation, et qu’une telle
évolution reste «
inenvisageable, sur un plan concret, si les moyens dont
dispose le rectorat pour mener cette tâche ne sont pas significativement
renforcés
»
34
. Le rapport indiquait ensuite que «
placer le recteur au
centre du dispositif de gestion des grands chantiers universitaires s’est
imposé comme une recommandation largement diffusée et acceptée du
rapport de la mission interministérielle. L’objectif affiché est notamment
d’améliorer la gouvernance des opérations immobilières, de simplifier les
contacts pour les différents acteurs et de rationaliser les décisions en
concentrant l’information. […] L’inflexion constatée dans les pratiques
des départements ministériels et de l’EPCJ
depuis les préconisations du
rapport
[de la mission d’inspection]
, ainsi que les décisions de la réunion
interministérielle du 6 septembre, manifestent la faisabilité d’une solution
pragmatique en attendant que les conditions juridiques et matérielles
d’une maîtrise d’ouvrage complète soient réunies.
Dans l’état actuel des choses, une maîtrise d’ouvrage, même après
délégation de ces chantiers très complexes, n’est pas envisageable avant
un délai d’une année, nécessaire au recrutement du personnel et à
l’achèvement des procédures
».
34
Rapport de mission à monsieur Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale,
de l’enseignement supérieur et de la recherche, et à monsieur François Goulard,
ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, établi par le recteur de
l’académie de
Paris, le 1
er
décembre 2005, page 5.
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LES CAUSES DES DERIVES DE L’OPERATION
77
Il apparaît donc que l’intention initiale était d’appliquer la
recommandation de la mission d’inspection, intention qui n’a pas résisté à
l’épreuve du temps et des volontés contraires, faute de moyens octroyés
au rectorat et de volonté des tutelles.
Le refus du rectorat de piloter l’opération a disqualifié la
recommandation visant à confier, par convention de mandat, les missions
de maîtrise d’ouvrage déléguée à l’établissement.
Le directeur de l’Etablissement public du campus de Jussieu
(EPCJ) a d’ailleurs argumenté son opposition à cette déclinaison des
prescriptions de la loi MOP dès la note qu’il a adressée au directeur
général de l’enseignement supérieur le 29 janvier 2009 : «
la formule du
mandat telle qu’envisagée dans le contexte de la loi MOP n’est pas la
formule la plus adaptée dès lors que les actions techniques, juridiques et
financières sont soumises à l’approbation du « véritable maître
d’ouvrage, celui pour lequel l’ouvrage est construit », lequel a priori
n’est pas spécialiste de ces questions.
» Cette absence de clarification du
contenu précis de la mission confiée à l’établissement pour la réalisation
de chacune des opérations a probablement nui au bon déroulement du
projet, puisque les objectifs (c'est-à-dire les éléments de programme) et
les contraintes imposées à l’établissement (en particulier les contraintes
financières et de délais) n’ont jamais donné lieu à accord formalisé entre
l’établissement et l’Etat.
A défaut d’être pris en charge par le rectorat, le pilotage de
l’opération aurait pu être pris en charge par la tutelle de l’établissement, à
savoir le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le
rapport du recteur de 2005 déjà cité est d’ailleurs très explicite sur ce
point. Il indique clairement que la question de l’affectation des surfaces
relève du ministère : «
il convient que le ministère de l’éducation utilise
l’ensemble des prérogatives rappelées par le code de l’éducation quant à
la délimitation des enceintes et locaux affectés à un établissement.
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78
COUR DES COMPTES
L’importance que revêt ce moment stratégique de l’affectation des
locaux et la réalité des pesanteurs qui peuvent s’exercer pour contrarier
l’intérêt général invite à préconiser une application stricte du code de
l’éducation, en suggérant que le MESR fonde ses choix sur une
concertation des établissements concernés – Paris VI, Paris VII et
l’Institut de physique du globe de Paris notamment
».
Le rapport du recteur invitait donc de manière transparente la
tutelle ministérielle à prendre sa part dans le pilotage de l’établissement
pour que les décisions stratégiques d’affectation des locaux, qui
conditionnent la capacité de l’établissement public à stabiliser ensuite les
programmes des opérations de réhabilitation, soient enfin prises et
s’imposent aux utilisateurs.
Pour accompagner le lancement des opérations Campus, le
ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche indique avoir
revu en profondeur les modalités de pilotage des opérations immobilières
universitaires. Un service des grands projets immobiliers a été constitué
au sein de l’administration centrale et l’EPAURIF s’est substitué à
l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) et à l’Etablissement
Public d’Aménagement Universitaire (EPAU).
La création de l’EPAU en 2006
En octobre 2006, un nouvel établissement public placé sous la tutelle
du ministre chargé de l’enseignement supérieur est créé sous le nom
d’Etablissement public d’aménagement universitaire (EPAU).
Il a pour mission de proposer des schémas d’implantation, de mener
des études relatives aux investissements immobiliers ou à l’entretien du
patrimoine
immobilier,
et
d’assurer
la
réalisation
d’opérations
d’aménagement, de construction, de réhabilitation ou de maintenance de
bâtiments universitaires. Il peut, pour l'exécution de ses missions, bénéficier
de la mise à disposition de personnels et de moyens par l’Etablissement
public du campus de Jussieu (EPCJ) ou d'autres établissements publics de
l'Etat compétents en matière de maîtrise d'ouvrage.
Victime des changements politiques, cet établissement public n’a en
réalité jamais vu le jour : aucune mission ne lui a jamais été confiée, et aucun
moyen ne lui a été affecté à l’exception notable de la nomination de son
directeur général puisque c’est statutairement le directeur général de l’EPAU
qui assure les fonctions de directeur général de l’Etablissement public du
campus de Jussieu (EPCJ).
Cet établissement public n’a été officiellement supprimé qu’en août
2010.
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79
Par ailleurs, la volonté du ministère est de confier aux universités
la fonction de porteur de projet, l’Etat assurant le rôle de financeur. Une
convention précisera les responsabilités de chacun, le cadre financier et
les modalités de suivi des opérations. Cette logique de responsabilisation
des établissements est considérée par le ministère comme plus conforme à
l’esprit de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités.
Dans ce cadre, l’EPAURIF est envisagé comme un outil technique
au service des établissements universitaires, et une solution alternative
pour prendre en charge les projets soumis à des contraintes spécifiques :
opérations menées sur un même site au bénéfice de plusieurs
établissements ou opérations menées pour le compte d’établissements
sans structure interne de maîtrise d’ouvrage adaptée. Dans ces cas précis,
les responsabilités et engagements, notamment financiers, de chacun des
acteurs seront également formalisés par une convention tripartite. Le
ministère indique enfin que, dans tous les cas, il effectuera un «
contrôle
du respect des engagements pris par les maîtres d’ouvrage à travers une
procédure d’expertise menée par le service des grands projets
»
35
.
Les recommandations de la Cour tiennent compte de ces
précisions, dont il faudra apprécier la réalité et l’efficacité quand elles
auront été mises en oeuvre.
Cependant, la Cour considère que le rôle de l’Etat, garant de la
cohérence des implantations universitaires et principal financeur des
programmes immobiliers, doit être clarifié.
L’expérience de Jussieu montre que l’Etat ne peut se désintéresser
des projets complexes impliquant plusieurs établissements. Cependant,
ses interventions doivent rester peu nombreuses, portées sur les grandes
orientations et non sur la conduite des opérations, et comporter des
arbitrages clairs dont il assure l’autorité et le suivi. L’intervention de
l’Etat doit se situer à l’inverse de celle qui fut la sienne dans l’opération
de Jussieu, où il intervenait trop sans pour autant trancher sur l’essentiel.
***
35
Cette nouvelle architecture est décrite dans la réponse au relevé d’observations
provisoires de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion
professionnelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche du 14 juin
2011.
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80
COUR DES COMPTES
Les lacunes du pilotage de l’opération, pourtant soulignées à
maintes reprises, ont joué un rôle très important dans les dérives
observées. Elles ont favorisé l’inertie des acteurs dans les situations de
blocage, personne n’assurant le rôle d’arbitre en phase de conduite du
projet, les décisions intervenant en phase critique, quand plus aucune
solution n’apparaît réellement satisfaisante.
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Conclusion
Lancée en 1996 comme une opération de désamiantage, la
réhabilitation du campus de Jussieu s’est transformée en une vaste
opération de restructuration universitaire. Les contrôles menés par la
Cour montrent qu’elle a été lancée dans l’urgence, en négligeant les
phases de préparation préalables.
Les alternatives à la réhabilitation, en particulier la possibilité de
déconstruction/reconstruction, n’ont pas été sérieusement étudiées.
Les études et diagnostics techniques, indispensables pour établir
l’état des existants, ont été insuffisants et ont entraîné de nombreuses
évolutions de périmètre durant les travaux. L’enveloppe financière
prévisionnelle a été largement sous-évaluée. Enfin, aucun schéma
d’organisation ni cadre procédural, indispensables pour gérer une
opération aussi complexe impliquant autant d’acteurs, n’ont été définis.
La faiblesse des moyens de l’Etablissement public du campus de
Jussieu (EPCJ), dont le niveau des effectifs n’a été considéré comme
satisfaisant qu’à partir de 2008, n’a pas permis de conduire efficacement
ce projet.
Avant cette date, les défaillances avérées dans la gestion des
opérations, notamment dans leur phase de préparation, ont entraîné
l’apparition de multiples difficultés techniques au cours de la réalisation
des travaux, rendant nécessaires de nombreuses réévaluations des coûts.
Plusieurs procédures contractuelles irrégulières ont été identifiées
par la Cour.
Par ailleurs, la mise en place tardive des procédures et des outils de
suivi a altéré les capacités de pilotage du conseil d’administration et de
l’Etat.
Cette
opération
a
été
marquée
par
une
confusion
des
responsabilités entre les établissements universitaires bénéficiaires des
travaux, l’Etat financeur et l’établissement public du campus de Jussieu
chargé de la maîtrise d’ouvrage.
L’affectation définitive aux établissements universitaires des
surfaces à réhabiliter n’a été stabilisée par l’Etat que très tardivement.
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82
COUR DES COMPTES
Malgré les recommandations formulées par les missions de
contrôle dès 2004, l’Etat n’a pas assumé son rôle d’arbitre, de pilote et de
contrôleur de cette opération. Il n’a pas non plus mis en oeuvre de
structure de coordination, pourtant indispensable, avec les travaux de la
ZAC Paris Rive Gauche.
Les établissements universitaires n’ont pas été responsabilisés en
matière de stabilité des programmes et de respect de l’enveloppe
financière. Les relations souvent difficiles avec les établissements,
concernant les modalités de relogement et la définition des programmes
ont aussi entraîné des retards et des surcoûts.
L’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ) a été chargé
de la totalité de la responsabilité du maître d’ouvrage sans avoir les
moyens de l’exercer.
Une relation triangulaire viciée s’est instaurée entre :
-
l’Etat-financeur, qui n’a pas exercé de véritable autorité sur les
acteurs de l’opération, si ce n’est par des décisions parfois
prises au plus haut niveau, et pas toujours respectées ;
-
les utilisateurs, universités, établissements ou laboratoires,
« clients » d’un genre particulier puisqu’ils commandent des
travaux mais ne les paient pas ;
-
l’EPCJ qui, pour faire avancer ses chantiers dans l’urgence,
devait négocier en permanence avec les utilisateurs et était
contraint de prendre en compte leurs exigences.
Dans ce contexte, l’EPCJ a géré ses opérations en considérant
toujours les critères de délai et de satisfaction des établissements comme
les critères prioritaires au détriment de la régularité des procédures
contractuelles et de la maîtrise du coût global de l’opération.
L’ensemble de ces dysfonctionnements conduit à un bilan très
négatif.
Le délai de désamiantage du site, initialement fixé à trois ans par le
décret de 2001, repoussé au 31 décembre 2007, puis au 31 décembre
2010, n’a pas été respecté. Les derniers travaux de désamiantage ne
devraient s’achever qu’en 2011, et l’opération en 2015, soit près de
20 ans après son lancement.
Sur le plan financier, le coût final estimé de l’opération, annoncé à
183 M€ en 1996 puis ajusté à 681,5 M€ en 2001, est aujourd’hui estimé à
1 850 M€.
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CONCLUSION
83
Devant l'ampleur des défaillances relevées à l’occasion de ce
contrôle, la Cour des comptes a décidé de saisir la Cour de discipline
budgétaire et financière de certains des faits constatés et a transmis le
dossier au parquet général à cette fin
36
.
En août 2010, l’Etablissement public du campus de Jussieu (EPCJ)
a été transformé en Etablissement public d’aménagement universitaire de
la région Ile-de-France (EPAURIF).
Ce nouvel établissement public a reçu un périmètre d’intervention
élargi aux opérations immobilières universitaires de la région Ile-de-
France et s’est déjà vu confier un certain nombre d’opérations nouvelles
qui s’ajoutent à l’achèvement de la réhabilitation du campus de Jussieu.
La gouvernance de l’établissement a été transformée, en confiant la
présidence du conseil d’administration au recteur de l’académie de Paris,
chancelier des universités.
Enfin, le ministère a redéfini ses grandes orientations stratégiques
en matière de modalités de pilotage des opérations immobilières
universitaires, en s’appuyant sur le principe de responsabilisation des
établissements, nouveaux porteurs de projets.
Ces améliorations sont nécessaires mais insuffisantes.
Les enseignements tirés de l’expérience de l’opération Jussieu
démontrent la nécessité de compléter ce nouveau dispositif par des
mécanismes de pilotage efficaces au niveau ministériel.
De même, l’établissement public doit encore améliorer ses
méthodes et ses outils de programmation et de suivi.
Du respect de ces deux conditions dépend la réussite de
l’EPAURIF. A l’heure où l’Etat a annoncé et programmé le financement
de nouveaux projets d’investissement importants dans le secteur de
l’enseignement supérieur et de la recherche, l’EPAURIF devra réunir
deux séries de qualités qui ont fait défaut à l’EPCJ : le savoir-faire et la
compétence technique d’une part, la capacité à respecter les délais et les
coûts en tenant compte des contraintes propres à la maîtrise d’ouvrage
publique d’autre part.
36
Selon les dispositions de l’article L 314-3 du code des juridictions financières : « Si
le procureur général estime qu’il n’y a pas lieu à poursuites, il procède au classement
de l’affaire. Dans le cas contraire, il transmet le dossier au président de la Cour, qui
désigne un rapporteur chargé de l’instruction ».
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84
COUR DES COMPTES
En outre, l’une des principales enseignements de l’enquête de la
Cour est que l’établissement public ne peut assumer seul la conduite
d’opérations aussi complexes. L’EPAURIF doit situer son action dans le
cadre d’une vision stratégique clairement fixée par l’Etat. A cet égard, la
réalisation du schéma des implantations des activités d’enseignement
supérieur et de recherche en Ile-de-France apparaît indispensable.
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Recommandations
La Cour formule des recommandations destinées à sécuriser
financièrement la fin de l’opération de réhabilitation du campus de
Jussieu, mais aussi à fournir un cadre pour les futures opérations
envisagées par l’Etat.
Elles concernent l’opérateur, les universités et le pilotage par l’Etat
et visent à répondre aux principales défaillances relevées dans le présent
rapport :
-
les insuffisances de l’établissement, notamment en matière de
préparation et de suivi des opérations ;
-
l’absence
de
responsabilisation
des
établissements
universitaires « clients » ;
-
les lacunes de l’Etat en matière de pilotage et de régulation
entre les acteurs.
Premier axe : Améliorer les compétences de maîtrise d’ouvrage
de l’EPAURIF
1.
formaliser un schéma d’organisation et un cadre procédural
définissant les modalités de gestion des opérations dont l’EPAURIF
a la charge et ses modalités de travail avec les différents acteurs
internes et externes.
L’EPAURIF devra notamment, pour chaque opération :
2.
réaliser un dossier de lancement décrivant le périmètre, les modalités
de financement, les délais, et les modalités de gestion de l’opération
avec les différents acteurs.
Ce dossier doit présenter et justifier en détail les hypothèses sur
lesquelles l’estimation du coût de l’opération a été calculée. Il comporte
également une analyse des risques. Il est validé par le comité de pilotage
de l’opération ;
3.
mettre à jour régulièrement le dossier de lancement d’une opération
sous la forme d’un dossier de suivi.
Le dossier de suivi présente l’avancement de l’opération et retrace
les évolutions de toute nature sur la période (périmètre, délais,
financement, risques) validées par le comité de pilotage. Il est présenté
annuellement au conseil d’administration ;
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86
COUR DES COMPTES
4.
doter l’établissement d’une capacité de contrôle juridique interne
étoffée.
La complexité des opérations justifie que les risques juridiques
soient correctement appréciés et que les précautions nécessaires soient
prises.
Deuxième
axe :
Responsabiliser
les
établissements
universitaires
5.
responsabiliser les établissements universitaires en matière de
définition de programme.
La responsabilisation s’appuie sur la formalisation des phases de
définition et des éventuelles demandes d’évolution des programmes ;
6.
confier aux universités la responsabilité de la gestion des locations
des locaux provisoires, sur la base d’une dotation spécifique libre
d’emploi.
La dotation est calculée sur la base de besoins évalués
contradictoirement et conformes aux référentiels ministériels, et d’un coût
de location de référence au m².
Troisième axe : Créer les conditions d’un pilotage stratégique
par l’Etat des opérations immobilières universitaires
7.
avant tout lancement d’opération, prendre formellement les décisions
d’affectation complète et définitive des locaux à construire ou à
réhabiliter.
L’affectation préalable des locaux est indispensable notamment
lorsque plusieurs établissements se partagent une même emprise ;
8.
fonder les décisions de lancement sur des phases de préparation des
opérations plus approfondies.
Les phases d’études préalables doivent en particulier envisager
toutes les hypothèses (y compris celle de la démolition/reconstruction
pour les opérations de réhabilitation). Les diagnostics et sondages des
existants doivent être exhaustifs ;
9.
réaliser le schéma directeur des implantations des activités
d’enseignement supérieur et de recherche en Ile-de-France ;
10.
définir un contrat de performance pour l’EPAURIF.
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RECOMMANDATIONS
87
Le contrat définit les objectifs et les moyens assignés à
l’établissement, ses modalités de programmation financière, ainsi que les
indicateurs de suivi de son activité ;
11.
définir un contrat par opération confiée à l’EPAURIF, à l’instar du
contrat de délégation de maîtrise d’ouvrage prévu par la loi MOP.
Le contrat d’opération précise l’ensemble des éléments clefs sur
lesquels s’engagent les parties (et qui sont pour partie repris dans le
dossier de lancement de l’opération, cf. recommandation n° 2) ;
12.
mettre en place, pour chaque opération gérée par l’EPAURIF, un
comité de pilotage réunissant les principaux acteurs de l’opération.
Le comité de pilotage valide les conditions de lancement, et toute
évolution majeure ayant un impact sur les objectifs de l’opération. Il doit
être présidé par une autorité ayant la légitimité suffisante pour rendre les
arbitrages nécessaires. Dans le cas d’une opération aussi importante et
complexe que Jussieu, cette autorité ne peut être que le ministre ou son
représentant personnel. Il doit être mis fin à la pratique de décisions
informelles prises hors conseil d’administration ou hors comité de
pilotage ayant des impacts sur l’opération ;
Pour permettre un suivi efficace des tutelles et leur fournir de
véritables outils d’aide à la décision, l’EPAURIF doit impérativement :
13.
fiabiliser et présenter au conseil d’administration les outils de suivi
opérationnel des projets, ainsi que les outils de suivi financier
pluriannuel de l’établissement, validés par les tutelles, et permettant
au contrôle financier de vérifier la soutenabilité budgétaire de
l’opération à moyen terme.
A ce titre, les prévisions financières concernant la réhabilitation
des barres de Cassan (montant de 143 M€) doivent être supprimées des
tableaux de financement pluriannuel de l’opération Jussieu ;
14.
définir et faire valider par le conseil d’administration en tant
qu’annexe au budget annuel, les prévisions financières (autorisation
d’engagement
et
crédits
de
paiement)
pluriannuelles
de
l’établissement.
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Liste des sigles
APD : avant-projet définitif
APS : avant-projet sommaire
BSU : bibliothèque des sciences de l’univers
CEA : commissariat à l’énergie atomique
CGPC : conseil général des ponts et chaussées
CPER 2000-2006 : contrat de plan Etat-région 2000-2006
CPER 2007-2013 : contrat de projets Etat-région 2007-2013
EMOC : établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux
culturels
ENSCP : école nationale supérieure de chimie de Paris
EPAU : établissement public d’aménagement universitaire
EPAURIF : établissement public d’aménagement universitaire
de la région Ile-de-France
EPCJ : établissement public du campus de Jussieu
IGAENR :
inspection
générale
de
l’administration
de
l’éducation nationale et de la recherche
IGF : inspection générale des finances
IPGP : institut de physique du globe de Paris
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IUT : institut universitaire de technologie
MOP : maîtrise d’ouvrage public
SCI : société civile immobilière
SEMAPA : société d’économie mixte d’aménagement de Paris
SHON : surface hors oeuvre nette
UFR : unité de formation et de recherche
UPMC université Pierre et Marie Curie
ZAC : zone d’aménagement concerté
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RÉPONSES
DES ADMINISTRATIONS
ET DES ORGANISMES CONCERNÉS
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SOMMAIRE
Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat,
Porte-parole du Gouvernement
95
Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
96
Directeur général de l’établissement public d’aménagement
universitaire de la région Ile-de-France (EPAURIF)
99
Ancien directeur général de l’établissement public du campus
de Jussieu (EPCJ) (de septembre 2007 à
octobre 2010)
105
Ancienne directrice générale de l’établissement public du campus de
Jussieu (EPCJ) (de janvier 2007 à juin 2007)
107
Président de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6)
121
Ancien président de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6)
(de 2001 à 2006)
122
Ancien président de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6)
(de 2006 à 2011)
127
Président de l’université Paris Diderot (Paris 7)
129
Recteur de l’académie, chancelier des universités de Paris La Sorbonne
130
Ancien recteur de l’académie de Paris (de 2002 à 2008)
131
Directeur général de l’Institut de physique du globe de Paris
132
Ancien directeur général de l’enseignement supérieur
(de
2007 à 2008)
133
Président directeur général de Bouygues construction
134
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REPONSE DE LA MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS
ET DE LA REFORME DE L’ETAT,
PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT
Le déroulement de ce chantier très complexe lancé en 1996 a fait
apparaître de nombreuses difficultés, liées comme le note la Cour à un
manque de préparation, un pilotage insuffisant et un suivi imparfait de
l'opération.
Je tiens cependant à attirer l’attention de la Cour sur les progrès
réalisés depuis 2008 dans le suivi de cette opération. La mise en place de
rencontres
régulières
entre
l'Etat,
commanditaire
des
travaux,
et
l'établissement public, maître d'ouvrage, a permis de stabiliser le coût final
estimé du chantier. Dans le cadre de la réflexion globale menée par Bernard
Larrouturou sur l'immobilier universitaire parisien, le périmètre et
l'affectation finale du campus ont également été définis.
Plus largement, le conventionnement et la mise en place d'un comité
de pilotage sont devenus la règle pour toutes les opérations immobilières
d'envergure menées par le ministère de l'enseignement supérieur et de la
recherche. La création d'un service des grands projets immobiliers au
ministère en 2008 a permis d'affermir ces nouvelles pratiques.
Enfin, la transformation en 2010 de 1'Établissement public du campus
de Jussieu en Etablissement public d'aménagement universitaire de la région
Ile-de-France (Epaurit) a eu pour conséquence une très large extension de
son périmètre d'intervention, qui s'est traduite depuis par la signature de
16 conventions. La mise en place du nouvel établissement s'est également
accompagnée d'une refonte de l'organigramme et d'un renforcement des
équipes techniques et de support. Je serai particulièrement vigilante, lors de
1'élaboration du contrat de performance de l'établissement au premier
semestre 2012, à ce que la définition d'un cadre de pilotage rigoureux soit
inscrite au premier rang des objectifs de l’établissement.
Le travail important déjà réalisé, qui a contribué à professionnaliser
le suivi des opérations immobilières dans le domaine de l'enseignement
supérieur
me
semble
donc
aller
pleinement
dans
le
sens
des
recommandations de la Cour.
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COUR DES COMPTES
REPONSE DU MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
ET DE LA RECHERCHE
Je souhaite vous apporter la contribution suivante à l’élaboration du
rapport sur la réhabilitation du campus de Jussieu, qui sera un élément très
utile pour la mise en place des outils immobiliers de mon ministère.
Lors du lancement du chantier de réhabilitation en 1996 et 1997, le
campus de Jussieu a été victime de ces trois difficultés majeures dont
souffraient nos établissements : manque d’outils, immobiliers adéquats,
manque de moyens financiers, même si l’opération de Jussieu s’est toujours
vue consacrer les moyens qui lui étaient nécessaires pour tenir le bon
avancement des travaux, et le manque d’une vision scientifique et
pédagogique de long terme sur l’utilisation du campus.
Je souhaite cependant souligner que la présence d’amiante dans les
bâtiments a amené l’Etat à prendre rapidement des décisions à la fin des
années 90, ce qui était justifié par des enjeux majeurs de santé publique.
L’Etat n'avait pas le choix, il fallait se lancer au plus vite dans le chantier.
Certes, le chemin a été long, tant la tâche à accomplir était colossale.
Mais la mobilisation de l’Etat a été et demeure toujours totale. L’Etat ne s'est
pas contenté de consacrer les crédits nécessaires à l’opération, mais il a
aussi, dès 2004, entamé un redressement du projet en prenant des mesures
visant à adapter les modalités d'intervention de l’établissement public du
campus de Jussieu pour lui permettre de traiter le projet dans toute son
ampleur.
Mais c’est à partir de 2007/2008 que le réel tournant a eu lieu, avec :
- une réorganisation de l’établissement public de Jussieu qui a vu ses
équipes renforcées, et la mise en place d’outils de suivi financier et de
programmation pluriannuelle de l’opération régulièrement mis à jour depuis,
comme le constate d’ailleurs la Cour ;
- la mise en place d’un pilotage renforcé du côté du ministère de
1’enseignement supérieur et de la recherche avec la création d’un service
dédié aux grands projets immobiliers ;
- la transformation de l’EPCJ en EPAURIF en 2010 consacrant
l’extension de son périmètre et une montée en compétences ;
- de nouveaux modes de pilotage des grandes opérations immobilières
avec la systématisation de comités de pilotage ;
- une vision scientifique articulée avec les opérations immobilières,
qui avait fait défaut, notamment dans l’expertise apportée par l’IGF. Le
ministère de 1’enseignement supérieur et de la recherche a confié en 2009 à
Bernard Larrouturou une mission de réflexion sur l’immobilier parisien qui a
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
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permis d’aboutir à un arbitrage clair concernant l’utilisation du campus de
Jussieu : il a ainsi été proposé à l’Université Pierre et Marie Curie de
bénéficier de l’ensemble du site en échange de la libération de ses autres
implantations parisiennes.
Le résultat de ces changements se traduit, par exemple aujourd’hui,
par le fait que la rénovation du secteur Est, projet lancé à l’issue de l’étude
de programmation de janvier 2009, rentre aujourd’hui dans le cadre qui lui
avait été fixé avec un budget de 270 M€.
De façon générale, les travaux progressent et nous avons rendu, en
2010, aux étudiants, aux enseignants et aux chercheurs, la moitié du campus,
qui est à nouveau accessible à l’enseignement et à la recherche, soit
160 000 m². Par ailleurs, il n’y a plus aucun local amianté en activité sur le
campus, le dernier chantier de désamiantage ayant été lancé à l’été 2010.
***
Je remercie la Cour pour les recommandations qu’elle formule pour
les opérations menées par l'EPAURIF. Car c’est bien là l’intérêt du rapport
que vous avez préparé : tirer enseignement des erreurs qui ont pu se
produire pour mettre en place une organisation efficace, transparente et
irréprochable. C’est pourquoi, j’accueille vos recommandations avec le plus
grand intérêt, non seulement pour la suite du chantier du campus de Jussieu,
mais aussi pour tous les chantiers immobiliers majeurs que le ministère met
en place avec les moyens exceptionnels susmentionnés.
Certaines de vos recommandations sont déjà mises en place par le
ministère. Par exemple, concernant la définition des projets en amont de leur
lancement, le ministère formalise maintenant chaque commande passée par
l’Etat, ou par les établissements universitaires eux-mêmes, à l’EPAURIF par
l’intermédiaire d’une convention soumise à l’approbation du conseil
d’administration de l’établissement, et qui font l’objet d’un suivi formalisé.
En ce qui concerne le renforcement des compétences de l'EPAURIF,
le recrutement d’une vingtaine de nouveaux collaborateurs est en cours, et
sera conforté par la rénovation des procédures et le recours à des expertises
juridiques complémentaires à celles détenues en interne à l’établissement.
En ce qui concerne la responsabilisation des établissements
universitaires, les projets confiés à l’EPAURIF doivent systématiquement
faire l’objet d’un programme formel dont la modification devra être actée
dans un avenant à la convention d'intervention de l'EPAURIF. L’orientation
générale du ministère est de veiller à responsabiliser les établissements
dans
le droit fil de l’accession de ceux-ci aux responsabilités et compétences
élargies. C’est ce principe qui a guidé le mode de pilotage des opérations
campus en confiant aux établissements bénéficiaires le rôle de porteur de
projet et de pouvoir adjudicateur des opérations réalisées en contrat de
partenariat ou de maître d’ouvrage des opérations conduites sous maîtrise
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COUR DES COMPTES
d'ouvrage public. De plus, l’expérimentation de la dévolution du patrimoine
engagée avec trois universités constitue un élément déterminant pour
l’accession des établissements à une pleine et entière autonomie. Paris 6 est
d’ailleurs en discussion avec l’Etat pour l’accession à la dévolution du
patrimoine immobilier.
En ce qui concerne le pilotage de l’Etat, le ministère s’est mis en
capacité d'assurer un pilotage stratégique de ses opérations immobilières
d'envergure, notamment grâce à la création d’un service des grands projets
immobiliers. De plus, les conventions définitives entre l’Etat et les
établissements
pour le lancement des projets doivent inclure un accord sur
1’affectation des nouveaux locaux et la libération des anciens locaux, et être
précédées par des études préalables suffisantes pour bien apprécier le coût
du projet.
Pour autant, si un travail énorme a été effectué depuis 2007, je serai
attentif à ce que toutes les améliorations possibles puissent être apportées à
l’organisation des projets. Les recommandations formulées dans le rapport
seront donc mises à profit pour progresser encore dans la formalisation des
processus qui assureront une meilleure maîtrise des opérations immobilières
universitaires, notamment celles confiées à l’EPAURIF. En particulier, les
recommandations concernant la liste précise des données devant être
validées par le Conseil d'Administration, seront progressivement mises en
place à partir du conseil d'administration de novembre 2011.
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ORGANISMES
CONCERNES
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REPONSE DU DIRECTEUR GENERAL DE L’ETABLISSEMENT
PUBLIC D’AMENAGEMENT UNIVERSITAIRE DE LA REGION ILE-
DE-FRANCE (EPAURIF)
Ainsi que vous m’y invitez, je vous prie de trouver ci-dessous les
remarques qu’il suscite de ma part.
a) Les irrégularités dans la commande publique
La Cour évoque de manière générale des irrégularités dans la
commande publique. L’établissement a déjà répondu de façon détaillée aux
demandes d’explication formulées. Il a explicité les choix réalisés par
l’EPCJ (Etablissement public du campus de Jussieu) compte tenu du contexte
des opérations, choix que celui-ci n’avait pas jugé source d’irrégularités.
b) La maîtrise des évolutions du coût global de l’opération
D’une manière
générale, la Cour estime que l’objectif de donner à
l’université Pierre et Marie Curie des installations correspondant à ses
besoins aurait dû être atteint à un bien moindre coût financier pour la
collectivité.
Il s’agit là d’un jugement important dont il convient de bien
comprendre les différentes origines et leurs poids respectifs. En effet, pour
l’activité de l’Etablissement public d’aménagement universitaire de la région
Ile-de-France (EPAURIF) chacune d’elles peut être source de progrès et de
mise au point de méthodes adaptées.
Dans un premier temps, la Cour met l’accent sur des faiblesses en
matière d’études préalables, de définition de programme, d’allocation de
surfaces, de pilotage ou de gouvernance.
La Cour évoque ainsi la logique générale de l’opération qui a
consisté à réhabiliter le campus in situ en conservant l’ossature des
principaux bâtiments. Ce choix a en effet créé des liens entre les différents
chantiers et imposé une cinématique complexe de transfert d’activités. Il était
par nature source de coût et générateur de risques.
Il n’a certes pas été étayé par des études aussi poussées qu’on le
préconiserait aujourd’hui. Il faut toutefois garder à l’esprit l’impératif
sanitaire lié à la présence d’amiante qui explique et justifie l’urgence qui
s’attachait alors à la réalisation du chantier. Même si les délais initiaux
n’ont pu être respectés, l’ensemble des secteurs est aujourd’hui, en octobre
2011, traité.
Néanmoins il n’est pas interdit de penser, que d’autres choix tel celui
du déplacement de l’activité dans un autre lieu ou de la reconstruction à neuf
auraient aussi présenté des inconvénients compte tenu des contraintes qu’ils
entraînaient pour un ensemble de plus de 300 000 m² (disponibilité du
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foncier ou de l’immobilier nécessaire, disponibilité budgétaire, gestion des
activités universitaires, conservation de l’oeuvre architecturale d’Albert,
impact urbain…). Tout autre choix imposait également des opérations
successives et des chantiers liés entre eux. Si l’insuffisance des études
préalables n’a pas permis de mettre en avant tous les coûts et les risques de
la solution retenue, dans une vision a postériori des inconvénients de celle-ci,
l’importance des surcoûts doit être jaugée à la lumière des coûts des autres
solutions envisageables et non dans l’absolu.
L’approche en coût global au m² pratiquée par rapprochement avec
la construction de la ZAC Paris Rive Gauche est dans cette optique une
approche complémentaire intéressante. La différence relevée de 43 % incite
à regarder plus en profondeur cette question. Néanmoins nous ne pouvons
l’expertiser plus avant sans indications détaillées sur le contenu des coûts et
les contextes d’opération (variables explicatives de première importance)
pris en compte. Ce travail mériterait d’être poursuivi.
Par ailleurs, la Cour réalise une autre analyse au travers des dérives
de l’enveloppe budgétaire. Elle met notamment en avant la valorisation à
1 029,9 M€ TTC en 2005 du scénario de la commission tripartite et
l’estimation actuelle de 1 850 M€ TTC stabilisée depuis fin 2009.
La Cour voudra bien trouver ci-joint un exercice de comparaison
établi en septembre 2008 par l’EPCJ de l’estimation du coût de l’opération
entre septembre 2005 et juin 2008. Cette comparaison me semble
intéressante dans la mesure où elle s’est attachée à mieux comprendre les
sources d’évolution des estimations en fonction de leurs natures. Elle met en
exergue, sur des périmètres rendus comparables, une différence de 575 M€
en euros courant qui se décompose en :
Modification de la planification
80 M€
Evolution du contenu des programmes
50 M€
Modification due à la prise en compte
de la réglementation
160 M€
(incluant la « provision pour Cassan » dont la Cour préconise
la
suppression)
Circonstances imprévues
50 M€
Réévaluation des ratios de coûts au m²
80 M€
Actualisations et révisions
155 M€
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Ce type de décomposition permet notamment de mettre en exergue
qu’une partie des évolutions se serait imposée quelles que soient les
circonstances (actualisation et révision de prix, évolutions réglementaires)
ou aurait pour partie été difficilement évitable (aléas techniques, notamment
dus à l’amiante, variations programmatiques liées aux changements des
programmes scientifiques).
L’expérience de l’opération a permis de mieux apprécier ces risques,
de mieux les provisionner et les gérer, ce qui n’était pas atteignable en début
d’opération. Cette gestion des risques et des évolutions a entraîné la
constitution de provisions financières source d’une évolution faciale du coût.
Dans son rappel des prévisions à fin 2010, la Cour indique que
compte tenu des risques identifiés aujourd’hui, un glissement du calendrier
de l’opération n’est pas à exclure ce qui se traduirait encore par des
surcoûts.
Il faut souligner que l’effort cité ci-dessus, réalisé par les équipes
successives, pour apprécier les risques, les provisionner et les gérer a porté
ses fruits.
C’est le cas en particulier pour le secteur Est en ce qui concerne les
évolutions programmatiques et les aléas techniques.
Comme l’évoque la Cour, des demandes de modification dues en
partie à des demandes d’évolution programmatique faites par l’université ont
été identifiées lors des études pour ce secteur. Les coûts correspondants ont
été clairement communiqués à l’utilisateur à chaque stade des études. Ils
représentaient moins de 10 % du coût d’objectif fixé au départ au maître
d’oeuvre. Les études du secteur Est ont été terminées dans les délais prévus
au marché de maîtrise d’oeuvre, l’appel d’offres a été lancé et les offres
reçues en août 2011 sont satisfaisantes. Le marché sera notifié avant la fin de
l’année 2011 dans le strict respect d’une enveloppe financière définie pour
ce secteur depuis deux ans. Les évolutions de programme prises en compte
sont donc restées compatibles avec les marges prévues pour aléas.
Sur le plan technique, capitalisant sur les difficultés rencontrées lors
des opérations précédentes, les diagnostics et sondages (amiante, structure,
fondations,…) ont été renforcés sur les points sensibles. Ainsi les difficultés à
venir ont pu être mieux identifiées avant les travaux. L’appel d’offres du
secteur Est (offres reçues en août 2011, en cours d’analyse), comme indiqué
ci-dessus, s’est avéré fructueux. Il a permis de bien maîtriser le risque
« fondations » cité par la Cour, grâce à son évaluation pendant les études et
à l’ouverture d’une variante dans l’appel d’offre aux entreprises. Le travail
de l’établissement au cours des années 2010 et 2011 a donc permis de gérer
ce risque dans le respect de l’enveloppe allouée au projet du secteur Est.
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COUR DES COMPTES
L’appel d’offre concernant la réhabilitation du secteur Ouest centre a
été publié fin septembre 2011 dans les mêmes conditions, en bénéficiant lui
aussi d’une meilleure anticipation des aléas potentiels.
Cet exemple, et nombres d’éléments fournis à la Cour, permettent de
montrer les efforts réalisés pour corriger les défauts évoqués notamment
depuis la réalisation du secteur Ouest-nord et sud (définition des objectifs,
traçabilité des décisions, …). Cette évolution de l’opération fait partie
intégrante de son histoire.
Elle doit conduire à nuancer le jugement de la Cour qui « considère
que l’EPCJ a géré ses opérations en considérant toujours le délai et la
satisfaction des établissements comme les critères prioritaires au détriment
de la régularité des procédures contractuelles et de la maîtrise du coût
global de l’opération ».
Les dernières opérations montrent la capacité
développée pour concilier des impératifs nombreux et contradictoires.
De la même façon le bilan global jugé « très négatif » par la Cour
doit être regardé à l’aune :
- de l’urgence sanitaire initiale ;
- du parti retenu de travaux et réhabilitation sur place, induisant une
forte complexité et que rien ne démontre comme déraisonnable;
- des difficultés techniques liées au traitement de l’amiante et à
l’intervention sur des bâtiments mal connus ;
- de la longueur de l’opération source d’évolution du besoin.
Le « produit fini » devrait être apprécié globalement en termes de
coût et de service rendu.
c) Les progrès déjà sensibles liés à la création de l’EPAURIF
Comme le souligne la Cour, l’EPAURIF se distingue de l’EPCJ par
une compétence élargie, une gouvernance différente et de nouvelles
modalités de pilotage par le ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche.
Il bénéficie des avancées réalisées en termes de méthode ces dernières
années sur un chantier d’une ampleur peu commune. Il entend les consolider,
notamment à la lumière des recommandations de la Cour.
Le Conseil d’Administration a approuvé une nouvelle organisation
qui permettra de développer des compétences techniques complémentaires.
Des moyens de recrutements (12 postes) lui ont été octroyés à cet effet. La
nouvelle structure renforce également les services support notamment par la
création d’un secrétariat général regroupant la direction des affaires
financières et des moyens et la direction des affaires juridiques issue de la
transformation du service juridique.
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CONCERNES
103
L’établissement a engagé un chantier de redéfinition de ses process et
de ses procédures afin d’assurer une meilleure qualité et en particulier de
veiller à la sécurité juridique, comptable et financière. Il s’est pour cela doté
de l’assistance d’un prestataire extérieur.
Il faut souligner que les nouvelles opérations (une quinzaine ont été
confiées à l’EPAURIF depuis sa création au-delà du périmètre de
l’opération Jussieu) sont régies par un mode conventionnel. Chaque
convention définit des engagements portant sur le contenu de l’opération,
son coût, ses délais et le mode de gouvernance du projet.
De manière cohérente, l’EPAURIF envisage qu’un mandat puisse
fixer pour la dernière phase des travaux de Jussieu les objectifs et le
périmètre programmatique de la mission de l’établissement.
Enfin, il convient de noter que les préconisations de la Cour ont
d’ores et déjà connues un début de mise en oeuvre ou à tout le moins sont
envisagées par l’établissement. Ainsi pour celles relevant d’une action de
l’EPAURIF :
Recommandation N° 1 – Ce cadre est en grande partie défini dans
toutes les conventions d’intervention de l’EPAURIF. La rénovation du cadre
procédural de l’EPAURIF permettra de compléter ce dispositif.
Recommandations N° 2 et N° 3 – Ce dossier est constitué par la
convention d’une part et le programme de l’opération (qui y est annexé)
d’autre part. Il existe pour toutes les nouvelles opérations confiées à
l’EPAURIF. Il doit être actualisé en fonction de l’évolution des opérations.
Des rapports d’activité de l’EPAURIF qui retraceront les évolutions du
projet sont prévus dans les conventions (cf. opérations Condorcet ou Centre
technique du livre de l’enseignement supérieur). Par ailleurs les conventions
font l’objet d’avenants (cf. opération
Langevin) si nécessaire.
Recommandation N° 4 – La création d’un secrétariat général et d’une
direction des affaires juridiques est une première réponse. Elle sera
confortée par la rénovation des procédures et le recours à des expertises
juridiques complémentaires à celle détenues en interne à l’établissement.
Recommandation
N° 5
–
La
traçabilité
des
évolutions
programmatiques mise en place depuis 2009 avec l’université Pierre et
Marie Curie répond en partie à cette préconisation pour le projet Jussieu.
Les autres projets confiés à l’EPAURIF font et feront systématiquement
l’objet d’un programme formel dont la modification devra être actée dans un
avenant à la convention d’intervention de l’EPAURIF.
Recommandation N° 7 – Cette préconisation ne relève pas d’une
action de l’EPAURIF.
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COUR DES COMPTES
Recommandation N° 8 – Cette préconisation a d’ores et déjà été
appliquée sur les derniers secteurs de l’opération Jussieu (voir plus haut).
Elle le sera systématiquement pour les nouvelles opérations. Ainsi plusieurs
conventions particulières concernant l’opération Censier/Poliveau portent
sur des études préalables.
Recommandation N° 11 – Ces contrats sont les
conventions
d’intervention de l’EPAURIF. Ils sont établis systématiquement.
Recommandation N° 12 – Ces comités de pilotage sont prévus dans
les conventions d’intervention de l’EPAURIF. Il est certain que leur bon
fonctionnement sera une condition de réussite des opérations.
Recommandation N° 13 – Suite aux remarques de la Cour, le conseil
d’administration du 3 novembre 2011 se verra effectivement informé plus
précisément sur le suivi financier des opérations. La provision pour Cassan
sera retirée des tableaux de suivi. Néanmoins un arbitrage reste à prendre
sur cette opération et sera nécessaire pour contractualiser un périmètre
définitif de l’opération Jussieu.
Recommandation N° 14 – Cette préconisation sera mise en oeuvre
progressivement. Elle suppose que les arbitrages budgétaires globaux
nécessaires soient rendus sur les opérations dont l’EPAURIF a la charge. Il
faut souligner que dans ses modes d’intervention, l’établissement n’est pas
systématiquement maître d’ouvrage ou maître d’ouvrage délégué. Il n’est
souvent que prestataire de service. Les flux financiers sont alors d’une
ampleur bien moindre.
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REPONSE DE L’ANCIEN DIRECTEUR GENERAL DE
L’ETABLISSEMENT PUBLIC
DU CAMPUS DE JUSSIEU (EPCJ)
(
de septembre 2007 à octobre 2010)
Le rapport souligne clairement les conditions difficiles dans lesquelles
le désamiantage et la restructuration du campus de Jussieu ont été engagés
et qui ont conduit à en faire une opération d’une exceptionnelle complexité.
Sans chercher à être exhaustif, je relèverai notamment, parmi les
éléments évoqués, en tout premier lieu la nécessité d’agir dans l’urgence,
sous la pression médiatique, sous celle du risque amiante, ou encore celle
d’une multiplicité d’acteurs (en particulier des utilisateurs). Je soulignerai
également au départ : l’absence de schéma d’organisation à terme, donc de
programme des besoins, le manque de coordination entre les opérations de
Jussieu et celles de la ZAC Paris Rive Gauche, les annonces de délais ou
d’enveloppes financières largement sous-évalués, la précipitation qui n’a pas
permis la structuration l’Etablissement Public responsable de la maîtrise
d’ouvrage ainsi que la réalisation de diagnostics suffisamment approfondis
sur ces bâtiments techniquement complexes, etc.
Ces « pêchés originels » ont produit leurs effets sur une très longue
durée. Le rapport précise notamment que le niveau des effectifs de l’EPCJ
n’a été considéré comme satisfaisant qu’à partir de 2008 et qu’il a fallu
attendre 2010 pour connaître enfin les conditions d’occupation du site et
donc pouvoir en préciser la programmation définitive.
Dans un tel contexte, en particulier au vu de la difficulté à définir la
nature et le programme des besoins et compte tenu de leur caractère évolutif,
comment exercer un rôle de maître d’ouvrage sans être conduit à exploiter
toutes les possibilités autorisées par les règles de la commande publique ?
Le contour de l’opération s’est défini au fil du temps il a fallu
s’adapter en permanence tout en essayant de respecter les délais
règlementaires imposés pour le traitement de l’amiante.
En dépit de tout cela, l’Etablissement Public a réussi à mettre en
place des outils
de suivi et de prévision qui furent extrêmement précieux
pour les tutelles.
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106
COUR DES COMPTES
Certes, comme le précise le rapport, le délai fixé pour le
désamiantage n’a pas été respecté.
Le désamiantage effectif ne sera terminé
qu’en 2011. Mais il faut préciser qu’au 31 décembre 2010, plus personne à
Jussieu n’était exposé au risque amiante malgré la complexité de l’opération
C’est loin d’être le cas de la plupart des sites amiantés, de sorte que
le ministère de la santé a été conduit à publier un décret le 3 juin 2011 pour
fixer les conditions suivant lesquelles ces sites devront être traités.
S’agissant de programmes de recherche destinés à la plus grande
université scientifique du pays, il est très vite apparu que l’opération ne
pouvait pas être réalisée sans une collaboration étroite avec les utilisateurs.
En effet, eux seuls ont été en capacité de définir et préciser les besoins.
Dés lors, une des
principales difficultés fut de parvenir à mettre en
place des procédures spécifiques avec les responsables de l’université, pour
encadrer les demandes et surtout les modifications de programmes.
Regrettons simplement leur mise en place tardive.
Dans le contexte décrit précédemment, il est exact que l’EPCJ n’a pas
été en capacité de gérer ses opérations autrement qu’en considérant toujours
les critères de délais et de satisfaction des établissements comme prioritaires.
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
107
REPONSE DE L’ANCIENNE DIRECTRICE GENERALE DE
L’ETABLISSEMENT PUBLIC DU CAMPUS DE JUSSIEU (EPCJ)
(de janvier 2007 à juin 2007)
Vous avez bien voulu me faire tenir, sous pli du 27 septembre 2011, le
rapport public thématique, intitulé « le campus de Jussieu : les dérives d’une
réhabilitation mal conduite », et me demander de vous communiquer ma
réponse, que je vous transmets en complément des éléments déjà détaillés
dans mes notes des 6 et 17 juin dernier.
Permettez-moi, tout d’abord, s’agissant de la gouvernance de l’EPCJ,
d’infléchir l’information figurant dans le rapport, selon laquelle la direction
opérationnelle de l’établissement aurait été directement confiée, durant l’été
2007, au directeur général de l’enseignement supérieur. En effet, le jour
même de mon départ, au mois de juin, l’ancien directeur de l’EPCJ sera
physiquement présent dans l’établissement, et retrouvera, de fait, les
fonctions qu’il y exerçait six mois auparavant.
Après avoir pris la décision de me « limoger », les tutelles
manifestaient ainsi clairement leur désaveu de l’action que j’avais
entreprise, et leur souhait de voir oubliés les objectifs que j’avais poursuivis,
tels qu’ils m’avaient pourtant été fixés, le trimestre précédent, dans ma lettre
de mission. Ce document, destiné à servir de socle aux contrats de
performance des deux établissements que je dirigeais, à l’époque, a été remis
au président de la troisième Chambre, lors de mon audition.
De fait, en juin 2007, les tutelles affichaient de nouvelles priorités, qui
repoussaient totalement à l’arrière plan les préoccupations des années
précédentes, à l’origine de ma nomination.
Dans
la
période
antérieure,
les
courriers
du
directeur
de
l’enseignement supérieur faisaient fréquemment état de l’inquiétude suscitée
par l’annonce d’un nouveau « dérapage ». A titre d’exemple, dans la note
jointe du 3 mars 2005, ce dernier « observe que le tableau de synthèse qui
présente les écarts entre le programme initial 2002…et le projet d’APS
global de 2004 fait apparaitre la suppression de plus de 900 m² de locaux
banalisés et travaux dirigés, à fonction transversale, et surtout de 2 700 m²
de salles banalisées de travaux pratiques….au profit des unités de
mathématiques et de physique » et « s’interroge sur les raisons qui ont
présidé à ces réorientations, apparemment peu conformes avec les impératifs
prioritaires d’avancement des travaux d’ensemble… ».
La mission interministérielle, composée de l’inspection générale des
finances, de l’inspection générale de l’administration de l’éducation
nationale et du conseil général des Ponts et Chaussées, avait été décidée, à
la fin de l’année 2004, dans l’objectif de mettre un terme définitif aux
« dérapages ».
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COUR DES COMPTES
Mais, le déroulement de la mission tripartite n’a pas eu l’effet
escompté, et à l’automne 2006, force était de constater que ses
recommandations étaient restées lettre morte dans la totalité des domaines
expertisés, et que la conduite des opérations n’avait connu aucune
accélération.
Un an et demi après l’achèvement de la mission interministérielle, le
risque de voir le dossier de Jussieu figurer, à nouveau, parmi les affaires
pénales ne pouvait plus être écarté, sauf à prendre d’urgence des mesures de
redressement particulièrement énergiques. La date butoir du désamiantage
étant réglementairement fixée au 31 décembre 2010, il ne restait, en effet,
que quatre ans pour retirer les matériaux amiantés dans 40 % des surfaces
du campus, soit environ 76 000 m², alors que les surfaces déjà désamiantées
demeuraient inutilisables, faute d’avoir été réaménagées.
A l’époque, les universitaires ne cessaient de déplorer publiquement
l’absence d’ouverture des chantiers de restructuration des bâtiments vidés et
désamiantés depuis plusieurs années, et c’est dans ce contexte difficile que
les tutelles ont pris la décision de me nommer à la tête de l’EPCJ.
A l’automne 2006, j’avais déjà reçu la lourde tâche de constituer le
nouvel établissement public d’aménagement universitaire, et j’ai, tout
d’abord, refusé de prendre la responsabilité d’une structure supplémentaire,
dont les missions de contrôle, qui s’étaient succédées depuis plusieurs années
dans l’établissement, n’avaient cessé de dénoncer les dysfonctionnements et
l’absence de performance.
Par la suite, non seulement je n’ai bénéficié, en aucune circonstance,
du soutien escompté des tutelles, mais, rien n’a été mis en place,
conformément aux assurances qui m’avaient pourtant été données. C’est
ainsi notamment que la présidence du conseil d’administration de
l’établissement n’a pas été confiée, comme prévu, au recteur de l’académie
de Paris, alors que sa nomination avait été actée, et même déjà intégrée dans
l’article des statuts relatif à la limite d’âge. Il convient aussi de souligner
qu’en dépit de mes demandes réitérées, les nominations indispensables au
fonctionnement même de l’établissement n’ont été effectuées que fort
tardivement, vers la fin du premier semestre 2007.
C’est ainsi que pendant pratiquement toute la durée de mon
« passage » à l’EPCJ, j’ai été privée des outils essentiels de gouvernance que
constituent un conseil d’administration et un comité technique paritaire,
alors que j’étais supposée « remettre de l’ordre » au sein de l’établissement.
A ce propos, le rapport signale que ma « volonté affirmée de remettre
de l’ordre dans le pilotage de l’opération, que ce soit dans le cadre des
relations avec les universités ou du management interne de l’établissement, a
été rapidement très mal perçue par les personnels et certains interlocuteurs
universitaires ».
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CONCERNES
109
Concernant mes interlocuteurs universitaires, permettez-moi de
préciser, à nouveau, n’avoir jamais eu à subir que l’hostilité d’une seule
université, et de rappeler que l'annonce de ma nomination avait suffi à la
déclencher, son président m’écrivant, le jour même de ma prise de fonction,
alors que j’avais déjà demandé à le rencontrer : « …Comme vous le savez,
l’état (sic) a confié à l’EPCJ la maîtrise d’ouvrage du désamiantage de
Jussieu. Comme vous le savez aussi, l’Université Pierre et Marie Curie,
Première Université Française, est la principale affectataire des locaux
rénovés par les soins de l’EPCJ……..je serai extrêmement attentif à la
notification dans les délais des marchés des coques du secteur Ouest et de
réhabilitation de la Tour centrale. Je suis certain que toute remise en cause
des avant-projets serait vécue comme une catastrophe par tous les collègues
qui sont délocalisés depuis plusieurs années et par les défenseurs des
victimes de l ‘amiante qui ne manqueraient pas, à juste titre, de s’interroger
sur la cause des retards et la volonté de certains d’empêcher la résolution
d’un véritable problème de santé publique. Je vous souhaite une excellente
année 2007…. »
Cette
université
m’adressera
ensuite
d’autres
lettres
aussi
déplaisantes que ce courrier du 13 mars 2007, cité dans le rapport : « des
rumeurs récentes auxquelles vous n’avez jusqu’ici, pas à ma connaissance
réagi, font état de la possible installation de la bibliothèque de l’Institut des
Hautes Etudes d’Amérique Latine à la place de l’ancienne bibliothèque de
Paris 7……les collègues physiciens et chimistes et les étudiants sauront
s’opposer à toute utilisation arbitraire du campus qui se ferait au détriment
de leurs études et/ou du risque santé ».
Puis, le 27 mars 2007, l’EPCJ sera rendu destinataire du courrier
électronique suivant, dont je vous prie de bien vouloir trouver également une
copie, en pièce jointe : « Nous avons reçu ce jour une lettre du recteur, dans
laquelle on peut soupçonner la main de l’EPCJ et complètement orthogonale
avec la politique de l’UPMC ! Par conséquent le Président a décidé de
suspendre tout contact avec l’Etablissement public, bien que l’Université ait
toujours coopéré avec celui-ci dans l’unique souci de voir achever au plus
vite le chantier de désamiantage. Par conséquent, la réunion prévue demain
MERCREDI 28 mars 2007 à 16 h est annulée ! »
A partir de cette date, le président de l’UPMC Paris 6 ne cessera de
« déplorer » publiquement, avec la plus parfaite mauvaise foi « qu’il n’y a
plus de dialogue avec l’EPCJ.. » et de reprendre cette affirmation comme
une antienne, dans toutes ses déclarations.
Ce rappel des faits m’a paru indispensable pour éclairer la rédaction
du rapport. Je tiens également à préciser avoir systématiquement porté les
courriers de l’UPMC à la connaissance des tutelles, qui ont toujours été
tenues étroitement informées de la situation sur le campus.
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COUR DES COMPTES
S’agissant ensuite des réactions des personnels, le rapport mentionne
que « lors de l’assemblée générale du personnel du 26 avril 2007, une
motion à la directrice générale, critiquant vivement les méthodes de
management de l’établissement, a recueilli plus de trente signatures ».
Là encore, rien ne venait étayer un tel reproche, et nombre d’agents
qui avaient été incités « par solidarité » à signer ce texte m’ont exprimé
ensuite leur vif regret de l’avoir fait, et d’avoir ainsi participé à des attaques,
qu’ils ont eux même qualifié de cabale.
Du reste, lors du CTP, que j’ai pu enfin réunir, le 5 juin 2007, j’ai
obtenu l’adhésion de tous les représentants du personnel, qui ont approuvé à
l’unanimité l’organigramme que j’avais élaboré.
A cette date, proche de celle de mon « limogeage », non seulement les
craintes et les appréhensions étaient entièrement levées, mais la mise en
place de l’encadrement prévu dans le nouvel organigramme était acceptée
par l’ensemble des personnels, qui m’accordaient leur confiance pour mettre
en oeuvre les réformes envisagées, et prévoir les mesures d’accompagnement
indispensables, notamment en matière de formation.
Permettez-moi aussi de préciser que la situation au sein de
l’établissement avait évidemment favorisé l’organisation d’une cabale, dans
la mesure où certains agents craignaient de perdre les divers avantages qui
leur avaient été consentis, et que la plupart aurait préféré demeurer sans
encadrement.
A ma prise de fonction, j’avais découvert une gestion particulièrement
baroque des personnels. La plus grande opacité régnait dans l’établissement,
tant en termes d’organisation que de gestion. Certains agents disposaient
d’avantages spécifiques et les décisions relatives aux attributions avaient été
prises, à titre personnel, indépendamment des compétences et des
expériences.
L’ambiance générale n’était pas bonne, en particulier au sein des
services techniques, que le chef du service n’était plus du tout en mesure
« d’encadrer » depuis de longs mois. La conduite des opérations incombait
aux « cellules », dirigées pour la plupart par des agents de catégorie B, que
toute autre structure de maîtrise d’ouvrage aurait recrutés en qualité
d’assistants techniques, à des niveaux N-3 ou éventuellement N-2, par
rapport à celui des chefs de projet.
D’importantes responsabilités avaient aussi été confiées à des agents
sans formation, ni expérience en matière de maîtrise d’ouvrage : certains
présentés comme « ingénieurs » appartenaient en fait au corps des
ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation (ITRF) du
ministère ; d’autres n’avaient effectué de parcours professionnel que dans
des domaines fort éloignés de ceux de la construction, par exemple dans le
commerce du vin, pour celui qui était en charge de l’ensemble des
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CONCERNES
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conventions de travaux avec les universités, évoquées dans ma
note du 6 juin
dernier.
En dehors de ses attributions en matière de transferts, le chef de la
cellule des déménagements s’était également vu confier le soin de mener à
bien des opérations complexes de plusieurs millions d’euros, afin de reloger
des laboratoires dans les barres de Cassan. Mais, comment cet agent aurait-
il pu concevoir qu’un dépôt de permis de construire y était impossible, et que
l’établissement d’un schéma directeur de sécurité de l’ensemble de ces
bâtiments en constituait le préalable indispensable ?
L’une des notes du 8 juin 2007, destinées à rendre compte de la
situation opérationnelle à mon arrivée et des mesures correctives déjà prises
le signale explicitement, et vous voudrez bien la trouver jointe à ma réponse,
ainsi que les notes relatives au secteur ouest, à la tour centrale et à l’IPGP.
De manière générale, à divers endroits du rapport, les agents en
charge des opérations sont qualifiés de « chefs de projet ». Ce qualificatif me
paraît d’autant moins correspondre à la réalité de l’époque, qu’aucune
structure de projet ne pouvait exister en 2007, au sein de l’établissement. Il
convient, en effet, de rappeler que l’EPCJ avait même été volontairement
organisé de façon antinomique, et que les dossiers y étaient au mieux
répartis de façon thématique. En avril 2005, la mission interministérielle
avait déjà estimé indispensable de revoir entièrement cette organisation et de
supprimer notamment le système dit des « cellules ».
Ensuite, le rapport indique que « de nombreuses personnes ont quitté
l’établissement, lors des premiers mois de 2007 » et cite, pour l’ensemble de
l’année, le chiffre de dix-huit départs, qui figurait déjà dans les extraits du
rapport provisoire qui m’avaient été communiqués, le 5 mai dernier.
Permettez-moi donc de préciser, à nouveau, n’avoir eu connaissance
que du départ ou du projet de départ de onze agents, en y incluant même le
départ à la retraite du chef du service technique, et la mutation du Secrétaire
général.
Puis, en complément des indications figurant dans ma note du 6 juin
dernier, je souhaiterais rappeler que la mission tripartite signalait déjà, en
2005, la grande mobilité des personnels de l’EPCJ, la jugeant bien
supérieure à celle de l’EMOC (actuel OPPIC) en raison de ses modes de
recrutement. C’est ainsi qu’il est notamment écrit, dans la fiche relative à la
maîtrise d’ouvrage constituant l’annexe numéro 9 du « rapport Hespel » que
« 90% des agents de l’EPCJ procèdent du corps du ministère de
l’équipement, ce qui pourrait être un gage de qualité, mais qui soulève la
question du déroulement de carrière de ces fonctionnaires détachés et
accentue l’effet d’un taux de rotation déjà fort ».
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COUR DES COMPTES
C’est bien pourquoi je n’avais pas manqué, dès mon arrivée, de
prendre en compte cette remarque en sollicitant des tutelles l’inscription de
l’établissement sur le « décret liste », ce qui semblerait apparemment s’être
avéré utile après mon départ.
Enfin, il me paraît nécessaire de revenir sur les propos du directeur
général de l’enseignement supérieur rapportés ainsi : le DGES « tient à
souligner la forte implication des agents en poste mais déplore le départ d’un
nombre important de collaborateurs. Ceci fragilise l’établissement dans la
mesure où d’importantes fonctions ne sont plus exercées que par intérim : la
fonction juridique, la direction de l’équipe amiante, la direction de l’équipe
projet du secteur ouest » Le rapport ajoute ensuite que « les chefs de projet
de la tour centrale et du secteur ouest ont ainsi quitté l’établissement lors de
la phase de démarrage des travaux de ces opérations ».
Permettez-moi, en effet, de considérer qu’il s’agit là de propos de
circonstance, prononcés lors d’un conseil d’administration, et de signaler
que j’avais aussi tenu à adresser, en toutes occasions, des remerciements aux
personnels, pour leur implication, et que je n’avais pas manqué également de
faire leur éloge devant les membres du CA du 15 mai 2007.
J’ai déjà indiqué qu’il n’existait malheureusement, à l’époque, ni
équipes projet, ni chefs de projet. Le rapport corrobore tout à fait cet état de
fait, à travers d’autres prismes, en soulignant, à maintes reprises, que la
culture de résultat était totalement étrangère à celle de l’établissement et
qu’aucun de ses agents ne concevait son travail en termes d’objectifs.
La mise en place de structures de projet demeurait conditionnée par
celle d’une nouvelle organisation, qui ne sera instituée qu’après mon départ,
sur la base de l’organigramme que j’avais fait approuver par le CTP.
S’agissant des chefs de projet, la plupart des postes ainsi créés nécessitait le
recrutement d’ingénieurs ou d’architectes expérimentés, en mesure de
pouvoir exercer ce type de fonction.
Aucune structure de projet n’existait donc en 2007, ni pour le secteur
ouest, ni pour la tour centrale, respectivement confiées à la cellule
rénovation constructions sur site et à celle du désamiantage. Dans les deux
cas, force était de constater que les résultats obtenus étaient plutôt
désastreux, et il ne paraît guère étonnant, dans ces conditions, que leurs
responsables aient préféré ne pas assumer les conséquences de leur conduite
d’opération, et choisi de quitter rapidement l’établissement.
Aucun d’entre eux ne représentait le pouvoir adjudicateur, et n’était
évidemment responsable in fine des opérations qui leur avaient été confiées.
Mais, on pouvait légitimement s’interroger sur leur exercice de la maîtrise
d’ouvrage, pendant la phase essentielle du montage de ces opérations.
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CONCERNES
113
En matière de travaux, tout « se joue » en amont, et le maître
d’ouvrage public constitue l’acteur essentiel du dispositif avant le début de la
phase opérationnelle. Il lui incombe, en effet, de s’assurer de la prise en
compte des multiples paramètres de réalisation d’une opération, et de
s’efforcer de bannir tout aléa, préalablement à l’ouverture du chantier.
La valeur du résultat final reposera pour l’essentiel sur la qualité de
son anticipation et, bien entendu, sur celle du dossier de consultation des
entreprises, qui devra être exhaustif et parfaitement clair, sous peine de ne
pas obtenir de la part des sociétés de construction, les offres escomptées.
Une fois le chantier ouvert, le rôle du maître d’ouvrage public
s’estompe considérablement jusqu’à la phase des opérations préalables à la
réception. Certains organismes interdisent même à leurs agents de participer
aux réunions de chantier, pour éviter que leur présence et leurs éventuelles
interventions puissent être assimilées à de la maîtrise d’oeuvre.
Les structures de maîtrise d’ouvrage, devant rendre compte du bon
usage de l’argent public, travaillent habituellement dans le cadre d’un
programme détaillé, comportant un coût et des délais. Bien que les pratiques
en cours à l’EPCJ aient été sensiblement différentes, les responsables
d’opération auraient dû, à tout le moins, me semble-t-il, suivre attentivement
l’évolution des montants financiers des différents marchés, dont la
responsabilité leur avait été confiée.
S’agissant du secteur ouest, son responsable considérait pourtant
qu’un projet pouvait être approuvé sans être accompagné d’aucune
estimation financière. C’est ainsi que j’avais reçu le projet afférent au
marché n° 8, et lorsqu’il est ensuite apparu que des travaux supplémentaires
de 2 millions d’euros y avaient été intégrés, à la demande de l’UPMC Paris
6, il m’a paru indispensable d’en saisir les tutelles, et de proposer à
l’université de les mettre en « option » dans le futur appel d’offres. (cf. ma
note déjà communiquée du 23 février 2007)
Quant au marché n° 7, ma note jointe du 8 juin 2007 fait apparaitre
les nombreux dysfonctionnements directement imputables à la conduite de
l’opération, qu’une gestion simplement attentive et rigoureuse de son
responsable aurait pu, en grande partie, éviter.
Il convient, en effet, de rappeler que cet agent avait « oublié »
que
l’avant projet sommaire avait été approuvé, en octobre 2004, sans que le
bureau de contrôle ait pu se prononcer, en l’absence d’études de diagnostic
et de sondages sur les existants, communiqués par la maîtrise d’ouvrage.
S’agissant pourtant d’un marché de 130 M d’€, cette réserve du
bureau de contrôle ne sera levée dans aucune des étapes ultérieures, le
maître d’ouvrage validant néanmoins l’avant-projet sommaire, le 5 avril
2005, l’avant projet définitif, le 2 décembre 2005, et enfin, le 21 juin 2006, la
phase projet.
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COUR DES COMPTES
Bien que cet aspect du dossier soit évidemment crucial, et qu’aucun
problème financier n’ait pu constituer un obstacle, le responsable du secteur
ouest ne semble jamais s’être préoccupé, durant deux ans, de la réalisation
des études de diagnostic. En mars 2007, leur cahier des charges, n’était
même pas encore élaboré.
En juin 2006, alors que la consultation d’entreprises était imminente
et que le dossier d’appel d’offres avait déjà été transmis à la commission des
marchés de l’Etat, le bureau de contrôle confirmait donc ses réserves, et
signalait à nouveau que les « démolitions d’ouvrages à caractère structurel
principal ne pourraient être envisagées qu’après qu’une étude des existants
ait établi leurs caractéristiques précises, et qu’une méthodologie de
démolition et de confortation des existants ait été définie »
Comment ne pas s’étonner également des autres « oublis
» de cet
agent, auquel avait été confiée l’opération la plus importante du campus ?
D’autres éléments essentiels manquaient, en effet, dans le dossier dont la
constitution relevait de la responsabilité exclusive du maître d’ouvrage,
notamment les études relatives à la sécurité incendie, et les diagnostics
obligatoires avant travaux concernant le plomb et l’amiante. Divers points
importants auraient dû aussi être étudiés et précisés avec les autorités
compétentes, au sujet du permis de construire, pour être intégrés dans la
consultation d’entreprises.
Mais, au lieu de chercher à améliorer ce dossier avant le lancement
de l’appel d’offres, l’agent en charge du secteur ouest a choisi d’exonérer la
maîtrise d’oeuvre de l’élaboration d’un véritable dossier de consultation
d’entreprises. En renonçant ainsi à une phase d’études contractuelles, et en
optant pour la simple reproduction matérielle d’un dossier projet, dont il
avait à peine eu le temps de prendre connaissance, il a volontairement privé
la maîtrise d’ouvrage de la dernière opportunité offerte pour améliorer
sensiblement la qualité du dossier soumis au chiffrage des entreprises.
La composition du cahier des clauses techniques particulières (CCTP)
ne sera même pas vérifiée avant sa remise aux entreprises en juillet 2006, et
c’est ainsi qu’on y trouvera, par exemple, une simple note sommaire établie
en septembre 2005, à titre purement indicatif, pour définir la méthodologie
de démolition des rotondes, constituant pourtant des ouvrages à caractère
structurel principal du campus.
Si le manque de temps est supposé avoir été à l’origine de tels
errements, le choix des modes de dévolution des marchés s’avérait alors
totalement incongru. En effet, pourquoi décider d’allonger de plusieurs mois
l’appel d’offres du marché n° 7, en optant pour une procédure restreinte,
alors que ce délai aurait pu être judicieusement mis à profit pour améliorer
le dossier de consultation ?
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CONCERNES
115
Quant
au
marché
n° 6,
avoir
choisi
une
procédure
aussi
« chronophage » que celle d’un « dialogue compétitif » n’était, en aucune
manière, justifié par la fourniture de façades n’exigeant aucune espèce de
performance, et paraissait donc non seulement inutile, mais inadapté.
Enfin, un dernier point reste à signaler au sujet des diligences de cet
agent, que l’UPMC Paris 6 recrutera, à son départ de l’EPCJ. L’une des
missions importantes des responsables d’opération consiste à veiller avec la
plus grande attention à la qualité de la composition des équipes de maîtrise
d’oeuvre, ainsi du reste qu’à celle des équipes chargées des missions
d’assistance à maîtrise d’ouvrage, et à celle des conducteurs de travaux, au
début de la phase chantier.
Dans le cas du secteur ouest, l’agence d’architecture qui n’avait
jamais été incitée à constituer son équipe, n’avait même pas encore, en mars
2007, lancé le recrutement des architectes qui seraient chargés de cette
opération, au sein de l’agence, et aucun chef de projet n’avait même été
désigné.
S’agissant ensuite de l’opération de la tour centrale, on aurait pu, au
moins, escompter que la partie du projet relative à l’amiante aurait été
correctement analysée et traitée par la responsable de l’opération,
puisqu’elle dirigeait, depuis cinq ans, la cellule de désamiantage du campus.
Tel n’a malheureusement pas été le cas. S’agissant du marché n° 2, le
Dossier Technique Amiante (DTA) n’avait même pas été intégré dans le
dossier de consultation des entreprises, et sa communication à l’entreprise
en charge des travaux de restructuration n’a été effectuée qu’après la
notification du marché, en février 2007, ce qui a, alors, suscité une vive
réaction de sa part.
A l’époque, cette entreprise s’est, du reste, plainte que « les
conséquences de la présence d’amiante dans la tour centrale aient été
masquées dans les pièces écrites d’origine et n’aient pas fait l’objet de
commentaires au cours des visites préalables, le site étant réputé exempt
d’amiante ».
Or, sans revenir sur l’ensemble des observations figurant dans ma
note jointe du 8 juin 2007, il convient de rappeler que les vingt-quatre dalles
de la tour centrale étaient demeurées amiantées, à la suite de l’échec, en
mars 2005, des tentatives de dépose.
La quasi totalité des plaques amiantées de fibro-ciment était, en effet,
restée accrochée en sous face des dalles béton de la tour, et il paraît difficile
d’imaginer que la responsable de la cellule de désamiantage ait pu
« oublier » l’épisode aussi fâcheux, qui avait affecté le bâtiment le plus
emblématique du campus.
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116
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Le dossier remis aux entreprises comportait bien d‘autres lacunes, et
la conduite des travaux s’est vite avérée chaotique, entraînant des risques
majeurs pour les personnes qui ont conduit l’inspection du travail à
promulguer un arrêt de chantier. C’est à cette occasion que j’ai découvert
l’absence de prise en compte, depuis plusieurs semaines, d’observations
réitérées du coordonnateur santé-sécurité.
En outre, s’agissant d’une tour accumulant les caractéristiques les
plus exigeantes en matière de sécurité-incendie, une attention particulière
aurait dû être portée à cet aspect du projet. Or, le chantier de restructuration
a été ouvert sans que les réserves émises, lors de la délivrance du permis de
construire, aient été préalablement levées. L’agent en charge de l’opération
n’avait pas veillé à obtenir l’ensemble des validations réclamées par la
préfecture de Police, qui en faisait, à nouveau, la demande, dans une note
jointe du 2 mars 2007.
Enfin, il est apparu rapidement que la cohérence d’ensemble de
l’opération n’était pas assurée, et que la question des interfaces entre les
différents marchés n’avait pas du tout été prise en compte par la responsable
de l’opération.
Or, contrairement à la date indiquée dans le rapport, la décision de
lancer les marchés en lots séparés a été prise bien avant le mois de décembre
2006, vers la fin du printemps 2006. L’agent en charge de l’opération aurait
donc pu parfaitement organiser une consultation en vue de la sélection d’un
cabinet chargé d’une mission d’OPC (ordonnancement, pilotage et
coordination).
Mais, par facilité, la mission d’OPC sera confiée au titulaire de l’un
des marchés de la tour centrale. Par ce choix, en aucune manière justifié par
des considérations financières, l’agent en charge de l’opération manifestait
sa totale méconnaissance des caractéristiques de ce type de mission, qui peut
d’autant moins être confiée à une entreprise qu’elle constitue une assistance
à maîtrise d’ouvrage, impliquant d’élaborer des propositions d’action, en
veillant à leur respect par l’ensemble des acteurs.
D’après le rapport le successeur de cet agent « qui assumait ces
fonctions en plus de ses responsabilités antérieures, éprouvait de grandes
difficultés pour gérer correctement cette opération » Il est certain que la
gestion de son prédécesseur n’était guère susceptible de favoriser le bon
déroulement des travaux de la tour centrale, étant à nouveau précisé que le
travail du maîtrise d’ouvrage se situe pour l’essentiel, bien en amont de
l’ouverture du chantier.
S’agissant, ensuite, de la fonction juridique, je tiens à souligner que
j’appréciais beaucoup, à titre personnel, le chef du service des affaires
juridiques et des marchés, que j’avais, du reste, eu l’occasion de connaitre
avant qu’il ne parte, en détachement, pour l’EPCJ.
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ADMINISTRATIONS
ET
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ORGANISMES
CONCERNES
117
Mais, cet agent souhaitait réorienter sa carrière, après une dizaine
d’années passées dans l’établissement, et nous étions, en toute hypothèse,
convenus qu’il pourrait lui sembler difficile, sinon délicat d’y instaurer une
nouvelle culture, beaucoup plus rigoureuse.
Or, le renforcement de la sécurité juridique des marchés me
paraissait constituer un véritable impératif, justifiant de rechercher un
nouveau responsable pour sa mise en oeuvre.
En conséquence, ce recrutement sera rapidement envisagé, en
complément de celui de l’ingénieur économiste de la construction, qui avait
déjà obtenu l’approbation de son détachement, et qui devait aussi rejoindre
rapidement l’établissement,
Les compétences des ingénieurs économistes de la construction ne se
limitent pas, en effet, aux aspects purement techniques des opérations ainsi
qu’à leur chiffrage, et englobent aussi les modalités juridiques de leur
réalisation.
A l’époque, un certain nombre de recrutements aurait pu être
immédiatement mis en place, y compris dans le domaine technique, puisqu’en
cherchant à constituer l’EPAU, j’avais pu trouver dans mes anciennes
équipes, des architectes et des ingénieurs particulièrement expérimentés, qui
acceptaient d’être recrutés, dans un premier temps, par l’EPCJ, pour m’y
aider à « monter » les opérations. Tous avaient déjà démontré leur capacité
à fédérer de nombreux partenaires, et à coordonner leurs actions.
Mais, lorsque les menaces me concernant se sont précisées, j’ai
naturellement veillé à mettre un terme à toutes les demandes de mutation en
cours, pour éviter aux agents concernés de se retrouver en situation difficile.
Mon « limogeage » n’a donc pas permis de faire venir les cadres A+,
dont le recrutement aurait pourtant pu beaucoup apporter à l’établissement,
en favorisant notamment l’introduction des « bonnes pratiques » inhérentes à
l’expérience, qui s’avère absolument fondamentale en maîtrise d’ouvrage.
Il m’a paru souhaitable de développer ce point, en réponse au
rapport, avant de revenir brièvement sur le marché n° 7, au sujet duquel je
vous ai déjà communiqué des éléments, en juin dernier.
En raison de la rédaction du rapport, permettez-moi, tout d’abord, de
préciser que l’attribution de ce marché, à la suite de sa présentation à la
commission d’appel d’offres du 13 décembre 2006, a été effectuée avant ma
prise de fonction.
Il me revenait, en revanche, de le notifier, ce que je me suis finalement
résignée à faire, après avoir découvert que la « mise au point », que
conduisait, depuis un mois et demi, le responsable de l’opération
s’apparentait, de fait, à une tentative de négociation, n’ayant, en tout état de
cause, aucune chance d’aboutir.
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COUR DES COMPTES
Le texte de l’annexe spécifique, repris dans le rapport, montre bien
dans quelle situation particulièrement incongrue nous nous trouvions, à
l’époque.
Le seul objectif de ce document, élaboré entre les services de l’EPCJ
et les responsables de l’entreprise attributaire était de ménager la possibilité
de mettre en place une solution opérationnelle, et d’éviter ainsi d’avoir
entièrement perdu les neuf mois qui s’étaient écoulés depuis le lancement de
la procédure d’appel d’offres restreint, pendant lesquels aucune des études
de diagnostic n’avait même été réalisée, en « temps masqué ».
Une alternative beaucoup plus « confortable » aurait consisté à faire
« auditer » l’opération, puis à faire établir l’ensemble des études manquantes
et à relancer entièrement la consultation, sur la base d’un nouveau dossier,
validé notamment par le bureau de contrôle. Mais comment en présenter la
nécessité sans avoir à exposer les graves erreurs commises dans la conduite
de l’opération ?
Son annonce aurait été inévitablement très mal vécue sur le campus,
en raison des délais nécessaires pour relancer la consultation. En outre, les
surcoûts risquaient d’être tout à fait considérables. La seule solution, au
milieu du gué, était de poursuivre.
Enfin, le rapport note, à diverses reprises, que les coûts différentiels
des opérations du campus de Jussieu s’avèrent particulièrement difficiles à
appréhender, faute d’avoir été correctement retracés. J’ajouterai que la
fréquente absence des dates de valeur afférentes à leurs montants rendait
l’exercice
vraiment
délicat,
et
qu’il
m’était
apparu
d’autant
plus
indispensable de préparer à l’attention des tutelles une épure de l’ensemble
des dépenses prévisionnelles, aussi exhaustive que possible.
C’est ainsi que j’ai pu la leur présenter, dès le mois de février 2007,
et, comme le contrôleur financier visait depuis quelque temps des marchés
allant bien au-delà du plafond de dépenses approuvé, j’ai pris ensuite
l’initiative de demander, sur cette base, le doublement du plafond de
dépenses fixé en 2002, afin de le faire porter à 1,4 milliard d’euros.
La lecture du rapport m’a appris que l’enveloppe budgétaire globale
avait été, par la suite, régulièrement réévaluée, sans formalisme particulier.
Le rapport note, en effet, que « depuis la fin de la mission tripartite,
l’enveloppe budgétaire allouée à l’opération n’a fait l’objet que d’une seule
validation formelle, sous la forme d’une annexe financière à la réunion
interministérielle d’avril 2007 » il s’agit de la RIM du 10 avril, dont j’avais
préparé les différents points à l’ordre du jour.
Par
ailleurs,
s’agissant
des
modalités
d’intervention
de
l’établissement, je tiens à indiquer que je ne partageais pas du tout la
position exprimée antérieurement par l’EPCJ sur le principe du mandat de
maîtrise d’ouvrage, considérant, à la lumière de mon expérience, que les
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119
contraintes sont bénéfiques, tant pour les maîtres d’oeuvre que pour les
maîtres d’ouvrage délégués.
Les solutions architecturales les plus intéressantes ne sont-elles pas
mises en oeuvre sur les parcelles les plus complexes, et les solutions
techniques les plus innovantes ne sont-elles pas souvent issues de la
recherche d’économies ?
Or, la position de l’établissement ne paraît pas avoir évolué, depuis
cette époque, puisque le rapport indique qu’en janvier 2009, le directeur de
l’EPCJ écrivait que « la formule du mandat….loi MOP n’est pas la formule
la plus adaptée dès lors que les actions techniques, juridiques et financières
sont soumises à l’approbation du « véritable maître d’ouvrage, celui pour
lequel l’ouvrage est construit », lequel a priori n’est pas spécialiste de ces
questions ».
Il va de soi qu’un professionnel ne ferait pas réaliser ses opérations
de construction, en mandat de maîtrise d’ouvrage, et que cette formule est
justement conçue pour répondre aux besoins de ceux qui ne sont pas des
spécialistes de ces questions. Mais, si cela implique, pour le maître
d’ouvrage délégué, de devoir donner des explications parfois longues, seule
son absence volontaire de clarté peut les rendre difficiles.
Par ailleurs, s’agissant des effectifs, le rapport signale que leur
niveau « n’a été considéré comme satisfaisant qu’à partir de 2008 » et
précise que l’effectif de l’établissement est passé de 38 à 57, entre 2004 et
2010.
Permettez-moi, donc, de rappeler avoir aussi établi à l’attention des
tutelles un ensemble de documents présentant sous forme de comparatifs, les
ratios souhaitables des effectifs de maîtrise d’ouvrage, rapportés notamment
au coût prévisionnel des opérations.
C’est ainsi que j’ai pu obtenir, non sans difficulté, le relèvement du
plafond d’emplois de l’établissement qui sera « acté » lors de la réunion
interministérielle, citée ci-dessus.
J’ai donc pu, l’annoncer aux personnels, le 5 Juin 2007, lors du CTP,
après l’avoir évoqué devant les membres du conseil d’administration, le
15 mai 2007, mais mon « limogeage » est évidemment intervenu avant que
j’ai pu mettre en oeuvre les recrutements correspondants.
La réunion de ce conseil d’administration m’a également donné
l’opportunité d’y faire une communication relative aux modalités de pilotage,
de planification et de suivi de l’ensemble des opérations du campus. La
lecture du rapport m’a appris que cette initiative n’avait pas été renouvelée
par la suite.
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En conclusion, en dépit de la brièveté de mon « passage » à l’EPCJ,
ceux qui m’ont succédé ont pu bénéficier notamment d’un doublement du
plafond de dépenses, de la nouvelle organisation que j’avais conçue et fait
approuver par les personnels, ainsi que de la possibilité de pouvoir procéder
aux recrutements correspondants, grâce au relèvement du plafond d’emplois
que j’avais obtenu.
Telles sont les précisions que je souhaitais porter à votre
connaissance, et que je vous serai vivement reconnaissante de bien vouloir
prendre en considération.
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REPONSE DU PRESIDENT DE L’UNIVERSITE
PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
En terme de réponse, je ne peux que confirmer la réponse déjà faite
au rapport préliminaire par mon prédécesseur : le Président Jean-Charles
Pomerol en juin 2011. Je ne reprendrai donc pas l’ensemble de son
argumentation, d’autant plus qu’il fait de son côté une réponse au rapport
public thématique. Je me contenterai donc de contester la partie consacrée à
l’insuffisante responsabilisation des établissements universitaires qui laisse
supposer qu’une partie des retards et des dépassements financiers sont liés à
un manque de rigueur et de constance de l’UPMC dans son schéma directeur
de relogement de ses laboratoires. Je tiens à dire que les faits montrent le
contraire : l’avancement de la réhabilitation n’a jamais été aussi performant
que lorsque la direction de l’EPCJ et la Présidence ont pu enfin travailler de
concert sans perturbations extérieures, comme la décision imposée de
maintenir l’IPGP dans le secteur ouest, les retards dans le déménagement
des équipes de Paris Diderot ou la décision de l’IPGP d’accueillir le
laboratoire Langevin dans ses nouveaux locaux de l’Ilot Curie.
Si les présidences successives de l’UPMC n’ont eu de cesse que de
demander à l’EPCJ de ne pas accepter de la part des laboratoires de
modification de plan qui n’ait pas été validée par l’équipe présidentielle, il
n’en demeure pas moins que l’évolution de la recherche, les restructurations
des équipes faites en concertations avec nos partenaires des EPST ont
conduit forcément à des modifications d’un schéma élaboré plus de 10 ans
auparavant.
Enfin, vis-à-vis des conflits concernant les relogements, le rapport
laisse supposer que le Président de l’époque se soit satisfait des surcoûts
occasionnés par ses décisions à propos des trois déménagements successifs
imposés au laboratoire d’informatique. Contrairement à ce que laisse
supposer cette partie du rapport, les personnels comme la direction de
l’UPMC ont toujours fait preuve de compréhension vis-à-vis des contraintes,
tant matérielles que financières, que rencontrait l’EPCJ dans la conduite du
chantier. Il est très remarquable que l’UPMC ait pu maintenir son activité de
recherche et son niveau d’excellence dans les conditions très perturbantes du
chantier de désamiantage. Cela n’a pu se faire que grâce à la bonne volonté
des personnels ce qui supposait quand même un soutien de la direction de
l‘UPMC
lorsque
les
exigences
de
certains
décideurs
devenaient
insupportables pour ne pas dire incompréhensibles. Il serait bon que le texte
du rapport public tienne compte de ce contexte dans son appréciation de la
situation et du rôle de chacun des partenaires.
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REPONSE DE L’ANCIEN PRESIDENT DE L’UNIVERSITE PIERRE
ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(de 2001 à 2006)
En application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, et
particulièrement de son article 29 relatif aux propos à caractère
diffamatoire, la Cour a estimé nécessaire de retirer plusieurs termes de la
lettre. Des crochets signalent ces retraits.
J'ai suivi avec attention l'épopée de la rénovation du campus Jussieu
depuis le début puisque j'étais déjà dans l'équipe présidentielle à la fin du
mandat de Jean Claude Legrand, puis étroitement associé à la gouvernance
de mon prédécesseur en tant que vice-président du conseil scientifique en
charge de la recherche dans les sciences du vivant et de la santé. Les deux
présidents qui m'ont succédé en 2006 puis en 2011 faisaient partie de
l'équipe présidentielle que j'ai conduite entre 2001 et 2006. Je considère que
globalement, en ce qui concerne la nécessité de doter la première université
française en Sciences et Médecine d'un campus digne de ce nom, la ligne
politique de notre université a été d'une grande constance tout au long de ces
mandats successifs. On ne peut que constater, à la lecture du rapport, qu'il
n'en a pas été de même en ce qui concerne l'attitude des pouvoirs publics et
de leur « bras armé » à Jussieu. Sans reprendre les remarques fort
judicieuses de mes successeurs, je voudrais revenir sur plusieurs points
importants qui concernent la période où j'étais aux affaires et terminer par
une remarque plus politique sur l'attitude pour le moins ambigüe du
Gouvernement et de l'Etat après la promulgation de la loi LRU.
Il est bon de rappeler l'urgence qui a résulté de la publication du
décret relatif à la protection de la population contre les risques liés à
l'amiante en février 1996, puis des multiples recours introduits devant la
juridiction pénale et le tribunal administratif de Paris par le Comité anti-
amiante conduisant à exiger une date butoir pour le retrait de l’amiante fixée
au 31 décembre 2004. Il est bon également de rappeler que l'Université Paris
7 et l'Institut de Physique du Globe n'ont pas fait preuve d'une grande
célérité en ce qui concerne les mesures à prendre pour réaliser cet objectif
qui fut repoussé successivement au 31 décembre 2007, puis au 31 décembre
2010. L'Université Paris 7 qui avait fait le choix, cette même année 1996, de
quitter Jussieu pour s'installer sur un nouveau campus situé sur la ZAC
Tolbiac, choix validé par l'Etat et la Ville de Paris, a refusé tout
déménagement intermédiaire de ses laboratoires, à la notable exception des
mathématiques, et ce d'ailleurs parce qu'elle ne voulait pas perdre le contact
avec la communauté des mathématiciens de l'UPMC qui avait d'emblée
accepté de quitter le campus. Ce faisant elle a constamment freiné les
opérations de désamiantage pratiquant une sorte de chantage pour obtenir
des arbitrages financiers en sa faveur et faire payer une partie de sa
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réinstallation par la soulte de Jussieu, ce qu'elle obtint avec succès et
explique une partie non négligeable de la dérive financière. Le rapport
pointe d'ailleurs qu'il en a, par la suite, été de même de l’IPGP dont le
chantage reçut constamment un accueil bienveillant de l'Etat comme
récompense sans doute aux contorsions idéologiques de son ancien directeur.
Seule l'UPMC a fait tout ce qui était en son pouvoir dès le début pour
accélérer le chantier.
Le rapport laisse à croire que le défaut originel de l'EPCJ réside dans
la façon dont a été commencée l'opération. Il n'en est rien à mes yeux. Je
n'oublie pas qu'à l'origine, sous le ministère de François Bayrou, ce sont les
universités qui ont eu la responsabilité d'enclencher l'opération, y compris la
décision de construire le nouveau bâtiment Esclangon, l'externalisation des
informaticiens dans les locaux du CEA et le choix de la barre expérimentale.
Mon prédécesseur s'est immédiatement attelé à la tâche car la création de
l'EPCJ, intervenue le 17 avril 1997, ne fut effective qu'à l'automne. La
gouvernance initiale de l'EPCJ donnait une importance majeure au président
du conseil d'administration Bernard Dizambourg, ancien président de
l'université de Créteil. Ces deux faits expliquent de mon point de vue le
rythme soutenu constaté au départ, tant dans la mise en oeuvre, en relais de
l'UPMC, de la barre expérimentale, la construction du bâtiment Esclangon,
la construction de deux bâtiments transitoires entre les barres de Cassan et
le gril et la réalisation de nombreux algécos pour permettre le maintien des
activités pédagogiques sur le site, l'obtention des arbitrages nécessaires pour
le démarrage du chantier du bâtiment Atrium et la célérité avec laquelle nous
avons pu organiser l’externalisation des activités de recherche pour libérer
le secteur Ouest. En réalité la première cause des retards remonte à la fin du
gouvernement Jospin et à l'arrivée de Jack Lang au ministère. L'architecte X
[…..] a remis en cause le permis de construire des premières barres alors
que les travaux étaient commencés. L'architecte Jean Nouvel, s'inscrivant
dans le paysage, a voulu proposer un plan global qui a nécessité de nouvelles
concertations avec nous. Cela s'est traduit par la remise en question du choix
d'englober les poteaux du gril sous prétexte du maintien de l'intégralité de
l'oeuvre de l'architecte Albert malgré l'urgence et a entraîné par la suite un
surcoût d'entretien énorme pour l'université. Lang et Nouvel n'ont tenu aucun
compte des résultats de la barre expérimentale qui s'était pourtant soldée par
des économies de 25 % par rapport à l'estimation avec une amélioration
considérable de la résistance au feu.
La comparaison des coûts avec l'opération Tolbiac n'est certes pas à
l'avantage de l'ECPJ, mais encore faudrait-il introduire dans le calcul des
coûts de celle-ci l'ensemble des dépenses qu'elle a entraînées et entraîne
encore (confère l'épisode de l’IUT ou le maintien des mathématiciens de
Paris 7 à Chevaleret) sur la soulte de Jussieu et prendre en compte le
déséquilibre lié à la moins grande intensité de l’activité de recherche dans
les sciences expérimentales à Paris 7 par rapport à l’UPMC.
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Le présent rapport fait allusion aux difficultés rencontrées par la
direction de l'EPCJ avec la présidence de l’université Pierre et Marie Curie
en raison des divergences entre les directeurs des UFR et la présidence de
1'université. Ceci aurait nécessité une analyse plus sérieuse. Depuis le début
des années 2000, la recherche française était en phase de restructuration
pour la remettre au coeur des préoccupations universitaires. D'autre part, la
crise des vocations estudiantines pour les disciplines universitaires
scientifiques nécessitait une restructuration drastique de l'enseignement.
Ceci imposait un pilotage de réformes structurelles - qui furent effectivement
conduites avec succès - recentré à la présidence de l’UPMC et c'est sur ces
bases que j'ai été élu président en 2001 à la suite d'un débat politique
m'opposant à un autre candidat qui voulait au contraire maintenir la
prééminence des directeurs d'UFR. Mais l'adaptation des avant-projets aux
nouvelles données n'a en rien entraîné des retards en raison de la
collaboration très étroite que nous avions à l'époque avec le Président
Dizambourg. C'est ainsi que la sortie des mathématiciens et des
informaticiens fut totale dès le troisième trimestre 1998 et que les opérations
permettant le départ des physiciens et la libération du secteur ouest furent
réalisées dans des temps raisonnables. Dès 2003 les opérations auraient pu
commencer sur le secteur Ouest et les dates imposées par le tribunal
administratif auraient pu être respectées.
Le présent rapport s'étale sur ce qu'il appelle la crise de 2007 en
refusant de revenir sur celle de 2003 qui fit suite au renvoi à l'été de Bernard
Dizambourg et sur le fait qu'il fut remplacé par un personnage falot tandis
que le pouvoir de décision réel était transféré au directeur de l'EPCJ, lequel
décréta la pause et voulu faire auditer le travail de Bernard Dizambourg en
dépit de l'urgence créée par les décisions du tribunal administratif. Cette
crise, alimentée par le rapport sénatorial qui préconisait un transfert de
l'UPMC à La Villette aboutit à la décision ministérielle de diligenter une
nouvelle enquête bicéphale, la partie Economico-Technique étant confiée à
Véronique Hespel qui a cherché par tous les moyens à remettre en cause les
arbitrages antérieurs et la partie scientifique au professeur Pantaloni, le seul
qui a eu une approche équilibrée vis-à-vis de l'université. S'en est suivi une
valse hésitation concernant la destruction de la tour Zamansky, des nouveaux
retards sur le secteur Ouest et l'amplification de la dérive budgétaire liée à
la prolongation des baux.
Le rapport croit bon de mentionner, pour s'en offusquer, un passage
de mon livre « Quand l'université se réveille tout devient possible »
concernant le second déménagement imposé aux informaticiens, mais néglige
de considérer le tort considérable causé à l'université et à ses agents par
l'éloignement, douze années durant, d'une composante essentielle de
l'université avec une charge d'enseignement considérable (près de 2 000
étudiants en licence et en master d'informatique) imposant d'innombrables
allers-et-retours aux jeunes maîtres de conférence, au détriment de leur
activité de recherche. Mais j'avais reçu l'assurance de l'ancien haut
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commissaire René Pellat qu'ils pourraient rester à condition d'accepter un
réaménagement interne car il voulait installer des activités liées à la sécurité
nucléaire. Son renvoi brutal de son poste entraîna un changement de la
politique du CEA à l'égard de son site parisien sans qu'il soit tenu compte le
moins du monde des intérêts de la première université française ! Il n'y avait
aucune raison de pénaliser encore plus cette communauté et l'EPCJ dut se
résoudre à revoir sa proposition pour la rendre acceptable par les
informaticiens.
Curieusement, le rapport ne s'interroge pas sur les motivations réelles
du refus par l'ENSCP de revenir sur le campus Jussieu. Cela lui évite
évidemment de questionner sur le rôle pernicieux de l'association Paris Tech
dans cette aventure. Cela évite aussi à la Cour des Comptes une
interrogation sur les orientations réelles de l’Etat. Au moment où la ministre
déclarait la nécessité de rapprocher les écoles d’ingénieur des universités,
pourquoi a-t-elle favorisé l'affaiblissement du lien entre l'UPMC et l’ENSCP
pourtant établissement public rattaché à l'UPMC ? Ce que l'ENSCP a refusé,
quand j'étais encore président, c'était l'occupation complète par les deux
écoles d'ingénieurs (Polytech-UPMC et ENSCP) du bâtiment Esclangon pour
leurs activités de formation étant donné que les activités de recherche
seraient regroupées au sein d’un grand pôle de recherche en chimie dans le
secteur Est. Pour ce qui concerne l'université Sorbonne Nouvelle, à l'époque
associée à l’UPMC au sein de Paris Universitas, là encore l'attitude de l'Etat
fut pour le moins suspecte. Pour les aider au désamiantage de Censier,
j'avais accepté qu'une partie de cette université et de son administration
s'installe sur le gril. Le conseil d'administration de l'UPMC avait d’ailleurs
délibéré sur ce point. Mais il avait été entendu dès le début que ce serait pour
des activités permettant une symbiose entre nos établissements et dans une
configuration assurant à l'UPMC la gestion globale de l’ensemble. Au lieu
de cela l'ECPJ et le ministère entreprirent des conversations avec cette
université sans y associer l’UPMC et tentèrent de nous imposer des choix,
par exemple l'implantation de la maison de l'Amérique Latine, qui ne nous
convenaient pas. Par la suite, les constatations faites sur l'état de la barre de
Cassan située le long de la rue Cuvier et les retard cumulés du chantier
rendirent caduque cette proposition.
A l'été 2003, le classement de Shanghaï, constamment répété depuis
lors, démontrait que seules quelques universités françaises, au premier rang
desquelles l'UPMC et Paris Sud, étaient capables de soutenir la concurrence
des universités anglo-saxonnes. Le vote de la loi LRU, en août 2007, qui
prévoyait expressément que les établissements en faisant la demande
pourraient se voir transférer la propriété de leurs biens immobiliers, puis la
déclaration du Président de la République une année plus tard indiquant que
la possession de ces biens par les universités était une condition nécessaire à
une réelle autonomie, aurait dû logiquement conduire à l'intégration de
l'EPCJ au sein de l'UPMC afin de disposer d'une gouvernance en phase avec
le seul établissement désormais présent sur le site, puisque l'IPGP devait
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s'installer dans l'îlot Cuvier. Il n'en a rien été. In fine, l’incurie de
l'Etablissement Public du Campus Jussieu, que dénonce assez bien le rapport
a, en quelque sorte été récompensée par l'Etat qui en a augmenté le
périmètre en le transformant en Etablissement Public d'Aménagement
Universitaire de la Région Ile-de-France.
Dans ces conditions, c'est avec une certaine inquiétude que j'ai pris
connaissance à la lecture de ce rapport que la remise en état des barres de
Cassan devrait être financée dans un autre cadre. Il serait pour le moins
curieux que la soulte dédiée au campus Jussieu, dont les barres de Cassan
sont des éléments indissociables, continue à être utilisée pour des opérations
à Tolbiac, pour financer des locaux tampons, ou pour des opérations au
bénéfice de tout autre université d'Ile-de-France, et pas pour ce à quoi elle
était initialement destinée. A moins que la création de l'EPAURIF n’ait eu
précisément comme objectif que d’amputer l'UPMC des moyens qui lui sont
nécessaires dans la compétition internationale.
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
127
REPONSE DE L’ANCIEN PRESIDENT DE L’UNIVERSITE
PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(
de
2006 à 2011)
Quelques commentaires généraux
1/ Sur la crise de 2003-2007 et le secteur Ouest, le rapport est clair et
montre bien que les deux ans et demi de retard ne sont pas imputables à
l’UPMC. C’est ce retard qui explique en grande partie l’explosion des coûts
de location des locaux de substitution puisque les baux de Boucicaut, de
Voltaire et de Chevaleret se terminaient en 2008-2009 et ont dû être
prolongés ou renouvelés dans des conditions défavorables.
De même pour la séparation du secteur centre ouest, dont le rapport
n’estime pas le coût mais qui se compte en dizaines de millions.
2/ L’appréciation de « laxiste » de Madame de Nadaillac concernant
la prise en charge par l’UPMC de travaux de parachèvement, ensuite
remboursés par l’EPCJ ne doit pas être reprise sans examen.
En effet, dans l’Atrium des salles de TP de chimie avaient, par
exemple, été livrées sans aération réglementaire et avec des douches sans
écoulement bien que figurant dans l’APD. Ces travaux de finition inhérents à
tout chantier ont conduit à une charge (de mémoire) de l’ordre de 300 000
euros pour l’université dont une partie prise en charge par l’EPCJ (la moitié
je crois). En effet, nous avions besoin de ces salles pour la rentrée et l’EPCJ
n’était pas équipé pour faire les travaux. Je pense que les décisions ont été
validées en CA. Nous avions un marché avec bon de commande pour les
petits travaux. Dans le secteur Ouest, compte tenu des multiples
dysfonctionnements et aménagements divers, il y a eu un vrai appel d’offre
de parachèvement ce qui demande plusieurs mois. C’est avec ce genre
d’affirmation péremptoire que la nouvelle directrice a vite perdu tout crédit.
3/ A plusieurs reprises, le rapport indique que l’université est
« déresponsabilisée » en matière de financement du chantier ou est un
« client » qui ne paye pas. C’est formellement juste mais dans la pratique
faux, en effet, nous avons toujours cherché à faire des économies ne serait-ce
que parce que nous étions très intéressés à l’avancement du chantier, quinze
ans de travaux, de déménagements, d’enseignements dans des salles
précaires, de sécurité douteuse nous suffit. De ce point de vue, les membres
de l’UPMC sont très motivés et ont toujours cherché à gagner du temps et
donc de l’argent.
Sur le fond de la question, si nous devions être co-responsables du
financement avec l’Etat, il faudrait que nous soyons co-responsables des
décisions, ce qui n’était pas le cas et n’a jamais fait l’objet d’une réflexion.
La Cour suggère une responsabilité dans la gestion des locaux de
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substitution. Ceci ne se comprend pas sans engagement précis en terme de
délais. Les baux sont pris sur la base de prévisions d’achèvement des travaux
et quand comme en 2003-2007, on prend deux ans et demi de retard (sur
quatre ans !), l’établissement qui a signé le bail se retrouve en difficulté,
c’est ce qui s’est passé. Il faut donc bien être associé aux grandes décisions
du chantier, comme par exemple le fractionnement des marchés et évaluer le
risque de marchés infructueux suite à une estimation financière irréaliste.
Beaucoup de décisions de conduite des opérations prises par l’Etat
étaient inapplicables faute de référence à un calendrier toujours glissant.
Ainsi dans tous les rapports, y compris le rapport Larrouturou, on considère
que l’UPMC dispose de 220 000 m
2
alors que ce ne sera pas le cas avant
l’achèvement tandis qu’un tiers du gril est encore en travaux, une partie
encore amiantée (une estimation des surfaces presque réaliste, puisque
Kennedy 7569m
2
n’est plus occupé par l’UPMC au 31/12/2010).
On mélange de plus allègrement surface de recherche (laboratoires)
et enseignement.
Conclusion
Au total, l’ancien président de l’UPMC considère que ce rapport
solidement étayé analyse bien le manque de coordination et de vision dans
les décisions. A notre avis, dans un chantier de cette ampleur, l’Etat ne sait
pas assurer ce rôle (les responsables changent trop vite, ils n’ont aucun
intérêt au résultat final), le seul vraiment motivé est l’utilisateur final. Mais
comme évidemment, on ne peut pas travailler à bourse ouverte, il faut un
couple utilisateur final, financeur et seulement en cas de désaccord durable
un arbitre haut placé. »
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
129
REPONSE DU PRESIDENT DE L’UNIVERSITE PARIS DIDEROT
(PARIS 7)
L’extrait du rapport public sur «Le campus de Jussieu : Les dérives
d’une réhabilitation mal conduite » que vous m’avez transmis n’appelle pas
de remarque particulière de ma part.
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COUR DES COMPTES
REPONSE DU RECTEUR DE L’ACADEMIE, CHANCELIER DES
UNIVERSITES DE PARIS LA SORBONNE
Je sais que le Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
envisage d'adresser à la Cour une réponse unique de l'Etat.
Dans ces conditions, je n'ai pas d'observation à formuler.
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
131
REPONSE DE L’ANCIEN RECTEUR DE L’ACADEMIE DE PARIS
(
de 2002 à 2008)
En réponse à votre lettre du 27 septembre 2011, me faisant parvenir
un exemplaire du rapport public thématique relatif au Campus de Jussieu,
j’ai l’honneur de vous indiquer que je n’ai pas d’observations à présenter ni
de réponse à faire.
En effet, j’ai quitté mes fonctions de recteur de l’académie de Paris le
15 décembre 2008 et je n’ai en ma possession aucune documentation de
nature administrative. Le caractère strictement confidentiel du document
m’interdit, par ailleurs, de me rapprocher des deux vice-chanceliers des
Universités de Paris, Jean-Dominique Lafay de décembre 2002 à mai 2005 et
Pierre Grégory de mai 2005 à août 2010, que la nature même de leurs
fonctions amenait à suivre, au jour le jour, à mes côtés, les travaux de
construction de la ZAC Paris rive gauche, et les opérations de
déménagement de l’Université Paris VII Denis Diderot.
Comme la Cour le sait, le recteur-chancelier des Universités de Paris
n’a obtenu de compétences sur l’ensemble des constructions universitaires
qu’à partir de la création de l’ EPAURIF en 2010.
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REPONSE DU DIRECTEUR GENERAL DE L’INSTITUT DE
PHYSIQUE DU GLOBE DE PARIS
Nous vous informons que ce rapport n’appelle aucune remarque de
notre part.
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REPONSES
DES
ADMINISTRATIONS
ET
DES
ORGANISMES
CONCERNES
133
REPONSE DE L’ANCIEN DIRECTEUR GENERAL DE
L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
(
de 2007 à 2008)
J’ai bien pris connaissance du rapport sur Jussieu que vous m’avez
fait parvenir en septembre dernier lequel rapport n’appelle aucune
observation particulière de ma part.
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REPONSE DU PRESIDENT-DIRECTEUR GENERAL
DE BOUYGUES CONSTRUCTION
La lecture de ce document n’appelle pas d’observations particulières
de la part de Bouygues Construction.
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ANNEXE
Documents photographiques
Principaux bâtiments du campus
de Jussieu
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L’atrium
- p.17
Le bâtiment
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Vue intérieure du bâtiment
Source : EPAURIF
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La tour centrale, dite «Tour Zamanski»
- p.18
Vue extérieure du bâtiment avant désamiantage
Source : EPAURIF
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La réhabilitation de la tour centrale
Source : EPAURIF
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La «tour Zamanski» réhabilitée
Source : Cour des comptes
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L’îlot Cuvier : nouvel emplacement de l’institut de
physique du globe de Paris (IPGP)
- p.23
Le pavillon historique de l’îlot Cuvier avant
réhabilitation ...
Source : EPAURIF
… et après réhabilitation
Source : Cour des comptes
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Le secteur ouest
- p.26
Une barre du secteur ouest évacuée avant travaux
Source : EPAURIF
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Un patio du secteur ouest après réhabilitation
Source : EPAURIF
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Le secteur ouest-sud réhabilité et ouest-centre en
cours de désamiantage, vus depuis la dalle
centrale du campus
Source : Cour des comptes
Vue du secteur ouest-nord réhabilité, depuis
l’extérieur
Source : Cour des comptes
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