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Seul le prononcé fait foi
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Rapport public thématique sur
« Les collectivités locales
et la gestion des déchets ménagers et assimilés »
Discours de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Mardi 13 septembre 2011
Mesdames, messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce matin à la Cour des comptes pour la présentation de son rapport sur les
collectivités locales et la gestion des déchets ménagers et assimilés.
Vous savez toute l’importance, économique et environnementale notamment, d
e la gestion des déchets.
C’est tout particulièrement le cas pour les déchets ménagers. Leur gestion est, pour nos concitoyens, une
préoccupation essentielle, sous les angles à la fois pratique, environnemental, mais aussi souvent fiscal. Le
service publ
ic de proximité qui l’assure est un de ceux auxquels les Français sont le plus attentifs.
Une enquête récente du CREDOC révèle que parmi les gestes que nos concitoyens sont prêts à faire en faveur
de l’environnement, l’élimination et le tri des déchets ar
rivent en tête.
La Cour et les chambres régionales des comptes sont donc soucieuses de prendre périodiquement une vue de
cette gestion des déchets ménagers. Notre précédent travail remontait au début des années 2000. Ses
conclusions ont été publiées dans le rapport annuel de la Cour des comptes pour 2002. Or, nous allons le voir,
depuis 2002, la gestion des déchets ménagers a beaucoup évolué.
La présente enquête a mobilisé plus de 70 rapporteurs dans les 20 chambres régionales des comptes qui y ont
participé. Ils ont contrôlé plus de 150 organismes locaux compétents en matière de gestion des déchets
ménagers
: départements, syndicats mixtes, communautés de communes et d’agglomérations, communes et
syndicats de communes. Cette variété des situations locales fait aussi la richesse de ce rapport.
Après vous en avoir présenté en quelques minutes les principales conclusions, je répondrai à vos questions. Je
serai assisté dans cet exercice par M. Jean-Marie BERTRAND, rapporteur général, et par M. Nicolas BRUNNER,
président de la chambre régionale de Languedoc-Roussillon, qui a piloté cette enquête.
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Quels sont les principaux constats faits par le Cour et les chambres régionales des comptes lors de cette
enquête qui a porté sur la période 2004-2010 ?
Je souha
iterai souligner tout d’abord que ce service public local s’est largement amélioré au cours des dix
dernières années : dans une grande mesure, les collectivités locales ont su répondre aux attentes des Français.
Cependant, pour satisfaire les exigences environnementales européennes et nationales, exprimées notamment à
l’occasion des deux «
Grenelle de l’environnement
», la gestion des déchets ménagers doit encore s’adapter.
Le premier grand constat fait par la Cour fait état de résultats environnementaux en progrès, certes,
mais qui restent
moyens par comparaison à ceux de nos principaux partenaires européens.
Un point très important est tout d’abord que, depuis quelques années, contrairement à une idée reçue, la
production des ordures ménagères produites quotidiennement connait une baisse régulière (374 kg par habitant
et par an en 2009, 391 kg en 2007). En revanche, les déchets occasionnels des ménages, c’est
-à-dire les
encombrants et les déchets verts,
augmentent, en raison notamment du succès des déchèteries,
ce qui est
relativement meilleur pour l’environnement, en diminuant les dépôts sauvages.
L’effet combiné de ces évolutions est donc une hausse continue de la production des déchets des ménages,
hausse un peu moins rapide depuis 2005.
Ensuite, la gestion des déchets ménagers a connu de nombreux progrès depuis 2002.
Je n’en citerai que quelques aspects :
- au prix de travaux coûteux, les normes européennes sont désormais respectées par la totalité des 128
incinérateurs existants ;
-
l’objectif, fixé en principe à l’horizon 2002, de suppression de la mise à la décharge pour les déchets autres
qu’ultimes a été largement respecté, plus de 4000 décharges ayant ainsi été fermées. En complément,
aujourd’hui, un effort soutenu de réhabilitation de
s décharges anciennes est en cours ;
- troisième progrès, le tri et la collecte sélective ont connu une évolution spectaculaire puisque plus de 98.5 %
des communes offrent aujourd’hui un tel service
;
- quatrième point, le nombre des déchèteries a pratiquement doublé et les 4629 déchèteries recensées couvrent
actuellement 96 % de la population ;
- enfin, le taux de valorisation des déchets collectés, par exemple sous forme de recyclage ou de production
d’énergie, a augmenté,
même si nous n’atteignons pa
s en France un niveau suffisant dans ce domaine.
La France se situe en effet dans la moyenne européenne. C’est principalement dû à deux raisons
:
-
comme je l’ai indiqué, le recyclage et la valorisation biologique sont encore insuffisants
: le taux national est de
33%, alors que les objectifs environnementaux communautaires fixés par la directive de 2008 par les
engagements pris après les deux «
Grenelle de l’environnement
» imposent désormais de recycler au moins 50
% des déchets ménagers à l’horizon 202
0. Par comparaison, le taux allemand de compostage et de recyclage
est de 66 %, le reste étant incinéré, la mise en décharge ayant quasiment disparu. Au contraire de la France, où
la mise en décharge (35 %) et l’incinération (30 %) restent trop importantes
;
-
ce que l’on appelle les exutoires, c'est
-à-dire les équipements qui reçoivent les déchets non recyclés (centres
de stockage de déchets ultimes ou
incinérateurs, pour l’essentiel) ne sont pas assez nombreux au niveau
national et surtout sont mal répartis
: une bonne vingtaine de départements manquent d’équipements et doivent
exporter leurs déchets, parfois loin, vers d’autres départements, qui peuvent se trouver au contraire en
surcapacité.
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C’est pourquoi la Cour estime que la poursuite du développe
ment de nouvelles filières de traitement et de
valorisation, par le recyclage ou la production d’énergie ou de chaleur, ainsi qu’une meilleure répartition des
équipements sur le territoire, sont impératives.
Elle recommande d’améliorer les performances du
service public, en informant mieux sur les résultats
obtenus et en favorisant la création d’équipements pour remédier aux carences en exutoires (les plans
doivent être plus précis sur ce point ; des mesures financières incitatives pourraient être prises).
Le deuxième constat fait par la Cour est la complexité du partage des responsabilités entre les
multiples acteurs qui interviennent au plan local dans la gestion des déchets ménagers.
Ces acteurs sont nombreux et mal coordonnés.
La gestion des déchets ménagers, qui comprend la prévention de la production, la collecte et le traitement, est
historiquement une compétence des communes. Les plus souvent, les communes
confient cette gestion à des
établissements publics intercommunaux (syndicats intercommunaux, communautés de communes ou
d’agglomération, communautés urbaines, syndicats mixtes, notamment).
Les prestations elles-mêmes, que ce soit pour la prévention, la collecte et/ou le traitement peuvent être ensuite
mises en œuvre par des entreprises privé
es, délégataires de service public ou titulaires de marchés publics.
Autres acteurs, l’ADEME, qui a été largement associée au déroulement de l’enquête, et les éco
-organismes
apportent des aides et des soutiens, notamment en faveur du tri et de la collecte sélective.
Dans cet environnement institutionnel complexe, les responsabilités des communes et de leurs groupements
mériteraient d’abord d’être clarifiées sur plusieurs points
:
- sur le plan juridique, des irrégularités nombreuses dans le transfert des compétences entre communes et
établissements publics intercommunaux ont encore été relevées par les chambres régionales et les
recommandations faites lors du dernier rapport de la Cour sur l’intercommunalité n’ont pas produit tous leurs
effets ;
- concernant la prévention de la production des déchets, qui fait partie depuis peu des compétences des
communes mais qui relève en fait surtout des producteurs (par exemple pour les emballages), il apparaît
nécessaire d’assister au mieux les communes dans leurs démarches d’élaboration de plans de prévention
;
- enfin, la charge des déchets dits « assimilés » - ceux des entreprises collectés par le service public
ne devrait
pas être supportée par les ménages, ce qui implique d’instituer la redevance spéciale pr
évue par la loi. Or, cette
redevance est aujourd’hui loin d’être généralisée. En effet, seules 12 % des communes ayant institué la taxe
d’enlèvement des ordures ménagères avaient aussi mis en place la redevance spéciale.
Plus généralement, la Cour a constaté que les mécanismes de mise en cohérence de cette organisation
complexe fonctionnaient mal.
Les conseils généraux élaborent, depuis 2004, les plans départementaux de gestion des déchets, qui définissent
les objectifs et sont censés coordonner les actions des différentes collectivités concernées.
Or, ces plans ne peuvent traiter de l’organisation territoriale, qui relève des schémas départementaux de
coopération intercommunale arrêtés par les préfets. En outre, ils restent imprécis et seulement indicatifs pour les
équipements à créer par les collectivités.
Si les préfets participent à l’élaboration des plans, ils exercent le contrôle de légalité des décisions d’application
et autorisent les équipements à créer (usines de traitement, décharges pour les déchets ultimes) au titre de la
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législation sur les installations classées. Pour autant, ils ne jouent pas toujours suffisamment leur rôle d’arbitrage
et d’impulsion lorsque c’est nécessaire.
Certes, un récent décret du 11 juillet 2011, dont plusieurs dispositions vont dans le sens de
recommandations de
la Cour, a renforcé le contenu des plans et améliore leur compatibilité avec les schémas départementaux de
coopération intercommunale.
La Cour et les chambres régionales recommandent d’enrichir encore l
e contenu de ces plans départementaux,
notamment en matière d’équipements à créer, et de renforcer leur suivi, avec une intervention des préfets en cas
de carence des collectivités qui elles-mêmes devraient être mieux impliquées dans la réalisation des objectifs
départementaux, ou régionaux. A cet égard, la question du choix du bon niveau de la mise en cohérence de la
gestion des déchets se pose et il faudra nécessairement y répondre.
Elle
propose également de clarifier les compétences en matière de « déchets assimilés » produits par les
petites entreprises, de généraliser la redevance spéciale et d’aider les collectivités à élaborer leur plan de
prévention.
Le troisième grand constat de la Cour et des chambres régionales des comptes est celui de
l’augmentation des coûts, qui paraissent aujourd’hui mal maîtrisés.
Les coûts du traitement des déchets ménagers et assimilés augmentent régulièrement de 6 % par an depuis
quelques années du fait de l’évolution permanente des normes, des charges de personnel et de
l’amélioration de
la qualité du service rendu à la population. Les contribuables sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à se
plaindre de cette augmentation auprès des collectivités et des services de l’Etat.
En 2009 (ce sont les derniers chiffres disponibles), la dépense totale de gestion des déchets ménagers et
assimilés représente 8 milliards d’euros en 2009, soit 124 euros par habitant et par an ou 298 euros par ménage.
La part des impôts locaux destinée à financer la gestion des déchets ménagers, pèse en conséquence de plus
en plus lourd (5 milliards d’euros sur les 46 milliards de recettes que représentent la
fiscalité locale).
Mais ces chiffres sont nationaux et ne font pas apparaître l’extrême diversité des situations d’une collectivité à
l’autr
e, les coûts de gestion pouvant varier du simple au double ou au triple dans quelques cas extrêmes.
Les coûts augmentent tout d’abord parce qu’ils sont mal maîtrisés.
En particulier, le contrôle des entreprises prestataires est souvent insuffisant et p
ar ailleurs, l’existence de
certains équipements en surcapacité peut accroître les coûts fixes de manière importante.
La difficulté principale tient surtout à ce que pour être maîtrisés, les coûts de gestion des déchets devraient
d’abord être bien mesurés. Force est de constater que c’est loin d’être le cas aujourd’hui.
Les collectivités ne sont en effet pas tenues d’établir un budget annexe «
déchets », ni une comptabilité
analytique spécifique. Le suivi des coûts et les comparaisons, entre collectivités et au niveau européen, sont
donc très difficiles. Et l’on ne peut que constater que la dépense nationale en matière de déchets repose pour
l’essentiel à l’heure actuelle sur de simples estimations de l’ADEME.
C’est pourquoi, la Cour et les chambres régio
nales recommandent une généralisation des outils de mesure et de
connaissance des coûts, préalable indispensable à la maîtrise de leur évolution, notamment
en rendant
obligatoire un budget annexe « déchets » et en généralisant une comptabilité analytique « déchets ».
.
Quatrième constat de la Cour
: le financement actuel de la gestion des déchets est à revoir, car il n’est
plus adapté à la réalisation des nouveaux objectifs environnementaux
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Le financement du service public de gestion des déchets ménagers est assuré par deux recettes principales,
alternatives et exclusives
: la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et la redevance d’enlèvement
des ordures ménagères (REOM).
La taxe est appliquée dans les deux tiers des communes (surtout les communes urbaines) et concerne 56
millions d’habitants, tandis que la redevance a été choisie par un tiers des communes, surtout rurales.
Dans le cas de la taxe, le service est qualifié de service public administratif. Dans le cas de la redevance, il s’agit
d’un service public industriel et commercial, dont les recettes doivent couvrir la totalité des dépenses, ce qui n’est
pas le cas pour la taxe.
La tenue d’un budget annexe regroupant toutes les dépenses est ainsi
obligatoire dans le cas de la redevance,
m
ais il ne l’est pas pour un service financé par la taxe. Par ailleurs, le recouvrement de la taxe est garanti par les
services fiscaux de l’Etat, ce qui n’est pas le cas de la redevance.
Diffèrent également, dans l’un et l’autre cas, le
statut des salarié
s, la nature des contrats ou la responsabilité à l’égard des tiers.
Ces deux modes de financement ont deux points communs cependant
: ils ne comportent pas d’incitation forte
pour améliorer la prévention et le tri par l’usager, et ils n’intègrent pas sau
f exceptions le principe du « pollueur-
payeur
» qui doit être respecté pour mieux préserver l’environnement.
Ainsi, ce sera mon dernier point, la Cour et les chambres régionales recommandent de faire évoluer cette
tarification devenue inadaptée en faisant véritablement converger les deux modes existants dans un sens plus
incitatif pour les usagers, comme d’ailleurs le Parlement l’a déjà posé comme principe dans les lois «
Grenelle 1
et 2 ».
Je vous remercie de votre attention. Nous nous tenons à votre entière disposition pour répondre aux questions.