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Seul le prononcé fait foi
RAPPORT PUBLIC THEMATIQUE
«
LA SITUATION FINANCIERE DES COMMUNES DES DEPARTEMENTS D’OUTRE
-MER »
Discours de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Mercredi 13 juillet 2011
Mesdames et messieurs,
Bonjour à tous,
Merci de votre présence.
Il s’agit
de la seconde conférence de presse consacrée à la situation financière locale
aujourd’hui. Ce matin, j’ai présenté un rapport public thématique portant sur la dette publique locale. A présent, je
vais vous présenter celui que nous avons produit sur la situation financière des communes dans les
départements d’outre
-mer.
C’est la toute première fois que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes produisent un
rapport thématique portant spécifiquement sur l’Outre
-Mer. Toute une équipe de rapp
orteurs s’est appuyée sur la
connaissance précise et détaillée qu’ont les chambres régionales des comptes concernées de la situation
financière des communes de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion. La Cour a aussi tenu à
examiner le rôle d
e l’Etat, privilégiant une approche englobante des finances publiques communales dans ces
départements.
Le contexte général des communes des DOM leur est spécifique, et leur situation financière ne
peut bien évidemment s’apprécier in abstracto, hors de c
e contexte.
Les enjeux ne sont pas nécessairement
les mêmes qu’en métropole, ce qui rend l’approche locale que nous avons choisie d’autant plus nécessaire.
Les
collectivités des départements d’outre
-mer sont confrontées à des questions de gouvernance qui leur
sont propres. Le contexte économique et social spécifique dans lequel elles évoluent montre depuis
quelques années des signes de tension qui ont des conséquences sur les priorités de ces collectivités
territoriales.
Premier élément de contexte : les évolutions démographiques de ces communes varient selon les départements.
La croissance de la population est très forte en Guyane, soutenue à la Réunion, tandis que la population
antillaise est, elle, marquée par un vieillissement progressif. Tout ceci plaide pour des politiques adaptées à la
situation. Ainsi, la vitalité démographique devrait conduire à la poursuite, voire au renforcement, de politiques
d’éducation et de formation, d’accueil et d’intégration. A l’inverse,
le vieillissement de la population devrait se
traduire par des politiques de plus en plus
orientées vers l’accompagnement des personnes âgées, et la
recherche de fixation des populations jeunes et actives sur les marchés locaux du travail.
La croissance économique des DOM a pendant longtemps été
plus élevée qu’en métropole
. Elle a cependant
ralenti à partir de 2008, avant de se dégrader encore davantage en 2009, année marquée par une crise sociale
grave. Or, la structure de la fiscalité rend les collectivités territoriales plus vulnérables aux variations de la
consommation, ce qui a affecté les DOM ces dernières années.
A moyen terme enfin, il faut garder à l’esprit que
les subventions provenant des fonds structurels européens dans le cadre des objectifs de convergence vont, sauf
en Guyane, bientôt disparaître en raison du rattrapage des niveaux de vie.
Seul le prononcé fait foi
Dernier élément de contexte, enfin : les niveaux de chômage outre-mer sont les plus élevés des régions de
l’Union Européenne,
avec nécessairement des handicaps en termes de formation,... Tout ceci
entraîne pour l’Etat
et
l’ensemble des collectivités la nécessité de mettre
en oeuvre de politiques adaptées de cohésion sociale et de
réduction des inégalités.
En se fondant sur les travaux des CRC, le rapport fait état d’un
e sincérité insuffisante des
comptes de certaines communes, surtout en Guadeloupe et de Guyane. Ces comptes ne donnent pas
une image fidèle des flux réels et de leur patrimoine.
Certes, il faut se garder de généraliser, mais de nombreuses communes minorent les restes à réaliser en
dépenses et/ou majorent les restes à réaliser en recettes, tout ceci
afin d’améliorer la présentation de leurs
budgets et de leurs comptes.
De même, certaines communes ne respectent pas assez l
es obligations de rattachement à l’exercice des
charges et des produits.
Enfin,
certaines comptabilités d’engagement défaillantes n’enregistrent pas
les dettes de fournisseurs, et laissent
certaines factures « dans les tiroirs »
, selon l’expression consacrée
.
Dans tous ces cas, une incertitude pèse sur les informations officielles, les comptes de gestion étant établis à
partir de données dont la sincérité et la fiabilité sont sujettes à caution.
La Cour constate cependant que la situa
tion s’améliore progressivement. C’est dû d’un côté à l’intervention
continue des CRC,
et d’un autre côté à
la
mise en place de plans de restructuration, à l’initiative des pouvoirs
publics, qui impliquent la révélation préalable de toutes les dettes fournisseurs, fiscales et sociales
précédemment dissimulées.
Au-delà même de ce manque de sincérité, la situation financière des communes des
départements d’outre
-mer reste toujours très préoccupante.
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, puisque d
ans son rapport public de 1994, la Cour avait déjà
noté l’importance
des déficits. Les recours aux procédures de vigilance budgétaire et financière, qui sont prévues par le code
général des collectivités territoriales sur saisine préfectoral, étaient alors particulièrement nombreux.
Progressivement, le nombre de ces saisines a diminué, notamment en Martinique et à La Réunion. Pour autant,
l’analyse financière qu’
ont conduite la Cour et les CRC fait apparaître une dégradation persistante, voire accrue,
des comptes des communes des DOM.
L
a situation financière des communes des départements d’
outre-
mer présente d’importants
traits communs, par-
delà les différences de contexte que j’ai évoquées
. Depuis 2001, les résultats se dégradent
: d’un côté, les
charges de fonctionnement augmentent fortement
; de l’autre, les ressources ont une croissance
beaucoup plus
faible, et instable. La comparaison avec la moyenne nationale fait nettement apparaître pour les communes des
DOM une capacité
brute d’autofinancement, c’est
-à-dire une épargne, très inférieure à cette moyenne, si bien
qu’en 2009, plus de la
moitié de ces communes ont un autofinancement insuffisant pour faire face à leurs
besoins,
une fois remboursée l’annuité de leurs emprunts.
Il s’agit donc de fragilités structurelles, qui ont
encore été aggravées par la crise économique et
sociale qu’on
t
connue les DOM en 2009, crise conjoncturelle qui a lourdement pesé sur les finances communales.
Malgré cette situation préoccupante,
et à l’inverse des
idées reçues, les communes des DOM
disposent de ressources supérieures à celles de leurs homologues de métropole, même si les
différences se réduisent progressivement.
C’est
la structure spécifique de leur financement qui repose
sur des bases fragiles.
Seul le prononcé fait foi
Le financement des communes est constitué pour plus du tiers par la
fiscalité indirecte
(octroi de mer et taxe
sur les carburants) qu’elles ne maitrisent pas.
Cette ressource augmentait de façon dynamique, en lien avec une
consommation en hausse, avant que cette évolution ne s’interrompe
brusquement avec la crise économique et
sociale de 2009.
La Cour remarque que
l’octroi de mer,
qui est une ressource importante de ces communes, repose sur un
fondement
dérogatoire dont l’avenir est
incertain
. En effet, il faudrait pour maintenir cet octroi qu’un moratoire soit
reconduit en 2014 au niveau européen. Or, l
’Union européenne
a évoqué la possibilité
d’abandonner l’octroi de
mer si les régions
d’outre
-mer
ne prouvent pas qu’il faille à tout prix le maintenir
, au regard des critères de
développement et de compensation des handicaps qu’elle a définis.
Le risque
pour ces communes est d’autant plus grand que ces recettes sont
presque intégralement affectées en
section de fonctionnement. La Cour formule deux recommandations à cet égard :
-
il est nécessaire selon nous que l’Etat conçoive un outil d’analyse de l’eff
et économique du dispositif pour
justifier cette fiscalité dérogatoire ;
-
en complément, nous recommandons d’orienter
davantage
son emploi vers l’investissement public
, essentiel au
développement de ces communes.
La fiscalité directe est moins importante dans les ressources des
communes d’outre
-mer, en raison notamment
de leu
r potentiel fiscal plus limité. Pourtant, des marges de manœuvre existent, et les communes des DOM
doivent optimiser cette ressource, notamment en accélérant l’actualisation des bas
es cadastrales.
En ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement, son montant en 2010 est du même niveau que celui
perçu par habitant par les autres communes françaises. Il existe certes un certain nombre de dispositions
favorables à l’outre
-mer qui ont été introduites par la réforme de 2005, mais elles se concentrent essentiellement
sur la Guyane.
Enfin, la Cour relève que les communes des DOM bénéficient, comme les autres communes, du régime commun
de reversement de la TVA pour les investisseme
nts qu’elles réalisent
. Pourtant, dans trois DOM, la TVA est
acquittée selon des taux minorés
, tandis qu’elle ne s’applique pas du tout en Guyane. Il s’agit donc dans les faits
d’une sorte de «
compensation fiscale » qui
s’apparente en fait
à une subvention, totale ou partielle.
Vous le voyez donc, le problème des communes des DOM ne tient pas à la quantité même des ressources
aujourd’hui disponibles.
Les difficultés
proviennent d’une optimisation difficile de
s ressources des collectivités,
ainsi que, pou
r certaines d’entre elles, d’une incertitude à moyen terme sur leur avenir.
La Cour a analysé
l’emploi de ces ressources. Il en ressort que l
es choix de politiques
communales sont difficilement soutenables à terme. Trop de ressources locales sont allouée
s à l’emploi
public au détriment de
l’investissement.
L’emploi public
a dans ces communes
, dans le contexte de chômage élevé que j’évoquais,
une fonction «
d’amortisseur social
».
Depuis les années 2000, les effectifs communaux ont augmenté plus rapidem
ent qu’en France
métropolitaine,
absorbant une part croissante des recettes de fonctionnement. Ceci a conduit à une rigidité croissante des
charges de structure.
Cette tendance s’est encore accrue ces deux dernières années, pendant lesquelles la
demande d’
emploi local a augmenté, du fait de la hausse du chômage et des accords signés à la suite des
mouvements sociaux de l’année 2009.
Tout ceci est dû au rôle « d’employeur social » que jouent l
es communes des DOM
. D’ailleurs, les exécutifs
locaux revendiquent cette utilisation de la ressource communale qui les a conduits à privilégier le recrutement,
sur des emplois précaires, de personnels peu qualifiés, concentrés sur quelques métiers de faible technicité. La
Cour critique cette gestion particulière des ressources humaines des communes des DOM au regard de deux
éléments :
Seul le prononcé fait foi
Seul le prononcé fait foi
-
tout d’abord,
le
recrutement, le renouvellement de ces personnels contractuels puis leur titularisation n’étaient
souvent pas conformes aux dispositions du statut général de la fonction publique territoriale ;
-
ensuite, ce recrutement a eu un effet d’éviction sur l’emploi des cadres, et
le nombre de cadres est demeuré
très inférieur au strict nécessaire, provoquant ainsi
un déficit d’expertise et de pilotage.
Il ressort de notre exame
n qu’au
-delà même du rôle, difficilement soutenable
, d’amortisseur social
, les
communes ne se sont pas dotées des
outils d’une gestion transparente, qualitative et prévisionnelle de leurs
ressources humaines.
La Cour estime qu’à
l’avenir,
les nombreux départs en retraite prévus des agents communaux, concentrés sur les
effectifs les plus nombreux des métiers de catégorie C, devront être mis à profit. Il faut optimiser cette gestion, en
adoptant une démarche
permettant de rationaliser l’organisation et d’établir l’
utilité de certains emplois, tout en
dotant ces communes d’une politique de formation qui permettent l’évolution des carrières des agents demeurant
en fonction.
En complément, pour éviter ce qui s’est produit, il conviendrait de renforcer le
contrôle de légalité
mené
par les préfets dans le cadre de l’examen des procédures
d’autorisation et de suivi des
emplois,
notamment contractuels.
C
ette politique d’emploi locale
a pour conséquence que
l’investissement est le
parent pauvre des
politiques communales.
Le niveau des dépenses d’équipement des communes des DOM est inférieur à celui de la
métropole, sauf à La
Réunion.
En raison d’une épargne insuffisante, et d’une capacité d’endettement faible, les marges de manœuvre
pour investir sont particulièrement étroites. Fort heureusement pour leurs habitants, et pour leur situation
financière
, les communes d’outre
-mer perçoivent plus de subventions que leurs homologues de métropole,
notamment grâce aux fonds structurels européens, accompagnés par
l’Etat,
tandis que les régions
n’ont pas
totalement
relayé l’effort de la solidarité nationale.
D’une manière générale les communes des DOM sont peu endettées, sauf à La Réunion
, cas très particulier où
le
recours massif à l’emprunt pour y financer les investisseme
nts alors que leurs capacités financières se
dégradent, place nombre d’entre elles en situation de surendettement.
A ces questions de financement de l’investissement
s’ajoute
souvent un déficit de professionnalisme dans la
conduite juridique, technique e
t financière des opérations d’équipement. L’absence de programmation rigoureuse
des investissements, les incertitudes dans les prévisions de financement, ou encore les insuffisances
nombreuses dans le pilotage des opérations ont des conséquences très dommageables. Tout ceci aboutit
fréquemment à des dépassements de coûts, à des reports de projets, à des étalements de programmes, ou
encore à des retards parfois tels que
l’utilité de l’opération
peut être remise en cause.
De plus, l’intercommunalité qui s’est développée presque au même rythme qu’en métropole,
n’a pas permis de
compenser l’insuffisance de l’investissement communal, surtout en
Guadeloupe où la coopération
intercommunale est faible et où la gouvernance est déficiente.
En réponse à ces politiqu
es d’investissement déficientes, la Cour recommande que le régime de l’octroi de mer,
je le répète, soit davantage consacré au financement des investissements de la sphère communale et ce, en
conformité avec les orientations européennes.
Devant cette situation, le
rôle de l’Etat dans la régulation des finances locales n’est pas adapté
. Il
intervient en effet trop tardivement, et ne prévient pas suffisamment les situations de crise.
Les préfets disposent de divers moyens pour assurer la régulation des finances locales. Mais devant
l’insuffisance des
résultats obtenus, la Cour recommande un
renforcement de ces moyens, qu’il faut adapter aux
objectifs poursuivis.
Il existe un réseau d’alerte
sur les finances locales qui a pour vocation de détecter et de prévenir les difficultés
financières des communes, par le suivi de ratios spécifiques. Or, ce
réseau d’alerte n’exerce pas assez
le rôle
préventif qui en est attendu, particulièrement pour les communes des DOM. La méthode de calcul des scores
retenue pour l’
outre-mer, ne permet pas une hiérarchisation pertinente du risque financier. En outre, son usage
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confidentiel par les préfets nuit à son efficacité vis-à-vis des communes. Nous recommandons de rendre ce
réseau public.
De même, le contrôle de légalité exercé par les
services de l’Etat, gagnerait
à évoluer. La Cour recommande de
mieux le cibler en fonction des risques propres aux DOM, de mieux coordonner l
es services de l’Etat
y
concourant, voire, dans certains DOM,
d’exercer effectivement ce contrôle…
.
Le contrôle des actes budgétaires, procédure de mise sous vigilance des collectivités en difficulté par la CRC, a
été particulièrement développé dans les DOM, surtout en Guadeloupe et en Guyane. La diminution tendancielle
du nombre des saisines est le fruit de plusieurs facteurs, mais
surtout de l’engagement des acteurs
.
C’est grâce à
l’exercice plein et entier de leurs attributions en la matière par les préfectures,
grâce à la célérité de la CRC dans
ses avis rendus, grâce enfin à la
sincérité de l’ordonnat
eur dans
l’information qu’il fournit et
à sa réelle volonté de
mettre en oeuvre les
préconisations, que la situation s’est améliorée
.
Mais
cette procédure n’est pas adaptée aux situations
les plus graves, celles
d’insolvabilité
chronique de
certaines communes. Nous formulons un certain nombre de propositions, détaillées dans le rapport, pour
améliorer l’efficience de cette procédure et
pour renforcer les cas de saisines en anticipation de crise.
Enfin, ce rapport aborde les dispositifs de restructuration financière qui ont été mis en oeuvre
spécifiquement pour les communes de Guadeloupe et de Guyane.
A partir de 2004, les services de l’Etat ont mis en place
avec l’AFD
un dispositif contractuel pour aider certaines
communes de Guadeloupe et de Guyane à res
taurer leur équilibre financier. Il s’agissait de leur octroyer un
prêt
permettant de réaménager leur passif et, pour certaines d’entre elles, il s’agissait directement de leur verser une
subvention exceptionnelle.
Les remarques de la Cour à ce sujet sont de deux ordres.
Formellement, nous remarquons que ce dispositif déroge aux règles prudentielles de la comptabilité publique,
qu’il
se
caractérise par une absence de formalisme qui conduit à l’application de critères de sélection
variables
selon les c
ommunes, et surtout qu’il a pour conséquence d’évincer les communes les plus endettées.
Toutefois, nous soulignons aussi que les premières évaluations montrent que ces dispositifs permettent de
restaurer des marges de
manœuvre
financières aux communes bénéficiaires
, même s’ils
ne garantissent pas la
correction des causes profondes des déficits.
Nous recommandons donc, dans l’hypothèse où cette démarche
devait être maintenue, de lui donner un
fondement légal et de définir des critères de sélection des communes éligibles.
Je vous remercie de votre attention, nous nous tenons à votre entière disposition pour répondre à vos questions.