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Une réforme inaboutie du dialogue social dans la fonction publique

COUR DES COMPTES

La loi de transformation de la fonction publique de 2019 a eu pour ambition de moderniser et simplifier le dialogue social dans les trois fonctions publiques : moderniser en permettant de conclure des accords collectifs à l’instar du secteur privé, simplifier en réduisant le nombre d’instances sociales pour alléger les procédures de gestion courante des personnels du services publics et créer des instances de dialogue social plus stratégique. Si une concertation de nature plus stratégique pour structurer la vie sociale au sein des fonctions publiques n’est que très partiellement amorcée, peu d’accords collectifs ayant été passés, une réduction du nombre de certaines instances a bien eu lieu, laissant pourtant dans certaines administrations et collectivités, un nombre parfois très élevé d’instances sociales spécialisées, quelquefois en nombre supérieur à la situation antérieure à la réforme de 2019. Au total la réduction du nombre d’instances est moindre que prévue et la simplification attendue marque le pas. Enfin les juridictions financières ont établi une estimation inédite du coût du dialogue social dans la fonction publique, à hauteur de 874 M€.

Une réduction du nombre d’instances moindre que prévue, des pratiques antérieures parfois maintenues

La fonction publique n’échappe pas à la baisse du nombre d’adhérents ni à la dispersion syndicale qui caractérisent le syndicalisme en France. Pour autant, les organisations syndicales y conservent une capacité sensible de mobilisation et une représentativité importante. Les taux d’adhésion sont en recul et sont plus faibles qu’à l’étranger, mais demeurent supérieurs à ceux observés dans le secteur privé. Le nombre d’instances de dialogue social est passé, pour la seule fonction publique de l’État (FPE), de plus de 5 000 en 2019 à environ 4 000 en 2023. Pour les trois ministères représentant 60 % des effectifs de l’État, le nombre de CAP a significativement diminué : la baisse la plus forte a concerné les ministères économiques et financiers, où le nombre de CAP nationales et locales est passé dans le même temps de 519 à 18. En revanche des instances spécialisées ont parfois été créées en nombre important, par exemple au sein des ministères financières où leur nombre est supérieur à la situation avant 2019. Au sein de la fonction publique territoriale (FPT), l’impact de la réforme n’a été réellement significatif que pour les grandes collectivités territoriales, d’autant que l’obligation légale de tenir au moins deux réunions annuelles de CAP a parfois contrebalancé l’allégement attendu. Au total, la nouvelle carte des instances de dialogue social reste complexe. L’objectif de diminution du nombre de CAP est atteint. En revanche celui consistant à simplifier les instances spécialisées demeure largement inabouti.

Les moyens dévolus au dialogue social, complexes et estimés à 874 M€

L’étude d’impact de la loi de transformation de la fonction publique estimait que la mise en œuvre de la loi devrait se traduire par une économie budgétaire en raison, d’une part de la diminution du temps de préparation, du nombre de réunions et du temps passé en CAP, pour les représentants du personnel comme pour les gestionnaires RH et, d’autre part, de la réduction du nombre de CAP. L’enquête a permis de mettre en lumière certaines pratiques dérogatoires qui viennent contrarier l’objectif d’économie budgétaire mis en avant par l’étude d’impact de la loi de la transformation de la fonction publique. Déployés parfois sans fondement juridique, plusieurs dispositifs sont en effet constitutifs d’une dépense irrégulière qui vient alourdir le coût du dialogue social. Les représentants des agents bénéficient de facilités (détachements, autorisations spéciales d’absence, décharges d’activité de service) pour remplir les obligations résultant de leur mandat. Un rapport de 2010 des inspections générales sur le bilan des moyens alloués aux organisations syndicales dans la fonction publique identifiait déjà des lacunes dans le suivi des absences syndicales pour les trois fonctions publiques. Il relevait que leur recensement n’était pas toujours effectué. Cette enquête montre que, plus de dix ans plus tard, ces constats anciens sont toujours avérés. Le coût par agent public représenterait 154 €. Il conviendrait maintenant de mettre un terme aux pratiques dérogatoires affectant l’exercice des droits syndicaux. La Cour a tenté d’établir une estimation du coût du dialogue social, en partie fondée sur des extrapolations réalisées à partir des données existantes qu’elle a validées. Il en ressort qu’en 2022, les moyens mis en œuvre par les employeurs des trois fonctions publiques en faveur du dialogue social, qui touchent 5,2 millions d’agents, mobiliseraient près de 874 M€, soit 0,27 % de la masse salariale publique.

Les conditions d’un dialogue social rénové

La réforme du dialogue social portée par la loi de 2019 vise à privilégier dorénavant la négociation syndicale sur des aspects collectifs et stratégiques de vie professionnelle des agents. Pour favoriser la conclusion d'accords négociés, notamment de proximité, les employeurs et organisations syndicales peuvent conclure des accords-cadres et des accords de méthode, sur les plans local ou national, depuis l’ordonnance du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique. Environ 200 accords collectifs seulement avaient été signés dans les trois fonctions publiques début 2024. Cette concrétisation du dialogue social par un acte conventionnel est pourtant plébiscitée par l’ensemble des parties. Plusieurs conditions doivent être réunies pour concrétiser cette transformation. Après la mise en place des nouvelles instances prévues par la loi de transformation de la fonction publique, un effort de réflexion sur les missions des directions et services des ressources humaines doit être engagé pour réorienter leurs actions : par exemple, définir des lignes de gestion exigeantes et engager des négociations collectives. Si les pouvoirs publics souhaitent que la logique conventionnelle se développe au sein de la fonction publique, les droits et moyens des acteurs du dialogue social doivent être reprécisés.

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