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Les forces mobiles

COUR DES COMPTES

Historiquement créées pour gérer les troubles à l’ordre public résultant de manifestations ou de mouvements de foule, les 64 compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les 116 escadrons de gendarmes mobiles (EGM) constituent une réserve nationale employable sur l’ensemble du territoire pour des missions de maintien de l’ordre ou de sécurisation. Ces unités sont fortement polyvalentes, et très mobiles, afin de répondre aux besoins exprimés sur l’ensemble du territoire métropolitain, ainsi qu’en Outre-mer. En 2022, les effectifs de CRS étaient de 11 164 agents et ceux de gendarmes mobiles de 12 502, stables au cours des dix dernières années. Dans une insertion au rapport public annuel de 2017, la Cour des comptes faisait le constat d’un emploi croissant de ces forces. Cette hausse des missions était associée à une baisse des effectifs des unités de forces mobiles au début des années 2010. Ils ont depuis connu un rebond, sans pour autant permettre de recompléter toutes les unités. Les constats effectués à l’époque sont pour la plupart réitérés dans ce rapport, et les pistes d’amélioration explorées en 2017 ont souvent été mises à mal par la succession de crises sur la période couverte 2017-2023. Ce rapport vise donc à confronter les constats et recommandations de 2017 à un contexte évolutif, notamment concernant l’emploi de ces unités.

L’emploi des forces mobiles a peu évolué malgré l’intensification des missions de maintien de l’ordre

En dix ans, le contexte de maintien de l’ordre a fortement évolué. Au moment de la révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2008, l’effort de réduction des effectifs du ministère de l’Intérieur avait été concentré sur les unités de force mobile (UFM) dans une période où les missions de maintien de l’ordre étaient jugées moins régulières et moins intenses. Désormais, la fréquence d’épisodes de maintien de l’ordre soutenus, leur intensité et leur extension à l’ensemble du territoire, ainsi que la radicalisation de certaines franges protestataires renforcent l’importance de disposer en nombre de forces spécialement formées à la gestion de ces mouvements. Un schéma national du maintien de l’ordre a été publié en 2021, après un long processus témoignant de la complexité de l’équilibre à trouver entre préservation de la liberté de manifester et ordre public. Il revêt un caractère évolutif, afin d’être adapté à l’évolution des besoins en maintien de l’ordre et aux moyens des forces mobiles. Malgré cela, les règles d’emploi des forces mobiles datant de 2015 n’ont pas été révisées. Les unités restent tenues au respect du principe dit de « non – sécabilité », prescrivant de ne pas scinder une unité en dessous de deux sections, et de ne pas de les missionner en des points distants, ce qui restreint les possibilités d’emploi. De même, la « réversibilité missionnelle », c’est-à-dire le changement de mission au cours d’un même service, d’une mission de sécurisation vers une mission de maintien de l’ordre, reste fortement contrainte.

Une gestion territoriale et opérationnelle à optimiser

La carte des casernements permanents n’est plus adaptée aux besoins territoriaux d’emploi des forces mobiles. Cela entraîne des coûts de déplacement importants, et une utilisation sous-optimale des moyens. L’hébergement des forces mobiles sur leur lieu de mission se fait en effet soit en hôtel, soit au sein de cantonnements de passage. Ces derniers sont en nombre insuffisant pour accueillir toutes les unités, et leur localisation n’est pas en adéquation avec les zones d’exercice des missions. Une réflexion globale et pluriannuelle en matière d’investissement immobilier devrait donc être conduite de façon à réduire au maximum le recours à l’hôtellerie privée. La loi de programmation du ministère de l’Intérieur pour la période 2023-2027 marque par ailleurs un tournant avec la création de onze nouvelles unités de forces mobiles. Les quatre compagnies de CRS créées à cette occasion le seront sur le modèle de la CRS 8, c’est-à-dire suivant un modèle d’organisation plus flexible et réactif que les compagnies traditionnelles. En effet, cette compagnie, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines et contre le trafic de stupéfiants, est mobilisable 24h/24 et 7 jours /7. Si cette exigence de réactivité est louable dans le contexte actuel de montée des violences urbaines, la question se pose de la coexistence sur le long terme d’unités de niveaux opérationnels et de doctrines d’emploi différents au sein des CRS.

Des moyens humains et matériel à préserver

La formation des UFM revêt une importance majeure afin de maintenir les unités à niveau sur leur cœur de métier et de s’assurer de leur maîtrise d’un cadre et d’équipements sensibles face à une menace en constante évolution. Le suremploi des unités et la faible réserve d’intervention disponible qui en découle les obligent à renoncer ou à écourter des formations, au détriment de leur bon maintien en condition. On constate une diminution des temps annuels de formation des CRS depuis cinq ans : le nombre de compagnies en formation/entraînement par jour est ainsi passé de 3,1 en 2018 à 2,2 en 2022. Pour ce qui est des gendarmes mobiles, la durée moyenne entre deux passages d’un même escadron au centre de formation à Saint-Astier est quant à elle passée de 2,5 ans à presque 4 ans entre 2017 et 2022. Cette situation appelle une sanctuarisation des temps de formation. De plus, la conciliation des impératifs de moindre dangerosité des équipements et de maintien à distance des foules implique l’achat de matériels spécifiques toujours plus sophistiqués et coûteux. Ces achats, malgré une mutualisation renforcée, conservent des spécificités propres à chacune des forces. Une meilleure association des forces mobiles au processus d’achat des équipements paraît nécessaire. Enfin, la Gendarmerie a récemment fait l’acquisition, sur crédits du plan de relance, de blindés appelés Centaure, déployés pour la première fois lors des émeutes de juin 2023. Ce projet, porté de longue date, a été mis en œuvre dans un temps très réduit. Ainsi, la définition des besoins a été réalisée sans prendre en compte, dans la phase initiale de spécification, le plan de maintenance associé. De plus, la doctrine d’emploi a été consolidée après le lancement de l’acquisition des « Centaure ». Des doutes entourent l’adéquation entre ce matériel, bien plus lourd, armé et coûteux que les matériels dont disposait la Gendarmerie auparavant, et l’usage effectif qui en sera fait.

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