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Les aides à l’installation des médecins libéraux

COUR DES COMPTES

À la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, faisant suite à une suggestion de la plate-forme de participation citoyenne, la Cour des comptes a analysé les aides publiques dont peuvent bénéficier les médecins libéraux en raison de leur installation, ou de l’exercice de leurs fonctions, dans des zones identifiées comme prioritaires par les pouvoirs publics. La Cour a examiné le régime de ces aides et s’est efforcée d’en mesurer les effets au regard des objectifs qu’elles poursuivent. La période examinée s’étend de 2016 à 2023, certaines de ces mesures étant pluriannuelles et leurs effets attendus sur une certaine durée.

Un enchevêtrement d’aides coûteuses et inefficaces pour une large partie d’entre elles

Les dispositifs d’aides sont nombreux et d’une grande diversité, s’agissant des autorités qui les accordent, des conditions posées pour les obtenir, des avantages qu’elles procurent et des conséquences qui en sont attendues pour la population. Coexistent ainsi des aides directes (subventions) et indirectes (exonérations fiscales) financées par l’État, d’autres financées par l’assurance maladie, d’autres encore accordées par les divers niveaux de collectivités territoriales.
Des aides sont accordées exclusivement si le médecin s’installe dans un zonage à finalité sanitaire (zones d’intervention prioritaire – ZIP – ou zones d’action complémentaire – ZAC), d’autres le sont en fonction de zonages dits économiques, qui ne sont pas propres aux activités du secteur de la santé (zones France-ruralités-revitalisation qui succèdent aux ex-zones de revitalisation rurale, zones franches urbaines). Enfin, certaines aides bénéficient à des étudiants en médecine, dans la perspective de leur installation dans une zone sous-dotée.
Au total, sans même prendre en compte les aides locales, une quinzaine d’aides de différentes natures s’enchevêtrent, émanant de divers prescripteurs nationaux. Les dépenses correspondantes se sont élevées à 205 M€ en 2023, et ont bénéficié à 15 000 médecins et 2 000 étudiants. Le bénéfice en est concentré sur un nombre restreint de médecins : 3 000 d’entre eux ont perçu 60 % des aides de l’assurance-maladie et des aides fiscales. Les zonages retenus pour l’éligibilité à certaines aides ne sont pas cohérents entre eux. Ils peuvent se concurrencer et ne pas favoriser finalement les zones les moins dotées sur le plan médical. Les aides des collectivités territoriales sont, quant à elles, non connues précisément mais les cas examinés montrent qu’elles sont significatives et certaines d’entre elles peuvent encore davantage compliquer l’éventail des dispositifs offerts aux médecins.
Certaines aides financières démontrent au contraire leur utilité. Tel est le cas de celles attribuées par l’assurance-maladie, qui en a amélioré la configuration dans la convention nationale conclue avec la profession médicale en 2024, qui sera applicable le 1er janvier 2026. C’est aussi le cas des bourses d’études financées par l’État, sous réserve d’un plafonnement de leur durée (10 ans d’étude suivis de 10 ans d’exercice en zone sous-dense) et d’un contrôle plus rigoureux du respect des engagements pris par le jeune médecin qui en a bénéficié. L’exonération fiscale des revenus perçus au titre de la participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA - nuits, samedis après-midi, dimanches et jours fériés) est pertinente dans les zones sous-dotées en médecins.
En revanche, les aides fiscales dirigées vers les zones France ruralités-revitalisation (ZFRR, ex-ZRR) et les zones franches urbaines sont coûteuses et ne produisent aucun effet tangible dans la lutte contre les déserts médicaux. Enfin, certaines mesures proposées par l’Etat sont très peu mobilisées, comme le contrat de début d’exercice et l’exonération sociale pour les installations en zone sanitaire prioritaire (ZIP ou ZAC). La Cour recommande en conséquence de supprimer toutes les aides fiscales à l’exception de celle applicable aux revenus de la PDSA, et les aides peu utilisées. Cette préconisation concerne des mesures en cours d’analyse par le Parlement, à l’article 12 du projet de loi de finances pour 2026, et à l’article 21 du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Des aides à mieux cibler sur les facteurs favorisant l’installation de médecins, à coordonner à proximité des besoins

Globalement, l’efficacité des mesures financières mises en place au fil des années pour atténuer les inégalités territoriales en termes de présence de médecins libéraux, en les incitant à s’installer en priorité dans les zones les moins dotées, se révèle limitée. Celles-ci ne portent pas sur les principaux facteurs en fonction desquels un médecin choisit un lieu d’installation puis d’exercice stable.
Bien davantage que les avantages strictement financiers accordés individuellement, l’implantation durable de médecins dans les zones sous-denses dépend souvent aujourd’hui de la possibilité d’exercice collectif en maisons de santé pluridisciplinaire (ou en centres de santé pour les médecins salariés). À moyen terme, l’accueil en stages dans les territoires sous-denses d’étudiants en médecine et d’internes en formation est à développer, car ceux qui les découvrent ainsi s’y installent plus volontiers. A plus long terme, la détection des talents et le soutien des motivations pour des études de médecine dans les lycées situées dans les zones rurales favorisent l’installation des médecins dans les territoires dont ils sont issus. L’accueil et l’orientation vers les territoires sous-denses des médecins nés et diplômés à l’étranger constituent aussi une voie à développer.
De manière générale, le dispositif national de pilotage des aides aux médecins libéraux est trop éloigné des situations concrètes rencontrées sur le territoire, de l’évolution des besoins et de l’offre de soins, ainsi que des réponses pragmatiques que peuvent concevoir les parties prenantes locales. Il n’est plus pertinent d’aborder de manière distincte l’exercice médical libéral et l’exercice salarié - en centre de santé comme en établissement de santé - là où les besoins en termes de parcours de soins sont les moins satisfaits. De même, l’accès aux soins de premier recours doit être conçu de manière pluriprofessionnelle (pharmaciens, sages-femmes, infirmiers libéraux, etc.). Devant ces responsabilités pressantes au regard des besoins de la population, les autorités publiques ne peuvent plus continuer à agencer leurs aides financières de manière cloisonnée. La Cour recommande qu’elles s’organisent en définissant un schéma départemental d’initiatives concertées (SDIC) qui associerait les financeurs (l’État - agence régionale de santé et préfets), les collectivités territoriales des trois niveaux (région, départements, communes et intercommunalités), l’assurance-maladie (caisses primaires), les représentants professionnels et les représentants des usagers.
La conformité aux priorités définies par ce schéma conditionnerait la légalité des subventions publiques ainsi attribuées à des personnes privées. Le déclenchement de ces aides pourrait se réaliser de manière coordonnée sous la forme d’appels à manifestation d’intérêt en direction de la communauté médicale, pour les territoires définis comme prioritaires, donnant ainsi aux praticiens potentiellement intéressés une réelle vision sur les soutiens de différente nature qui seront rassemblés pour les accueillir et susciter des installations durables.

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