L’agriculture biologique face au défi du changement d’échelle
Pour la première fois, la Cour des comptes, en constituant un nouvel outil statistique, a pu analyser les performances économiques comparées entre les agricultures biologique et conventionnelle qui, si elles sont équivalentes dans l’ensemble, connaissent des variations selon les filières. En 2021, dans un contexte où la consommation alimentaire totale des Français diminue de 2,3 % en 2021, la consommation de produits bio baisse pour la première fois, de 1,3 %. Au-delà d’un effet de conjoncture, des interrogations sur la pérennité de l’équilibre économique de l’agriculture biologique sont apparues, avec la baisse des ventes plus marquée en grande distribution non spécialisée (52 % des ventes de bio en 2021).
Une politique de soutien qui n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés
La Cour constate que, dans tous les domaines, l’action du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire n’est pas en mesure de répondre aux ambitions affichées. Elle alerte les pouvoirs publics sur le manque de communication relatif aux impacts bénéfiques du bio, et surtout sur l’illisibilité des labels qui contribue à la baisse des achats d’aliments bio en 2021 face à la concurrence croissante de labels « verts » moins exigeants - comme la mention valorisante « haute valeur environnementale » (HVE). En réalité peu exigeante en matière environnementale, celle-ci est en effet soutenue par le ministère au même niveau que l’agriculture bio. De plus, les aides de la politique agricole commune (PAC) que la France consacre à l’agriculture bio ne sont pas à la hauteur des objectifs qu’elle s’est fixés. La moitié de l’enveloppe a été consommée dès la première année de la programmation démarrée en 2015. En 2017, l’aide au maintien en agriculture bio a été supprimée, alors qu’elle rémunérait les services environnementaux de ces exploitations. Ainsi, un quart des exploitations bio ne touche pas d’aides de la PAC. De même, le soutien aux industries agroalimentaires bio et la recherche et développement en agriculture biologique sont insuffisants. Ce décalage entre moyens et ambitions ne pourra pas se résorber dans la prochaine PAC à partir de 2023 si la France maintient le projet actuel de plan stratégique national, qui fait l’objet d’ultimes discussions avec la Commission européenne. Le rapport analyse également dans quelle mesure la politique publique contribue à la création et à la répartition de valeur au sein de la filière bio. Si des données éparses suggèrent une meilleure captation de la valeur par les producteurs bio comparés aux agriculteurs conventionnels, elles restent néanmoins lacunaires. Enfin, la contribution de l’agriculture bio à l’autonomie agricole et alimentaire française dépendra de l’évolution de deux effets contraires : la meilleure autonomie des exploitations bio, qui contribue à réduire le déficit commercial, et leurs moindres rendements. Ainsi, le développement de l’agriculture bio devra aller de pair avec davantage de recherche (pour améliorer les rendements), la réduction du gaspillage alimentaire et une évolution des régimes alimentaires vers moins de protéines animales.
Des leviers au service de l’ambition affichée
Pour contribuer à atteindre les nouveaux objectifs fixés par la France (18 % de surfaces agricoles bio en 2027) et par l’Union Européenne (25% de surfaces bio en 2030), la Cour formule 12 recommandations réparties en 3 orientations : éclairer les choix des citoyens et des consommateurs sur l’impact environnemental et sanitaire du bio, réorienter et amplifier les soutiens publics de l’agriculture bio, favoriser enfin la création de valeur au sein du secteur agricole et alimentaire bio. Comme le souligne Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, « le rôle de la Cour, tiers de confiance et vigie des politiques publiques pour les citoyens, était d’apporter l’éclairage objectif et impartial qui manquait encore sur ce sujet grand public, qui fait l’objet de nombreuses interrogations ».