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La détection de la fraude fiscale des particuliers

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En 2022, la Cour des comptes procédait à une première consultation citoyenne pour recueillir des propositions d’enquêtes visant à enrichir son programme de travail. À l’issue de près de 9 000 inscriptions et 333 contributions en ligne, six thèmes ont fait l’objet d’investigations en 2023. La détection de la fraude fiscale des particuliers est le quatrième rapport d’initiative citoyenne publié. Le succès de la deuxième campagne menée en 2023 (plus de 20 000 participants et 622 contributions) a démontré l’attachement des citoyens à cet outil. Les nouveaux thèmes retenus par les juridictions financières seront présentés le 3 janvier. Les contributions citoyennes à l’origine de la présente enquête ont justifié cette proposition par « la nécessité de vérifier que l’administration dispose de moyens efficaces de détection de la fraude fiscale des particuliers », signe de l’attachement des Français au civisme fiscal et au principe d’égalité devant l’impôt. Conformément à la demande faite à la Cour, le présent rapport ne traite que des impôts directement acquittés par les particuliers. Ceux-ci représentaient plus de 160 Md€ en 2022. Une lutte efficace contre la fraude fiscale constitue non seulement l’une des conditions du consentement à l’impôt, mais également un enjeu budgétaire, puisque le montant total des sommes recouvrées par l’administration fiscale après contrôle s’est élevé à 14,6 Md€ en 2022, dont un peu plus du tiers sur des particuliers.

La mise en œuvre d’une stratégie au service de la détection des irrégularités fiscales

Alors qu’elle reposait en grande partie sur le contrôle triennal systématique des plus gros contribuables en termes de revenus et de patrimoine, la programmation des contrôles fiscaux – seuls à même de caractériser et de réprimer la fraude – a connu au cours des dix dernières années une « révolution technologique ». La numérisation de la quasi-totalité des processus fiscaux et l’augmentation du volume des données mises à la disposition de l’administration fiscale ont conduit celle-ci à développer de puissants outils de traitement automatique pour relever les incohérences et les anomalies déclaratives. Près du tiers des contrôles fiscaux repose désormais sur des analyses de risque nourries par le traitement de données en masse (data mining). D’autres expérimentations, comme le dispositif « foncier innovant » qui rapporte les éléments déclarés au titre des taxes foncières au fonds public de vues aériennes, témoignent de l’usage croissant des technologies d’intelligence artificielle. La DGFiP s’est aussi attachée à amplifier le recueil des renseignements, par exemple auprès des « aviseurs fiscaux », pour identifier les fraudes sophistiquées et les nouveaux schémas de fraudes. Les technologies visant à détecter les irrégularités fiscales des particuliers étant potentiellement intrusives, elles ont eu pour corollaire de nouvelles dispositions protectrices des droits des contribuables, le Conseil constitutionnel ayant été amené à resserrer l’encadrement des pouvoirs de l’administration fiscale. Le croisement de données en masse peut être utilisé comme outil d’aide au contrôle mais ne peut en aucun cas conduire à caractériser automatiquement une fraude.

Une stratégie technologique dont l’efficacité reste difficile à mesurer

Malgré le déploiement réussi de ces nouvelles techniques, leur efficacité reste difficile à mesurer. En effet, contrairement à de nombreux pays, la France ne dispose d’aucune estimation statistique rigoureuse de la fraude fiscale à laquelle rapporter le volume des irrégularités détectées et le montant des droits rappelés (14,6 Md€ en 2022, dont 2,6 Md€ de pénalités). Il est donc impossible d’évaluer quelle proportion de la fraude est effectivement détectée et sanctionnée, et si cette proportion a crû avec l’usage des technologies numériques. Il s’agit là d’une carence persistante et regrettable, déjà dénoncée par la Cour. Il est également indispensable que l’administration fiscale rattrape son retard par rapport à ses homologues étrangères en estimant le montant de la fraude par des méthodes statistiques éprouvées. La DGFiP prévoit d’achever de telles estimations d’ici 2027 pour les impôts des professionnels, sans que les impôts des particuliers bénéficient encore d’un programme de travail à cet effet. La proportion des contrôles fiscaux sur des particuliers qui débouchent sur un rappel de droits, qui mesure la pertinence de la programmation des contrôles, s’élève aujourd’hui à 55 %. Il s’agit d’un taux élevé mais qui ne progresse guère depuis 2018, empêchant là aussi de conclure à un saut qualitatif permis par la « révolution technologique » des années 2013-2022. De surcroît, les lacunes des systèmes d’information de l’administration fiscale empêchent de faire le lien entre les motifs de programmation des contrôles et les redressements effectivement prononcés.

Une stratégie plus structurée et plus transparente de détection des irrégularités fiscales à mettre en place en lien avec le plan national anti-fraude de 2023

Plusieurs logiques peuvent orienter l’action en matière de détection des irrégularités fiscales. Elles peuvent cibler systématiquement les gros contribuables ou porter sur des dossiers sélectionnés de manière aléatoire, au risque de consacrer des moyens à des dossiers ne présentant pas d’irrégularités ; elles peuvent aussi reposer sur une analyse de risque, afin de maximiser le rendement du contrôle. C’est cette seconde logique qui est mise en œuvre en laissant une large autonomie aux services déconcentrés, sans que les principes et les modalités en soient affichés. La formalisation d’une stratégie plus structurée et plus transparente de détection des irrégularités fiscales permettrait de répartir les moyens affectés au contrôle en fonction d’objectifs clairement formulés. Le plan national anti-fraude présenté par le Gouvernement en juin 2023 constitue une opportunité pour formaliser une telle stratégie. La Cour formule six recommandations en ce sens, qui portent à la fois sur l’estimation de la fraude, la programmation des contrôles, une amélioration des outils de suivi, une mobilisation accrue du renseignement fiscal, la mise en place d’une démarche proactive de prévention et de dissuasion et une meilleure gestion des compétences professionnelles nécessaires à la lutte contre la fraude fiscale.

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La détection de la fraude fiscale des particuliers - Nos rapports en 180s (ou presque)

Le rapport de la Cour des comptes sur la détection de la fraude fiscale des particuliers lui a été demandé par la consultation citoyenne organisée en 2022.
 
La fiscalité des particuliers, c’est environ 160 milliards d’euros de recettes fiscales par an. L’impôt sur le revenu en constitue un peu plus de la moitié et l’autre moitié est composée des taxes foncières, des impôts sur les successions, les donations et sur la fortune.

Dans ce rapport, la Cour s’est intéressée à la « détection » de la fraude fiscale, c’est-à-dire à l’ensemble des opérations qui cherchent à identifier les incohérences dans les déclarations des contribuables, en amont du contrôle fiscal. Car c’est seulement lors d’un contrôle fiscal formalisé qu’on peut conclure qu’il y a eu fraude, ou pas.

Et c’est d’autant plus important que le mot « fraude » est souvent utilisé de manière trop générale : selon la loi, il n’y a fraude que si c’est intentionnel. Il faut donc bien distinguer la fraude des erreurs, de l’évasion fiscale et des problèmes de recouvrement.

Il y a trois messages principaux dans le rapport de la Cour sur la détection de la fraude fiscale des particuliers.

Le premier, c’est que contrairement à de nombreux pays, la France ne dispose d’aucune estimation de la fraude fiscale, que ce soit celle des entreprises ou des particuliers.

Il est même impossible d’en donner un ordre de grandeur. On ne sait pas, et on ne peut vraiment pas savoir, si la fraude des particuliers c’est 5 Md€, 15 Md€ ou 30 Md€. Tout ce que l’on sait, c’est que les contrôles fiscaux ont ramené environ 15 Md€ dans les caisses publiques en 2022.

Devant ce constat, la Cour recommande de mener à bien rapidement les travaux statistiques nécessaires pour y voir plus clair.

Le deuxième message du rapport, c’est que depuis une dizaine d’années environ, la direction générale des finances publiques, c’est-à-dire le fisc, a déployé une stratégie de traitement des données ambitieuse, mais dont l’efficacité est encore difficile à mesurer précisément.

Depuis longtemps, la programmation des contrôles fiscaux reposait sur les plus gros contribuables en termes de revenus et de patrimoine. Mais il y a eu une révolution technologique au cours des dix dernières années. La quasi-totalité des procédures fiscales, en effet, a été numérisée et le volume des données à disposition de la DGFIP a beaucoup augmenté. Le fisc a alors développé des outils de traitement automatique des données pour relever des anomalies et des irrégularités dans les déclarations.

Ces traitements sont potentiellement intrusifs. On a donc créé en contrepartie de nouvelles dispositions pour protéger les droits des contribuables. Ainsi, le croisement de données en masse peut être utilisé comme outil d’aide au contrôle, mais ne peut en aucun cas conduire à caractériser automatiquement une fraude.

Aujourd’hui, près de 30 % des contrôles fiscaux en France sont issus du croisement des données en masse, et l’administration fiscale pense atteindre les 50 % d’ici à 2027. Mais l’efficacité de ces outils reste difficile à mesurer pour deux raisons.

Tout d’abord, faute d’estimation de la fraude, il est impossible de dire quelle proportion de la fraude réellement commise est détectée et si cette proportion a augmenté avec l’usage des nouvelles technologies citées plus haut.

Par ailleurs, la proportion des contrôles fiscaux sur des particuliers qui aboutissent à un rappel d’impôts est aujourd’hui d’environ 55 %. C’est un taux qui est élevé, mais qui ne progresse pas beaucoup depuis 2018. Et là non plus on ne peut pas conclure pour l’instant à un saut qualitatif grâce à la révolution technologique.

Le troisième message de la Cour est donc qu’il ne suffit pas de mettre en place des outils technologiques, mais qu’il faut aussi les intégrer dans une stratégie plus transparente et plus formalisée de détection de la fraude fiscale des particuliers.

Plusieurs logiques peuvent orienter l’action en matière de détection de la fraude. On peut par exemple cibler systématiquement les gros contribuables (c’est ce qu’on faisait auparavant) ou contrôler des dossiers sélectionnés de manière aléatoire (ça, on ne l’a jamais fait), mais dans les deux cas, il y a un risque de consacrer beaucoup de moyens à des dossiers majoritairement réguliers. Le contrôle fiscal peut aussi reposer sur une analyse de risque pour maximiser son rendement : avec les outils de détection, c’est cette logique qui est mise en œuvre.

Le problème, c’est que l’administration fiscale est réticente à expliquer ces logiques et à communiquer sur les critères de déclenchement d’un contrôle fiscal. La formalisation d’une stratégie plus structurée et plus transparente de détection des irrégularités fiscales permettrait de répartir les moyens affectés au contrôle en fonction d’objectifs clairement formulés et d’en évaluer ensuite la pertinence.

Le plan national anti-fraude présenté par le Gouvernement en juin 2023 constitue une opportunité pour cela. Et le rapport de la Cour formule six recommandations en ce sens.

Ainsi, alors que le débat public laisse parfois place aux approximations, voire aux contrevérités, la Cour conclut qu’il est de la responsabilité de l’administration fiscale d’expliquer qui elle contrôle et pourquoi, en vertu de quels risques, et avec quel équilibre entre la puissance des outils technologiques à sa disposition et la protection des droits des contribuables.

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