Des tarifications décentralisées, peu encadrées et peu préparées
Le cadre légal laisse une grande liberté aux AOM pour établir la tarification des transports collectifs urbains. En pratique, les hausses tarifaires ne sont pas automatiques, et sont peu fréquentes. Elles s’inscrivent dans une politique de modération qui a conduit, au cours des vingt dernières années, à multiplier les tarifs spécifiques, sociaux ou commerciaux, réservés à certaines catégories d’usagers, sans forcément les lier à des conditions de ressources. Ainsi, ces réductions se fondent souvent sur une logique de statut (tarification dite sociale) plus que sur une logique de niveau de ressources (tarification dite solidaire), et certaines personnes modestes n’y sont pas éligibles. De ce fait, l’obligation légale qui consiste à proposer un tarif réduit d’au moins 50 % pour les 10 % de la population les moins favorisés n’est pas systématiquement respectée par les AOM ou, quand elle l’est, ne fait pas l’objet d’une information adéquate. En outre, la transparence concernant les coûts et les contributions au financement des TCU est rarement respectée et les instances de concertation (comités des partenaires) doivent encore renforcer leur rôle. Enfin, la politique tarifaire est souvent élaborée indépendamment des travaux de diagnostic et de la planification de la mobilité, garants de la cohérence de l’action locale avec les objectifs nationaux en matière d’environnement. Le niveau de préparation et d’évaluation des évolutions tarifaires varie et est parfois insuffisant, surtout dans des cas de changements aussi radicaux que le passage à la gratuité.
Une contribution des usagers en baisse qui met sous tension le financement des transports collectifs urbains
Le financement des transports collectifs urbains repose sur les tarifs, mais également sur les employeurs avec le versement mobilité, et il est complété par des subventions des collectivités locales. En 2019, les recettes tarifaires ne couvraient que 41 % des seules dépenses de fonctionnement des réseaux de transport. Ce ratio décroît avec la taille du réseau : il atteint 45 % en Île-de-France (IDF), mais tombe à 33 % hors IDF et à 18 % pour les autorités organisatrices des mobilités (AOM) de moins de 100 000 habitants.
L’effet de la gratuité sur l’équilibre financier des TCU est à apprécier de façon différenciée selon la taille des collectivités et de leur réseau de transport. Pour les petits réseaux peu fréquentés, la gratuité totale peut relever d’une logique d’efficience de la dépense publique, dans un contexte où les bus circulent quasiment à vide et où les recettes tarifaires sont faibles : elle entraîne une hausse de fréquentation plus importante que la hausse des ressources publiques mobilisées. Ce n’est pas le cas pour les réseaux importants déjà bien fréquentés, pour lesquels la gratuité entraîne des pertes de recettes significatives et nécessite de développer l’offre de service pour accueillir l’afflux de voyageurs supplémentaires. Les tensions financières qui en résultent menacent par ailleurs les projets d’investissement nécessaires pour le verdissement des bus et le développement du réseau.
Donner la priorité à l’amélioration de l’offre et mobiliser l’outil tarifaire
Le niveau déjà élevé du versement transport et les contraintes financières des AOM plaident pour accroître les tarifs afin d’améliorer l’offre. Les sondages révèlent que le prix ne constitue pas un frein à l’usage des TCU, excepté pour les usagers les plus défavorisés. Concernant l’argument environnemental, bien que la gratuité augmente la fréquentation, elle n’entraîne pas toujours un report modal suffisant depuis la voiture. A Montpellier, par exemple, la gratuité a surtout permis d’attirer des personnes qui se déplaçaient à pied ou à vélo, entraînant un bilan santé-environnement incertain : la hausse de fréquentation a par ailleurs conduit à saturer davantage un réseau déjà très fréquenté. Dans les réseaux étendus ou de taille significative, seul le développement de l’offre peut attirer de nouveaux usagers, notamment des automobilistes : l’exemple de Lyon montre ainsi qu’une augmentation des tarifs, accompagnée d’améliorations de l’offre et de la qualité de service, peut satisfaire les usagers, provoquer le report modal, et améliorer le financement. Certes, pour des AOM de taille intermédiaire la gratuité peut apparaître comme une alternative attrayante car elle peut permettre, à court terme, d’augmenter la fréquentation à un coût inférieur à celui du développement de l’offre. Néanmoins, à long terme, cette stratégie peut nuire financièrement au développement du réseau. Ainsi, plutôt que de développer la gratuité, il est préférable de mettre en place des dispositifs en faveur des personnes les plus vulnérables et ne pas exclure une tarification à l’usage, différenciée dans l’espace et éventuellement dans le temps (heures creuses/pleines, pics de pollution). Il convient aussi d’accroître la lutte contre la fraude, en fixant des objectifs contraignants de moyens et de résultats aux opérateurs, assortis d’incitations financières pour y parvenir. Dans cette évolution de la politique tarifaire applicable aux TCU qui est décentralisée, l’État doit veiller à la production et au partage des données technico-économiques sur les TCU, inciter à la réalisation d’une évaluation socioéconomique des changements tarifaires significatifs dans les AOM de grande taille, et prévoir de moduler ses aides en fonction de la contribution des usagers.


