Un phénomène mal mesuré, objet d’une politique publique complexe
Les lois et actions engagées depuis plus de 10 ans ont profondément remodelé le cadre français de lutte contre la corruption. Ces réformes ont permis de répondre aux évaluations internationales et d’améliorer la position de la France en matière d’intégrité publique, notamment grâce à la loi Sapin 2 qui a renforcé la prévention et permis de traiter sur le territoire national les affaires impliquant des entreprises françaises.
Cependant, cette organisation reste complexe en raison de la multiplication des institutions créées au fil des lois et réformes et la politique déployée souffre d’une connaissance encore insuffisante des risques corruptifs, faute d’indicateurs fiables. Selon les années, entre 0,5 % et 1 % des adultes déclarent avoir été victimes d’une tentative de corruption, des estimations non négligeables mais instables qui témoignent de la faiblesse du dispositif de mesure.
Les évaluations internationales n’offrent que des indications imprécises, tandis que les citoyens français conservent une perception négative du niveau de corruption, reposant surtout sur une défiance vis-à-vis des responsables publics et privés. La Cour recommande que l’Afa (Agence française anticorruption) renforce le dispositif de mesure et d’analyse de la corruption, en consolidant les données existantes, en fiabilisant les indicateurs et en développant les coopérations avec les organismes de recherche.
Des efforts insuffisants de prévention et de détection
Les dispositifs de prévention et la détection des atteintes à la probité représentent une partie essentielle de la politique de lutte contre la corruption. Ces dispositifs manquent néanmoins d’une vision d’ensemble.
Au-delà du rôle central de l’Afa, seul organisme public exclusivement dédié à la lutte contre la corruption, de nombreux acteurs contribuent à prévenir et détecter la corruption, sans qu’il s’agisse de leur mission principale. Cette politique est aussi marquée par un fort déséquilibre entre les secteurs public et privé.
Dans le secteur privé, les grandes entreprises soumises à la loi Sapin 2 ont mis en place des instruments de prévention, même si leur déploiement reste inégal. Dans le secteur public, les mesures sont en revanche encore peu diffusées et mises en œuvre, faute d’application du cadre normatif et de pilotage clair, en particulier au niveau local. Les référents déontologues témoignent d’un sentiment d’isolement, d’un rôle mal connu et d’un besoin d’accompagnement et de mise en réseau.
La société civile joue également un rôle important : les associations agréées peuvent se constituer partie civile pour certaines infractions et participer au suivi des politiques publiques. Enfin, depuis le début des années 2020, plusieurs affaires de corruption dite « de basse intensité », liées à la criminalité organisée et au trafic de stupéfiants, ont conduit à l’adoption de mesures, en dernier lieu portées par la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
La Cour recommande notamment de renforcer la prévention et le contrôle de la corruption en améliorant l’agrément des associations, en déployant efficacement les référents déontologues et dispositifs d’alerte,
et en mettant en place des mesures adaptées à la corruption liée à la criminalité organisée.
Une répression qui se heurte à de nombreuses difficultés
La sanction des atteintes à la probité demeure un maillon fragile de la lutte anticorruption. Les sanctions disciplinaires dans la fonction publique sont rares, hétérogènes selon les employeurs et mal documentées. Plusieurs autorités dotées de pouvoirs de contrôle ou de sanction ne les utilisent que de façon limitée.
La chaîne pénale est, elle aussi, hétérogène, peu spécialisée et sous-dimensionnée pour conduire des enquêtes longues et complexes. Hormis les dossiers les plus sensibles confiés aux juridictions spécialisées, la plupart des affaires sont instruites localement par des services généralistes, qui ne les traitent pas en priorité. Les résultats judiciaires illustrent ces difficultés : sur 504 décisions rendues en 2021-2022, 26 % ont abouti à une relaxe totale, soit près de quatre fois plus que la moyenne des tribunaux correctionnels. Les délais de jugement sont également très élevés : en 2019, une condamnation intervenait en moyenne au bout de 6,1 ans en première instance et 8,3 ans en appel.
La Cour constate que les atteintes à la probité peinent à rester une priorité dans la politique pénale et qu’aucune circulaire dédiée n’a été publiée depuis plus de 10 ans. Elle appelle à harmoniser les pratiques de poursuite et de sanction, en s’appuyant sur un suivi consolidé des procédures confiées aux services d’enquête et sur un renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats et des enquêteurs.
Une stratégie nationale anticorruption à affirmer
Malgré un cadre juridique robuste, la politique de lutte contre la corruption reste insuffisamment assumée comme stratégie d’ensemble et souffre d’un pilotage interministériel encore peu structuré. La Cour appelle à déployer une véritable stratégie nationale anticorruption, dotée d’objectifs et d’indicateurs clairs, portée au plus haut niveau de l’État et dotée d’une gouvernance renforcée.
Dans ce cadre, l’Afa jouerait un rôle pivot de coordination, de centralisation des données et d’évaluation, en lien avec la HATVP, les ministères, les collectivités, les entreprises et la société civile. Une telle mobilisation permettrait de donner de la cohérence aux nombreux dispositifs existants et de changer d’échelle dans la prévention, la détection et la sanction des atteintes à la probité, à la hauteur des enjeux démocratiques et économiques qu’elles représentent.


