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Évaluation de la politique de lutte contre la corruption

Depuis 2013, le cadre juridique français de lutte contre la corruption s’est considérablement renforcé, notamment avec les lois sur la transparence de la vie publique et la loi Sapin 2. Cette politique mobilise aujourd’hui de nombreux acteurs, parmi lesquels des autorités indépendantes. Elle répond à des enjeux démocratiques essentiels : la probité des décideurs publics et la bonne utilisation des fonds publics, qui conditionnent la confiance des citoyens dans leurs institutions. Elle répond également à des impératifs économiques majeurs, en termes d’attractivité du territoire, d’équité concurrentielle et de compétitivité des entreprises françaises. Si ces enjeux sont clairement identifiés, la lutte contre la corruption reste difficile à appréhender, compte tenu de sa caractéristique de phénomène particulièrement occulte, lié à d’autres infractions, et pour lequel il n’existe pas d’indicateur direct permettant de mesurer sa prévalence. Pour répondre à des demandes formulées sur sa plateforme citoyenne, la Cour a décidé d’évaluer la politique publique de lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité au cours de la décennie passée. Elle s’est adjointe l’aide d’un comité d’accompagnement composé d’experts, de déontologues, de responsables publics, de représentants d’entreprises et de fonctionnaires, de chercheurs et d’associations. 

Un phénomène mal mesuré, objet d’une politique publique complexe

Les lois et actions engagées depuis plus de 10 ans ont profondément remodelé le cadre français de lutte contre la corruption. Ces réformes ont permis de répondre aux évaluations internationales et d’améliorer la position de la France en matière d’intégrité publique, notamment grâce à la loi Sapin 2 qui a renforcé la prévention et permis de traiter sur le territoire national les affaires impliquant des entreprises françaises.
Cependant, cette organisation reste complexe en raison de la multiplication des institutions créées au fil des lois et réformes et la politique déployée souffre d’une connaissance encore insuffisante des risques corruptifs, faute d’indicateurs fiables. Selon les années, entre 0,5 % et 1 % des adultes déclarent avoir été victimes d’une tentative de corruption, des estimations non négligeables mais instables qui témoignent de la faiblesse du dispositif de mesure.
Les évaluations internationales n’offrent que des indications imprécises, tandis que les citoyens français conservent une perception négative du niveau de corruption, reposant surtout sur une défiance vis-à-vis des responsables publics et privés. La Cour recommande que l’Afa (Agence française anticorruption) renforce le dispositif de mesure et d’analyse de la corruption, en consolidant les données existantes, en fiabilisant les indicateurs et en développant les coopérations avec les organismes de recherche.

Des efforts insuffisants de prévention et de détection

Les dispositifs de prévention et la détection des atteintes à la probité représentent une partie essentielle de la politique de lutte contre la corruption. Ces dispositifs manquent néanmoins d’une vision d’ensemble. 
Au-delà du rôle central de l’Afa, seul organisme public exclusivement dédié à la lutte contre la corruption, de nombreux acteurs contribuent à prévenir et détecter la corruption, sans qu’il s’agisse de leur mission principale. Cette politique est aussi marquée par un fort déséquilibre entre les secteurs public et privé. 
Dans le secteur privé, les grandes entreprises soumises à la loi Sapin 2 ont mis en place des instruments de prévention, même si leur déploiement reste inégal. Dans le secteur public, les mesures sont en revanche encore peu diffusées et mises en œuvre, faute d’application du cadre normatif et de pilotage clair, en particulier au niveau local. Les référents déontologues témoignent d’un sentiment d’isolement, d’un rôle mal connu et d’un besoin d’accompagnement et de mise en réseau.
La société civile joue également un rôle important : les associations agréées peuvent se constituer partie civile pour certaines infractions et participer au suivi des politiques publiques. Enfin, depuis le début des années 2020, plusieurs affaires de corruption dite « de basse intensité », liées à la criminalité organisée et au trafic de stupéfiants, ont conduit à l’adoption de mesures, en dernier lieu portées par la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
La Cour recommande notamment de renforcer la prévention et le contrôle de la corruption en améliorant l’agrément des associations, en déployant efficacement les référents déontologues et dispositifs d’alerte, 
et en mettant en place des mesures adaptées à la corruption liée à la criminalité organisée.

Une répression qui se heurte à de nombreuses difficultés 

 La sanction des atteintes à la probité demeure un maillon fragile de la lutte anticorruption. Les sanctions disciplinaires dans la fonction publique sont rares, hétérogènes selon les employeurs et mal documentées. Plusieurs autorités dotées de pouvoirs de contrôle ou de sanction ne les utilisent que de façon limitée.
La chaîne pénale est, elle aussi, hétérogène, peu spécialisée et sous-dimensionnée pour conduire des enquêtes longues et complexes. Hormis les dossiers les plus sensibles confiés aux juridictions spécialisées, la plupart des affaires sont instruites localement par des services généralistes, qui ne les traitent pas en priorité. Les résultats judiciaires illustrent ces difficultés : sur 504 décisions rendues en 2021-2022, 26 % ont abouti à une relaxe totale, soit près de quatre fois plus que la moyenne des tribunaux correctionnels. Les délais de jugement sont également très élevés : en 2019, une condamnation intervenait en moyenne au bout de 6,1 ans en première instance et 8,3 ans en appel. 
La Cour constate que les atteintes à la probité peinent à rester une priorité dans la politique pénale et qu’aucune circulaire dédiée n’a été publiée depuis plus de 10 ans. Elle appelle à harmoniser les pratiques de poursuite et de sanction, en s’appuyant sur un suivi consolidé des procédures confiées aux services d’enquête et sur un renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats et des enquêteurs.

Une stratégie nationale anticorruption à affirmer 

Malgré un cadre juridique robuste, la politique de lutte contre la corruption reste insuffisamment assumée comme stratégie d’ensemble et souffre d’un pilotage interministériel encore peu structuré. La Cour appelle à déployer une véritable stratégie nationale anticorruption, dotée d’objectifs et d’indicateurs clairs, portée au plus haut niveau de l’État et dotée d’une gouvernance renforcée.
Dans ce cadre, l’Afa jouerait un rôle pivot de coordination, de centralisation des données et d’évaluation, en lien avec la HATVP, les ministères, les collectivités, les entreprises et la société civile. Une telle mobilisation permettrait de donner de la cohérence aux nombreux dispositifs existants et de changer d’échelle dans la prévention, la détection et la sanction des atteintes à la probité, à la hauteur des enjeux démocratiques et économiques qu’elles représentent.

En images (5)

Évaluation de la politique de lutte contre la corruption, infographie 1

Lutte contre la corruption en France
10 ans de réformes et d’enjeux


Qu’est-ce que la corruption ?
Elle est définie par le code pénal comme le fait de demander ou de recevoir, sans droit, des avantages pour soi ou pour quelqu’un d’autre afin d’agir ou de s’abstenir d’agir dans le cadre de sa fonction, de sa mission ou de son mandat.
Au sens large, elle intègre l’ensemble des atteintes à la probité : concussion, prise illégale d’intérêt, favoritisme, détournement de fonds publics et trafic d’influence

Évaluation de la politique de lutte contre la corruption, infographie 2

En France, la lutte contre la corruption représente 22 M€ de coûts directs pour l’État, et mobilise environ 170 personnes. S’y ajoutent de nombreux coûts indirects notamment de mise en conformité, non traçables.


L’action publique dans ce domaine repose sur une faible connaissance des phénomènes de corruption et de son évolution.
Ce que l’on sait :
- La corruption n’est pas un phénomène marginal
- Elle concerne aussi bien les particuliers, que les entreprises ou les administrations
- Les faits constatés, bien qu’en hausse, restent peu nombreux (934 en 2024) et ne recensent qu’une minorité des infractions (enregistrées suite à une plainte ou un signalement)

Évaluation de la politique de lutte contre la corruption, infographie 3

La mesure de la corruption est difficile pour plusieurs raisons, notamment les indicateurs internationaux qui sont imprécis, et la perception des citoyens qui reflète surtout une défiance vis-à-vis des dirigeants.
4 Français sur 5 ont un soupçon de corruption élevé à l’égard des responsables publics et économiques.


Depuis 2013, le cadre juridique a profondément évolué :
- Avec l’affaire Cahuzac (2013) : transparence accrue, prévention des conflits d’intérêts pour les élus et agents publics
- Avec la Loi Sapin 2 (2016) : renforcement de la probité, protection des lanceurs d’alerte et nouveaux outils de prévention et sanction
À partir de 2020 : réponse aux nouvelles formes de corruption liées au narcotrafic, avec notamment la loi du 13 juin 2025

Évaluation de la politique de lutte contre la corruption, infographie 4

La succession de ces réformes a créé une superposition de structures et d’acteurs, rendant l’ensemble complexe et peu lisible.
L’acteur de référence est l’Agence française anticorruption (Afa) 
Ses missions : prévenir la corruption, accompagner les administrations et les entreprises, contrôler le respect des obligations, former les acteurs publics et privés…
Mais son rôle interministériel reste limité. La Cour recommande de renforcer son rôle stratégique avec un soutien politique accru.


Entre les grandes entreprises et le secteur public, l’écart persiste :
- Secteur privé : des progrès grâce à la loi Sapin 2, mais seules 2% des sociétés, les plus grandes, sont concernées et l’efficacité dépend de leur engagement
- Secteur public : faute de contraintes, la diffusion des dispositifs reste inégale et limitée, surtout au niveau local

Évaluation de la politique de lutte contre la corruption, infographie 5

Autre problème : la répression est insuffisamment dissuasive. Les sanctions administratives sont peu mobilisées et l’action pénale entraîne peu de condamnations.
Les atteintes à la probité ne constituent pas une priorité dans la politique pénale, face à la délinquance de masse et la criminalité organisée liée au narcotrafic.


Enfin, pendant 3 ans, la France ne disposait plus de stratégie anticorruption officielle.
Un nouveau plan pluriannuel (2025-2029) a enfin été adopté en novembre 2025. Il est nécessaire de le déployer en s’appuyant sur une gouvernance claire et un engagement fort de l’État.

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