Seul le prononcé fait foi.
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Présentation à la presse du rapport public thématique sur
« L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite
de tous les élèves »
Intervention de M. Didier Migaud, Premier président
Mercredi 12 mai 2010
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui à la Cour des comptes pour la présentation du
rapport public thématique sur « l’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves ». Ce
plaisir est d’autant plus vif que c’est le premier rapport que je présente à la presse en qualité de Premier
président de la Cour des comptes.
Bien évidemment, l’initiative de ce rapport revient à mon prédécesseur Philippe Séguin, que les
questions d’éducation nationale passionnaient. Il m’est ainsi donné l’occasion de lui rendre à nouveau
hommage.
Ce rapport est le fruit des contrôles menés par la Troisième chambre de la Cour, présidée par Jean
Picq. Je voudrais l’en remercier, ainsi que Pascal Duchadeuil et Marie-Pierre Cordier, conseillers maîtres, et
Marie Ange Mattei, conseillère référendaire. J’ai également à mes côtés Madame Claire Bazy-Malaurie,
présidente de chambre et rapporteur général.
La chambre du Conseil a adopté hier ce rapport sous ma présidence et c’est un grand honneur pour
moi de vous en présenter les principales observations et recommandations. J’espère qu’ainsi la Cour pourra
utilement contribuer à la modernisation du service public de l’éducation nationale qui est, vous le savez, au
coeur de l’actualité, avec les annonces récentes du ministre et du Président de la République.
En introduction, je voudrais vous préciser la manière dont la Cour a mené son contrôle, qui je crois,
éclaire bien l’évolution qu’elle entend donner à ses méthodes, pour remplir sa nouvelle mission d’évaluation
des politiques publiques.
Cette enquête a été conduite au plus près du terrain, dans six académies. Elle s’est déroulée au sein
des services déconcentrés du ministère de l’éducation nationale, mais également dans une cinquantaine
d’écoles, de collèges et de lycées publics, l’enseignement privé n’ayant pas été examiné à cette occasion.
Pour compléter cette approche, nous avons souhaité nous ouvrir à d’autres visions, d’autres
méthodes. C’était indispensable car chacun a une idée sur les défauts et les qualités de notre système
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éducatif, pour l’avoir vécu directement en tant qu’élève, ou indirectement par nos enfants, ce qui est sans
doute encore plus stressant !
Nous avons donc examiné sur place les systèmes éducatifs britannique, espagnol et suisse, afin
d’établir des comparaisons fondées sur des observations concrètes. Et nous avons organisé, au-delà des
procédures traditionnelles de contradiction auxquelles la Cour est particulièrement attachée, des auditions
pour confronter nos observations et nos recommandations aux acteurs de l’éducation nationale.
Vous l’aurez compris, cette démarche novatrice, qui s’inspire de certaines méthodes d’évaluation des
politiques publiques, était indispensable pour répondre à la question suivante, qui est également le titre du
rapport : l’éducation nationale assure-t-elle la réussite de tous les élèves ?
Voeu pieux me direz-vous car, même si le bonnet d’âne a été heureusement supprimé, les différences
entre les bons et les mauvais élèves n’ont, malheureusement, pas disparu.
Mais derrière cette formule que certains jugeront utopique, se cache une interrogation essentielle :
quel est le service rendu par le système éducatif à ses élèves, et à travers eux, à l’ensemble de la société ?
La réalité qui nous est renvoyée par les évaluations internationales est celle d’un pays dans une
position moyenne voire médiocre en ce qui concerne les résultats et les coûts par rapport aux principales
nations comparables :
- d’abord, la France est le pays de l’OCDE où le retard scolaire à 15 ans est le plus important, - dix
fois plus qu’au Japon, en Grande-Bretagne, en Australie ou en Suède ;
- ensuite, en France, un jeune sur cinq ne maîtrise pas les compétences de base en lecture au terme
de la scolarité obligatoire. Et ce résultat s’aggrave : selon les tests PISA de l’OCDE, cette proportion est
passée de 15% en 2000 à près de 22% en 2006 ;
- enfin, ces résultats décevants ont des conséquences directes sur l’accès à l’enseignement
supérieur. Un jeune sur six quitte le système scolaire sans aucun diplôme, et le taux de diplômés de
l’enseignement supérieur long, c’est-à-dire au moins le niveau de la licence, n’est en France que de 24%,
contre 41% en Norvège, 35% aux Pays-Bas ou 34% en Corée du Sud.
Ces constats dressent, au total, un portrait peu satisfaisant du système scolaire public français, qui a
pourtant su répondre au défi de la massification, avec le doublement entre 1985 et 1995 du taux d’accès d’une
génération au niveau du baccalauréat. Mais, et j’y reviendrai, l’éducation nationale n’a pas réussi à surmonter
le défi de la démocratisation, c'est-à-dire à assurer la réussite des élèves qui, notamment pour des raisons
culturelles ou sociales, sont le plus en difficulté.
La solution aux difficultés du système scolaire ne se trouve pas selon la Cour dans un accroissement
des moyens financiers et humains qui lui sont consacrés. Avec 3,9% de son produit intérieur brut dépensés
pour ses établissements d’enseignement primaires et secondaires, la France se situe aujourd’hui dans la
moyenne des pays de l’OCDE. Et, lorsque l’on rapporte les dépenses par élève, les comparaisons
internationales montrent que certains des pays les plus performants, comme la Finlande ou le Japon, figurent
parmi les moins coûteux.
Nos difficultés ne viennent donc pas des moyens financiers disponibles, mais bien de l’inadaptation du
système éducatif, qui n’est pas suffisamment orienté vers les besoins des élèves. Le ministère de l’éducation
nationale privilégie en effet une gestion uniforme des établissements et de ses personnels, plutôt que
d’adapter les missions des enseignants et l’organisation administrative aux publics dont il a la charge.
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C’est donc bien l’organisation de l’enseignement scolaire qui est un facteur explicatif important des
résultats décevants de notre système éducatif. Ce sera mon premier point.
Le second point, c’est que ces choix d’organisation ne permettent pas à notre système éducatif de
réduire suffisamment les inégalités, malgré les efforts entrepris depuis de nombreuses années pour lutter
contre l’échec scolaire.
L’organisation de notre système éducatif est, je le disais, trop orientée vers l’offre et pas assez vers
les besoins des élèves.
Cela tient pour une part à l’organisation et aux modes de gestion de l’État qui trop souvent pilote à vue
la politique éducative. Les besoins des élèves sont très peu recensés. Les parcours scolaires sont mal
connus, faute de bases de données permettant un suivi sur plusieurs années des élèves, même si des
progrès ont été récemment annoncés en la matière. Enfin les évaluations du système éducatif restent limitées
et insuffisamment utilisées.
Par ailleurs, l’éducation nationale ignore dans la plupart des cas le coût des politiques éducatives
qu’elle conçoit et met en oeuvre, tout comme celui de tel collège ou de tel lycée.
Toutefois, les difficultés que rencontre notre système éducatif public ne tiennent pas seulement à
l’absence de boussole ou de thermomètre, mais surtout aux choix d’organisation et aux décisions de gestion.
Les établissements ont très peu de marges de manoeuvre, en raison notamment de la lourdeur des
programmes nationaux et du système d’allocation des moyens trop uniformisant.
Or, j’insiste sur le fait que le système scolaire ne pourra progresser qu’avec les enseignants. C’est
grâce à leur implication personnelle, à leur dévouement et à leur imagination que le système scolaire peut
fonctionner en dépit de ses rigidités.
L’affectation des enseignants répond également davantage à une logique de gestion fondée
essentiellement sur leur ancienneté plutôt que sur les attentes des élèves. Ainsi, les enseignants qui débutent
sont, pour près de la moitié, nommés dans des fonctions de remplacement ou, pour près d’un cinquième,
dans des postes situés dans les zones les plus difficiles, où des professeurs plus expérimentés seraient bien
utiles.
A l’inverse, les élèves des classes préparatoires, c’est-à-dire ceux qui ont les meilleurs résultats, sont
les seuls à bénéficier systématiquement d’enseignants choisis parce qu’ils présentent les qualités requises. Le
Président de la République comme le ministre ont toutefois récemment annoncé que les chefs d’établissement
en zone sensible auront à l’avenir la faculté de choisir leurs équipes enseignantes.
L’offre de formation est par ailleurs trop éparpillée, avec la multiplication non maîtrisée des options,
dans l’enseignement secondaire professionnel, mais également dans la filière générale. Dans cette dernière,
on assiste à une concurrence entre établissements par la variété et le nombre des options, qui font souvent
leur réputation mais qui sont très coûteuses pour le système scolaire.
L’éducation nationale rencontre également des difficultés à faire évoluer le métier d’enseignant,
encore trop tourné vers la seule transmission des savoirs.
Ainsi, les décrets qui organisent les activités des enseignants du second degré sont restés inchangés
depuis 1950, alors qu’ils ne prévoient ni le travail en équipe pédagogique, ni l’accompagnement personnalisé
des élèves. Cette inadaptation des textes a conduit à un développement désordonné, parfois irrégulier, et
surtout coûteux, de mesures visant à rémunérer les activités des enseignants dans ces différents domaines.
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De même, la définition du service des enseignants sur une base hebdomadaire s’avère coûteuse,
puisqu’elle favorise le développement des heures supplémentaires dites « années ». Celles-ci représentaient
un coût global pour les finances publiques de 850 millions d’euros en 2008-2009, si l’on ajoute aux dépenses
budgétaires le montant des exonérations fiscales et sociales. Pourtant, dans le même temps, le service effectif
des enseignants peut être inférieur à la durée légale de 36 semaines, en raison notamment de l’organisation
d’examens dans les établissements.
La définition du temps scolaire est enfin le dernier symptôme d’un système insuffisamment orienté
vers les élèves.
A l’école, depuis la suppression de l’enseignement le samedi matin par un décret du 15 mai 2008,
l’élève français a, avec six heures minimum, un des horaires journaliers les plus élevés au monde. Il a, dans le
même temps, l’année scolaire la plus courte, avec 144 jours de classe par an, contre par exemple 210 jours
en Italie ou au Danemark.
Or ce rythme scolaire est jugé pénalisant pour l’apprentissage des élèves, tant par les inspections
générales du ministère de l’éducation que par l’académie nationale de médecine. Le ministère semble en
avoir enfin pris conscience puisque la circulaire organisant la rentrée de septembre 2010 recommande la
semaine de 4 jours et demi dès lors qu’il y a un consensus local.
De plus, la France se situe dans les premiers rangs des pays de l’OCDE pour le total des heures
d’enseignement suivies par les élèves, à tous les stades de la scolarité, alors même que les pays qui
obtiennent les meilleurs résultats sont aussi ceux où il y a le moins d’heures de cours - un tiers de moins en
Finlande ou en Suède.
Dans le secondaire, la confection des emplois du temps des classes dépend d’un ensemble de
variables, au premier rang desquelles figurent les voeux des enseignants et les contraintes du rythme
hebdomadaire de l’enseignement disciplinaire, et moins des besoins et des capacités des élèves.
En fait, notre enquête aboutit à une constatation simple : dans son organisation, le modèle scolaire
français tend à favoriser les élèves sans difficultés particulières, soit seulement un peu plus de la moitié de
chaque classe d’âge.
A cet égard, les comparaisons internationales sont particulièrement éclairantes. La France est ainsi le
pays où les écarts de résultats entre élèves se sont le plus accrus entre 2000 et 2006. Notre pays est
également celui où l’impact de l’origine sociale sur les résultats des élèves est le plus grand - de l’ordre du
double de celui du Japon ou du Canada.
Ces données font donc de la France le pays occidental le plus éloigné de l’objectif de l’égalité des
chances, pourtant affirmé à l’article premier du code de l’éducation.
La dégradation des performances de la France en matière éducative tient en réalité à un problème
aigu et croissant de traitement des difficultés scolaires. C’est qu’en effet les pays les plus performants sont le
plus souvent ceux où l’écart de résultats entre les élèves de statut favorisé et de statut défavorisé est le plus
faible.
Certes, le ministère de l’éducation nationale a depuis une dizaine d’années, créé des dispositifs d’aide
aux élèves : programmes personnalisés de réussite éducative, accompagnement éducatif, aide personnalisée
à l’école primaire, etc.
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Mais l’État a eu tendance à privilégier les effets d’affichage en multipliant les dispositifs de
remédiation, de soutien ou d’accompagnement. Or, la réalité, c’est que l’on a deux fois moins de collégiens
qui bénéficient de programmes personnalisés de réussite éducative que de collégiens qui sortent du système
éducatif sans aucune qualification, ni diplôme.
La réalité, c’est que l’éducation prioritaire ne signifie en moyenne que 2 élèves de moins par classe,
ce qui n’est pas significatif pour le traitement de la difficulté scolaire.
Pourquoi cette situation ?
Parce que ces réformes ont toutes pour caractéristique de s’appliquer uniformément à tous les
établissements, comme s’ils avaient les mêmes besoins, nécessitaient les mêmes moyens, et appelaient les
mêmes procédures, ce qui entraîne une dispersion des moyens.
Mais c’est aussi parce que, alors même que l’éducation nationale intensifie ses efforts pour assurer
l’égalité des chances, elle laisse dans le même temps perdurer des pratiques qui conduisent à affaiblir son
efficacité.
Il n’est ainsi pas normal que la France soit un des pays développés où l’on consacre le moins de
moyens à l’enseignement primaire par rapport au lycée, alors que tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut
lutter contre les carences scolaires dès ce niveau.
Par ailleurs, notre pays est le champion du redoublement : 40 % des élèves français âgés de 15 ans
ont déjà redoublé au moins une fois, contre presqu’aucun dans les pays nordiques, au Japon et au Royaume-
Uni.
Or ce n’est parce que l’on redouble que les résultats s’améliorent. Pour simplifier, les jeunes Français
qui n’ont jamais redoublé se situent au dessus du niveau moyen des pays les plus performants ; s’ils ont
redoublé une fois, ils sont un peu au dessus de la Grèce ; et, s’ils ont redoublé deux fois, ils sont au niveau du
Mexique. Et qui plus est, le redoublement coûte très cher à l’Etat : 2 milliards d’euros par an, selon les
estimations du ministère.
L’échec de l’enseignement public à assurer l’égalité des chances tient également aux pratiques
d’orientation trop précoce, qui sont faites essentiellement par l’échec au collège et au lycée. Cette procédure
génère une forte inégalité des chances : seulement 18% des élèves issus d’un milieu social défavorisé
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obtiennent un baccalauréat général, contre 78% des élèves issus de familles favorisées.
Et ces pratiques divergent en outre fortement selon les territoires : ainsi des élèves de niveau scolaire
équivalent sont orientés vers l’enseignement professionnel dans une proportion d’un sur trois dans certaines
académies, et d’un sur cinq dans d’autres.
De même, le ministère de l’éducation nationale, qui interdit officiellement les classes de niveau, laisse
en même temps la moitié des établissements du second degré en mettre en place. Pourtant toutes les études
démontrent que les classes dont les élèves ont des niveaux hétérogènes permettent d’élever la performance
moyenne d’un établissement.
Enfin, l’assouplissement de la carte scolaire, s’il répond aux attentes de nombreux parents, est porteur
de risque. Ainsi, au collège, les demandes de dérogation ont augmenté de 29% en 2008, et l’on observe que
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C'est-à-dire ouvriers, retraités ouvriers et employés, chômeurs.
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sur les 254 collèges « ambition réussite », 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui conduit à une plus
grande concentration des difficultés dans ces établissements.
Mesdames et Messieurs,
Vous l’aurez compris, la performance du système éducatif français a, au cours des dernières années,
plutôt diminué, sous l’effet de son incapacité à lutter contre les inégalités. Ce constat appelle un traitement
massif, urgent et efficace de la difficulté scolaire.
Rien ne justifie en effet que les Polonais ou les Allemands aient rattrapé, puis dépassé les Français,
rien sauf leur gestion différente du système éducatif. Il n’y a pas de fatalité française, il y a en revanche une
mauvaise organisation de l’école.
La Cour propose donc de repenser la gestion d’ensemble du système scolaire, de l’administration
centrale aux équipes éducatives, en l’adaptant à l’hétérogénéité des élèves.
Il conviendrait avant tout de recenser les besoins d’accompagnement individualisé des élèves, qui ne
sont pas connus aujourd’hui.
Sur cette base, il faudrait différencier fortement les moyens d’enseignement en fonction des
établissements. Il n’est en effet pas cohérent de disperser sur tout le territoire de multiples dispositifs
d’accompagnement au lieu de se concentrer sur les établissements les plus en difficulté.
Il faut en outre donner aux établissements d’enseignement qui font baisser les taux de redoublement
des moyens supplémentaires de soutien scolaire. Et le ministère devrait engager un effort exceptionnel avec
des contrats d’objectifs pluriannuels pour les établissements confrontés à la plus grande difficulté scolaire.
Par ailleurs, il faudrait accroître les marges de manoeuvre des établissements. Ce sont les équipes
éducatives qui devraient être responsables localement de la répartition des moyens d’enseignement. Dans le
cadre d’un projet d’établissement élaboré collectivement, la communauté éducative pourrait ainsi organiser les
emplois du temps en fonction des différents publics d’élèves, pour adapter la part dévolue au soutien scolaire,
sous forme de cours ou d’aides spécifiques.
Enfin, la contrepartie nécessaire de l’autonomie est l’évaluation : la Cour recommande d’engager une
évaluation systématique du coût et de l’efficacité des dispositifs éducatifs et des établissements.
Ce n’est qu’à ces conditions que le système scolaire pourra atteindre l’objectif central qui lui a été fixé
par la Nation : celui de la réussite de tous les élèves.
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre attention et me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos
questions, ainsi que M. Jean Picq, Président de la troisième chambre, Madame Claire Bazy-Malaurie,
Président de chambre et rapporteur général, M. Pascal Duchadeuil, conseiller maître et Madame Marie Ange
Mattei, conseillère référendaire.