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Le 20 février 2025
Le Premier président
à
Monsieur Bruno Retailleau
Ministre d’État, ministre de l’intérieur
Monsieur Sébastien Lecornu
Ministre des armées
Réf. : S2025-0144
Objet
: Les formations militaires en charge de la sécurité civile
En application des dispositions de l’article L 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné les comptes et la gestion des formations militaires en charge de la sécurité
civile - brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), bataillon de marins-pompiers de
Marseille (BMPM), formations militaires de la sécurité civile (FORMISC) - pour les exercices
2017 à 2023.
À l’issue de ses contrôles, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
La grande majorité des personnels en charge de la sécurité civile dans notre pays sont
des sapeurs-pompiers volontaires (près de 198 000) et des sapeurs-pompiers professionnels
relevant de la fonction publique territoriale (environ 42 000 agents) affectés au sein des
services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Toutefois, trois formations
militaires, rassemblant de l’ordre de 12 000 militaires, soit 5 % du total des pompiers de
France, concourent aux missions de la sécurité civile : la BSPP qui compte plus de 8 300
pompiers militaires et couvre Paris, les départements de petite couronne, ainsi que les trois
principaux aéroports franciliens (Charles-de-Gaulle, Orly et le Bourget) ; le BMPM, unité
militaire de la Marine nationale (près de 2 000 marins-pompiers), qui est placée pour emploi
auprès du maire de Marseille ; et les FORMISC, composées de trois régiments (au total près
de 1 500 militaires) mis pour emploi auprès du directeur général de la sécurité civile et de la
gestion des crises et prêts à intervenir au plan national et international en cas de crise.
Les contrôles de la Cour ont permis de constater la très forte mobilisation de ces unités
et de leurs personnels. Ils ont cependant révélé la nécessité de prendre sans délai des
mesures correctrices dans deux domaines relatifs, d’une part, aux missions accomplies par
les formations militaires pour le compte de tiers, d’autre part, aux risques pesant sur leur
gestion des ressources humaines.
Cour des comptes – Référé n° S2025-0144
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1.
L’ÉTAT ASSUME INDÛMENT UNE PARTIE DU COÛT DE MISSIONS
ACCOMPLIES POUR LE COMPTE DE TIERS
L’État assure le financement des FORMISC qui sont un de ses services, sur le
programme 161 « sécurité civile » du ministère de l’intérieur (pour un montant de l’ordre de
127,9 M
€
en 2023, dont 41,0 M
€
de contribution au compte d’affectation spéciale (CAS)
Pensions.
En application de dispositions législatives, il prend également en charge une partie
substantielle du financement de la BSPP et du BMPM. Ainsi, l’État assume 25 % des dépenses
de fonctionnement de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris avec un plafond, le reste de la
charge étant répartie entre la ville de Paris, les trois départements de petite couronne, et les
123 autres communes que ceux-ci comprennent. En 2023, la participation de l’État aux
dépenses de fonctionnement s’élevait ainsi à 104,37 M
€
imputés sur le même programme 161
« sécurité civile » du ministère de l’intérieur. S’agissant du bataillon de marins-pompiers de
Marseille, la dépense (125,7 M
€
pour le fonctionnement en 2023) relève du budget de la ville
de Marseille qui bénéficie en l’espèce des contributions de l’État (10 M
€
, portés à 15 M
€
en
2024), de la Métropole Aix-Marseille (12,9 M
€
) et du conseil départemental des Bouches-du-
Rhône (10 M
€
).
De surcroît, pour la BSPP et le BMPM, l’État supporte le financement de dépenses
relatives au CAS
Pensions
des personnels militaires, soit une charge estimée en 2023 à
221,54 M
€
pour la BSPP et à 69,35 M
€
pour le BMPM.
Ces différentes contributions de l’État sont prévues par la loi au titre de l’exercice des
fonctions que celle-ci assigne statutairement aux trois formations militaires. Or, en sus de ces
fonctions, la BSPP et le BMPM mettent à disposition certains de leurs personnels auprès
d’institutions publiques mais aussi d’organismes publics ou privés sans que, comme la Cour a
pu le constater, le coût complet, comprenant la contribution au CAS
Pensions
et les frais de
gestion, ne soit facturé aux entités concernées.
Ainsi, la BSPP affectait 436 de ses militaires en 2023 auprès de la Présidence de la
République, de l’Assemblée nationale, du ministère de l’intérieur, du ministère des armées
mais aussi d’organismes très variés, qu’il s’agisse du Centre national d’études spatiales à
Kourou, du centre d’essais des missiles de la DGA à Biscarosse ou de l’Hôtel des Invalides.
À ces lieux stratégiques, s’inscrivant dans la protection de l’intérêt supérieur de l’État,
s’ajoutent trois établissements publics à caractère administratif rattachés au ministère de la
culture : la Bibliothèque nationale de France, le Musée d’Orsay et le Musée de l’Orangerie, et
le Musée du Louvre.
À la demande de la Cour lors d’un contrôle précédent, une revue de ces détachements
a conduit à en supprimer un certain nombre, comme ceux du Carrousel du Louvre, des
Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine ou du Palais de la Cité. Il reste que, telles qu’elles
sont prévues par les conventions en vigueur, les dépenses remboursables par les entités
bénéficiaires des détachements de pompiers (dont le montant total s’élève à 23,65 M
€
en
2023) ne comprennent dans aucun des cas la couverture du coût des contributions au CAS
Pensions
ni les frais inhérents à la gestion de ces détachements.
Si la non facturation au budget spécial de la ville de Paris des cotisations au CAS
Pensions
est une pratique ancienne s’inscrivant dans l’équilibre global des relations entre l’État
et la ville de Paris, rien ne justifie en revanche que les coûts correspondants ne soient pas
imputés aux organismes publiques et privés qui emploient des détachements de la brigade.
La Cour recommande que les refacturations correspondantes soient émises en direction de
ces organismes.
S’agissant du BMPM, conformément au code général des collectivités territoriales, il
déploie ses missions au-delà des limites du territoire de la commune de Marseille en
intervenant sur l’aéroport de Marseille-Provence et le Grand port maritime de Marseille, mais
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aussi dans le cadre de conventions spécifiques, au profit de la société privée Airbus
Helicopters et du SMUR.
L’analyse réalisée par la Cour des différentes conventions financières révèle que les
coûts supportés par le ministère des armées et non refacturés à la ville de Marseille, qu’il
s’agisse des contributions au CAS
Pensions
ou d’une partie des cotisations sociales, ne sont
pas répercutés sur les entités concernées qui ont ainsi bénéficié d’un financement indirect de
l’État pour près de 6,8 M
€
en un an selon les calculs opérés par la Cour pour l’exercice 2022
1
.
La Cour recommande que ces contributions soient réintégrées dans les conventions et
in fine
remboursées au ministère des armées par les bénéficiaires de ces prestations.
Il convient d’ajouter que l’État subit un préjudice supplémentaire dans le cas du BMPM :
en effet, alors que le code général des collectivités territoriales prévoit la prise en charge des
dépenses de rémunérations et charges sociales des personnels militaires par la ville de
Marseille, celle-ci a décidé, il y a une quinzaine d’années, de ne pas rembourser à l’État deux
cotisations sociales qui représentent environ 3 M
€
par an
2
. L’absence de remboursement a
généré un préjudice important qui atteint en cumul 20,46 M
€
pour les comptes de l’État entre
2017 et 2023. Dès 2017, la Cour avait d’ailleurs recommandé la régularisation de la situation.
Le défaut de mise en
œ
uvre de cette recommandation est susceptible d’engager la
responsabilité des agents du ministère des armées.
S’agissant des FORMISC, la Cour a par ailleurs constaté que la direction générale de
la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) n’avait pas transmis aux services de
la Commission européenne, pour un montant de 13,9 M
€
, les demandes de remboursement
des frais relatifs aux missions accomplies par les modules français sollicités d’intervenir à
l’étranger dans le cadre des opérations de gestion de crise. Ce retard dans le traitement des
dossiers trouve son origine dans un défaut de procédures formalisées au sein de la DGSCGC,
doublé de l’exigence de la Commission européenne d’une certification préalable des comptes
au-delà d’un certain seuil, à laquelle la direction peine encore à se conformer.
Si la DGSCGC allègue que la Commission européenne a accordé un délai à la France
pour rétablir la situation et que des actions ont été récemment entreprises afin d’améliorer ces
dispositifs de remboursement, rien ne laisse présager à ce jour que l’intégralité des sommes
en cause sera recouvrée.
2.
LE RECRUTEMENT DES POMPIERS MILITAIRES PAR LES SERVICES
DÉPARTEMENTAUX D’INCENDIE ET DE SECOURS DOIT ÊTRE MIEUX RÉGULÉ
La Cour a relevé que le recrutement des pompiers militaires, peu de temps après leur
entrée en fonctions, par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) met à
mal la gestion des ressources humaines des trois unités et leur font supporter les coûts de la
formation des jeunes militaires dont ils ne profiteront que pour une durée limitée.
De fait, les militaires de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris peuvent à tout
moment solliciter l’une des passerelles d’accès à la fonction publique d’État ou à la fonction
publique territoriale prévues par le Code de la défense (articles L.4139-1, L.4139-2, L.4139-3
et L.4138-8). Environ 100 à 150 sous-officiers et militaires du rang relevant de la BSPP
rejoignent ainsi chaque année différents services publics, dont les services départementaux
d’incendie et de secours. Par ailleurs, ils peuvent se présenter aux concours organisés tous
les 3 ans. À titre d’illustration, environ 450 militaires ont quitté la BSPP depuis le second
semestre 2022 et jusqu’en 2024, soit de l’ordre de 5 % du personnel.
Une tentative de la BSPP d’inscrire dans la nouvelle loi de programmation militaire une
disposition de nature à réguler les départs des pompiers de Paris vers les SDIS n’a pas abouti.
1
Dont 2,7 M
€
pour le grand port maritime, 1,69 M
€
pour l’aéroport Marseille Provence, 1,48 M
€
pour la société
Airbus Helicopters et 0,92 M
€
pour le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR).
2
La cotisation au fonds national d’aide au logement (FNAL) et la part actualisée de l’ancienne part variable de la
cotisation CNAF.
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Pourtant, une disposition permettant de limiter les possibilités de mobilité des pompiers
militaires vers le civil durant les quatre années qui suivent un recrutement mériterait d’être
examinée.
Pour le BMPM, la réussite aux concours de la fonction publique territoriale constitue
aussi un facteur de départ précoce déterminant. Ce phénomène s’est accéléré à tel point qu’en
2022, par exemple, ces derniers ont représenté 19 % des départs totaux et 30,7 % des départs
autres que les flux classiques de type démission ou fin de contrat. Ce sujet constitue un irritant
majeur pour le bataillon qui subit une forme de captation de ses forces vives par les SDIS, une
fois celles-ci formées par ses soins.
Dans son précédent contrôle du BMPM, la Cour avait déjà relevé cette difficulté et
souhaité que soit organisée, en lien avec le ministère de l’intérieur, une meilleure régulation
des flux, via des règles précisant les conditions de recrutement des pompiers militaires dans
les services départementaux d’incendie et de secours. Dès lors que ces derniers offrent aux
marins-pompiers la perspective d’une relocalisation géographique plus attractive, mais
également un travail mieux rémunéré et moins astreignant, l’absence de contraintes sur leurs
possibilités de recrutements restera génératrice, pour le bataillon, d’un turn-over excessif et
source de grandes difficultés dans la gestion du corps et du niveau d’excellence auxquels il
doit se tenir en termes de compétences.
Enfin, même si les effectifs en cause sont plus modestes, la concurrence de la fonction
publique territoriale concerne également les FORMISC. La Cour a constaté une décrue des
candidatures à l’entrée dans ces formations, cette baisse étant pour une grande part liée au
contexte de forte concurrence avec les autres acteurs et employeurs, en tout premier lieu les
sapeurs-pompiers des SDIS. Les conditions de travail et la rémunération de ces derniers ont
été rehaussées au cours de la dernière décennie et les contraintes qui pèsent sur eux sont
bien plus souples que celles de militaires soumis à l’astreinte et à la discipline des armées.
Quant aux sous-officiers, les non-renouvellements de contrats s’expliquent en partie par
l’attirance pour le statut de sapeur-pompier professionnel au sein des SDIS, où les
qualifications acquises sont une ressource appréciée.
Une telle situation justifie que des mesures soient prises afin de réguler les flux
sortants, sans empêcher pour autant les mouvements de personnels après quelques années
d’exercice du métier au sein des formations militaires.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes
:
Recommandation n°1
:
(ministre d’État, ministre de l’intérieur, ministre des armées)
assurer
la refacturation au coût complet des moyens humains mis à disposition des organismes publics
ou privés comme de l’Union européenne dans le cadre des missions supplémentaires de la
BSPP, du BMPM et des FORMISC.
Recommandation n°2
:
(ministre d’État, ministre de l’intérieur, ministre des armées)
mettre
en
œ
uvre des mécanismes de fidélisation des pompiers militaires afin de réduire les départs
vers les services départementaux d’incendie et de secours, en ajoutant une condition
d’ancienneté pour accéder à la fonction publique territoriale.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois, prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le premier président
Pierre Moscovici
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
:
(
https://send-tpro.ccomptes.fr/home/index?c=Cour%20des%20comptes)
à
l’adresse
électronique
suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 19 juillet 2024 relatif aux caractéristiques techniques de l’application
« Correspondance JF »).
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