Paris, le 1er juillet 2024
a/s :Observations définitives – L'ambassade de France près le Saint-Siège et son
administration des Pieux établissements de la France à Rome et à Lorette.
Réponse de François-Xavier Tilliette, ancien premier conseiller à l'ambassade de France près le
Saint-Siège, d'août 2012 à août 2016 (avec les fonctions de chargé d'affaires de mars 2015 à juin
2016)
J'ai bien reçu le rapport (« observations définitives ») de la Cour des comptes sur les Pieux
établissements de la France à Rome et à Lorette (PEF), dont j'ai pris connaissance avec intérêt. Je
m'étonne d'ailleurs, au regard de la procédure contradictoire, que les observations provisoires ne
m'aient pas été adressées. Huit ans après mon départ de l'ambassade de France près le Saint-Siège et
n'ayant gardé à titre personnel, comme me l'impose la déontologie, aucun document relatif à mes
fonctions dans ce poste, je ne suis pas en mesure de commenter utilement les points précis de
gestion ou de comptabilité développés par ce rapport. Je me permettrais néanmoins de faire part à la
Cour de quelques brèves réflexions que m'inspirent ses observations, en précisant que ces
remarques faites à titre personnel n'engagent que moi, d'autant que j'ai quitté le ministère de
l'Europe et des Affaires étrangères à mon départ en retraite mi 2023. Elles porteront sur deux
thèmes principaux, le statut des Pieux établissements et leur fonctionnement.
1/ La présentation du statut des PEF comme assimilable à celui d'un service de l'ambassade est une
hypothèse qui peut être avancée, sans qu'elle entraîne entièrement l'adhésion sur la seule base des
arguments figurant dans le rapport. La position constante du ministère depuis des décennies sur la
personnalité juridique des PEF comme une entité sui generis de droit italien ne semble pouvoir être
abandonnée sans une expertise juridique plus poussée. Certains éléments contenus dans le
règlement de 1956 et la décision des juridictions italiennes portant sur les seuls aspects fiscaux ne
paraissent en effet pas suffisants pour arrêter un changement de doctrine radical, dans le contexte
historique des relations et des accords entre la France et le Saint-Siège. Au demeurant, la gestion et
le fonctionnement des PEF s'inscrivaient à l'époque de ma mission dans les consignes données par
le ministère au regard de cette doctrine.
2/ Dès ses premières pages, le rapport déplore une « gestion opaque et artisanale » des PEF. L'on ne
peut que se réjouir de la perspective d'une amélioration des procédures vis-à-vis des
approximations, voire des irrégularités, longuement décrites. Je souhaiterais cependant m'arrêter sur
le terme « artisanal » pris ici en mauvaise part. A l'aune de mon expérience de quatre ans de mission
à Rome Saint-Siège et de mes fonctions aux PEF, j'endosserais, en ce qui me concerne, cet adjectif
dans son acception première, tant les qualités de l'activité artisanale évoquant le savoir-faire, la
finesse, l'implication et l'amour de son métier, m'ont paru au cœur de la motivation des responsables
et des personnels des Pieux Etablissements. Dans cette période, les relations entre l'ambassade et
l'administration des PEF ont toujours été empreintes d'un esprit de coopération constructif, de
cordialité et du souci de valoriser le patrimoine et l'histoire de la France dans ses rapports avec la
Rome pontificale.
Je n'aurai donc aucun commentaire à apporter sur les recommandations de la Cour en termes de
modernisation et de rationalisation de certaines procédures comptables et administratives qui ne
peuvent que faciliter le fonctionnement des PEF, en précisant que les manières d'agir antérieures
étaient pour l'essentiel l'héritage de pratiques anciennes, liées notamment au statut des PEF tels
qu'ils ressortaient de la position constante du ministère.
En revanche, sur un plan général, sur les aspects relationnels et humains, sur l'image des « Pieux »,
sur leur présence dans la Rome pontificale, leur logique et leur efficacité, tout se déroulait, lors de
ma mission, dans de bonnes conditions. Ainsi (une fois de plus il s'agit d'un avis personnel) pour
nuancer l'impression, peut-être surinterprétée par moi, que donne le rapport d'une gestion douteuse
et empirique, d'un fonctionnement confus, d'une structure assoupie, « sclérosée » et fermée face aux
rapports conflictuels qu'elle aurait entretenus avec « le reste du monde », je souhaiterais émettre
quelques remarques impressionnistes, sur certains points relevés au fil de la lecture de ce rapport,
s'agissant de la période où j'étais en poste à Rome.
–
Les rapports entre l'ambassade et les PEF n'étaient pas marqués par des « tensions
récurrentes », ni même ponctuelles. Les échanges d'informations, le respect du rôle de
chacun, la transparence et la fluidité de la gestion étaient la norme.
–
S'agissant du parc immobilier locatif (cf. p 35), la liste des logements vacants et les
conditions de leur remise en location faisaient l'objet d'un point en députation
administrative. Il y avait assez peu de vacances durant cette période.
–
Les quelques plaintes qui pouvaient remonter de la part de locataires concernaient très
largement le coût des loyers jugés trop élevé (et non des problèmes de gestion ou de
maintenance). Je relève que le rapport considère que le montant des loyers paraît au
contraire inférieur à ce qu'il devrait être.
–
Si les travaux entièrement effectués sur leurs crédits propres par les PEF (hors convention
avec le ministère de la culture) ne faisaient pas l'objet d'un schéma directeur (il est bien sûr
heureux de mettre en place une telle initiative), ils n'en répondaient pas moins à une logique
fondée sur des priorités établies autour des deux axes que sont la bonne conservation des
bâtiments et la mise en valeur de leur richesse patrimoniale, tout en tenant compte des
urgences qui pouvaient se manifester (comme la réfection de la façade de la Trinité-des-
Monts quelques années seulement après que cette opération avait été faite sous la maîtrise
d'oeuvre du ministère de la culture, cette première restauration s'étant révélée déficiente).
Pour le reste, le nombre de travaux réalisés pendant cette période, avec ou sans recours au
ministère de la culture, témoigne d'une attention constante à la conservation de ce
patrimoine unique. Il est curieux de parler de « stratégie de thésaurisation » (p 71) puisqu'il
aurait été difficile d'entreprendre davantage de travaux avec les moyens humains et
logistiques des PEF comme avec les moyens budgétaires du ministère de la culture. D'autant
que certains travaux de restauration des sites exigent une mise en œuvre progressive. La
bonne santé financière des PEF n'était donc pas le fait d'un souci d'économie excessive mais
d'une gestion avisée du parc immobilier locatif dans un marché romain en croissance.
Cependant, une réflexion était envisagée sur l'utilisation d'une partie des bénéfices pour le
lancement d'un grand projet immobilier s'inscrivant dans la mission des Pieux
établissements.
–
Contrairement à ce qu'on croit comprendre à la lecture du rapport (p 91, p 95,...) la qualité
des contacts des PEF avec ses principaux interlocuteurs, et plus largement l'ensemble de
l'écosystème français de Rome, était généralement très bonne : relations de bon voisinage
avec la Villa Médicis, coopération active avec l'Ecole française de Rome (organisation de
colloques scientifiques, publication du manuscrit du Père Martin, document majeur sur
l'histoire de la Trinité-des-Monts notamment), rapports apaisés et fructueux de propriétaire à
locataire avec l'IFCSL en 2015 et 2016, relations fluides et opérationnelles avec les
affectataires de la Trinité-des-Monts, alors les Fraternités monastiques de Jérusalem, bonnes
relations avec le Palais Farnese.
–
Si le rapport déplore une « mise en valeur insuffisante de Saint Louis » (p 92), cette église
n'en était pas moins une des plus visitées de Rome. L'accueil des pèlerins faisait l'objet d'une
particulière attention, notamment à l'occasion des événements majeurs du Saint Siège à cette
époque (inauguration du pontificat de François en 2013, canonisation des papes Jean XXIII
et Jean-Paul II en 2014, …) où un circuit de rencontres spirituelles organisées dans les cinq
églises françaises, ouvertes jour et nuit, était suivi par un grand nombre de pèlerins français.
–
La proposition de réaffecter des pères du Saint Sacrement de nationalité française à Saint-
Claude (p 82), église désormais gérée par des prêtres de cette congrégation de nationalité
italienne, paraît quelque peu utopique au regard de la crise des vocations dans l'Eglise de
France. Sur le long terme, il est des circonstances où le pragmatisme semble préférable à
une interprétation rigide des textes. Dans tous les cas, une négociation avec nos partenaires
serait nécessaire pour la sortie de la Convention de 1886, faisant partie des accords en
vigueur entre la France et le Saint-Siège, lequel semble au demeurant le grand absent de ce
rapport.
En effet, quel que soit le satut qui sera finalement reconnu aux Pieux Etablissements, on ne peut
réduire les différents aspects les concernant à une question franco-française. Le socle sur lequel ils
s'appuient est l'ambassade de France près le Saint-Siège qui assure la présidence de leur
administration. La mission première et existentielle de l'ambassade est la conduite et le suivi des
relations diplomatiques entre la France et le sujet de droit international qu'est le Saint-Siège. Le
patrimoine religieux des PEF est constitué d'églises situées dans le diocèse de Rome, dont l'évêque
est le Saint-Père lui-même. Sur le plan pastoral, des liens existent naturellement entre les églises
françaises et le Vicariat général, qui doit être informé des évolutions principales de ces lieux de
culte. D'autre part, leur localisation sur le sol italien, moyennant les dispositions complexes des
accords du Latran, est une réalité qui ne peut être négligée sur le plan administratif. On le relève
notamment pour la restauration des bâtiments historiques des PEF nécessitant l'accord de la
« Soprentindenza dei beni culturali » qui exerce un contrôle exigeant sur ces travaux.
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Cette période, qui n'a été marquée d'aucun scandale nuisible à l'image des PEF ou de l'ambassade,
s'est déroulée dans une atmosphère de fluidité et de confiance, jalonnée en outre par des réalisations
et des événements fructueux. On ne peut toutefois que se réjouir de la perspective d'un
aggiornamento et de réformes enrichissantes qui permettront d'en améliorer encore le
fonctionnement et l'image./.
François-Xavier Tilliette