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Auneuil, le 3 juillet 2024
Philippe ZELLER
Ministre plénipotentiaire HC (R)
Ancien Ambassadeur de France près le Saint-Siège
À
Monsieur le Président de la Quatrième Chambre
Cour des Comptes
Rue Cambon
Paris
Monsieur le Président,
Par courrier électronique du 5 juin 2024, vous avez bien voulu me faire part des observations
définitives de la Cour intitulées « L’ambassade de France près le Saint-Siège et son administration des
Pieux Établissements de France à Rome et à Lorette ».
Je vous en remercie.
En application de l’article R 143-13 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous faire
part d’un certain nombre de considérations que j’aimerais apporter au regard de cette communication en
ma qualité d’ancien ambassadeur près le Saint-Siège (1
er
juin 2016 – 2 juillet 2018) et dont je souhaiterais
la publication.
1) En premier lieu, je me permets de proposer deux rectifications : Monsieur Yves Teyssier
d’Orfeuil, mon très estimé collègue qui a assuré la fonction de ministre-conseiller de l’ambassade à
compter de septembre 2016, n’a pas exercé de fonctions d’ambassadeur, comme cela est indiqué dans la
liste de diffusion de votre courrier, mais de chargé d’affaires à compter de mon départ le 3 juillet 2018 et
jusqu’à l’arrivée de ma collègue nommée ambassadrice en avril 2019. Par ailleurs, la note 10 en bas de
page 19 mentionne que le rapport demandé en 1979 au Premier président de la Cour l’aurait été par
l’ambassadeur Wladimir d’Ormesson; en 1979, la fonction était assumée par l’ambassadeur Georges
Galichon, auquel a succédé la même année l’ambassadeur Louis Dauge.
2) Le rapport S 2024-0842 élaboré par la Deuxième Section de la Quatrième Chambre procède à
une analyse fine, précise, documentée et pertinente de l’évolution récente des PEFRL, sans omettre les
racines historiques dont la connaissance est souvent essentielle pour comprendre, aujourd’hui encore, la
complexité de l’héritage cultuel, immobilier et culturel que la France se doit d’honorer dans la Rome
pontificale et italienne. Plus précisément et au-delà des personnalités individuelles, de leur parcours et de
leurs sensibilités, il illustre les difficultés rencontrées par les acteurs successifs de la gouvernance des Pieux
à maîtriser une institution qui est tout à la fois un propriétaire d’un patrimoine important et diversifié aux
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destinations aussi diverses que locative, cultuelle, culturelle, voire éducative et touristique, une entreprise
de gestion immobilière et de travaux d’entretien patrimonial, et le garant du maintien de l’un des aspects
du rayonnement français à Rome. A cet égard, et même si l’analyse juridique menée par la Cour me paraît
tout-à-fait fondée, qui conclut à un statut juridique français, force est de rappeler, d’expérience, que
l’interférence est fréquente avec le cadre légal, réglementaire et, finalement, institutionnel de deux autres
États souverains, le Saint-Siège et l’Italie.
En toute hypothèse, la Cour a raison de rappeler le rôle essentiel qui revient à l’ambassadeur et, à
ses côtés, au ministre-conseiller. Je remercie la Cour d’avoir bien voulu noter à de nombreuses reprises
que c’est bien la philosophie d’action que nous nous sommes efforcés de suivre, Monsieur Teyssier
d’Orfeuil et moi-même, lorsque nous étions en responsabilité. Les aléas des nominations diplomatiques
ont certainement, au cours des dernières années, compliqué pour chaque responsable prenant ses
fonctions – souvent avec un grand écart de temps par rapport à son prédécesseur – la compréhension
exhaustive du champ sur lequel agir, la transmission d’expérience et de conseil étant alors très incertaine.
Pratiquement, il faut partir, pour chacun, presque de zéro, en rappelant en outre le caractère rare dans le
réseau diplomatique français de ce type de responsabilités de gestion. Pour ma part, j’ai heureusement
bénéficié des premières informations nécessaires qu’a pu me transférer le chargé d’affaires en fonction
lors de mon arrivée, alors qu’il était lui-même sur le départ.
3) A titre d’illustration, je souhaite apporter quelques éclairages sur l’action menée pendant les
vingt-deux mois de mon séjour romain.
Mes premières priorités de l’été 2016 ont été la reprise de relations normales entre la
Secrétairerie d’État et l’ambassade après les difficultés créées par plus d’une année de vacance de la
fonction d’ambassadeur et, dans les circonstances des évènements terroristes de juillet 2016, d’organiser
la visite que le Président de la République a effectuée au Saint-Père au mois d’août. Puis, avec le ministre-
conseiller, nous avons d’abord eu, s’agissant des PEFRL, à gérer la période extrêmement tendue de la prise
en responsabilité du domaine de La Trinité-des-Monts par la Communauté de l’Emmanuel, à laquelle,
malgré le plein accord de la Secrétairerie d’État (avec un acte diplomatique officiel et formel entre le Saint-
Siège et la France), l’administrateur des PEFRL était profondément opposé. Au regard des tensions
constatées dans les relations entre l’administrateur des Pieux, la communauté affectataire précédente
(Fraternités de Jérusalem) et L’Emmanuel, il nous a fallu consacrer beaucoup de temps à écouter les uns
et les autres, comprendre les documents juridiques qui nous étaient présentés, analyser les comptes qui
divergeaient selon les sources (Pieux d’un côté, L’Emmanuel de l’autre), sachant qu’il est vite apparu que
c’était ceux de l’Emmanuel qui retraçaient le mieux la réalité, et entrer dans le détail des décisions prises,
juste avant mon arrivée, par l’administrateur pour sortir de la comptabilité de la Trinité-des-Monts,
« mettre à l’abri en quelque sorte » selon ses propres mots, une somme conséquente, au demeurant
placée de manière explicite notamment en assurance-vie.
Cette période a duré tout l’automne et l’hiver 2016-2017. Elle a donné lieu à plusieurs venues à
Rome du modérateur de L’Emmanuel. Si elle a très vite créé un climat pour le moins peu coopératif à
l’encontre de l’ambassade de la part de l’administrateur et du trésorier des PEFRL, elle a eu « l’avantage »
pour le ministre-conseiller et moi-même de nous alerter sur la nécessité d’être particulièrement attentifs
quant aux documents budgétaires et financiers produits par l’administration des Pieux, comme d’ailleurs
nous l’a confirmé la tenue de la première congrégation générale que j’ai présidée, où nous avons vite pris
conscience du poids d’une routine, de la présentation très sommaire des comptes, et, plus encore, du
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vague des réponses apportées à nos questions, sous le regard mutique de la presque totalité des membres
de la congrégation.
C’est donc dans ce contexte que, la prise en mains progressive de La Trinité par L’Emmanuel
finissant par se faire de facto (d’une certaine manière, les perspectives des travaux de réhabilitation de
l’ancienne bibliothèque au-dessus de l’église, sur cofinancement du ministère de la culture, ont apporté
un peu de « respiration » dans un climat tendu en permanence), nous avons pris progressivement le temps
de mieux comprendre le fonctionnement interne, administratif, technique (il nous a fallu quand même
attendre pour obtenir une liste précise, actualisée et régulièrement mise à jour des locations de
logements, ou pour avoir accès aux descriptions de chantiers de rénovation) et bien sûr financier des
PEFRL. C’est dans cette phase, donc début 2017, que je situerais la demande que nous avons faite d’avoir
une connaissance précise des différents comptes bancaires ouverts dans les écritures de l’Istituto per le
Opere di Religione, dont l’existence n’était pas cachée, mais simplement mentionnée à la fin des comptes
présentés, pour mémoire en quelque sorte. J’ai à ce moment-là indiqué à l’administrateur et au trésorier
que le plus simple était que nous puissions rencontrer le fondé de pouvoirs supervisant les comptes des
PEFRL à l’IOR, ce qui s’est réalisé rapidement et s’est bien passé (accueil par le responsable en question,
conversation en italien, explicitation de mon rôle, tirage immédiat sous nos yeux du listing des comptes et
de leur montant crédité). Nous avons jugé cette étape positive, convenu qu’il était néanmoins nécessaire
que l’état des comptes soit régulièrement produit au moins au niveau de la députation administrative et
qu’en toute hypothèse, ces comptes devraient être réintégrés dans la comptabilité générale du bilan et
du compte d’exploitation à la première occasion (année fiscale 2017 ou 2018). J’avais d’autant plus insisté
sur ce dernier point que l’administrateur évoquait régulièrement en congrégation générale les faibles
disponibilités budgétaires des PEFRL, notamment lorsqu’il s’agissait de procéder aux réparations qui
paraissaient indispensables au directeur du centre culturel Saint-Louis et à moi-même dans les sous-sols
de l’institut (fuites d’eau en particulier) ou lorsque je formulais la demande ponctuelle que soit mis à
disposition aux meilleures conditions financières un petit appartement de plus pour le prieuré de la
Communauté Saint-Jean, logée très à l’étroit dans un bâtiment connexe à l’église Saint-Nicolas, dont elle
avait la charge de desserte sous le regard régulier et attentif des Lorrains de Lorraine fidèles à cette église;
ou encore quand le recteur de l’église Saint-Louis des Français faisait part de dotations insuffisantes
d’entretien pour ses propres locaux : on ne pouvait continuer, disais-je à l’administrateur, de disposer « à
part » de capacités financières gelées, alors que leur réintégration dans le bilan et la comptabilité courante
des PEFRL permettrait une vision globale et opérante des ressources d’ensemble et, par là-même,
l’établissement d’un planning des travaux à effectuer par ordre prioritaire.
C’est aussi à cette occasion que nous avons compris comment étaient rémunérés de leurs
responsabilités l’administrateur et le trésorier, l’administrateur ayant indiqué que ce mode de
rémunération, distinct de celui des salariés des PEFRL, avait l’avantage de ne pas peser sur le compte
courant annuel des PEFRL. Quant à l’origine des sommes ainsi déposées sur ces comptes, il nous a été dit
qu’elle était liée à des ventes antérieures d’immeubles, en référence à un temps (notamment début du
XXème siècle, lors de la période de régularisation progressive du changement majeur qu’a constitué le
passage de l’organisation urbaine des normes de l’État pontifical à celles du Royaume d’Italie) où le
patrimoine immobilier des Pieux était plus important. On ne peut exclure par ailleurs qu’il y ait eu des
donations privées. L’on touche là le poids de décennies sur le mode de gestion et de gouvernance de ces
établissements français de Rome, dont l’objectif majeur a toujours été celui du bon entretien d’églises
participant à la présence historico-religieuse de la France à Rome.
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S’agissant des placements boursiers opérés à partir des fonds disponibles des PEFRL, le rapport
de la Cour fait part d’informations qui auraient, de fait, dû être mises à la disposition de l’ambassade quant
aux choix opérés et au compte-rendu de ces choix, à tout le moins une fois par an.
D’une manière plus générale, je confirme l’intention partagée du ministre-conseiller et de moi-
même, dès que nous avons pu en prendre le temps, d’entrer dans le détail de la gestion des PEFRL en
surmontant les barrages de mutisme ou d’indignation qui nous étaient opposés. Ce fut fait parallèlement
au temps que nous avons dû consacrer – souvent en tant que médiateurs implicites (avec la décision de
ma part de siéger systématiquement au conseil d’administration de l’association Trinità dei Monti, ce que
ne faisaient pas les ambassadeurs auparavant) – au soutien de l’arrivée de L’Emmanuel sur les lieux. Nous
avons veillé à améliorer en permanence le fonctionnement d’ensemble des PEFRL, en imposant que ce
soit nous qui fixions l’ordre du jour des congrégations générales et des députations administratives et non
l’inverse comme précédemment, en demandant méthodiquement la production des documents de
gestion qui n’étaient jamais réclamés auparavant, en réanimant une congrégation générale plongée dans
la léthargie et la passivité avant notre arrivée, en en renouvelant les membres (y compris en introduisant
la mixité, ce qui n’avait jamais été le cas), en veillant, sous la responsabilité du ministre-conseiller, à la
tenue régulière des réunions de la députation administrative, en improvisant dans les locaux des PEFRL ou
à la résidence des réunions d’explications. Avec une conviction rapidement acquise : nous ne pouvions pas
continuer avec l’attelage administrateur-trésorier auquel nous avions à faire, tout en respectant
entièrement les responsabilités religieuses et officielles (au Vatican) de l’administrateur. Il nous fallait
envisager des solutions de remplacement, mais progressivement, car il était particulièrement difficile
d’identifier de nouveaux candidats susceptibles de répondre aux multiples critères à remplir (dont au
moins pour l’un d’eux une fonction ecclésiastique). Toutefois, nous devions, à tout le moins et avant de
les inviter progressivement à envisager leur départ après tant d’années, obtenir le maximum
d’informations utiles pour permettre à nos successeurs de reprendre avec le maximum d’éléments le suivi
d’un dossier complexe, sensible, ne donnant pas lieu à un suivi administratif à Paris sinon celui de ne pas
créer de difficultés diplomatiques entre le Saint-Siège et la France. Cette dernière considération n’était
pas seulement de principe : toute cette période était aussi celle de l’attente de la première visite officielle
du nouveau Président de la République, qui a eu lieu finalement fin juin 2018, huit jours avant mon départ
à la retraite.
Cette démarche, à la fois méthodique mais prudente, raisonnée mais déterminée, au prix
d’incidents assez inouïs – l’administrateur écrivant directement à la Présidence de la République fin 2017
pour se plaindre du « harcèlement » auquel il était soumis par l’ambassadeur et son adjoint - s’inscrivait
en effet au regard d’une autre priorité : veiller à la bonne préparation et au bon déroulement de la visite
officielle que rend au Saint-Père tout nouveau Chef de l’État français. Ma responsabilité a donc été d’y
contribuer, en évitant toute crise explicite dans le fonctionnement des PEFRL, mais également en ne
renonçant en rien à la clarification d’ensemble de la gestion de l’institution, comme je l’ai expliqué dans
les télégrammes préparatoires à la visite. Il est d’ailleurs revenu au ministre-conseiller d’apporter la touche
finale à ce dispositif puisque, devant à son tour assumer une longue période de charge d’affaires, il a
procédé comme nous en étions convenus et avant sa propre fin de mission, au renouvellement des
équipes, au prix de quelques convenances (« démissions » plutôt que renvois), et a poursuivi l’œuvre de
clarifications que nous avions décidée.
Je souhaite apporter quelques éléments complémentaires :
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-
La location d’appartements auprès des PERFL est recherchée non seulement pour
l’emplacement et le bon entretien de ces derniers, mais aussi pour la fiabilité du bailleur, dans
un contexte romain souvent décrit comme incertain en ce domaine.
-
Le personnel professionnel diplomatique à proprement parler de l’ambassade près le Saint-
Siège (hors conseiller ecclésiastique et conseiller culturel directeur du Centre Saint-Louis) a été
réduit de trois à deux, aux alentours de 2010, comme le note la Cour : le suivi détaillé des
dossiers des PEFRL était antérieurement confié au numéro 3, qui y consacrait une grande
partie de son temps.
-
Le Saint-Siège et singulièrement le Cardinal-Vicaire du diocèse de Rome est évidemment très
attentif à ce que l’on peut considérer comme la vocation ultime des PEFRL, à savoir l’entretien
immobilier et mobilier suffisant des cinq églises dans lesquelles est célébré un culte propre
aux notes traditionnelles françaises et qu’honorent d’ailleurs régulièrement de leur présence
les plus hauts dignitaires de la hiérarchie du Vatican, à commencer par le cardinal Secrétaire
d’État ou les cardinaux français. On sait combien le cardinal Bergoglio était, avant son élection,
attaché à Saint-Louis des Français, où il avait coutume de se recueillir lors de ses séjours à
Rome.
4) Il me paraît opportun que des solutions d’évolution institutionnelle soient envisagées, comme
le fait la Cour. Toutefois, je comprends que l’administrateur actuellement en fonction l’est à temps
complet, ce qui peut nécessairement, avec d’autres dispositions qu’ont pu prendre les deux collègues qui
m’ont succédé, contribuer à améliorer le fonctionnement général notamment en matière de planification
prévisionnelle, en intégrant les recommandations que la Cour a formulées pendant le contrôle et depuis.
Les solutions d’un établissement public administratif, mais plus encore d’un établissement à autonomie
financière - mode de gestion auquel le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est plus accoutumé
(réseau culturel à l’étranger) - sont assurément à simuler, avant toute décision définitive. Il me semble en
effet indispensable que l’autorité et la responsabilité de l’ambassadeur soient préservées, non pour des
questions de prestige, mais parce que son implication et sa capacité à donner des Pieux le meilleur visage
possible sont essentielles pour le rôle et la place de l’ambassade auprès des autorités du Vatican, de celles
de la Ville de Rome, du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, des visiteurs français, officiels ou
non, reçus en la Villa Bonaparte, et de la Conférence des Évêques de France, très attentive au maintien de
l’excellence des églises de Rome et aux conditions d’accueil que doivent y trouver le clergé et les fidèles./.