Chapitre XIII
Les aides aux familles nombreuses :
des dépenses stabilisées, une cohérence
à améliorer
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
426
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
En France, sont considérées comme nombreuses les familles qui
comptent trois enfants et plus. Ces familles, qui accueillent près d’un tiers
des enfants, ne sont pas identifiées par les administrations comme un objet
à part entière de politique publique. L’article L. 112
-
2 du code de l’action
sociale et des familles énumère les différents outils de soutien aux familles
en général, sans établir de distinction en
fonction du nombre d’enfants. Les
objectifs de la politique familiale présentés dans les rapports d’évaluation
des politiques de sécurité sociale n’en font pas mention explicite.
La situation particulière de ces familles a cependant conduit à
adapter en leur faveur certains dispositifs généraux. Ainsi, les prestations
familiales et le quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu sont
majorés à partir du troisième enfant. Les familles nombreuses bénéficient,
par ailleurs, d’avantages en matière d’accès aux services sociaux ou de
retraite, et dans la mise en œuvre de la fiscalité environnementale.
Afin de maîtriser la dépense publique tout en préservant l’aide
apportée aux familles les plus modestes, les dispositifs appliqués aux
familles nombreuses ont connu des évolutions dans la dernière décennie,
dont la Cour a souhaité prendre la mesure et évaluer les effets.
Les familles nombreuses bénéficient d’aides publiques importantes
et diverses (I) mais ont été plus affectées que les autres par les mesures de
maîtrise des dépenses sociales et fiscales décidées entre 2011 et 2021, de
manière toutefois différenciée selon leurs revenus (II). En dépit d’une
concentration croissante des aides sur les familles les plus modestes, ces
dernières restent exposées à des risques de fragilité financière et sociale,
dont certains se sont accentués (III).
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
427
Portrait statistique des familles nombreuses
Le nombre de familles nombreuses, c’est
-à-dire de foyers où vivent
au moins trois enfants, est estimé entre 1,22 million et 1,47 million en
France selon la définition retenue
561
, dont environ 300 000 familles de
quatre enfants ou plus.
Les familles nombreuses représentent une famille sur six, proportion
stable depuis les années 2000. Elles accueillent 30 % des enfants et jeunes
de moins de 25 ans (5,68 millions). 81 % des enfants vivent avec un couple
de deux adultes et 19 % avec un seul parent. Les fichiers fiscaux mettent en
évidence une baisse d’environ 100
000 du nombre de foyers avec trois
enfants ou plus, entre 2010 et 2020, soit un tiers de la baisse totale du
nombre de foyers avec enfants.
Selon le Haut conseil de la famille, de l’enfant et de l’âge, les
familles recomposées (un couple d’adultes vivant avec au moins un enfant
issu d’une union antérieure) sont plus susceptibles d’être nombreuses
: 38 %
des familles recomposées sont nombreuses en 2020, contre 21 % des
familles traditionnelles et 17 % des familles monoparentales.
Les familles dont la personne de référence est née à l’étranger sont
plus fréquemment nombreuses que la moyenne (36 % contre 20 %).
La part des familles nombreuses est plus élevée en Guyane (37 %
des familles), dans les Hauts-de-France (21 %), en Île-de-France (21 %) et
dans les Pays-de-la-Loire (19 %).
La Cour évalue à 30
Md€ les dépense
s publiques en faveur des
familles nombreuses, dont l’essentiel est constitué des prestations familiales
(11,7
Md€), de la majoration de pension de retraite réservée aux parents de
trois enfants ou plus (10
Md€), du quotient familial pour le calcul de l’im
pôt
sur le revenu (2,65
Md€) et des allocations logement (2,3
Md).
561
Selon l
’Insee
, une famille est considérée comm
e nombreuse dès lors qu’au m
oins
trois enfants, dont au moins un mineur, vivent au sein d’un ménage. Pour la branche
famille de la sécurité sociale, les familles nombreuses concernent les personnes vivant
seules ou en couple et assumant la charge de trois enfants et plus âgés de moins de
20
ans. Pour l’administration fiscale, la notion d’enfant à charge
,
sur option jusqu’à
25 ans, est déterminante pour le calcul du quotient familial. Ces nuances de définition,
tenant notamment à l’âge des enfants pris en compte, explique
nt les différentes
estimations du nombre de familles nombreuses.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
428
I -
Un soutien important apporté
aux familles nombreuses par plusieurs
dispositifs sociaux et fiscaux
La question du juste niveau de compensation des coûts de l’enfant
renvoie à celle des dépe
nses supplémentaires qu’il entraîne, en prenant en
compte son rang dans la fratrie. La majorité des études conclut qu’il n’y a
pas de discontinuité des coûts à l’arrivée d’un troisième enfant et que les
coûts augmentent avec l’âge des enfants.
Ces études statistiques ne prennent toutefois pas en compte les coûts
indirects liés à l’enfant, constitués des pertes de revenu et d’occasions
d’évolution professionnelle manquées (promotion, mobilité, primes), qui
peuvent affecter les parents ayant choisi de libérer le temps nécessaire pour
s’occuper de leurs enfants. Ces coûts indirects sont plus importants à partir du
troisième enfant. Les mères en supportent la plus grande partie, puisqu’elles
sont plus nombreuses que les pères à cesser ou à réduire leur activité.
Le système social et fiscal français tente de compenser ces désavantages
par une combinaison de prestations sociales majorées, de réductions d’impôts
et de droits sociaux additionnels à partir du troisième enfant.
A -
Les prestations familiales, principal vecteur
de l’aide aux
familles nombreuses
Les règles des allocations familiales et des allocations logement
avantagent les familles nombreuses. Deux prestations leur sont aussi réservées.
1 -
Une majoration des barèmes et des montants des allocations
familiales à partir du troisième enfant
Le calcul du montant de chacune des prestations versées par la
branche famille et les conditions de ressources qui leur sont attachées
tiennent compte du nom
bre d’enfants, de façon à accorder aux familles des
revenus sociaux plus élevés à mesure qu’augmente le nombre des enfants
à charge.
Le barème des allocations familiales est majoré pour les familles
nombreuses
: l’allocation mensuelle versée à partir du t
roisième enfant est
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
429
plus que doublée par rapport à celle versée pour deux enfants
562
. Les
familles nombreuses bénéficient également des règles de la majoration
forfaitaire des allocations familiales, accordée pour les enfants de 14 ans
ou plus et qui s’appli
que à partir du deuxième enfant
563
.
Les familles nombreuses accueillent 62 % des enfants des ménages
bénéficiaires d’allocations familiales
564
. En 2021, elles ont perçu 56 % des
allocations familiales (6,8
Md€ sur 12,3
Md€) et 50
% du total des
prestations familiales (11,7
Md€ sur 23,2
Md€).
2 -
Deux prestations réservées aux familles nombreuses
Créé par la loi nº 77-765 du 12 juillet 1977, le complément familial
est attribué sous condition de ressources aux familles métropolitaines
565
ayant à leur charge au moins trois enfants âgés de 3 à 20 ans. Son coût
avoisinait 2
Md€ en 2021. 873
000 familles nombreuses, soit 63
% d’entre
elles, ont perçu cette prestation en sus des allocations familiales en
décembre 2021.
Alors que l’âge maximal
des enfants ouvrant droit aux allocations
familiales est de 20 ans, une allocation forfaitaire est versée depuis la
même loi jusqu’au mois précédant le 21
ème
anniversaire de l’aîné des
familles de trois enfants (89,79
€). Environ 100
000 familles ont bénéficié
de cette prestation en 2021, pour un montant avoisinant 100
M€.
3 -
Des règles favorables aux familles nombreuses
en matière
d’aides
au logement
Les allocations logement visent à diminuer le coût net du logement
supporté par leurs bénéficiaires. Leur montant dépend, notamment, des
562
Pour un revenu égal à 81 212
€ ou moins, u
ne famille de trois enfants perçoit 323,9
€
par mois
d’allocations familiales
, dont 71
€ pour
chacun des deux premiers enfants et
181,9
€ pour le troisième.
Le barème distingue trois tranches de revenus ; le montant
des allocations est moins élevé pour des revenus supérieurs.
563
Pour une famille de deux enfants, l’allocation est versée lorsque le deuxième enfant
à charge atteint 14 ans. Pour une famille de trois en
fants, la même règle s’applique et
l’allocation est alors doublée. Les trois tranches de revenus s’appliquent à la majoration.
564
Cette proportion est élevée car les foyers avec un seul enfant ne perçoivent pas
d’allocations familiales.
565
Une prestation dif
férente réservée aux départements d’outre
-mer est également
dénommée complément familial : elle est destinée aux familles qui assument la charge
d’au moins un enfant de plus de trois ans mais de moins de cinq ans. Elle n’est pas
destinée aux familles nombreuses.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
430
ressources du foyer et de sa composition. Les familles nombreuses
bénéficient de plusieurs éléments favorables :
-
le barème dépend du nombre d’enfants à charge ;
-
le loyer plafond et le forfait de charges augmentent avec le nombre
d’enfants
;
-
le nombre d’enfants limite la diminution du montant de l’aide en
fonction du revenu.
Les allocations logement sont ainsi accordées aux familles
nombreuses jusqu’à des niveaux de revenus plus élevés que pour les autres
ménages. 48
% d’entre elles en bénéficient. L’allocation versée est aussi en
moyenne plus élevée que celle accordée aux autres ménages (317
€ par
mois contre 246
€ en 2021). Au total, le montant des allocations logement
servies aux familles nombreuses était de 2,3
Md€, en 2021, so
it 16 % de
ces prestations, alors qu’elles comptent pour 13
% des foyers bénéficiaires.
Par ailleurs, les familles nombreuses font partie des publics
prioritaires pour l’attribution des logements sociaux. Celles d’entre elles
qui perçoivent une allocation logement sont majoritairement hébergées
dans le parc social (397 905, soit 61 % des bénéficiaires en 2021).
B -
D’autres
dispositifs fiscaux et sociaux favorables
De multiples dispositifs se sont sédimentés depuis le début du
XX
ème
siècle pour améliorer le soutien aux familles nombreuses en matière
fiscale, de retraite, d’action sociale, de rémunération dans la fonction
publique, et même de transports.
1 -
Un avantage de quotient familial qui minore
l’imposition du revenu
La prise en compte de la composition familiale dans le calcul de
l’impôt sur le revenu constitue une exception française parmi les pays de
l’OCDE. Depuis 1945, les redevables d’un même foyer fiscal
566
sont en
effet assujettis à une déclaration unique de revenus qui tient compte de la
566
Le foyer fiscal correspond à une situation légalement constatée (mariage, pacte civil
de solidarité
–
PACS). Les personnes mariées ou pacsées appartiennent au même
foyer fiscal contrairement aux personnes en union libre, avec ou sans enfants, qui
appartiennent à deux foyers fiscaux différents.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
431
présence d’en
fants à charge
567
. À la redistribution verticale découlant
de la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce mécanisme ajoute une
redistribution horizontale au bénéfice des familles avec enfants, d’autant
plus importante que ceux-ci sont nombreux
568
.
La prise e
n compte du nombre d’enfants dans le calcul
de l’impôt sur le revenu
À chaque foyer fiscal est associé un nombre de parts fiscales fonction
de sa composition. Les enfants ouvrent droit chacun à une demi-part fiscale.
Depuis 1981, le troisième enfant et, depuis 1987, tous les enfants à partir du
troisième, ouvrent droit à une part supplémentaire (au lieu d’une demi
-part).
Le barème progressif de l’impôt sur le revenu s’applique au revenu
imposable par part. Le résultat obtenu est multiplié par le nombre de parts
pour déterminer l’impôt dû.
Ces règles permettent d’appliquer, à revenu du foyer égal, un taux
marginal d’imposition plus faible au foyer fiscal qui supporte les charges
de famille les plus élevées.
Par exemple, pour un même revenu annuel de 60 000
€,
l’impôt sur
le revenu dû en 2022 était de 4 044
€ pour un couple sans enfant, de 2
420
€
pour un couple avec deux enfants, et de 786
€ pour
un couple avec trois
enfants
. À partir de quatre enfants ce couple n’est pas imposable.
Un plafonnement de cet avantage a été introduit par la loi de
finances pour 1982 pour des motifs de réduction de la dépense fiscale et
d’équité, car la progressivité de l’impôt sur le revenu amplifie l’effet de
redistribution horizontale du quotient familial au bénéfice des ménages les
plus aisés. Ce plafonnement a été abaissé à plusieurs reprises. L’avantage
maximal retiré de la demi-
part de quotient familial au titre de l’imposition
était ainsi de 1 678
€ en 2022, soit un montant inférieur de 45
% à son
équivalent de 1982 en parité
de pouvoir d’achat.
L’avantage total du quotient familial est évalué à 7,88
Md€ en 2021
sur les revenus de l’année 2020, pour quatre
millions de foyers fiscaux
concernés. Les couples avec trois enfants ou plus sont favorisés par ce
dispositif, avec un avantage moyen de 3 581
€ par ménage, contre 1
989
€
en moyenne pour les couples avec deux enfants et 1 021
€ pour les couples
avec un enfant. Pour l’imposition 2021, les familles nombreuses ont
567
Enfants
mineurs et, sur option, enfants majeurs jusqu’à 21 ans, voire 25 ans s’ils
poursuivent des études.
568
Voir sur ce point les observations définitives de la Cour sur
La prise en compte de
la famille dans la fiscalité
, juin 2023.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
432
bénéficié du tiers du montant total des avantages liés à l’appli
cation du
quotient familial (soit 2,65
Md€), alors qu’elles représentaient 18
% des
foyers bénéficiaires.
2 -
Des dispositions spécifiques en matière de retraite,
d’action sociale et de rémunération des agents publics
Destinée aux seuls parents de familles nombreuses, la majoration de
pension pour enfant augmente le montant de leur pension de 10 % dans la
plupart des régimes, pour une dépense annuelle d’environ 10
Md€ par an.
Comme les autres assurés, les parents de familles nombreuses bénéficient
de majoratio
ns de durée d’assurance et de l’assurance vieillesse des parents
au foyer lorsqu’un des deux parents a interrompu son activité pour élever
ses enfants - ce qui est plus fréquent dans les familles nombreuses.
Un quotient familial, légèrement différent de ce
lui de l‘impôt sur le
revenu
569
, est utilisé pour l’attribution d’aides sociales individuelles au titre
de l’action sociale des caisses d’allocations familiales. Les mairies et la
plupart des crèches et des services périscolaires y recourent également pour
d
éterminer leurs tarifs (cantine, centre de loisirs, etc.), à l’avantage des
familles nombreuses.
Les fonctionnaires et agents contractuels de droit public perçoivent
depuis 1917 un élément de rémunération dépendant de leur nombre
d’enfants, le supplément
familial de traitement
570
, dont le barème est
majoré à partir du troisième enfant. Pour la fonction publique d’État, les
familles nombreuses représentent 18 % des bénéficiaires du supplément
familial de traitement, mais perçoivent la moitié de son montant, soit
294
M€ sur
597
M€. En extrapolant ce chiffre aux fonctions publiques
hospitalière et territoriale, les familles nombreuses des agents publics
bénéficieraient d’un total de 660
M€ à ce titre.
569
Les ressources prises en compte sont égales au douzième des revenus bruts annuels
(avant abattements), auxquelles s’ajoutent les prestations mensuelles versées par la
caisse d’allocations familiales
pour le mois en cours, divisées par un nombre de parts.
Un couple ou parent isolé vaut deux parts et chaque enfant à charge une demi-part, sauf
le troisième enfant qui vaut une part.
570
Article n° 20 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
433
3 -
Des avantages en matière de transports
Une carte « familles nombreuses
», créée par l’État en 1921, ouvre
droit à une réduction sur le prix du transport ferroviaire de 30 % pour trois
enfants, 40 % pour quatre enfants, 50 % pour cinq enfants et 75 % à partir
du sixième
571
. Cette carte est détenue par 850 000 bénéficiaires, soit
environ 10 % des personnes vivant au sein de familles nombreuses. En
2022, la compensation versée à ce titre par l’État à la SNCF était de 5,6
M€.
Par ailleurs, l’acquisition par les familles nombreuses de véhicules
d’au moins cinq places pouvant les situer au
-
delà du seuil d’obtention du
bonus écologique, elles bénéficient d’un abattement depuis 2009, pour une
dépense fiscale estimée à 14 M€ en 2021
. Un abattement similaire est prévu
pour la taxe sur la masse en ordre de marche des véhicules de tourisme,
applicable depuis le 1
er
janvier 2022, pour une dépense fiscale estimée
à 1
M€.
II -
Une maîtrise de la dépense publique qui pèse
sur un nombre croissant de familles nombreuses
La dépense sociale en faveur des familles et l’avantage qu’elles
retirent du quotient familial ont diminué ces dernières années, en particulier
pour les familles nombreuses. Cela résulte de mesures de limitation des
avantages sociaux et fiscaux pour les ménages aux revenus les plus élevés,
dont le champ s’est progressivement étendu du fait des règles d’indexation
des barèmes.
A -
Une réduction des avantages fiscaux et sociaux
Dans un objectif de maîtrise des dépenses publiques, plusieurs
mesures ont réduit les avantages accordés aux familles en matière fiscale,
notamment par l’abaissement du plafond du quotient familial. Le bénéfice
des allocations familiales a, par ailleurs, été modulé en fonction du revenu
et diverses réformes ont porté sur les autres prestations familiales,
notamment sur le complément familial, qui a perdu de sa cohérence.
571
Décret n° 80-956 du 1
er
décembre 1980.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
434
1 -
Une limitation progressive des avantages fiscaux
Le quotient familial ne représente pas un avantage pour tous les
foyers, puisqu’il faut être assujetti à l’impôt sur le revenu pour en
bénéficier, ce qui concerne 60 % des foyers fiscaux comptant trois enfants
ou plus (740 000 sur 1,22 million de foyers éligibles) en 2021.
Comme exposé
supra
, le bénéfice du quotient familial a été plafonné
dès 1982 et le montant de ce plafond a été abaissé en 2012, en 2013 et en
2014. Le seuil de revenus à partir duquel ce plafond est atteint varie en
fonction du nombre d’enfants
572
.
En dix ans, la part des foyers soumise au plafonnement du quotient
familial a presque triplé dans toutes les configurations familiales, ce qui se
traduit par un surcroît d’impôt à payer. Pour les familles nombreuses, cette
part est passée de 10 % en 2011 à 26 % en 2021, comme le montre le
graphique ci-dessous.
Graphique n° 45 :
proportion des foyers fiscaux dépassant
le plafond du quotient familial
Source : Cour des comptes à partir des données de la direction générale des finances
publiques (DGFiP)
Les données transmises par la DGFiP mettent en évidence une
baisse de la dépense fiscale au titre du quotient familial en euros courants
entre 2011 et 2021 (- 2,1 %), accentuée pour les familles nombreuses
(- 9,2 %). La part des familles nombreuses dans les dépenses de quotient
572
En 2021, il était de
62 982
€
pour une famille de deux enfants, 73 819
€
pour une
famille de trois enfants, et 84 659
€ pour une famille de quatre enfants.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
435
familial a ainsi diminué de 36,3 % à 33,6 % alors que leur proportion parmi
les bénéficiaires est restée stable.
Pour l’impôt sur le revenu de 2021, la DGFiP estime à 4,5
Md€ le
surcroît d’impôt sur le revenu découlant du plafonnement du quotient
familial, dont 1,23
Md€ à la charge des 200
000 familles nombreuses
concernées par cette mesure. Celles-ci en supportent donc 27 %, alors
qu’elles ne représentent que 3,5
% des foyers fiscaux auxquels s’applique
le plafonnement.
Ces effets se cumulent avec la non-indexation des réductions ou
déductions fiscales bénéficiant aux familles. Le plafond de la réduction
pour garde d’enfants est resté inchangé à 1
150
€
573
par enfant et par an de
2006 à 2022. Rapporté à l’évolution générale des salaires, son équivalent
monétaire a ainsi diminué d’un tiers durant cette période, avant sa
revalorisation à 1 750
€ par la loi de finances pour 2023.
Les réductions d’impôt liées aux études secondaires ou supérieures
des enfants
574
n’ont pas été revalorisées depuis 1993. Leur équivalent
monétaire a diminué de 50 % depuis cette date.
Enfin, un plafonnement global des avantages fiscaux est appliqué à
chaque foyer fiscal, indépendamment de sa composition. Sont notamment
concernés l’emploi d’un salarié à domicile et les frais de garde de jeunes
enfants. Ce plafond global a été fortement abaissé et forfaitisé à 10 000
€
depuis 2013. Le caractère forfaitaire et non familialisé de ce plafond pose
question, puisque les familles nombreuses prennent en charge relativement
plus de dépenses contraintes de garde d’enfant ou d’emploi d’un salarié à
domicile que les ménages sans enfant ou les familles avec un ou deux
enfants de même niveau de revenu.
2 -
Une modulation des allocations familiales
selon les ressources
La modulation des allocations familiales, entrée en vigueur
le 1
er
juillet 2015, a consisté à ne verser que 50 % ou 25 % de leur montant
aux familles dont les revenus dépassent certains seuils, à des fins
d’économies supportées par les familles les plus
aisées.
573
50 % des dépenses dans la limite de 2 300
€ de dépenses par an.
574
En 2021, 61
€ par enfant au collège, 153
€ au lycée et 183
€ en enseignement supérieur.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
436
Tableau n° 46 :
seuils de modulation du barème des allocations
familiales en 2021 (revenus annuels et équivalent Smic)
Tranche 2
(50 %)
Équivalent
Smic
Tranche 3
(25 %)
Équivalent
Smic
3 enfants
75 760
€
5,5 Smic
99
039 €
7,2 Smic
4 enfants
81 587
€
5,9 Smic
104
866 €
7,6 Smic
5 enfants
87
414 €
6,4 Smic
110 693
€
8,1 Smic
Note de lecture : La modulation des allocations familiales commence à partir de 81 587
€ pour un
foyer comportant quatre enfants, soit un revenu équivalent à 5,9 fois le Smic.
Source : DSS, Cahier statistique des prestations familiales, 2021
Du fait de la décorrélation entre l’évolution des salaires et
celle des
prix, sur laquelle le barème de ressources est indexé, une proportion
croissante des bénéficiaires a été touchée par la modulation des allocations.
Cette mesure concernait 11 % des foyers bénéficiaires en 2021 contre
9,4 % en 2015, année de sa mi
se en œuvre.
En 2021, l’écart entre les allocations versées à un ménage ayant trois
enfants âgés de moins de 14 ans et celles qu’il aurait perçues sans la
modulation introduite en 2015 atteignait 1 914
€ en tranche
2 et 2 870
€ en
tranche 3, soit, respectivement, 2,5 % et 2,9
% de ses revenus d’activité à
l’entrée de la tranche du barème.
La baisse du montant des allocations familiales versées à ces familles
représente une économie de 760
M€ en 2021, dont 290
M€ portent sur les
familles nombreuses. Sur la période 2016-2021, la mesure a permis une
économie budgétaire cumulée de 4,3
Md€, dont 40
% ont été supportées par
les 100 000 familles nombreuses concernées, qui représentent 2 % de
l’ensemble des familles bénéficiaires d’allocations familiales.
3 -
Des mesures de portée générale sur les prestations familiales
qui ont aussi concerné les familles nombreuses
Diverses mesures ont restreint les transferts en faveur des familles,
y compris pour celles non-concernées par la modulation des allocations
familiales.
Le montant de la base mensuelle des allocations familiales (Bmaf), qui
sert au calcul du montant de la plupart des prestations servies par la branche
famille,
a
été
sous-indexée
en
2015,
en
2019
et
en
2020.
En conséquence, sur la période 2011-2021, la Bmaf a augmenté de 5 %, moins
rapidement que les prix (8
%). L’économie permise par cette sous
-indexation
s’élève à 1
Md€, dont la moitié a porté sur les familles nombreuses.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
437
Certaines réformes des prestations de garde des jeunes enfants ont
été défavorables aux familles nombreuses. La création de la prestation
partagée d’éducation de l’enfant (Prepare) à compter du 1
er
janvier 2015,
en remplacement des précédents dispositifs de congé parental
575
, a restreint
les options antérieures de partage des tâches dans les
couples pour l’accueil
des jeunes enfants. Le bénéfice de cette prestation versée aux parents ayant
cessé ou réduit leur activité pour s’occuper de leur enfant de moins de trois
ans de rang 2 ou supérieur a été réduit à une durée de 24 mois maximum
pour chacun des parents, contre 36 mois auparavant pour le seul parent
bénéficiaire, dans un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes
576
.
Cet objectif n’a toutefois pas été atteint, puisque seuls 2,5
% des
bénéficiaires de cette prestation sont des hommes.
L’effet de la mesure a
donc été de réduire la durée de la prestation et le nombre de demandeurs,
la dépense passant de 2
Md€ en 2013 à 730
M€ en 2021.
Le décret n° 2018-312 du 26 avril
2018 a procédé à l’alignement du
montant de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant
(Paje)
577
sur celui d’une autre allocation, le complément familial (cf.
infra
),
réservée aux familles nombreuses. Cet alignement a entraîné une baisse du
montant de la Paje à taux plein de 9 points en pourcentage de la Bmaf. Le
décret n° 2018-331 du 3 mai 2018 a ensuite abaissé les plafonds de revenu
pour bénéficier de l’allocation de base et de la prime de naissance.
Illustration des conséquences de la réforme
de l’allocation de base de la prestation d’accueil
du jeune enfant (Paje)
M. et Mme X ont chacun un salaire net imposable de 2 050
€
par mois, soit 1,5 Smic net. Ils ont eu un enfant en mai 2018, quel que soit
son rang.
Du fait de la réforme, l’allocation de base de la Paje leur a été servie
à taux partiel, soit 84,5
€ par mois. Si leur enfant était né avant avril 2018,
ils auraient bénéficié du taux plein de 184,6
€ par mois. Leur manque à
gagner atteint 3
503,8 €, soit 2,4
% de leur revenu d’activité
pendant toute
la durée de versement de l’allocation
.
575
Cette prestation a remplacé
le complément de libre choix d’activité
et le complément
optionnel de libre choix d’activité, spécifiquement destiné aux parents de trois enfants
et plus (638,33
€ par mois pendant huit mois).
576
Caisse nationale des allocations familiales,
L’Essentiel
n° 183, 2018.
577
Allocation versée sous conditions de ressources à partir du mois suivant la naissance
de l’enfant jusqu’au mois précédent son troisième anniversaire (applicable également
en cas d’adoption).
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
438
4 -
Une perte de cohérence du complément familial, préjudiciable
aux familles à revenus intermédiaires et à l’emploi féminin
Allocation sous conditions de ressources réservée aux familles
nombreuses, le complément familial souffre de plusieurs incohérences.
Son montant est le même, que la famille ait trois enfants ou plus,
sans que soient pris en compte les coûts additionnels suscités par l’arrivée
de nouveaux enfants au-delà du troisième.
Son plafond de ressources était initialement élevé puisque à sa
création en 1977, 87 % des familles nombreuses en bénéficiaient. Depuis
1997, son indexation sur les prix et non plus sur les salaires a eu pour effet
d’en restreindre progressivement l’accès
: 63 % des familles nombreuses
le percevaient en 2021.
Le législateur avait
souhaité favoriser l’emploi du deuxième
membre du couple. Le plafond de ressources est donc différent selon qu’un
seul ou les deux parents travaillent. L’écart entre ces deux plafonds, qui est
de 9 000
€ par an, soit 0,45 Smic brut, est toutefois insuffisa
nt pour
encourager ou préserver l’activité du second parent. Ceci pose question au
regard de la faiblesse du taux d’emploi des mères de trois enfants ou plus,
qui influe négativement sur les revenus moyens des familles nombreuses
(cf.
infra
).
Le complémen
t familial s’articule difficilement avec d’autres
prestations. Il cesse d'être versé à la naissance d’un nouvel enfant jusqu’à
ses trois ans car il ne peut être cumulé avec l’allocation de base de la
prestation d’accueil du jeune enfant
en vertu d’une règl
e ancienne.
L’arrivée d’un nouvel enfant dans une famille nombreuse n’entraîne donc
le versement d’aucune prestation d’accueil additionnelle jusqu’à ses trois
ans, contrairement à ce qui se produit pour la naissance d’un premier ou
d’un deuxième enfant.
Enfin, une majoration, dite de dédoublement, a été créée à compter
du 1
er
avril 2014 au bénéfice des familles nombreuses très modestes
578
.
Cette majoration a été exclue de la base-ressources de nombreuses
prestations sociales
579
, ce qui constitue un avantage pour ses bénéficiaires,
mais ne favorise pas un pilotage cohérent du système de prestations.
578
En 2021, l
a majoration du complément familial s’appliquait à 51
% des foyers
bénéficiaires, soit 445 000 familles.
579
La majoration du complément familial n’entre pas dans la base ressources du revenu
de solidarité active (article n° R. 262-10-
1 du code de l’action sociale et des familles)
ni de la prime d’activité (a
rticle n° R. 844-4 du code de la sécurité sociale).
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
439
En effet, cet avantage accentue les effets de seuil en cas de retour
à l’activité et affecte la comparabilité des situations avec les bénéficiaires
du complément fa
milial non majoré. Inversement, en cas de naissance d’un
nouvel enfant, les familles bénéficiaires du complément familial majoré
voient paradoxalement leurs prestations diminuer puisque l’allocation de
base de la
prestation d’accueil du jeune enfant
, qui se substitue au
complément familial majoré jusqu’aux trois ans du dernier enfant, est d’un
montant inférieur (184
€ contre 277
€ en 2023).
Ces multiples incohérences invitent à engager une réflexion sur les
objectifs et sur les paramètres du complément familial.
B -
Des évolutions des avantages sociaux et fiscaux qui
affectent un nombre croissant de familles nombreuses
L’effort financier lié à la stabilisation des dépenses en faveur des
familles a porté au départ sur un nombre limité de familles nombreuses.
Tou
tefois, l’indexation des barème
s de ressources sur les prix et non sur
les salaires a supprimé ou réduit les aides pour un nombre croissant de
familles aux revenus intermédiaires.
1 -
Une stabilisation des dépenses qui n’a pas été compensée par
une redistribution accentuée en faveur des familles plus modestes
Les diverses mesures prises au cours de la décennie écoulée et le
moindre dynamisme de la natalité française depuis le début des années
2010 ont contribué à stabiliser les dépenses de la branche famille de la
sécurité sociale (30,8
Md€ en 2011, 29,9
Md€ en 2021), soit une
diminution de 8,8 % en euros constants. La dépense de quotient familial a
également décru (8,05
Md€ en 2011 et 7,88
Md€ en 2021).
L’addition des mesures d’économies intervenues en matière
fiscale
et sociale représente 17,9
Md€ en cumul sur la période 2011
-2021, dont
5,7
Md€ à la charge des familles nombreuses. La seule mesure nouvelle en
dépenses a été la majoration du complément familial pour les familles
nombreuses très modestes, pour un coût de 2,1
Md€.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
440
Tableau n° 47 :
effet cumulé des mesures socio-fiscales sur le revenu
des familles sur la période 2012-
2021 (en Md€)
En Md€
Ensemble
des familles
Familles
nombreuses
Réduction du plafond du quotient familial
(2013-2020)
- 12,0
- 3,4
28 %
Modulation des allocations familiales
- 4,3
- 1,7
40 %
Réduction des plafonds et du montant de
l'allocation de base de la Paje (2018-2021)
- 0,5
- 0,1
26 %
Sous-indexation de la Bmaf
- 1,1
- 0,5
50 %
Majoration du complément familial
+ 2,1
+ 2,1
100 %
Total
- 15,8
- 3,6
23 %
Source
: Cour des comptes d’après données DGFiP et Cnaf
Les mesures d’économie supportées par les familles nombreuses ont
été concentrées (5,3
Md€ sur 5,7
Md€) sur les 200
000 familles aux
revenus supérieurs à 73 800
€ en 2021. Pour ces
familles, le cumul des
moindres prestations et du surcroît d’imposition avoisine 26
500
€ sur la
décennie 2012-2021.
2 -
Une réallocation défavorable pour les familles nombreuses
aux revenus intermédiaires et supérieurs
Les avantages retirés du quotient familial ont été plafonnés car ils
augmentaient avec le revenu du ménage, en raison du caractère progressif
du
barème de l’impôt. Toutefois, la mesure de l’aisance financière au
travers des seuls revenus fiscaux ne prend pas en compte d’autres facteurs,
tels que les écarts de patrimoine, les coûts du logement, plus élevés dans
les métropoles, ou la différenciation des tarifs des services sociaux liés à
l’enfance (cantine
580
, centre de loisirs, etc.).
En outre, la mise en œuvre de ces mesures ayant été échelonnée,
les
administrations n’ont pas évalué leur impact cumulé.
580
Par exemple, à Paris, le prix de la restauration scolaire varie de 0,13
€
à 7
€
par repas
selon un barème comprenant 10 tranches, la dernière tranche étant fixée à 5 000
€
par mois, soit 60 000
€ par an pour un couple.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
441
Un impact financier important pour les familles nombreuses
aux revenus supérieurs aux seuils
En 2021, les familles avec trois enfants de moins de 14 ans dont le
revenu annuel se situe au seuil de plafonnement du quotient et de
modulation des allocations familiales (75 500
€), supportent une perte de
ressources par rapport à la législation antérieure à 2013 d’un montant de
4 364
€ par an équivalent à 5,5
% de ce revenu annuel.
Pour un couple biactif marié ou pacsé, au revenu net annuel
de 85
000 € en 2013, qui a eu un premier enfant en 2013, un deuxième en
2015 et le dernier en 2017, la perte de ressources correspondant aux
moindres prestations familiales versées et au supplément d’impôt sur le
revenu atteint 40 000
€ en cumul sur la période 2013
-2021, comme le
montre le graphique ci-dessous.
Graphique n° 46 :
illustration de la perte de revenus liée
aux évolutions de la règlementation entre 2013 et 2021
Source : Cour des comptes
Enfin, la revalorisation des barèmes des prestations familiales
indexés entre 2013 et 2021 sur l’inflation a été inférieure à l’évolution
des revenus des ménages, principalement liée aux salaires, ce qui a conduit
à exclure une proportion croissante des familles du bénéfice des prestations.
Le cas du complément familial, qui concernait initialement un public large
(cf.
supra
), en est une illustration.
La Cnaf n’a pas étudié l’effet d’éviction des modifications de ces
paramètres intervenues depuis le début des années 2010. L’importance de
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
442
ce suj
et justifierait qu’il fasse l’objet d’une information dans le cadre des
rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale
581
.
III -
Une cohérence du système de prestations
à repenser en regard
de facteurs de fragilité persistants
L’analyse des caractéristiq
ues sociales des familles nombreuses, en
moyenne plus pauvres du fait d’un moindre taux d’emploi des mères en
couple et plus soumises au risque de chômage que la moyenne des autres
familles, justifie l’orientation des politiques publiques en leur faveur. L
a
persistance des fragilités de ces populations et l’augmentation de la part
des familles monoparentales en leur sein peuvent fonder une réflexion
renouvelée sur le ciblage de ces politiques.
A -
Des difficultés particulières en termes d’emploi
En moyenne, les chefs de familles nombreuses sont moins qualifiés
et ils exercent des professions moins rémunératrices que ceux des familles
comportant moins d’enfants. Ces caractéristiques se doublent d’un taux
d’emploi féminin inférieur à partir du troisième enfant.
1 -
Des situations socio-professionnelles plus fragiles
La proportion de personnes non diplômées est plus importante dans
les familles nombreuses que dans les autres familles : 56 % des familles
d’au moins trois enfants ont une personne de référence dont le niv
eau
d’études est inférieur ou équivalent au baccalauréat
582
. Ce moindre niveau
moyen de formation initiale est encore plus marqué pour les familles très
nombreuses : en 2018, 66 % des parents de familles de quatre enfants ou
plus étaient non-diplômés.
Ces différences de niveau moyen de formation ont un impact sur la
situation socio-professionnelle des familles nombreuses, dont la personne
de référence est majoritairement un ouvrier (28,3 %) ou un employé
(22 %). Ce constat est encore plus prégnant pour les familles très
581
Ceux-ci pourraient analyser, pour chaque prestation, l
’évolution du
nombre et de la
proportion de familles exclues du fait des barèmes de ressources, ainsi que l’économie
budgétaire réalisée de ce fait.
582
Sauf indication contraire, les statistiques proviennent du
Panorama des familles
2021
(Haut conseil de la famille, de l’enfant et de l’âge, 2021).
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
443
nombreuses : 33 % des familles de quatre enfants ou plus ont un chef
de famille ouvrier, contre 22,3
% pour l’ensemble des familles.
Ces caractéristiques constituent un facteur de fragilité financière
et sociale, dans la mesure où les ouvriers et les employés sont les deux
catégories socio-professionnelles les plus exposées au chômage. Sur trois
décennies, le taux de chômage moyen des ouvriers est de 12,2 % et celui
des employés de 9,2 %, alors que celui des cadres est de 3,7 %. Les écarts
se sont de surcroît amplifiés en défaveur des ouvriers au cours des périodes
économiques défavorables les plus récentes (2009-2016).
Graphique n° 47 :
taux de chômage moyen par catégorie
socioprofessionnelle de 1982 à 2021 (en %)
Source : Insee, taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle
Données annuelles de 1982 à 2021
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
444
2 -
Une baisse du taux d’emploi féminin plus marquée
à partir du troisième enfant
Les naissances ont des conséquences qui pèsent encore essentiellement
sur l’activité des femmes. Leur participation au marché du travail peut être
a
ffectée dès l’arrivée du premier enfant mais c’est à compter du troisième
que l’effet est le plus marqué
: plus le foyer accueille d’enfants, plus le taux
d’activité des mères se réduit.
Le taux d’activité d’une mère en couple ayant un enfant de moins
de trois ans était de 82 % en 2020. Ce taux se réduit à 75 % avec deux
enfants, puis à 47 % avec trois enfants dont un de moins trois ans
583
. Passés
les trois ans, le taux d’activité moyen des femmes en couple remonte à
73,4 %, mais il reste inférieur de 12 points à celui de la moyenne des mères
en couple en 2019, écart qui s’est creusé depuis 2011.
Graphique n° 48 :
évolution du taux d’emploi moyen des mères
de familles nombreuses de 2011 à 2019
Champ : Familles avec enfants de moins de 18 ans.
Source : Insee, Enquête Emploi (2010-2019) et données de la Drees
583
Insee,
Femmes et hommes : une lente décrue des inégalités
, mars 2022.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
445
C’est également à partir du troisième enfant que les femmes
occupent le plus souvent un travail à temps partiel (45,7 % des femmes
avec trois enfants dont un de moins de trois ans, contre 23,2 % des femmes
ayant un seul enfant de moins de trois ans).
Ces constats rejoignent ceux de l’OCDE, qui font apparaître un taux
d’emploi des mères françaises de trois enfants ou plus âgés de moins de
14
ans plus faible que la moyenne de l’Union européenne, même s’il est
plus élevé qu
e celui de pays comparables comme l’Allemagne ou l’Italie.
Graphique n° 49 :
taux d’emploi des mères de trois enfants et plus
dans différents pays de l’UE en 2019
Source
: Cour des comptes d’après OCDE, données sur les familles
Cette moindre participation des mères de trois enfants ou plus au
marché du travail a pour conséquence de limiter le revenu d’activité moyen
des familles nombreuses en France.
B -
Un taux de pauvreté élevé
L’augmentation du nombre de familles nombreuses monoparentales
a contribué à la stagnation de leur revenu moyen et a majoré le taux de
pauvreté de cette population. Pour augmenter le taux d’emploi des mères
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
446
en couple, il serait nécessaire de renforcer les mesures de conciliation
de la vie familiale et de la vie professionnelle, ainsi que les incitations
à reprendre un emploi.
1 -
Une stagnation des revenus d’activité moyens
des familles nombreuses
Le revenu total moyen des familles de trois enfants ou plus n’a que
peu progressé en euros courants entre 2010 et 2019. Les données disponibles
mettent en éviden
ce une dégradation du taux d’activité moyen des chefs
de familles nombreuses, comparé à celui des chefs de familles comportant
un ou deux enfants.
Graphique n° 50 :
évolution du taux d’activité moyen
des chefs de familles nombreuses et des chefs de familles
d’un ou deux enf
ants entre 2010 et 2019 (en %)
Source
: Cour des comptes d’après les données de l’enquête revenus fiscaux et sociaux 2010
-2019
Globalement, les familles nombreuses ont un niveau de vie médian
par unité de consommation (à 18 528
€ par an en 2019) inférieu
r de 21 %
à celui des familles d’un à deux enfants.
Le montant moyen des transferts sociaux aux familles nombreuses
s’est maintenu en euros courants sur la période, mais leur composition s’est
modifiée. La stagnation des prestations familiales et la réduction des
allocations logement ont été compensées par une progression des transferts
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
447
liés aux
minima
sociaux. En conséquence, le taux de pauvreté
584
des
familles nombreuses n’a pas diminué malgré l’augmentation des transferts
qui a découlé de la majoration du complément familial à partir de 2014, de
la revalorisation du revenu de solidarité active et de l’élargissement de la
prime d’activité en 2019.
Le taux de pauvreté des familles nombreuses en couple s’élevait à
23 % en 2019, soit une proportion supérieure de 13 points à celle observée
pour les familles avec un ou deux enfants. En prenant en compte les
familles monoparentales, le taux de pauvreté des familles nombreuses
s’élève à 27
%.
2 -
Une augmentation de la monoparentalité qui érode
la progression du revenu moyen des familles nombreuses
La progression générale de la monoparentalité
585
résulte
essentiellement de ruptures d’unions. Les familles monopar
entales sont
très majoritairement de taille réduite, avec 1,58 enfant en moyenne en
2018, mais près de 20
% d’entre elles avaient trois enfants ou plus en 2020.
Leur part dans les familles nombreuses (19,5 %) reste inférieure à celle
dans l’ensemble des fa
milles (24 %) mais elle progresse.
Les familles nombreuses sont ainsi plus fréquemment en situation
de monoparentalité en 2020 (19,5
%) qu’en 2010 (15
%), alors que la part
des familles recomposées est demeurée stable. La part des familles en
couple avec leurs propres enfants a régressé en proportion.
Cette augmentation des familles monoparentales au sein des familles
nombreuses induit un risque accru de revenus d’activité faibles, voire de
pauvreté, dans le ménage. La faiblesse des revenus d’activité de
ces familles
a contribué à la stagnation du revenu moyen des familles nombreuses, en
l’absence d’augmentation du taux d’emploi des mères en couple.
584
Défini comme la proportion de la population dont le revenu disponible par unité
de consommation est inférieur à 60 % du revenu médian.
585
La part des familles monoparentales dans le total des familles avec au moins un
enfant mineur a augmenté de 2,5 points entre 2010 et 2018, passant de 21,2 % à 23,7 %.
Source : Insee,
France Portrait Social (2010-2020)
.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
448
3 -
Des enjeux de conciliation de la vie professionnelle et familiale
L’amélioration à moyen terme du taux d’emploi des mères de
familles nombreuses, qu’elles soient seules ou en couple, passe, entre
autres facteurs, par l’accès à des formations professionnalisantes adaptées
à leurs contraintes spécifiques
586
.
Elle suppose également une réflexion sur les outils existants en
faveur de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, les
dispositifs de soutien ne tenant pas compte du caractère rapproché des
naissances. Le fait que les familles nombreuses soient souvent constituées
de fratries d’âges rapp
rochés
587
les expose à des difficultés d’organisation
qui ne cessent pas lorsque l’aîné atteint six ans, âge limite pour bénéficier
du complément du libre choix du mode de garde. De ce fait, les mères de
familles nombreuses sont conduites, plus souvent que les autres mères en
couple, à suspendre leur activité professionnelle.
Une réforme du complément de libre choix du mode de garde en
faveur des familles monoparentales a été mise en œuvre par la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2023. Elle étend son bénéfice
jusqu’aux douze ans de l’enfant. Cette réforme pourrait utilement être
complétée par une réflexion globale sur les dispositifs
–
y compris
fiscaux
–
concernant la garde des enfants de familles nombreuses au-
delà des âges pivots de trois et s
ix ans lorsqu’ils sont d’âges rapprochés.
Une révision des objectifs et des paramètres du complément familial
pourrait également permettre de renforcer l’incitation des mères de familles
nombreuses à conserver ou à reprendre un emploi.
586
Par exemple, les métiers du numérique facilitent la conciliation entre vie professionnelle
et obligations familiales.
587
D’autant plus que l’élévation de l’âge moyen de la mère au premier enfant (28,9
ans
en 2020 contre 24 ans en 1974 se
lon l’Insee) conduit au rapprochement des naissances.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
LES AIDES AUX FAMILLES NOMBREUSES :
DES DÉPENSES STABILISÉES, UNE COHÉRENCE À AMÉLIORER
449
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La Cour évalue le montant des aides destinées aux familles
nombreuses à environ 30 Md€ en 2021. Les multiples dispositifs sociaux et
fiscaux qui les portent résultent de la sédimentation de mesures inspirées
par des évolutions démographiques et sociales contrastées, ainsi qu
e
des
objectifs de redistribution poursuivis
,
le plus souvent
,
sous contrainte
budgétaire.
La stabilisation du montant des dépenses consacrées aux familles
au cours de la dernière décennie a conduit, toutes choses égales par
ailleurs, à une baisse de leur pouvoir d’achat.
Les familles nombreuses ont
été les plus affectées, l’essentiel de l’effort financier ayant été supporté par
les plus aisées d’entre elles.
Deux évolutions ont particulièrement joué :
-
l
es règles d’indexati
on applicables aux plafonds du quotient familial
et du complément familial ainsi qu’aux seuils de modulation des
allocations familiales ont eu pour effet
d’évincer du bénéfice des aides
une part croissante des familles à revenus intermédiaires, sans que cet
effet sur les familles nombreuses ait été complètement mesuré ;
-
les fragilités structurelles des familles les moins favorisées n’ont pas
été réduites pour autant : le taux de pauvreté des familles nombreuses
demeure élevé du fait de leurs caractéristiques socio-professionnelles,
de la persistance d’un faible taux d’emploi des mères en couple et de
l’augmentation de la monoparentalité.
Enfin, la seule prestation spécifiquement consacrée aux familles
nombreuses, le complément familial, a beaucoup perdu de sa cohérence
dans ses règles d’attribution et dans son articulation avec les autres
prestations familiales.
Dans un contexte de baisse de la natalité en France, il serait
souhaitable que l’ensemble des montants accordés par les différents
dispositifs sociaux et fiscaux en faveur des familles nombreuses soit
redéfini en fonction d’objectifs politiques clarifiés et hiérarchisés, en
s’assurant que l’ensemble s’inscrive dans un cadre favorable au
développement de l’emploi des mères de famille nomb
reuse.
Pour aider à la définition d’une stratégie prenant mieux en compte
les familles nombreuses, la Cour formule les deux recommandations de
politique publique suivantes :
46.
estimer dans les rapports d’évaluation des politiques de sécurité
sociale, le montant des économies obtenues via la modulation des
conditions de ressources des prestations familiales, ainsi que le
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
450
nombre et le pourcentage de familles concernées, pour chacune des
prestations, (ministère du travail, de la santé et des solidarités) ;
47.
clarifier les objectifs et les barèmes de ressources du complément
familial, ainsi que sa coordination avec les autres prestations
familiales, (ministère du travail, de la santé et des solidarités).
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes