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Le 22 décembre 2023
Le Premier président
à
Monsieur Stanislas Guérini
Ministre de la transformation et de la fonction publiques
Monsieur Thomas Cazenave
Ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Réf. : S2023-1532
Objet
: La gestion problématique de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC)
dans la fonction publique d’État
En application des dispositions de l’article L. 141-13 du code des juridictions
financières, la Cour a réalisé un bilan d’étape des principales dispositions (hors celles liées au
dialogue social et à l’égalité professionnelle) de la loi du 6 août 2019 de transformation de la
fonction publique (LTFP)
1
. Ce rapport a été publié le 9 novembre 2023
2
. Cette enquête a été
prolongée par des investigations à vocation de suites administratives et contentieuses sur la
détermination et la liquidation de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC). La
Cour m’a demandé, en application des dispositions de l’article R. 143-11 du même code,
d'appeler votre attention sur les observations et recommandations suivantes, issues de ce
contrôle.
La loi de transformation de la fonction publique ouvre la possibilité d’une rupture
conventionnelle inspirée du mécanisme introduit dans le droit du travail : elle permet à un agent
public permanent (fonctionnaire titulaire ou agents contractuel en CDI) de quitter, avec l’accord
de son employeur, la fonction publique et de percevoir une indemnité spécifique de rupture
conventionnelle (ISRC). Ce dispositif conventionnel ne constitue pas un droit pour l'agent qui
la sollicite. Susceptible par ailleurs d’être à l’initiative de l’administration, elle n’est pas non plus
subordonnée à la présentation d’un projet professionnel de reconversion et l’agent peut
bénéficier, après la rupture conventionnelle, de l’assurance chômage
3
.
L’agent ayant signé une rupture conventionnelle peut réintégrer la fonction publique
mais doit alors rembourser l’indemnité perçue
4
. La Cour a critiqué le fait que cette obligation
de remboursement ne concernait que la fonction publique d’État : elle a recommandé que
celle-ci soit étendue aux fonctions publiques territoriale et hospitalière.
1
LOI n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
2
La loi de transformation de la fonction publique : bilan d'étape | Cour des comptes (ccomptes.fr)
3
Les dispositions législatives ont été précisées par celle du décret n°2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la
procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique.
4
Cette indemnité devra être remboursée si l’agent, dans les six années suivant la rupture, est recruté en tant qu’agent
public pour le même employeur ou, pour un agent de la fonction publique territoriale, «
auprès de tout établissement
public relevant [du même employeur] ou auquel appartient la collectivité territoriale
».
Cour des comptes – Référé n°S2023-1532
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L’attrait pour ce dispositif a été rapide : sur la période 2020-2022, 5 300 agents de la
fonction publique d’État ont obtenu une rupture conventionnelle et perçu une ISRC d’un
montant moyen de 20 300
€
pour un coût total de 107,6 M
€
. L’âge moyen des bénéficiaires
diminue sur la période (50 ans en 2020, 48,6 ans en 2021 et 47,8 ans en 2022) et 72 % des
agents proviennent du ministère de l’éducation nationale.
Ce dispositif est expérimental pendant six ans (du 1
er
janvier 2020 au 31 décembre
2025). Une évaluation doit être présentée au Parlement un an avant son terme, soit en
décembre 2024. Pour donner à l’expérimentation une valeur probante et informer le Parlement
de façon la plus complète possible, la Cour estime que des correctifs doivent être d’urgence
apportés à la gestion actuelle de l’ISRC qui comporte des failles de nature à altérer la capacité
à porter une appréciation juste sur ce dispositif novateur.
Il est indispensable d’améliorer la traçabilité des décisions (1) comme de soumettre
l’indemnité de rupture conventionnelle au visa du contrôleur budgétaire et comptable
ministériel (CBCM) pour en assurer le suivi d’ensemble et en garantir la régularité (2). A défaut
le dispositif court le risque de paraître opaque et trop soumis à des aléas discrétionnaires qui
le dénatureraient (3).
1. UNE
TRAÇABILITÉ
TRÉS
IMPARFAITE
DE
LA
DÉCISION
ET
DE
L’ÉTABLISSEMENT DU MONTANT DE L’INDEMINITÉ
Des investigations conduites dans plusieurs ministères, il ressort une faiblesse
générale des dossiers rendant souvent difficile l’appréciation de la régularité de la rupture ainsi
que des montants indemnitaires accordés. Il en est ainsi lorsque des conventions de rupture
sont si incomplètes qu’elles ne font pas figurer des paramètres aussi essentiels que le salaire
de l’agent ou la date effective de départ à la retraite.
D’une part, l’absence de mention de la rémunération brute annuelle (RBA) ne permet
pas de vérifier si le niveau d’ISRC versé est conforme aux montants plancher et plafond prévus
par la loi, soit un montant maximal et invariant pour les agents ayant au moins 24 ans
d’ancienneté (pour une ISRC maximale égale à deux fois le RBA annuel).
D’autre part, la rupture conventionnelle n’est plus possible pour les fonctionnaires ayant
atteint une durée de cotisation leur permettant de liquider leur retraite sans décote ; pour autant
certains dossiers ne mentionnent pas cette information et laisse ouverte la possibilité que
l’ISRC ait été accordée alors même que les droits à retraite pleine étaient concomitamment
ouverts.
Dans ces conditions, la défaillance des pièces rend difficile de déceler et de corriger
certaines dérives.
2. UN CONTROLE DE LA RÉGULARITÉ FINANCIÈRE ABSENT
Depuis janvier 2006, un contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) placé
auprès des ordonnateurs principaux de l'État de chaque ministère exerce, en autres missions,
celle du contrôle de la régularité de l’exécution des dépenses. Or alors que le dispositif de
rupture conventionnelle est encore expérimental, les contrôleurs budgétaires et comptables
ministériels n’ont pas été inclus dans la chaîne de la liquidation des ISRC, laissant ainsi une
très large latitude aux services « ressources humaines » des ministères concernés.
Par conséquent les pièces justificatives de la dépense sont souvent éparpillées entre
différents interlocuteurs et non centralisées au CBCM rendant une vue d’ensemble des
différentes pratiques très difficile. En outre certains montants individuels élevés (de l’ordre de
190 000
€
) et mal fondés auraient justifié un visa vigilant du CBCM au regard de la régularité
de la dépense. De surcroît la réunion des données pour établir le rapport à remettre au
Parlement sera rendue difficile en 2024 sans une modification rapide des circuits
d’ordonnancement de la dépense pour centraliser l’information.
Cour des comptes – Référé n°S2023-1532
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Si un contrôle allégé est souvent souhaitable, il est en revanche peu conseillé en phase
expérimentale. En l’espèce, il aurait été utile que, durant l’expérimentation, l’ensemble des
éléments de liquidation transite par le CBCM, quitte, à l’issue du processus, à réaliser un
contrôle allégé une fois un mode opératoire commun défini.
3. UNE RAPIDE ET FACILE REMISE EN ORDRE POUR GARANTIR UN
DISPOSITIF NOVATEUR
De ces différents constats découle une grande difficulté de suivi du dispositif tant pour
le contrôle interne ministériel que pour les juridictions financières, autant dans la justification
de la rupture conventionnelle elle-même par rapport à l’âge de la retraite de l’agent que dans
l’établissement du niveau de l’indemnité spécifique qui lui sera versée.
D’ores et déjà des risques de dérive, certes marginaux car concernant des cas très
particuliers, sont avérés ; il serait regrettable qu’ils entachent l’expérimentation en cours
comme le destin d’un dispositif qui s’inscrit dans les objectifs de la loi de transformation de la
fonction publique, de flexibilité et de modernisation de la gestion des ressources humaines.
Pour permettre au gouvernement de proposer une évaluation robuste du dispositif au
Parlement, la Cour recommande la mise en
œ
uvre rapide de correctifs dans la procédure de
rupture conventionnelle. Elle formule la recommandation suivante :
Recommandation
: soumettre en 2024 à tous les contrôleurs budgétaires et
comptables ministériels les dossiers de liquidation de l’ISRC avec mention obligatoire
du revenu annuel brut et des droits à retraite sans décote des agents concernés.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
5
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
5
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8
septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).