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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR
LES CONTRÔLES D
IDENTITÉ : UNE PRATIQUE GÉNÉRALISÉE
AUX FINALITÉS À PRÉCISER
Mercredi 6 décembre 2023, 9h30
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous présenter le rapport public
thématique de la Cour des comptes, portant sur les contrôles d’identité.
Je souhaite avant tout saluer le travail remarquable et approfondi de l’ensem
ble des
artisans de ce rapport
. Je remercie
Christian Charpy
, le président de la 4
ème
chambre,
Emmanuel Glimet
, président de section et contre-rapporteur, ainsi que
Thibault de
Cacqueray
et
Thomas Chardin
, les rapporteurs qui ont réalisé ce travail.
Ce rap
port public thématique sur les contrôles d’identité est le premier rapport réalisé à la
demande de la Défenseure des droits, Claire Hédon, en vertu de la possibilité qui lui est
offerte par la loi de saisir la Cour des comptes
. J’aurai d’ailleurs le plaisi
r de lui remettre le
rapport, dans ses locaux, à l’issue de cette conférence de presse.
La Défenseure des droits a sollicité la Cour pour conduire une analyse de la pratique des
contrôles d’identité, qui est, il est vrai, régulièrement questionnée
dans le débat public
. La
saisine de la Défenseure des droits portait notamment sur le nombre de contrôles d’identité
réalisés, et sur l’analyse qualitative de ces contrôles
: leurs fondements juridiques, leurs
effets sur la délinquance, leurs effets sur la population, leurs conséquences en matière de
confiance dans les forces de l’ordre. La Cour s’est efforcée de prendre en compte ces axes
d’analyse au cours de l’instruction, tout en conservant, bien entendu, sa totale
indépendance. Nous avons fait notre travail comme nous estimions devoir le faire.
Avant d’en venir aux principaux constats et recommandations de ce rapport, intitulé «
Les
contrôles d’identité
: une pratique généralisée aux finalités à préciser
», j’aimerais revenir
sur la notion même de cont
rôle d’identité
. Qu’est
-
ce qu’un contrôle d’identité
? Quels en
sont les acteurs ?
2
Les cas prévus par la loi où les forces de l’ordre peuvent procéder à des contrôles
d’identité sont nombreux, une vingtaine en tout
: la poursuite ou la prévention
d
’infractions, la recherche de personnes, ou encore la prévention d’une atteinte à l’ordre
public. Ils relèvent tous d’une pratique similaire
: un agent investi de l’autorité publique
demande à un particulier de justifier de son identité par tous moyens. Ces contrôles peuvent
être conduits à l’initiative des forces de police et de gendarmerie, ou bien sur réquisition
écrite du procureur de la République. Les contrôles douaniers et certains contrôles
administratifs peuvent être assimilés aux contrôles d’ident
ité, en raison de leurs modalités
proches ; mais ils ne sont pas pris en compte dans cette enquête car leurs finalités sont
différentes : contrôles aux frontières, entrées dans un périmètre protégé par exemple.
Il est important de souligner également que
les contrôles d’identité peuvent, selon les cas,
être assortis d’actes complémentaires
, comme des palpations de sécurité ou, pour les
contrôles routiers, un contrôle d’alcoolémie ou un dépistage de stupéfiants.
Les nombreux cas d’utilisation des contrôles d’identité prévus par la loi ont peu à peu été
précisés par des jurisprudences, appliquant la règle juridique à des situations pratiques.
Nous avons donc un cadre juridique à la fois complet et précis, mais les agents conservent
une grande autonomi
e dans le choix de recourir aux contrôles d’identité.
Cependant
,
ils
doivent toujours pouvoir justifier « d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner »
une menace pour l’ordre ou la sécurité publics pour précéder à un contrôle d’identité.
Or, nous
le voyons tous, l’équilibre entre le maintien de la sécurité collective et la garantie
des libertés individuelles est source de nombreuses tensions
. Le débat sur les contrôles
d’identité cristallise depuis longtemps cette tension, il l’alimente même, dans l’espace
public. La France n’est pas, de ce point de vue, un cas isolé : de tels débats ont cours ailleurs,
notamment au Royaume-Uni, où les rapporteurs se sont rendus, ou encore aux États-Unis.
Dans notre pays, le contrôle d’identité donne également lieu
à un débat sur la question de
contrôles jugés discriminatoires, dits contrôles « au faciès ».
***
J’en arrive désormais aux principaux constats et recommandations formulés par la Cour
dans ce rapport.
J’aimerais en partager avec vous les trois mess
ages principaux :
-
Le premier message, et c’est le plus innovant de ce rapport,
c’est que la Cour a
réussi à estimer le nombre de contrôles d’identité réalisés par an
: 47 millions.
Même si ce chiffre est entouré d’incer
titudes
j’y reviendrai –
c’est la première
fois qu’une estimation est faite sur le nombre de contrôles, et ce nombre est
massif.
-
Le deuxième message de ce rapport,
c’est que les contrôles d’identité sont peu
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encadrés
: en termes d’objectifs recherchés, q
ui demeurent peu précis, mais aussi
sur le plan opérationnel et en en termes de contrôle hiérarchique, cela alors
même que le cadre juridique qui encadre cette pratique est très complet
… et
parfois complexe.
-
Face à ces constats et à l’ampleur de la pratique des contrôles d’identité, la Cour
préconise de
mieux responsabiliser
les agents, de les inciter à mieux
rendre
compte et de mieux les former aux contrôles d’identité
.
*
(1)
Le premier
message de ce rapport, c’est le chiffre de 47 millions de contrôles d’identité
par an.
Cette évaluation est inédite
; il existe en effet des lacunes importantes dans l’information
disponible, et ni la police ni la gendarmerie ne comptabilisent les contrôles d’identité
réalisés chaque année.
L’équipe de de la Cour s’est néanmoins attachée à établir une
estimation, en travaillant directement à partir des consultations des fichiers de police. Cette
consultation est en effet de plus en plus fréquente lors des contrôles d’identité.
En comptant le nombre de consultations de fichiers, les rapporteurs ont donc réussi, par une
méthode indirecte, à évaluer le nombre de contrôles d’identités. I
ls ont pu comparer ce
nombre, pour la gendarmerie nationale, avec les déclarations que les agents font eux-
mêmes en fin de service au titre du suivi de leur activité.
Il ressort de ces travaux que la gendarmerie nationale a réalisé environ 20 millions de
c
ontrôles en 2021, dont 8,3 millions au titre d’un contrôle routier.
Pour sa part, la police nationale a réalisé environ 27 millions de contrôles d’identité la
même année, dont 6,6 millions de contrôles routiers.
Le nombre de contrôles réalisés en
2021 en France approcherait donc 47 millions, soit, en moyenne neuf contrôles par
patrouille et par jour. Cette valeur ne présente pas d’écart significatif par rapport à la
tendance observée depuis 2018.
L’estimation réalisée par la Cour est entachée d’in
certitudes, à la hausse comme à la baisse,
en raison du caractère indirect et peu consolidé des données exploitées.
Il faut donc
l’interpréter non pas comme un chiffre dans le granit mais comme un ordre de grandeur
.
Comme nous sommes prudents, nous avons demandé à la police, la gendarmerie et à la
préfecture de police de Paris ce qu’ils pensaient de notre estimation
: ils l’ont trouvé
vraisemblable. Ce qui veut dire que nous sommes dans des ordres de grandeur très
plausibles.
47 millions
: il s’agit d’un chiffre massif, qui confirme la place centrale des contrôles
d’identité dans les actions des forces de l’ordre
. Mais pour apprécier la pratique des
4
contrôles d’identité, il faudrait disposer d’autres informations, plus qualitatives, comme leur
localisation, le contexte dans lequel ils interviennent ou la base juridique sur laquelle ils
s’appuient.
La
carence des données disponibles et l’interdiction de tenir des statistiques ethniques
entraînent l’impossibilité de répondre de manière précise et statistique à l’une des questions
de la Défenseure des droits sur les contrôles discriminatoires ou au faciès. Nous ne pouvons
dès lors que renvoyer sur ce point à un arrêt récent du Conseil d’État. Celui
-ci a en effet
rendu en octobre dernier une décision, à la
suite d’une saisine par six associations dans le
cadre d’une action de groupe, pour faire cesser la pratique des contrôles d’identité
discriminatoires.
Le Conseil d’État a conclu que la pratique discriminatoire était répandue,
mais qu’elle ne pouvait être
considérée comme « systémique » ou « généralisée »
.
Pour conclure sur ce premier message du rapport, la Cour constate que les forces de
sécurité n’ont pas –
ou ne se sont pas donné
les moyens de recenser les contrôles
réalisés et leur localisation, ni
d’en comprendre les motifs et d’en analyser les résultats
.
Cette situation est d’autant plus surprenante que la pratique des contrôles d’identité fait
l’objet d’un débat de longue date dans l’opinion publique, comme je l’ai évoqué à l’instant.
Approfondir la connaissance quantitative des contrôles réalisés
leur nombre, mais
également leur localisation géographique et leur fondement juridique
est donc
fondamental.
C’est pourquoi la Cour recommande d’assurer un recensement exhaustif des contrôles
d’identité réalisés, en s’appuyant sur les consultations de fichiers nationaux en mobilité de
la police, ou sur les déclarations de fin de service de la gendarmerie. Il faut aller plus loin
dans la connaissance du phénomène, quantitativement et qualitativement, que le seul
chiffre que je vous ai donnée.
*
(2)
Dans un second volet du rapport, la Cour constate que les contrôles d’identité sont peu
encadrés, que ce soit en termes d’objectifs recherchés, de bonnes pratiques ou
d’encadrement hiérarchique.
D’abord, l’absence de réflexion et de doctrine sur les finalités des contrôles d’identité est
surprenante
surtout vu le nombre de contrôles d’identité réalisés et le cadre juridique
foisonnant que les agents doivent maîtriser.
En effet, le cadre juridique des
contrôles d’identité est à la fois riche, complexe
et peu
prescriptif
. Il a été progressivement précisé sur des cas concrets par la jurisprudence, mais la
complexité de l’ensemble ne facilite pas la compréhension pour les agents chargés de le
mettre en œuv
re. Le code de procédure pénale et la jurisprudence sont complétés par un
5
ensemble de règles déontologiques, qui sont applicables aux policiers et aux gendarmes, et
qui ont une portée réglementaire depuis 2014. Ces dispositions décrivent les grandes règles
applicables à l’interaction entre les forces de sécurité et la population, et affirment les
principes de non-discrimination dans la détermination des personnes à contrôler et de
respect de la dignité des personnes lors du contrôle.
Pour autant, il n’existe pas de doctrine de recours aux contrôles d’identité.
Ni la police ni la
gendarmerie n’ont mené de réflexion approfondie sur les bonnes raisons de réaliser ou non
un contrôle d’identité selon les situations et les objectifs recherchés. La sensibilité des
contrôles d’identité justifie pourtant qu’on s’interroge sur les contextes nécessitant
d’y
recourir.
Aujourd’hui, la définition des objectifs assignés aux contrôles d’identité n’est pas
véritablement formalisée, et repose sur la seule hiérarchie immédiate qui oriente les
patrouilles.
La préoccupation de marquer une présence policière, notamment dans les zones
connues pour des faits de délinquance, est souvent citée par les acteurs de terrains
rencontrés par la Cour et par leurs responsables dans les forces de sécurité intérieure. Mais
les conséquences des contrôles d’identité récurrents sur les relations entre la police et la
population, ne sont pas véritablement prises en compte.
En bref, les contrôles d’identité semblent envisagés comme un simple outil,
un simple acte
technique quotidien, alors qu’ils mériteraient une réflexion approfondie sur ce qui en est
attendu, et leur contribution réelle à la sécurité publique.
C’est la raison pour laquelle la Cour recommande au ministère de l’intérieur et des outre
-
mer de formaliser la doctrine d’emploi des contrôles d’identité et leurs finalités en matière
de sécurité publique. On doit savoir comment on fait et à quoi ça sert, pour le dire plus
clairement.
Comme le relève l’enquête de la Cour, le déroulé des contrôles d’identité, en d’autres
termes les gestes réalisés par les forces de l’ordre à l’occasion de ces contrôles, relèvent de
pratiques diverses et peu encadrées.
Le déroulé-t
ype d’un contrôle d’identité n’est pas précisément défini dans des supports
pédagogiques, et les gestes sont variables selon la localisation et l’agent. La réglementation
ne fixe pas non plus de manière précise les actes autorisés selon les cas de contrôle, ce qui
peut entraîner des dérives dans les pratiques quotidiennes.
Par exemple, la pratique de la palpation a tendance à se généraliser, alors que, selon le code
de la sécurité intérieure, elle ne doit pas être systématique et ne doit être réalisée qu’e
n cas
de risque pour l’agent ou le contrôlé
: par exemple pour vérifier que le contrôlé ne porte pas
une arme. Aujourd’hui, la palpation vise souvent à vérifier si le contrôlé est en possession de
stupéfiants.
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Dans d’autres pays comme le Royaume Uni, où l’équipe de contrôle s’est rendue pour
comparer les pratiques, il existe un
College of policing
.
Cet organe est chargé d’établir des
instructions communes à toutes les polices régionales (elles ne sont pas moins de 43 !) et
d’établir des «
pratiques professionnelles autorisées », en lien avec des acteurs extérieurs
aux forces de police, dont des chercheurs.
Le Royaume-
Uni dispose ainsi depuis 2014 d’une doctrine de bonnes pratiques sur le
stop
and search
, qui est l’équivalent britannique du contrôle d’identi
té avec palpation
donc
beaucoup plus encadré chez nos voisins d’Outre
-Manche.
En outre, la Cour constate que le tutoiement lors des contrôles est toujours largement
utilisé, alors même qu’il est proscrit par le Code de la sécurité intérieure
. Si la gendarmerie
en général respecte cette interdiction, elle ne semble pas toujours garantie, ni même
reconnu comme légitime, au sein de la police.
Face à la variabilité des pratiques observées, la Cour préconise de décrire, dans les guides
pratiques à destination des policiers et des gendarmes, le « déroulé standard
» d’un contrôle
d’identité et les actes connexes qui peuvent ou doivent être mis en œuvre
.
Enfin, l’encadrement effectif des contrôles d’identité par la hiérarchie de proximité est
insuffisant : il se heurte à de nombreuses difficultés en matière de ressources humaines.
Pourtant le mentorat des plus jeunes et, plus généralement, l’encadrement par des gradés
expérimentés, est déterminant pour éviter toute dérive
.
Cet encadrement a beau être absolument nécessaire, il se heurte, dans la police nationale, à
des difficultés résultant de la faiblesse de l’encadrement hiérarchique. Cela est notamment
dû à la réduction du nombre d’officiers. Cette problématique a d’ailleurs été mise en avant
par les travaux du « Beauvau de la sécurité ». En conséquence, la Cour observe que
l’encadrement des patrouilles en opérations est souvent faible et les officiers de police
judiciaire manquent de temps pour superviser les contrôles effectués par des agents.
Cette réd
uction de l’encadrement de terrain dans la police nationale a des conséquences
directes sur la pratique des contrôles d’identité
. On constate par exemple une forme de
« contrôle hiérarchique inversé » : dans la majorité des cas, seuls les contrôles dont les
agents estiment qu’ils doivent être portés à la connaissance de leurs supérieurs immédiats
font l’objet d’une attention de la hiérarchie. Les officiers de police judiciaire n’exercent
quant à eux un contrôle que sur les contrôles débouchant sur des suites judiciaires. Il en
résulte certaines dérives indétectables par la hiérarchie. Par ailleurs, dans certaines zones,
l’insuffisance des ressources humaines et la sollicitation importante de tous empêchent la
mise en œuvre de retours d’expérience sur les contrôles d’identité. Dans les zones les plus
sensibles, cela peut contribuer à la montée des tensions et favoriser un exercice moins
maîtrisé des contrôles d’identité.
7
Pour remédier à cela, les forces de sécurité pourraient organiser périodiquement des
séanc
es de retour d’expérience avec l’encadrement de proximité, en s’appuyant
notamment sur des enregistrements issus des caméras-piéton.
*
(3)
Le troisième et ultime message de ce rapport est le suivant : pour renforcer la relation
entre la police et la population, la Cour préconise de mieux contrôler, de mieux rendre
compte et de mieux former les agents aux contrôles d’identité.
Il s’agit tout d’abord de renforcer l’utilisation et la portée des dispositifs de signalement et
de contrôle existants.
Lorsq
ue la conduite d’un policier ou d’un gendarme est perçue comme inappropriée lors
d’un contrôle d’identité, le public peut recourir aux plateformes de signalement
administrées par les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales, ou
saisir le Défenseur des droits. Ces voies de recours ne sont pas spécifiques aux contrôles
d’identité, mais elles restent peu utilisées dans ce cas précis. Seules quelques centaines de
dossiers sont recensées chaque année. Il faut souligner, et la Cour a pu le vérifier, que ces
dossiers sont effectivement traités.
Mais aujourd’hui, l’IGPN et l’IGGN, chargées notamment du contrôle disciplinaire et
déontologique, ne disposent pas d’une vision globale du respect de la déontologie lors des
contrôles d’identité.
Les dossiers sont tous examinés au cas par cas et les inspections,
souvent, ne savent pas comment le signalement a été traité.
Par ailleurs, les inspections générales ne sont dotées d’aucun outil permettant de
surveiller le caractère discriminatoire ou non des contrôles
. Cette carence est très
pénalisante,
a fortiori
en France où les statistiques ethniques sont interdites. Les inspections
générales devraient être plus proactives et surtout, plus créatives dans ce domaine. Des
études de terrain, menées ensemble par des universitaires et les inspections générales,
pourraient être développées pour répondre à ce besoin.
Il s’agit ensuite, pour renforcer la relation police
-
population, d’améliorer la
transparence
et la redevabilité en matière de contrôles d’identité.
Plusieurs mesures ont été prises par le
Gouvernement pour améliorer la confiance dans les forces de sécurité intérieure. Elles
contribuent à objectiver la pratique des contrôles d’identité, mais elles sont pour l’heure
insuffisantes. Par exemple, le port par les gendarmes et les policiers d’un numéro
d’identification, dit RIO, est loin d’être systématique. En plus, ce numéro reste dans de
nombreux cas, peu visible et peu lisible par les con
trôlés. Le Conseil d’État a d’ailleurs fait le
même constat dans sa décision d’octobre dernier.
8
Un autre outil récemment déployé contribue à la transparence de l’action des policiers et
des gendarmes : la caméra-piéton embarquée par les agents de police et de gendarmerie
.
L’utilisation de cet équipement par les policiers et les gendarmes se développe
: chaque
patrouille dispose au moins d’une caméra, les matériels fonctionnent mieux et l’idée qu’un
enregistrement peut aussi être une protection pour le policier ou le gendarme lui-même
commence à se généraliser. Une expérimentation intéressante avait été décidée en 2017 par
le législateur
: elle consistait à enregistrer systématiquement les contrôles d’identité, pour
en établir le nombre et en analyser les mod
alités. Mais cette expérimentation s’est soldée à
l’époque par un échec, en raison des difficultés de déploiement et d’emploi des caméras
elles-mêmes.
La Cour recommande de renouveler cette expérimentation, maintenant que ces caméras
sont suffisamment déployées et fonctionnelle.
En matière de redevabilité, les bonnes pratiques observées au Royaume-Uni pourraient
inspirer la France.
En effet, l’approche générale retenue par les polices britanniques est celle
du
policing by consent,
c’est
-à-dire la recherche
de l’acceptation de son action par la
population. Par exemple, les policiers doivent expliquer oralement la raison d’un contrôle
chaque fois qu’ils en pratiquent un. Pas sûr que ce soit fait tout le temps en France.
Un autre levier pour améliorer la transparence est le renforcement du contrôle du
procureur de la République.
Le rôle du Procureur de la République est en effet central en
matière de contrôle d’identité lorsque ces contrôles interviennent sur sa réquisition.
Permettez-moi de revenir sur le dispositif de la réquisition
: il s’agit d’une autorisation,
signée par le Procureur de la République pour un périmètre et une durée donnés, qui
permet aux forces de sécurité intérieure de procéder à des contrôles d’identité sans avoir à
justifier de soupçon.
Cette autorisation a pour contrepartie une supervision
a priori
et
a posteriori
du Procureur
sur les motifs de la réquisition et sur la mise en œuvre concrète des contrôles effectués
.
Mais cette supervision est fortement limitée : déjà, par le nombre de réquisitions
demandées, ensuite, par la charge de travail des parquets et des magistrats de permanence.
Concrètement, les forces de sécurité sont à l’initiative de la très grande majorité des
demandes de réquisitions. Ces autorisations leur sont presque systématiquement délivrées
par l’autorité judiciaire. Même si depuis quelques années, les procureurs exigent
des
comptes rendus systématiques du déroulé des opérations, leur exploitation est encore
largement perfectible. L’ensemble de la procédure pourrait être
simplifié, pour favoriser la
transparence des contrôles d’identité.
Le rapport préconise notamment de numériser les différents actes liés aux réquisitions,
d’employer des modèles de compte
-
rendu communs et d’assurer un suivi consolidé au
Parquet.
9
Enfin, au-delà du contrôle et de la redevabilité, la formation est un enjeu essentiel pour
homogénéiser et sécuriser les pratiques.
Des efforts ont déjà été réalisés pour améliorer
l’enseignement sur les questions déontologiques, et pour aborder les rela
tions entre la
police et la population lors de la formation initiale. Cependant cette formation reste surtout
centrée sur le cadre juridique des contrôles d’identité, que ce soit dans les écoles ou au
cours de la carrière. La formation doit désormais être étendue aux finalités opérationnelles
et aux effets concrets des contrôles.
Les formations continues sur les modalités de réalisation des contrôles d’identité et sur
leurs enjeux déontologiques rencontrent, de plus, une très faible affluence
: moins de 300
policiers formés par an pour les formations ciblées sur les contrôles d’identité, et 600 à 1
600 formés par an en incluant des formations plus générales ! Cette fréquentation est
particulièrement faible.
Il est indispensable que la police nationale et la gendarmerie nationale renforcent la
formation aux actes métiers des contrôles d’identité
. Cette formation doit être décuplée
dans les formations initiale et continue. Cela pourrait passer, notamment, par le
déploiement des stages obligatoires lors des passages de grades.
***
Mesdames, messieurs, voici les éléments d’analyse et les recommandations que je
souhaitais porter à votre connaissance.
Les contrôles d’identité cristallisent de nombreuses tensions s’agissant de la relation entre
la police et la population
. Qu’il n’y ait pas de malentendu
: la Cour ne remet pas en cause le
principe des contrôles d’identité. Ils font partie des actes métiers que doivent réaliser les
forces de sécurité intérieure. Mais l’enjeu, c’est de permettre à la police et la gend
armerie
de faire leur travail avec efficacité, dans le respect des libertés individuelles et avec un
comportement exemplaire avec le souci constant de préserver ou de rétablir une relation
police population apaisée.
Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre attention
. Je me tiens à votre
disposition, ainsi que l’équipe qui a instruit ce rapport et que je remercie à nouveau, pour
répondre à vos questions.