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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR LA POLITIQUE
D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES MENÉE PAR
L’ÉTAT (2017-2022)
Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés
Jeudi 14 septembre, 9h30
Cour des comptes
Discours de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Bonjour Mesdames et Messieurs,
J’ai le plaisir de vous retrouver aujourd’hui pour vous présenter le rapport de la Cour des
comptes consacré à la politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par l’État
de 2017 à 2022
. Pour ce faire, j’ai à mes côtés Catherine
Démier
, présidente de la 5ème
chambre, Arnaud
Oseredczuk
, président de section et contre-rapporteur de cette enquête,
ainsi que l’équipe de rapporteurs, Maïa
Rohner
, Richard
Lebaron
et Emmanuel
Noyaret
, que
je remercie et dont je salue le travail de grande qualité.
Celui-ci est le fruit d’une proposition d’enquête citoyenne formulée en 2022 lors de la
première édition de la plateforme citoyenne.
Par un appel à contribution, la Cour veut
associer les citoyens à sa programmation, dans un souci d’ouverture et de renforcement de
nos liens directs avec les citoyens. Cette consultation, qui se fera désormais annuellement,
s’inscrit dans la volonté de la Cour de donner pleinement corps à l’article 15 de la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel
« la société a le droit
de demander compte à tout agent public de son administration »
. J’aimerais faire de la Cour
des comptes la maison des citoyens.
Les citoyens ont montré qu’ils souhaitaient exercer ce droit et nous sommes à leur service
pour le matérialiser.
La plateforme citoyenne a accueilli en 2022 près de 43 000 visiteurs,
9 000 ayant participé à la consultation en déposant ou soutenant plus des 333 propositions
de contrôle. Ces résultats sont intéressants.
Après le succès de cette première campagne, le lancement de la deuxième édition de
cette grande consultation citoyenne a eu lieu il y a quelques jours
, le 6 septembre et celle-
ci se tiendra pendant un mois jusqu’au 6 octobre prochain. Cette année, les chambres
régionales et territoriales des comptes participeront avec nous à la campagne, ce qui
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permettra d’élargir les propositions citoyennes à d’autres sujets, notamment à des enjeux
locaux.
Si cette riche collaboration montre l’attente des citoyens vis-à-vis des travaux de la Cour,
elle reflète également leurs préoccupations.
Les premiers rapports d’initiative citoyenne
d’ores et déjà publiés, comme celui sur le recours par l’État à des cabinets de conseil privé
ou celui consacré aux soutiens publics aux fédérations de chasseurs, en sont une illustration,
tout comme l’est l’enquête que je vous présente aujourd’hui sur la politique d’égalité entre
les femmes et les hommes menée par l’État de 2017 à 2022.
*
Pour entrer dans le vif du sujet, une forte demande sociale d’égalité réelle entre les
femmes et les hommes s’exprime en effet depuis plusieurs années.
De plus, les violences faites aux femmes font l’objet d’une sensibilité particulière dont le
mouvement international
#MeToo
est une manifestation. Cette sensibilité a encore été
accentuée lors de la crise sanitaire en raison des risques accrus de violences conjugales,
développés par les confinements successifs.
En réponse à cette attente d’égalité réelle, le sujet a été déclaré grande cause du
quinquennat en 2017 par le Président de la République,
déclaration qui a donné lieu à
l’organisation de temps forts et à l’annonce de mesures lors de dates symboliques comme le
8 mars, journée internationale des droits des femmes, et le 25 novembre, journée
internationale pour l’élimination de la violence faites aux femmes. Un «
tour de France de
l’égalité
» a été organisé, suivi de la réunion d’un comité interministériel consacré à ce sujet
le 8 mars 2018. Un Grenelle des violences conjugales enfin a été clôturé le 25 novembre
2019.
La Cour a constaté que si la désignation comme « grande cause nationale » de l’égalité
entre les femmes et les hommes a certes donné de la visibilité au sujet, nous pensons
qu’elle ne s’est toutefois pas traduite par la définition et la déclinaison d’une stratégie
globale continue et coordonnée
.
Elle s’est plutôt caractérisée par une diversité de documents stratégiques
: les 25 mesures
du 25 novembre 2017 annoncées par le Président de la République, les 40 mesures du
comité interministériel à l’égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018, les 46
mesures du Grenelle des violences conjugales du 25 novembre 2019, elles-mêmes
complétées par la suite par 8 mesures, le plan de lutte contre les mutilations sexuelles
féminines de 2019 ou bien encore la convention interministérielle à l’égalité entre les filles
et les garçons. Disons-le : les rapporteurs ont en effet dû conduire un effort important pour
reconstituer l’exhaustivité de ces intentions éparses.
Ces multiples initiatives n’ont pas été consolidées en une feuille de route unique suivie
régulièrement ;
il faut noter que
le comité interministériel qui devait en assurer le suivi ne
s’est jamais réuni.
De plus, l’approche par «
catalogue de mesures
» échoue sans doute à
faire en sorte que cette thématique fondamentale, à laquelle je suis personnellement très
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attaché, irrigue l’ensemble des politiques publiques, ce qui a conduit à limiter la portée
stratégique de cette grande cause nationale.
En outre, l’organisation des services de l’État n’a pas permis de pallier les conséquences
d’une impulsion aussi variée, pour ne pas dire inégale
. Certes, les services de l’État centraux
et territoriaux ont renforcé leur mobilisation et les moyens budgétaires ont augmenté mais
le service des droits des femmes et de l’égalité, et ses relais territoriaux, ne sont pas en
mesure d’imposer à l’ensemble des ministères concernés de progresser dans la mise en
œuvre des actions attendues. Dès lors, la mise en œuvre des mesures décidées a plutôt
résulté du bon vouloir de chaque ministère.
Au-delà de ces aspects institutionnels, le pilotage de la politique d’égalité a été rendu
difficile par des lacunes dans la conception des mesures elles-mêmes.
Dans de nombreux
cas, elles ne sont pas fondées sur un diagnostic précis des situations et des besoins, de sorte
que la réalisation d’un éventuel objectif chiffré – lorsqu’il existe - ne permet pas de conclure
à la réussite d’une politique publique. Par exemple, le déploiement de bracelets
électroniques ou de téléphones « grave danger » ne repose sur aucune étude des besoins.
C’est problématique et cela rejoint tout à fait l’analyse de la Cour des comptes sur les
questions méthodologiques de la qualité de la dépense ! Une mesure devrait être bien
calibrée, bien évaluée et bien évaluée.
Enfin,
les mesures n’ont souvent
été assorties ni de moyens, ni de calendrier de réalisation,
ni d’indicateurs de résultats, ni de cibles, ce qui rend leur évaluation impossible
comme «
améliorer le congé maternité en le rendant plus équitable
», «
créer de nouvelles solutions
d’accueil de jeunes enfants sur tout le territoire
», etc. Plus généralement, nous constatons
que l’exigence d’une évaluation des actions menées n’est pas suffisamment considérée par
l’ensemble des acteurs qui contribuent à sa mise en œuvre, qu’il s’agisse des services de
l’État ou des associations qu’il finance.
Toutefois, deux thématiques ont concentré les efforts et la capacité de suivi des
administrations : celle de la lutte contre les violences conjugales et celle de l’égalité
professionnelle, relayée dans tous les ministères. Pour ces deux sujets, certaines avancées
ont été enregistrées depuis 2017.
1)
S’agissant de la lutte contre les violences conjugales,
des mesures ont été déployées
pour,
-
d’une part, la protection des victimes
avec un cadre législatif étoffé, des
dispositifs d’écoute et d’accompagnement renforcés ou l’augmentation notable
du nombre de places d’hébergement,
-
d’autre part, dans le traitement des auteurs de violences conjugales.
Des
centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) ont ainsi
été créés et le nombre de bracelets anti-rapprochements (BAR) a fortement
augmenté.
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En revanche, d’autres mesures moins spectaculaires, nécessitant un investissement dans la
durée,
mais indispensables pour faire évoluer les mentalités, ont été peu mises en œuvre,
notamment celles relatives à la prévention axée sur l’éducation.
Disons-le, pour nous, l’éducation est vraiment l’angle mort de cette politique
qui s’est
concentrée sur les auteurs et les victimes d’aujourd’hui, sans chercher suffisamment à lutter
dès la formation des esprits sur l’idée qu’on peut imposer sa volonté à son conjoint par la
violence.
Si les mesures de lutte contre les violences conjugales ont fait l’objet d’un suivi plus
rigoureux et d’une mise en œuvre plus systématique de la part de l’État,
certaines méritent
d’être davantage évaluées au regard de leurs effets et non pas seulement des moyens
mobilisés, je pense notamment aux formations des forces de l’ordre sur l’amélioration de
l’accueil des victimes ou à la fluidité des parcours des femmes victimes de violences.
2)
Concernant les mesures relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes dans le
monde du travail
, elles ont été prévues par le comité interministériel à l’égalité du 8
mars 2018 qui affichait l’objectif du passage d’une logique de moyens à une logique
de résultats, en incluant une dimension contraignante pour les employeurs.
Dans le secteur public, l’égalité professionnelle a fait l’objet d’une mobilisation collective
forte résultant notamment de l’obligation dans chaque ministère de concevoir un plan
d’actions concret, et de l’engagement volontariste dans des démarches de labellisation
« égalité professionnelle ».
La Cour des comptes a d’ailleurs elle-même été labellisée en
avril 2023 et je mesure l’exigence de cette démarche, qui implique que tous s’impliquent.
L’égalité salariale progresse lentement : l’écart de rémunération moyen entre les femmes
et les hommes dans la fonction publique est resté stable entre 2015 et 2020 autour de
14%.
Les sources de ces écarts sont désormais mieux identifiées : les femmes sont moins
présentes dans les corps les mieux rémunérés ou dans les catégories hiérarchiques
supérieures et travaillent plus souvent à temps partiel. Nous n’y échappons pas à la Cour des
comptes : c’est très long de créer de vivier. Il reste néanmoins à mieux comprendre les
écarts en matière de primes et de promotions pour agir sur d’éventuelles discriminations.
Les règles imposant des primo-nominations équilibrées aux postes à responsabilité
commencent à rééquilibrer la composition de l’encadrement supérieur de l’État depuis la
loi de 2012 dite Sauvadet :
le seuil de 40 % de primo-nominations féminines a été dépassé
pour la première fois en 2020. La toute récente loi du 19 juillet 2023, d’initiative
parlementaire, devrait accentuer cette évolution, y compris au sein des juridictions
financières. Sans en attendre les effets bénéfiques, j’ai souhaité, depuis le début de mon
mandat, faire de la Cour et des CRTC des institutions exemplaires en la matière, et œuvré
pour un nécessaire rééquilibrage de la place des femmes dans les postes à responsabilité :
ainsi à la Cour, dès 2022, la parité a été réalisée. Toutefois, au-delà de l’engagement et du
nouveau cadre législatif, une des conditions de réussite du nouveau dispositif en matière
d’égalité dans la fonction publique sera la capacité des institutions publiques à constituer de
façon volontariste le vivier des candidates et à prendre les mesures nécessaires à lever les
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freins objectifs et subjectifs aux évolutions de carrière des femmes. Disons-le, il faut faire
preuve de volontarisme.
Dans le secteur privé, l’égalité professionnelle a surtout été envisagée sous l’angle des
inégalités salariales et le ministère du travail a concentré son action sur la mise en place
d’un index sur l’égalité des rémunérations
.
L’instauration de cet outil devait consacrer le passage d’une logique de moyens à une
logique de résultats mais cet objectif est encore loin d’être atteint, notamment du fait
d’importantes difficultés d’application dans les petites entreprises (43 % des plus petites
entreprises ont déclaré un index « incalculable ») et d’une capacité réduite de contrôle et de
sanctions par les services du ministère du travail (seulement 712 mises en demeure et 42
pénalités depuis 2019 des plus de 40 000 entreprises assujetties chaque année). Ça reste
négligeable.
L’ambition a été moindre en matière de lutte contre les causes plus structurantes
d’inégalités, comme
la
mixité des filières de formation et des métiers
, qui nécessitent des
changements socio-culturels en matière d’orientations professionnelles et de valorisation de
certaines compétences.
Quoiqu’il en soit, malgré un arsenal législatif croissant depuis plusieurs décennies, les
progrès dans la réduction des inégalités sont lents
, notamment du fait d’importantes
difficultés d’application dans les entreprises, de priorisation dans le dialogue social et de
contrôle par les services du ministère du travail.
*
Au final, la politique d’égalité, malgré une mobilisation indéniable, quoiqu’inégale selon
les sujets, ne se traduit encore que par des avancées limitées et lentes.
Ce n’est pas
seulement une fatalité liée au rythme propre à l’évolution des mentalités, mais aussi le
résultat d’insuffisance de méthode.
Or, l’État ne paraît pas avoir tiré les conséquences de ces insuffisances
. Il a présenté le 8
mars 2023 un nouveau plan interministériel pour la période 2023 à 2027, après l’annonce du
renouvellement de la désignation de l’égalité entre les femmes et les hommes comme
« grande cause du quinquennat ».
Si certaines mesures prennent acte de la nécessité d’une vision plus englobante de cette
politique, le même schéma consistant en annonces de principe censées répondre à des
besoins encore mal identifiés, est dans l’ensemble reproduit
. Un travail de déclinaison de
ce plan en une véritable feuille de route assortie d’objectifs chiffrés en matière de résultats
sera donc nécessaire. La réussite de ce nouveau plan sera fonction de la capacité, d’une part,
à tenir l’engagement d’en assurer le suivi au niveau interministériel le plus élevé et, d’autre
part, à ne pas privilégier seulement les mesures de court terme.
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Les constats de cette enquête sont d’ailleurs globalement partagés par la Première ministre
dans sa réponse à la Cour.
*
Je terminerai en soulignant que ce premier travail de la Cour – un point sur l’interne pour
vous dire l’importance que cela a pour moi, fruit d’une initiative citoyenne, a enclenché
une dynamique forte au sein de notre institution
attestant de la réalité de l’influence des
citoyens à notre programmation, avec de nouveaux travaux qui seront présentés ces
prochains mois
: d’une part, une enquête menée par deux chambres de la Cour relative à la
manière dont les pouvoirs publics luttent contre la formation des inégalités entre les
femmes et les hommes, de la formation initiale à l’insertion sur le marché du travail et,
d’autre part, des travaux menés avec les chambres territoriales des comptes de Polynésie
française et de Nouvelle-Calédonie sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans
ces deux territoires ultra-marins. L’implication des citoyens a un double effet sur nous : un
effet direct avec cette enquête et un effet indirect avec la mise en place de nouveaux cycles
de contrôle.
Avec ce rapport, la Cour marque à nouveau sa volonté, non pas
d’étriller
ou
d’épingler
telle ou telle administration, mais d’œuvrer inlassablement à une meilleure information et
d’accompagner la mise en place d’une politique publique si attendue par les citoyennes et
les citoyens
.
Citoyennes et citoyens que nous attendons par ailleurs nombreux lors des journées
européennes du patrimoine de ce week-end lors duquel ce rapport leur sera présenté. Le
rapport en fera la vedette alors que la Cour est une des institutions les plus visitées.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos
questions.