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S2023-0698
TROISIÈME CHAMBRE
TROISIÈME SECTION
OBSERVATIONS DEFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET
MISE EN
Œ
UVRE
Exercices 2018-2022
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 9 mai 2023.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
2
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES
..............................................................................................
2
SYNTHÈSE
......................................................................................................................
4
LISTE DES RECOMMANDATIONS
..........................................................................
5
INTRODUCTION
...........................................................................................................
6
1
UN CADRE JURIDIQUE ET UNE GOUVERNANCE INSTABLE DANS
LA PHASE DE CREATION (2018-2019)
..............................................................
9
1.1
Un dispositif innovant dans ses ambitions et problématique dans son
pilotage
...............................................................................................................
9
1.1.1
Une politique publique de la demande co-construite qui a porté des
fruits mais reste à évaluer sur le fond
........................................................
9
1.1.2
Une start-up d’État à deux têtes qui a fonctionné de manière
excessivement informelle
........................................................................
11
1.2
Une mission confiée pour l’essentiel à des consultants extérieurs dans
des conditions contestables
..............................................................................
14
1.2.1
Le recours à un consultant extérieur, agent public en disponibilité,
sous-traitant d’un prestataire, comme préfigurateur
...............................
14
1.2.2
Une problématique liée à l’archivage, notamment des données
informatiques du cabinet
.........................................................................
18
2
UNE SOCIETE CREEE EN 2019 QUI DOIT MENER DE FRONT DE
NOMBREUX CHANTIERS
..................................................................................
20
2.1
La création de la SAS
.......................................................................................
20
2.1.1
Une décision prise dans l’urgence
...........................................................
20
2.1.2
Un modèle économique et financier encore incertain
.............................
24
2.1.2.1
Une sous-estimation importante de l’effort financier public
..................................
24
2.1.2.2
Une recherche de ressources propres empêchée par la situation en quasi-
régie
25
2.2
Les défis rencontrés par la société à ce jour
.....................................................
27
2.2.1
Éléments d’analyse financière et budgétaire
...........................................
27
2.2.1.1
Les subventions reçues
...........................................................................................
27
2.2.1.2
Les principaux postes de dépenses
.........................................................................
28
2.2.2
Des enjeux de consolidation de la gestion administrative et
financière
.................................................................................................
32
2.2.2.1
Une conclusion tardive du contrat d’objectifs et de moyens, des contrats de
licence périmés
.......................................................................................................
35
2.2.2.2
Le manquement aux règles de dépôt des déclarations d’intérêt et de
patrimoine
...............................................................................................................
36
2.2.2.3
La définition progressive d’une politique d’achat
..................................................
36
2.2.2.4
Un fonds de roulement insuffisant
.........................................................................
37
2.2.2.5
Une politique de ressources humaines marquée par une forte croissance due
à la réinternalisation des compétences et à l’extension des missions
.....................
38
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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3
2.2.2.6
Des enjeux de sécurité majeurs : lutte contre la fraude, gestion des données
personnelles
............................................................................................................
39
CONCLUSION
..............................................................................................................
41
ANNEXES
......................................................................................................................
44
Annexe n° 1.
Données relatives au Pass Culture
........................................
45
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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4
SYNTHÈSE
Dispositif emblématique des nouvelles formes de l’action publique, au croisement
des opportunités offertes par le numérique participatif et des politiques publiques classiques
de guichet, le Pass Culture imaginé en 2017 entre en 2023 dans une phase de consolidation de
son modèle économique et juridique.
Alors que sa généralisation récente et son extension à de nouvelles classes d’âge encore
inachevées, ainsi que la création d’une part collective, en font désormais un outil ayant
vocation à représenter un levier majeur d’accès à la culture, il est encore trop tôt pour l’évaluer
sur des cohortes et une durée pertinentes, ce qui sera toutefois nécessaire à court terme. Les
objectifs visés par cette politique sont au demeurant multiples et implicites, qu’il s’agisse de la
diversification des pratiques ou de la démocratisation de l’accès, ce qui impliquera des
analyses fines tant au regard de l’impact quantitatif que des questions d’équité et d’inégalités
sociales ou territoriales.
Toutefois, sa phase d’expérimentation et les premières statistiques disponibles au titre
de son utilisation sont encourageantes et tendent à démontrer qu’il répond à certaines attentes
en levant l’une des barrières, financière, à l’accès aux biens culturels. La mise en place de la
part collective représente en particulier un bouleversement majeur de l’équilibre général du
dispositif en le mettant au service de l’éducation artistique et culturelle, manière de reconnaître
l’importance cruciale de la médiation et de la pédagogie dans l’accès à la culture.
Il peut toutefois être tiré un bilan sévère de la phase de préfiguration du dispositif,
jusqu’à la création de la SAS Pass Culture, société privée chargée d’une mission d’intérêt
général. La mise en place sous forme de start-up d’État d’un système de gestion partagé entre
l’État et l’incubateur de la direction interministérielle en charge du numérique a suscité
des problématiques de gestion, en particulier concernant le contrôle de la chaîne de la dépense
publique et le recours à des consultants extérieurs dans des conditions discutables. La mise en
place d’une méthode itérative AGILE ne peut en effet à elle seule justifier le manque de
traçabilité du service fait et de mémoire administrative associée à la conduite de tels projets.
L’échec
du
modèle
économique
pressenti
qui
devait
permettre
d’associer
des financements privés à hauteur de 80 % et publics à hauteur de 20 % a conduit l’État à
assumer finalement seul la charge de cette politique, qui est montée en charge progressivement
et devrait représenter des dépenses de l’ordre de 273 M
par an au minimum, selon
les hypothèses les plus prudentes, en régime de croisière (environ 86 % de dépenses
d’intervention et 14 % de frais de structure, l’ensemble étant couvert par des subventions à
la SAS et une contribution des acteurs culturels, sous forme de réduction de prix, de 6,7 %
en 2022). La société en charge du Pass, si elle contribue bien au succès du dispositif auprès
des bénéficiaires ainsi que l’atteste sa forte notoriété, affronte aujourd’hui des défis
importants, pour lesquels elle apparaît armée, mais qui impliqueront un fort accompagnement
de l’État.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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5
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n°1 (SAS, MCC, 2024) :
Evaluer l’impact du Pass Culture pour réfléchir à
de potentiels ajustements du dispositif.
Recommandation n°2 (MCC, 2023) :
Adopter une charte de déontologie ministérielle, qui
précise en particulier les règles applicables aux agents publics recrutés dans le secteur privé ou
rejoignant un fournisseur de prestations intellectuelles, conformément à la circulaire du Premier
ministre du 19 janvier 2022.
Recommandation n°3
(MCC, MEF, 2024)
: Inclure la SAS Pass Culture dans la liste des
opérateurs de l’Etat.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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6
INTRODUCTION
Le Pass Culture est un dispositif novateur ayant pour ambition de favoriser l’accès
des jeunes à la culture en levant la barrière financière susceptible de limiter leur accès
aux pratiques artistiques et culturelles. Il représente d’abord un engagement de la campagne
présidentielles de 2017 et a pris la forme d’un chantier piloté par le ministère de la culture
dès l’automne 2017. Sa particularité, double, a consisté :
-
à passer par une méthode dite de co-construction (prototypage d’une première
version auprès de 500 bêta-testeurs en mai 2018) et d’expérimentation auprès
d’un panel de jeunes utilisateurs de cinq départements pilotes, à partir de
février 2019, avant ouverture en juin 2019 à la population éligible de
14 départements d’expérimentation, puis sa généralisation à compter de mai 2021
1
sur tout le territoire et son élargissement en 2022 (aux moins de 18 ans, avec une part
collective à partir de la classe de quatrième
2
et une part individuelle à partir de
15 ans
3
) ;
-
à se développer dans un premier temps dans le cadre d’une « start-up d’État » au sein
de l’incubateur beta.gouv.fr de la DINSIC (direction interministérielle du numérique
et du système d’information et de communication), devenue depuis DINUM
(direction interministérielle du numérique), à travers une convention de gestion
passée avec le ministère de la culture et avec une gouvernance en « équipe projet »
marquée par le recours aux consultants extérieurs.
Le Pass Culture est aujourd’hui mis en
œ
uvre par une société par actions simplifiée
créée en juillet 2019
4
, au capital social d’1 M
, dont 700 000
souscrits par l’État et 300 000
par la Caisse des dépôts et consignations, qui assure la mission d’intérêt général « Pass
Culture » telle que définie par le décret n°2021-628 du 20 mai 2021 relatif au « Pass Culture »
et le décret n°2021-1453 du 6 novembre 2021 relatif à « l’extension du Pass Culture aux jeunes
en âge d’être scolarisés au collège et au lycée ».
En décembre 2022, le Pass Culture comptait 2,6 millions de jeunes bénéficiaires depuis
son lancement, dont 83,2 % avaient fait au moins une réservation, 92 % pour les + de 18 ans,
pour un total de 16,9 millions de réservations, toutes offres confondues et de 291 M
de
dépenses, au profit de 19 971 structures inscrites. Au titre de la part individuelle, 1,64 millions
de jeunes ont eu accès au crédit accordé à leurs 18 ans et 1,4 millions de jeunes ont pu bénéficier
du crédit accordé entre 15 et 17 ans, avec un taux d’utilisation plus faible de 49 % à 15 ans,
59 % à 16 ans et 72 % à 17 ans). Les catégories les plus réservées selon la part des montants
dépensés, pour les plus de 18 ans, sont le livre (51 %, et même 65 % pour les 15-17 ans) avec
1
Décret n°2021-628 du 20 mai 2021 relatif au Pass Culture et arrêté du même jour définissant
les conditions d’application et la liste des biens et activités éligibles.
2
25
par élève pour les élèves de quatrième et de troisième, 30
pour les élèves de seconde et de CAP,
20
pour les élèves de première et de terminale (décret n02021-1453 du 6 novembre 2021 et arrêté du même jour)
3
20
à 15 ans, 30
à 16 et 17 ans, 300
à 18 ans.
4
Décret no 2019-755 du 22 juillet 2019 autorisant la création de la société par actions simplifiée « Pass
Culture » et la souscription par l’État au capital de cette société en cours de constitution.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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7
une forte prépondérance des mangas
5
, le cinéma (18 %) et les instruments de musique (11 %),
le spectacle vivant étant dans une phase de « rattrapage » par ailleurs lié à l’impossibilité
d’assister à des représentations pendant la crise sanitaire. Au titre de la part collective, c’est en
revanche le spectacle qui représente 46 % des montants dépensés et 38% du nombre de
réservations), suivi par la pratique artistique (19% des montants dépensés et 13% du nombre de
réservations) le cinéma (14% des montants dépensés et 21% du nombre de réservations) et
les visites de musées (7% des montants dépensés et 14% du nombre de réservations), plaidant
ainsi pour une forme de complémentarité entre part individuelle et part collective.
Sur le fondement des données transmises par le ministère et des éléments consolidés
figurant dans les rapports d’analyse de performance, la dépense totale en 2018 représentait
1,02 M
consommés pour 2,2 M
engagés (5 M
de crédits ouverts), et en 2019 13,7 M
consommés et engagés (sur 28,8 M
ouverts), dont 4 M
de subventions à la nouvelle SAS.
Le dispositif montait en charge à compter de 2020 au moment du lancement avec 24,7 M
de
dépenses (RAP 2020), et 93,55 M
en 2021. Les dépenses étaient de 219 M
en fin de gestion
2022, dont 174 M
de remboursements aux offreurs pour la part individuelle, 14 M
pour la part
collective et des frais de structure de 14 %.
Tableau n° 1 :
Coût du Pass Culture et budget prévisionnel envisagé (en M
)
2018
2019
2020
2021
2022
Cumul
Dépenses totales pour l’État
1,0
13,7
24,7
93,6
199,3
332,2
dont estimation des dépenses associées
au développement applicatif
0,9
3,1
7,6
7,1
8,6
27,4
Dépenses totales prévisionnelles
2018-2021
2,7
48,6
119,8
142,6
-
313,7
dont financement public
2,7
24,7
49,8
71,3
-
148,5
Source : Cour des comptes
Note méthodologique :
- Dépenses globales de l’État (UO 224 + crédits ministère de la culture hors UO ; subventions SAS à compter de
2019) : données issues des rapports annuels de performance et du ministère de la culture pour les dépenses 2019
payées sur crédits du ministère hors UO Pass Culture ; subventions versées à la SAS à partir de 2020, hors
dépenses d’éducation artistique et culturelle (14,3 M
sur 2022).
- Dépenses associées au développement applicatif : évaluation établie à partir des factures payées par la DINSIC
(hors études, coaching et business développement), de la comptabilité de la SAS sur les investissements et
des données de paye communiquées.
- Le budget prévisionnel 2018-2021 est issu d’une note du cabinet de la ministre de la culture de septembre 2018.
Quatre autres scénarios de financement avaient été établis par le cabinet (via X consulting) en juin 2018 dans le
cadre d’un business plan pour la période 2018-2021 : 1) « Petits pas », avec 619 M
de crédits jeunes pour
168 M
de fonds publics, 2) « Plaisir », avec 1 264 M
de crédits financés par 106 M
de fonds publics,
3) « Désir », correspondant également à 1 264 M
de crédits jeunes pour 686 M
de fonds publics, ou encore
4) « Prise de risque », avec 728 M
de crédits pour 149 M
de fonds publics.
5
Les mangas représentent le secteur le plus dynamique du monde de l’édition : avec 23 millions
d’exemplaires vendus au seul premier semestre 2022, les ventes de mangas ont plus que doublé en trois ans en
France (hausse de 168 % par rapport à la même période en 2019).
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
8
Après un premier rapport d’évaluation, sur le fondement des expérimentations, réalisé
au 30 décembre 2020 et rendu public en mars 2021, l’année 2022 a été celle du déploiement de
la part collective, au profit de l’éducation artistique et culturelle, en collaboration avec
les ministères de l’Education, de la Jeunesse et des Sports, ainsi qu’avec les ministères de
l’Agriculture et de l’Alimentation, des Armées et de la Mer, en charge de l’enseignement
agricole, militaire et maritime.
Les crédits ouverts au titre du Pass Culture pour 2023 représentent 208,5 M
sur
le programme budgétaire 361 « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » et
51 M
sur le programme 230 « Vie de l’élève ». Une extension aux classes de sixième et de
cinquième est annoncée pour septembre 2023. Une réflexion sur l’accès des jeunes Français de
l’étranger à la part individuelle et sur l’ouverture de la part collective aux apprentis est
également en cours.
Le présent audit n’a pas eu vocation à évaluer d’un point de vue qualitatif ou sous l’angle
de l’impact l’ensemble d’un dispositif très récemment généralisé et encore en cours de
déploiement, qui devra l’être à un horizon de moyen terme (trois à cinq ans), la Cour
envisageant au demeurant de participer à un tel exercice.
Cette enquête s’est en revanche concentrée sur deux points : la mise en
œ
uvre
administrative du dispositif entre 2017 et 2019 d’une part, et les conditions dans lesquelles la
SAS remplit aujourd’hui sa mission d’autre part. Sur ces deux sujets, la Cour formule trois
recommandations principales.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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9
1
UN CADRE JURIDIQUE ET UNE GOUVERNANCE INSTABLE
DANS LA PHASE DE CREATION (2018-2019)
1.1
Un dispositif innovant dans ses ambitions et problématique dans son
pilotage
1.1.1
Une politique publique de la demande co-construite qui a porté des fruits mais
reste à évaluer sur le fond
L’idée de créer une plateforme digitale constituant progressivement le point d’entrée
naturel des jeunes générations pour faciliter l’accès à la culture sous toutes ses formes constitue
une forme de pari. Celui-ci repose sur une analyse à la fois politique et sociologique qui met en
avant, comme principal frein d’accès à la culture, la barrière financière. Très discutée dès
le départ par les acteurs culturels concernés (les « offreurs » potentiels du Pass), cette hypothèse
a toutefois été retenue comme un point de départ guidant l’ensemble de l’action publique, pour
la mise en place de la part individuelle.
Cet « outil inédit de promotion des offres culturelles dans toute leur diversité »
6
avait
donc vocation à référencer un maximum d’offres, par une présentation géolocalisée permettant
de se situer au plus près des jeunes concernés ; puis à susciter l’envie de découvrir de nouvelles
pratiques en valorisant certaines offres mises en avant, soit parce qu’elles faisaient l’objet
d’une médiation, soit par des intégrations techniques proposant un service de recommandation
personnalisé incitant à la découverte culturelle (concrètement, il s’agit de « pousser » des offres
qui ne relèvent pas des goûts initialement exprimés à l’inscription, dans une démarche inverse
de celle des grandes plateformes commerciales qui vont refléter les désirs du consommateur en
lui proposant des produits semblables).
La plateforme, passant principalement par une web application (site internet avancé,
proche d’une application native sur téléphone), dont la dimension ergonomique et la flexibilité
sont fondamentales compte tenu du public visé, a été mise en place sous la forme d’un prototype
testé en 2018 sur cinq départements pilotes (Bas-Rhin, Finistère, Guyane, Hérault et Seine-
Saint-Denis), à travers 500 bêta-testeurs de 18 ans. A parti de 2019, des tests impliquant
les autres acteurs du dispositif (acteurs culturels, collectivités territoriales, réseaux socio-
éducatifs, associations etc.) ont été mis en place, 6500 jeunes s’inscrivant sur le Pass. À compter
de l’été 2019, 100 % des jeunes de 18 ans ont pu accéder au dispositif sur les cinq départements
pilotes ainsi que neuf nouveaux territoires (le Doubs, l’Ille-et-Vilaine, les Côtes d’Armor,
le Morbihan, le Val-de-Marne, le Vaucluse, les Ardennes, la Saône-et-Loire et la Nièvre), soit
un total de 135 000 jeunes éligibles répartis sur 14 départements, la Bretagne étant la seule
région bénéficiant d’une ouverture à l’ensemble de ses départements.
Il est à noter que la mobilisation de l’ensemble des acteurs locaux a joué un rôle
important, tant en ce qui concerne les préfectures que les directions régionales des affaires
culturelles, les rectorats, les missions locales, les directions départementales de la cohésion
6
Rapport d’expérimentation, mars 2021
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
10
sociale, diverses structures et associations de terrain. L’article 6 du décret du 1
er
février 2019
relatif à l’expérimentation du Pass Culture prévoyait la remise d’un rapport d’évaluation au
ministre chargé de la culture, identifiant notamment l’origine des financements permettant
la création de comptes personnels numériques pour l’ensemble des personnes concernées et
évaluant la part des financements publics nécessaires pour assurer l’équilibre financier de
l’application. Un premier rapport, rendu en mars 2021, dressait un bilan positif de cette période
d’expérimentation avec des chiffres arrêtés au 31 décembre 2020 permettant de constater
la création de 128 070 comptes sur les 135 000 potentiellement concernés, dont 95 202
utilisateurs actifs, donc ayant fait au moins une réservation depuis leur inscription. Le recours
à une méthode dite agile (itérative, n’impliquant pas de cahier des charges de départ mais
la mise en place de nouvelles fonctionnalités testées sur une courte période) et participative a
permis de modifier un certain nombre de facteurs, tels que l’éditorialisation évoluant
d’un « carrousel » des offres à une sélection par catégories. L’évaluation mettait en avant
les « facteurs de réussite » d’une offre, en particulier les actions de médiations innovantes,
les offres exclusives réservées aux utilisateurs du Pass (par exemple, l’opération Open Palais
du Palais de Tokyo) ou les partenariats avec de grands évènements (prix Goncourt des lycéens).
Le Pass Culture est également présenté comme un outil de connaissance des pratiques
culturelle permettant de mener des études qualitatives et quantitatives
7
, en partenariat avec
des établissements culturels. Au 31 décembre 2020, parmi l’ensemble des utilisateurs présents
depuis au moins 6 mois sur l’application, plus de 34% des utilisateurs qui avaient déclaré ne
pas pratiquer la lecture avaient réservé des livres, 25% de ceux qui avaient déclaré ne pas avoir
de pratiques audiovisuelles à leur première connexion sur le Pass Culture ont fait
des réservations dans cette catégorie, 13% de ceux ayant déclaré ne pas jouer de la musique
avaient réservé un instrument de musique, ce qui témoignait d’un effet sur la diversification
des pratiques, en lien avec l’un des objectifs initiaux de Pass de « référencer un maximum
d’offres culturelles distinctes dans des catégories les plus diverses possible. »
L’étude de la consommation par les bénéficiaires de la dotation de 500
(dotation
initiale, consommable sur 24 mois, ramenée ensuite à 300
compte tenu de ces données)
montrait une dépense moyenne de 137
sur une durée moyenne d’inscription de 10 mois (et
230
pour 22 mois). Au mois de juin 2022, les nouvelles données, portant sur une plateforme
actualisée et après généralisation, montrent que trois mois après leur inscription, les jeunes de
18 ans ont consommé 126
(cohorte de mars 2022), six mois après 155
(cohorte de décembre
2021). Au-delà de la problématique financière, l’enjeu de la médiation culturelle associée à
la disponibilité des offres apparaît donc capital, expliquant aussi l’essor de la part collective,
plébiscitée par les élèves comme par les établissements.
Reste que, comme le notait le rapport d’expérimentation lui-même, ces données sont à
consolider sur des cohortes plus importantes et avec plus de recul, compte tenu de
la généralisation du Pass et de son extension aux jeunes de 15 à 17 ans d’une part, de la mise
en
œ
uvre de la part collective d’autre part. La Cour des comptes recommande qu’une évaluation
soit menée à l’issue d’une première phase de mise en
œ
uvre généralisée, pour tenir compte de
l’ensemble des évolutions du dispositif introduites en janvier 2022, ce qui pourrait au demeurant
permettre de réfléchir aux synergies possibles entre les deux composantes du dispositif et à
7
En particulier, avaient été mis en place avec des sociologues des « personas », personnes fictives dotées
d’attributs et caractéristiques sociales et psychologiques spécifiques, représentant un groupe cible (le « casanier »,
« l’intuitif », « l’anticonformiste », le « partenaire », le « spécialiste », « l’adhérent », le « connecté » et le
« curieux »)
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
11
ses évolutions potentielles, compte tenu des taux de consommation constatés et de l’impact réel
sur les pratiques artistiques.
Recommandation n°1 (SAS et ministère de la culture, 2024) :
Evaluer l’impact du Pass
Culture pour réfléchir à de potentiels ajustements du dispositif
.
1.1.2
Une start-up d’État à deux têtes qui a fonctionné de manière excessivement
informelle
Dès l’origine, le projet est directement géré par le cabinet et le secrétariat général, selon
des modalités évolutives et qui ne seront jamais formellement établies, malgré la mise en place
d’une « équipe projet » à compter du printemps 2018.
La gouvernance du dispositif pose un certain nombre de problèmes de nature
administrative et financière, dont les répercussions sur la gestion des ressources humaines et
du projet lui-même sont importantes.
Le projet engage en effet des enjeux à la fois politiques et techniques. D’un point de vue
stratégique, il s’agit de convaincre des acteurs culturels, territoriaux, économiques extrêmement
nombreux, dans la perspective initiale de travailler sur des partenariats et un financement
hybride largement tributaire de ressources privées. D’un point de vue concret, il faut mettre sur
pied un service public numérique à part entière tout en prenant en considération une gamme
très large de contraintes techniques (faisabilité, ergonomie, adaptabilité) et juridiques (gestions
des données personnelles, droit de la concurrence etc.).
Faute de confier ce projet à une équipe stable au noyau dur formé d’agents publics
chevronnés, ce sont des membres du cabinet qui vont être directement impliqués dans
le pilotage quotidien du Pass Culture et se trouvent très vite confrontés aux limites qu’impose
le passage à l’échelle du pilotage d’un projet ambitieux. Quoi que très investis et portés par
un projet commun, ils se heurtent à la difficulté structurelle du recrutement sur des projets de
nature à la fois politique et technique dans des délais compatibles avec une montée en puissance
médiatique rapide du projet.
Dès l’automne 2017, il est décidé de signer une convention de gestion liant la DINSIC
et le ministère de la culture, représenté par son secrétaire général, qui ne sera finalement
formellement signée que le 1
er
mars 2018, permettant d’engager les premières dépenses.
Conclue pour une durée initiale de six mois, elle sera régulièrement renouvelée par avenants
jusqu’en décembre 2019. Selon ses termes, la DINSIC devient ordonnatrice des dépenses de
l’UO 224-CDGC-PASS au sein du BOP CSGC du programme 224 et représente le pouvoir
adjudicateur pour tous les éléments relatifs à la passation, la signature et l’exécution des actes
juridiques relatifs au Pass Culture.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
12
Schéma n° 1 :
Gouvernance du projet Pass Culture avant juillet 2019
Source Cour des comptes
Du fait de cette convention, qui permettra à la DINSIC d’engager 6,2 M
au total sur
2018 et 2019, une « start-up d’État » est créée au sein de l’incubateur beta.gouv.fr, programme
interministériel d’accompagnement des administrations publiques pour la création de « services
publics numériques à impact ». Ces services ont pour vocation de résoudre des problèmes précis
dans la relation avec les usagers et de développer des solutions agiles ou itératives. L’incubateur
forme de petites équipes pluridisciplinaires composées d’experts du numérique, pour la plupart
consultants extérieurs, et de quelques agents publics issus de l’administration partenaires,
mentorés par des « coachs » et appuyés par des prestataires qui prennent en charge des missions
de développement, déploiement, design, suivi des produits. Une méthodologie en quatre phases
(investigation, construction, accélération et pérennisation a été développée à cet égard et a
concerné depuis la première start-up d’État initiée dès 2013 une centaine de projets, formant
un portefeuille de services publié sur le site beta.gouv.fr.
À partir de la signature de la convention, la DINSIC a utilisé ses propres supports
contractuels, sous la forme de marchés globaux conclus avec des prestataires, fonctionnant sur
le principe du « tour de rôle »
8
à partir de 2018. De ce fait, elle a commandé des prestations de
8
Les bons de commande sont attribués à chaque attributaire, à tour de rôle, selon l’ordre du classement,
à la survenance d’un besoin ministériel ou interministériel décliné en projets. C’est le principe du « tourniquet »,
Services du Premier ministre
DINSIC beta.gouv.fr
« incubateur de start-up d’Etat
»
Start-up d’Etat
Pass Culture
Ministère de la
culture
Cabinet
SG
Prestataires privés
et sous-traitants
Crédits UO 224 délégués
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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13
coaching d’une part, de développement, déploiement et design d’autre part. Le suivi et
le pilotage opérationnel des équipes mobilisées au titre de ces prestations interroge : alors que
les bons de commande et les procès-verbaux de service fait sont signés par la DINSIC, sur
« validation » informelle d’agents du ministère de la culture prenant la forme éventuelle
d’e-mails, la direction n’avait pas connaissance de la composition détaillée des équipes
mobilisées via son propre prestataire. Il apparaît donc un écart entre la gestion quotidienne
du projet, censée relever du ministère de la culture en tant qu’il rédige les expressions de
besoins et suit leur réalisation opérationnelle, et la gestion administrative et financière,
purement formelle. Ainsi la DINSIC, devenue DINUM, n’a-t-elle pas été en mesure de fournir
directement une liste nominative des personnes impliquées dans le projet Pass Culture au titre
des « unités d’
œ
uvre » fournies par les prestataires pour répondre à ses commandes.
Cet écart affecte toute la chaîne de contrôle du circuit de la dépense publique, ainsi
qu’il sera montré ci-après. Il est d’autant plus problématique que le pilotage du côté du
ministère n’est jamais formalisé, ni à travers un organigramme, ni par des procédures
spécifiques, et que de nombreuses archives du projet ont de ce fait disparu. En dehors
des dépenses de l’unité opérationnelle (UO 224) déléguées à la DINSIC, la seule reconstitution
possible de l’ensemble des dépenses affectées au projet Pass Culture et directement engagées
par le ministère passe par la consultation de tableurs Excel récapitulant
a posteriori
les dépenses, pour le seul premier semestre 2019 : elles représentent 1,7 M
(y compris
dépenses de titre 2, frais de communication, expertise juridique, frais de mission et
représentation, loyers budgétaires et premiers remboursements aux offreurs) à rajouter aux
dépenses effectuées par la DINSIC, pour le premier semestre 2019.
Si, durant la période de préfiguration, ont dû être mis en place des comités de pilotage,
comités scientifiques et comités d’orientation mentionnés dans différents documents, leurs
comptes-rendus n’ont pu être retrouvés, faute d’un archivage au ministère ou à la DINSIC.
De même, les traces d’éventuelles concertations avec les corps intermédiaires, représentants ou
syndicats des métiers de la culture, dont certains réclamaient alors publiquement plus de
considération, n’ont pu être retrouvées. Cette situation témoigne d’une action publique menée
dans l’urgence et sans considération de la traçabilité des procédures et des réalisations qui a
conduit à fragiliser le dispositif. Les principaux « livrables » des prestations commandées dont
il a pu être trouvé trace sont concrètement des listes de développements applicatifs à caractère
technique, sans que des rapports détaillés sur les réalisations des équipes opérationnelles leur
soient adjoints. La délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie
culturelle (DG2TDC) n’ayant été créée qu’en janvier 2021, elle assure le suivi de la SAS Pass
Culture, mais n’a pas reconstitué les archives du projet. L’une des conséquences de cet état de
fait est de compliquer la tâche de contrôle et d’évaluation, y compris sur le fond, puisqu’il est
par exemple impossible d’accéder à un document décrivant la nature précise, l’ampleur et
le coût des ajustements applicatifs et changements d’interface réalisés tout au long de la période
d’expérimentation, en les distinguant des coûts d’accompagnement et de déploiement
qui permet de sélectionner, parmi les attributaires d’un marché, celui qui doit réaliser une prestation – c’est ensuite
au même prestataire que doivent être attribués tous les bons de commande subséquents sur le même sujet puisque
le marché prévoit que « l’attributaire assure donc la totalité des missions qui lui sont confiées dans le cadre des
projets identifiés d’un ministère ou interministériel. En conséquence, un ou plusieurs bons de commande pourront
lui être adressés dans le cadre de plusieurs projets dépendant d’un même ministère ou interministériel, sans que le
tour de rôle soit respecté. »
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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14
commercial. Les dépenses ont été réalisées par bons de commande successifs au titre d’accords-
cadres sans montant maximum ni minimum, multi attributaires, couvrant à la fois
des prestations techniques et de conseil, dédiés à « l’accompagnement de la DINSIC dans
le développement et le design de services publics numériques en mode agile », d’où la simple
« estimation » des coûts de développement applicatif et d’investissement qui peut être
reconstituée a posteriori (cf. tableau n°1
supra
).
La Cour des comptes constate que la gouvernance et le suivi du projet n’ont pas été
assurés dans des conditions satisfaisantes, dans la période précédant la création de la SAS Pass
Culture. En particulier, l’absence de désignation formelle d’un « intrapreneur » pourtant prévu
par le texte de la convention de délégation de gestion à la DINSIC, comme de formalisation
d’un budget global hors délégation d’UO, ont conduit le cabinet et le secrétariat général du
ministère de la culture à intervenir directement sur un terrain à la fois stratégique et technique,
tout en ayant confié l’essentiel de la capacité de gestion administrative et financière du projet à
la seule DINSIC. En effet, le cabinet recherche dès l’automne 2017 un profil d’intrapreneur
ayant pour caractéristique une très bonne connaissance des projets numériques et du secteur
culturel, sans succès. Si un responsable de produit et une responsable administrative et
financière sont recrutés par voie de détachement à l’été 2018, aucun acte ne les désigne
officiellement comme « intrapreneur ».
1.2
Une mission confiée pour l’essentiel à des consultants extérieurs dans
des conditions contestables
1.2.1
Le recours à un consultant extérieur, agent public en disponibilité, sous-traitant
d’un prestataire, comme préfigurateur
En mai 2017, le Pass Culture représente le principal engagement présidentiel en matière
culturelle. Dès sa prise de fonction, le cabinet de la Ministre de la Culture y accorde
une importance toute particulière. Les difficultés pratiques de mise en
œ
uvre sont toutefois
importantes. Ce n’est qu’à compter du printemps 2018 que des emplois permanents sont créés
pour assurer le suivi d’un projet jusque-là piloté par le seul cabinet : d’abord par le rattachement
d’un contractuel de la DINSIC au ministère avec pour fonction d’assurer le rôle pilotage
du développement de l’application, puis à compter de l’été avec l’arrivée d’une inspectrice
des finances en « mission prioritaire » et d’un ingénieur pour le suivi du produit, qui rejoignent
pour un an le projet. Par ailleurs, la conseillère au cabinet en charge du projet en 2017-2018 est
ensuite rattachée au secrétariat général à compter d’octobre 2018. Quatre à six chargés de suivi
ou de développement territorial selon les périodes seront aussi rémunérés par le ministère, ainsi
que des vacataires et stagiaires, en sus des principaux effectifs constitués de prestataires
extérieurs.
La particularité du Pass Culture est en effet d’avoir reposé pour l’essentiel sur les
épaules de consultants dont la Cour n’a pu reconstituer la liste et les fonctions précises qu’avec
difficulté. La liste nominative des personnes ayant travaillé au sein de l’équipe projet n’a pu
être obtenue qu’en sollicitant directement la principale société prestataire de services pour
la mise en place du Pass. Un seul organigramme de « préfiguration », établi à la fin de l’année
2018 à la demande du secrétariat général du ministère dans la perspective de la création
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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15
d’une entité pérenne, a pu être retrouvé. Il y est fait mention d’un président, d’un directeur
général, d’une directrice générale adjointe et de cinq pôles (stratégie, produit, développement,
affaires administratives et financières, communication et marketing).
En pratique, c’est à partir de mai 2018 que MM. Y et X (société X Consulting)
9
travaillent sur le projet, après avoir été destinataires d’une lettre de mission de la ministre de
la Culture du 15 mai 2018, leur confiant la réalisation d’une étude d’approfondissement portant
sur le concept culturel, le préprogramme technique, sa faisabilité juridique, le
business plan
et
un rapport de synthèse à produire le 30 juin 2018. La lettre prévoyait que cette mission pourrait
être prolongée par une deuxième phase de suivi de la mise en
œ
uvre opérationnelle. Un « budget
permettant de réaliser des déplacements et de mobiliser les expertises nécessaires » devait être
mis à la disposition de cette équipe. Toutefois, interrogé sur la nature exacte du budget mis à
disposition, le secrétariat général du ministère n’a pu que communiquer un récapitulatif de
l’ensemble des dépenses liées au Pass Culture, qu’elles aient été consommées dans le cadre de
la délégation budgétaire à la DINSIC ou directement par le ministère, sans identifier de
montants spécifiquement alloués à la réalisation de la mission.
M. Y., entrepreneur et mécène, est intervenu
pro bono
, dans un rôle de conseil ponctuel
et d’accompagnement, en termes de réflexions stratégiques aussi bien que lors de certains
rendez-vous avec des partenaires potentiels, jusqu’à l’été 2019, date de la création de la société.
Il a un temps été envisagé qu’il préside l’association, voire la société qui devait porter le projet,
dont il s’est finalement retiré après avis défavorable de la Haute autorité pour la transparence
de la vie publique rendu le 3 avril 2019.
Concernant M. X, la situation est plus complexe et a pu être reconstituée à la suite
d’investigations ayant conduit à solliciter directement le prestataire de marché de la DINSIC,
ni celle-ci ni le ministère n’étant en mesure de fournir les pièces pertinentes. Inspecteur général
des finances jusqu’au 14 novembre 2016, puis mis à disposition contre remboursement auprès
du directeur du renseignement militaire du ministère de la défense en qualité de chef de
l’Intelligence Campus jusqu’en février 2018, il est ensuite mis en disponibilité pour
convenances personnelles et exerce une activité privée de consultant dans le cadre de la SAS X
Consulting créée dès 2015. C’est dans ce cadre qu’il est sollicité par le ministère de la culture,
à partir du printemps 2018, pour travailler sur un projet qu’il va représenter publiquement
comme directeur de projet ou préfigurateur, jusqu’à la création de la société Pass Culture.
À partir de mai 2018, les discours et communiqués de presse du ministère mettent
régulièrement M.X en avant comme responsable du projet sous diverses formes, jusqu’à
l’automne 2019. Un discours de la Ministre de la Culture, le 18 mai 2018, l’explicite : « J’ai
choisi de confier l’ingénierie juridique et financière du Pass à deux personnalités, qui sont
investies de longue date à la fois dans le champ culturel et dans le champ numérique :
M.X,
inspecteur général des finances, ancien président du Centre national du cinéma ; et M.Y,
co-fondateur de Webhelp, président de Beaux-Arts Magazine, et grand mécène de la culture.
Ils piloteront la phase d’expérimentation, puis la généralisation du Pass Culture. Ce sont deux
profils qui allient l’expertise à l’expérience entrepreneuriale. »
En juin 2018, il est présenté comme co-directeur de l’association chargée de la mise en
œ
uvre du Pass Culture
10
. Le dossier de presse du ministère du 1
er
février 2019, qu’il a
9
Selon le libellé précis des destinataires de la lettre de mission.
10
Matins de France Culture, 27 juin 2018
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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directement contribué à élaborer, propose une longue citation de M. X, « préfigurateur du Pass
Culture ». Pour la presse, il est « directeur du projet, pressenti comme directeur exécutif de
la future société coopérative d’intérêt général du Pass Culture »
11
ou encore « responsable
du pilotage du projet »
12
. Installé avec son équipe rue de Valois, il apparaît de fait comme
le principal interlocuteur ministériel et le point d’entrée naturel pour tous les acteurs du monde
culturel ou économique potentiellement intéressés par des partenariats avec le Pass Culture.
Si l’ancienne responsable du dossier au cabinet de la ministre est bien nommée « cheffe de
projet Pass Culture », sur un contrat de droit public auprès du secrétariat général, du 17 octobre
2018 au 16 octobre 2019, elle ne paraît pas en situation de piloter un projet au sein duquel
les modalités de travail ne sont jamais clairement définies, ni pour l’association aux réunions
d’arbitrage, ni même pour le pouvoir d’orientation et de décision, entraînant une incertitude
préjudiciable aux acteurs comme au projet.
Le cadre de l’intervention de M. X appelle plusieurs observations de la Cour. La société
de M. X a travaillé sur le Pass Culture dans le cadre de prestations de sous-traitance livrées à
un prestataire de la DINSIC pour un montant total de 868 500
soit 1 042 000
entre 2018 et
2019. C’est le véhicule juridique d’un marché global de design des start-up d’État qui a permis
de rémunérer la réalisation de la mission confiée par lettre de la ministre, ainsi qu’en témoigne
un devis en date du 30 mai 2018 reprenant précisément les termes de cette lettre, suivi d’un bon
de commande conforme de la DINSIC. Si la première commande, pour un montant de
162 000
TTC, couvrait la réalisation du rapport initial, les commandes ultérieures
rémunéraient la fonction de pilotage de projet assurée par X Consulting, à travers la personne
de M. X et de deux salariés de sa société, dans le cadre d’un autre marché d’accompagnement
de la DINSIC.
Le lien de ces commandes avec l’objet des unités d’
œ
uvres susceptibles d’être
commandées par la DINSIC, aux termes des cahiers des clauses techniques particulières,
apparaît ténu. Si les prestations s’inscrivent bien dans une démarche de « design » et
d’accompagnement de projet, elles relèvent en réalité bien plus d’une compétence
administrative et politique, ainsi qu’en témoigne au demeurant la nature des livrables retrouvés
(parmi lesquels des notes d’arbitrage adressées au plus haut niveau ou des éléments de langage
destinées à la communication ministérielle).
M. X et ses salariés apparaissent sur les listes d’experts mis à disposition par
le prestataire de la DINSIC, à compter de l’automne 2018, comme simples « biz dev » parmi
une vingtaine d’autres, soit littéralement des « chargés de développement commercial », alors
qu’ils assurent en fait des fonctions de direction de projet. Aucune déclaration de sous-traitance,
pourtant obligatoire dans le cadre des marchés concernés, n’a été déposée par le prestataire ni
formellement approuvée par la DINSIC, qui avait cependant connaissance de ce dispositif, ainsi
qu’en témoignent les signatures des bons de commande et services faits, ainsi qu’une saisine
de la HATVP le 13 février 2019 par le secrétariat général du ministère, qui mentionne
l’existence de contrats de sous-traitance.
Ces différents éléments conduisent la Cour à s’interroger sur l’adéquation du véhicule
juridique utilisé pour commander les prestations et les rémunérer. En outre, la Cour s’interroge
sur l’opportunité du recours à un consultant extérieur, en disponibilité de son administration
11
Article du Monde, 1
er
février 2019, « dans les coulisses du Pass Culture »
12
Challenges, octobre 2019
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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d’origine, pour lui confier des missions de nature administrative du même ordre que celles qu’il
aurait remplies dans le cadre d’un détachement ou d’une mise à disposition
13
.
Au surplus, si le choix d’en appeler à M. Y, intervenant
pro bono
(hors éventuelle prise
en charge de ses déplacements), peut s’expliquer par la volonté de bénéficier des conseils
d’un entrepreneur privé familier de la sphère numérique, le recours aux services d’un prestataire
extérieur par ailleurs régulièrement présenté dans des communiqués officiels comme inspecteur
général des finances, et à ce titre fin connaisseur de l’administration, pose une question de
principe. Le statut de M. X. a pu contribuer à une confusion des genres, entre activité privée et
représentation publique. Il était responsable d’un projet pour lequel il était à la fois chargé
d’une mission de service public consistant à piloter et surveiller la mise en
œ
uvre d’un dispositif
et rémunéré par le prestataire de services qui était le principal bénéficiaire des marchés passés
pour cette mise en
œ
uvre.
La HATVP, dans un avis du 3 avril 2019, considérait que M. X ne pourrait pas occuper
de fonctions de direction au sein de la société Pass Culture en cours de création, alors qu’il était
sous-traitant de la société qui avait mis en
œ
uvre le Pass et allait continuer à le faire pour
la SAS
14
. Pourtant, M. X allait être recruté par le nouveau président de la SAS comme
« conseiller du président », rémunéré au forfait à hauteur de 5200
bruts mensuels, pour 24
jours annuels
15
. Toutefois, notamment suite à un courrier de suivi de la HATVP du 18 novembre
2019 au secrétariat général du ministère de la culture appelant son attention sur l’information
rendue publique selon laquelle M. X serait devenu conseiller du président de la société, alors
qu’il lui paraissait « impossible de garantir que les conditions d’exercice indépendant, impartial
et objectif » de ses fonctions soient réunies, ni que « l’intéressé ne s’[était] pas placé en situation
de prise illégale d’intérêts au sens de l’article 432-12 du code pénal », M. X démissionnait
définitivement de la SAS (au sein de laquelle il aura donc été rémunéré entre le 1
er
septembre
et le 18 novembre 2019).
Il apparaît que cette situation contrevient aux règles d’usage selon lesquelles le recours
aux consultants extérieurs doit être réservé aux seules missions techniques pour lesquelles
les administrations ne disposeraient pas des compétences requises en interne. Celles-ci ont
certes été édictées formellement ultérieurement
16
, dans la circulaire n°6329 du 19 janvier 2022
du Premier ministre encadrant le recours aux prestations intellectuelles, qui demande
13
Le taux journalier appliqué par la société XConsulting (pour la rémunération de ses équipes) est de
3000
HT, taux facturé à la société qui sous-traite, hors surcoût potentiel lié à l’intermédiation. Pour ce qui
concerne la première prestation relative à la lettre de mission ministérielle, la proposition financière initiale de
XConsulting adressée directement au ministère portait sur 114 000
, qui seront finalement facturés 135 000
HT
et 162 000
TTC dans le cadre de la sous-traitance.
14
La commission de déontologie de la fonction publique avait rendu précédemment, le 14 mars 2019, un
avis favorable, estimant que Pass Culture ne saurait être regardé comme exerçant une activité dans un secteur
concurrentiel, et sur la base d’une déclaration annexée de la cheffe du service de l’IGF attestant l’absence de risque
de prise illégale d’intérêt.
15
D’après les feuilles de salaire archivées, sans qu’il ait pu être retrouvé trace d’un contrat de travail écrit
dans les archives de la société, ce qui plaçait la SAS en situation de risque, étant entendu que tout contrat oral de
droit privé est réputé indéterminé et à temps plein.
16
Comme le notait par exemple le rapport d’information de janvier 2022 de l’Assemblée nationale relatif
aux différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs : « Si les travaux du
comité CAP 2022 avaient débouché sur des recommandations d’externalisations sectorielles et circonscrites, il
n’existe aujourd’hui [avant la circulaire du 19 janvier 2022] aucune doctrine interministérielle explicitant
clairement les cas où le recours à un prestataire extérieur est nécessaire et, inversement, les cas où ce recours n’est
pas possible. » (p.57)
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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18
explicitement aux ministères de ne recourir à des consultants que pour des prestations sans
équivalence interne (en particulier détenues par les inspections), de vérifier la production de
livrables détaillés et archivables, de s’assurer que le service signataire de la commande soit
responsable du pilotage de la prestation, d’encadrer par des règles précises dans la charte de
déontologie ministérielle le recours à des agents publics recrutés dans le cadre de contrats de
droit privé et d’écarter tout risque de conflit d’intérêt.
La Cour note que le pilotage du Pass Culture, dans sa première phase, a été
emblématique des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs pour des missions de
nature administrative et politique. Elle prend acte du fait que la circulaire du 19 janvier 2002 a
été déclinée par une note de fonctionnement interne adressée à l’ensemble des directions
générales et à l’inspection générale des affaires culturelles, prévoyant des modalités de contrôle
spécifique, notamment budgétaires, pour les marchés de conseil en stratégie et en organisation.
Elle considère toutefois que l’interdiction induite par cette circulaire de confier à
des membres d’inspections ministérielles des missions dans le cadre de contrats de
sous-traitance auprès de prestataires de l’administration, sauf à le justifier exceptionnellement,
devrait faire l’objet d’un suivi particulier. En particulier, il était prévu par la circulaire du 19
janvier 2022 qu’une charte de déontologie ministérielle précise « les règles applicables aux
agents publics recrutés dans le secteur privé ou rejoignant un fournisseur de prestations
intellectuelles ». Or, la Cour a pu constater l’indisponibilité d’une telle charte, pourtant
publiquement annoncée comme étant en cours de rédaction dès 2016, mais à laquelle le collège
de déontologie, créé par un arrêté du 10 avril 2018 modifié le 13 avril 2022, ne fait pas référence
dans ses rapports annuels.
La Cour recommande en outre que toute lettre de mission ministérielle mentionnant la
mise à disposition d’un budget spécifique, ainsi que c’était le cas pour la lettre de mai 2018
relative au Pass Culture, soit accompagnée d’un cadrage budgétaire explicite et transparent
avant le démarrage de la mission.
Recommandation n°2
(ministère de la culture, 2023) :
Adopter une charte de
déontologie ministérielle, qui précise en particulier les règles applicables aux agents
publics recrutés dans le secteur privé ou rejoignant un fournisseur de prestations
intellectuelles, conformément à la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022.
1.2.2
Une problématique liée à l’archivage, notamment des données informatiques
du cabinet
A l’occasion de son audit, la Cour a pu constater l’impossibilité d’établir précisément
les responsabilités respectives concernant les modalités de sélection et de rémunération de
X Consulting, étant donné l’absence d’archives pertinentes, voire la suppression d’une partie
des archives du cabinet à compter de l’automne 2018.
En effet, une requête exercée au titre du droit de communication des archives
bureautiques et informatiques de membres du cabinet du ministère de la culture a permis de
constater, dans un cas, la disparition de tout contenu des boîtes mail pour les années 2018 et
2019. À compter de novembre 2018 et jusqu’en juillet 2020, une nouvelle conseillère entre au
cabinet du Ministre, en charge du Pass Culture, de l’action territoriale, de l’éducation artistique
et culturelle, des liens avec l’enseignement supérieur et la recherche. Concernant cette dernière,
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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19
la direction des archives a fait état de l’absence d’archives avant l’année 2020, sans qu’il soit
possible d’établir définitivement les raisons de cette indisponibilité.
Or, les règles d’archivage des documents des cabinets ministériels sont clairement
établies par une circulaire n°5974-SG du 24 octobre 2017 du Premier ministre, doublée
d’un protocole de remise d’archive existant depuis 1981 et d’une note systématique de rappel
des obligations réglementaires transmise par le service ministériel des archives aux membres
de cabinet. Un mémo très précis décrit la nature des fichiers, y compris bureautiques et
de messagerie, à conserver, notant en particulier que tous les rapports, comptes-rendus
de réunion, notes et échanges internes comme externes doivent être conservés. La mission
des archives du ministère de la culture y réitère notamment l’interdiction totale de supprimer
des archives
17
, conformément au code du patrimoine.
La Cour rappelle en effet que l’article L214-3 du code du patrimoine permet de
sanctionner
18
le manquement aux obligations prévues par le code du patrimoine et appelle
l’attention du Conseil supérieur des archives sur les risques de disparition des archives
publiques lié au traitement des messageries et sur la nécessité de vérifier la bonne application
des règles au moment des cessations de fonction dans les cabinets ministériels.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
La première phase de mise en
œ
uvre du projet Pass Culture a été marquée par
des difficultés d’ordre organisationnel, l’absence de désignation formelle d’un intrapreneur
chargé de piloter le projet et l’implication d’acteurs à des niveaux variés sans stabilisation
d’une équipe à l’ancrage institutionnel solide. Conçu comme une « start-up d’Etat », le projet a
principalement reposé sur des consultants extérieurs mobilisés en nombre, parmi lesquels
un responsable et représentant public du projet, missionné par la ministre, qui aurait pu être
employé directement au titre de ses compétences d’agent public plutôt que comme sous-traitant
d’un prestataire. Enfin, les conditions de conservation des archives liées à cette période ne
paraissent pas satisfaisantes et impliquent une vigilance accrue du Conseil supérieur des
archives placé auprès de la ministre de la Culture quant aux procédures permettant en particulier
de garantir la préservation des archives des cabinets.
17
« Attention : En tant que producteurs d’archives publiques, les membres du cabinet doivent soumettre
la liste des documents qu’ils éliminent au visa du service interministériel des Archives de France représenté par le
chef de la Mission des archives. Une fois cet accord d’élimination signé, la Mission des archives vient prendre en
charge les documents à éliminer et procède à leur destruction confidentielle et irréversible. Aucun document
d’archives ne doit être passé à la broyeuse ou jeté dans une corbeille de recyclage. »
18
« Le fait, pour une personne détentrice d'archives publiques en raison de ses fonctions, de détourner
ou soustraire tout ou partie de ces archives ou de les détruire sans accord préalable de l'administration des archives
est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000
d'amende. […] Lorsque les faits prévus aux
premier et deuxième alinéas sont commis par négligence dans les conditions et selon les distinctions prévues à
l'article 121-3 du code pénal, les peines sont d'un an d'emprisonnement et de 15 000
d'amende.»
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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20
2
UNE SOCIETE CREEE EN 2019 QUI DOIT MENER DE FRONT
DE NOMBREUX CHANTIERS
Rappel chronologique des étapes du projet Pass Culture
Source : Cour des comptes
2.1
La création de la SAS
2.1.1
Une décision prise dans l’urgence
La question du modèle juridique et économique s’est très tôt posée. Elle a fait l’objet de
nombreux échanges entre les administrations et d’arbitrages interministériels au plus haut
niveau. Dans un premier temps, dès février 2018, il est envisagé d’établir une association de
préfiguration,
qui
prendrait
en
charge
les
flux
financiers
très
importants
liés
aux remboursements des offres aux partenaires culturels inscrits sur le Pass Culture, pour
les distinguer du budget de fonctionnement porté dans le cadre de la convention avec
la DINSIC. Les premières questions juridiques sont très tôt posées, avec la consultation de
cabinets extérieurs portant par exemple sur la possibilité de subordonner la délivrance du Pass
à l’ouverture d’un compte bancaire dans des établissement spécifiques, un temps envisagé pour
Eté 2017
• Décision politique
• Premières réflexions au cabinet
2018
Mars : Création de la start-up d'Etat auprès de la DINSIC
• Juillet : dépôt des statuts associatifs (finalement abandonnées)
• 1ère phase d'expérimentation : co-construction prototype plateforme avec 500 bêta-testeurs dans 5 départements pilotes
2019
• Février-Juin :
test sur un panel élarg de 6500 jeunes sur les 5 départements pilotes
(paiements en régie)
• Juin : 2ème phase d'expérimentation, ouverture à la population de 14 départements d'expérimentation (135 000 éligibles)
Juillet : création de la SAS
2020
• Montée en charge de la SAS, continuité de l'expérimentation dans le cadre de la crise sanitaire
• Septembre : le Pass, jusque là disponible sous le format webapp, est référencé sur les "stores" en tant qu'application native
2021
• Mai : généralisation à tout le territoire et annonce d'une extension aux moins de 18 ans et de la part collective
2022
• Création de la part collective de la 4ème à la Terminale
• Extension aux 15-17 ans de la part individuelle
2023
• Septembre
: extension de la part collective aux classes de 6ème et 5ème
• Annonce d'une possible extension du Pass Culture aux jeunes Français résidant à l'étranger
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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21
créer des partenariats. Le sujet du contrôle de l’identité des personnes éligibles et de la gestion
des données personnelles surgit aussi très tôt.
L’hypothèse de l’association porteuse prend de l’ampleur tout au long de l’année 2018,
le ministère de la culture allant jusqu’à déposer des statuts signés de la ministre et du secrétaire
général. En août 2018, divers points d’alerte juridique remontent au cabinet qui sollicite
l’expertise de membres du Conseil d’État. On s’aperçoit alors que le risque de constituer
une association transparente, démembrement de l’État chargé de gérer de fait un service public,
est avéré et pourrait engager la responsabilité des ordonnateurs. Les projets de convention de
mandat et de décret d’expérimentation sont alors suspendus. La piste de la société coopérative
d’intérêt collective (SCIC), SAS de forme privée et d’intérêt public associant des personnes
physiques ou morales autour d’un projet commun alliant efficacité économique, développement
local et utilité sociale, un temps évoqué
19
ne fait pourtant pas l’objet d’une expertise spécifique.
En août 2018, une note adressée au cabinet par l’inspectrice des finances détachée en mission
prioritaire auprès du projet Pass Culture examine enfin de manière systématique une série
d’options juridiques :
-
le portage en régie, juridiquement possible, ne semble pouvoir fonctionner qu’en mode
dégradé compte tenu du nombre de flux financiers à prévoir, et paraît intenable à moyens
humains constants (on note que la piste de la création d’une cellule dédiée dotée de vrais
moyens n’est pas envisagée) ;
-
le portage par l’association ne pourrait être envisagé qu’avec élargissement des membres
et présence d’autres personnes morale ou adjonction d’un comptable public, le risque de
gestion de fait demeurant fort ;
-
le portage par un groupement d’intérêt public (GIP) impliquerait la mise en place de
partenariats extérieurs. Bien que cet exemple ne soit pas mentionné dans la note, il faut
noter qu’à cette date, une autre « start-up d’État » avait débouché sur la création d’un GIP
associant le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de
Recherche, le CNED, l’université ouverte des humanités et l’Université de Strasbourg,
par un arrêté du 27 avril 2017, pour assurer le portage de la plateforme en ligne
d’évaluation et de certification des compétences numériques PIX ;
-
la création d’un établissement public industriel et commercial (EPIC) serait enfin de
nature à garantir la stabilité juridique mais « comporte des lourdeurs tant de création que
de dissolution » ;
-
à court terme, il est préconisé d’étudier la possibilité d’externaliser les versements à
une « structure de gestion extrêmement professionnelle, notamment sur le contrôle
des risques » capable de respecter les délais de paiement, qui pourrait être l’ASP, agence
de services et de paiements, ayant pour vocation de gérer le versement de nombreuses
aides. Une étude comparative des frais de gestion est préconisée et il est rappelé que cette
externalisation devrait faire l’objet d’une mise en concurrence.
19
Ce qui a d’ailleurs laissé une trace dans les statuts constitutifs de la société prévoyant que la société
« poursuit un objet d’utilité sociale au sens de l’article 2 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à
l’économie sociale et solidaire et pourrait adhérer également aux valeurs et principes coopératifs entraînant en
conséquence une transformation de la société ».
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
22
L’exemple du Pass’Sport, destiné à favoriser la pratique sportive
Créé par décret du 10 septembre 2021 et reconduit pour un an par le décret n°2022-1115
du 2 août 2022, le dispositif Pass’Sport est une aide dont l’objet est d’inciter certains jeunes à adhérer à
une association sportive et à aider financièrement le mouvement sportif amateur. D’un montant
forfaitaire de 50
, cette aide prend la forme d’un remboursement par l’État de la réduction pratiquée
par les structures et associations sportives sur le tarif de l’adhésion ou de la licence du jeune qui en
bénéficie.
Le Pass’Sport s’adresse en effet, sous conditions d’âge, aux jeunes bénéficiaires de l’allocation
de rentrée scolaire (ARS), de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ou de l’allocation
adultes handicapés (AAH), soit 5,4 millions de personnes concernées. Il est étendu, depuis la rentrée
universitaire 2022, aux 800 000 étudiants boursiers.
À la différence du Pass Culture, le Pass’Sport est géré directement par l’État, le ministère
des sports assurant l’instruction des demandes avec l’appui de l’Agence de services et de paiement
(ASP), chargée du paiement des aides aux structures et associations sportives. La direction des
sports bénéficie en outre de la transmission des données nécessaires à la mise en
œ
uvre du
dispositif, de la part de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), de la caisse centrale
de la mutualité sociale agricole (CCMSA) et du Centre national des
œ
uvres universitaires et
scolaires (CNOUS).
Ce dispositif fait l’objet depuis sa création d’une enveloppe budgétaire annuelle de 100 M
,
pour un plafond théorique de dépenses de 300 M
. Cette enveloppe n’apparaît cependant que
partiellement consommée - autour de 30% des crédits à la fin octobre 2021, moment où les inscriptions
annuelles étaient déjà réservées. Les principaux freins identifiés à son utilisation concernent la difficulté
des petites associations à prendre en main l’outil informatique qu’est le « compte Asso » auquel
elles doivent s’inscrire, et la superposition du Pass’Sport à des dispositifs locaux déjà existants.
Le problème des transports semble également constituer une difficulté commune avec le Pass Culture
parfois évoquée.
On note que ces premières analyses juridiques, produites un an après le lancement
théorique du projet, n’évoquent pas encore l’opportunité de créer une société privée. Quoi qu’il
en soit, les différentes options, à l’exception du portage en régie impliquent un délai de mise en
œ
uvre de plusieurs mois qui constitue une source d’inquiétude majeure pour le pilotage
politique de l’opération. Si ce document comporte pour la première fois des éléments d’analyse
détaillés, il appelle des arbitrages qui seront pris dans l’urgence, en considération de la volonté
présidentielle de lancer l’expérimentation publiquement dans les délais les plus courts.
La possibilité de recourir à une société de droit privé à capitaux publics apparaît pour
la première fois dans le rapport remis par M. X (X Consulting) à l’automne 2018
20
, en tant
qu’elle présenterait comme principaux avantages « un fonctionnement de droit privé souple et
adaptable en corrélation avec la nature du service et les nécessités de l’expérimentation. »
Préconisée comme structure cible pour la pérennisation, elle est toutefois présentée comme peu
adaptée à la phase d’expérimentation, le rapport préconisant toujours la création
d’une « association
transparente
évoluant
progressivement
vers
une
association
indépendante » (sic).
20
Rapport de cadrage répondant à la commande de la lettre de mission ministérielle, incluant des
propositions sur le périmètre de l’offre, la gestion des flux financiers, le calendrier de l’expérimentation et les
structures juridiques envisageables.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
23
Le ministère de la culture décide finalement de lancer l’expérimentation en régie
(cf encadré
infra
sur le circuit de remboursement aux offreurs), dans un premier temps, soit de
février à juin 2019, période pendant laquelle les paiements sont donc mandatés par le contrôleur
budgétaire et comptable du ministère de la culture, et lance parallèlement le processus de
création d’une SAS. Ce dernier point est acté par une réunion interministérielle
du 12 février 2019 qui demande toutefois la production d’un certain nombre d’analyses
juridiques complémentaires, concernant en particulier « les conditions dans lesquelles pourrait
être établie une relation de quasi régie entre, d’une part, l’État et la Caisse des dépôts et
consignations et, d’autre part, une société commerciale à laquelle serait confiée la mise en
œ
uvre de l’expérimentation du Pass Culture, en précisant la nature et le contenu des actes
nécessaires à l’établissement de cette relation (actes unilatéraux ou conventions) » ; « les flux
financiers nécessaires à l’expérimentation du Pass Culture et sur les conditions de financement
de la société du Pass Culture, en précisant notamment l’affectation et le montant prévisionnel
des fonds publics qui lui seraient alloués » ; « une note d’analyse juridique sur les relations
entre la société du Pass Culture et les offreurs culturels, en précisant les cas où ces relations
donneront lieu à l’établissement d’une convention et, le cas échéant, en indiquant son contenu ».
Sans attendre les conclusions de ces études, la décision est aussi prise de « saisir pour avis
la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et la Commission de déontologie de
la fonction publique de la situation des personnes ayant contribué à la préfiguration du Pass
Culture et qui souhaitent rejoindre la société du Pass Culture »
21
et d’établir « une version
stabilisée des statuts de la société du Pass Culture, du pacte d’actionnaires et des conditions
générales d’utilisation du Pass Culture, ainsi qu’un projet de contrat d’objectifs et de moyens
entre l’État et la société du Pass Culture. »
Une note au secrétaire général du gouvernement en date du 15 février 2019 sur le choix
du modèle juridique pour porter l’expérimentation témoigne de l’urgence ressentie par
le ministère de la culture qui considère que le portage en régie est impossible en longue durée
pour des raisons opérationnelles et demande que des textes soient pris avant la fin du mois de
février (décret autorisant la souscription au capital, décret de nomination du président de
la société, dépôts des statuts) pour que la société soit opérationnelle dès le 15 mars 2019 –
calendrier de fait peu réaliste qui ne sera pas tenu puisque la société est créée au mois de juillet.
À partir de février 2019, l’opportunité de créer une SAS n’est plus questionnée, alors même
que les documents d’analyse juridique produits par la direction des affaires juridiques
des ministères économiques et financiers
22
ainsi que les échanges avec la Caisse des dépôts et
consignations (CDC) mettent en avant plusieurs interrogations, auxquelles la société est
toujours confrontée à ce jour, compte tenu du choix fait de confier une mission d’intérêt général
à une société détenue par l’Etat et la CDC dans le cadre d’une relation de quasi-régie.
21
La HATVP rendant des conclusions sans appel et défavorables le 3 avril 2019 quant au transfert de
MM. Y et X à la tête du projet (cf.
supra
), un autre président est choisi à l’issue d’une procédure de sélection qui
n’a pas été documentée, puis désigné par décret du 24 juillet 2019. Il sera mis fin à ses fonctions en juillet 2021.
22
Note de la direction des affaires juridiques (DAJ) au ministère de la culture en date du 15 février 2019.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
24
2.1.2
Un modèle économique et financier encore incertain
2.1.2.1
Une sous-estimation importante de l’effort financier public
À l’origine
23
, le financement de la société du Pass Culture devait être amorcé par
un financement
public
durant
la
phase
d’expérimentation,
puis
l’évaluation
de
cette expérimentation devait conduire à évaluer la pérennité du modèle envisagé : la subvention
publique en phase de généralisation était estimée à 104 M
par an pour permettre la mise à
disposition d’un pouvoir d’achat de 500
par bénéficiaire éligible, soit plus de 400 M
par
classe d’âge. Ce modèle financier reposait sur plusieurs hypothèses :
-
Un financement théorique limité par la contribution en nature des acteurs culturels d’une
part, qui devaient présenter des offres non remboursées ou de manière partielle, ainsi que
par une consommation effective inférieure à la consommation théorique, en tenant compte
d’un taux d’activation et d’un taux de consommation inférieurs à 100% ;
-
Un besoin de financement effectif qui devait être comblé par un financement direct
des partenaires économiques dans le cadre de partenariats d’image et une contribution
d’argent public versée à la société pour compenser ses charges.
La vision à moyen terme des ressources du Pass Culture se fondait donc sur l’idée
d’un cofinancement entre l’État et ses différents partenaires qui devait générer un fort effet de
levier, avec un effort financier supporté par l’État attendu autour de seulement 20 à 25% du
budget global. La piste des partenariats avec les banques, dont il était envisagé une contribution
substantielle (de 60 à 100
par compte activé) en contrepartie de la gestion des crédits du Pass
et de la possibilité de proposer des ouvertures de compte a finalement été abandonnée compte
tenu de problématiques relatives aux données individuelles qui avaient pourtant été identifiées
très tôt. La piste d’une contribution des collectivités territoriales au financement d’actions
d’éducation artistique et culturelle n’a pas abouti, même si elle continue de faire l’objet de
réflexions, par exemple sur l’intégration de cartes déjà existantes au niveau local.
Au total, le modèle financier optimiste d’un financement 80/20 porté par le secteur privé
a
été
progressivement
abandonné.
Cependant,
la
société
Pass
Culture
prélève
des « contributions sur réservation » assimilables à des réductions de prix, comprises entre 2 et
10% de l’offre, selon un barème général progressif appliqué aux offreurs à partir de 20 000
annuels de chiffre d’affaires
24
(hors barème dérogatoire). Les financements publics pour
l’année 2022 sont de 200 M
, pour une contribution des offreurs de 12,5 M
25
. Ce « taux de
contribution » des offreurs, qui représente en fait les offres mises à disposition à titre gratuit ou
avec remises, atteint seulement 6,7 % en 2022 (et ne s’applique qu’à la seule part individuelle).
23
Note du ministère de la culture au SGG du 14 février 2019.
24
L’article 5.1 des conditions générales d’utilisation, applicable aux offres individuelles, prévoit le
barème suivant pour le remboursement des offreurs : jusqu’à 20 000
TTC par an, 100 % du tarif de l’offre
réservée ; de 20 000
TTC à 40 000
TTC par an, 95 % du tarif de l’offre réservée ; de 40 000
TTC à 150 000
TTC par an, 92 % du tarif de l’offre réservée, sauf pour les livres qui sont remboursés à 95 % du tarif ; au-delà
de 150 000
TTC par an, 90 % du tarif de l’offre réservée, sauf pour les livres remboursés à 95 % du tarif.
25
Les offres gratuites ne sont pas valorisées. Les offres numériques qui font l’objet d’une gratuité
négociée sont par contre enregistrées en comptabilité à 100% dans les charges, avec une remise du même montant.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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25
Le budget cible consacré au Pass Culture peut désormais s’évaluer, à périmètre constant
et en adoptant une hypothèse prudente selon laquelle 20 % des bénéficiaires n’y auraient pas
recours et 20 % des crédits ne seraient pas consommés, à un peu moins de 222 M
pour la part
individuelle, intégrant des frais de structure de près de 15 %.
Tableau n° 3 :
Hypothèse de budget cible du Pass Culture, pour la part individuelle
Catégorie
Population
éligible
Non-
inscrits
Crédit
ouvert
Crédit non
utilisé
Montant des dépenses
Pass 18 ans
850 000
20%
300
20%
155,04 M
Pass 17 ans
850 000
25%
30
20%
14,53 M
Pass 16 ans
850 000
30%
30
20%
13,56 M
Pass 15 ans
850 000
30%
20
20%
8,39 M
Total des dépenses, part individuelle
191,52 M
Frais de structure
30 M
Total général
221,52 M
Source : Cour des comptes d’après données SAS
Il faut y ajouter la part collective financée par les ministères dans le cadre de la politique
d’éducation artistique et culturelle (EAC), dont le niveau de consommation apparaît encore
difficile à évaluer compte tenu de son niveau de maturité, avec un plafond de crédits fixé à
51 M
en 2023 pour le ministère de l’éducation nationale.
Au total, la trajectoire financière globale annuelle du Pass Culture en année pleine, avant
même l’extension annoncée aux classes de sixième et de cinquième, est de l’ordre de 273 M
intégralement assumés à ce jour par l’État. Toutefois, des hypothèses plus ambitieuses
en termes d’action publique, fondées sur un taux moins élevé de non-recours avec seulement
10 % de non-inscrits et 10 % de crédits non-utilisés, entraîneraient le coût global à la hausse
sur la part individuelle, à 276 M
soit un coût global de 327 M
en régime de croisière. En
outre, les extensions de périmètre régulièrement annoncées laissent présager des coûts
complémentaires, qu’il s’agisse de la prise en compte de près de 20 000 jeunes Français de
l’étranger de 18 ans (soit une dépense potentielle de 6 M
) ou de l’extension de la part collective
aux apprentis (qui représentent une population potentiellement éligible de 350 000 jeunes). En
cas de création d’un fonds de dotation dans le cadre d’une démarche de mécénat renforcé, une
dépense fiscale serait enfin à prévoir. Au total, la maîtrise des coûts potentiels du dispositif est
encore incertaine à ce jour et appelle une vigilance d’autant plus grande que ses impacts n’ont
pu être évalués qualitativement, au-delà des taux d’utilisation effectivement croissants en raison
d’une notoriété désormais assurée.
2.1.2.2
Une recherche de ressources propres empêchée par la situation en quasi-régie
La mise en
œ
uvre du Pass Culture à travers une société anonyme détenue par l’Etat et
la CDC a généré des contraintes complémentaires qui la mettent en situation d’injonction
contradictoire, selon que l’on considère d’un côté l’objectif initial d’élargir les sources de
financement non-public, de l’autre celui de porter une mission d’intérêt général en quasi-régie.
Les pistes de financement envisagées, dès la phase de préfiguration (rechargement
du crédit pour les plus de 18 ans, commission perçue au titre d’apport d’affaires à des acteurs
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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26
culturels, services premium de mise en avant d’offre, monétisation de certaines données, vente
d’espaces publicitaires, mécénat avec contreparties, ingénierie culturelle) et jusqu’à ce jour,
posent en effet des questions majeures relative à l’éventuelle entrée dans le champ concurrentiel
d’une société aujourd’hui intégralement financée sur fonds publics.
C’est en effet l’existence d’une relation de quasi-régie entre les institutions publiques et
la SAS qui a permis de confier à la société une mission d’intérêt public sans mise en concurrence
dans le cadre d’un marché public
26
. Cette relation de quasi-régie emportait dès le départ
la conséquence que la future société devrait exercer plus de 80 % de son activité dans le cadre
des tâches qui lui sont confiées par les pouvoir adjudicateurs qui la contrôlent et excluait
la possibilité de participation directe de capitaux privés. La direction des affaires juridiques
des ministères financiers alertait le ministère de la culture sur le fait que cette analyse, valable
dans le cadre de l’expérimentation, pourrait être remise en cause dès lors que des partenaires
extérieurs intégreraient la structure, auquel cas l’État et la CDC devraient constater la fin de
la relation de quasi-régie et procéder à une mise en concurrence.
Les conditions d’appréciation de cette règle des 80 % sont d’autant plus problématiques
que l’identification d’un chiffre d’affaires apparaît à ce jour complexe étant donné le
financement par voie de subvention et le rescrit du 20 juin 2020 relatif au traitement fiscal de
la contribution financière de l’Etat, prévoyant explicitement que « les sommes qu’elle [la SAS]
reçoit au titre du financement des offres ne participent pas à la formation de son chiffre
d’affaires. »
Conformément à la lettre de mission confiée au nouveau président de la SAS, Sébastien
Cavalier, nommé le 1
er
septembre 2021, des études approfondies ont été confiées à des cabinets
d’avocats afin de travailler sur des pistes permettant le développement d’activités
commerciales, notamment celle de la création d’une filiale
ad hoc
, qui devrait alors être
parfaitement distincte d’un point de vue comptable et fonctionnel, voire en termes de marque,
afin de répondre à toutes les exigences du droit de la concurrence et d’éviter toute circulation
d’informations sensibles ou utilisation croisée de bases de clientèle entre les entités, au risque
de créer une discrimination technique et opérationnelle relevant de l’abus de position
dominante.
Les demandes régulièrement réitérées par le comité stratégique d’analyser les pistes de
monétisation impliquent en réalité la formulation d’injonctions contradictoires opposant d’un
côté la mission d’intérêt général à ce jour prioritaire et une logique de rentabilité décorrélée de
cette mission, voire contradictoire avec elle du point de vue du droit. Dès lors, la Cour considère
qu’à l’issue de cette première phase de stabilisation des dispositifs assurée par une SAS privée
de ressources propres et dont le financement apparaît quasi-exclusivement public, la question
de son statut pourrait valablement être reposée afin de garantir un pilotage pertinent au regard
des objectifs fixés et une meilleure anticipation de la trajectoire de dépenses. Quelle que soit
l’issue de cette réflexion, l’entité en charge de la gestion du Pass Culture devrait faire l’objet
d’une inscription sur la liste des opérateurs de l’Etat, qu’il s’agisse durablement d’une SAS
(privée de ressources propres comme c’est le cas aujourd’hui ou dotée d’une filiale à vocation
26
Cette dérogation au droit de la concurrence, issue de la directive 2014/24/UE du parlement européen et
du conseil du 26 février 2014, suppose de remplir trois conditions : (1) l’exercice par l’autorité publique d’un
contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, (2) la réalisation par la société de plus de 80% des tâches
qui lui sont confiées par l’autorité publique et (3) l’absence de participation directe de capitaux privés au sein de
la société contrôlée.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
27
commerciale) ou d’un établissement public. En effet, cette SAS remplit déjà les principaux
critères d’une telle qualification (mission de service public et financement majoritaire de l’Etat),
qui emporte trois conséquences : l’octroi d’une subvention pour charges de service public
permettant de financer le fonctionnement courant de la structure, la fixation d’un plafond des
autorisations d’emploi chaque année par la loi de finances et une information annuelle propre
dans trois annexes à la loi de finances (le projet annuel de performance, le rapport annuel de
performance et le « jaune opérateur »).
Recommandation n°3 (ministère de la culture et ministères économiques et financiers,
2024) :
Inclure la SAS Pass Culture dans la liste des opérateurs de l’Etat.
2.2
Les défis rencontrés par la société à ce jour
Les points de vigilance suivants ont dans l’ensemble été identifiés par les équipes de
la SAS et celles chargées d’assurer le suivi de ses objectifs au ministère de la culture, sans pour
autant que toutes les conséquences en aient été tirées, notamment par le ministère.
2.2.1
Éléments d’analyse financière et budgétaire
Les comptes de la SAS Pass Culture présentent des spécificités liées à l’existence
d’une mission d’intérêt général portée par une société de droit privé. Cette situation, comme
le confirme un rescrit fiscal du 25 juin 2020, autorise d’une part le non-assujettissement de
la SAS à la TVA pour son activité de service public et permet par ailleurs de n’enregistrer
la subvention de l’État en recettes qu’à concurrence de son utilisation - en compensation
des charges de service public - plutôt qu’à la réception des fonds. Ainsi, l’équilibre entre
les dépenses et les recettes comptabilisées fait-il ressortir un résultat d’une valeur nulle pour
chaque exercice.
2.2.1.1
Les subventions reçues
Les subventions versées par le ministère de la culture augmentent avec la mise en place
progressive du Pass Culture, de 5,1 M
en 2019 à 199 M
en 2022. Il faut y ajouter, à partir de
2022, les versements des autres ministères au titre de la politique d’éducation artistique et
culturelle (EAC) dans laquelle la SAS Pass Culture intervient pour mettre à disposition
des collèges et lycées, sur une plateforme numérique, les offres collectives émises par
les acteurs culturels.
Les crédits prévisionnels des ministères au titre de cette part collective ont été évalués
en 2022 à 46 M
, répartis entre l’éducation nationale (45 M
), l’agriculture (1,15 M
),
les armées (0,05 M
) et le ministère de la mer (0,02 M
). La consommation réelle s’établit
cependant à des niveaux moindres – 14,3 M
de dépenses effectives en 2022 pour 18 M
d’avances
versées
pour
l’éducation
nationale –
avec
une croissance
dynamique
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
28
des réservations, qui s’explique autant par la sortie de la crise sanitaire que par l’appropriation
progressive de l’outil par les enseignants. En octobre 2022, le ministère de l’éducation
nationale prévoyait de consacrer 51 M
au Pass Culture en 2023, en tenant compte de
sa généralisation aux classes de 6
ème
et 5
ème
.
Graphique n° 1 :
Subventions reçues et comptabilisées par la SAS, hors EAC (en M
)
Source : Cour des comptes
Le circuit budgétaire initial et actuel
Sur le plan budgétaire, les crédits du Pass Culture ont été portés de 2018 à 2020 par
le programme n°224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». À partir du projet de loi
de finances pour 2021, c’est un nouveau programme n°361, ayant la même appellation, qui regroupe
désormais les politiques l’État dans le domaine culturel, en rassemblant des crédits issus des programmes
n°224 et n°186 « Recherche culturelle et culture scientifique ».
Les crédits 2018 et 2019 couvrent principalement les dépenses exécutées pour le développement de
l’application. À cette fin, le ministère de la culture a conclu avec la direction interministérielle du numérique
et des systèmes d’information et de communication (DINSIC) une délégation de gestion par laquelle
celle-ci accompagne le ministère dans le
« coaching »
d’une
« Start-up d’État »
pour construire
l’application en
« mode agile »,
en mobilisant ses propres marchés (coaching et développement
informatique). La DINSIC se voit ainsi confier la gestion des crédits relatifs au Pass Culture pour un budget
qui atteint 6,3 M
27
au terme de la convention, fin 2019. La consommation globale des crédits consacrés
au Pass Culture évolue ainsi d’un million d’euros en 2018
28
à près de 12 M
en 2019. Les dépenses 2019
intègrent cependant 4 M
de subventions à la SAS, auxquels s’ajoutent 1,1 M
de subventions en écritures
qui correspondent au paiement des offreurs exécutés par le ministère pour le compte de la SAS, avant que
celle-ci ne devienne opérationnelle.
2.2.1.2
Les principaux postes de dépenses
Les dépenses ont progressé rapidement depuis la création de la SAS en 2019 et
s’établissent à près de 220 M
en 2022 (en incluant la part collective et les amortissements).
27
Cf. avenant n°11 à la convention de délégation de gestion.
28
En crédits de paiement, selon le rapport annuel de performance.
5
25
94
199
2
19
111
200
0
100
200
300
2019
2020
2021
2022
Millions
Subventions reçues
Subventions comptabilisées
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
29
Elles sont majoritairement constituées des charges liées au remboursement des offreurs :
celles-ci représentent 174 M
nets pour la part individuelle en 2022 et 14 M
pour la part
collective, soit 86% des dépenses totales.
Le remboursement des offreurs
Le circuit de paiement des offreurs a évolué avec la création de la SAS.
Durant la phase de préfiguration et jusqu’au terme de l’année 2019, l’équipe du Pass Culture transmettait
tous les quinze jours les demandes de paiement enregistrées dans sa base au bureau de la qualité comptable
du ministère de la culture (BQC), chargé de la gestion des demandes de remboursement dans Chorus.
Le fichier de virement proprement dit, confectionné par l’équipe du Pass Culture, était transmis par le BQC
au CBCM Culture pour être intégré directement dans l’application BDF Direct de la banque de France.
Ce circuit s’est largement simplifié une fois la SAS mise en place : chaque quinzaine, les versements à
effectuer aux offreurs sont extraits de la base de données qui calcule le montant de leur contribution
éventuelle, en fonction de leur catégorie et du chiffre d’affaires réalisé. Ces données sont ensuite
enregistrées dans le logiciel comptable et un fichier de virement bancaire est par ailleurs constitué puis
transmis à la Banque des territoires
29
, opérateur de paiement pour les remboursements des offreurs
culturels, dont la prestation est assurée par la direction des clientèles bancaires.
Graphique n° 2 :
Versements aux offreurs et cofinancement pour la part individuelle (en M
)
Source : Cour des comptes
Les autres dépenses constituent les frais de structure de la SAS. En 2022,
elles représentent 10,8 M
pour les frais de fonctionnement, 7,8 M
pour les charges de
personnel, 7,5 M
en investissement et 5,5 M
de charges d’amortissement, soit un montant
cumulé de 31,6 M
. Les frais de structure représentent ainsi près de 15 % des dépenses totales,
ce ratio n’étant appelé à diminuer qu’avec une progression sensible de l’activité. Les économies
que la SAS génère du fait de l’internalisation des prestations informatiques commencent à
29
Rassemblant sous une seule dénomination les directions de la CDC en relation avec une clientèle locale
(collectivités, entreprises publiques locales, organismes de logement social, professions juridiques), son réseau
régional, ainsi que les filiales SCET et CDC Habitat, elle vient d’être contrôlée par la Cour des comptes qui a
publié ses observations définitives en mai 2022.
9,5
100,9
186,1
1,6
8,9
12,5
8,0
92,0
173,6
0
50
100
150
200
2020
2021
2022
Millions
Dépenses des bénéficiaires
Remises participation offreurs
Solde net
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
30
se concrétiser – à périmètre d’activité équivalent, dans les services de développement
technique, l’internalisation a par exemple permis une économie d’1,4 M
sur l’année 2022.
Les effets de cette tendance plus générale devraient être plus visibles en 2023.
Graphique n° 3 :
Répartition des dépenses de la SAS en 2022
Source : Cour des comptes selon prévisions du budget révisé de septembre 2022 (part collective réévaluée à 6 M
)
Le bilan fonctionnel simplifié et le compte de résultat ci-après n’appellent pas
d’observations particulières, sinon la particularité, consistant, pour une société privée, à établir
des comptes à l’équilibre, qui s’explique par l’absence totale d’activités commerciales et donc
de ressources propres à ce jour.
Tableau n° 4 :
Bilan fonctionnel simplifié (en M
)
EMPLOIS
2019
2020
2021
2022
RESSOURCES
2019
2020
2021
2022
Capital souscrit non appelé
0,5
0,5
0,5
Capital
1,0
1,0
1,0
1,0
Immobilisations incorporelles
5,7
13,4
20,8
Provisions
0,2
Immobilisations corporelles
0,1
1,2
0,2
0,2
Amortissements et dépréciations
1,0
4,5
9,9
Immobilisations financières
0,1
0,1
Subventions d'investissement
0,1
5,9
9,2
11,2
EMPLOIS STABLES
(E)
0,6
7,5
14,2
21,1
RESSOURCES STABLES
(R)
1,1
7,9
14,9
22,1
Fonds de roulement (FDR)=(R)-(E)
0,5
0,5
0,7
1,0
Avances et acomptes versés
0,1
Créances dont subvention à recevoir
8,4
20,6
Dettes
0,7
3,8
15,0
35,1
Charges constatées d'avance
0,1
0,2
1,7
0,5
Produits constatés d'avance
(subvention État)
3,0
9,3
ACTIF CIRCULANT
(C)
0,1
0,2
10,1
21,0
PASSIF CIRCULANT
(D)
3,8
13,1
15,0
35,1
Besoin en fonds de roulement
(BFR)=(C)-(D)
-3,7
-12,8
-4,9
-14,0
TRÉSORERIE
(= FDR - BFR)
4,2
13,3
5,6
15,0
Total
4,8
21,0
29,9
57,2
Total
4,8
21,0
29,9
57,2
Source : Cour des comptes d’après les comptes de la SAS
86%
4%
7%
3%
Dépenses pass Culture
Charges de personnel
Charges de fonctionnement
Dépenses d'investissement
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
31
Tableau n° 5 :
Compte de résultat (en M
)
2019
2020
2021
2022
Subventions d'exploitation
2,07
12,10
104,43
206,50
Prestations de services
Ventes de marchandises
Produits des services au personnel
Chiffres d'affaires net
Sous-total production stockée
Reprises sur amortissements, dépréciations et provisions
0,00
0,00
0,02
0,26
Autres produits de gestion courante
Transferts de charges
TOTAL PRODUITS EXPLOITATION
2,07
12,10
104,45
206,77
Gains de change
Produits nets sur cessions de valeurs mobilières de placement
Autres produits financiers
TOTAL PRODUITS FINANCIERS
Sur opérations de gestion
0,04
Quote-part des subv. investissement virée au résultat
0,00
1,01
3,42
5,48
Reprises sur provisions et dépréciations et transferts de charges
0,01
TOTAL PRODUITS EXCEPTIONNELS
0,00
1,01
3,46
5,48
RESULTAT DE L'ACTIVITE (perte)
-
-
-
-
TOTAL PRODUITS
2,07
13,11
107,91
212,25
2019
2020
2021
2022
Achats de marchandises
Achats matières premières et autres approvisionnement
Autres achats et charges externes
1,71
9,80
99,56
198,68
dont charges Pass Culture
1,52
7,96
92,04
187,91
dont prestations externes-licence informatique
0,02
0,53
5,07
8,08
dont locations immobilières
0,03
0,18
0,23
0,48
dont honoraires
0,09
0,58
0,29
0,18
dont fournitures et équipements
0,00
0,04
0,03
0,06
dont maintenance
0,00
0,03
0,17
0,01
dont publicité
0,01
0,05
1,42
1,01
dont annonces et insertions
0,28
0,00
0,01
Sous-total achats et charges externes
1,71
9,80
99,56
198,68
Sous-total charges de personnel
0,32
2,13
4,31
7,36
dont rémunération du personnel
0,22
1,51
3,10
5,31
dont charges sociales
0,10
0,62
1,20
2,06
Impôts, taxes et versements assimilés sur rémunérations
0,04
0,17
0,37
0,66
Sous-total impôts, taxes et versements assimilés
0,04
0,17
0,37
0,66
Dotations aux amortissements
0,00
1,01
3,42
5,47
Dotations aux provisions pour risques et charges
0,22
Dotations aux dépréciations sur actif circulant
0,04
0,01
Sous-total amortissements, dépréciations, provisions
0,00
1,01
3,67
5,48
Redevances pour concessions, brevets, licences
Quote-part de co-réalisation et de coproduction
Charges de gestion courante
Sous-total autres charges d'exploitation
0,00
0,00
0,00
TOTAL CHARGES EXPLOITATION
2,07
13,11
107,91
212,18
Pertes de change
TOTAL CHARGES FINANCIERES
0,00
0,00
0,00
0,00
Sur opérations de gestion
0,05
Sur opérations en capital
0,01
Dotations aux amortissements, aux dépréciations et aux provisions
0,00
0,01
TOTAL CHARGES EXCEPTIONNELLES
0,00
0,00
0,00
0,07
RESULTAT DE L'ACTIVITE (bénéfice)
-
-
-
-
TOTAL CHARGES
2,07
13,11
107,91
212,25
Source : Cour des comptes d’après les comptes de la SAS
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
32
2.2.2
Des enjeux de consolidation de la gestion administrative et financière
Trois documents principaux en cadrent l’activité de la société. Les statuts constitutifs de
la société, signés le 23 juillet 2019 et révisés le 6 janvier 2022, précisent son objet.
Extrait des statuts constitutifs
« La Société a pour objet de :
* assurer la mission d’intérêt général « Pass Culture », telle que définie par le décret n°2021-628 du
20 mai 2021 précité et le décret n° 2021-1453 du 6 novembre 2021 relatif à l'extension du « Pass
Culture » aux jeunes en âge d'être scolarisés au collège et au lycée, dont la gestion lui a été confiée par
le ministère de la culture, et à ce titre d’exploiter l’outil « Pass Culture » et de créer les conditions
adéquates pour la pérennisation de la mission d’intérêt général « Pass Culture » en développant, dans
le cadre réglementaire applicable, une activité commerciale permettant d’assurer une partie
du financement nécessaire à l’alimentation de l’enveloppe du Pass Culture généralisé à tous les jeunes
éligibles ;
* exercer notamment les missions suivantes dans le cadre de la gestion de la mission d’intérêt général
« Pass Culture » :
-accompagner l’État dans le cadrage et l’évaluation du Pass Culture (écoute des utilisateurs, étude
des acteurs, définition des modalités d’évaluation, des indicateurs de mesure d’impact etc.) ;
-développer un produit numérique et ses différentes composantes (logiciel, plateforme, application,
etc.) répondant aux besoins identifiés et conforme aux standards des logiciels libres ;
-constituer et animer des groupes de travail utiles à l’amélioration itérative du produit précité ;
-créer et développer un réseau de partenaires, culturels et non culturels, par la conclusion par la Société
de conventions avec eux pour le développement du Pass Culture ;
-promouvoir toute action de partenariat favorisant la visibilité et l’adhésion du plus grand nombre au
« Pass Culture » ;
-développer toute offre de service susceptible d’enrichir l’expérience utilisateur ;
-accompagner l’État dans la phase d’extension du « Pass Culture aux jeunes de quinze à dix-sept ans
dans les conditions fixées par le décret n°2021-1453 du 6 novembre 2021 relatif à l’extension du « Pass
Culture » aux jeunes en âge d’être scolarisés au collège et au lycée.
* exploiter le service du « Pass Culture » et assurer sa diffusion auprès du public le plus large,
notamment par :
-la conception, le développement, l’édition, l’intégration, la maintenance et l’exploitation de solutions
numériques et logicielles, et de plateformes web et mobile d’internet ;
-la distribution et la commercialisation du service « Pass Culture », des solutions numériques et des
prestations de services associés ;
*et d’une manière générale, réaliser toutes opérations économiques, juridiques, financières, civiles ou
commerciales, se rattachant directement ou indirectement à l’objet spécifié ci-dessus ou à tous objets
similaires ou connexes et susceptibles de faciliter le développement de la Société.
La Société a ainsi pour objet de poursuivre une utilité sociale au sens de l’article 2 de la loi n°2014-856
du 31 juillet 2014 précitée et dans ce cadre de faciliter l’accès de tous à la culture et promouvoir
la qualité et la diversité des offres culturelles et de favoriser l’autonomie des jeunes au moment de leur
accession à la majorité et contribuer ainsi à l’éducation et à la lutte contre les inégalités liées à l’accès
à la culture. »
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
33
Par ailleurs, le pacte d’actionnaires rappelle l’objet de la société, prévoit la signature
d’une convention de gestion, d’un contrat d’objectifs et de moyens et de contrat de licence de
marque et de cession d’actifs, la mise à jour régulière des conditions générales d’utilisation
du Pass Culture, fixe des indicateurs de suivi liés à l’activité de la société, prévoit la rédaction
d’un plan d’affaires par la société. La convention de gestion prévoit que la société s’engage
notamment à fournir au ministère dans les six mois suivant la clôture de chaque exercice :
un rapport de gestion, des comptes annuels et un rapport d’activité. Elle prévoit également
la signature d’un contrat d’objectifs et de moyens, à conclure entre le ministère de la culture et
la SAS pour une durée de 3 ans (2022-2024), censé arrêter les orientations stratégiques de
la société et déterminer les moyens financiers alloués sur la période.
L’État (le ministère de la culture) participe à l’ensemble des instances de décision
collectives mises en place dans le cadre du développement du projet : l’assemblée générale, qui
a compétence notamment pour désigner les membres du comité stratégique, approuver
les comptes annuels ou le rapport de gestion, prendre des décisions concernant l’évolution
du statut de la société ; le comité stratégique, consulté sur toutes les orientations stratégiques
(par exemple les modalités de généralisation du dispositif) et tenu informé de l’activité de
l’établissement qu’il peut orienter, délibère sur les grandes orientations budgétaires. Ce comité
stratégique a compétence exclusive pour prendre, notamment, les décisions suivantes :
validation et modification de la stratégie selon les objectifs de politique publique fixés par
l’État ; proposition du plafond de rémunération et des critères choisis pour déterminer la partie
variable de la rémunération du président; examen des comptes annuels, approbation du rapport
de gestion ; conclusion, modification, résiliation du contrat d’objectif et/ou de l’annexe
« demande de subvention » de la convention de gestion. Il peut créer des groupes de travail
(actuellement un groupe de travail sur les modalités éventuelles de rechargement du Pass
Culture par les jeunes bénéficiaires ; un autre sur la diversification des pratiques et réservations
des jeunes sur le Pass Culture). Il est composé de 12 membres
30
bénévoles, désignés pour
une mandature de trois ans renouvelables.
30
Un représentant de l’État nommé par arrêté ; sept membres nommés par les deux membres associés,
sur proposition de l’État ; trois membres nommés par les deux membres associés, sur proposition de la
Caisse des Dépôts ; un représentant des salariés de la Société, élu par eux.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
34
Liste des membres du Comité stratégique, à jour en décembre 2022
Représentant de l’État
Le délégué général à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle au ministère de la culture
Sur proposition de l’État
Une autrice, présidente du comité stratégique
La rectrice de l’Académie de Versailles
Le directeur général de l’enseignement scolaire - ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des
Sports
Le chef du bureau de la culture, de la jeunesse et des sports, direction du Budget, ministère de l’Économie,
des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
Le
directeur du développement et du studio Radio France
La directrice déléguée auprès de la direction générale de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris
Une étudiante
Sur proposition de la Caisse des dépôts
Le directeur de la transformation numérique de la Caisse des Dépôts et de la stratégie digitale de la Banque
des Territoires
Le responsable de projets e-culture & patrimoine à la Caisse des dépôts
Le directeur du département marketing et commercial de la Caisse des dépôts
Une représentante du Personnel,
chargée de développement territorial au Pass Culture
Le président de la SAS, nommé par décret du Président de la République, est
un président exécutif : il est responsable juridiquement de tous les actes de gestion de
l’établissement, dont il est le mandataire social.
La lettre de mission du président de la société, signée par la ministre de la Culture,
précise les objectifs prioritaires pour le Pass Culture. Les objectifs assignés à Sébastien Cavalier
sont les suivants :
-
Renforcer l’appropriation du Pass Culture par l’ensemble des acteurs (bénéficiaires,
offreurs, collectivités territoriales, Ecole, partenaires du champ social, etc.) ;
-
maintenir la dynamique d’inscription des bénéficiaires et développer une stratégie
spécifique pour les jeunes les plus éloignés de l’offre culturelle ;
-
garantir et renforcer la présence du Pass sur l’ensemble du territoire avec des offres
proposées par le plus grand nombre d’acteurs ;
-
consolider l’extension du Pass au collège et au lycée ;
-
définir les perspectives stratégiques de la société à un horizon de trois ans ;
-
structurer l’organisation de la société et sécuriser son activité ;
-
étudier et mettre en place de nouvelles pistes de développement pour proposer
une plateforme de services plus riche et diversifier les ressources de la société.
L’activité du Pass Culture est suivie par la délégation générale à la transmission,
aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC). Au sein de la DG2TDC, c’est le bureau
des Temps de la vie, au sein de la sous-direction de la participation à la vie culturelle, qui suit
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
35
le dossier au quotidien. La relation entre le ministère de la culture et la SAS Pass Culture est
également orientée par des réunions interministérielles organisées par l’Élysée ou Matignon
puisque le Pass Culture fait partie des réformes prioritaires du Gouvernement, qui font l’objet
d’un suivi trimestriel par le secrétariat général de l’Elysée et le directeur de cabinet de
la première Ministre.
2.2.2.1
Une conclusion tardive du contrat d’objectifs et de moyens, des contrats de licence
périmés
L’article 4 des pactes d’actionnaires du 23 juillet 2019, puis du 6 janvier 2022, comme
la convention de gestion conclue en décembre 2019 avec le ministère de la culture, prévoient
l’adoption d’un contrat d’objectifs et de moyens dans les six mois à compter de la création de
la société. Or, après un premier report du délai en juillet 2020, les « travaux préparatoires » à
la conclusion de ce COM se sont prolongés jusqu’au 1
er
février 2023, date de l’adoption
d’un contrat d’objectifs et de performance (COP) en comité stratégique. En effet, à la fin de
l’année 2022, la SAS annonçait qu’« en accord avec les deux actionnaires », un COP serait
préféré à un COM, modification actée par une modification a posteriori des statuts de la société
le 16 février 2023. Ce report s’explique en partie par les arbitrages sur le calendrier et l’ampleur
des extensions successives du Pass dans un contexte d’épidémie et de confinements.
De même, alors que des contrats de licence de cession d’actif, de licence de logiciel, de
licence de marque et de cession des noms de domaine ont été signés le 28 octobre 2020,
ils prévoyaient qu’en cas de généralisation du dispositif, ils se poursuivraient dans les mêmes
conditions pendant une période maximale d’un an, dans l’attente de la formalisation
d’un nouvel accord entre les parties. À ce jour, les nouveaux contrats sont toujours en cours de
négociation entre le ministère de la culture et la SAS Pass Culture.
En pratique, le ministère a sollicité le 18 mai 2022 auprès de la mission d’Appui au
patrimoine immatériel de l’État des ministères financiers une analyse portant sur le patrimoine
immatériel lié à la marque Pass Culture. L’analyse de tous les contrats expirés le 21 mai 2022
autour du dispositif a mis en lumière des incohérences rendant délicate la reprise de leurs
dispositions pour le futur et imposant donc la passation de nouveaux contrats, sans qu’il ait été
possible à ce stade de « déterminer avec exactitude la nature juridique de la marque Pass
Culture ». Or, il importe que la SAS soit en mesure de connaître précisément les conditions
d’exploitation contractuelle de la marque, alors qu’elle souhaiterait pouvoir concéder
des sous-licences à ses partenaires. Un choix stratégique est ici en cause, puisqu’il s’agit soit
d’une cession pleine et entière de la marque à la SAS, avec perte de contrôle de l’État sur
la défense de sa marque, le choix des sous-licenciés ou les noms de domaine associés
31
; soit
d’une licence exclusive à son profit avec maintien de la titularité de l’État. Cette dernière option,
qui n’empêcherait pas d’assurer une liberté suffisante d’utilisation de la marque à la SAS à
des fins de communication notamment, paraît mieux préserver les intérêts de l’État
32
, qui
31
Au surplus, une cession à titre gratuit pourrait contrevenir au principe d’interdiction des libéralités
accordées aux personnes publiques et la valorisation d’une contrepartie n’irait pas sans difficulté.
32
Ainsi que l’indique une note interne au ministère de septembre 2022, « la conservation de la marque
par le ministère s’inscrirait, par ailleurs, dans la pratique habituelle de l’État en ce domaine. En effet, seuls les
établissements publics, qui bénéficient d’une autonomie administrative et financière, disposent généralement de
leur propre portefeuille de marques. Le ministère de la culture conserve ainsi la titularité des marques désignant
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
36
devrait alors récupérer par voie de rétrocession les droits sur le logotype transmis à la société
dans le cadre du contrat de cessions d’actifs conclu en 2019.
Soumis à l’approbation du comité stratégique de la société le 1
er
février 2023, les projets
de contrat de propriété intellectuelle ont fait l’objet de nouvelles demandes de clarification.
L’approbation définitive des textes est attendue pour la fin du premier semestre 2023.
La Cour prend acte de ces travaux indispensables pour pérenniser la situation
juridique et financière de l’activité de la SAS et garantir la préservation des intérêts de
l’État, initiateur et seul financeur de la politique publique du Pass Culture.
2.2.2.2
Le manquement aux règles de dépôt des déclarations d’intérêt et de patrimoine
L’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique,
applicable aux personnes chargées du mission de service public et visant à prévenir les conflits
d’intérêt (toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés
qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et
objectif d'une fonction) prévoit
que les obligations de dépôt d’une déclaration d’intérêts et de
situation patrimoniale sont applicables aux présidents et aux directeurs généraux « des sociétés
et autres personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dans lesquelles plus de la moitié
du capital social est détenue directement par l'État. »
Sollicitée à ce titre par le parquet de la Cour des comptes, par courrier du
17 février 2022, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a confirmé
qu’aucun des deux présidents successifs de la société n’avait déposé de déclarations au titre de
leurs fonctions. Le ministère de la culture paraît avoir pour sa part manqué à son devoir de
vigilance en n’informant pas les dirigeants de la SAS de leur obligation.
La HATVP annonçait toutefois que le président de la SAS ferait l’objet d’une demande
de dépôt, effectivement réalisée depuis cette sollicitation.
2.2.2.3
La définition progressive d’une politique d’achat
Bien que de droit privé, la société Pass Culture est soumise aux règles de la commande
publique dès lors qu’elle poursuit une mission d’intérêt général, qu’elle est contrôlée par l’État
et financée sur fonds publics. À la création de la SAS et durant les premiers temps de
l’expérimentation, la fonction achat a d’abord été largement externalisée. Au second trimestre
2019, elle a même pu continuer de s’appuyer sur des prestations confiées à la société jusque-là
prestataire de services pour la DINSIC. Les principaux marchés ont ensuite été Passés
conformément aux règles de la commande publique ; ils ont eu pour objet la définition et
la mise en
œ
uvre d’une stratégie de communication, le développement et le maintien
en condition de l’application, le commissariat aux comptes et le déploiement d’un nouveau
des missions qui lui sont propres ou des biens qui lui appartiennent, y compris, dans cette dernière hypothèse,
lorsque la gestion du bien est confiée à un acteur privé ».
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
37
moteur de recherche. La SAS a également fait un recours régulier à l’UGAP qui assure
l’intégralité de la procédure d’achat.
En juillet 2022, un responsable achats a été nommé au secrétariat général afin
d’internaliser la fonction achat et de renforcer sa structuration. Une politique achat documentée
a été mise en place ainsi qu’une programmation pluriannuelle des marchés : une vingtaine de
marchés sont ainsi à l’étude sur la période 2022-2023 qui concernent principalement
la vérification d’identité à distance des utilisateurs de l’application, le soutien de premier niveau
aux utilisateurs, les titres restaurant, l’accompagnement juridique ou encore l’accès à la base de
données permettant de recenser les livres et disques en stock chez les offreurs. Cette politique
d’achat précise par ailleurs les attributions du contrôle économique et financier, de
la commission des marchés et du comité stratégique dans la programmation et l’attribution
des marchés en fonctions des seuils d’application. Elle a été approuvée par le comité stratégique
en septembre 2022.
L’enjeu
actuel
consiste,
outre
la
nécessité
d’accompagner
la croissance
des activités, à mettre en
œ
uvre efficacement la politique d’achat et les procédures d’achat
adaptées à chaque besoin : utilisation d’une procédure de marché directe (avec recours
éventuel au
« sourcing »
33
etc.) ou via une centrale d’achat, telle que l’UGAP
.
2.2.2.4
Un fonds de roulement insuffisant
Le fonds de roulement de la SAS demeure limité en raison d’un capital social limité
(1 M
, intégralement libérés depuis décembre 2022) et en l’absence de réserves financières.
Il s’établit ainsi fin 2022 à 1 M
, en l’absence de résultats accumulés. Cette faiblesse du fonds
de roulement a pu générer des tensions de trésorerie avec, fin 2021, un montant de dettes de
15 M
pour un fonds de roulement de 0,7 M
et une trésorerie de 5,6 M
. La trésorerie
manquante a pu être prélevée sur l’acompte de subvention reçu en janvier 2022 mais cet épisode
a obligé la SAS à hiérarchiser ses paiements et lui a fait courir un risque de réputation,
notamment auprès des offreurs.
La SAS Pass Culture ne réalise pas de bénéfices, ce qui ne lui permet pas de constituer
un fonds de roulement de manière autonome et génère de facto un risque d’insuffisance de
trésorerie. Les dépenses de la SAS sont étroitement liées à la consommation des bénéficiaires,
et au volume associé de remboursement des offreurs. Une provision enregistrée par la SAS
au budget 2022, à hauteur de 6,3 M
, a visé à couvrir l’aléa sur l’encours de consommation
du Pass Culture : elle constituait une mesure de prudence nécessaire et s’est avérée justifiée au
regard des montants de dépenses constatés en 2022.
Afin de couvrir tout risque d’insuffisance de trésorerie, il apparaît nécessaire pour
la SAS de disposer d’un fonds de roulement plus robuste couvrant a minima un mois d’exercice.
33
procédure préalable à l’achat prévue par l’article R2111-1 du code de la commande publique : « Afin
de préparer la passation d'un marché, l'acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché,
solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. ».
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
38
Tableau n° 6 :
Fonds de roulement, besoin en fonds de roulement et trésorerie (en M
)
2019
2020
2021
2022
Fonds de roulement
0,5
0,5
0,7
1,0
Besoin en fonds de roulement
-3,7
-12,8
-4,9
-14,0
Trésorerie
4,2
13,3
5,6
15,0
Source : Cour des comptes
2.2.2.5
Une politique de ressources humaines marquée par une forte croissance due à la
réinternalisation des compétences et à l’extension des missions
La SAS connaît un contexte de croissance extrêmement rapide de ses effectifs qui
passent de 15,52 équivalents temps plein (ETP) fin 2019 à 85,93 fin 2021 et 126 fin 2022, avec
un effectif prévisionnel de 185 personnes pour la fin 2023. Ce niveau d’effectifs représente
une masse salariale de 7,8 M
pour 2022, soit 4% des dépenses totales du Pass Culture.
Graphique n° 4 :
Ventilation de la masse salariale entre les services
Source : Cour des comptes d’après les données de paie 2022
L’augmentation prévue des effectifs résulte notamment de la poursuite de la politique
d’internalisation des compétences (+14 postes pour 2023), ainsi que du renforcement
des activités (+13 emplois) et du développement des nouveaux projets (+5 postes).
La politique d’internalisation doit conduire au remplacement de prestataires extérieurs
par des salariés propres à la SAS, au sein des directions du produit et du développement
technique, avec, à terme, des économies substantielles envisagées : de l’ordre de 65 % pour
chaque poste internalisé - un emploi de prestataire revenant en moyenne 2,8 fois plus cher
qu’un salarié. Ces économies sont déjà visibles en 2022, principalement au sein de la direction
des technologies et de la direction du produit et devraient s’amplifier en 2023 tout en
intégrant des périodes de transfert de compétences entre les équipes externes et les salariés
entrants
34
et des recrutements liés au développement du Pass Culture.
34
Les prestations informatiques aujourd’hui enregistrées en dépenses d’investissement devraient
décroître au profit d’une augmentation, moindre, des charges de personnel.
31%
18%
15%
13%
10%
8%
5%
Développement
Technologies
Opérations
Secrétariat Général
Com. Marketing et Etudes
Produit
Présidence
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
UVRE
39
La SAS met en place une fonction RH depuis l’année 2021, avec la nomination de
la secrétaire générale, puis d’un responsable RH – au travers d’un plan d’action programmé sur
trois ans
35
. La SAS se fait par ailleurs assister d’un cabinet extérieur pour la gestion de la paie.
Une grille des salaires a été élaborée en 2022 et validée par le comité des rémunérations.
Elle tient compte de différents critères (le positionnement des agents, le niveau de
responsabilité et d’autonomie sur le poste, les compétences managériales, l’expérience etc.).
Un dispositif de fidélisation validé par le comité des rémunérations s’articule autour de cette
grille et permet de piloter une politique de revalorisation uniforme et d’attribuer des niveaux de
rémunération tenant compte de l’ancienneté, de la progression de carrière, de l’évolution et de
l’impact de chaque collaborateur sur son poste et dans la SAS.
Si la mise en place d’une fonction RH semble bien engagée, elle demeure en phase de
développement. À titre d’exemple, le comité des rémunérations
36
instauré pour définir
la politique des rémunérations au sein de la SAS n’a tenu sa première réunion qu’en
octobre 2022.
2.2.2.6
Des enjeux de sécurité majeurs : lutte contre la fraude, gestion des données
personnelles
La question de la fraude potentielle (comptes utilisateurs ou comptes offreurs) a été prise
au sérieux par la SAS, qui dispose d’une équipe dédiée sur le sujet.
L’activité de la SAS implique une vigilance toute particulière en matière de protection
des données et de respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Si
des mesures de protection ont été prises pour sécuriser la collecte de données personnelles et
des analyses d’impact menées dès février 2019, la mise en conformité des activités est passée
par la nomination d’un délégué à la protection des données, la réalisation d’un bilan de
conformité et d’actions correctives subséquente.
Un changement d’hébergeur au sein de l’Union européenne a eu lieu en 2021 vers
Google Cloud Platform après étude de la conformité de l’hébergement des données, mais
un projet de migration vers un cloud contrôlé par un opérateur de sécurité français est en cours
d’étude.
En 2022, un juriste spécialisé sur la protection des données a été recruté et un nouvel
audit de conformité au RGPD lancé, tandis que les équipes SI étaient renforcées avec
le recrutement d’un responsable de la sécurité des systèmes d'information chargé de garantir
la sécurité de la plateforme et la protection des données, au moyen notamment de tests de
sécurité et de l’adoption d’une politique de sécurité des systèmes d’information.
35
Selon la SAS, cette fonction se structure autour de six thématiques dans le cadre d’un plan d’action
2021-2023 : la définition d’une politique de marque employeur et de recrutement, la gestion des carrières, emplois
et compétences, la politique de rémunération, le dialogue social, la santé et la sécurité au travail, le respect du
cadre réglementaire et l’administration du personnel.
36
Le comité des rémunérations est composé des membres suivants : un représentant de l’État (ministère
de la culture), un représentant de la Caisse des dépôts, le contrôleur économique et financier, un représentant de la
direction du budget, la présidente du comité stratégique et, pour la SAS Pass Culture, son président, la secrétaire
générale et le responsable des ressources humaines.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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40
L’homologation de la SAS au titre du référentiel général de sécurité de l’Agence nationale de
la sécurité des systèmes d’information à été obtenue le 6 janvier 2023.
Ce sujet, majeur dans un contexte de cybercriminalité aux moyens toujours croissants,
doit faire l’objet d’une vigilance soutenue et maintenue de la SAS compte tenu de la sensibilité
particulière des bases de données de la population éligible dont elle assure le traitement.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
Œ
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41
CONCLUSION
Le dispositif du Pass Culture constitue une approche des politiques publiques novatrice,
inspirée de plusieurs expériences à l’étranger (Italie notamment) et en région, et qui semble
essaimer dans d’autres pays puisque le ministère de la culture allemand a annoncé la création
d’un KulturPass (crédit de 200
dès juin 2023 pour les jeunes de 18 ans, avec un budget initial
de 100 M
) et noué des relations avec la société Pass Culture dans le cadre d’une lettre
d’intention de coopération qui pourrait déboucher sur l’accompagnement dans la construction
d’une plateforme. Le ministère de la culture du Québec a lui aussi annoncé le lancement
d’un passeport culturel (4,2 M
prévus pour son développement en 2023 et 2024).
S’il est trop tôt pour l’évaluer de manière transversale, il importe de bien distinguer
le bilan qui peut être dressé de la phase de préfiguration, laquelle témoigne d’une gouvernance
problématique du projet, et la situation actuelle, qui présente des éléments de réassurance
importants et appelle une consolidation sur un certain nombre d’aspects afin d’assurer
le succès du dispositif.
Pour l’avenir, la SAS Pass Culture hérite de cette histoire compliquée et se trouve
confrontée à une série de défis juridiques et humains, auxquels elle ne pourra répondre qu’à
condition de s’inscrire dans une trajectoire de long terme qui implique à minima son inscription
sur la liste des opérateurs de l’Etat.
Toutefois, au-delà des seuls aspects administratifs et financiers, un certain nombre
d’arbitrages devront être opérés en fonction des premiers éléments d’analyse de l’impact
concret du Pass sur les pratiques culturelles, sans qu’il soit nécessaire d’attendre des
évaluations complètes de cohorte. Représentant une part substantielle du budget du ministère
de la culture, le dispositif appelle une vigilance toute particulière des pouvoirs publics afin de
s’assurer qu’il atteint des objectifs non seulement quantitatifs mais qualitatifs.
L’extension aux 15-17 ans qui a multiplié par quatre le public cible et la mise en place
de la part collective de la 6
ème
à la terminale ont constitué des bouleversements majeurs,
en termes d’organisation et de volumes comme en termes de conception du Pass, désormais
relié organiquement aux établissements scolaires pour participer à la mise en
œ
uvre des crédits
d’éducation artistique et culturelle.
Les 45 M
prévus en LFI 2022
37
pour le Pass Culture sont venus s’ajouter aux 12,5 M
de crédits par ailleurs ouverts pour l’éducation artistique et culturelle (EAC) sur les
programmes de l’Education nationale
38
. Il s’agit donc, en matière d’EAC, d’une croissance
spectaculaire des crédits dédiés, qui a été accompagnée par l’élaboration d’un « Vademecum
37
Dont seule une partie a été versée, avec des crédits versés de l’ordre de 18 M
qui feront l’objet d’un
report partiel et une consommation sur l’exercice 2022 de l’ordre de 6 M
pour l’année scolaire 21/22 et 8,7M
pour l’année 22/23 (chiffres au 24 octobre 2022).
38
Sur le programme P140 Enseignement scolaire public du premier degré pour environ 2,5 M
, le
programme P141 Enseignement scolaire public du second degré pour environ 3,5 M
, le programme P230 Vie de
l’élève hors Pass Culture, parcours d’éducation artistique et culturelle pour environ 6,5 M
. Il existe par ailleurs
un « Fonds de soutien au développement des activités périscolaires » qui peut financer des activités d’EAC. On
trouve aussi des crédits d’éducation artistique et culturelle, hors Pass Culture, inscrits sur l’action 2 du programme
361 Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, au sein de la mission Culture, à hauteur de 104,4
M
en CP (et de 70,9 M
en CP pour la participation de tous à la vie culturelle).
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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de la part collective » destiné aux rectorats, enseignants et élèves, mis en ligne en octobre 2022
et très complet. Toutefois, il n’existe pas à ce stade de vision budgétaire consolidée de
l’ensemble des fonds dédiés à l’EAC et de leur évolution dans le temps tous ministères
confondus.
Les premières statistiques sur l’utilisation de cette part collective sont encourageantes
avec plus de 30 000 offres publiées sur l’outil ADAGE, plus de 13 000 réservations engagées,
et 500 000 élèves concernés sur janvier à juin 2022, soit 37 % des établissements publics
français ayant préréservé ou réservé une offre collective. Pour l’année scolaire 2022-2023,
les taux de croissance extrêmement importants (93 500 offres actives à fin 2022, 1,1M d’élèves
concernés et 67 % des établissements ayant engagé au moins une action collective, pour
un montant moyen de réservation par élève de 12,55
) laissent présager un recours beaucoup
plus massif encore au Pass. Les établissements gérés par les ministères des Armées, de la Mer
et de l’Agriculture paraissent moins engagés à ce stade (avec un pourcentage d’établissements
sur l’année 2021/22 respectivement à 17 %, 8 % et 2 % qui pourrait cependant
considérablement évoluer dès 2022/23).
Reste qu’un risque a été identifié à ce stade, tant par le comité stratégique que par
le ministère, concernant l’équité territoriale du recours au Pass : la question de la prise en
charge des frais de transport permettant d’amener les élèves dans un lieu de culture pourrait
représenter un frein au déploiement du Pass dans les zones les moins bien desservies. C’est sur
ce plan notamment que l’articulation avec les autres dispositifs de soutien à la culture et à
la jeunesse devrait être améliorée, des partenariats étant envisageables pour qu’une région ou
un département prenne par exemple en charge le transport. Des solutions, encore à l’étude,
mériteront d’être arbitrées en fonction d’une première analyse liée à une cartographie précise
des taux d’utilisation de la part collective. La Cour prend acte à ce titre de la concertation
initiée avec les parties prenantes sur les enjeux de mobilité.
Enfin, le travail d’éditorialisation, lié à des choix non seulement économiques, mais de
politique publique, doit faire l’objet de réflexions approfondies au niveau du comité
stratégique, avec la contribution du ministère de la culture. En ce sens, la future évaluation
globale du dispositif, à laquelle la Cour n’exclut pas de participer, devrait aller au-delà de
la seule efficacité mesurée par le nombre de bénéficiaires actifs en explorant des éléments
relatifs à l’efficience et à la performance du dispositif, concernant par exemple la réalité de
la croissance et de la diversification des pratiques culturelles, les effets d’aubaine potentiels et
l’articulation avec les autres politiques de gratuité du ministère.
Dès la création du dispositif et jusqu’à présent, les discussions ont été riches au sein
des différents comités de suivi pour parvenir à des consensus sur la nature des biens et activités
éligibles au Pass, déterminés par voie réglementaire (arrêtés du 6 novembre 2021 et
du 20 septembre 2022). Il importerait de mieux connaître encore les pratiques culturelles
numériques et de les confronter à la conception de l’algorithme de présentation et de
recommandation de la plateforme. Souvent évoquée publiquement, la question de l’utilisation
du Pass pour l’achat de telle ou telle catégorie de biens doit être traitée avec des nuances, en
considération de différents facteurs, parmi lesquels la familiarisation avec l’environnement
culturel que suscite le simple fait d’avoir à se déplacer en librairie, occasion de solliciter
les conseils du libraire.
Les études de notoriété et enquêtes de satisfaction indiquent que 93 % des jeunes de 15
à 19 ans ont entendu parler du Pass en janvier 2023. La relation qualitative avec les jeunes
bénéficiaires, explorée par exemple dans le cadre du programme des « ambassadeurs »
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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du Pass, doit être consolidée en relation avec toutes les catégories de médiateurs que
représentent les différents métiers de la culture et de l’enseignement. La démarche économique
du Pass Culture permettra d’autant plus l’accès à la culture, qu’elle sera accompagnée d’une
volonté de transmission pédagogique et d’une véritable appropriation de l’outil par l’ensemble
des acteurs du monde culturel, permettant d’inscrire le projet du Pass dans une approche
partagée reliée aux choix de politique publique.
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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ANNEXES
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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45
Annexe n° 1.
Données relatives au Pass Culture
1.
Part individuelle
Graphique n° 1 :
Nombre de bénéficiaires cumulés
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
Carte n° 1 :
Taux de couverture du Pass 18 ans en 2022 :
Bénéficiaires (jeunes inscrits et crédités) rapportés à la population éligible
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
971 - Guadeloupe
66%
972 - Martinique
66%
973 - Guyane
22%
974 - La Réunion
62%
0
200 000
400 000
600 000
800 000
1 000 000
1 200 000
1 400 000
1 600 000
1 800 000
Nombre de bénéficiaires cumulé - 18 ans
Nombre de bénéficiaires cumulé - 15-17 ans
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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46
Carte n° 2 :
Taux d’utilisation du Pass 18 ans en 2022
(jeunes inscrits ayant fait au moins une réservation)
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
Carte n° 3 :
Nombre d’offreurs actifs par département (décembre 2022)
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
971 - Guadeloupe
39%
972 - Martinique
63%
973 - Guyane
70%
974 - La Réunion
50%
971 - Guadeloupe
65
972 - Martinique
49
973 - Guyane
130
974 - La Réunion
118
975 - St-Pierre-et-Miquelon
10
976 - Mayotte
24
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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47
Graphique n° 3 :
Montant moyen dépensé et nombre de réservations sur 12 mois,
selon le mois d’activation du Pass 18 ans
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
Carte n° 4 :
Montant moyen dépensé avec le Pass 18 ans, sur 12 mois fin 2022
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
971 - Guadeloupe
230
972 - Martinique
219
973 - Guyane
165
974 - La Réunion
188
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
-
50
100
150
200
250
300
févr.-19
mars-19
avr.-19
mai-19
juin-19
juil.-19
août-19
sept.-19
oct.-19
nov.-19
déc.-19
janv.-20
févr.-20
mars-20
avr.-20
mai-20
juin-20
juil.-20
août-20
sept.-20
oct.-20
nov.-20
déc.-20
janv.-21
févr.-21
mars-21
avr.-21
mai-21
juin-21
juil.-21
août-21
sept.-21
oct.-21
nov.-21
déc.-21
Nombre de réservations moyen sur 12 mois
Montant moyen dépensé sur 12 mois
LE PASS CULTURE : CRÉATION ET MISE EN
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LIVRE 52%
CINEMA 18%
INSTRUMENT 10%
MUSIQUE_ENREGISTREE 5%
MUSIQUE_LIVE 5%
FILM 3%
BEAUX_ARTS 2%
JEU 2%
SPECTACLE 1%
MUSEE 1%
PRATIQUE_ART 1%
Graphique n° 4 :
Répartition du montant total des dépenses, par catégorie
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
2.
Part collective
Au 31 décembre 2022, le montant moyen des réservations par élève est de 12,55
. La proportion
d’établissements ayant engagé au moins une action collective est de 67%.
Graphique n° 5 :
Part des réservations par catégorie – Part collective (cumul au 31.12.2022)
Source : Cour des comptes, à partir des données de la métabase Pass Culture
SPECTACLE_REPRESENTATION 38%
SEANCE_CINE 21%
ATELIER_PRATIQUE_ART 13%
VISITE_GUIDEE 11%
VISITE 3%
FESTIVAL_CINE 3%
RENCONTRE 3%
CONFERENCE 3%
EVENEMENT_PATRIMOINE 2%
CONCERT 2%
EVENEMENT_CINE 1%
FESTIVAL_SPECTACLE