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CHAMBRE DU CONTENTIEUX
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Troisième section
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Arrêt n° S-2023-0858
Audience publique du 20 juin 2023
Prononcé du 10 juillet 2023
CENTRE HOSPITALIER SAINTE-MARIE
À MARIE-GALANTE
(GUADELOUPE)
Affaire n° 882
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
du 4 novembre 1950 et ses protocoles additionnels, dite Convention européenne des droits
de l’homme ;
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment
son article 8 ;
Vu le code civil ;
Vu le code des juridictions financières (CJF) ;
Vu le code de justice administrative (CJA) ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État,
les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière
administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;
Vu les articles 29 et 30 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime
de responsabilité financière des gestionnaires publics ;
Vu les II et III de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre
du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code
des juridictions financières ;
Vu la communication du 30 mars 2021, enregistrée le 12 avril 2021 au parquet général,
par laquelle Maître Jean-Luc MAILLOT, conseil de M. X, créancier au sens de l’article L. 314-
1
du
CJF
alors
applicable,
a
déféré
au
ministère
public
près
la
Cour
de discipline budgétaire et financière (CDBF) des faits relatifs à l’inexécution de décisions
de justice rendues en sa faveur, susceptibles de constituer des infractions sanctionnées
par cette juridiction ;
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Vu le réquisitoire introductif du 31 mars 2022 par lequel le ministère public près la CDBF
a saisi la juridiction de cette affaire ;
Vu la décision du 8 avril 2022 par laquelle le président de la CDBF a désigné
M. Nicolas TRONEL, président de tribunal administratif et de cour administrative d’appel,
en qualité de rapporteur de l’affaire ;
Vu la lettre recommandée du 17 mai 2022 de la procureure générale près la Cour
des comptes, ministère public près la CDBF, et l’avis de réception de cette lettre, par laquelle
a été mise en cause Mme Y, ancienne directrice du centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-
Galante, au regard des faits de l’espèce ;
Vu la lettre recommandée du 3 août 2022 de la procureure générale près la Cour des comptes,
ministère public près la CDBF, et l’avis de réception de cette lettre, par laquelle a été mis
en
cause
M. Z,
directeur
du
centre
hospitalier
Sainte-Marie
à
Marie-Galante,
au regard des faits de l’espèce ;
Vu la lettre du 7 septembre 2022 de Maître Ernest DANINTHE par laquelle il informe
que Maître Ariana RODRIGUES et lui-même assisteront M. Z ;
Vu la lettre recommandée du 14 octobre 2022 du procureur général près la Cour des comptes,
ministère public près la CDBF, par laquelle a été mise en cause Mme A, attachée
d’administration
au
centre
hospitalier
Sainte-Marie
à
Marie-Galante,
au
regard
des faits de l’espèce et la demande de notification à l’intéressée par huissier de justice
du 30 novembre 2022 ;
Vu le courriel du 16 décembre 2022 du greffe de la CDBF informant les parties
de la suppression de la CDBF et du transfert de l’affaire à la Cour des comptes en application
des dispositions législatives et réglementaires susvisées ;
Vu le rapport d’instruction enregistré au greffe de la CDBF le 23 décembre 2022 et les courriels
du 23 décembre 2022 informant les parties du dépôt du rapport d’instruction ;
Vu la communication le 23 décembre 2022 du dossier de l’affaire au ministère public près
la CDBF, conformément aux dispositions de l’article L. 314-6 du CJF alors applicable ;
Vu la décision du 8 février 2023 du procureur général près la Cour des comptes renvoyant
Mme Y,
Mme A
et
M. Z
devant
ladite
Cour,
reçue
au
greffe
de la chambre du contentieux le 9 février 2023 ;
Vu
la
notification
de
la
décision
de
renvoi
le
10 février 2023
à
Mme Y,
à Mme A et à M. Z ainsi qu’à son conseil ;
Vu la convocation des personnes renvoyées à l’audience publique du 11 mai 2023, notifiée
aux intéressés le 6 mars 2023 ;
Vu la signification par acte de commissaire de justice le 10 mars 2023 de la convocation
à l’audience adressée à Mme A ;
Vu la demande de dispense d’audience de M. Z du 9 mars 2023 et la lettre en réponse du
président de la chambre du contentieux du 22 mars 2023 le dispensant de se présenter
en personne à l’audience ;
Vu
les
lettres
du
5 avril 2023
de
la
greffière
de
la
chambre
du
contentieux
à
Mme Y,
Mme A
et
M Z,
ainsi
qu’à
leurs
conseils,
notifiant
la nouvelle date d’audience fixée au 20 juin 2023 ;
Vu le mémoire produit le 5 avril 2023 par Maître DANINTHE dans l’intérêt de M. Z ;
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Vu la signification par acte de commissaire de justice le 14 avril 2023 de la lettre
du 5 avril 2023 adressée à Mme A ;
Vu
le
courriel
adressé
par
Mme A
au
greffe
de
la
chambre
du
contentieux
le 17 avril 2023 ;
Vu la lettre du 11 mai 2023 de la greffière de la chambre du contentieux adressée
à Mme Y lui notifiant, de nouveau, la nouvelle date de l’audience ;
Vu
la
demande
de
dispense
d’audience
de
Mme A,
adressée
au
greffe
de la chambre du contentieux le 14 juin 2023, accompagnée d’un certificat médical, et la lettre
en réponse du président de la chambre du contentieux du 15 juin 2023 la dispensant
de se présenter en personne à l’audience ;
Vu la lettre du 15 juin 2023, transmise et enregistrée au greffe le 16 juin 2023, par laquelle
Maître Charles NATHEY
informe
qu’il
défend
les
intérêts
de
Mmes A
et
Y,
courrier
par
lequel
il
précise
que
Maître Adoté BLIVI
le
substituera
à l’audience ;
Vu le mémoire produit le 15 juin 2023 par Maître NATHEY dans l’intérêt de Mme A ;
Vu le mémoire produit le 15 juin 2023 par Maître NATHEY dans l’intérêt de Mme Y ;
Vu
la
demande
d’exécution
du
jugement
n° 1200418
du
17 juin 2013
adressée
par Maître MAILLOT, conseil de M. X, le 19 juin 2023 au greffe du tribunal administratif de la
Martinique ;
Vu le mémoire adressé par Mme A à la chambre du contentieux le 19 juin 2023 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 20 juin 2023, M. Nicolas GROPER, avocat général,
en la présentation de la décision de renvoi et M. Serge BARICHARD, premier avocat général,
en ses réquisitions ;
Entendu
Maître Ariana RODRIGUES,
représentant
de
M. Z,
et
Maître Adoté BLIVI
représentant de Mmes A et Y, qui ont eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Philippe ALBRAND, premier conseiller de chambre régionale
des comptes, réviseur, en ses observations ;
Sur le transfert de l’affaire de la CDBF à la Cour des comptes
1. La CDBF a été saisie, par le réquisitoire introductif du 31 mars 2022, de faits relatifs
au centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante susceptibles de constituer des infractions
sanctionnées par cette juridiction.
2. Aux termes du II de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée : «
Les affaires
ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire
et financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date,
transmises à la Cour des comptes
». Le 1
er
alinéa de l’article 29 de cette ordonnance
fixe son entrée en vigueur au 1
er
janvier 2023. En conséquence, l’affaire relative au centre
hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante a été transmise à cette date à la Cour des comptes.
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3. Aux termes de l’article 11 du décret du 22 décembre 2022 susvisé : «
I. - Le présent décret
entre en vigueur le 1
er
janvier 2023. / II. - Les actes de procédure pris avant le 1
er
janvier 2023
pour les affaires transmises à la Cour des comptes en application de l’article 30
de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables devant celle-ci. Leur régularité
ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur des dispositions
de cette ordonnance et du présent décret
».
4. La présente affaire ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline
budgétaire et financière (CDBF) le 31 mars 2022, puis d’une instruction terminée
avant le 31 décembre 2022, et n’ayant pas été jugée par ladite CDBF au moment de l’entrée
en vigueur de l'ordonnance susvisée, elle est concernée par la règle de transmission à la Cour
des comptes prévue à l'article 30 de cette ordonnance.
Sur l’application de la loi dans le temps
5. Aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC)
du 26 août 1789 susvisée, «
La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée
antérieurement au délit, et légalement appliquée
».
6. Le 1
er
alinéa du I de l’article 29 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée fixe son entrée
en vigueur au 1
er
janvier 2023. Le régime de responsabilité des gestionnaires publics instauré
par cette ordonnance est de nature répressive, comme l’était le régime antérieur
de responsabilité, créé par la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 et codifié jusqu’au
31 décembre 2022 au titre 1
er
du livre III du CJF.
7. Les principes généraux du droit et du procès répressif sont donc applicables au présent
contentieux sous réserve des spécificités du système répressif de droit public financier. Ainsi,
si les règles édictées par l’ordonnance concernant la procédure et l’organisation
des juridictions sont d’application immédiate, la règle de la non-rétroactivité prévue par l’article
8 de la DDHC concernant les infractions s’impose à la Cour des comptes.
8. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) susvisée reconnaît également
le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, son article 7 stipulant que
«
Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été
commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même
il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction
a été commise
».
9. Toutefois, s’agissant des infractions, le justiciable est susceptible de se prévaloir
de l’application immédiate, au présent contentieux, des dispositions plus douces édictées
par l’ordonnance précitée. Ce principe à valeur constitutionnelle a été consacré par le Conseil
constitutionnel dans sa décision n° 80-127 du 20 janvier 1981, sur le fondement de l’article 8
précité de la DDHC.
Sur la compétence de la Cour des comptes
10. En application de l’article L. 312-1 du CJF, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022,
«
I.
-
Est justiciable de la Cour :
(...)
b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État,
des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements
des collectivités territoriales
(...) ». Ces dispositions, désormais codifiées à l’article L. 131-1
du CJF depuis le 1
er
janvier 2023, demeurent inchangées.
11. Il en résulte que Mme Y, Mme A et M. Z, en qualité d’agents d’un établissement public de
l’État, sont justiciables de la Cour.
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Sur la prescription
12. L’article L. 314-2 du CJF, applicable au moment du déféré, disposait que «
La Cour
[de discipline budgétaire et financière]
ne peut être saisie par le ministère public après
l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait
de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre.
/ L’enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, la mise
en cause telle que prévue à l’article L. 314-5, le procès-verbal d’audition des personnes mises
en cause ou des témoins, le dépôt du rapport du rapporteur, la décision de poursuivre
et la décision de renvoi interrompent la prescription prévue à l’alinéa précédent
».
13. Si les règles de prescription sont des règles de forme d’application immédiate, y compris
à des faits antérieurs, la nouvelle disposition codifiée à l’article L. 142-1-3 du CJF, qui dispose
que «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public après l’expiration
d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait susceptible
de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre Ier du titre III du présent livre
»,
ne modifie ni la durée de la prescription, ni ses actes interruptifs.
Sur la prescription des faits constitutifs d’une infraction au sens du 1° de l’article L. 131-
14 du CJF
14. S’agissant des faits qualifiables au titre de l’infraction prévue au 1° de l’article L. 131-14
du CJF, l’alinéa 2 de l’article R. 921-7 du CJA, applicable aux tribunaux administratifs,
prévoyait, au moment des faits, que «
Lorsqu’il est procédé à la liquidation de l’astreinte,
copie du jugement ou de l’arrêt prononçant l’astreinte et de la décision qui la liquide
est adressée au ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière
».
Depuis le 1
er
janvier 2023, les mots «
Cour de discipline budgétaire et financière
»
ont été remplacés par les mots «
Cour des comptes
» en application de l’article 2 du décret
n° 2022-1605 du 22 décembre 2022 portant application de l’ordonnance n° 2022-408
du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics
et modifiant diverses dispositions relatives aux comptables publics.
15. La communication de copies de jugements de liquidation d’astreintes ne constituant pas
un déféré au sens de l’article L. 142-1-1 du CJF, et cette disposition n’habilitant pas
le créancier à formuler un déféré pour des faits constitutifs d’une infraction au sens du 1°
de l’article L. 131-14 du même code, la date d’interruption de la prescription,
pour cette infraction, est celle de la date du réquisitoire introductif du 31 mars 2022.
La prescription est donc acquise pour tous les faits antérieurs au 31 mars 2017.
16. L’infraction prévue à l’article L. 313-7 du CJF dont les dispositions ont été reprises
au 1° de l’article L. 131-14 du même code est constituée par «
les agissements qui auront
entraîné
la condamnation d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit
privé chargé de la gestion d’un service public à une astreinte en raison de l’inexécution totale
ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice
»
.
Alors que les «
agissements
»
peuvent présenter un caractère continu, la condamnation à une astreinte est un événement
instantané. Dans le cadre d’un contentieux répressif, il convient de retenir l’interprétation
la plus favorable à la personne mise en cause et de prendre en compte pour l’examen
de la prescription prévue par les articles, anciennement L. 314-2, désormais L. 142-1-3
du CJF, la date du prononcé des décisions de justice condamnant à une astreinte
ou liquidation d’astreinte.
17. Les jugements n° 1700789 du 23 octobre 2018 et n° 2100569 du 7 juillet 2022 du tribunal
administratif de la Martinique (précédemment tribunal administratif de Fort-de-France)
ont prononcé la liquidation d'astreintes ; l’ensemble des faits relatifs à ces jugements
ne sont pas frappés de prescription.
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Sur la prescription des faits constitutifs d’une infraction au sens du 2° de l’article L. 131-
14 du CJF
18. Aux termes de l’article L. 142-1-1 du CJF : «
Ont qualité pour déférer au ministère public
près la Cour des comptes des faits susceptibles de constituer des infractions
(...)
12° Les créanciers pour les faits mentionnés au 2° de l’article L. 131-14
».
19. S’agissant des sommes dues par le centre hospitalier Sainte-Marie à M. X,
la date d’interruption de la prescription est celle de l’enregistrement au ministère public
du déféré susvisé du créancier, en l’espèce le 12 avril 2021. Les irrégularités postérieures
au 12 avril 2016 ne sont donc pas couvertes par la prescription.
20. S’agissant des sommes dues par le centre hospitalier Sainte-Marie à l’État, en l’absence
de déféré du créancier, la date d’interruption de la prescription est celle du réquisitoire
introductif du 31 mars 2022. Les irrégularités postérieures au 31 mars 2017 ne sont donc pas
couvertes par la prescription.
21. En tout état de cause, tant que dure l’inexécution d’une décision de justice condamnant
au paiement d’une somme d’argent, l’absence de mandatement de ladite somme
mise à la charge de la personne publique par la décision juridictionnelle est susceptible
de constituer une infraction continue. La date à prendre en compte pour l’examen
de la prescription prévue par les articles, anciennement L. 314-2, désormais L. 142-1-3
du CJF, est donc, non le fait générateur de l’irrégularité, mais le moment où celle-ci prend fin.
Sur les faits pris en considération pour l’appréciation des circonstances
22. Pour l’appréciation des circonstances, il ressort du caractère continu des faits qu’ils soient
considérés jusqu’au moment où ils prennent fin.
23. Il résulte de ce qui précède que les règles de prescription sont d’interprétation stricte
en ce qui concerne les décisions de justice en cause au titre de l’article L. 131-14 du CJF,
l’appréciation des circonstances pouvant cependant inclure des faits survenus en période
prescrite mais ayant produit un effet continu en période non prescrite.
Sur le droit applicable à l’ensemble des faits
24. Aux termes de l’article L. 911-4 du CJA : «
En cas d’inexécution d’un jugement
ou d’un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue,
d’en assurer l’exécution. / Si le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est demandée n’a pas
défini les mesures d’exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer
un délai d’exécution et prononcer une astreinte
». Selon l’article L. 911-6 du même code,
«
L’astreinte est provisoire ou définitive. Elle doit être considérée comme provisoire à moins
que la juridiction n’ait précisé son caractère définitif. Elle est indépendante des dommages
et intérêts
». Aux termes de l’article L. 911-7 du même code : «
En cas d’inexécution totale
ou partielle ou d’exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l’astreinte
qu’elle avait prononcée. / Sauf s’il est établi que l’inexécution de la décision provient d’un cas
fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l’astreinte définitive
lors de sa liquidation. / Elle peut modérer ou supprimer l’astreinte provisoire, même en cas
d’inexécution constatée
». Selon l’article L. 911-8 du même code, «
La juridiction peut décider
qu’une part de l’astreinte ne sera pas versée au requérant. / Cette part est affectée au budget
de l’État
».
25. Aux termes de l’article L. 761-1 du CJA, «
Dans toutes les instances, le juge condamne
la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme
qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens
»
.
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26. Aux termes de l’article 1231-7 du code civil : «
En toute matière, la condamnation
à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande
ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent
à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement
» ; aux termes
de l’article L. 313-3 du code monétaire
et financier : «
En cas de condamnation pécuniaire
par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration
d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire,
fût-ce par provision
». Il résulte de ces dispositions que tout jugement prononçant
une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts du jour de son prononcé,
au taux légal, puis au taux majoré s’il n’est pas exécuté dans les deux mois suivant
sa notification, jusqu’à son exécution, soit, en application du II de l’article 1
er
de la loi du 16 juillet 1980 susvisée, jusqu’à la date à laquelle l’indemnité est mandatée
ou ordonnancée, sous réserve d’un délai anormalement long entre le mandatement
et le paiement effectif.
27. M. X, ancien directeur du centre hospitalier Sainte-Marie, a saisi le tribunal administratif de
Fort-de-France par une requête enregistrée le 7 mai 2012.
28. Par cette requête, M. X demandait au tribunal d’annuler la décision implicite par laquelle
la
directrice
par
intérim
du
centre
hospitalier
avait
rejeté
sa
«
demande
de reconnaissance de l’imputabilité au service de la maladie dont il est atteint
».
29. Par un jugement n° 1200418 du 17 juin 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France
a considéré que «
le refus implicite opposé à M. X de reconnaître l’imputabilité
au service de sa maladie n’a pas été précédé de l’avis de la commission de réforme ;
que, compte tenu de ce qui vient d’être dit, la décision attaquée doit, en tout état de cause,
être annulée
».
30. Par ce même jugement, le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné le centre
hospitalier
Sainte-Marie
au
paiement
d’une
somme
de
100 euros
à
M. X
au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
Sur les agissements ayant entraîné la condamnation du centre hospitalier Sainte-Marie
à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive
d’une décision de justice (1° de l’article L. 131-14 du CJF)
Sur les faits antérieurs au 31 mars 2017
31. Par une lettre enregistrée le 13 mars 2014, M. X a saisi le tribunal administratif de la
Martinique en vue de la fixation de mesures d’exécution du jugement n° 1200418
du 17 juin 2013.
32. Par un jugement n° 1400461 du 21 mars 2016, le tribunal administratif de la Martinique
a constaté que le jugement n° 1200418 n’était toujours pas exécuté et a, en conséquence,
prononcé une astreinte à l’encontre du centre hospitalier Sainte-Marie fixée à 30 euros
par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois suivant la notification
du jugement.
33. Par ce même jugement, le tribunal administratif de la Martinique a également condamné
le centre hospitalier à verser à M. X une somme de 100 euros au titre de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative.
34. Par un mémoire enregistré le 14 février 2017, M. X a informé le tribunal administratif de la
Martinique que le jugement n° 1200418 du 17 juin 2013 n’avait toujours pas reçu de début
d’exécution.
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Sur les faits postérieurs au 31 mars 2017
35. Par un jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de la Martinique
a considéré que ce défaut d’exécution justifiait la liquidation de l’astreinte prononcée
par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016, notifié le 12 mai 2016, pour la période
du 12 mai 2016 au 23 octobre 2018, et a condamné le centre hospitalier au paiement
des sommes de 14 410 euros à l’État et de 14 410 euros à M.
X.
36. Par un courrier enregistré le 7 avril 2021, M. X a présenté devant le tribunal administratif
de
la
Martinique
une
nouvelle
demande
d’exécution
du
jugement
n° 1200418
du 17 juin 2013.
37. Par un jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de la Martinique
a condamné le centre hospitalier à payer les sommes de 30 420 euros à l’État
et de 10 140 euros à M. X en liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461
du 21 mars 2016 pour la période du 24 octobre 2018 au 7 juillet 2022.
38. Par ce même jugement, le tribunal a également condamné le centre hospitalier à verser
à M. X la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
Sur le droit applicable
39. Aux termes de l’article L. 131-14 du CJF (anciennement articles L. 313-7 et L. 313-12) :
«
Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4
est passible des sanctions prévues
à la section 3 : / 1° Lorsque ses agissements entraînent la condamnation d’une personne
morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public
à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive
d’une décision de justice
(…) ». Il résulte de ces dispositions que
la simple condamnation
à une astreinte suffit à caractériser l’infraction.
40. Seule l’hypothèse du prononcé d’une injonction sous astreinte concomitante au prononcé
de la décision juridictionnelle ne serait pas constitutive d’une infraction au sens du 1° de l’article
L. 131-14 du CJF. En effet, à ce stade, aucune inexécution n’est, par définition, intervenue.
Ce n’est pas le cas en l’espèce car la première astreinte prononcée le 21 mars 2016
sanctionne l’inexécution du jugement du 17 juin 2013 et les jugements de liquidation
d’astreintes prononcés le 23 octobre 2018 et le 7 juillet 2022 sanctionnent respectivement
l’inexécution des décisions des jugements des 21 mars 2016 et 23 octobre 2018.
Sur la qualification juridique
41. En raison de l’inexécution de décisions de justice antérieures, le centre hospitalier
Sainte-Marie a été soumis, depuis la prescription intervenue le 31 mars 2017, à deux décisions
de liquidation d’astreintes prononcées les 23 octobre 2018 et 7 juillet 2022 pour un montant
total de 69 380 euros (24 550 euros au profit de M. X et 44 830 euros au profit
de l’État).
Sur l’imputation des responsabilités
42. Mme Y, a assuré la direction du centre hospitalier Sainte-Marie du 16 août 2012 jusqu’en
mars 2021, date de la fin effective de ses fonctions avant son départ en retraite
au 1
er
septembre 2021.
43. M. Z
a
assuré
l’intérim
de
la
direction
du
centre
hospitalier
à
compter
du 8 mars 2021 jusqu’à sa nomination en qualité de directeur à compter du 4 janvier 2022 ;
fonctions qui ont pris fin à compter du 16 février 2023.
Arrêt n° S-2023-0858
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44. Les infractions prévues au 1° de l’article L. 131-14 du CJF, qui se sont produites durant
la période où Mme Y puis M. Z assuraient la direction de l’établissement peuvent donc leur
être imputées en qualité d’ordonnateurs du centre hospitalier Sainte-Marie en application du
1° de l’article L. 131-4 du CJF en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023, article qui reprend les
dispositions définies antérieurement à cette date à l’article L. 312-2 du CJF.
45. Mme A, attachée d’administration hospitalière, était chargée jusqu’au 15 mai 2022, date à
partir
de
laquelle
elle
a
été
placée
en
congé
de
maladie
puis
en
congé
de longue maladie, des affaires générales et de la qualité, fonctions comportant notamment
le suivi des dossiers contentieux ; dès lors les infractions prévues au 1° de l’article L. 131-14
du CJF qui se sont produites durant la période où elle exerçait ses fonctions peuvent
également lui être imputées.
Sur le défaut de mandatement dans les deux mois de sommes auxquelles le centre
hospitalier a été condamné par décision juridictionnelle (2° de l’article L. 131-14 du CJF)
Sur les faits antérieurs au 12 avril 2016
46. Par un premier jugement du 17 juin 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France
a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie au paiement d’une somme de 100 euros,
à verser à M. X au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
47. Par un deuxième jugement du 21 mars 2016, le tribunal administratif de la Martinique
a prononcé une astreinte à l’encontre du centre hospitalier et a également condamné
l’établissement à verser à M. X une somme de 100 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
Sur les faits postérieurs au 12 avril 2016
48. Par un jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de la Martinique
a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie à payer les sommes de 14 410 euros à l’État,
et
de
14 410 euros
à
M.
X,
en
liquidation
de
l’astreinte
prononcée
par le jugement n° 1400461 du 21 mars 2016
.
49. Par un jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de la Martinique
a condamné le centre hospitalier Sainte-Marie à payer les sommes de 30 420 euros à l’État
et de 10 140 euros à M. X, en liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement n° 1400461
du 21 mars 2016 ; ce même jugement a également condamné le centre hospitalier à verser la
somme de 1 500 euros à M. X au titre de l’article L. 761-1 du CJA.
50. Les condamnations pécuniaires, liquidation d’astreinte et frais irrépétibles, prononcées
par le jugement n° 2100569 du 7 juillet 2022, ont été mandatées, en ce qui concerne M. X, le
2 août 2022, moins d’un mois après la notification du jugement.
51. La part de la liquidation d’astreinte prononcée par le jugement n° 1700789
du 23 octobre 2018 revenant à M. X n’a, elle, été mandatée que le 2 août 2022, soit plus de
3 ans et 9 mois après la notification du jugement.
52. Aucun élément au dossier ne permet de déterminer si les parts des liquidations d’astreintes
dues à l’État ont été mandatées au jour de l’audience publique, dès lors que les seuls dires
de M. Z du 20 septembre 2022, selon lesquels la procédure de mandatement était
« en cours », n’ont été assortis de la production d’aucune pièce justificative.
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Sur le droit applicable
53. Selon les dispositions de l’article L. 131-14 du CJF (anciens articles L. 313-7 et L. 313-12),
tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 du même code est passible
des sanctions prévues à la section 3 de ce code « (…)
2° En cas de manquement
aux dispositions des I et II de l’article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative
aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements
par les personnes
». Ces dispositions prévoient que lorsqu’une décision juridictionnelle passée
en force de chose jugée a condamné une collectivité locale au paiement d’une somme d’argent
dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée
ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision
de justice. À défaut de mandatement ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant
de l’État dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office.
Sur la qualification juridique
54. Il résulte de l’instruction que le centre hospitalier Sainte-Marie n’a pas procédé
au
mandatement
des
sommes
dues
en
application
du
jugement
n° 1700789
du 23 octobre 2018, dans le délai de deux mois, prévu par la loi du 16 juillet 1980 susvisée.
Sur l’imputation des responsabilités
55. Mme Y dirigeait l’établissement jusqu’en mars 2021. Étant donné sa qualité d’ordonnateur
du
centre
hospitalier,
les
infractions
prévues
au
2°
de
l’article
L. 131-14,
ancien L. 313-12 du CJF, qui se sont produites sous sa gestion peuvent lui être imputées
en application du 1° de l’article L. 131-4 du CJF en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023,
article qui reprend les dispositions définies antérieurement à cette date à l’article L. 312-2
du même code.
56. M. Z a dirigé l’établissement du 8 mars 2021 au 16 février 2023. Étant donné
sa qualité d’ordonnateur du centre hospitalier, les infractions prévues au 2° de l’article
L. 131-14, ancien L. 313-12 du CJF, qui se sont produites sous sa gestion peuvent lui être
imputées en application du 1° de l’article L. 131-4 du CJF en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023,
article qui reprend les dispositions définies antérieurement à cette date à l’article L. 312-2
du même code.
57. Mme A
était
chargée
du
suivi
du
contentieux
mais
non
de
l’exécution
du mandatement, comme en atteste la délégation de signature dont elle bénéficiait à compter
du 27 janvier 2021 «
pour signer tous les documents relatifs à la qualité, à l’exception
des documents financiers
». Il en résulte que, si l’infraction prévue au 1° de l’article L. 131-14
du CJF est susceptible de lui être imputée, en revanche, celle prévue au 2° du même article,
relative
au
défaut
de
mandatement
ou
d’ordonnancement
des
sommes
dues
par l’établissement en raison des condamnations au paiement d’astreintes, ne peut pas lui être
imputée.
Sur les circonstances aggravantes ou atténuantes de responsabilité
En ce qui concerne Mme Y
58. Le mémoire en défense adressé par le conseil de Mme Y soutient que l’inertie de sa cliente
est une hypothèse avancée sans aucune preuve ; or il résulte de l’instruction
que c’est bien l’absence d’exécution du jugement n° 1200418 du 17 juin 2013 qui est à l’origine
des astreintes prononcées à l’encontre du centre hospitalier Sainte-Marie le 21 mars 2016 ;
c’est, par la suite, le non-paiement de ces astreintes qui a entraîné leur liquidation prononcée
par jugement du 23 octobre 2018 ; enfin, c’est l’inexécution du jugement du 23 octobre 2018
qui a entraîné une nouvelle liquidation d’astreinte prononcée par le jugement du 7 juillet 2022.
L’astreinte constitue une mesure de contrainte entièrement distincte des dommages-intérêts,
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qui vise à vaincre la résistance opposée à l’exécution d’un jugement. La condamnation
au versement d’astreintes, puis leur liquidation, prononcées par le tribunal administratif
de la Martinique, devaient donc conduire Mme Y à faire preuve, lorsqu’elle assurait la direction
de l’établissement, d’un comportement plus diligent et respectueux des décisions de justice.
59. Le mémoire en défense soutient également que «
Le fait de demander à un Tribunal
de vérifier le caractère professionnel d’une maladie ne saurait être assimilé à une faute
imputable voire à une inertie
» ; les poursuites engagées à l’encontre de Mme Y
sur la base de l’article L. 131-14 du CJF ne portent pas sur la reconnaissance
ou non du caractère professionnel de la maladie de M. X mais sur la seule inexécution de
décisions
de
justice
ayant
entraîné
la
liquidation
d’astreintes
et
le
prononcé
de frais irrépétibles par le tribunal administratif de la Martinique.
60. Selon
le
conseil
de
Mme Y,
«
l’inexécution
des
décisions
indiquées
est essentiellement due à une situation financière désastreuse de l’établissement
» ;
cet argument ne peut pas être retenu en l’espèce car il ne saurait constituer une cause
d’exemption de l’obligation d’exécution de décisions de justice ayant force de chose jugée,
surtout pendant une période aussi longue ; en outre il peut être constaté que les sommes dues
à M. X ont finalement été mandatées sur l’exercice 2022, bien que l’établissement ait dégagé
cette année-là un résultat net déficitaire.
61. Enfin,
le
mémoire
en
défense
mentionne
que
«
Monsieur X
a
été
rempli
de ses droits de sorte qu’aucun trouble à l’ordre public financier n’existe en l’espèce
».
Toutefois, par courrier daté du 19 juin 2023, M. X a de nouveau saisi le tribunal administratif
de la Martinique au motif que le jugement du 17 juin 2013, qui a annulé la décision de refus
de reconnaître l’imputabilité au service de sa maladie, n’a toujours pas été exécuté. Cette
situation expose l’établissement public au prononcé de nouvelles liquidations d’astreintes.
62. Le paiement des astreintes et frais irrépétibles dus à M. X n’est intervenu qu’en août 2022,
alors
que
Mme Y
n’était
plus
directrice
du
centre
hospitalier ;
mais le retard réitéré à exécuter les décisions de justice antérieures est à l’origine
de la liquidation d’astreintes par le tribunal administratif de la Martinique, ce qui a engendré
des charges supplémentaires pour l’établissement de santé.
63. En sa qualité de directrice du centre hospitalier du mois d’août 2012 à mars 2021, Mme Y
n’a
pas
pris
les
mesures
nécessaires
pour
procéder
à
l’exécution
du jugement n° 1200418 du 17 juin 2013. Il lui incombait, en effet, en sa qualité de supérieure
hiérarchique, de surveiller la bonne exécution par ses services des décisions de justice
concernant le centre hospitalier.
64. Son inaction a conduit le tribunal administratif de la Martinique à prononcer des astreintes
puis à liquider ces astreintes. Or
,
Mme Y n’a procédé à aucun mandatement
des sommes dues par le centre hospitalier dans le cadre du litige qui l’opposait
à
M. X,
en
dépit
des
décisions
juridictionnelles
intervenues
et
ce
pendant
toute la durée au cours de laquelle elle a exercé les fonctions d’ordonnateur, soit plus de huit
ans, ce qui constitue une circonstance aggravante.
En ce qui concerne M. Z
65. En sa qualité de directeur par intérim à compter du 8 mars 2021, puis de directeur
du centre hospitalier Sainte-Marie à compter du 4 janvier 2022, M. Z n’a pas pris
immédiatement les mesures nécessaires pour exécuter les décisions de justice concernant
M. X, en particulier celles découlant du jugement n° 1700789 du 23 octobre 2018, ce malgré
deux relances du ministère public près la CDBF des 4 mai et 29 septembre 2021.
66. M. Z a indiqué qu’il avait transmis les courriers de la procureure générale près
la Cour des comptes à Mme A, cadre chargé des affaires générales, pour suites
à donner ; toutefois, cet agent n’était pas ordonnateur des dépenses de l’établissement ;
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il incombait en outre à M. Z, en sa qualité de supérieur hiérarchique, de surveiller
la bonne exécution par ses services des instructions qu’il pouvait leur donner.
67. M. Z indique avoir donné l’ordre à la responsable des affaires générales, Mme A, de valider
le paiement des sommes dues à M. X, en décembre 2021 ; un échange de courriels daté du
9 décembre 2021
l’atteste
mais
M. Z
écrit
à cette occasion qu’il valide le paiement
« si le budget le permet et surtout la trésorerie
» ;
aucun élément produit n’explique pour quels motifs ce paiement n’a pas été réalisé
avant le 2 août 2022.
68. Le mandatement des sommes dues à M. X n’est intervenu que le 2 août 2022, sur
injonction du directeur de l’agence régionale de santé Guadeloupe, Saint-Martin,
Saint-Barthélemy, datée du 13 juillet 2022. Si le paiement était intervenu dans un délai plus
rapide, cela aurait pu atténuer le montant de la condamnation prononcée par le jugement
n° 2100569 du 7 juillet 2022.
69. En outre, selon le courrier du 19 juin 2023 adressé par le conseil de M. X
au greffe du tribunal administratif de la Martinique, le jugement du 17 juin 2013, qui a annulé
la décision de refus de reconnaître l’imputabilité au service de sa maladie, n’aurait, dix ans
plus tard, toujours pas été exécuté. Cette situation expose l’établissement public au paiement
de nouvelles astreintes.
70. Cependant M. Z a pris la direction de l’établissement en mars 2021 ; Il s’agissait
de fonctions nouvelles pour lui, qui, en outre, impliquaient l’exercice de la responsabilité
de deux établissements médicaux-sociaux situés dans des communes différentes. Cette prise
de fonctions est intervenue dans un contexte difficile marqué par la crise sanitaire liée
à l’épidémie de covid 19. Si M. Z soutient que la crise sanitaire doit être regardée comme un
élément
de
force
majeure
susceptible
de
l’exonérer
de
sa
responsabilité,
cet élément ne peut toutefois être retenu, ni au regard de la définition de la force majeure, ni,
en tout état de cause, pour toute la période considérée. Cependant, l’état d’urgence sanitaire
ayant été prorogé à plusieurs reprises sur le territoire de la Guadeloupe et ayant
particulièrement touché l’organisation des services hospitaliers, cette situation exceptionnelle
constitue une circonstance atténuante.
71. Le jugement du 7 juillet 2022 liquide l’astreinte pour la période écoulée depuis le précédent
jugement de liquidation du 23 octobre 2018 ; il est certes intervenu sous la gestion
de M. Z mais ce dernier n’est responsable de cette inexécution qu’à compter de sa prise de
fonctions, intervenue le 8 mars 2021.
72. Il résulte de l’instruction que, malgré un contexte difficile, M. Z a procédé
au
paiement
des
sommes
dues
à
M. X
par
mandat
du
2 août 2022,
certes
un an et demi après son entrée en fonctions, mais moins d’un mois après le jugement
du 7 juillet 2022 prononcé par le tribunal administratif de la Martinique.
En ce qui concerne Mme A
73. Mme A,
en
sa
qualité
d’attachée
d’administration
hospitalière
chargée
des affaires générales, a suivi les dossiers contentieux jusqu’au 15 mai 2022, agissant
sous la responsabilité et la surveillance des deux directeurs qui se sont succédé durant
la période considérée.
Arrêt n° S-2023-0858
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74. Dans son mémoire adressé le 19 juin 2023, Mme A indique que la mission
qui lui était confiée par la direction «
était de faire la synthèse des éléments de litiges
administratifs des dossiers en cours »
, qu’elle n’était pas responsable des affaires juridiques
et qu’elle assumait «
une mission transversale de suivi des dossiers contentieux en lien
avec l’avocat et sous couvert des lignes directrices fixées par le ou les directeur(s)
».
75. Mme A ajoute qu’elle appliquait et traitait les décisions administratives «
comme
[sa]
direction
[le lui]
demandait
». Elle souligne que, compte tenu de la position administrative de
M. X,
ancien
directeur
alors
rattaché
au
centre
national
de gestion, la direction de l’établissement avait «
fait le choix de ne pas traiter directement
le dossier
». Cependant, en raison des responsabilités inhérentes à son grade et aux fonctions
qu’elle
exerçait
dans
l’établissement,
Mme A
aurait
dû,
à
la
réception
des jugements du tribunal administratif de 2016 puis de 2018, alerter la direction
sur les conséquences prévisibles de l’inaction de l’établissement.
Sur l’amende
76. La juridiction peut prononcer à l’encontre du justiciable dont elle a retenu la responsabilité
dans la commission des infractions prévues aux articles L. 131-9 à L. 131-14 du CJF
une amende d’un montant maximal égal à six mois de sa rémunération annuelle à la date
de l’infraction.
77. Il sera fait une juste appréciation de la gravité des faits, de leur caractère répété et continu
sur une longue période, de l’importance du préjudice causé à l’organisme et de l’ensemble
des circonstances de l’espèce, en infligeant :
-
à Mme Y une amende de 7 000 euros ;
-
à M. Z une amende de 2 000 euros ;
-
à Mme A une amende de 1 000 euros.
Sur la publication de l’arrêt
78. Il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au
Journal
officiel
de la République française, selon les modalités prévues par l’article L. 221-14 du code
des relations entre le public et l’administration, et, sous forme anonymisée, sur le site internet
de la Cour des comptes, en application de l’article L. 142-1-11 du CJF. Il y a lieu également
de mettre en place un lien entre le site internet de la Cour des comptes et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. –
Mme Y est condamnée à une amende de sept mille euros (7 000 €).
Article 2. – M. Z
est condamné à une amende de deux mille euros (2 000 €).
Article 3. – Mme A est condamnée à une amende de mille euros (1 000 €).
Arrêt n° S-2023-0858
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Article 4. – Le présent arrêt sera publié au
Journal officiel
de la République française et,
sous forme anonymisée, sur le site internet de la Cour. Un lien sera créé entre le site internet
de la Cour et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
Copie en sera adressée au Conseil d’État, au préfet de la Guadeloupe et au directeur
de l’agence régionale de santé Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Paul de PUYLAROQUE,
Guy DUGUÉPÉROUX,
conseillers
maîtres,
Mme Marie-Odile ALLARD, présidente de section de chambre régionale des comptes,
M. Boris KUPERMAN,
président
de
section
de
chambre
régionale
des
comptes,
MM. Philippe ALBRAND, Antoine LANG et Marc SIMON, premiers conseillers de chambre
régionale des comptes.
En présence de Mme Carole H’SOILI, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Carole H’SOILI
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.