Chapitre IV
Expérimenter pour reformer
l’organisation et la tarification des soins
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146
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Les réformes successives engagées pour adapter, moderniser et
transformer le système de santé
147
, peinent à changer les organisations qui
demeurent cloisonnées (notamment entre secteurs d
’
activité ou entre
métiers et prérogatives de chaque profession) et dispersées, en particulier
pour les soins de ville.
Pour remédier à ces obstacles profondément ancrés dans
l’organisation du
système de santé, les gouvernements successifs ont jugé
que le recours à des expérimentations préalables était nécessaire.
Durant deux décennies, des expérimentations se sont succédé sans
lien les unes avec les autres, sans réelle articulation, sans vision
d
’
ensemble et sans exigence en matière d
’
évaluation.
Le législateur a donc décidé, par l
’
article 51
de la loi de financement
de la sécurité sociale (LFSS)
148
pour 2018, de définir un cadre juridique
pérenne
afin d’expérimenter de nouvelles organisations de soins et les
conditions de leur financement. Un budget pluriannuel a été réservé au
programme d’expérimentation
(511
M€ autorisés depuis 2018
).
À la fin de l’année 2022
, 122 expérimentations avaient été
autorisées. La Cour a analysé les modalités de gestion de ce programme
et cherché à évaluer la capacité à transposer dans le droit commun les
règles dérogatoires testées. Six projets seulement étant arrivés à terme, la
Cour n’a pu toutefois en tirer tous les enseignements sur la pertinence au
fond des dispositifs expérimentés.
Il apparaît que, si le cadre général de conduite
et d’évaluation
des
expérimentations a été modifié en profondeur (I), des adaptations du
dispositif sont à envisager à très court terme afin d’assurer sa contribution
à la transformation du système de santé (II).
147
Notamment la loi n° 2009-
879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et
relative aux patients, à la santé et aux territoires ; la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016
de modernisation de notre système de santé ; la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019
relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
148
Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
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EXPÉRIMENTER POUR RE
FORMER L’ORGANISATIO
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ET LA TARIFICATION DES SOINS
147
I -
Une méthode renouvelée pour tenir compte
des expérimentations passées
Des tentatives de transformation du système de santé ont été
conduites depuis 20 ans, notamment par le biais d’expérimentations qui,
faute d’avoir été planifiées et coordonnées, n’ont pas produit les eff
ets
attendus. En en tirant les enseignements, les pouvoirs publics ont défini un
nouveau cadre expérimental, autorisé par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2018.
A -
Des expérimentations antérieures peu concluantes
1 -
Des évolutions nécessaires en matière de santé publique
Le système de santé français est caractérisé par de profondes
rigidités organisationnelles et la persistance de forts cloisonnements selon
les modalités d’intervention et
les métiers (approche préventive ou
curative, médecine générale ou médecine spécialisée, soins en ville ou
secteur hospitalier, secteur sanitaire ou secteur médico-social, etc.) et par
les prérogatives de chaque profession.
Intégrer la prévention ou passer d
’
une approche centrée sur la
gestion des épisodes pathologiques aigus à une médecine privilégiant la
pertinence et la continuité du parcours de prise en charge du patient par les
différents professionnels de santé nécessite des évolutions en profondeur
pour favoriser la coordination et la collaboration des professionnels.
Des besoins d’accès aux soins ou d’assistance auxquels
répond
difficilement le système de santé : exemples
M. X, 85 ans, vit à domicile avec son épouse du même âge. Son état
de santé se dégrade. Les infirmiers qui se succèdent à son domicile pour
réaliser les soins prescrits par le médecin perçoivent une rémunération
fondée sur la réalisation d’actes techniques et non
sur le temps nécessaire à
consacrer au patient pour qu’il retrouve
un peu plus d
’
autonomie.
Résidente dans un établissement pour personnes âgées dépendantes
(Ehpad), Mme Y, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Son état nécessite des
soins dentaires mais elle ne peut plus se déplacer. L’Ehpad est en difficulté pour
trouver un chirurgien-dentiste qui accepte de la recevoir malgré ses troubles du
comportement et qui dispose d’un espace suffisamment grand pour accueillir
son fauteuil roulant. Pour répondre à cette situation, il conviendrait d’organiser
le parcours préventif et curatif de cette patiente, en faisant évoluer les modes
d’intervention des
chirurgiens-dentistes et des assistants dentaires.
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148
Mme Z souffre de diabète gestationnel. Les allers-retours réguliers
entre son domicile et le lieu de consultation sont contraignants et l’amènent à
renoncer à certains déplacements. Pour répondre à cette situation, en
complément des consultations spécialisées traditionnelles, il conviendrait
d’organiser des séances d’éducation thérapeutique au bénéfice de la patiente et
de mettre en place un suivi à distance
via
une
télésurveillance en relation avec
l’équipe de soins, dont le financement, n’est pas prévu dans le cadre actuel.
Scolarisé en CP, le jeune F a des difficultés de lecture et de
concentration. Son maître suggère à ses parents de consulter un
orthophoniste. Malgré plusieurs séances, F ne progresse pas. Il conviendrait
de former les médecins généralistes au dépistage de ces troubles et de mettre
en place une organisation graduée pour que l’enfant puisse
accéder au bon
niveau d
’
expertise médicale, bénéficier précocement de bilans et de prises
en charge rééducatives adaptées à sa situation avec un financement des soins
rééducatifs. Ce travail en commun de plusieurs professionnels nécessiterait
qu’ils puissent échanger les informations relatives à chacun des patients,
via
un système d’in
formation partagé.
2 -
Le principe du recours à des expérimentations pour surmonter
les rigidités organisationnelles
Face aux évolutions profondes nécessaires, l’
expérimentations des
solutions possibles est souvent jugé indispensable. Il s’agit
de mettre à
l’é
preuve de nouveaux modèles d
’
organisation,
que l’Organisation
mondiale
de
la
santé
149
(OMS)
qualifie
d’«
innovations
organisationnelles
» et d’en évaluer les effets
de manière objective.
Les innovations peuvent porter sur de nouvelles technologies de
santé comme sur de nouvelles pratiques ou de nouveaux métiers. Elles
peuvent être initiées par des acteurs de terrain ; leur acceptabilité est
d’autant plus grande que les parties prenantes y ont été associées.
149
En 2018, l’
organisation mondiale de la santé (OMS),
associée à l’Observatoire
européen des systèmes et des politiques de santé, a proposé une définition de
l’innovation organisationnelle des services de santé
par la réunion de quatre facteurs :
(i) un ensemble
nouveau de comportements, d’habitudes, de pratiques et de manières
de trav
ailler, (ii) qui s’inscrit en discontinuité
ou en rupture avec les pratiques
précédentes, (iii) qui vise à améliorer les résultats de santé, l’efficacité
administrative,
le rapport coût/
efficacité des soins ou de l’expérience du patient, et (iv) qui est mi
se en
œuvre de m
anière planifiée et coordonnée.
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ET LA TARIFICATION DES SOINS
149
3 -
Jusqu’en 2018, une absence de cadre général
pour les expérimentations
Entre 2007 et 2017, 23 expérimentations
ont permis d’encourager
des initiatives de professionnels de terrain destinées à décloisonner les
soins
. Qu’elles aient relevé d’un plan national (programme territoire de
santé numérique, plan Alz
heimer, plan cancer) ou non, chacune d’elles
s’est inscrite dans un cadre dérogatoire spécifique,
prévu par une loi de
financement de la sécurité sociale.
Cependant, rares sont celles qui ont donné lieu à généralisation
comme l
’
expérimentation des nouveaux modes de rémunération des
professionnels de santé, qui a abouti au développement des maisons de
santé pluriprofessionnelles (MSP), intégrées dans le droit commun en
2017
150
, l
’
expérimentation de «
travail aidé
» au sein de la filière
visuelle
151
ou encore le déploiement des services polyvalents d
’
aide et de
soins à domicile (Spasad)
152
.
Des limites nombreuses
En 2018, le Haut conseil pour l
’
avenir de l
’
assurance maladie
(Hcaam) a relevé les limites des expérimentations engagées auparavant.
L
a mise en œuvre de c
haque expérimentation était retardée par le
délai nécessaire à la préparation et à l
’
adoption d
’
une loi fixant les règles de
dérogation la concernant. La prise en compte d
’
éventuelles évolutions de
périmètre, de financement ou de durée d
’
expérimentation, nécessitait une
nouvelle loi pour apporter les ajustements nécessaires
153
.
150
Par l’accord interprofessionnel (ACI) relatif aux structures de santé pluriprofessionnelles
du 20 avril 2017. Les MSP bénéficient d’un forfait complémentaire à la rémunération à
l’acte, accordé en contrepartie du respect d’un certain nombre d’engagements et d’objectifs.
151
Par la mobilisation d
’auxiliaires
autour du médecin ophtalmologue : orthoptistes et
opticiens lunetiers. Le décret du 5 décembre 2016 a élargi le champ de compétences
des orthoptistes et de nouveaux actes ont été inscrits à la NGAP.
152
L’article 49 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au
vieillissement a permis
d’expérimenter
, sur une période de deux ans, une évolution des
modalités d’organisation, de fonctionne
ment et de financement des Spasad pour assurer
une plus grande mutualisation des organisations, des outils ainsi que des prestations au
bénéfice de la qualité globale de la vie de la personne, et promouvoir la bientraitance.
153
Ainsi, l’extension du cadre géographique de l’expérimentation de la télémédecine,
engagée en 2014, a nécessité une évolution législative adoptée en 2016.
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150
Les parties prenantes ne disposaient pas de visibilité sur le mode de
calcul du financement envisagé au-delà de la période expérimentale.
Les évaluations n
’
étaient pas systématiques ni toujours conduites de
manière suffisamment rigoureuse. Les décisions prises à l
’
issue des
expérimentations n
’
étaient donc pas toujours étayées par une appréciation
objective. Dans les faits, un grand nombre d
’
entre elles ont été reconduites
sans évaluation. L
’
expérimentation relative aux réseaux de santé a ainsi été
prolongée malgré un bilan contrasté, réalisé après plus de 10 années de mise
en œuvre,
qui a mis notamment en évidence les écarts, d
’
un réseau à l
’
autre,
du nombre de patients suivis (entre 25 et 1 605) et des coûts de
fonctionnement (de 1 334
€
à 2 901
€
)
154
.
Prévue
par
la
LFSS
pour
2013
155
et
lancée
en
2014,
l
’
expérimentation relative au parcours de soins des personnes âgées en
risque de perte d
’
autonomie (Paerpa)
a, en dépit d’une première évaluation
mitigée en 2017, été reconduite et étendue j
usqu’en 2020 puis arrêtée, au
vu d’une seconde évaluation confirmant les premiers résultats.
Des expérimentations présentant une logique dilatoire
Certaines expérimentations
156
prévues par la loi n
’
ont pas été mises en
œuvre
,
ou l’ont été partiellement,
comme celle relative à la tarification du
parcours de soins du patient atteint d
’
une insuffisance rénale chronique.
D’autres
n
’
ont pas été poursuivies, comme celle relative au parcours
pour le traitement du cancer par radiothérapie. Cette dernière a pourtant
éprouvé et vérifié un modèle de paiement forfaitaire rémunérant l
’
ensemble
des soins nécessaires pour le traitement de deux grands groupes de tumeurs, et
a permis d
’
identifier les travaux à poursuivre pour préparer la généralisation
de la réforme. Faute d
’
arbitrage, ces travaux n
’
ont pas été réalisés et la réforme,
attendue depuis 2003
157
, n’a pas été mis en œuvre
.
154
Les réseaux de santé ont été introduits par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé afin de renforcer la coordination des soins. Leur
évaluation, présentée par le rapport d’activité du fonds d’intervention pour la coordination et
la qualité des soins (Ficqs) de 2011, a été jugée insuffisamment rigoureuse et objectivée, sans
mise en p
erspective des enseignements tirés par rapport aux enjeux d’une généralisation. La
dépense relative à ces réseaux en 2010 atteignait 173,6
M€
pour 700 réseaux.
155
LFSS n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, art. 48.
156
LFSS n° 2013-1203 du 23 décembre pour 2014 : expérimentations relatives au
parcours de soins et à la prise en charge des personnes atteintes d’insuffisance rénale
chronique (article 43 I) et au parcours de soins et à la prise en charge des personnes
atteintes d’affections cancéreuses traitées par radiothérapie externe (article 43 II).
157
Inscrite dans le premier plan cancer 2003-2007.
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151
Le recours à des expérimentations peut ainsi constituer une façon
détournée de ne pas
mettre en œuvre des réformes pourtant nécessaires
.
Les pouvoi
rs publics ne disposaient pas d’une vision consolidée du
coût de ces expérimentations, engagées séparément de manière isolée.
Enfin, les expérimentations étant généralement locales, elles ne portaient
pas toujours sur des échantillons de taille suffisante pour permettre de
vérifier la pertinence des règles dérogatoires testées.
Dans son rapport de 2016 sur l’innovation en santé
158
, le Hcaam a
relevé une méthode de conduite de projet peu structurée et, surtout,
l’absence d’explicitation stratégique des évoluti
ons à engager. Il formulait,
au regard de l’expérience, une triple recommandation
: la mise en place
d’un cadre juridique et financier stable pour favoriser l’émergence
d’initiatives innovantes
dérogeant au droit commun ; un accompagnement
des porteurs de projets
; et l’intégration, très tôt dans la procédure, de
l’exigence d’une évaluation.
B -
Une nouvelle approche pour les expérimentations
dérogeant aux règles d’organisation
et de tarification des soins
L’article 51 de la loi de financement de la sécurité so
ciale pour 2018
marque une évolution dans le recours aux expérimentations. À l’instar de
certains pays étrangers, la France a créé, à travers ce dispositif doté d’un
budget spécifique (511
M€
engagés entre 2018 et 2022), un cadre propice
aux innovations organisationnelles et de financement.
Pour
qu’une innovation soit
éligible au dispositif de «
l’article 51
»,
deux critères doivent être remplis :
d’une part le projet doit avoir une
finalité organisationnelle
159
, d’autre part
son financement doit déroger aux
règles de tarification de droit commun. Ce dispositif repose sur une
démarche collaborative et sur un processus de décision et de suivi
structurés. Son but principal est de lever les obstacles à l’innovation
organisationnelle, constitués par les règles de financement traditionnelles.
Il mobilise un financement pluriannuel et systématise les évaluations.
158
Hcaam,
Innovation et système de santé,
2016.
159
Amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l'efficience du
système de santé ou de l'accès aux soins dans les secteurs sanitaire et médico-social.
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152
Les modèles étrangers d’innovations organisationnelles en santé
Aux Etats-Unis, le
Center for Medicare and Medicaid innovation
(CMMI), créé en 2010, conçoit et teste en priorité de nouvelles modalités
de paiement des soins de santé devant réduire les dépenses de santé, tout en
maintenant ou en améliorant la qualité des soins fournis. Il dispose d
’
un
budget de 1
Md€
par an.
En Allemagne, l’
Innovations funds,
créé en 2015, sélectionne des
projets de recherche ou de nouvelles formes de soins
dont l’objectif est
d’
améliorer la qualité
et l’efficience
de la prise en charge et des soins. Il
dispose d
’
un budget de 200
M€
par an (300
M€
en 2019).
En Angleterre, depuis 2013, quinze
Academic Health Science
Networks
(AHSNs)
ont pour mission de créer un environnement favorable
au développement, au repérage et à la diffusion d
’
innovations, en facilitant
les échanges entre acteurs locaux. Chaque année, 70
M€
leur sont alloués.
1 -
Une méthode participative
et une gestion de programme structurée
Les expérimentations s
’
élaborent au travers d
’
échanges entre les
porteurs de projets et les «
référents article 51
» nationaux et régionaux de
l’État et de l’assurance maladie
, depuis le stade de la lettre d
’
intention
jusqu
’
au cahier des charges et, pour les projets autorisés, jusqu
’
au terme
de l
’
expérimentation.
Les porteurs de projets peuvent bénéficier d’un
accompagnement
via
une structure dénommée
« accélérateur 51 »
.
«
Accélérateur 51
», incubateur des projets d
’
expérimentation
Les projets recevables peuvent
bénéficier d’une ou de plusieurs
séances dites d’accélérateur
160
, sous la forme d’ateliers pilotés par la Cnam
qui réunissent, autour du porteur de projet, des compétences nationales aussi
bien que régionales. Ils sont animés par des consultants et permettent
notamment de co-
construire le modèle économique de l’expérimentation.
L
’
apport qualitatif de «
l
’
accélérateur 51
» est reconnu, aussi bien
par les porteurs de projets que par les équipes ayant participé aux séances.
Depuis 2018, 129 ateliers ont été organisés au bénéfice de 141 porteurs.
160
Ateliers : «
bienvenue
», «
cahier des charges
», «
mise en œuvre
», «
accompagnement
renforcé
», «
rétrospective »
, «
projets d’envergure
».
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ET LA TARIFICATION DES SOINS
153
Dans cette démarche collaborative et partenariale, la place donnée aux
usagers reste cependant limitée, même si la prise en compte du retour
d’expérience des patients
via
des questionnaires est prévue dans le dispositif
d’évaluation
161
. Une participation des représentants des usagers pourrait être
prévue au sein de chaque expérimentation, notamment en la valorisant dans les
cahiers des charges, s’agissant des expérimentations à venir.
Le processus de décision s’inscrit dans un cadre de gouvernance
structuré.
La gouvernance nationale du dispositif de «
l’article 51
»
Une rapporteure générale assure le pilotage, le suivi et la
coordination nationale du dispositif. Elle anime un «
comité technique de
l
’
innovation en santé
» (Ctis), composé de huit membres
162
, qui émet un
avis sur ces expérimentations, leur mode de financement ainsi que leurs
modalités d
’
évaluation et détermine leur champ d
’
application territorial.
Un «
conseil stratégique
»
163
(Csis) a un rôle d
’
information de
l
’
ensemble des parties prenantes du système de santé.
De 2018 à fin 2022, 122 projets ont été sélectionnés parmi
1 073 dossiers de candidature déposés.
Graphique n° 16 :
répartition des expérimentations à fin 2022
Source : Rapport d
’
activité au Parlement 2022, article 51 de la LFSS pour 2018
161
Les modalités de recueil sont à améliorer, au vu du faible taux de réponse des patients.
162
Équipe dédiée composée de personnels mis à disposition par l'assurance maladie, le
ministère chargé de la santé et par les agences régionales de santé.
163
Le Csis, présidé par le ministre de la santé, réunit chaque année les 62 membres
représentants la diversité des acteurs de la santé. Il est chargé de se prononcer sur les grandes
orientations du dispositif et de formuler des avis en vue de la généralisation des
expérimentations.
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154
2 -
Des règles de rémunérations dérogatoires pour inciter
les professionnels à travailler ensemble
Ce cadre dérogatoire
a pour but d’encourager les professionnels de
santé,
parties
prenantes
des
expérimentations,
et
les
partenaires
institutionnels (assurance maladie et directions du ministère de la santé) à
adopter une approche transversale des enjeux de santé sans être bloqués par
les règles de financement habituelles. À la différence du cadre général de
fonctionnement de l’offre de soins, il permet des financements partagés entre
établissements de santé et professionnels de santé libéraux, les financements
des soins de vil
le et de l’hôpital étant habituellement distincts et étanches.
Un levier de la réforme du financement prévue par la stratégie
« Ma santé 2022 »
L’article 51 s’est inscrit dans le cadre de la préparation de la réforme du
financement, au sein de la stratégie « Ma santé 2022 ».
La quasi-totalité des expérimentations comportent des innovations
en matière de financement, qu’il s’agisse du champ des prises en charge
partagées (notamment entre la ville et l’hôpital) ou de nouvelles modalités
de rémunération des soins réalisés en ville (notamment concernant
l’intervention conjointes de plusieurs professionnels libéraux). La
rémunération forfaitaire pluriprofessionnelle et collective d’une séquence
de soins, en substitution à la rémunération à l’acte de chaque pr
ofessionnel
considéré séparément, concerne plus des deux tiers des projets. La
répartition du forfait entre les professionnels a nécessité une seconde
dérogation introduite par la loi du 27 juillet 2019.
Graphique n° 17 :
les nouveaux modes de financement testés
(en nombre
d’expérimentations)
Source : ministère de la santé et de la prévention
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ET LA TARIFICATION DES SOINS
155
À titre d’exemple, l’expérimentation «
Équilibres »
164
introduit de
nouvelles pratiques professionnelles pour les infirmières, avec un paiement
au temps passé auprès du patient qui se
substitue au paiement à l’acte. Dans
l’expérimentation «
CoPa
165
», le déplacement à domicile d’un auxiliaire
puériculteur hospitalier est coordonné avec celui d’un professionnel sage
-
femme libéral. Ces interventions combinées sont rémunérées de manière
forfaitaire, avec un partage de rémunération entre les deux professionnels.
3 -
Un pilotage financier structuré mais incomplet
Jusqu’en 2018, les pouvoirs publics ne disposaient pas d’une vision
consolidée du coût des nombreuses expérimentations engagées ni sur le plan
national, ni sur le plan régional. En effet, le plus grand nombre était financé dans
les régions par les fonds d’intervention régionaux (FIR)
166
gérés par les ARS,
sans qu’un suivi national, exhaustif et consolidé, puisse être réalisé.
La création en 20
18 d’un fonds pluriannuel pour l’innovation du système
de santé (Fiss)
167
a permis de réserver, au sein de l’objectif national des dépenses
d’assurance maladie (Ondam), une enveloppe destinée au financement des
dépenses relatives aux expérimentations « article 51
», qu’il s’agisse, à titre
principal, de nouveaux modes de rémunération, remédiant à l’étanchéité des
enveloppes de financement entre soins de ville et hôpital, ou de dépenses
d’amorçage et d’ingénierie nécessaires aux expérimentations nationales
168
.
Cependant, des expérimentations ont été engagées depuis 2018 en dehors
du cadre relevant de l’article 51.
164
É
quipes d’infirmières libres et responsables. Le projet est inspiré du modèle
Buurtzog
ayant fait ses preuves aux Pays-Bas.
165
CoPa (« coaching parental ») teste une nouvelle forme
d’a
ide aux parents durant le
parcours périnatal.
166
Créé par l’article 65 de la LFSS de 2012 par regroupement de crédits auparavant
dispersés, les crédits FIR constituent un sous-
objectif de l’Ondam depuis 2014. La
responsabilité du choix des actions et des montants alloués relève des ARS afin de
mieux prendre en compte les besoins spécifiques de chaque territoire.
167
LFSS du 30 décembre 2017.
168
Les dépenses d
’
amorçage et d
’
ingénierie des projets régionaux sont imputées sur le
FIR. Au sein du FIR, ces dépenses
s’élèvent à 13
M€
, ce qui représente 31 % des
dépenses totales d’amorçage et d’ingénierie
au titre de «
l’article 51
».
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156
L’engagement d’expérimentations hors dispositif de
«
l’article 51
»
Depuis 2018, une vingtaine d’expérimentations ont été autorisées par des
lois de financement de sécurité sociale, en dehors du cadre expérimental prévu par
«
l’article
51 », sans logique apparente : ces expérimentations comportent une
dimension organisationnelle et financière et auraient logiquement dû être évaluées
dans les mêmes conditions que celles de «
l’article 51
»
169
. À titre d’exemple, les
expérimentations
d’accès
direct
aux
orthophonistes,
aux
masseurs
kinésithérapeutes ou aux infirmières en pratique avancée (IPA), prévues par la
LFSS pour 2022, concernent la place et les prérogatives de ces professionnels de
santé dans le système de soins et auront nécessairement des conséquences
financières, ce qui les différencient peu des expérimentations de
«
l’article 51
».
Chaque expérimentation fait l’objet d’un cahier des charges et d’u
ne
convention qui détaille le montant annuel des financements autorisés. Le total
des dépenses prévisionnelles (jusqu’en 2026) des projets aujourd’hui autorisés
atteint 511
M€
. De 2018 à 2022, les dépenses effectives cumulées se sont
élevées à 180
M€
. Ce montant est à comparer aux 323
M€
de dépenses
prévisionnelles inscrites sur la même période dans les cahiers de charges de
l’ensemble des expérimentations, soit un taux de r
éalisation de 56 %.
Ce rythme de dépenses reflète le caractère progressif de la montée
en charge des expérimentations, lié à plusieurs facteurs parmi lesquels la
crise sanitaire, des phases de démarrage des expérimentations plus longues
que prévu et un nombre de patients inclus inférieur à celui attendu.
4 -
Un dispositif évaluatif organisé mais fragile
Le modèle d’évaluation de «
l
’
article 51
» fait intervenir trois
critères
170
: la faisabilité, l’efficacité et la reproductibilité. Pour mesurer
l’atteinte des ob
jectifs initialement fixés par les porteurs de projets, il est
parfois nécessaire d’apparier l
es données des patients, issues des systèmes
d
’
information des p
rofessionnels intervenant dans l’expérimentation,
avec
les données issues du système national de données de santé (SNDS).
169
Rapport Igas,
Expérimentation de l’accès direct aux actes de masso
-kinésithérapie
,
février 2022.
170
Cnam-Drees,
Guide méthodologique de l’évaluation
des projets
, 2019.
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EXPÉRIMENTER POUR RE
FORMER L’ORGANISATIO
N
ET LA TARIFICATION DES SOINS
157
Une analyse de la recevabilité des projets et leur évaluation
autour trois grands critères
171
La faisabilité et l’effectivité du montage expérimental
:
il s’agit
de
s’assurer de la capacité des acteurs à élaborer et faire fonctionner
les
dispositifs conformément au modèle envisagé et à structurer les
organisations innovantes, mais aussi d’observer la manière dont celles
-ci
modifient durablement les pratiques professionnelles et les prises en charge.
Les conséquences de ces organisations dans différentes dimensions :
il s’agit de mesurer l’effet des mesures expérimentées sur les patients ou
usagers, sur les conditions de travail des professionnels, sur la qualité et la
pertinence des soins et des prises en charges, sur les dépenses de santé et sur
la recomposition de l’offre de soins. L’évaluation économique vise à mettre
en regard la dépense engendrée avec le niveau d’atteinte des objectifs.
La reproductibilité
: il s’agit de mesurer la capacité de l’expérimentation à
donner naissance à
un modèle systémique et structurant de l’offre ou l’organisation
des soins, et sa possible duplication à des échelles territoriales plus larges.
Chaque projet
doit faire l’objet d’une
évaluation systématique et
indépendante. Une cellule d
’
évaluation des projets réunit les équipes du
ministère (Drees) et de la Cnam. Elle supervise les travaux d
’
évaluation
depuis l’autorisation des projets jusqu’à la remise de leur évaluation finale,
réalisés par des prestataires externes
172
. Cette cellule suit simultanément
pl
us d’une centaine d’évaluations. Sa capacité à produire dans les délais
impartis des évaluations de qualité, première étape obligée de la sortie du
temps de l’expérimentation, est cependant incertaine
173
.
L’obtention de l’autorisation d’accès aux données
indispensables
aux évaluations a nécessité de très nombreux échanges avec la Commission
nationale de l’informatique et des libertés (
Cnil), en raison de la complexité
du dossier. La décision attendue pour janvier 2022 a été accordée
en juin 2022
174
, ce qui a conduit à resserrer les délais, déjà très courts, de
réalisation des certaines évaluations.
171
Cnam, Drees,
Note cadre d’évaluation des expérimentations dans le cadre du
dispositif d’innovation en santé (article 51 de la LFSS 2018
)
. Janvier 2018.
172
Ils sont sélectionnés selon des procédures de marchés publics réalisée par la Cnam,
principalement un accord cadre. Les évaluations développées en-
dehors de l’accord
-cadre
concernent les trois projets Peps, Ipep, EDS, compte tenu des enjeux et de leur complexité qui
s’y attachent, et certaines expérimentations qui préexistaient à «
l’a
rticle 51
». L’évaluation
d’EDS est réalisée par un consortium EHESP
-Sc.Po-
Hospinomics, Ipep et Peps par l’Irdes. La
Cnam a engagé vis-à-vis de deux des cabinets de consultants une procédure de « titulaire
défaillant » en raison de la qualité estimée insuffisante de leurs travaux. La procédure est close.
173
Dans un rapport commandité par la Cnam, deux experts relevaient dès 2020
l’insuffisance de l’effectif de cette cellule pour assurer l’évaluation des projets en cours
et à venir ; cf. Mme Christine Meyer, Pr Jean-Claude Moisdon, Rapport de mission :
Mise en place et suivi de la procédure d’évaluation «
article 51 »
, octobre 2020.
174
Délibération n° 2022-072 du 23 juin 2022, portant décision unique et autorisant la
Cnam et le ministère de la santé et de la pr
évention (Drees) à mettre en œuvre des
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COUR DES COMPTES
158
II -
Une priorité à accorder désormais
à la sélection des innovations pertinentes
et à la préparation de leur généralisation
L’intérêt suscité auprès des porteurs de proj
ets innovants par le
cadre de l’article
51 constitue en soi une forme de réussite. Pour autant, le
nombre très élevé d’expérimentations, qui ne pourront pas toutes être
généralisées, amène à s’interroger sur la stratégie d’ensemble et sur le
mode de gestio
n du dispositif. La sortie du champ expérimental, qui n’est,
pour l’essentiel, pas encore
engagée plus de quatre ans après le lancement
du dispositif, constitue désormais l’étape prioritaire.
A -
Une stratégie et des modalités de suivi à redéfinir
1 -
Le choix dél
ibéré d’un grand nombre d’expérimentations
disparates, sans stratégie suffisamment définie
En janvier 2019, face au nombre réduit de projets autorisés (trois), la
ministre de la santé a demandé aux directeurs d’ARS d’intensifier le
mouvement engagé afin que plusieurs expérimentations aient été engagées dans
chaque région avant la fin de l’année 2019. À la suite de cette mobilisation, le
nombre de projets présentés a fortement augmenté
175
. Cette dynamique est à
l’origine de l’important volume de projets actue
llement autorisés. La part des
projets autorisés a été multipliée par cinq entre 2018 et 2021.
Afin de ne pas écarter
a priori
des initiatives de terrain, les pouvoirs
publics ont décidé de ne déterminer ni thématique prioritaire ni nombre
maximal de projets à autoriser, au-delà des quelques grandes orientations
fixées par la stratégie nationale de santé et les plans nationaux (santé
mentale,
structuration
des
soins
primaires,
maladies
chroniques,
décloisonnement de la prise en charge, personnes âgées et handicapées,
pertinence et qualité des soins). Les projets à portée nationale sont
examinés par le cabinet du ministre au fur et à mesure de leur arrivée, sans
vision globale ni comparative entre eux.
traitements automatisés à des fins d’évaluation des expérimentations au titre de l’article
51 de la loi n° 2017-1836 de LFSS pour 2018. Il convient de souligner le caractère
innovant de cette autorisation, qui vaut po
ur l’ensemble des expérimentations de
«
l’article 51
».
175
De nombreux projets qui consistaient soit en des demandes de subvention soit à des
projets de recherche n’ont pas été retenus car ils ne répondaient aux critères de dérogation.
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159
Graphique n° 18 :
d
ynamique de dépôt et d’autorisation des projets
depuis 2018 (en nombre de projets)
Source : Cour des comptes, à partir des rapports annuels d
’
activité au Parlement
Les expérimentations autorisées sont très variées en termes de taille,
de délai
176
, de territoire de déploiement, de ressources mobilisées
, d’objet,
d
’
organisation et de financement ; certaines semblent se faire concurrence.
À titre d
’
exemple, 16 expérimentations portent sur les personnes âgées ; 11
sur l
’
obésité ; 13 sur la santé mentale.
2 -
Quelques expériences particulièrement prometteuses
Les expérimentations « article 51 » préparent deux grandes voies
d
’
évolution des modes de financement : d
’
une part, des prises en charge
forfaitaires pour une meilleure coordination d
’
une séquence de soins,
intégrant des prestations de soins ou des services qui n
’
étaient jusqu
’
à
présent pas remboursés ; d
’
autre part, des approches novatrices, comme les
expérimentations « paiement en équipe de professionnels de santé » (Peps),
« incitation à une prise en charge partagée » (Ipep), « épisode de soins »
(EDS), favorisant des prises en charge intégrées et donnant une part plus
importante à la rémunération de la qualité et de l
’
efficience.
D’autres
expérimentations
apparaissent
également
très
innovantes,
comme
«
Équilibres
», relative au paiement horaire des infirmiers, ou «
Pharma
Osys
», recourant aux pharmaciens d’officine pour apporter une réponse de
premier recours à des situations identifiées.
176
46 % des expérimentations ont une durée de moins de trois ans ; 54 % de trois à cinq ans.
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160
Trois expérimentations structurantes
en matière de rémunération des soignants
L’expérimentation
« Épisode de soins » (EDS) teste une rétribution
forfaitaire sur la base d’un ensemble continu de soins, alternative à la
tarification à l’activité et au paiement à l’acte. Ont été ciblées trois prises en
charge chirurgicales
177
. EDS vise l’inclusion de 23
347 patients (17 527
inclus en octobre 2022) pour un coût total estimé de 36,6
M€
.
L’expérimentation
« Paiement en équipe de professionnels de santé »
(Peps) consiste à rémunérer un ensemble de professionnels de santé exerçant
en structure d’exercice coordonné, de manière globale et coll
ective, en les
laissant libres de l’utilisation et de la répartition de cette rémunération
forfaitaire, en substitution au paiement à l’acte. Peps vise à inclure 74
982
patients (54 480 inclus en octobre 2022) pour un coût total estimé de 15
M€
.
L’expérime
ntation « Incitation à une prise en charge partagée »
(Ipep) vise à inciter collectivement des professionnels de santé volontaires
à s’organiser en groupements, pour mettre en place des actions au service
de la population :
amélioration de l’accès aux soin
s, de la coordination des
prises en charge, de la pertinence des prescriptions médicamenteuses, des
actions de prévention. Les groupements pourront recevoir un intéressement
collectif en fonction de leur performance, mesurée à partir d’indicateurs de
quali
té, de l’expérience du patient et de la maîtrise des dépenses. Trente
groupements ont été constitués
178
, représentant 480 000 patients pour un
coût total, complémentaire au paiement à l’acte, estimé à 22,4
M€
.
Autorisées en juillet 2019, ces trois expérimentations sont prévues
pour une durée de cinq ans. La complexité de leur modélisation laisse penser
qu’un report de ce terme n’est pas à exclure.
3 -
Une nécessaire revue sélective des projets
Le grand nombre d
’
expérimentations autorisées rend complexe le tri
permettant
d’
identifier ceux des dispositifs dérogatoires susceptibles
d
’
entrer dans le droit commun.
Le recours à de nouvelles expérimentations devrait désormais être
particulièrement sélectif. En tout état de cause, il ne devrait pas être un
prétexte pour différer les décisions de modification du cadre législatif ou
réglementaire nécessaires à la généralisation de celles des expérimentations
déjà engagées, et dont la pertinence ne fait pas de doute.
177
En orthopédie : la prothèse totale de genou et celle de la hanche ; en chirurgie
digestive : la colectomie programmée pour cancer.
178
Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), MSP, centres de santé,
groupements hospitaliers de territoire (GHT), CHU ou CH, dispositifs d’appui à la
coordination (DAC).
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161
Des critères de sélection à définir
Tout en continuant à encourager les initiatives locales, le choix des
expérimentations autorisées
mérite d’
être davantage guidé par la stratégie à
servir et accompagné de critères de sélection déterminés à cet effet. Ainsi,
il pourrait être envisagé de cibler les nouveaux projets sur des thèmes ou
des besoins non couverts, de définir la part réservée aux expérimentations à
l
’
initiative des acteurs et celle laissée aux projets ministériels et d
’
étudier
l
’
intérêt de maintenir une réception des projets au fil de l
’
eau. Les
expérimentations dont les effets attendus sont les plus structurants pour le
système de santé pourraient ainsi être privilégiées.
La poursuite ou l’arrêt des expérimentations dont les conditions de
mise en œuvre ne sont pas satisfaisantes devraient être décidés, au
regard
de critères à définir tels que l’insuffisance du nombre de patients inclus
179
.
Ainsi, l’expérimentation de forfait de réorientation des urgences
180
n’a
inclus, au bout de 22 mois, que 18 % des patients prévus. La poursuite de
cette expérimentation pourrait, en outre, être réexaminée compte tenu des
évolutions intervenues depuis 2020. En effet, dans un contexte
d’accroissement des tensions aux urgences, de nouvelles mesures ont été
prises afin de réduire la venue spontanée de patients aux urgences.
De m
anière générale, il serait opportun de réexaminer l’ensemble
des projets au regard des évolutions intervenues sur le plan
réglementaire, législatif ou conventionnel et de décider, selon le cas,
l’arrêt sans suite de l’expérimentation, sa poursuite jusqu’à
son terme
ou sa généralisation immédiate.
Enfin, compte tenu du grand nombre d’expérimentations dont les
objets sont proches, une analyse plus transversale des évaluations est
nécessaire. La préparation de la sortie du cadre expérimental ne devrait pas
être traitée
au cas par cas, mais au vu d’un ensemble
de résultats issus
d
’
expérimentations
de
dispositifs
présentant
des
caractéristiques
communes ou interagissant les uns avec les autres.
Des évaluations
communes d’innovations
de même nature
En 2020, des
groupes d’experts ont été constitués pour réaliser des
évaluations regroupées de plusieurs expérimentations
: c’est le cas de la
télésurveillance (huit expérimentations) et
de l’obésité (onze
expérimentations).
Cette approche mérite développée pour d’autre
s expérimentations, portant par
exemple sur la même pathologie ou la même population ou une composante
transversale commune (organisationnelle, technologie de santé, etc.).
179
L’examen des projets laisse apparaître des situations disparates. Ainsi le projet «
Topase »,
autorisée en août 2020, e
t ayant démarré en décembre 2021 n’incluait aucun patient
en octobre
2022 ; « SPADepress », autorisée en janvier 2020 et démarrée à la même date, 13 % seulement.
180
Autorisée en janvier 2020, elle a démarré en janvier 2021. Son échéance initialement
prévue au 31 janvier 2022 a été reportée au 30 avril 2023.
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162
B -
Une sortie du cadre expérimental à préparer
Cinq ans après le lancement du programm
e d’expérimentations
relevant de «
l’article 51
», deux principaux écueils sont à éviter. Le
premier serait de poursuivre les expérimentations de manière prolongée
sans échéance précise, au risque de ne pas aboutir à des transformations
effectives et générales des organisations en santé, tout en dépassant
l’enveloppe financière autorisée. Le second serait de gérer les évolutions
du droit commun expérimentation par expérimentation, sans perspective
globale
, sans méthode générale d’accompagnement des professi
onnels de
santé et sans maîtrise de l’impact sur les dépenses d’assurance maladie.
Pour réussir l’étape essentielle de la sortie du champ expérimental par
des généralisations sélectives, il convient de clarifier les objectifs stratégiques
poursuivis et d’
assoir les décisions de généralisation sur un bilan rigoureux de
l’expérimentation, identifiant les améliorations attendues en matière de prise
en charge des patients et d’impact net sur les dépenses d’assurance maladie.
1 -
Une réflexion sur les modalités de sortie encore embryonnaire
À ce jour, seules cinq expérimentations
181
sont arrivées à échéance et
une seule a été arrêtée, à la demande du porteur. Parmi les 122
expérimentations engagées, 35 arriveront à échéance en 2023 et 38 en 2024.
En 2021, la LFSS pour 2022 a intégré des dispositions permettant
de préparer la généralisation pour deux expérimentations lancées avant
2018 et réintégrées dans le dispositif
« article 51
»
182
.
Cependant,
préparer
la
généralisation
de
l’ensemble
des
expérimentations considérées comme réussies nécessite de définir une
méthode de travail ainsi qu’un pilotage très anticipé par rapport aux
échéances. Cela suppose notamment de disposer du rapport d’évaluation
avant la fin de l’expérimentation,
à l’instar du
dispositif
France
expérimentations
183
. Or, dans le cas de «
l
’
article 51
», le législateur a
181
Trois expérimentations antérieures à l’article 51 et réintégrées
: Paerpa, MRTC et
Ecout’Emoi
; deux expérimentations natives de l’article 51
: Depist’C Pharma et T3T
auxquelles il n’a pas été donné sui
te, au vu des résultats non probants. À la demande de
son porteur, l’expérimentation de parcours de périnatalité coordonné ville
-hôpital a été
arrêtée de manière anticipée.
182
« Mission Retrouve ton Cap »
, qui permet aux enfants de bénéficier d’une prise en
charge
précoce et pluridisciplinaire, initialement lancée en 2016 par la Cnam ; «
Ecout’Emoi
», qui
permet une prise en charge le plus en amont des jeunes en situation de souffrance psychique
grâce à un meilleur accès aux psychologues, initialement lancée en 2021 par la DGS.
183
France expérimentations
, lancé en 2016, est un dispositif interministériel qui permet
de lever des blocages juridiques entravant la réalisation de projets innovants
d’acteurs
économiques (entreprises, associations, etc.), grâce à la mise en place de dérogations, à
titre expérimental. Porté par la direction interministérielle de la transformation publique
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ET LA TARIFICATION DES SOINS
163
prévu une restitution du rapport final d’évaluation, six mois au plus tard
184
après la date de fin de l’expérimentation, créant ainsi le risque d’une
interruption avant l’éventuelle entrée du
dispositif expérimenté dans le
droit commun. Une mesure législative introduite dans la LFSS pour
2022
185
rend possible le maintien de l’expérimentation en condition
opérationnelle, pour un délai maximal de 18 mois supplémentaires.
2 -
Des arbitrages à préparer
L’
élaboration d
’
une stratégie de généralisation
est d’autant plus
urgente que 35 expérimentations arriveront à terme en 2023 et que le
processus a été engagé depuis presque cinq ans sans qu’il se soit traduit par
des transformations visibles.
Trois issues possibles sont envisageables pour une expérimentation.
La première consiste à tester un passage à plus grande échelle tout en
restant
dans
un
cadre
expérimental,
en
particulier
pour
les
expérimentations de petite taille. Celui-ci pourrait être combiné à un
nouveau cahier des charges et associer des expérimentations proches,
réorientées à cette occasion. La deuxième consiste à autoriser l’entrée dans
le droit commun, de manière plus ou moins modulée ou progressive, à
travers des évolutions législatives, réglementaires ou des conventions entre
l’assurance maladie et les professionnels de santé. Enfin, la troisième
modalité consiste à décider l’arrêt, au vu d’évaluations négatives.
Le choix des dispositifs à généraliser et la méthode pour y procéder
doivent ré
sulter d’une évaluation globale, s’appuyant sur les critères, déjà
mentionnés, de reproductibilité, de faisabilité et d’efficacité. L’impact de la
généralisation sur l’organisation du système de santé et sur l’évolution des
dépenses d’assurance maladie doi
t être en particulier être pris en compte.
3 -
Une méthode à définir et un processus à piloter
Les travaux de généralisation qui relèvent de la compétence de
chaque direction du ministère et de la Cnam devraient être conduits sous
l’autorité d’une structure de
coordination.
Les actions à engager concernent en particulier les systèmes
d
’
information,
l’évolution des compétences et des métiers, l
a formation et
la coordination.
(DITP) et la direction générale des entreprises (DGE),
France Expérimentation
permet
de tester des besoins d’adaptation de normes aux innovations.
184
Dans la pratique, le CTIS demande dans la mesure du possible aux cabinets
d’évaluation de transmettre leur rapport final trois mois avant la fin de l’expérimentation.
185
Article 80 de la LFSS pour 2022.
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164
Les chantiers à venir, dont certains ont déjà été identifiés par le
Hcaam
186
, auraient dû faire l
’
objet d
’
une programmation et d
’
un pilotage
resserré bien
avant l’
échéance des expérimentations, ce qui aurait raccourci
la phase de préparation d
’
entrée dans le droit commun. À titre d
’
exemple,
les deux expérimentations « Candiss » et « MyDiabby » qui réorganisent
le suivi et les soins des femmes enceintes diabétiques grâce à la
télésurveillance, ont été prolongées du fait du retard pris pour autoriser la
télésurveillance de manière générale.
Les enseignements tirés de la mise en œuvre des expérime
ntations
permettent de cerner les travaux d’envergure qui restent encore à engager
pour préparer l’entrée dans le droit commun.
Ainsi, des prérequis techniques et juridiques à atteindre ont d’ores
et déjà été repérés par la Cnam
187
.
Trois principaux chantiers à engager
sans tarder ont été identifiés pour préparer la phase de déploiement des trois
expérimentations structurantes sur les rémunérations (Peps, Ipep et EDS).
Il s’agit du
développement d
’
un cadre de tarification des forfaits, reposant
sur l
’
élaboration d
’
une nomenclature nouvelle permettant, notamment, de
décrire le plus grand nombre possible de forfaits selon des règles
communes
permettant
notamment
l’intervention
financière
des
complémentaires de santé
188
; de l
’
évolution du cadre juridique pour
prévoir et préciser le rôle des structures qui auront à répartir les forfaits
reçus entre les professionnels de santé mobilisés ; enfin, de l
’
adaptation des
systèmes d
’
information pour mettr
e en œuvre
les forfaits.
L’adaptation nécessaire des systèmes d’info
rmation
La parcellisation des systèmes d’information en santé et leur
insuffisante interopérabilité continuent de freiner le partage d’informations
nécessaires pour assurer le suivi continu du patient et la coordination renforcée
des interventions des différents professionnels. Une adaptation des systèmes
d’information est indispensable, freinée jusqu’ici par les stratégies des éditeurs
de logiciels et les limites des stratégies régionales du numérique en santé, qui
ont abouti à une grande disparité des modes opératoires et des outils.
Comme le prévoit la stratégie du numérique en santé
189
, l’État doit donc
veiller à la définition et à la mise en œuvre effective d’un cadre général de
normes, pour faciliter les évolutions des systèmes d’information nécessaires
au
déploiement de nouveaux
modes d’organisation et de financement des soins.
186
Hcaam,
Contribution à la stratégie de transformation du système de santé,
2018.
187
Cnam,
Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses.
Propositions de l'assurance maladie pour 2023
, juillet 2022.
188
En dehors
du paiement à l’acte
et de la prise en charge du ticket modérateur, il
n’existe pas de processus organisé de participation financ
ière des complémentaires de
santé, l’assurance maladie étant jusqu’ici le seul financeur d
es expérimentations.
189
Ministère de la Santé et de la solidarité
, Feuille de route « accélérer le virage
numérique »
, 2019 ;
Stratégie d’accélération
« santé numérique
», 2021.
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165
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Présenté comme une rupture avec les pratiques expérimentales
antérieures, «
l
’
article 51
» constitue en soi une innovation : par
l
’
approche intersectorielle qu
’
il couvre pour répondre en particulier aux
enjeux de financement partagé entre les acteurs hospitaliers et de soins
primaires, par l
’
encouragement des pratiques collaboratives qu
’
il porte,
et notamment la collaboration inédite entre les services de l
’
État et de
l
’assurance maladie
, par la méthode de soutien aux porteurs qu
’
il déploie,
enfin par l
’
évaluation systématique de chaque projet.
Cependant,
au vu du grand nombre de projets, l’évaluation des
résultats de ces expérimentations et, surto
ut, l’identification de celles destinées
à être généralisées constituent des étapes essentielles, qui restent à franchir.
Par ailleurs,
l’anticipation des travaux
nécessaire à la sortie du cadre
expérimental et à la généralisation a
jusqu’ici largement fait défaut. L’enjeu
est donc désormais, face à la vague d’expérimentations devant arriver à
échéance en 2023 et 2024, de réussir la sortie du cadre expérimental et
d’engager sans tarder les chantiers d’entrée dans le droit commun, dont la
finalité est de répondre aux défis auxquels est confronté le système de santé.
La Cour formule ainsi les recommandations suivantes (ministère de la
santé et de la prévention) :
12.
limiter le flux d’entrée de nouveaux projets, en s’assurant qu’ils
correspondent aux orientations prioritaires ;
13.
procéder à une analyse globale de l’évaluation
des expérimentations
relevant d’une mêm
e
thématique et des impacts qui en résulteraient sur
le système de santé et les dépenses d’assurance maladie avant de
décider de leur généralisation
;
14.
prévoir la généralisation anticipée des expérimentations les plus
prometteuses et l’arrêt avant leur terme de celles n’ayant pas répondu
aux attentes ;
15.
identifier
,
dès la mise en œuvre des expérimentations, les conditions
pratiques de leur généralisation, notamment en matière de compétences
attendues des professionnels de santé ou d’évolution des systèmes
d’information de prise en charge des patients et de facturation des soins
;
16.
organiser
la
conduite
des
chantiers
de
généralisation
des
expérimentations dans
un cadre coordonné entre les services de l’État
et ceux de
l’
Assurance maladie
.
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