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PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT PUBLIC ANNUEL 2023
Conférence de presse
Vendredi 10 mars
9h30
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour à toutes et tous,
Je vous remercie
d’assister aujourd’hui à cette conférence de presse à l’occasion de la parution de
notre rapport public annuel 2023
, que j’ai remis
hier au Président de la République et que je
présenterai prochainement à
l’Assemblée nationale et
au Sénat.
Je suis ravi de pouvoir vous accueillir en Grand chambre, comme le veut la coutume, pour vous
présenter cette pièce maîtresse des publications de la Cour des comptes.
Je suis accompagné de
notre nouveau rapporteur général nommé il y a quelques jours, Yves Rolland, qui réalise en quelque
sorte son baptême du feu. Mais je souhaite aussi adresser un salut tout particulier à Carine Camby,
sa prédécesseure depuis 2021, dont le rôle fut essentiel, avec ses équipes, dans la préparation de ce
rapport, et qui vient de prendre la tête de la première chambre.
Sont présents à mes côtés des présidents de chambre de la Cour
: Christian Charpy, Catherine
Démier, Nacer Meddah, Carine Camby. Je tiens également à remercier chaleureusement Gilles
Andréani, président de chambre de la Cour ici présent, qui, à la tête de la 4
e
chambre,
s’est tant
investi sur ce RPA, ainsi que Louis Gautier, procureur général, entendu en ses avis.
Je remercie également les présidentes et présidents de chambres régionales et territoriales des
comptes qui nous suivent à distance et qui sont nombreux à avoir contribué à la rédaction du
rapport.
Je tiens ainsi à saluer tout particulièrement Christian Michaut, Bernard Lejeune, Frédéric
Advielle, Marie-Aimée Gaspari, Nathalie Gervais, et Valérie Renet pour leur implication.
Enfin, je souhaiterais avoir un mot pour l’ensemble des rapporteurs des 10 chapitres du rapport
public annuel.
Je ne peux pas tous les citer malheureusement, car ils sont fort nombreux, mais le
travail fourni fut colossal, et je voudrais leur dire publiquement ma gratitude pour leur excellent
travail et leur engagement sans faille au service de l’information du citoyen.
*
2
La présentation aux médias de notre rapport public annuel est toujours un exercice important pour
notre maison et donc pour moi.
Elle constitue un rendez-vous annuel auquel nous sommes attachés
et auquel nos concitoyens sont, je le sais, très attentifs. Le « RPA
», comme nous l’appelons
familièrement, et sa parution nous offrent
en effet l’occasion d’un moment d’échange privilégié
pour
interpeller le grand public comme les décideurs.
*
Le
RPA 2023 s’inscrit dans des modalités
et un contexte particuliers.
Tout d’abord, dans la suite du
rapport 2022 consacré à la
réponse de l’
État face à la crise sanitaire,
cette publication
n’est plus cet
assemblage de nos productions, elle se fait désormais sous un
format thématique.
Il s’agit d’une orientation que la Cour a souhaité dans
le cadre de son projet
stratégique de modernisation, JF 2025, afin de le centrer sur une problématique unique
, au cœur de
l’actualité,
et pour lui conférer une portée accrue. Cette évolution est inscrite depuis mars 2022 dans
notre code et je me réjouis qu’elle se
soit pérennisée. Cela ne doit pas occulter pour autant le reste
de nos travaux, foisonnants et inédits. Pour rappel, en 2022, la Cour a publié pas moins de 109
rapports. De leur côté, les CRTC ont publié plus de 1 223 rapports et avis. Dès lors, nous ne pouvions
plus avoir un unique événement annuel et rentrer le périscope en termes de communication. Mais le
rapport public annuel est de toute évidence notre vaisseau amiral !
***
Cette édition 2023 est consacrée à la décentralisation, quarante ans après le lancement du
processus de décentralisation par l’adoption de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés
des communes, des départements et des régions
.
Ce qu’on appellera par la suite l’acte I de la
décentralisation fut une rupture historique avec la tradition centralisatrice française, visant à donner
aux collectivités territoriales la maîtrise de leur devenir et permettre de rapprocher l’administration
des administrés. Ce mouvement s’est concrétisé par la fin de la tutelle
des préfets sur les collectivités
locales, le transfert des fonctions exécutives vers les départements et régions et un nombre
important de transferts de compétences.
La Cour dresse un état des lieux de
la performance de l’organisation territoriale
actuelle de notre
pays
, héritière d’un long mouvement décentralisateur
, et confronte les ambitions initiales de cette
politique à ses résultats sur le terrain, en termes de services rendus à la population et aux
entreprises
: c’est un sujet soumis à de nombreuse
s controverses, sur lequel, conformément à son
rôle de tiers de confiance, la Cour offre
des points de repère et des éléments d’objectivation du
débat.
Les juridictions financières ont identifié
les principaux enjeux sous l’angle institutionnel et
financier, mais aussi présenté
une série d’exemples concrets des
forces et des faiblesses de cette
organisation pour la qualité et l’efficience des services rendus à la population
, dans quelques
domaines d’action publique partagée entre l’État et les diffé
rentes catégories de collectivités
territoriales et de groupements de communes
.
Le thème de la décentralisation retenu pour 2023 a assez naturellement, compte tenu du sujet,
poussé la Cour et les chambres régionales à renforcer encore davantage
l’
imbrication de leurs
enquêtes.
Neuf des dix chapitres du RPA sont issus de travaux réalisés conjointement par la Cour et
les CRTC. Au total, treize chambres régionales et la chambre territoriale de Nouvelle-Calédonie se
sont mobilisées autour de ce rapport. Cette évolution devrait encore se renforcer à mesure que les
3
évaluations de politiques publiques, un de nos formats d’investigation, vont se développer au niveau
local, maintenant que la loi 3DS du 21 février 2022
en a étendu la compétence à l’ensemble d
es
chambres régionales. Initiative ou demande
*
Le RPA est précédé comme chaque année
d’
un chapitre introductif relatif aux finances publiques
.
La présence de ce chapitre liminaire est essentielle, particulièrement dans la période que nous
traversons, tant la situation des finances publiques conditionne la conduite de la politique de la
Nation et
tant son actualité s’avère préoccupante
.
Une première partie est ensuite consacrée au diagnostic global et aux principaux enjeux de la
décentralisation.
La seconde partie développe des analyses sectorielles variées mais toujours
concrètes.
*
*
*
Avant de vous présenter notre bilan de la décentralisation, je souhaite vous livrer nos grands
messages sur la situation actuelle de nos finances publiques, déjà dégradée avant même la
pandémie, mais qui appelle désormais des mesures urgentes.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire
devant la Première Ministre à l’occasion de notre audience solennelle de rentrée en janvier
et
comme je m’en suis entretenu hier avec le Président de la République
, le redressement des finances
publiques,
qui est le message fort pour la Cour.
Cela doit être une priorité nationale et passera
inéluctablement par une revue de nos dépenses et un renforcement de la qualité de la dépense.
Après 2021 qui a été
l’année
du rebond de l’activité économique, l’année
2022, fut celle du
ralentissement
et de l’inflation, ne permettant pas d’améliorer sensiblement le déficit public
hors
effet, attendu, de l’extinction des dépenses d’urgence et de relance
.
L
e choc sur les prix de l’énergie
et les conséquences de la guerre en Ukraine ont en effet ramené la croissance à 2,6%, loin des 6,8 %
de 2021. L
’économie française a
heureusmeent montré des signes de résilience en 2022 mais
l’inflation s’est peu à peu imposée dans le paysage et
devrait demeurer à des niveaux élevés en 2023,
atteignant 4,2 % selon le projet de loi de finances 2023, soit un peu en dessous du consensus des
économistes (4,8
Du côté des recettes publiques, le tableau est là aussi contrasté : elles ont conservé leur
dynamisme en 2022, mais un ralentissement est également à prévoir pour 2023.
Après un pic à
45,2% du PIB en 2022, le taux de prélèvements obligatoires devrait diminuer en 2023 pour retrouver
son niveau
d’avant
-crise, soit 44,7 % en 2018. Hors CICE, les mesures nouvelles en prélèvements
obligatoires devraient au total rapporter 5,5 Md€ en
2023
, après une baisse de 5,7 Md€ en 2022.
En
ce qui concerne les baisses p
érennes d’impôts,
certaines ont été temporairement compensées par
une hausse des recettes liées à l’énergie.
Disons-le
: c’est un dynamisme exceptionnel des recettes,
notamment fiscales, qui a caractérisé les exercices 2021 et 2022, sans permettre pour autant une
inflexion significative du déficit du fait d’un dynamisme tout aussi marqué des dépenses.
Car le point le plus préoccupant est de toute évidence la dépense publique, qui continue de croître
à un rythme soutenu.
Après avoir atteint 1
461 Md€ en 2021, les dépenses publiques progresseraient en valeur de 4,3 % en
2022 puis de 3,2 % en 2023. Le Gouvernement a mis en
œuvre
à partir de 2020
, le quoi qu’il en
coute, c’est
-à-dire
d’importantes mesures
pour soutenir les ménages et les entreprises face aux
effets de la crise sanitaire, prolongées ensuite par des dépenses de relance dès l’automne 2020
puis
4
celles de lutte contre l’inflation
. Le poids de ces mesures a progressivement décru, mais elles restent
significatives en 2022 (37,5 M
d€) et 2023 (12,5 Md€).
Alors que 2022 devait marquer la sortie du « quoi qu’il en coûte » li
é à la crise sanitaire, force est
de constater que cet effort nécessaire a encore été ajourné.
Car à ces mesures sont venues s’ajouter
celles destinées à atténuer la hausse des prix de l’énergie,
pour un total de 25 Md€ en 2022 et 36
Md€ en 2023
.
En parallèle, les dépenses publiques ont été mécaniquement alourdies par l’inflation,
du fait de l’inde
xation de certaines prestations par exemple.
Notre message est donc très clair sur ce point : l
’ampleur des dépenses engagées en réponse aux
crises sanitaire et énergétique brouille
l’appréciation de l’évolution de la dépense publique totale
.
En réalité et c’est un fait marquant, même si l’on neutralise
ces dépenses exceptionnelles, la dépense
publique progresserait en volume
de 3,5 % en 2022 et 0,7 % en 2023.
Tout ceci m’amène à mon dernier point
sur nos finances publiques, la trajectoire de notre dette.
non plus,
et c’est la conséquence logique des évolutions précédemment décrites
, les scénarios
annoncés ne sont pas satisfaisants : après 6,5 points de PIB en 2021, le déficit a certes atteint 5
points en 2022 et devrait rester au même niveau en 2023, mais ce ratio est trop élevé, alors que la
croissance, anticipée à 1% en 2023, va se tasser.
Il en résulte ainsi, la dette publique atteindrait 111,2 points de PIB en 2023, soit près de 14 points
au-
dessus de son niveau d’avant
crise.
Cela représente
700 Md€ de plus
, or, d
epuis l’entrée dans
l’Euro, en 2
000, à l’époque où nous étions à égalité avec l’Allemagne à 58,9 % de dette publique
dans le PIB, la Belgique a gagné un point, l’Allemagne 10 points, l’Italie 40 points, la
France, 55, je dis
bien 55 ! Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie, car près de trois ans après le début de la
crise, la France fait maintenant partie des pays de la zone euro dont la situation des finances
publiques est la plus dégradée ! Notre niveau de dépense publique rapportée au PIB est tout
simplement le plus élevé de la zone euro en 2022, huit points au-dessus de la moyenne, et il devrait
le rester en 2023, selon les prévisions de la Commission européenne.
À terme, cela pourrait ne plus être soutenable,
même si ce n’est pas le problème le plus grave du
moment, car la signature de la France reste fort, un p
ays endetté à l’excès ne dispose pas des
marges de manœuvre suffisantes pour investir à long terme dans son avenir
. Je voudrais rappeler
un chiffre
: une hausse des taux de 1 %, signifie un surcroît de charge annuel de la dette de 31 Md€ à
un horizon de 10 ans.
La dette finit toujours par engorger, paralyser l’action publique
, interdire le
financement des investissements d’avenir
dont notre pays a impérativement besoin pour lutter
contre le changement climatique et muscler la croissance, et aussi empêcher la politique budgétaire
de jouer son rôle face à des futurs chocs macro-économiques. Voilà pourquoi
un désendettement
maîtrisé est indispensable.
L’état des lieux que je dresse est d’autant plus préoccupant qu’un recul de la croissance
- après une
année exceptionnelle, 2021, et une année de 2022 encore solide - est attendu pour 2023, nous
allons heureusement éviter la récession,
avant un retour à la normale autour d’une croissance plus
lente dans les années qui suivent.
J’insiste sur ce point
: comme la Cour l’a déjà souligné dans son rapport
de juillet 2022 sur la
situation et les perspectives des finances publiques, assurer la soutenabilité de la dette publique est
un enjeu de souveraineté. C’est
une condition nécessaire pour que la France puisse faire face aux
prochaines crises
, mais aussi pour être en mesure de financer les priorités d’action pour le pays
comme l’éducation et
la transition environnementale.
5
C’est pourquoi nous appelons à
redresser sans tarder la trajectoire des finances publiques.
Notre
constat est simple, constant et tient en trois objectifs pour la période 2023 - 2027 : réduire
sensiblement les déficits pour repasser nettement et plus tôt sous la barre des 3%, amorcer sans
tarder la décrue de la dette, et préserver le potentiel de croissance.
Face à ce triple défi, quelles sont
les pistes que nous proposons ?
Face à ce triple défi :
L
’accent doit résolument être mis sur la maîtrise des dépenses,
en sortant définitivement
du «
quoi qu’il en coûte
», des dépenses non ciblées
, et plus généralement, de s’assurer de
la pertinence de chaque euro dépensé.
Je me réjouis à ce titre de l’initiative d’une «
revue
des dépenses
» proposée en début d’année par le ministre de l’économie et des finances
et
prévue par le projet de LPFP 2023-2027. Cette démarche pourra poser les jalons
d’un
rétablissement de trajectoire, si elle repose sur une volonté politique forte et une adhésion
collective de tous les acteurs de la dépense publique. La Cour, à sa place, y apportera sa
contribution, que ce soit à travers ses rapports sur les finances publiques, ou à travers des
notes thématiques sur des politiques publiques à améliorer, avec un moindre coût.
Je l’ai
dit
au Président de la République et lui ai suggéré sept thèmes que nous aborderons.
J’appelle aussi notre pays à se
doter rapidement
d’une
loi de programmation des finances
publiques 2023-2027.
Je n’ignore pas les contraintes politiques du moment. Le haut
conseil des finances publiques a toutefois estimé que les hypothèses sous-jacentes de ce
projet de loi étaient un peu ambitieuses.
Ce
qui n’est pas encore le cas à ce jour
, pour
ancrer les dépenses dans une vision stratégique et pluriannuelle, et se conformer à nos
engagements européens.
Celle proposée par le Gouvernement pour 2023-2027 nous paraît
encore trop peu ambitieuse,
avec un déficit public qui ne passerait sous les 3% qu’en 2027 et
ramènerait seulement en 2027 la dette à son niveau de 2022. Mais, pour autant,
l’absence
d’un texte financier pluriannuel est un problème majeur en soi
, qui doit, à mes yeux, trouver
impérativement une solution.
À l’échelon national, des réformes d’enverg
ure doivent également être poursuivies
, sans
repousser les efforts en fin de période et pour faire du renforcement de la qualité de la
dépense publique une priorité de premier rang.
Au niveau européen, et ce sera mon dernier point, une réforme du cadre de gouvernance
des finances publiques doit voir le jour, avant la levée de la clause dérogatoire qui est
prévue au 1
er
janvier 2024
. Il s’agit en réalité d’axer les nouveaux critères de gouvernance
sur l’évaluation de la qualité des dépenses publiques et la s
outenabilité de la dette afin de
permettre aux États membres, et
a fortiori
à la France, de gagner en capacité de projection
et d’anticipation.
La proposition de la Commission constitue incontestablement à mes yeux
une très bonne base de travail, autour de
laquelle j’ai espoir de voir se construire rapidement
un consensus au Conseil.
Cette proposition de la Commission, j’y crois à titre personnel, est
la bonne, car elle consiste à travailler sur la dépense publique d’une part et sur
l’appropriation des règles nationales d’autre part. C’est la bonne démarche.
En définitive, nous appelons à faire converger
la réforme du cadre de gouvernance
macroéconomique européenne avec la maîtrise des dépenses et la refonte des grandes politiques
publiques pour retrouver une situation budgétaire assainie,
car c’est la
condition
sine qua non
du
maintien de
ses marges de manœuvres
et de sa crédibilité. Nous faisons face à une très grande
quantité de la dépense, mais sa qualité est médiocre. Le rendement n’est pas à la hauteu
r. Il faut
mettre les deux au diapason.
*
Le
constat
sur
les
finances
publiques
étant
posé,
intéressons-nous
maintenant
à
la
décentralisation.
Pour notre diagnostic, nous avons souhaité répondre à la question suivante : est-ce
6
que le niveau de décentralisation et l’organisation territoriale français
ont
permis d’atteindre les trois
objectifs fondateurs des lois « Defferre : renforcer la démocratie locale, rapprocher la décision
politique et administrative du citoyen, améli
orer l’efficacité et l’efficience de la gestion publique
?
Voici
les principaux éléments de réponse à cette question :
Notre rapport fait, je veux le rappeler, suite à un premier bilan de l
’acte II de la
décentralisation qui
était paru en 2009 sur les réformes conduites entre 2000 et 2010,
avec la révision constitutionnelle
de 2003 qui a entériné le principe
d’une organisation territoriale de la République décentralisée
et la
loi de 2004, qui a procédé à une nouvelle vague de transferts de compétences, manifestant la
volonté du législateur de procéder à des transferts de blocs homogènes et des moyens et
prérogatives nécessaires à leur mise en œuvre.
Malgré les tentatives de rationalisation des deux premières étapes de la décentralisation, il ressort
de ce nouveau bilan en 2023
que les réformes menées depuis 2010 n’ont pas permis de remédier
aux défauts
de l’organisation territoriale
, faute de vision consensuelle entre les différents acteurs.
En d’autres termes, l’ambition d’ouvrir un acte III ne s’est pas matérialisé
e par la reprise du
processus de décentralisation à partir de 2010, qui a pris la forme d’une série de lois de moindre
portée, traduisant un dessein plus hésitant et parfois contradictoire.
Si la loi de réforme des
collectivités territoriales de 2010, dite loi RCT, a rationalisé l’intercommunalité et créé les
métropoles, celles de 2014, dit loi MAPTAM et de 2015, dite loi NOTRé ont abouti à un brouillage de
compétences. Cette réalité peut êtr
e illustrée par le sort des départements, qui ont fait l’objet d’un
double mouvement de réaffirmation des compétences et de réduction de leur poids. Enfin, plus
récemment, les lois de 2019 et 2022, respectivement dite loi EVL et loi 3DS, qui repositionnent les
EPCI au service de leurs communes membres et d
éveloppent la différenciation et l’expérimentation
,
ont eu pour objectif clair d’atténuer certains effets des lois précédentes, sans en bouleverser
l’économie.
Pour le dire autrement, un premier mouvement
a cherché à renforcer l’échelon intercommunal et
celui des régions, avec les grandes régions, puis un second à au contraire privilégier la demande de
proximité, et donc le rôle des communes et des départements. Cela va dans les deux sens, sans
trouver un balancement équilibré.
Ces fluctuations ont réduit le succès des
réformes, qui n’ont jamais franchi aucun gué
. La loi de
2015 a réduit de 22 à 13 le nombre de régions métropolitaines et la loi NOTRé a renforcé leur rôle
stratégique et de programmation, ainsi que leurs compétences. Toutefois, d’une part, cette ambition
a compromis
l’intention sous
-jacente
de supprimer un des échelons de l’organisation territoriale, le
département, au profit des régions et des métropoles, alors que la refonte de la carte des régions a
mis en évidence la nécessité de la logique de proximité sans que le positionnement de cet échelon
soit clair pour autant.
D’autre part,
la création des nouvelles grandes régions a pu manquer des
réalités géographiques ou politiques essentiels pour les responsables locaux,
et les gains d’efficience
attendus doivent encore être rapportés.
En outre,
contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie qui en ont drastiquement réduit le nombre,
la
France n’est jamais parvenue à régler la question du nombre de petites communes
.
Au 1
er
janvier
2022, la France comptait 34 955 communes dont la population moyenne est de moins de 2 000
habitants, sensiblement inférieure à celle de nos voisins. En matiè
re d’action publique,
une taille
critique est pourtant nécessaire en matière
de portage d’investissements lourds
ou de prise en
compte de la complexité juridique et financière de la gestion locale. La promotion des fusions de
7
communes depuis la loi de 2015 a connu un succès relatif : 2 498 communes seulement se sont
regroupées au sein de 796 communes nouvelles.
En réponse à cet émiettement communal, le renforcement de l’échelon intercommunal
a prévalu à
partir des années 2000, avec une couverture totale du territoire depuis 2017.
Ce renforcement s’est
également traduit par une extension du périmètre des compétences des groupements de communes
et par une augmentation importante de leurs effectifs, sans pour autant que se réduisent ceux des
communes, qui se sont accrus de 700 000 agents en 40 ans. Sous ces deux mouvements
(généralisation et extension des compétences), la gouvernance et le fonctionnement des EPCI se sont
complexifiés, notamment dans la mise en œuvre des services p
ublics de proximité. En conséquence,
le législateur a dû réaffirmer le primat des communes depuis 2019. Par ailleurs, la clause de
compétence générale des communes
fait qu’elles peuvent intervenir dans tous les domaines
sans
toutefois en avoir forcément le
s moyens ni l’expertise technique
. Cette question de compétence
générale dépasse la seule question des communes. En effet, la logique de chef de file, mise en œuvre
en 2014 par la loi MAPTAM, revêt pour toutes les politiques publiques une portée très limitée, du fait
de son caractère facultatif, la Constitution rendant impossible toute tutelle d’une collectivité sur une
autre.
Par ailleurs, l’organisation de
s services de
l’
État
n’a pas été adaptée pour tenir compte de
l’évolution de la carte et des compétences des collectivités
.
L’
État déconcentré a pourtant fait
l’objet de nombreuses
rationalisations et réorganisations (la RéATE, la RGPP et la réforme de
l’organisation territoriale de l’
État depuis 2018
) qu’il a subies plus que gérées.
Tous ces effectifs
montrent bien l’absence de vision stratégique.
En conséquence, la baisse des effectifs a été portée par
l’échelon
déconcentré plutôt que par les
administrations centrales
, y compris sur les fonctions de contrôle de légalité et de contrôle
budgétaire non transférables aux collectivités. Cette rationalisation, pourtant légitime en cas de
transfert de compétence, a été vécue comme un désengagement, voire parfois un abandon, par les
populations locales.
En interne, cette réduction n’a pas suffisamment été corrélée à l’évolution des
missions et des priorités gouvernementales.
M. Darmanin, ministre de l’Intérieur, nous avait
commandé l’année dernière un rapport sur les effectifs des
sous-préfectures qui fut très révélateur
sur ce sujet.
Quelles sont en définitive
les conséquences de ces mouvements et fluctuations
? L
’élan initial s’est
essoufflé, le paysage institutionnel s’est brouillé, les compétences sont de plus en plus
imbriquées,
exercées par plusieurs niveaux de collectivités, ce qui génère des mécanismes de coordination,
coûteux et rarement efficaces.
A titre d’exemple, l’
État et chacun des niveaux de structures locales
participent à la mise en œuvre de la politique d
u logement, sujet hautement prioritaire, sans que la
coordination permette de gagner en efficacité. A titre rétrospectif, cette imbrication des
compétences rend difficile toute mesure de la qualité des services publics locaux.
*
La deuxième conclusion du rapport,
d’un point de vue financier, c’est que les modalités de
financement des collectivités se sont complexifiées
, entre dotations de l’
État
, part d’impôts
nationaux,
fiscalité
et
redevance
locales.
Cette
architecture
globale
est
devenue
peu
compréhensible pour les décideurs comme pour les contribuables.
Le niveau actuel des ressources
locales
est sécurisé par l’
État, protégeant les collectivités des risques liés aux retournements de
conjoncture. Mais
l’autonomie de décision des élus locaux et leur marge de prévision s’est réduite
8
avec la suppression d’impôts locaux, qui, remplacés par des parts d’impôts nationaux, distend les
liens entre contributions aux charges publiques locales et services publics.
L’élargissement des compétences territoriales
, issu principalement des actes I (1982-1986)
et II (2003-2004) de la décentralisation,
s’est également traduit par une augmentation significative
des dépenses locales
. La dépense publique locale par habitant a doublé entre 1985 et 2020. Ainsi, la
part des dépenses publiques locales dans le PIB est passée de 8% du PIB en 1980 à plus de 11 %
aujourd’hui
, sans
qu’il
soit toujours possible de distinguer la part des dépenses liées aux transferts de
compétences, aux améliorations de services publics ou à une gestion peu économe.
Cette réalité est particulièrement vivace pour le bloc communal dont les dépenses ont continué à
croître en dépit de la montée en puissance des groupements de communes.
Globalement, le poids de ces dépenses locales demeure inférieur à la moyenne européenne, qui se
situe à près de 18 % du PIB.
En d’autres termes, la France est
encore marquée par une forte tradition
centralisatrice
lorsqu’on la compare à ses partenaires européens
. Malgré ce faible degré de
décentralisation, son organisation parvient à être complexe et peu lisible pour les citoyens, ce qui
empêche d’améliorer la qualité du service rendu aux ménages et aux entreprises
ou de rechercher
une plus grande efficience.
L’objectif n’est pas atteint.
Ainsi, les objectifs de la décentralisation, tels qu’ils ont été fixés en 1982, ne sont pas atteints et ce
panorama global est peu propice à l’efficience de la gestion publique lo
cale, à la responsabilisation
des acteurs et à l’intelligibilité de
cette organisation.
Cette situation nourrit le sentiment d’un accroissement de la distance entre le citoyen et le cadre
d’exercice de la démocratie locale, dont témoigne d’ailleurs l’inquiétant affaiblissement de la
participation à toutes les élections et, de manière générale, au débat public
Que faut-il faire pour rétablir un lien de proximité et de confiance entre le citoyen et le décideur ?
Alors que l’intervention de l’
État
est persistante dans de nombreux domaines de l’action publique, en
dépit de la réduction des moyens
humains qu’il déploie dans les territoires,
une rationalisation et une
plus grande coordination des acteurs locaux, - régions, départements, communes, groupements de
communes, établissements publics nationaux et locaux, services de l’
État - sont devenues
indispensables. Par ailleurs, dans un contexte de redressement nécessaire des comptes, la
participation des collectivités à cet effort semble nécessaire.
*
Afin d’éclairer de manière plus concrète ce bilan global
et de donner à voir les conditions concrètes
de mise en œuvre
des politiques partagées différentes, notre rapport public annuel donne des
coups de sonde sur plusieurs compétences locales ou partagées.
Tout d’abord, en matière de développement économique des territoires et
d
’aide et d’action
sociale envers les plus fragiles, la rationalisation et la coordination des interventions
d’acteurs
nombreux
n’ont pas été menées à leur terme.
La lisibilité et l’efficacité des politiques déployées
respectivement par les régions et les dép
artements s’en trouvent amoindries, alors que l’
État
continue à intervenir massivement.
En matière économique,
la répartition des compétences doit être simplifiée et mieux coordonnée
par les régions, placées en chefs de file
. Il convient notamment de remédier à l’émiettement des
9
aides allouées par les différents acteurs et de développer des indicateurs
pour mesurer l’efficacité
réelle de ces initiatives sur le tissu économique. La conclusion de conventions entre collectivités ou
les schémas régionaux mis en œuvre s’est avérée insuffisante en ce sens. La gestion de
la crise du
Covid, et dans son sillon la mise en œuvre des plans d’urgence et de relance, doivent servir de
modèle pour les relations entre État et collectivités.
Concernant
l’aide et l’action sociale en faveur des publics fragiles
, des politiques qui regroupent la
protection infantile, l’aide au handicap, à la dépendance ou aux personnes précaires, et qui
relèvent du département, notre rapport met en
évidence l’enchevêtrement des compétences entre
de très nombreux acteurs, l’insuffisance des moyens de coordination et de pilotage dont dispose
nt
les départements pour assurer leur fonction de chef de file et enfin l’inadaptation des modalités de
financements des principales allocations de solidarité.
Cette situation contribue à expliquer un
certain nombre de difficultés, en termes de recours, d’accès aux droits ou de délais de traitement des
demandes d’aide par exemple.
Un nouveau point d’équilibre pourrait être trouvé autour d’un renforcement de la capacité de
coordination des départements au niveau local, assorti d’un meilleur suivi de la qualité du service
rendu aux bénéficiaires.
Ainsi, au terme de son analyse, la clarification des compétences dans les domaines économiques et
sociaux est définie comme une priorité pour la Cour des comptes.
Dans d’autres domaines, notre rapport souligne une répartition
plus équilibrée des compétences
entre l’
État et les collectivités
qui a favorisé l’efficacité de l’action publique
, sans dispenser
toutefois l’
État
d’une réflexion sur les priorités de son act
ion. Tout de même, la décentralisation est
un progrès !
La décentralisation scolaire
a ainsi indéniablement permis d’améliorer les conditions matérielles
d’accueil des élèves dans les collèges
en sanctuarisant la dépense de l’immobilier scolaire
.
Il revient
aux départements, seuls compétents pour construire, rénover et entretenir les collèges
, d’aborder
les nouveaux défis de cette politique publique comme la rénovation environnementale ou
l’adaptation des locaux
aux nouvelles pratiques pédagogiques. L
État doit quant à lui garantir le
déploiement homogène du service public sur l’ensemble du territoire national, par un renforcement
de la péréquation
dans les dotations d’équipements scolaires, les départements étant confrontés à
des dynamiques démographiques inégales, et un conditionnement de son soutien aux projets
d’investissements qui vont dans le sens des objectifs nationaux
.
La question de la redéfinition du rôle de l’
État se pose par ailleurs dans les politiques publiques
partagées où aucune
collectivité n’est clairement désignée comme chef de file,
dans la
culture
ou le
tourisme
notamment. Pourtant, ce sont des facteurs majeurs d’attractivité des territoires et de
développement local, et il convient ainsi que l’
État oriente davantage ses soutiens, conformément à
la politique qu’il souhaite développer, et afin d’équilibrer l’offre sur le territoire
. Pour donner
l’exemple des festivals du spectacle vivant, dont le nombre est passé de 2
000 à 7 000 en vingt ans,
l’
État
doit conserver un rôle d’ap
pui mineur par rapport à celui des collectivités territoriales,
concentré sur les festivals à rayonnement national ou international, qui correspondent aux objectifs
de soutien à la création artistique.
Dans d’autres domaines comme la
gestion des déchets ménagers et la gestion quantitative de
l’eau, le défi consiste moins à simplifier la répartition des compétences ou à recentrer l’action de
l’
État
qu’à faire évoluer les modalités d’exercice de ces compétences pour tenir compte des
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nouveaux impératifs environnementaux.
L’adaptation au changement climatique est rendue
urgente par les impacts des dérèglements, ce qui correspond à une véritable demande des
populations locales.
Notre RPA 2024 sera consacré aux politiques d’adaptation au changement
climatique.
Dans le cas de la gestion des déchets ménagers
, la mise en place d’une économie dite «
circulaire »
impose d’associer davantage les filières de production mais aussi les ménages,
à la prévention, au
réemploi et au recyclage.
C’est notamment le r
ôle du bloc communal pour inciter à produire moins
de déchets et en développant le tri sélectif.
La mise aux normes et la modernisation des installations
de traitement constituent aussi un enjeu majeur, pour lesquels une planification régionale doit être
entreprise sans attendre.
Enfin, nous avons identifié des domaines de compétences ni décentralisés, ni clairement partagés,
et pour lesquels
l’intervention des collectivités territoriales est pourtant de premier plan et
confrontée à des défis croissants.
C’est le cas en matière
d’accès aux soins de premier recours
, où
les collectivités ont parfois pris le relais de l’
État
et de l’assurance mal
adie, via des initiatives
financières qu’il s’agit désormais de recentrer et
de mieux coordonner avec les interventions des
acteurs traditionnels
que sont l’
État
, l’Assurance Maladie et les agences régionales de santé
.
*
*
*
À
l’aune de ces différents exemples, notre rapport invite à poser les bases d’une nouvelle étape de
la décentralisation pour revoir la répartition des compétences
entre l’
État et les différents échelons
de collectivités locales et doter chaque échelon des moyens lui permettant de les assumer dans les
meilleurs objectifs d’efficacité.
Notre message est net :
si une refonte totale du modèle d’organisation territoriale reste loin d’être
réaliste à court terme
, nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire d’un
statu quo
.
Il faut
également convenir que la voie de la réforme permanente, qui s’est imposée au gré des
changements de gouvernements et de priorités, n’a pas permis de trouver un équilibre satisfaisant.
Qui plus est, cette méthode a renforcé la défiance des citoyens.
L
’objectif de
simplification du partage des compétences et de responsabilisation des acteurs doit
donc
s’imposer comme
prioritaire.
Il convient de préparer les conditions d’une réforme ambitieuse
en rationalisant
l’organisation
et en améliorant la coordination des acteurs, afin de maintenir les
ambitions centrales de la décentralisation comme horizon : un meilleur service public local et une
meilleure qualité de la dépense.
Certaines mesures sont envisageables à court terme pour remett
re en cohérence l’organisation
territoriale et donner aux acteurs locaux les moyens de mener des politiques locales plus efficaces
et efficientes
, j’en citerai trois
:
la simplification
et l’approfondissement
de la coopération intercommunale et la poursuite de
la réduction du monde de trop petites communes soit par fusion soit par création de
communes-communautés.
mais aussi le renforcement du rôle de chef de file en matière de politiques partagées, surtout
quand le nombre d’échelons est important
afin de préciser les modalités de coopération et
éviter toute concurrence.
et enfin
l’utilisation de la différenciation territoriale et des expérimentations pour tester des
organisations plus efficaces et mieux adaptées à la diversité des situations locales.
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L
État, quant à lui, doit plus que jamais assurer un rôle stratégique de régulateur et de partenaire
des collectivités.
Le besoin d’
État
est prégnant dans les territoires, on l’a vu avec la crise
sanitaire.
L’
État est ainsi attendu dans un rôle renforcé de stratège des politiques nationales et de partenaire
des collectivités.
La reconstitution des capacités d’exercice du contrôle budgétaire et de légalité mais
aussi des capacités d’expertise technique, juridique ou financière est impérative.
Réarmon
s l’
État
déconcentré. Le désengagement ne doit pas se faire dans ses fonctions de prescripteur ou de
normalisateur, dont il détient le monopole.
*
Vous le voyez, mesdames et messieurs, notre rapport public annuel pour 2023 illustre la diversité
des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec
l’actualité et les réalités du terrain.
Je vous l’ai déjà di
t, notre RPA 2024
je l’annonce tout de suite
- portera lui aussi sur un sujet
structurant et qui concerne l’ensemble des territoires, puisque nous traiterons de l’adaptation des
politiques publiques au changement climatique.
Ce choix d’un RPA thématique est donc une
manière de nous montrer encore davantage au rendez-vous des préoccupations des citoyens, mais
aussi de rendre des éclairages plus exhaustifs sur les questions prioritaires à l’agenda de l’action
publique.
Je vous remercie de votre attention et répondrai volontiers à vos questions, avec les présidentes et
présid
ents qui m’entourent.