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Ce rapport a été établi sous la seule responsabilité de son auteur.
Il n
’engage
pas le Conseil des prélèvements obligatoires.
RAPPORT PARTICULIER N° 1
Le cadre juridique de la taxe sur la valeur ajoutée
M. François-René BURNOD
Auditeur au Conseil
d’Etat
Novembre 2022
Synthèse
I.
Impôt européen harmonisé depuis les années 1970, la TVA connaissait
déjà des évolutions annoncées par le rapport du CPO de 2015
A)
Principe de la TVA
En vertu de
l’article
premier de la directive européenne du 28 novembre 2006, la TVA est un
impôt général sur la consommation
, dont la vocation est
d’être
exactement proportionnel au
prix des biens et des services consommés par le consommateur final, quel que soit le nombre des
opérations intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur.
Depuis son invention en France par Maurice Lauré dans les années 1950, le principe de la TVA
n’a
pas fondamentalement changé
jusqu’à
nos jours. Il appartient aux entreprises de collecter, sur
chaque vente
qu’elles
réalisent, une taxe proportionnelle au prix du bien ou du service vendu. A
échéances régulières (en principe chaque mois),
la taxe collectée doit être déclarée et versée
au Trésor
.
En contrepartie, les entreprises disposent
d’un
droit à déduction de la TVA amont
: elles
peuvent récupérer le montant de la taxe
qu’elles
ont supportée
lorsqu’elles
ont acquis des biens
et services auprès de leurs fournisseurs, pour les besoins de leur activité économique. La TVA
déductible est déclarée au même moment que la TVA collectée et
l’entreprise
ne devra verser au
Trésor que la différence entre les deux montants.
Comme le soulignait le rapport juridique qui accompagnait le dernier rapport du Conseil des
prélèvements obligatoires consacré à la TVA en 2015, ces deux règles permettent
d’assurer
la
neutralité économique de la TVA et limitent les risques de fraude. Elles en font un impôt adapté
aux économies développées.
La TVA
s’applique,
en principe, de façon identique aux opérations réalisées entre assujettis (qui
seront qualifiées dans ce rapport,
d’opérations
business-to-business, ou
BtoB
) et les opérations
réalisées par un assujetti pour un non-assujetti (qualifiées
d’opérations
business-to consumer, ou
BtoC
). Cependant, le droit à déduction de la TVA amont est réservé aux seuls assujettis. Dès lors,
l’application
d’une
même règle de TVA
n’a
pas les mêmes effets économiques selon
qu’elle
est
appliquée aux opérations BtoB ou aux opérations BtoC.
L’exonération
d’une
opération BtoC est
plus favorable que celle
d’une
opération BtoB du fait de la perte des droits à déduction qui y est
associée. De même
un taux réduit
appliqué à une opération BtoC est une mesure de faveur, là où
il
n’a
aucun impact sur
l’essentiel
des opérations BtoB.
B)
Un cadre juridique harmonisé au niveau européen
Depuis les années 1960, la TVA est un
impôt harmonisé au niveau européen
: venue remplacer
des taxes cumulatives sur le chiffre
d’affaires
incompatibles avec
l’unification
du marché intérieur,
elle permet aux Etats membres de recevoir des ressources importantes de fiscalité indirecte, tout
en évitant les distorsions de concurrence. Un texte juridique européen, la
directive TVA du
28 novembre 2006
, fixe
aujourd’hui
le corpus de règles fondamentales régissant cet impôt,
qu’il
s’agisse
de son champ
d’application,
de sa territorialité, de son assiette ou encore des règles
relatives à son exigibilité ou à sa déduction.
L’harmonisation
des interprétations de ce texte entre
chaque Etat membre est en principe garantie par la jurisprudence de la Cour de justice de
l’Union
européenne (CJUE)
En France, les règles de la TVA prévues au titre II de la première partie du code général des impôts
(CGI)
s’inscrivent
donc dans ce cadre européen. Toutefois, la directive TVA
confère à chaque Etat
membre des marges de
manœuvre
significatives : détermination des taux réduits, calcul
des droits à déduction, collecte de
l’impôt,
obligations déclaratives, sanctions fiscales.
C)
et déjà en évolution dès avant 2015
Le rapport particulier du Conseil des prélèvements obligatoires consacré en 2015 au cadre
juridique de la TVA a permis de dresser le bilan des mutations significatives déjà engagées à cette
date.
Parmi les évolutions survenues au niveau européen,
les règles de territorialité des services
avaient été transformées en profondeur par deux directives de 2002 et 2008 pour les adapter aux
nouvelles technologies de
l’information
et de la communication. La
lutte contre la fraude
transfrontalière à la TVA
constituait également une priorité : une directive de 2013 avait donné
de nouveaux outils aux Etats pour lutter contre les circuits de fraude à la TVA, et un règlement de
2010 organisait
l’échange
d’informations
entre Etats membres.
Au niveau français, plusieurs évolutions avaient permis de
clarifier le cadre juridique de la TVA
et
d’assurer
sa conformité avec la directive : le rapport de 2015 mentionne ainsi la réforme du
calcul des droits à déduction ou la refonte du régime de la TVA immobilière. Les
modalités de
déclaration et de collecte de la taxe
avaient été également ajustées : modification du régime
simplifié
d’imposition
pour les petites entreprises, dépôt obligatoire de la déclaration TVA via
Internet à compter du 1
er
octobre 2014, régime de consolidation de paiement, et autoliquidation
de la TVA à
l’importation
pour certaines grandes entreprises.
II.
Deux facteurs expliquent de nouvelles dynamiques apparues depuis
2015 :
l’abandon
du
“principe
d’origine”
et les mutations économiques
entraînées par le numérique
A)
L’abandon
du
“principe
d’origine”
Une opération transfrontalière peut être taxée selon les règles du pays
d’origine,
c’est
-à-dire du
pays du vendeur du bien ou du prestataire du service. Elle peut être également taxée selon les
règles du pays de destination,
c’est
-à-dire celles du pays du client.
Dans le régime européen de TVA issu de la
“sixième
directive”
en 1977, les services étaient en
général taxés au pays
d’
origine et les biens étaient taxés au pays de destination selon un
mécanisme particulier : chaque transfert de bien fait naître une livraison intracommunautaire
exonérée dans le pays de départ, et une acquisition intracommunautaire taxée dans le pays
d’arr
ivée. Ce mécanisme était néanmoins présenté par les textes européens comme provisoire et
devait céder la place à un système définitif fondé sur la taxation au pays
d’origine.
Toutefois,
pour les services
, les deux directives de 2002 et 2008 ont consacré une victoire du
principe de destination : pour les services BtoB, ainsi que pour certains services électroniques
BtoC. Le principe
d’origine
ne concerne plus que des situations résiduelles.
Pour les biens
, après
plusieurs tentatives infructueuses en 1996 et en 2010, la Commission européenne a pris acte en
2011 de
l’abandon
du projet de système définitif fondé sur la taxation au pays
d’origine.
Ce
tournant explique les évolutions du système de TVA survenues depuis cette date :
Plutôt
qu’une
refonte
d’ample
ur du système européen de TVA, la Commission a privilégié la
multiplication de modifications ciblées de la directive susceptibles
d’entraîner
un consensus
chez les Etats membres. Depuis 2015, la directive TVA a ainsi été
modifiée à 17 reprises
;
le principe de taxation au pays de destination ne comporte pas
d’effets
pervers en termes de
concurrence fiscale entre Etats. Il permet donc
l’assouplissement
de
l’encadrement
européen
des taux de TVA pratiqués par les Etats membres, réalisé par la directive du 5 avril 2022 ;
la taxation au pays de destination a permis de tester un nouveau mode de déclaration et de
collecte de la TVA, le guichet unique électronique (MOSS, OSS ou IOSS). Celui-ci offre de
nouvelles possibilités conduisant la Commission européenne à afficher comme objectif la mise
en place
d’un
“nouveau”
régime définitif, inspiré des guichets uniques électroniques développés
depuis les années 2000 : la
taxation au pays
d’origine
selon les règles du pays de
destination
.
B)
Quelle TVA à
l’ère
du numérique ?
Impôt inventé au XXe siècle, la TVA est fondée sur la collecte de la taxe par des entités juridiques
stables au cours du temps, les entreprises ayant la qualité
d’assujetti.
Ces dernières mettent en
œuvre
de moyens matériels, en particulier pour le commerce ou la production de biens corporels.
Les entreprises disposaient de
comptabilités internes et de factures
papier
qu’il
leur
appartenait de conserver en cas de contrôle de
l’administration,
pour justifier de la sincérité des
déclarations de TVA
qu’elles
réalisaient à un rythme régulier. Or, la numérisation de
l’économie
et le développement de techniques de traitement des données rendent possible un décalage du
contrôle
a posteriori
vers un contrôle
a priori
ou instantané (en temps réel) des transactions.
La TVA a été inventée à une période où les échanges internationaux étaient limités.
Lorsqu’une
entreprise était active dans un pays, il était normal de lui demander une
immatriculation à la
TVA
et il était possible de contrôler le respect de ses obligations fiscales dès lors
qu’elle
y
mobilisait des moyens matériels et humains. Les échanges de biens donnaient lieu à des
contrôles
douaniers
suffisants pour lutter contre la fraude. Or, plusieurs évolutions du commerce
international ont rendu nécessaire une adaptation du cadre existant : le développement de la
fourniture transfrontalière de services (même non-électroniques), la complexification des chaînes
logistiques portant sur les biens ou la croissance de ventes à distance de biens directement au
consommateur final.
Enfin, de façon croissante, les opérations économiques sont réalisées par des personnes
indépendantes, parfois coordonnées ou référencées sur des plateformes, mais sans que celles-ci
ne revêtent
d’un
point de vue juridique la qualité
d’employeur
ou de donneur
d’ordre.
Elles
peuvent également agir de façon entièrement indépendante, sans contrôle ni coordination
d’une
plateforme (Web 3.0).
III.
Dans ce cadre, plusieurs tendances se dessinent
A)
Derrière une grande stabilité des
“frontières
de la
TVA”,
deux nouveautés apparaissent
en France :
l’option
souple pour la taxation et le régime de groupe TVA
Le rapport de 2015 du Conseil des prélèvements obligatoires signalait déjà que
l’objectif
de
neutralité de la TVA était affecté par la non-imposition à la TVA de certaines activités. Les activités
hors du champ
d’application
de la TVA ou
exonérées
n’ouvrent
en effet pas droit à déduction
de la TVA amont et peuvent être soumis à des impôts spécifiques, tels que la taxe sur les salaires
(TS) en France. Le régime de ces opérations
n’a
pas réellement changé depuis
l’entrée
en vigueur
du cadre européen harmonisé de la TVA en 1977.
Ainsi, les
activités menées par les personnes publiques
en tant
qu’autorités
publiques sont
hors du champ
d’
application de la TVA. De même de nombreuses
activités
d’intérêt
général
menées par des organismes sans but lucratif (OSBL)
sont exonérées. Envisagée par une
communication de la Commission européenne en 2010, la réforme européenne du régime TVA
applicable aux personnes publiques semble
aujourd’hui
au point mort. Toutefois, au niveau
national, un réexamen du régime TVA des personnes publiques et des OSBL serait justifié au
regard (i) des risques juridiques liés à
l’existence
de distorsions de concurrence de personnes
publiques avec les personnes privées, (ii) de
l’avantage
que certaines personnes publiques ou
OSBL trouveraient à être taxées à un taux réduit, notamment pour des activités culturelles ou
sportives.
De même, les
services financiers
sont également, pour
l’essentiel,
exonérés en vertu de
l’article
135 de la directive, dont les dispositions
n’ont
pas évolué depuis 1977, malgré les transformations
considérables du secteur financier depuis cette date. Ainsi, les rémanences de TVA ont pris de
l’ampleu
r avec
l’augmentation
de
l’intensité
technologique des activités financières. Toutefois,
une proposition de la Commission européenne sur la taxation des services financiers, annoncée
pour 2023, a été pour le moment repoussée. En effet, si une taxation de ce secteur est
théoriquement envisageable, elle est toutefois peu praticable à
l’heure
actuelle, au regard du
renchérissement du coût du crédit
qu’elle
impliquerait et de la faible appétence des acteurs
financiers hors de France pour cette évolution.
En revanche, une modernisation des notions employées par la directive, non actualisées depuis
1977 malgré les transformations du secteur, est nécessaire. Face aux risques de concurrence
fiscale liés notamment, mais pas exclusivement, à la sortie du Royaume-Uni de
l’Union
européenne, un travail pourrait être mené au niveau de
l’OCDE
sur
l’harmonisation
des règles
applicables aux droits à déduction.
Enfin, de nouveaux outils prennent de
l’ampleur
:
-
Le régime
d’option
: le système TVA français se caractérise par le fait que les activités
financières y bénéficient, de longue date,
d’un
régime
d’option
pour la taxation. Depuis la loi de
finances pour 2022 ayant suivi une voie ouverte par une décision du Conseil
d’Etat,
le droit
d’option
peut être exercé opération par opération. Or, le périmètre des opérations financières
éligibles au régime
d’option
n’a
pas été substantiellement modifié depuis les années 1970. Une
mise à jour de cette liste serait donc opportune.
-
Le régime de groupe TVA :
contrairement à ses voisins, la France
n’a
jamais utilisé la faculté
offerte par la directive TVA de créer un régime de groupe TVA ou
d’assujetti
unique, se limitant
à prévoir un régime de consolidation des paiements réservé aux grandes entreprises. Suite à
une décision de la CJUE ayant remis en cause le régime des groupements de moyens, la France
a créé ce régime de groupe. Toutefois, la majorité des entreprises ne sont pas en mesure
d’adopter
ce régime du fait de son impact sur la taxe sur les salaires (TS) dont elles deviennent
redevables. Le rapport envisage ainsi
d’autoriser
les entreprises à constituer un
“groupe
TS”
pour neutraliser cet effet.
B)
La directive du 5 avril 2022 a modifié en profondeur le régime applicable aux taux
réduits
Les articles 278-0
bis
à 281
octies
du CGI prévoient
l’application
de taux réduits à une centaine de
catégories de biens et services, définies avec un degré de précision variable. Certains régimes
présentent une complexité importante (chocolat, vente à emporter de produits alimentaires,
bières sans alcool et panachés).
Par ailleurs, comme
l’a
révélé la jurisprudence de la CJUE, la détermination du taux réduit
applicable aux
offres complexes ou composites
peut se révéler délicate. Plusieurs arrêts récents
de la Cour ont rendu nécessaire une refonte des règles applicables en droit interne par la loi de
finances pour 2021. Il peut en résulter la remise en cause de taux réduits, auparavant pratiqués
sur la base
d’une
ventilation de
prestations indissociables et formant une opération unique
.
Tel est par exemple le cas pour les offres de télévision en ligne proposant télévision, replay et
VOD, rendant nécessaire une adaptation du périmètre du taux réduit appliqué uniquement aux
services de télévision linéaire.
Le cadre juridique des taux réduits était très encadré depuis une directive de 1992. Hors clauses
de gel de dispositions antérieures, les Etats ne pouvaient prévoir
qu’un
taux plein supérieur à 15%
et deux taux réduits supérieurs à 5% appliqués aux seuls biens et services relevant de catégories
énumérées par
l’Annexe
III de la directive.
Avec
l’abandon
du principe
d’origine,
le Conseil de
l’Union
européenne a admis un
assouplissement de ce régime strict en adoptant la directive du 5 avril 2022. Cette dernière
permet aux Etats membres de pratiquer, en plus des deux taux réduits, deux taux inférieurs à 5%
dont une exonération avec droit à déduction. La liste de catégories de biens et services éligibles
au taux réduit, fixée à
l’Annexe
III, est élargie. En contrepartie, la nouvelle directive prévoit un
mécanisme de convergence des clauses de gel existantes et la mise en extinction de taux réduits
applicables à certains biens nuisibles à
l’environnement.
La directive du 5 avril 2022 offre de nouvelles possibilités, par exemple pour refondre la structure
des taux réduits dans le domaine de
l’alimentation,
où il est désormais possible de pratiquer un
taux réduit inférieur à 5%. En revanche, elle ne permet pas de prévoir une vraie TVA
environnementale dans la mesure où les catégories de biens et services éligibles au taux réduit
restent, dans ce domaine, trop limitatives.
De surcroît, les accises sont un meilleur outil que la TVA pour réorienter les processus productifs
vers la transition écologique, dès lors que, contrairement aux accises, les taux de TVA
n’ont
aucun
impact incitatif sur les transactions BtoB. En revanche, il pourrait être intéressant de prévoir une
extension des catégories visées à
l’Annexe
III aux taux réduits de TVA pour les biens
reconditionnés ou réparés.
C)
En matière de territorialité des services, certaines réformes ponctuelles visant des
régimes sectoriels seraient nécessaires
En matière de territorialité de services, le cadre issu des directives de 2002 et 2008 est fondé sur
une distinction entre les services BtoB, taxables au lieu
d’établissement
du client (principe de
destination), et les services BtoC, au lieu
d’établissement
du prestataire (principe
d’origine).
Pour
certains services BtoC (notamment les services électroniques),
c’est
toutefois le lieu de résidence
habituel du consommateur final qui est retenu. Enfin, pour
d’autres
services spécifiques (tels que
transport ou restauration) la directive retient le lieu de réalisation physique du service.
En BtoC
, certains risques de perte de ressource fiscale sont à noter : (i) une possible concurrence
fiscale sur les services non électroniques dont la réalisation à distance est néanmoins facilitée par
l’émergence
du numérique, (ii) un risque
d’évitement
des obligations déclaratives et fiscales par
les personnes non-établies dans
l’UE
mais y réalisant des services électroniques.
En BtoB
en
revanche, les risques
d’effritement
de la base fiscale des Etats sont faibles : les obligations des
entreprises et les risques juridiques de redressement pesant sur elles sont importants,
notamment en ce qui concerne la qualification de leur établissement stable.
Certaines prestations de services particulières méritent un traitement spécifique. Par exemple, la
directive du 5 avril 2022 modifie le traitement des prestations événementielles à distance, dont
le développement suite à
l’épidémie
de Covid-19 est significatif, pour que leur taxation soit
déterminée par le lieu de résidence du consommateur. En revanche, deux autres catégories de
service nécessitent une réponse rapide au niveau de
l’UE
:
-
Les prestations de transport
: si ces dernières sont taxées en principe au lieu de situation
physique du voyageur, cette règle
s’avère
impraticable pour certains modes de transport (ex.
avion). Elle est donc, en pratique, remplacée dans la plupart des Etats membres, dont la France,
par une exonération avec droit à déduction dont la justification
n’est
pas établie. Il paraît
envisageable de remplacer cette exonération par une taxation fondée (i) soit sur le lieu de
départ ou
d’arrivée
des voyageurs (ii) soit sur la localisation physique des voyageurs le long du
trajet, avec évaluation forfaitaire des distances parcourues.
-
Les prestations des agences de voyage
: ces dernières bénéficient
d’un
régime dérogatoire
de taxation sur la marge bénéficiaire pour leur activité
d’entremise.
La règle de territorialité au
lieu
d’établissement
du prestataire implique toutefois
qu’une
agence établie hors UE peut
proposer des voyages dans
l’Union
en échappant à toute TVA. Le risque de concurrence fiscale
(notamment en provenance du Royaume-Uni) implique de favoriser une taxation au lieu de
résidence habituelle des clients.
D)
Le régime des importations et des acquisitions/livraisons intra-communautaires ne
peut évoluer sans une réforme plus profonde de ce cadre
Biens - importations de pays tiers
. En matière de territorialité des biens, le cadre juridique des
importations est en principe étroitement lié au cadre douanier.
L’importateur,
c’est
-à-dire le
destinataire réel des biens déclarés sur la déclaration en douane, est redevable de la TVA à
l’importation
calculée sur la base de la valeur en douane.
La directive du 5 décembre 2017 a supprimé la franchise de TVA applicable aux envois de faible
valeur qui générait une distorsion de concurrence en faveur des vendeurs de pays tiers. Elle a
également ajusté le cadre TVA aux enjeux du commerce électronique, là où cela était possible sans
modification du cadre douanier,
c’est
-à-dire pour les envois
d’une
valeur inférieure à 150 euros,
pour lesquels aucun droit de douane
n’est
appliqué. La vente à distance de ces biens en BtoC peut
désormais donner lieu à une déclaration sur un guichet IOSS permettant une collecte anticipée de
la TVA et une exonération à
l’exportation.
Elle crée un mécanisme neuf de redevabilité des
plateformes pour ces biens
d’une
valeur inférieure à 150 euros.
Toutefois, dans le cadre juridique actuel, la collecte de la TVA à
l’impo
rtation reste très sensible
aux fraudes (sous-valorisation, dissimulation de la qualité du vendeur
…).
Par ailleurs, certaines
mesures nationales, telles que
l’extens
ion de la redevabilité des plateformes aux envois de plus de
150 euros par la France, rencontrent des difficultés pratiques
d’application.
Il est donc nécessaire
d’envisager
une évolution du cadre douanier dans lequel
s’insère
la TVA : pour cela, la collecte de
la TVA, dont le taux est largement supérieur à celui des droits de douane eux-mêmes, doit
constituer une priorité.
En BtoB, le cadre juridique de la TVA à
l’importation
a été également transformé par la
généralisation de
l’autoliquidation
de la TVA à
l’importation.
Celle-ci permet
d’assurer
la
compétitivité des lieux de dédouanement français (tels que les ports ou aéroports) par rapport à
la concurrence internationale. Elle présente toutefois de nouveaux défis : communication des
informations entre administrations et avec les contribuables, risques de
l’extension
des fraudes
carrousel aux importations de pays tiers, charge administrative pour les contribuables
jusqu’ici
exonérés ou au régime simplifié.
Biens - opérations intracommunautaires
. Le cadre des opérations reste pour le moment figé sur
le compromis de 1992. La traversée
d’une
frontière de
l’UE
donne lieu à deux opérations
symétriques : dans le pays de départ, une
livraison intra-communautaire (LIC)
exonérée et
ouvrant droit à déduction, et dans le pays
d’arrivée,
une
acquisition intra-communautaire
(AIC)
intégralement taxée à la TVA.
La directive
“Quick
Fixes”
du 4 décembre 2018
n’a
modernisé que certains éléments subsidiaires
de ce régime, en général en vue de renforcer les obligations déclaratives ou documentaires pesant
sur les contribuables. Seul le régime des ventes à distances BtoC a été réellement simplifié par la
création du guichet unique OSS qui permet de limiter
l’insécurité
juridique des prestataires.
Les chaînes logistiques étant de plus en plus intégrées au sein de
l’UE,
l’obligation
d’immatriculation
à la TVA des sociétés non établies dans chaque Etat membre où elles réalisent
des opérations est source de complexité administrative. La Commission recherche une solution
permettant de simplifier les opérations survenant dans une chaîne logistique dont la vocation est
d’acheminer
un bien vers le consommateur final (BtoBtoC), cette solution pouvant passer par une
extension du guichet OSS. Cette proposition pourrait constituer la première étape
d’une
convergence vers le
“nouveau
système
définitif”
visé par la Commission, qui impliquerait une
fusion des différents guichets uniques.
E)
Les nouvelles technologies numériques constituent tant un défi q
u’une
opportunité
pour la modernisation du système de TVA
D’une
part, il appartient au système de TVA de tenir compte de plateformes de
l’économie
“des
petits
boulots”
et de
l’économie
“du
partage”
(Airbnb, Uber, Leboncoin, etc.) qui ont pour
caractéristique commune
d’impliquer
des fournisseurs de biens ou de services non-assujettis au
regard de la TVA, car exerçant une activité occasionnelle. Coordonnés à travers une plateforme,
ces acteurs sont susceptibles de faire concurrence à des entreprises de
l’économie
traditionnelle.
S’il
était estimé que ce phénomène générait une vraie distorsion économique, certains outils
existant actuellement dans la directive pour taxer des opérateurs non-assujettis pourraient être
mobilisés. Une réponse systémique nécessiterait
d’inscrire
dans la directive TVA une redevabilité
des plateformes sur la TVA due au titre des opérations réalisées par ces fournisseurs. Cette
solution nécessite toutefois des arbitrages plus précis, notamment le maintien des droits à
déduction et de la franchise en base pour les fournisseurs de ces plateformes.
D’autre
part, les obligations déclaratives des contribuables, issues du XXe siècle, doivent être
profondément remaniées.
A
l’heure
actuelle, les contribuables doivent retracer leurs opérations de façon agrégée dans une
déclaration de TVA
, transmise à échéances régulières à
l’administration
fiscale, et sont
responsables de la
conservation des factures
permettant un contrôle
a posteriori
de
l’administration.
Cette logique sera modifiée avec la généralisation de la
facturation
électronique
et du
e-reporting
: les assujettis seront tenus de faire parvenir, en temps réel, les
données contenues sur les factures à
l’administration
fiscale. Cette réforme prévue à
l’horizon
2024-2025 permettra un pré-remplissage des déclarations de TVA, mais aussi une lutte contre les
schémas de fraude en BtoB.
Pour lutter contre les activités occultes réalisées sur Internet, le législateur européen et le
législateur national ont prévu un renforcement des
obligations déclaratives des plateformes
(article 242
bis
du CGI et directive DAC 7). Ces outils restent toutefois insuffisants dès lors
qu’une
part significative des activités économiques non déclarées
s’effectue
en-dehors de ces
plateformes.
Enfin, la directive du 18 février 2020 crée une obligation de
reporting
d’un
genre nouveau, pesant
sur les
prestataires de service de paiement
: il leur appartiendra
d’enregistrer
les transactions
transfrontalières impliquant un opérateur économique ou un client situé dans
l’UE.
A la condition
que
l’administration
s’en
empare, la transposition de cette directive pourrait offrir une réponse à
plusieurs difficultés signalées ci-dessus : non-déclaration des services électroniques réalisés par
des prestataires assujettis, déclarations en douane frauduleuses, activités économiques occultes
prospérant dans
l’UE
du fait
d’une
mauvaise coopération des administrations fiscales.
Le rapprochement, dans une base unique au niveau européen (VIES 2.0), des informations issues
des déclarations de TVA, de la facturation électronique et du
e-reporting
, des déclarations
douanières et des déclarations des prestataires de service de paiement peut être envisagé à
l’horizon
2028 et constituerait une étape majeure dans la lutte contre les schémas de fraude,
notamment transfrontaliers.
Synthèse des propositions
Note : Une proposition est notée (FR)
lorsqu’elle
peut être mise en
œuvre
au niveau français; (UE)
lorsqu’elle
nécessite une modification du cadre européen et (OCDE)
lorsqu’elle
implique de négocier
dans un cadre multilatéral.
I.
La TVA en pratique : un impôt général sur la consommation à paiement fractionné
Proposition n°1
(FR) : Profiter de la recodification des dispositions fiscales relatives à la TVA
dans le CIBS pour clarifier le régime des opérations hors champ et exonérées pour assurer sa
conformité à la directive. Dans ce contexte, recenser avec les acteurs concernés (collectivités et
OSBL) :
-
les activités pour lesquelles des distorsions de concurrence avec des personnes privées taxées
feraient peser un risque juridique sur la non-taxation pratiquée ;
-
les activités (principalement culturelles et sportives) pour lesquelles
l’application
d’un
taux
réduit de TVA serait plus favorable
qu’une
non-taxation.
II.
L’
exonération des activités bancaires, financières et
d’assurance
constitue une
spécificité forte du régime de TVA européen
2.1. Malgré la stabilité du cadre fixé par
l’article
135 de la directive depuis 1977, on assiste
à
l’émergence
de nouveaux enjeux
Proposition n°2
(OCDE) : Inscrire à
l’agenda
de
l’OCDE
une réflexion sur le régime des droits à
déduction des prestataires de services financiers réalisant des opérations transfrontalières
exonérées.
Proposition n°3
(FR) : Etudier, en lien avec les fédérations professionnelles concernées, une
évolution du périmètre des opérations financières éligibles au droit
d’option
pour la TVA.
Proposition n°4
(UE) : Sans engager une réforme
d’ampleur
du régime
d’exonération
applicable
aux opérations financières, moderniser les notions employées à
l’article
135 de la directive pour
tenir compte des évolutions du secteur.
2.2. La transposition du régime de groupe devrait aller au-delà de la compensation de la
jurisprudence de la CJUE relative aux groupements de moyens
Proposition n°5
(FR) : Neutraliser
l’impact
TS de
l’adoption
du régime de groupe TVA, soit en
excluant du champ de la TS les groupes industriels et commerciaux dont
l’essentiel
des opérations
menées vis-à-vis de
l’extérieur
sont soumises à TVA (option 1), soit en introduisant la faculté, pour
les sociétés ayant opté pour un groupe TVA, de se constituer également en groupe TS sur le même
format, aux fins du calcul du coefficient
d’assujettissement
à la TS (option 2).
Proposition n°5 subsidiaire
(FR) : Etendre le régime de consolidation de paiement à
l’ensemble
des entreprises.
III.
L’encadrement
des taux réduits au niveau européen a été modifié en profondeur par la
directive du 5 avril 2022
3.1. Faisant
l’objet
d’un
encadrement important en prévision de
l’instauration
d’un
système définitif, les taux réduits en France continuaient
d’être
source de complexité
Proposition n°6
(FR) : Identifier les biens et services bénéficiant
d’un
taux réduit et proposés de
façon courante au sein
d’offres
composites. Sur le modèle des offres de télévision, étudier, là où
cela est possible, une adaptation du périmètre des taux réduits pour tenir compte des nouveaux
modes de consommation.
3.2. La directive du 5 avril 2022, ayant substantiellement élargi les marges de
manœuvre
des Etats, offre la possibilité de réfléchir sur la structure des taux réduits
Proposition n°7
(FR) : Privilégier les accises comme outil principal de fiscalité incitative en
matière
d’impôts
indirects.
Proposition n°8
(UE) : Porter au niveau européen une proposition de modification de
l’Annexe
III de la directive permettant aux Etats
d’appliquer
un taux réduit, soit à
l’ensemble
des biens
qu’ils
définissent dans le cadre de leur politique de soutien à
l’économie
circulaire (option 1), soit aux
seuls biens
d’occasion
acquis auprès de non-assujettis (option 2).
IV.
La territorialité de la TVA continue
d’être
à
l’origine
d’évolutions
majeures du cadre
juridique de cet impôt, tant sur les biens que sur les services
4.1. Le cadre juridique de la territorialité des prestations de service est susceptible de
connaître quelques ajustements
Proposition n°9
(UE) : Sur la base
d’une
analyse plus approfondie des distorsions de concurrence
introduites par les règles BtoC existantes, envisager :
-
une extension du principe de destination à certains services BtoC aisément délocalisables
-
un renforcement des outils de contrôle pesant sur les prestataires de services électroniques
Proposition n°10
(FR, UE) : Soutenir la mise en place
d’une
taxation des agences de voyage au
lieu
d’établissement
des clients au niveau de
l’UE.
Envisager
d’introduire
cette mesure de façon
anticipée en France en cas de blocage des négociations menées au niveau européen.
Proposition n°11
(FR, UE) : Evaluer les distorsions de concurrence
qu’induirait,
dans le secteur
du transport de passagers,
l’adoption
d’une
règle de taxation fondée sur le lieu de départ ou
d’
arrivée des voyageurs. Arbitrer, sur la base de cette évaluation, entre un régime de taxation au
lieu du départ ou
d’arrivée
et un régime de taxation qui serait fondé sur une évaluation forfaitaire
des distances parcourues.
4.2. Pour les importations de biens (vis-à-vis
d’Etats
tiers), des adaptations nécessaires à
la montée du commerce électronique
Proposition n°12
(UE) : Soutenir une réforme du cadre douanier permettant de moderniser la
collecte de la TVA à
l’importation
pour les envois
d’une
valeur supérieure à 150 euros, en
permettant le recours au portail IOSS et en étendant au niveau de
l’UE
la responsabilité des
plateformes à ces envois.
Proposition n°13
(UE) : Dans
l’attente
de cette évolution, mener des
“quick
fixes”
tels que la
transformation du IOSS,
d’une
simple déclaration agrégée de chiffre
d’affaires,
à un état
récapitulatif de
l’ensemble
des envois, permettant
l’attribution
d’un
numéro unique
aux
envois
déclarés sur cette plateforme.
Proposition n°14
(FR) : Etudier, en lien avec les acteurs concernés, si le webservice
‘Données
ATVAI’
est suffisant pour assurer le suivi du pré-remplissage ou si elles doivent être complétées
par un accès aux données brutes des déclarations en douane, (i) soit sur un portail de
l’administration
douanière, (ii) soit à travers une obligation de transmission des données, sous
format structuré, par les RDE en douane.
Proposition n°15
(FR) : Sous un seuil déterminé (fixé par référence à un nombre de transactions
ou à un montant de TVA collecté), laisser la possibilité aux assujettis au RSI, en franchise de TVA
ou exonérés de TVA
d’auto
-liquider en déclaration annuelle, pour les assujettis et les non-
assujettis.
4.3. Pour les livraisons de biens intracommunautaires, la profonde modification du cadre
BtoC contraste avec une stabilité du BtoB
Proposition n°16
(FR, UE) : Simplifier les formalités administratives de
l’immatriculation
en
France et travailler à un standard commun des procédures
d’immatriculation
TVA au sein de
l’UE
(dématérialisation, socle de documents, exigences linguistiques) prenant la forme
d’un
document
de droit souple, tel
qu’un
guide de bonnes pratiques.
Proposition n°17
(FR, UE) : Soutenir au niveau européen une proposition
d’extension
du guichet
unique OSS aux opérations BtoBtoC. Attendre une évaluation plus approfondie des nouveaux
outils de contrôle de
l’administration
(obligation des PSP, facturation électronique) pour
envisager une intégration plus approfondie des guichets uniques.
V.
La TVA à l
’è
re numérique doit
s’appuyer
sur de nouveaux instruments pour lutter
contre la fraude, simplifier les obligations et limiter les distorsions de concurrence
Proposition n°18
(FR) : Evaluer si les obligations de conservation issues de
l’article
286
quinquies
du CGI sont suffisantes pour compenser la perte de données issue de la suppression de
l’article
242
bis
. Dans le cas inverse, rétablir
l’obligation
de
reporting
antérieurement prévue à cet
article pour les données non couvertes par la directive DAC 7.
Proposition n° 19
(UE, FR) : Evaluer,
d’un
point de vue économique, la pertinence
d’instaurer
un
mécanisme de redevabilité des plateformes sur les services et des biens proposés par des
fournisseurs non-assujettis. A défaut
d’un
accord européen sur le sujet, envisager au niveau
national, si besoin, une extension du champ
d’application
de la TVA à ces fournisseurs non-
assujettis, sur le fondement de
l’article
12 de la directive.
Proposition n°20
(FR) : Anticiper
l’adaptation
des techniques du contrôle fiscal (traitement et
collecte de données) pour tenir compte du nouvel outil que constituent les obligations de
reporting
des PSP pour les opérations transfrontalières. Evaluer les risques de contournement des
obligations déclaratives pesant sur les plateformes du fait de la transformation de
l’économie
numérique (Web 3.0). Sur cette base, envisager une extension des obligations de
reporting
aux
transactions internes.
SOMMAIRE
Introduction
.......................................................................................................................................................................
1
1.
La TVA en pratique : un impôt général sur la consommation à paiement fractionné
....
5
1.1.
La TVA est un impôt sur la consommation assorti
d’un
droit à déduction qui garantit sa
neutralité le long de la chaîne économique
......................................................................................................
5
1.2.
Si la TVA est un impôt à assiette en principe large, il existe des opérations hors champ
ou exonérées entraînant une limitation du droit de déduction
.............................................................
11
2.
L’exonération
des activités bancaires, financières et
d’assurance
constitue une
spécificité forte du régime de TVA européen
.....................................................................................
23
2.1.
Malgré la stabilité du cadre fixé par
l’article
135 de la directive depuis 1977, de nouveaux
enjeux apparaissent
..................................................................................................................................................
23
2.2.
La transposition du régime de groupe devrait aller au-delà de la compensation de la
jurisprudence de la CJUE relative aux groupements de moyens
...........................................................
28
3.
L’encadrement
des taux réduits au niveau européen a été modifié en profondeur par
la directive du 5 avril 2022
.......................................................................................................................
34
3.1.
Faisant
l’objet
d’un
encadrement important en prévision de
l’instauration
d’un
système
définitif, les taux réduits en France continuaient
d’être
source de complexité
...............................
34
3.2.
La directive du 5 avril 2022, ayant substantiellement élargi les marges de
manœuvre
des
Etats, offre la possibilité de réfléchir sur la structure des taux réduits
..............................................
43
4.
La territorialité de la TVA continue
d’être
à
l’origine
d’évolutions
majeures du cadre
juridique de cet impôt, tant sur les biens que sur les services
.....................................................
53
4.1.
Le cadre juridique de la territorialité des prestations de service est susceptible de
connaître quelques ajustements
.........................................................................................................................
54
4.2.
Pour les importations de biens (vis-à-vis
d’Etats
tiers), des adaptations nécessaires à la
montée du commerce électronique
...................................................................................................................
61
4.3.
Pour les livraisons de biens intracommunautaires, la profonde modification du cadre
BtoC contraste avec une stabilité du BtoB
......................................................................................................
71
5.
La TVA à
l’ère
numérique doit
s’appuyer
sur de nouveaux instruments pour lutter
contre la fraude, simplifier les obligations et limiter les distorsions de concurrence
........
79
5.1.
Comment assurer la collecte de la TVA dans une économie de plateformes ?
...................
79
5.2.
Facturation électronique, transmission des données de paiement : aube
d’une
refonte
profonde de la déclaration et de la collecte de la TVA?
..............................................................................
87
Annexe n°1 : Liste des personnes auditionnées
..........................................................................................
95
1
Introduction
La TVA est un impôt national dont le cadre est largement harmonisé au
niveau de
l’Union
européenne
Principe général
. Le principe de la TVA
n’a
que peu évolué depuis son invention par Maurice
Lauré (cf. rapport particulier n° 3) en 1954 : à chaque opération, les entreprises sont redevables
de la TVA
qu’elles
facturent à leurs clients sur la totalité du prix de vente. En contrepartie, elles
peuvent déduire la TVA amont - qui a grevé le coût des biens et services
qu’elles
utilisent. Le
paiement de la TVA collectée pour le compte du Trésor et la déduction de la taxe amont
s’effectuent
sur un même document transmis à
l’administration,
la déclaration de chiffre
d’affaires
, et sont contrôlées à
l’aide
de pièces justificatives standardisées,
les factures
.
Visant à imposer la consommation finale, la TVA partage donc un objet identique avec les
taxes
sur les ventes
appliquées à un seul stade du circuit économique, en général à la vente au
consommateur final (comme la
sales tax
américaine). Toutefois, le paiement fractionné de la TVA
facilite, en principe, la collecte de la taxe et la lutte contre la fraude.
L’existence
d’un
droit à
déduction distingue également la TVA des
taxes sur le chiffre
d’affaires
cumulatives
(ou à
cascade) appliquées à chaque étape du circuit économique, qui sont source de distorsions
économiques, puisque leur charge fiscale augmente avec le nombre
d’opérations
intermédiaires
avant la vente au consommateur final.
Pourquoi une harmonisation de la TVA?
L’existence
du marché unique institué par le Traité de
Rome supposait une harmonisation des taxes sur le chiffre
d’affaires,
afin que celles-ci ne faussent
pas les conditions de concurrence et
n’entravent
pas la libre circulation des marchandises et des
services
1
. En pratique, seule la TVA était capable de contribuer efficacement à
l’unification
du
marché intérieur et
d’éviter
les distorsions de concurrence
2
. En effet, sa base
d’imposition
à
l’importation
est constituée du prix total du bien, quel que soit le nombre
d’opéra
tions antérieures
intervenues.
C’est
dans ce contexte que la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril
1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le
chiffre d'affaires a jeté les bases de la généralisation de la TVA dans chaque Etat membre et de
l’harmonisation
de ses règles de fonctionnement.
1
Selon la formulation du considérant 4 de la directive du 28 novembre 2006.
2
Avant la TVA, dans les années 1960, tous les Etats de la CEE pratiquaient des taxes sur le chiffre
d’affaires
cumulatives.
Les opérations transfrontalières étaient soumises à une taxe compensatoire dont le calcul se révélait problématique,
puisque pour assurer une neutralité dans les conditions de concurrence, il aurait fallu évaluer le nombre de transactions
successives auxquelles chaque produit et ses composants avaient été soumis (Guy Delorme,
De Rivoli à Bercy, souvenirs
d’un
inspecteur des finances
, Chapitre VIII, IV).
2
Ce processus
d’harmonisation
s’est
poursuivi, aboutissant à la « sixième directive » 77/388/CEE
du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres
relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette
uniforme, du 17 mai 1977, dont les règles ont été ensuite refondues dans
la directive TVA du
28 novembre 2006
3
. Cette directive fixe
aujourd’hui
le corpus de règles fondamentales régissant
cet impôt,
qu’
il s
’agisse
de son champ
d’application,
de sa territorialité, de son assiette, ou encore
des règles relatives à son exigibilité ou à sa déduction.
Toutefois, comme on va le voir,
les marges de
manœuvre
des Etats
restent significatives : (i)
liberté explicitement laissée par la directive aux Etats-membres pour déterminer certains
paramètres ou mécanismes de
l’impôt
4
, (ii) clauses de
gel”
de dispositions antérieures à
l’harmonisation
dans un certain nombre de domaines, (iii) domaines non couverts par la
directive : traitement fiscal des opérations hors champ, obligations déclaratives et de
reporting
des contribuables, organisation des contrôles, sanctions fiscales.
Un Etat-membre peut-il créer une taxe ressemblant à la TVA?
Selon la CJUE, les caractéristiques fondamentales de la TVA sont aux nombre de quatre : (i)
l’application
générale de la TVA aux transactions ayant pour objet des biens ou des services, (ii) la fixation de son
montant proportionnellement au prix perçu par
l’assujetti
en contrepartie des biens et des services
qu’il
fournit, (iii) la perception de cette taxe à chaque stade du processus de production et de distribution, y
compris à celui de la vente au détail, quel que soit le nombre de transactions intervenues précédemment, et
(iv) la déduction de la TVA due par un assujetti des montants acquittés lors des étapes précédentes du
processus de production et de distribution, de telle sorte que cette taxe ne
s’applique,
à un stade donné, qu
’à
la valeur ajoutée à ce stade et que la charge finale de ladite taxe repose en définitive sur le consommateur
(CJUE 3 octobre 2006, Banca popolare di Cremona,
C‑475/03
).
Selon la CJUE, il résulte de
l’article
401 de la directive TVA
5
que les Etats membres ne peuvent créer ou
conserver, à côté de la TVA,
d’impôt
s assimilables à une taxe sur le chiffre
d’affaires
(CJUE 3 octobre 2006,
Banca popolare di Cremona
, précité). Un Etat-membre ne peut donc introduire une taxe sur le chiffre
d’affaires
qu’à
la condition
qu’elle
ne partage pas les caractéristiques fondamentales de la TVA.
Toutefois, la jurisprudence de la CJUE a apprécié cette condition avec souplesse. Ainsi, l
’Italie
pouvait créer
un impôt local dont
l’assiette
est constituée, comme la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises
(CVAE) française, par la valeur nette « ajoutée » au produit par le producteur, puisque cet impôt
n’est
pas
conçu pour être répercuté sur le consommateur final
d’une
manière caractéristique de la TVA (CJCE
3 octobre 2006,
Banca popolare di Cremona
, précité). De même, les Etats membres peuvent mettre en place
une taxe sur les ventes, qui
n’a
pas la même incidence économique sur le consommateur final et sur les
opérations intermédiaires (CJCE 11 octobre 2007,
KÖGÁZ e.a
.,
C‑283/06
et
C‑312/06).
Ces éléments expliquent pourquoi, à côté de la TVA, les Etats membres conservent et créent de nouvelles
taxes sur le chiffre
d’affaires
qui ne partagent pas ses caractéristiques essentielles. En France, le Bulletin
officiel des finances publiques (BOFiP), au BOI-TCA, recense ainsi plus
d’une
trentaine de taxes spéciales
sur le chiffre
d’affaires
coexistant avec la TVA, qui vont de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants
agricoles aux prélèvements sur les jeux et paris ou les taxes sur la publicité audiovisuelle.
3
Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
Cette directive reprend le contenu de la
“sixième
directive”
ainsi que celui
d’une
vingtaine de directives additionnelles
venues la compléter entre temps.
4
Parmi de multiples exemples, on pourrait mentionner les taux réduits, le calcul du prorata de déduction, le choix de
prévoir un régime de
l’assujetti
unique ou un régime
d’option
pour la TVA.
5
L’article
33 de la sixième directive du 17 mai 1977, devenu
l’article
401 de la directive TVA, permet aux Etats membres
de collecter
tous impôts, droits et taxes
n’ayant
pas le caractère de taxes sur le chiffre
d’affaires
(…)”.
3
La base légale de
l’harmonisation
européenne de la TVA est constituée
aujourd’hui
par
l’article
113 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union
européenne (TFUE)
6
, qui prévoit que le Conseil de
l’UE
peut arrêter les dispositions «
touchant à
l’harmonisation
des législations relatives aux taxes
sur le chiffre
d’affaires,
aux droits
d’accises
et autres impôts indirects dans la mesure où cette
harmonisation est nécessaire pour assurer
l’établissement
et le fonctionnement du marché intérieur
et éviter les distorsions de concurrence
». Ces dispositions doivent être prises, comme souvent en
matière fiscale,
à
l’unanimi
té des Etats membres
.
La Commission a présenté, en 2020,
une proposition de directive
7
visant à permettre à la
Commission
d’adopter,
par le recours à la procédure de comitologie dans certains domaines de la
directive TVA, des mesures
d’exécution
visant à en définir les termes. La proposition de directive
prévoit que la Commission serait assistée, dans cette nouvelle mission,
d’un
comité composé de
l’ensemble
des États membres. Toutefois, seules les autorités françaises et une minorité
d’autres
États membres ont accueilli favorablement cette proposition de directive au Conseil. Les autres
États ont considéré que cette proposition au champ
d’application
trop large introduisait dans le
processus législatif relatif à la TVA une possibilité
d’adoption
à la majorité qualifiée de mesures
contraignantes pour les États membres.
La TVA en France
.
C’est
sur la base de ces principes que les dispositions de la directive TVA sont
transposées en droit français au titre II de la première partie du
code général des impôts (CGI),
par les articles 256-0 à 298
octodecies
de ce code. Les dispositions relatives au contrôle de
l’impôt,
au recouvrement et au contentieux - pour lesquelles la directive est en principe silencieuse et
laisse aux Etats membres une entière marge de discrétion - sont contenues dans le
livre des
procédures fiscales (LPF)
.
Le champ
d’
application territorial de la TVA est en principe celui de
l’Union
européenne. Cela
explique que les départements d'outre-mer sont considérés comme des pays tiers : la directive
TVA
n’y
est pas applicable et les opérations économiques réalisées avec ces territoires sont
traitées comme des importations ou des exportations en-dehors de
l’UE
(cf. partie 4). De façon
autonome, la France a décidé
d’appliquer
la TVA dans les départements de la Guadeloupe, de la
Martinique et de La Réunion dans les mêmes conditions que sur le territoire métropolitain, mais
sur la base de taux distincts. En revanche, la TVA n'est provisoirement pas applicable dans les
départements de la Guyane et de Mayotte (cf. art 294-1 du CGI).
Dans les autres collectivités
territoriales ultramarines la situation est diverse. La TVA n'est pas applicable à Saint Barthélemy,
Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Martin.
En Polynésie française les taux de TVA
sont de 5 %, 13 % et 16 %. En Nouvelle-Calédonie la taxe générale sur la consommation (TGC) est
une taxe de type TVA qui est appliquée sur les prix à la consommation des biens et des services
depuis le 1
er
octobre 2018. Elle est venue remplacer sept taxes indirectes par une seule taxe à
quatre taux (3 %, 6 % 11 % et 22 %).
6
Ancien article 99 du traité de Rome.
7
Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil « un plan
d’action
pour une fiscalité équitable
et simplifiée à
l’appui
de la stratégie de relance », COM (2020) 312 final, suivie
d’une
Proposition de directive de Conseil
modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne
l’attribution
de compétences
d’exécution
à la Commission pour
déterminer le sens des termes utilisés dans certaines dispositions de cette directive COM(2020) 749 final
4
Le transfert de la TVA vers le CIBS
Impôt
aujourd’hui
prévu dans le code général des impôts (CGI), la TVA devrait rejoindre le nouveau code
des impositions sur les biens et services (CIBS), sur la base de travaux de recodification prévus pour le
dernier trimestre 2022 et le 1
er
semestre 2023 en ce qui concerne sa partie législative.
Le travail de recodification
s’opère
en principe à droit constant, mais pourra donner lieu à des ajustements
rédactionnels visant à rendre le droit plus accessible et plus lisible (par exemple, en ce qui concerne
l’article
256 B du CGI relatif au non-assujettissement de certaines opérations effectuées par les personnes morales
de droit public, cf. infra) ou encore pourra se traduire par la suppression de dispositions dépourvues de
fondement dans la directive TVA (par exemple,
l’article
261 A du CGI).
Ce travail sera également
l’occasion
de revisiter la répartition des contenus entre partie législative et partie
règlementaire du code (par exemple
s’agissant
des obligations déclaratives qui figurent essentiellement
aujourd’hui
dans la partie législative qui aurait vocation à rejoindre la partie règlementaire du CIBS, ou
encore, à
l’inverse
de toute la règlementation de ce qui concerne les modalités
d’exercice
du droit à
déduction qui figurent
aujourd’hui
aux article 206 et suivants de
l’annexe
II au CGI qui pourraient rejoindre
la partie législative du CIBS).
TVA et coopération multilatérale
. La TVA est un impôt adopté largement hors de
l’Union
européenne,
puisqu’au
1
er
janvier 2016, 166 pays et territoires dans le monde avaient mis en
œuvre
un régime de TVA
8
. En tant
qu’impôt
indirect, la TVA
n’entre
pas dans le champ des
conventions fiscales
visant les impôts directs.
Dans ce contexte, une coopération sur la TVA au niveau multilatéral est
d’autant
plus essentielle.
A cet égard,
l’Organisation
pour la coopération et le développement économique (OCDE) constitue
un forum pertinent de discussion : pour établir des principes directeurs
9
, échanger des bonnes
pratiques face à de nouveaux défis fiscaux
10
, lutter contre la double imposition ou à
l’inverse
contre
l’érosion
de la base fiscale face à des phénomènes de concurrence fiscale
11
.
8
Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), Tendances des impôts sur la
consommation 2016, Annexe I, p. 201.
9
OCDE 2017, Principes directeurs internationaux pour la TVA/TPS
10
OCDE 2021,
L’impact
de la croissance de
l’économie
du partage et à la demande sur la politique et
l’administrat
ion
de la TVA/TPS
11
Comme on va le voir (cf. parties 2 et parties 4), ceux-ci concernent essentiellement les services.
5
1.
La TVA en pratique : un impôt général sur la consommation à paiement
fractionné
1.1.
La TVA est un impôt sur la consommation assorti
d’un
droit à déduction qui
garantit sa neutralité le long de la chaîne économique
1.1.1.
La TVA est collectée à chaque étape du circuit économique par les entreprises, qui
la déclarent et la versent au Trésor
Assiette de la TVA
. À chaque opération intermédiaire dans le processus de production et de
distribution, la TVA est exigible sur la
totalité du prix du bien ou du service vendu
, en lui
appliquant le taux applicable à ce bien ou à ce service.
Sa neutralité est assurée par un droit à déduction accordé aux opérateurs assujettis. Ce droit leur
permet de récupérer le montant de la
TVA amont
qu’ils
ont payée pour acheter des biens et
services à leurs fournisseurs,
s’il
s utilisent ces biens et services dans une opération qui sera à son
tour soumise à la TVA.
Une taxe sur les taxes?
En vertu de
l’article
267 du CGI,
l’ensemble
des impôts, droits, taxes et prélèvements de toute nature autres
que la TVA sont intégrés à la base de calcul de la TVA. Ce mode de calcul, qualifié de
“taxe
sur la
taxe”
, a
suscité des critiques récentes
d’acteurs
économiques et de
think tanks
12
. Or, le CGI ne fait que reprendre
l’article
78 de la directive TVA, qui tire les conséquences de la logique même du système de TVA.
Les accises sont prélevées parfois au stade de la consommation finale (BtoC), mais aussi souvent en amont
dans le circuit économique, à l'occasion d'une transaction BtoB. Dans ce second cas, elles seront donc
nécessairement répercutées en aval : elles viennent accroître le prix facturé à
l’étape
suivante et, au bout de
la chaîne, au consommateur final. Il en va ainsi par exemple des produits pétroliers utilisés dans les
procédés industriels. Or, le prix pratiqué en aval (dans lequel la taxe est intégrée, sans apparaître
explicitement) constituera l'assiette de la TVA, sans qu'on puisse en extourner les accises amont : ces
dernières finissent donc par être incluses dans la base de calcul de la TVA.
En
d’autres
termes, il
n’est
pas possible dans le système de TVA
d’isoler
dans une vente au consommateur
final
l’ensemble
des accises prélevées en amont et ayant été répercutées sur le prix final. Il ne saurait pas
non plus être pertinent
d’exclure
de
l’assiette
de la TVA les seules accises appliquées au stade de la vente
au consommateur final (BtoC).
L’intégration
des autres taxes à la base de calcul de la TVA apparaît donc
comme la solution la plus satisfaisante - d'autant que l'impact de cette intégration est par ailleurs aisément
atténué en anticipant
l’impact
TVA dans la détermination des taux des autres taxes.
Collecte de la TVA
. En principe, à
l’occasion
d’une
opération soumise à TVA, la collecte de la TVA
est confiée au vendeur. Dans ce cas,
l’acheteur
verse au vendeur un prix toutes taxes comprises
(TTC), incluant la TVA. Cette TVA
n’est
pas acquise au vendeur : il a simplement pour charge de la
collecter pour le compte du Trésor.
D’un
point de vue comptable, la TVA collectée par une
entreprise est enregistrée de façon séparée dans un compte de classe 4,
c’est
-à-dire un compte de
tiers : elle ne figure pas dans les produits et charges
d’exploitation
et ne transite pas par le compte
de résultat
13
.
12
Voir les notes
d’analyse
“TVA
payées sur les taxes - Abolissons la double-peine fiscale
!“
(UFC Que Choisir, 2019) ou
“Taxes
sur les taxes : la double peine
fiscale”
(IFRAP, 2019).
L’intégration
de
l’accise
sur
l’énergie
(ex-TICPE) à la base
de calcul de la TVA est notamment critiquée.
13
Plan comptable général, art. 944-40 et 944-41.
6
La transaction est retracée dans un document essentiel au fonctionnement du système de TVA, la
facture, qui fait apparaître les prix hors taxe (HT) et TTC et la TVA collectée
14
. Le vendeur déclare
à échéances régulières la TVA collectée en établissant une
déclaration de chiffre
d’affaires
(CA3
ou CA12)
: la TVA déclarée est alors reversée au Trésor.
Dans certains cas, la TVA est collectée non par le vendeur mais par le client assujetti à la TVA : on
parle alors
d’autoliquidation
de la taxe. Le client se contente alors de verser un prix HT au
vendeur. En revanche, il est chargé de faire figurer la TVA correspondante sur sa propre
déclaration de chiffre
d’affaires.
Les articles 193 à 199 de la directive TVA imposent
l’autoliquidation
pour un certain nombre de transactions BtoB transfrontalières et laissent aux
Etats membres des marges de
manœuvre
ciblées pour étendre ce système à
d’autres
transactions.
Ainsi, en France, sur le fondement de ces marges de
manœuvre,
l’autoliquidation
de la taxe est
prévue : (i) lorsque le vendeur ou le prestataire de services est établi à
l’étranger
(UE ou hors
UE)
15
, (ii) pour des opérations considérées, par expérience, comme vulnérables aux circuits de
fraude carrousel
16
.
Déclaration et paiement de la TVA
. En France, les modalités de déclaration et de versement
dépendent du régime auquel est soumise
l’entreprise.
Si son chiffre
d’affaires
est supérieur à un
certain seuil
17
,
l’entreprise
est au
régime normal
et doit réaliser une déclaration mensuelle de
chiffre
d’affaires
et remplir un formulaire de déclaration CA3, dans laquelle elle fait apparaître la
TVA collectée.
En-dessous de ce seuil,
l’entreprise
peut opter pour un
régime simplifié
18
. Dans celui-ci, elle
verse au Trésor deux acomptes prévisionnels en juillet et en décembre, calculés sur la base des
montants déclarés
l’année
passée. Une fois
l’exercice
clos,
l’entreprise
doit déposer une
déclaration de régularisation annuelle de TVA en remplissant un formulaire CA12, permettant de
déterminer la TVA effectivement collectée.
Pour les deux régimes, depuis 2014, la déclaration se fait obligatoirement par voie électronique
comme pour les autres impôts des entreprises. Le paiement est réalisé en même temps que la
déclaration via un téléservice proposé sur le compte fiscal en ligne de
l’entreprise.
Depuis les
années 2000, plusieurs
guichets uniques
(OSS, IOSS) permettent la déclaration et la collecte de
la taxe dans diverses configurations transfrontalières concernant les biens ou les services (cf.
infra).
14
S’agissant
d’un
document essentiel fonctionnement du système européen de TVA, les obligations des assujettis en
matière
d’émissions
de factures et les mentions obligatoires devant figurer sur celles-ci sont précisées en détail aux
articles 217 à 237 de la directive TVA.
15
Article 283 du CGI, pris sur le fondement de
l’article
194 de la directive.
16
Sont notamment visés la livraison de déchets neufs d'industrie et matières de récupération, la livraison d'or
d'investissement, le transfert de quotas d'émission de GES et autres certificats
d’origine
énergétique, les livraisons de
gaz naturel et d'électricité, les services de communications électroniques ou encore les travaux immobiliers réalisés par
une entreprise sous-traitante.
17
818 000
HT pour les ventes de biens et la fourniture de logements en location, 247 000
HT pour les prestations
de service
18
L’article
281 de la directive permet en effet aux Etats
qui rencontreraient des difficultés pour l'assujettissement des
petites entreprises au régime normal de la TVA
d’appliquer
des modalités simplifiées d'imposition et de perception de
la taxe.
7
Exigibilité de la TVA
. Une opération économique
n’étant
pas toujours instantanée, il faut
également déterminer le moment où la TVA est exigible,
c’est
-à-dire où
l’opérateur
chargé de la
collecter doit la faire figurer sur sa déclaration et la verser au Trésor
19
.
L’exigibilité
de la TVA
déclenche également la possibilité pour un opérateur aval
d’exercer
son droit à déduction : le 2 du
I de
l’article
271 du CGI prévoit que celui-ci prend naissance lorsque la taxe d'amont afférente à
l'opération devient exigible chez le redevable de cette taxe.
Le principe de la directive du 28 novembre 2006 est que la TVA devient exigible au moment où la
livraison de biens ou la prestation de services est effectuée (article 63). En cas de versements
d’acomptes
avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe
est exigible au moment de
l’encaissement
(article 65).
Toutefois,
l’article
66 de la directive laisse une large marge de
manœ
uvre aux Etats, que la France
a utilisée pour conserver une règle antérieure à la directive TVA, distinguant les livraisons de
biens et les prestations de services. Pour les biens,
l’exigibilité
intervient en principe au moment
du fait générateur,
c’est
-à-dire
au moment de la livraison
(CGI, art. 269 2 a)
20
. Pour les services,
l’exigibilité
intervient en revanche à
l’encaissement
des acomptes et du prix.
Exigibilité dès
l’acompte
: le cas des biens
Plus de quarante ans après
l’entrée
en vigueur de la
“sixième
directive”,
un contentieux porté devant la cour
administrative
d’appel
de Nantes (CAA de Nantes, 28 mai 2021,
SAS Technitoit
) a fait apparaître que ces
règles spécifiques en droit français
n’étaient
pas entièrement conformes à la directive.
Celle-ci prévoit en effet explicitement
qu’en
cas de versements
d’acomptes,
la taxe est exigible au moment
de
l’encaissement
(article 65). En cas de versements
d’acomptes
intervenant
avant une livraison de biens
, la
TVA doit être immédiatement exigible. La non-conformité de la loi fiscale française étant favorable aux
vendeurs chargés de la collecte de la taxe, elle
n’avait
jamais donné lieu à contentieux. Toutefois, elle a été
soulevée par une société en situation
d’acheteur
aval, qui souhaitait exercer son droit à déduction sur les
acomptes TTC
qu’elle
avait versés : ce droit à déduction lui avait été refusé au motif que la TVA
n’était
pas
encore exigible chez le vendeur.
La loi de finances pour 2022 a donc tiré les conséquences de cette non-conformité en amendant la règle
d’exigibilité
de la TVA prévue par le a) du 2. de
l’article
269 du CGI, pour les livraisons de biens : par
exception,
en cas de versement préalable d'un acompte, la taxe devient exigible au moment de son
encaissement”.
Il
s’agit
d’une
modification significative pour toutes les entreprises proposant le paiement
d’un
bien avant
sa livraison. En effet, elles avaient la possibilité de traiter ce paiement anticipé comme un acompte : la
facture était émise à la livraison du bien et leur déclaration de chiffre
d’affaires
ne faisait apparaître la TVA
correspondante
qu’à
la date de livraison. Leurs processus informatiques et comptables devront être ajustés
pour pouvoir déclarer la TVA collectée dès la commande du client, et pour gérer les conséquences des
annulations survenant avant la livraison (permettant à
l’entreprise
de récupérer la TVA correspondante).
19
Il faut distinguer
l’exigibilité
du
fait générateur
, qui est le moment où la créance fiscale naît en faveur du Trésor. La
date du fait générateur permet de savoir quelle règle fiscale est applicable, lorsque celle-ci est modifiée dans le temps.
Elle fait également courir le délai de prescription et de reprise de
l’administration
(jusqu'à la fin de la troisième année
suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de
l’article
269 du
CGI), par exemple pour établir un redressement suite à un contrôle fiscal. Le fait générateur est, en principe (sous
exceptions, telles que pour le régime des produits pétroliers de
l’article
298 du CGI), la livraison du bien ou du service :
il coïncide donc avec
l’exigibilité
pour la livraison de biens, hors versements
d’acomptes,
mais pas pour les prestations
de services.
20
Même si elle
n’a
pas encore été payée : un opérateur peut donc se trouver en situation
d’
“avancer”
une TVA au Trésor
qu’il
n’a
pas encore collectée
8
Dans le cadre de l
’examen
du projet de loi de finances pour 2023, il a été envisagé
21
de repousser l'exigibilité
de la TVA à la facturation pour les ventes à un non-assujetti (en BtoC). Toutefois, cette solution présente des
difficultés juridiques substantielles
22
et
n’a
finalement pas été retenue.
1.1.2.
La collecte de la TVA est indissociable
d’un
droit à déduction des entreprises sur leurs
consommations intermédiaires
Le principe du droit à déduction
. Le droit des assujettis de déduire la TVA due ou acquittée en
amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA
puisqu’il
permet de
cantonner la charge fiscale, à chaque maillon de la chaîne, à la
“valeur
ajoutée”
réalisée par
l’entrepr
ise. Il existe un lien étroit entre le prélèvement de la taxe sur une opération et la
déduction de la taxe amont, puisque seule la combinaison de ces deux opérations permet de faire
de la TVA une taxe pesant
in fine
, de façon proportionnelle sur le consommateur et de rendre, en
principe, la taxe neutre pour
l’entrepreneur.
Les assujettis peuvent donc déduire la TVA qui a été collectée en amont sur les biens et services
qu’ils
ont acquis pour réaliser une activité économique soumise à la TVA : la CJUE y voit un
principe fondamental du système commun de TVA permettant de garantir la neutralité de la
charge fiscale que supportent toutes les activités économiques
23
, ce
qu’elle
qualifie de
“principe
de
neutralité”
24
.
Principale exception au principe selon lequel la taxation en aval implique nécessairement la
déduction en amont,
l’article
176 de la directive prévoit que les Etats membres doivent convenir
d’une
liste commune de dépenses pour lesquelles le droit à déduction est par principe limité -
faisant peser une forme de taxation implicite sur celles-ci. Toutefois, ce processus
n’a
jamais
abouti au Conseil : un
système transitoire
survit sur ce point également, dans lequel les Etats
peuvent continuer, sur la base de clauses de gel, à exclure du droit à déduction les dépenses
prévues par leur législation au 1
er
janvier 1979.
Ainsi, la France exclut-elle du droit à déduction la TVA grevant les acquisitions de véhicules conçus
pour transporter des personnes, les dépenses de transport de personnes, ainsi que les dépenses
d’hébergement
et de logement des salariés et des dirigeants
25
. Il
s’agit
d’une
solution de simplicité
administrative : les véhicules
d’entreprise
pouvant avoir un usage privé, leur droit à déduction ne
serait que partiel, ce qui obligerait les entreprises à déterminer des coefficients
d’assujettissement
dont le calcul est loin
d’être
évident (cf. infra).
21
Amendement n°I-CF393 adopté par la commission des finances de
l’Assemblée
nationale.
22
L’article
66 de la directive permet en effet aux Etats membres de prévoir une telle règle
pour certaines catégories
d’assujettis
mais non, comme ici, pour certaines catégories de clients (selon
qu’ils
sont ou non assujettis). Par ailleurs,
comme on le verra, la détermination du statut
d’assujetti
de
l’acheteur,
pour distinguer entre une opération BtoC ou
BtoB,
n’est
pas aisée.
23
7
ème
considérant de la directive du 28 novembre 2006 et CJUE 22 octobre 2015,
PPUH Stehcemp
,
C‑277/14.
24
L’une
des conséquences est que seule
l’absence
de
condition de fond
peut faire perdre le droit à déduction. Les
exigences formelles posées par la directive ou les Etats membres sont nécessaires au bon fonctionnement du système,
mais un manquement à celles-ci ne peut faire perdre le droit à déduction - il ne peut être sanctionné que par une amende
(CJUE, 12 sept. 2018,
Siemens Gamesa Renewable Energy Romania SRL
, C-69/17 et CJUE, 19 octobre 2017,
Paper Consult
,
C-101/16).
25
2° du 2. du IV de
l’article
206 du CGI. En revanche, depuis la décision du 13 novembre 2000,
Ampafrance SA
, C-177/99,
les dépenses de restauration bénéficient du droit à déduction, à la condition
qu’elles
soient engagées dans
l’intérêt
de
son activité économique.
9
Essences et droit à déduction
Avant 2016, pour déterminer le droit à déduction dont disposait une entreprise sur les carburants
qu’elle
utilisait, il fallait distinguer les
essences
et les
gazoles
:
-
les essences
(supercarburants E5, E10 ou ARS et essence
d’aviation)
étaient exclues du droit à
déduction ;
-
les
gazoles et super-éthanol 85
étaient déductibles à 100%
lorsqu’ils
étaient employés dans un véhicule
ouvrant droit à déduction (ex. poids lourds) ou à 80% dans un véhicule
n’ouvrant
pas droit à déduction
(ex. véhicule de tourisme)
L’harmonisation
de ces régimes était devenue nécessaire, notamment avec
l’arrivée
dans la flotte de
véhicules professionnels (ex. taxis) de véhicules hybrides fonctionnant à
l’essence.
A compter
d’un
processus engagé par la loi de finances pour 2017 et ayant abouti en 2022, le droit à déduction sur
l’essence
a été progressivement ouvert, au 4 de
l’article
298 du CGI, pour parvenir aux mêmes conditions de
déduction que sur le gazole.
Enfin,
l’électricité
consommée par les véhicules électriques
n’étant
pas un carburant au sens de ces
dispositions, elle
n’est
pas frappée par une mesure
d’exclusion
du droit à déduction. Or, on peut noter que
l’article
273
septies
B du CGI, créé par la loi de finances pour 1998, prévoit que la TVA sur
l’électricité
consommée par les véhicules professionnels est déductible lorsque ceux-ci fonctionnent exclusivement à
l’énergie
électrique. Cet article semble donc inutile en ce qui concerne les véhicules exclusivement
électriques, mais paraît même contreproductif depuis
l’entrée
sur le marché des véhicules hybrides
rechargeables, qui se verraient exclure du droit à déduction
26
. Sa suppression à
l’occasion
de la
recodification de la TVA dans le CIBS est donc souhaitable.
Le droit à déduction en pratique
. Les entreprises ont connaissance de la TVA qui a grevé leurs
achats
puisqu’elle
apparaît sur les factures qui leur sont délivrées par les vendeurs
l’ayant
collectée (cf. supra). En cas de contrôle, la conservation de la facture permet donc à
l’acheteur
de
justifier vis-à-vis de
l’administration
la TVA dont la déduction a été pratiquée
27
.
Le droit à déduction est en principe exercé, au moment de la déclaration de TVA, par
imputation
sur la taxe dont
l’opérateur
est redevable au titre de ses opérations en aval.
L’entreprise
réalise
une seule déclaration de chiffre
d’affaires
: elle y renseigne la TVA collectée et la TVA déductible
et ne devra verser au Trésor que la différence entre les deux montants.
C’est
la simultanéité du
versement et de la déduction de la taxe, par le mécanisme de
l’imputation
sur une même
déclaration, qui caractérise en 1954 la vraie innovation de la TVA
28
.
Un assujetti chargé de collecter la taxe par
autoliquidation
se trouve donc collecter et déduire la
même TVA simultanément sur une même déclaration
29
. Cette opération donne lieu à un double
jeu
d’écritures
: toutefois, celles-ci
s’annulent
pour aboutir à un résultat parfaitement neutre
lorsque la société a le droit de déduire la totalité de sa TVA amont.
26
En ceci, cet article serait également contraire à la directive, puisque le droit à déduction ne peut être limité que par
une clause de gel. Il
n’est
donc pas applicable.
27
Sauf dans les cas où le droit à déduction peut porter sur des opérations au titre desquelles la TVA a été auto-liquidée.
Dans ce cas,
l’assujetti
est tenu
d’effectuer
une opération de déduction-collecte symétrique (cf. infra). Toutefois, la
jurisprudence de la CJUE limite, dans ce cas, le rôle de la facture.
28
Avant
l’invention
de la TVA en 1954, certains de ses ancêtres, et notamment la taxe sur les transactions de 1948,
avaient déjà introduit
l’idée
d’un
paiement fractionné permettant aux entreprises qui y étaient soumises de bénéficier
d’un
remboursement de la taxe supportée en amont. Toutefois, celui-ci intervenait avec un décalage
d’un
mois,
nécessitant donc une avance de trésorerie et générant une complexité administrative (Denys Brunel,
La TVA, invention
française, révolution mondiale
, p. 55, Eyrolles)
29
Raison pour laquelle un mécanisme
d’autoliquidation
est parfois qualifié de mécanisme de
“collecte
-déduction
simultané”
10
Il est néanmoins utile à
l’administration
de pouvoir suivre les opérations auto-liquidées qui
s’insèrent
dans une chaîne de transactions soumises à TVA.
C’est
la raison pour laquelle le premier
alinéa du 4. de
l’article
1788 du CGI prévoit une amende fiscale égale à 5 % des sommes déduites
lorsqu’une
société omet de déclarer ces opérations croisées. Cette amende, dont la
proportionnalité était contestée par la voie
d’une
QPC, a été déclarée en septembre 2022
conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel
30
.
Remboursement des crédits de TVA.
Une entreprise peut disposer de droits à déduction
supérieurs à la TVA
qu’elle
collecte :
c’est
le cas
lorsqu’elle
vient de commencer son activité,
lorsque son activité est déficitaire,
lorsqu’elle
est soumise à un taux réduit (cf. partie 3) ou encore
lorsqu’elle
est exportatrice (cf. partie 4). Sa déclaration de chiffre
d’affaires
fait donc apparaître
un
crédit de TVA déductible
.
L’article
183 de la directive TVA accorde à ce sujet une marge de
manœuvre
aux Etats : lorsque le
montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États
membres peuvent soit faire reporter l'excédent sur la période suivante, soit procéder au
remboursement selon les modalités qu'ils fixent. En France, la demande de remboursement est
en principe annuelle, mais elle peut être aussi trimestrielle (pour les entreprises au régime
simplifié) ou mensuelle (entreprises au régime normal) : elle correspond donc aux échéances de
dépôt de la déclaration de chiffre
d’affaires,
sur laquelle elle doit figurer. Elle doit être
accompagnée
d’un
formulaire spécifique de demande de remboursement n° 3519-SD
31
.
Une fois la demande déposée, le remboursement intervient après traitement de la demande : le
délai est plus court pour les grands opérateurs suivis par la Direction générale des entreprises
(DGE), pour lesquels le portefeuille de clients est connu et stable. Il est, en moyenne, plus long
pour les petites et moyennes entreprises suivies par les Directions départementales des finances
publiques (DDFiP) :
l’instruction
des demandes peut en effet être plus approfondie pour vérifier
que les intéressés ne sont pas des entreprises éphémères impliquées dans un circuit de fraude.
BtoB, BtoC : quelle différence ?
Certains impôts indirects, tels que les
taxes sur les ventes
(
sales tax
) fonctionnent sur la base
d’un
traitement différencié des opérations entre acteurs économiques, non taxées, et des ventes au
consommateur final, taxées.
En revanche, la TVA
s’applique
, en principe, de façon identique, aux opérations réalisées entre assujettis
(qui seront qualifiées dans ce rapport,
d’opérations
business-to-business, ou
BtoB
) et aux opérations
réalisées par un assujetti pour un non-assujetti (qualifiées
d’opérations
business-to consumer, ou
BtoC
).
Cependant, le droit à déduction de la TVA amont est réservé aux seuls assujettis. Dès lors,
l’application
d’une
même règle de TVA (telle
qu’une
exonération ou un taux réduit)
n’a
pas les mêmes effets économiques selon
qu’elle
est appliquée aux opérations BtoB ou BtoC (cf. infra, parties 1, 2 et 3
32
).
30
CC 22 septembre 2022,
Société Igdal
, n° 2022-1009 QPC
31
Comme on le verra, les entreprises étrangères non établies en France peuvent également demander le
remboursement de la TVA
qu’elles
supportent en France suivant des procédures de remboursement spécifiques
prévues par la directive 2008/9 (entreprises établies dans
l’Union
européenne (UE)) et la 13
ème
directive (entreprises
non établies dans
l’Union
européenne).
32
L’exonération
d’une
opération BtoC est plus favorable que celle
d’une
opération BtoB du fait de la perte des droits à
déduction qui y est associée. De même un taux réduit appliqué à une opération BtoC est une mesure de faveur, là où il
n’a
aucun impact sur
l’essentiel
des opérations BtoB.
11
Pour les opérations transfrontalières (cf. partie 4), de façon croissante depuis 2002, la directive TVA prévoit
un traitement différencié des opérations BtoB et BtoC
33
. En effet, un client assujetti est plus aisément en
mesure de régler la TVA lui-même (de
l’auto
-liquider) en la faisant figurer sur sa déclaration de chiffre
d’affaires.
Par ailleurs la territorialité
d’une
opération BtoB
n’
a, en général, pas
d’impact
sur les recettes
fiscales des Etats ni sur la répartition de
l’assiette
taxable entre ceux-ci
34
.
Pour ces opérations internationales, les textes européens prévoient une modalité simplifiée
35
de
détermination du statut de
l’opération
(BtoB ou BtoC) : toute personne communiquant un numéro
d’identification
à la TVA doit être considérée par le vendeur comme assujettie, même si elle mène des
activités non-assujetties.
L’authenticité
de ce numéro est vérifiable sur la base VIES mise à disposition par
la Commission européenne.
Pour les opérations internes, il est tentant de distinguer entre opérations BtoB et BtoC : on retrouve ce souci
dans les réflexions sur
l’
exigibilité de la TVA à
l’acompte
(cf. encadré supra) ou, surtout, dans la réforme de
la facturation électronique (cf. partie 5). Toutefois, dans ces configurations purement internes, il est
beaucoup plus complexe pour un opérateur de déterminer si son client a le statut
d’assujetti
36
, et donc le
statut BtoB ou BtoC de
l’opération.
1.2.
Si la TVA est un impôt à assiette en principe large, il existe des opérations hors
champ ou exonérées entraînant une limitation du droit de déduction
1.2.1.
Certaines activités échappent à la TVA, soit parce
qu’elles
sortent de son champ
d’application,
soit parce
qu’elles
sont exonérées
Lorsqu’elle
mène une activité hors du champ de la TVA ou une activité exonérée, une personne
physique ou morale
n’est
pas tenue de collecter sur cette activité une TVA à reverser au Trésor.
En revanche, elle perd, en partie ou en totalité, le droit de déduire la taxe
qu’elle
a supportée en
amont.
Opérations hors champ.
En premier lieu, en vertu du I de
l’article
256 du code général des impôts,
qui reprend les termes de
l’article
2 de la directive du 28 novembre 2006, sont soumises à la TVA
les seules livraisons de biens et les prestations de services «
effectuées à titre onéreux par un
assujetti agissant en tant que tel
».
Derrière ce critère se trouve une certaine conception de ce que constituait, au milieu du XXe siècle,
une activité économique : celle-ci est exercée par une personne stable et permanente,
l’entreprise
assujettie, qui est
l’interlocuteur
de
l’administration
fiscale pour la collecte de la taxe. Comme on
va le voir, cette conception est fragilisée par la digitalisation de
l’économie
et
l’exp
ansion de
plateformes grâce auxquelles un opérateur peut développer une activité économique (vente de
biens ou prestations de services) sans investir dans les moyens d'exploitation caractérisant
l'entrepreneur traditionnel.
33
Ainsi pour les services, taxables en BtoB dans
l’Etat
du preneur et en BtoC (cas général) dans celui du prestataire;
pour les biens où seules les ventes BtoC sont éligibles au régime des ventes à distance de biens importés et aux guichets
uniques OSS et IOSS ; à
l’inverse,
à
l’importation,
seules les opérations BtoB donnent lieu, par dérogation, à
l’autoliquidation
par le client.
34
Puisque la TVA
qu’un
Etat collecterait dans une opération BtoB peut être intégralement déduite par
l’acheteur
ou le
preneur dans ce même Etat.
35
Sur la base de
l’article
18 du règlement 282/2011
d’exécution
du Conseil du 15 mars 2011 Par souci de simplification,
cette règle diverge donc du cadre général relatif à
l’assujettissement
à la TVA
puisqu’en
principe, une personne
assujettie acquérant des services pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ne devrait pas être regardée comme
assujettie : il y aurait dans ce cas-là bien une opération BtoC (CJUE 8 mars 2001,
Laszlo Bakcsi
, aff. C-415/98). Cette
vérification est toutefois impossible par le vendeur.
36
On peut ainsi penser au cas
d’un
entrepreneur individuel réglant
l’achat
de biens en caisse
d’un
supermarché. Aucune
vérification de son statut
d’assujetti
n’est
réalisée, ni réalisable.
12
Pour être taxable, une opération doit être réalisée :
-
à titre onéreux
: il doit y avoir un « lien direct » entre le service rendu (ou le bien livré) et la
contre-valeur reçue. Il
s’agit
d’un
critère très large qui est rempli quelle que soit la contrepartie
(ex. troc
37
) ou le but de
l’act
ivité (ex. que
l’activité
soit ou non lucrative) ;
-
par une personne exerçant une activité économique
: celle-ci doit être exercée à titre
habituel et revêt un caractère de permanence. Un particulier rendant, de façon occasionnelle,
des services sur une plateforme numérique
n’est
pas assujetti, ce qui
n’est
pas sans poser de
difficultés (cf. infra, partie 5) ;
-
par une personne agissant de façon indépendante
: une personne peut participer à une
activité économique, sans être
l’assujetti
chargé de la collecte et de la déduction de la taxe.
C’est
le cas des salariés, mais aussi des succursales à
l’étranger
38
;
-
par une personne agissant en tant
qu’assujettie
,
c’est
-à-dire par une personne menant une
activité distincte de la pure gestion de son patrimoine privé. Une personne (particulier ou
personne morale) peut ainsi être assujettie au titre
d’une
de ses activités et non-assujettie au
titre
d’une
autre. Elle disposera dans ce cas de droits à déduction
partiels
(cf. infra, partie 1.2).
Une entreprise peut-elle être non-assujettie
lorsqu’elle
gère son patrimoine privé?
On rencontre de nombreux cas dans lesquels une société privée se bornant à gérer son patrimoine privé au
sens de la TVA
n’exerce
pas
d’activité
économique et se trouve donc non-assujettie. Ces situations ne sont
pas sans poser de difficultés, notamment au regard des modalités
d’exercice
du droit à déduction. On peut
ainsi penser aux situations suivantes :
Gestion
d’un
portefeuille de participation
: une entreprise
n’est
pas soumise à la TVA pour une activité
purement patrimoniale de gestion de participations qui lui procure des dividendes (CJUE 29 avril 2004,
EDM
, C-77/01). Ainsi, une société holding ne mène une activité économique que si elle
s’immisce
dans la
gestion de ses filiales (CJUE 16 juillet 2015,
Larentia + Minerva
, C-108/elle).
Cession
d’un
élément du patrimoine privé
: la cession par une entreprise
d’u
n élément de son
patrimoine étranger à son activité (ex. CE 29 décembre 1995,
Sudfer
, n° 118757 : des lingots
d’or
détenus
dans une banque) échappe en principe à la TVA. Il en va de même
lorsqu’une
entreprise cède un élément
de son patrimoine immobilier étranger à son activité économique (voir IMM-10-10-10-10 n° 80 ou, pour
un arrêt topique de la CJUE, 15 septembre 2011,
Słaby
et
Kuć
,
C‑180/10)
39
.
Démembrement de propriété
: lorsque la propriété
d’un
immeuble est démembrée entre nue-propriété
et usufruit, la nue-propriété doit être regardée comme
n’étant
pas affectée à une activité économique
(BOI-TVA-IMM-10-30 du 17 mars 2021). Une société nu-propriétaire ne peut donc déduire la TVA grevant
l’acquisition
de
l’immeuble.
Or,
l’usufruitier
ne devrait pas non plus pouvoir prétendre à la déduction de
cette TVA
40
: par mesure de tolérance,
l’administration
a toutefois récemment admis que
l’usufruitier
lui-
même conserve le droit à déduction au titre de la taxe ayant grevé
l’acquisition
de la nue-propriété si le
nu-propriétaire a, par ailleurs, la qualité
d’assujetti
et lui transfère le droit à déduction (Réponse
ministérielle n° 17425, JOAN Q. 2 avril 2019).
37
La jurisprudence de la CJUE offre de nombreux exemples
d’opérations
de troc soumises à TVA : voir par exemple CJCE
5 février 1981,
Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats
, C-154/80 (Association coopérative agricole ayant décidé de ne
pas percevoir de droit de garde de la part de ses membres en contrepartie de l'entreposage des pommes de terre); CJCE
2 juin 1994,
Empire Stores Ltd
, C-33/93 (conventions de
bartering
, par lesquelles les parties
s’accordent
dès
l’origine
à
échanger un bien ou service contre un autre, par ex. publicité)
38
Sauf quand, comme on le verra, on fait intervenir un groupe TVA
39
En revanche, il est douteux que la perception de loyers sur ces immeubles serait hors du champ
d’application
de la
TVA. Si la perception de dividendes ou la cession
d’un
immeuble relèvent du simple exercice du droit de propriété, tel
n’est
pas le cas de la perception de loyers qui constitue la contrepartie
d’un
service rendu.
40
Comme
l’ont
jugé les juges du fond : CAA Nantes, 10 décembre 2015, n° 14NT01017 ; CAA Bordeaux, 10 mars 2016,
n° 14BX03561
13
Traitement spécifique des personnes publiques
. Par ailleurs, la directive précise que les
personnes publiques ne sont pas considérées comme des assujettis pour les activités ou
opérations
qu’elles
accomplissent en tant
qu’autorités
publiques
41
. Au-delà de leurs activités
purement régaliennes, les Etats membres peuvent également considérer que les personnes
publiques sont hors champ pour des opérations
d’intérêt
général, telles que la santé ou
l’éducation
qui, si elles étaient exercées par une personne privée, seraient exonérées par la directive (cf.
infra).On peut déduire des dispositions de
l’article
256 B du CGI que la France a fait usage de cette
possibilité. Toutefois, dans
l’ensemble,
les règles prévues dans le CGI sur le non-assujettissement
des personnes publiques manquent de lisibilité au regard des règles européennes
42
. De récents
arrêts sur les
cantines scolaires
ou les
piscines municipales
43
montrent la difficulté pour les
collectivités territoriales notamment de déterminer le traitement TVA de services publics, même
gérés
a priori
de façon non lucrative. Ces règles ont donc vocation à être réexaminées dans le cadre
des travaux de recodification de la partie du CGI relative à la TVA au sein du code des impositions
sur les biens et services (CIBS).
Opérations exonérées - Intérêt général (article 132)
. La directive du 28 novembre 2006 prévoit
que diverses activités
dans le champ de la TVA
sont
exonérées en régime intérieur
44
. Il
s’agit
tout
d’abord
d’activités
d’intérêt
général énumérées à
l’article
132 de la directive, parmi lesquelles
l'hospitalisation et les soins médicaux,
l’éducation
de
l’enfance
et de la jeunesse, le sport ou
l’éducation
physique.
L’article
132 de la directive
n’est
pas sans subtilités, puisque les Etats membres disposent de
marges de
manœuvre
hétérogènes selon les différents services
d’intérêt
général qui y sont visés.
Ainsi, les Etats membres peuvent définir le périmètre de certains services
d’intérêt
général
bénéficiant de
l’exonération,
comme les services culturels ou sportifs
45
, mais pas
d’autres,
comme
les services éducatifs ou de formation professionnelle. Pour certains services seulement, les Etats
peuvent également exonérer les opérations qui leur sont
étroitement liées
46
.
41
Article 13 de la directive du 28 novembre 2006.
42
Il
s’agirait
notamment de clarifier (i)
l’exercice
de la marge de
manœuvre
nationale pour le non-assujettissement
des personnes publiques (ii) le traitement
d’éventuelles
distorsions de concurrence
43
Pour une cantine scolaire : CE 2021,
Commune de Sarlat-la-Canéda
, précité et pour une piscine municipale CE 28 mai
2021,
Commune de Castelnaudary
, n° 442378
44
Il sera traité plus loin des nombreuses opérations qui sont exonérées, car elles relèvent de transactions
transfrontalières (intracommunautaires ou exportations hors UE), en application du principe de taxation au lieu de
destination. Comme on le verra, ces opérations
n’excluent
pas le droit à déduction.
45
Comme
l’indique
le rapporteur général Hogan sur CJUE 7 novembre 2019, Finanzamt Kaufbeuren, C
488/18,
Comme
pour les services culturels, il existe, entre les États membres, une grande diversité tant de pratiques sportives que
d’attitudes
à
l’égard
des différents sports
(…)
tandis que certains sports sont profondément ancrés dans la vie culturelle et sportive de
certains États membres
on pense ici aux courses de taureaux en Espagne, à la pétanque en France, au criquet au
Royaume
Uni et au football gaélique et au hurling en Irlande
, ces sports sont également en grande partie inconnus et ne
sont que rarement pratiqués dans
l’Union,
en dehors de
l’État
membre concerné
.”
46
Comme
l’indique
l’avocat
général Juliane Kokott dans ses conclusions sur CJUE 4 mars 2021,
Frenetikexito
, C-581/19,
cette notion est distincte de celle de
prestations associées suivant le régime de la prestation principale
(en matière
d’offres
composites).
L’objectif
de
l’exonération
des prestations étroitement liées est de ne pas renchérir le coût du
service
d’intérêt
général principal. Contrairement à des prestations accessoires non indépendantes, elles peuvent aussi
effectivement être fournies par un autre assujetti que celui qui fournit la prestation exonérée proprement dite.
L’identité
du bénéficiaire de la prestation
n’est
pas non plus une condition de
l’existence
d’une
opération étroitement
liée.
14
Une activité est-elle exonérée? Quelques exemples.
Chirurgie esthétique
. Les actes de chirurgie esthétique servent des finalités très différentes - on distingue
les prestations de chirurgie reconstructrice ou réparatrice des simples actes purement esthétiques ou
“de
confort”.
Pour la CJUE, seuls les actes poursuivant un but thérapeutique,
c’est
-à-dire dispensés dans le but "de
diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir" des personnes qui, par suite d'une
maladie, d'une blessure ou d'un handicap physique congénital, nécessitent une telle intervention, peuvent
bénéficier de
l’exonération
(CJUE 21 mars 2013,
Skatteverket c/ PFC Clinic AB
,
C‑91/12).
Le Conseil
d’Etat
en déduit que pour être éligibles à
l’exonération,
les actes de chirurgie esthétique doivent
être inscrits sur la liste
d’actes
totalement ou partiellement pris en charge par l'assurance maladie, prévue
à
l’article
L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale (CE 5 juillet 2013,
SNCPRE et autres
, n° 363118). En
revanche,
l’exonération
n’est
pas subordonnée à la condition que ces actes fassent
l’objet
d’un
remboursement effectif par la sécurité sociale (CE 8 novembre 2017,
Société Centre chirurgical des Princes
,
n° 397560) : il faut en revanche
qu’il
soit établi, par tout moyen,
qu’ils
avaient bien une finalité
thérapeutique.
Formation professionnelle
. On a longtemps douté
47
de la conformité du régime TVA français relatif à la
formation professionnelle : en France,
l’application
de
l’exonération
est conditionnée à une attestation
délivrée par l'autorité administrative compétente (a du 4° du 4 de
l’article
261 du CGI). En pratique, une
entreprise exerçant une activité de formation professionnelle exonérée par la directive peut y échapper, en
ne sollicitant pas cet agrément - transformant
de facto
un régime
d’e
xonération de droit en un régime
d’option
.
En conséquence, le champ de la formation professionnelle en France est réparti entre un secteur
taxé à destination des entreprises et un secteur non taxé à destination des personnes privées : les
organismes de formation professionnelle se sont alignés sur le régime majoritaire de leurs acteurs (BtoB
ou BtoC).
Un arrêt récent de la CJUE du 28 avril 2022,
Happy Education
, C-612/20, accorde toutefois du crédit à la
thèse
d’une
conformité du régime français à la directive. En matière de formation professionnelle,
l’article
132 prévoit en effet une exonération des organismes privés
reconnus [par
l’Etat
membre concerné] comme
ayant des fins comparables
aux organismes publics : la CJUE juge que cette condition peut être vérifiée au
travers
d’une
procédure
d’agrément,
telle
qu’elle
est mise en place en France.
Comme le permet
l’article
133 de la directive, la France limite le bénéfice de certaines
exonérations
lorsqu’elles
sont menées par des personnes privées : ces dernières doivent agir sans
but lucratif et avoir une gestion désintéressée (organismes sans but lucratif ou OSBL)
48
.
Activités menées en concurrence avec des opérateurs privés.
En cas de distorsion de
concurrence avec des personnes privées taxées, la directive TVA peut prévoir que sont taxées :
-
les activités hors champ (article 13)
menées par des personnes publiques, lorsque leur
non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance ;
-
certaines
49
activités exonérées
d’intérêt
général (article 134)
lorsque ces activités sont
essentiellement destinées à procurer des recettes supplémentaires aux personnes publiques ou
privées qui les mènent, en concurrence avec des sociétés taxées.
47
Cette question est connue de longue date (TA de Dijon 6 novembre 2001,
SARL AirBor
), mais
n’a
pas été en elle-même
directement soumise au Conseil
d’Etat
ou à la CJUE.
48
C’est
ainsi à cette condition que sont exonérés les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus par
un organisme à ses membres (a du 1° du 7 de
l’art
icle 261 du CGI).
49
Cette règle
s’applique
seulement à une partie des activités
d’intérêt
général visées à
l’article
132 de la directive. Sont
toutefois concernés les principaux services : hospitalisation et soins médicaux, aide et sécurité sociale, éducation et
formation professionnelle, sport et culture.
15
Une première difficulté naît de
l’appréciation
d’une
distorsion de concurrence favorable
à ces
personnes. Pour les personnes privées exonérées, telles que les OSBL, le critère de non-
concurrence avec des sociétés commerciales conditionne la non-taxation à
l’ensemble
des impôts
commerciaux (IS, CET, TVA). Si ce critère est appliqué de longue date
50
, son appréciation reste
complexe.
En revanche, pour les personnes publiques hors champ, et notamment les collectivités locales,
l’existence
d’une
concurrence avec des personnes privées est beaucoup plus rarement
recherchée,
puisqu’elle
ne conditionne pas le placement hors du champ des autres impôts
commerciaux, tels que
l’IS
ou la CET
51
. En revanche,
l’article
13 de la directive et la jurisprudence
de la CJUE imposent la taxation à la TVA
d’une
personne publique en concurrence directe avec des
personnes privées
52
.
Une seconde difficulté se présente lorsque le placement hors champ ou
l’exonération
est
défavorable aux personnes concernées
. Cela peut notamment résulter de la perte du droit à
déduction de la TVA amont
53
ou de
l’assujettissement
à la taxe sur les salaires (sur ces deux points,
cf. infra, 1.2.2.).
Or, une incertitude juridique demeure sur les distorsions de concurrence en défaveur des
personnes publiques résultant de leur non-assujettissement. Dans une récente décision CE
28 mai 2021,
Commune de Sarlat-la-Canéda,
n°441739 le Conseil
d’Etat
a jugé que cette distorsion
n’avait
pas de conséquence dans une transaction BtoC, dès lors que la perte du droit à déduction
ne pénalisait pas un opérateur privé en aval
54
.
Par ailleurs, les Etats disposent
d’une
marge de
manœuvre
pour fixer le périmètre de certaines
exonérations de
l’article
132, notamment pour les activités liées au sport ou à la culture. Les OSBL
exonérées, voire les personnes publiques hors champ, peuvent avoir intérêt à demander à être
soumises à la TVA, surtout
s’il
s’agit
d’un
taux réduit. Or, la France applique déjà un taux réduit
sur un grand nombre
d’activités
culturelles. Quant aux activités liées à la fourniture
d’installations
sportives ou de cours de sport, elles sont soumises au taux plein. Toutefois,
l’Annexe
III de la
directive (cf. infra, partie 3) permet aux Etats
d’y
pratiquer un taux réduit.
Dans certains cas de figure, il serait donc envisageable de soutenir les personnes publiques ou
sans but lucratif en remplaçant un placement hors champ ou une exonération par un taux réduit
55
.
Cette évolution serait toutefois susceptible
d’avoir
un coût pour les finances publiques.
50
La manière dont ce critère
s’apprécie
de façon concrète a été détaillée par la décision de Section du Conseil
d’Etat
CE
1er octobre 1999,
Association Jeune France
, n° 170289.
51
Depuis une décision du 20 juin 2012,
Commune de La Ciotat, communauté urbaine Marseille Provence Métropole
,
n° 341410, les critères
d’Association
Jeune France
ne sont plus appliqués aux personnes publiques : il appartient
seulement à une personne publique de rechercher si le service qu'elle gère ne relève pas, eu égard à son objet ou aux
conditions particulières dans lesquelles il est géré, d'une exploitation à caractère lucratif.
52
Comme le prévoit la CJUE dans son arrêt du 16 septembre 2008,
Isle of Wight Council
, C-288-07 que relevait le rapport
du CPO de 2015, cette distorsion doit être évaluée par rapport à
l’activité
en cause, en tant que telle, sans que cette
évaluation porte sur un marché local en particulier : il faut prendre en compte non seulement la concurrence actuelle,
mais également la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé
d’entrer
sur le marché
pertinent soit réelle, et non purement hypothétique.
53
Une collectivité locale hors champ récupère la TVA ayant grevé ses dépenses
d’investissement
via un prélèvement
sur recettes de
l’Etat,
le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA). En revanche, les dépenses de fonctionnement ne
donnent lieu à aucune récupération de la TVA amont.
54
CE 28 mai 2021,
Commune de Sarlat-la-Canéda,
n°441739
55
Par exemple, du fait de la hausse du coût de
l’énergie
soumis à TVA, les
piscines municipales
sont soumises à des
rémanences de TVA élevées sur leurs dépenses de fonctionnement, non récupérables par les collectivités concernées
au titre du FCTVA. Remplacer cette exonération par un taux réduit sur ces activités leur serait avantageux.
16
Proposition n°1
(FR
56
) :
Profiter de la recodification des dispositions fiscales relatives à la
TVA dans le code des impositions sur les biens et services (CIBS) pour clarifier le régime
des opérations hors champ et exonérées pour assurer sa conformité à la directive. Dans ce
contexte, recenser avec les acteurs concernés (collectivités et organismes sans but lucratif
ou OSBL) :
-
les activités pour lesquelles des distorsions de concurrence avec des personnes privées
taxées feraient peser un risque juridique sur la non-taxation pratiquée,
-
les activités (principalement culturelles et sportives) pour lesquelles
l’application
d’un
taux réduit de TVA serait plus favorable
qu’une
non-taxation.
Autres opérations exonérées (article 135)
. Les exonérations prévues à
l’article
135 de la
directive servent une finalité différente de celles de
l’article
132 et suivent, par conséquent, des
règles distinctes.
Il
s’agit
d’activités
économiques pour lesquelles la taxation à la TVA était peu pratiquée, jugée trop
complexe ou pour lesquelles une harmonisation
n’était
pas possible. Sont notamment visées les
opérations bancaires, financières et
d’assurance
(article 135, points a) à g)), et diverses
opérations
concernant
la vente ou la location de biens immobiliers
(livraisons de bâtiments
ou de terrains non construits, hormis la livraison de bâtiments neufs ou de terrains à bâtir, qui
sont taxables (article 135, points j) et k)), location de biens immobiliers (article 135, point i)).
Contrairement aux prestations
d’intérêt
général exonérées par
l’article
132 qui sont en général
fournies au consommateur final, les opérations de
l’article
135 peuvent tantôt être réalisées entre
assujettis (BtoB), tantôt avec un consommateur final (BtoC). Or, si
l’exonération
de TVA
d’un
opérateur situé au dernier maillon de la chaîne économique (BtoC) reste souvent favorable au
consommateur malgré la rémanence de taxe,
l’exonération
d’une
opération entre deux assujettis
(BtoB) génère une situation de double imposition qui pénalise en principe le consommateur
final
57
.
Sans que cela constitue une règle générale,
l’article
137 de la directive permet aux Etats membres
d’accorder
aux assujettis le droit
d’opter
pour la taxation pour certaines opérations de
l’article
135. Un tel régime d'option est prévu en France pour la location de locaux nus (2° de
l’article
260
du CGI) ou pour certaines opérations financières (articles 260 B et 260 C du CGI).
Par une décision du 9 septembre 2020,
SCI EMO
, n° 439143, le Conseil
d’Etat
a donné une nouvelle
dimension au régime
d’option
: il doit permettre aux assujettis de décider, opération par
opération, de leur taxation à la TVA. En pratique, cette souplesse devrait les conduire à appliquer
la taxation aux opérations BtoB et
l’exonération
des opérations BtoC. Cette décision a, comme on
le verra (cf. 2.), donné lieu à une modification substantielle du régime
d’option
pour la taxation
des opérations financières par la loi de finances pour 2021.
Etre hors champ ou exonéré
n’est
pas équivalent.
Il y a certes des similarités économiques entre
ces notions. Ainsi
qu’on
l’a
vu, les personnes publiques menant des activités
d’intérêt
général sont
hors champ
là où les opérateurs privés sont
exonérés
. Un particulier procédant à une cession
immobilière à titre privé ou à une location ponctuelle de son appartement est
hors champ
, mais
dans le cas général, la directive prévoit que ces opérations sont
exonérées
. La France
s’y
était
laissée prendre :
jusqu’à
la réforme de la TVA immobilière en 2010, elle avait commis une erreur
de transposition en excluant ces opérations du champ de la TVA au 2 du 7° de
l’article
257 du CGI
56
Une proposition est notée (FR)
lorsqu’elle
peut être mise en
œuvre
au niveau français; (UE)
lorsqu’une
évolution du
cadre juridique européen est nécessaire, et (OCDE) lorsqu'une réflexion doit être menée dans un cadre multilatéral.
57
Dans ce cas en effet,
l’exonération
a pour effet paradoxal que
l’acheteur
acquiert un bien ou un service pour un prix
déjà grevé
d’une
TVA amont qui
n’a
pas pu être déduite par le vendeur. Pour les opérations
qu’il
réalise,
l’acheteur
est
ensuite lui-même redevable de la TVA sur la totalité du prix, sans pouvoir lui-même exercer de droit à déduction. La
base taxable de la TVA est supérieure à la valeur produite dans la chaîne économique.
17
Toutefois, une personne réalisant des opérations hors champ est considérée comme un
consommateur final. Il peut ne pas disposer de numéro
d’immatriculation
à la TVA. Les biens et
services
qu’il
acquiert sont donc issus
d’opérations
BtoC, et non
d’opérations
intermédiaires
(BtoB), ce qui a des implications directes pour en déterminer la territorialité (cf. 4.1). A
l’inverse,
un assujetti, bien
qu’exonéré,
continue de réaliser des opérations en BtoB.
En second lieu, les États-membres disposent
d’une
liberté plus grande pour déterminer des droits
à déduction pour les opérations hors champ
58
. À
l’inverse,
et contrairement aux opérations
exonérées, la CJUE est hésitante à admettre que les biens affectés à une opération hors champ
puissent faire
l’objet
d’une
régularisation positive
59
. Enfin, certaines opérations exonérées
ouvrent droit à déduction si elles sont réalisées au bénéfice
d’un
client non établi dans
l’UE
60
- tel
n’est
en revanche jamais le cas
d’opérations
hors champ.
Il faut par ailleurs distinguer ces configurations des régimes spécifiques prévus par la directive
dans lesquels
l’absence
de taxation de
l’opération
ne fait pas perdre le droit à déduction. Il en va
ainsi des
taux zéro
(cf. infra), de
l’exonération
à
l’exportation
revêtant un caractère général,
des
franchises à
l’importation
, ou encore de la
dispense de TVA
pour les opérations de
transmission universelle de patrimoine.
Quel traitement TVA des monnaies et actifs numériques ?
Les monnaies numériques (
coins
) sont des jetons numériques émis à partir de leur propre
blockchain
et
conçus pour constituer un moyen d'échange numérique décentralisé et sécurisé. Certaines monnaies
numériques, comme le bitcoin, permettent aux utilisateurs
d’être
rémunérés par le système en vérifiant la
validité d'un ensemble de transactions :
c’est
le minage.
Dans une décision du 22 octobre 2015,
Skatteverket c/ David Hedqvist
, C-264/14, la CJUE juge
qu’une
société
qui réalise, à titre habituel, des opérations
d’échange
de cryptomonnaies contre des monnaies ayant cours
légal, fournit des prestations de service
assujetties à la TVA
. Comme les opérations sur devises réalisées
par des opérateurs
“traditionnels”
(CJUE 14 juillet 1998,
First National Bank of Chicago
, C-172/96), la
contrepartie de cette prestation est la marge réalisée par la société sur les transactions
qu’elle
réalise.
Toutefois, la CJUE juge que les opérations
d’
échange de cryptomonnaies sont
exonérées
sur le fondement
du e de
l’article
135 de la directive, qui vise les opérations portant sur les devises - dont font partie les
cryptomonnaies. Un tel opérateur ne peut exercer son droit à déduction que pour les opérations réalisées
en faveur
d’assujettis
hors UE, ou si
l’Etat
dans lequel il est établi
l’autorise
à opter pour la taxation - ce qui
n’est
pas le cas de la France en vertu de
l’article
260 C du CGI.
Quant à
l’activité
de
minage
,
l’administration
fiscale considère
qu’elle
n’est
pas assujettie à la TVA, en
l’absence
de lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue. En effet, le mineur est rémunéré par
le protocole
blockchain
, sans être uni par une relation juridique à ses utilisateurs, et sa rémunération
présente un caractère aléatoire. Cette solution se retrouve dans les autres Etats membres : la directive fait
donc obstacle à accorder un droit à déduction aux mineurs, notamment pour
l’électricité
qu’ils
consomment
et qui est soumise à la TVA.
58
Celles-ci
n’étant
pas régies par les articles 173 et 174 de la directive.
L’utilisation
de cette marge de
manœuvre
par la
France se traduit par la différence dans le calcul du coefficient
d’assujettissement
et de taxation prévus à l'article 206
de l'annexe II au CGI (cf. infra)
59
Voir CJCE 11 juillet 1991,
Lennartz
, C-97/90. Si cet arrêt a été nuancé par CJUE 25 juillet 2018,
Gmina Ryjewo
, C-
140/17, son principe
n’a
pas été remis en cause. Une
régularisation
est une opération par laquelle un contribuable
doit tirer les conséquences du changement
d’affectation
d’un
bien. Si un bien qui avait été affecté à une activité taxée
(et avait donc donné lieu à déduction de TVA) est transféré à une activité non taxée, le contribuable doit rembourser la
TVA
qu’il
a déduite :
c’est
une
régularisation négative.
S’il
utilise pour une activité taxée un bien affecté à une activité
exonérée, il a en revanche droit à une
régularisation positive
lui ouvrant droit à déduction de la TVA.
60
Ainsi des opérations financières visées au c) de
l’article
169 de la directive TVA - pour des raisons sur lesquelles il
sera revenu plus bas.
18
Le traitement TVA de
l’émission
ou de
l’échange
de
jetons numériques
(
tokens
), fondés sur un
smart
contract
, dépend de la nature de celui-ci :
l’émission
de
security tokens
conférant un droit de propriété sur
des personnes morales est
hors du champ de la TVA
et les opérations sur ces
tokens
sont
exonérées
au
titre du f de
l’article
135 de la directive TVA. Les opérations sur les
utility tokens
qui donnent accès à un ou
plusieurs biens ou services sont
taxables,
soit en tant que
titres représentatifs de marchandises
,
bons à
usage unique
, ou
services électroniques
.
1.2.2.
Les activités hors champ ou exonérées supportent malgré tout une charge fiscale
Des impositions
“en
miroir”
(TS, TCAS, DMTO)
. Plusieurs impositions sont conçues pour frapper
plus lourdement les activités concernées par les exclusions du champ
d’application
de la TVA ou
les exonérations.
Les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne
l’ont
pas été sur 90% au moins de leur
chiffre
d’affaires
sont soumis à la
taxe sur les salaires (TS)
61
, sur la base
d’un
rapport
d’assujettissement
calculé, depuis 1993,de façon autonome des coefficients
d’assujettissement
et
de taxation déterminant les droits à déduction de la TVA
62
La TS concerne ainsi largement certains
secteurs, parmi lesquels le secteur financier, bancaire et des assurances. La
taxe sur les
conventions
d’assurance
(TCAS)
n’est
pas non plus, sur le papier, liée à la TVA, mais frappe une
activité,
l’assurance,
exonérée sans droit
d’option
autorisé par la directive au motif que les Etats
membres devaient en prévoir une taxation autonome.
Par ailleurs, le régime des
droits de mutation à titre onéreux (DMTO)
est étroitement associé
à celui de la TVA immobilière. En effet, si le régime de droit commun des DMTO conduit à
appliquer une taxation à un taux global compris entre 5,09 et 6,40 %, certaines transactions sont
soumises à un taux réduit de 0,715 % lorsque la vente est soumise obligatoirement à TVA sur le
prix total
63
.
Un droit à déduction de TVA amont limité.
Un opérateur exerçant une activité non-assujettie ou
exonérée
n’est
pas autorisé à déduire la TVA
qu’il
a supportée sur les biens et services
qu’il
utilise.
Cette
rémanence de TVA
explique que des personnes publiques ou privées peuvent avoir intérêt
à être taxées à la TVA, surtout
s’il
s’agit
d’un
taux réduit
64
ou que leurs clients peuvent eux-mêmes
exercer un droit à déduction.
La limitation du droit à déduction passe par des traitements parfois complexes auxquels sont
habitués les professionnels des secteurs concernés. Une entreprise doit calculer son
coefficient
de déduction
qui correspond au pourcentage de la TVA supportée en amont
qu’elle
est autorisée
à déduire. En vertu de
l’article
209 de
l’annexe
II du CGI, il est calculé en multipliant trois
éléments :
le
coefficient
d’assujettissement
qui correspond à la part des dépenses affectées à une activité
dans le champ. Il vise à exclure du droit à déduction les dépenses concourant à la réalisation
d’activités
hors champ ;
61
Cet impôt frappait à
l’origine
tous les secteurs
d’activité
mais a été accusé de pénaliser le commerce extérieur. Son
périmètre a été cantonné aux seules activités non taxées à la TVA par le général de Gaulle après mai 1968.
62
Jusqu’à
l’arrêt
SATAM du 22 juin 1993 (C-333/91) de la CJUE, les droits à déduction de la TVA étaient calculés à partir
d’un
prorata
égal aux recettes soumises à TVA divisées par
l’ensemble
des recettes. Le coefficient
d’assujettissement
à
la TS était égal à
l’inverse
de ce prorata.
L’arrêt
SATAM ayant mis en lumière la non-conformité de la règle du prorata
au droit européen, celui-ci a été remplacé à terme par les coefficients
d’assujettissement
et de taxation ne partageant
plus le même lien avec le coefficient
d’assujettissement
à la TS, lequel
n’a
pas évolué depuis.
63
Il
s’agit
des ventes de terrains à bâtir par un assujetti à la TVA, lorsque
l’acquisition
initiale par le vendeur a ouvert
un droit à déduction, ainsi que des cessions
d’immeubles
neufs.
64
Voir, pour une commune souhaitant être assujettie à la TVA pour son activité de gestion
d’une
cantine scolaire (CE
28 mai 2021,
Commune de Sarlat-la-Canéda
, n° 441739) ou une piscine municipale (CE 28 mai 2021,
Commune de
Castelnaudary
, n° 442378).
19
le
coefficient de taxation
qui est un ratio forfaitaire destiné à réduire le droit à déduction
d’un
assujetti réalisant des activités exonérées. Il est calculé comme la part du chiffre
d’affaires
issu
d’opérations
exonérées dans le chiffre
d’affaires
total ;
le
coefficient
d’admission
qui vise à prendre en compte la part des dépenses pour lesquelles
la déduction est refusée pour des raisons de politique publique (issues de clauses de gel, cf.
supra).
Le coefficient
d’assujettissement,
un objet juridique non identifié
. Comme on
l’a
vu, les
opérateurs exerçant une partie de leur activité hors du champ de la TVA ne peuvent pas déduire
la TVA amont portant sur des biens et services leur permettant de mener cette activité hors
champ. Toutefois, la directive TVA est silencieuse sur la manière dont les Etats membres doivent
limiter le droit à déduction dans ce cas
65
.
Il
s’agit
en effet de configurations qui ne sont pas toujours économiquement significatives :
entrepreneurs individuels
utilisant les biens ou services
qu’ils
acquièrent partiellement pour
leur consommation personnelle,
holdings mixtes
se livrant, pour une partie de leur portefeuille,
à une gestion patrimoniale purement passive,
personnes publiques
dont une partie de
l’activité
est hors champ, car exercée dans le cadre de leurs compétences de puissance publique.
Dans un arrêt
SATAM
du 22 juin 1993 (C-333/91), la CJUE a censuré la loi fiscale française qui ne
prévoyait alors
qu’un
prorata de déduction global fondé sur la part de chiffre
d’affaires
d’un
assujetti soumis à TVA. La France a donc créé en 1994 le coefficient
d’assujettiss
ement : pour le
calculer, il appartient à chaque assujetti partiel de déterminer, sous sa responsabilité, la
proportion de ses dépenses grevées de TVA affectées aux activités dans le champ et hors champ
de la TVA.
Depuis cette date, la CJUE a précisé sa jurisprudence :
s’il
est nécessaire pour les Etats de prévoir
un coefficient
d’assujettissement
66
, ils disposent
d’une
marge de
manœuvre
importante pour
déterminer comment ventiler les dépenses mixtes affectées aux dépenses hors champ ou dans le
champ
67
. Par sécurité, la France a fait le choix de maintenir à
l’article
209 de
l’annexe
II du CGI un
coefficient
d’assujettissement
fondé sur une ventilation des dépenses selon leur proportion
effective
d’utilisation
aux activités dans le champ et aux activités hors champ.
La doctrine administrative
68
autorise, par dérogation, les assujettis à calculer leur coefficient
d’assujettissement
à partir
d’un
ratio forfaitaire, la quote-part des recettes dans le champ de la
TVA dans les recettes totales de
l’organisme.
Pour appliquer ce ratio, similaire au coefficient de
taxation (cf. infra), il faut toutefois que les assujettis aient obtenu
l’accord
de
l’administration
69
.
La Direction de la législation fiscale a indiqué au rapporteur que cette solution est pratiquée, par
simplicité, par de nombreux organismes publics et collectivités locales, même si elle
n’est
pas
toujours à leur avantage
70
.
65
Hormis un article très spécifique, le 168
bis
, visant à régler le cas
d’un
bien immeuble faisant partie du patrimoine de
l'entreprise d'un assujetti et utilisé par l'assujetti à la fois aux fins des activités de l'entreprise et pour son usage privé
(usage dans le champ et hors champ).
66
CJUE 8 mai 2019,
Związek
Gmin
Zagłębia
Miedziowego w Polkowicach
, C
566/17
67
CJUE 13 mars 2008,
Securenta Göttinger Immobilienanlagen und Vermögensmanagement AG
, C-437/06
68
BOI-TVA-DED-20-10-10 n° 30 et 40
69
Par définition,
l’essentiel
des activités hors champ ne produit pas de recettes (mais peut mobiliser des moyens) : dans
un grand nombre de cas, ce ratio peut donc
n’avoir
aucun sens économique. La définition des
“recettes”
à prendre en
compte ne relève
d’
aucune catégorie juridique stabilisée et peut inclure des dividendes, des subventions ou
d’autres
produits.
70
L’avantage
présenté par le choix de la quote-part forfaitaire pour le coefficient
d’assujettissement
est de faire
l’économie
d’une
méthode
d’affe
ctation des biens ou services acquis par
l’organisme
entre activités taxables et activités
non taxables (devant être justifiée auprès de
l’administration).
En revanche,
d’un
point de vue financier,
l’organisme
peut en sortir perdant, surtout
s’il
dispose d
’activités
taxables significatives.
20
Le coefficient de taxation, une variable à fort enjeu
. Les opérateurs menant une activité
exonérée et une activité taxée ne peuvent déduire que partiellement la TVA sur les biens et
services
qu’ils
ont acquis. Contrairement au coefficient
d’assujettissement,
la directive TVA est
bien plus prolixe sur le
coefficient (ou prorata) de taxation
. Les enjeux liés au calcul de ce
prorata sont plus significatifs économiquement,
puisqu’ils
déterminent les droits à déduction des
assujettis exonérés au titre de
l’article
135 de la directive,
c’est
-à-dire les entreprises du
secteur
financier
et
de
l’immobilier
.
Lorsqu’un
bien ou un service acquis par un assujetti est affecté de façon mixte à une activité
exonérée et à une activité taxée,
l’article
174 de la directive impose le calcul
d’un
prorata de
déduction forfaitaire, et donc nécessairement approximatif
71
: il
s’agit
de la part du chiffre
d’affaires
de
l’assujetti
issu
d’opérations
exonérées dans son chiffre
d’affaires
total
72
.
En vertu de
l’article
173 de la directive, les Etats membres peuvent toutefois prendre des mesures
de tempérament pour atténuer le caractère potentiellement approximatif de ce ratio :
-
autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction suivant l'affectation de tout ou partie des
biens et services : cette faculté est utilisée par certains Etats membres (comme le Royaume-Uni
avant le Brexit) : elle permet une ventilation fine des dépenses selon leur utilisation effective. La
France
n’utilise
toutefois pas cette marge de
manœuvre
73
.
-
autoriser ou obliger l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à
tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs. La France utilise cette seconde
marge de
manœuvre
à
l’article
209 de
l’annexe
II du CGI, en imposant une obligation de
constitution
de
secteurs distincts
d’activité
pour le calcul de ces coefficients dans certaines
configurations
74
. La constitution de secteurs
d’activité
permet donc d
’atténuer
le caractère
forfaitaire et approximatif du prorata de déduction
75
.
Faut-il aligner le calcul des deux coefficients
d’assujettissement
et de taxation?
Depuis
l’arrêt
SATAM
rendu par la CJCE le 22 juin 1993 (C-333/91), les modalités de calcul du coefficient
d’assujettissement
et du coefficient de taxation en France ont divergé : le premier dépend de
l’affectation
effective des dépenses aux activités hors champ et dans le champ; le second est
calculé sous forme de prorata global, atténué par la seule sectorisation.
Par ailleurs, depuis cette date, le coefficient de déduction globale de la TVA est décorrélé du
rapport d'assujettissement à la taxe sur les salaires
(cf. supra). Ainsi, une entreprise peut être
déducteur intégral
76
et pourtant payer la TS : c'est notamment le cas de sociétés holding du fait de
la perception de dividendes provenant de filiales dans lesquelles elle
s’immi
sce
77
.
71
Comme la CJUE ne manque pas de le rappeler, beaucoup de méthodes sont susceptibles
d’être
plus précises (CJUE 6
mars 2008,
Nordania Finanz
, C
98/07).
72
Sous réserve de deux retraitements prévus au b de
l’article
174 de la directive TVA et visant à exclure de ce prorata
des produits étrangers à
l’activité
économique taxée : (i) les livraisons de biens
d’investissement
(ex. cession
d’un
immeuble) et (ii) les produits financiers accessoires (ex. intérêts passifs dégagés sur un compte en banque).
73
En conséquence, une société ayant aménagé dans un immeuble un restaurant (taxé) et un casino (exonéré) ne peut
donc pas déduire la TVA relative aux travaux en proportion des superficies respectives du restaurant et du casino, mais
selon la proportion de chiffre
d’affaires
de chacune des deux activités, même si cette méthode est moins précise (CE 8
février 2019,
Société
d’exploitation
du casino de Salins-les-Bains
, n° 410807).
74
Dans deux cas de figure : lorsque
l’entreprise
mène des
activités qui ne sont pas soumises à des dispositions identiques
au regard de la TVA
ou dans des cas spécifiques déterminés par décret en Conseil
d’Etat
(ex. chaque immeuble donné
en location est un secteur particulier au regard de la TVA).
75
Sans pour autant aboutir à ce que le droit à déduction de la TVA grevant une opération soit effectivement accordé, de
façon fine, en fonction de sa proportion
d’utilisation
dans une activité ou non exonérée.
76
Toutes ses transactions entrant dans le champ
d’app
lication de la TVA sont soumises à la taxe ou exonérées mais
ouvrant droit à déduction
77
Au sens de
l’arrêt
de la CJUE du 16 juillet 2015,
Larentia+Minerva
, C-108/14 et C-109/14
21
D’un
point de vue théorique, une simplification de ces différentes règles applicables serait
possible sur le fondement du c) ou du d) de
l’article
173 de la directive TVA. Comme on
l’a
vu,
celui-ci permet aux Etats
d’autoriser
(ou
d’obliger)
les assujettis partiellement exonérés à calculer
leurs droits à déduction en tenant compte de
l’affectation
effective de leurs biens et services à
chaque activité.
Une telle option (i) permettrait
d’aligner
le calcul du coefficient
d’assujettissement
et du
coefficient de taxation, sur un principe unique
d’affectation
réelle des dépenses aux opérations
taxées et non taxées, ce qui est intellectuellement plus satisfaisant, (ii) peut avantager les
opérateurs partiellement exonérés, et donc renforcer leur compétitivité sur un marché
international : elle inspirait ainsi la pratique du Royaume-Uni avant le Brexit, qui accordait des
règles de déduction souples, par voie de rescrit, aux principaux opérateurs économiques.
Elle nécessiterait toutefois, pour justifier les choix
d’affectation
retenus, de mobiliser des moyens
plus importants chez les contribuables
78
mais aussi au sein de
l’administration
fiscale. Lorsque les
méthodes
d’affectation
employées par chaque contribuable font
l’objet
de demandes de rescrits,
cette option consomme des moyens plus importants de
l’administration
fiscale.
Autres opérations pour les déducteurs partiels
. Enfin, la directive prévoit diverses règles visant
à assurer la neutralité économique du coefficient de déduction. Tout
d’abord,
le changement
d’affectation
d’un
bien entre activités taxables et activités non-taxables peut entraîner, dans
certaines conditions, la
régularisation de la TVA déductible
, positive ou négative. Par ailleurs,
la directive peut imposer aux assujettis qui réalisent des activités exonérées de soumettre à la
TVA
une livraison à soi-même (LASM)
. Cette opération fictive interne à
l’entreprise
permet,
lorsqu’elle
réalise elle-même ou fait réaliser pour son compte un bien
d’investissement,
de la
placer dans la même situation que celle qui aurait été la sienne si elle avait acquis le bien à un
tiers. La base
d’imposition
de la livraison à soi-même inclut en principe
l’ensemble
des éléments
constitutifs du prix de revient. La taxation de la livraison à soi-même lors de
l’achèvement
autorise
l’assujetti
à déduire la TVA grevant la construction au fur et à mesure de sa réalisation, mais la
TVA afférente à la LASM
n’ouvrira,
le moment venu, pas droit à déduction si le bien
d’investissement
est affecté à une activité exonérée.
Livraisons à soi-même dans le secteur du logement social
Dans le cadre issu de la loi de finances pour 2015
79
, toute personne construisant un immeuble et
l’affectant
à son usage personnel ou à une activité
n’ouvrant
pas intégralement droit à déduction
doit constater une livraison à soi-même (LASM) et collecter la TVA correspondante.
L’activité
des bailleurs sociaux est exonérée de TVA, comme
l’est
toute activité locative de droit
commun. Sont également exonérés les opérateurs de dispositifs
d’accession
sociale à la propriété
(ex. location-accession) ou des structures
d’hébergement
temporaire. Ces acteurs supportent une
TVA sur leurs dépenses amont
qu’ils
ne peuvent en principe pas déduire.
Lorsqu’ils
construisent des logements ou mènent des travaux immobiliers, la livraison à soi-même
(ou certaines opérations
d’acquisition)
est soumise à un taux réduit de la TVA (le taux initialement
fixé à 5,5%, est désormais de 10% pour les dispositifs hors PLAI, ANRU ou opérations
d’acquisition
-amélioration). Le coût de construction est ainsi
in fine
grevé
d’une
TVA au taux
réduit (la taxe liquidée au titre de la LASM), quel que soit le taux appliqué par les fournisseurs en
amont.
78
Comment justifier la quote-part d'utilisation
d’un
bien, tel
qu’un
ordinateur ou un meuble de bureau, entre une
activité taxable et non taxable?
79
Avant cette date, une LASM devait être constatée, y compris pour les assujettis disposant
d’un
droit à déduction
intégral. Dans ce cas, la TVA à collecter était auto-liquidée et donnait lieu à déduction simultanée.
22
Remplacer
l’exonération
applicable aux loyers du logement social par un taux réduit pourrait
permettre
d’aboutir
à une simplification du cadre applicable et notamment de mettre fin à la
complexité induite par la LASM.
L’équilibre
financier de
l’opération
pour les bailleurs et les
locataires reste toutefois à déterminer.
Le régime de taxation sur marge.
Dans la philosophie du système de TVA, les non-assujettis ont
le statut de consommateur final au bout de la chaîne économique. Ils ne réalisent pas
d’opérations
économiques susceptibles de contribuer à la valeur de biens et services fournis par un assujetti.
Toutefois, dans certains secteurs, des professionnels assujettis se spécialisent dans
l’achat
de
biens auprès de particuliers. Le prix de ces biens supporte en principe une TVA amont, mais leur
acquisition auprès
d’un
particulier étant hors champ (cf. supra), cette transaction est susceptible
de faire supporter ensuite la TVA une deuxième fois au bien qui, par hypothèse, avait été
définitivement grevé de TVA lors de son acquisition par le particulier.
La directive ne propose pas
d’aménagement
général dans ce cas de figure. Néanmoins, elle prévoit
divers régimes dérogatoires visant à taxer la seule marge bénéficiaire dans plusieurs secteurs
particulièrement concernés par ce phénomène. Il
s’agit
:
Des biens
d’occasion,
des objets
d’art,
de collection ou
d’antiquité
(articles 312 à 325 de la
directive) : les assujettis-revendeurs de tels biens (antiquaires, marchands
d’art,
etc.) achetés à
des personnes non redevables de la TVA, peuvent opter pour être taxés sur leur seule marge
bénéficiaire.
Des livraisons de bâtiments ou de terrains à bâtir
(article 392 de la directive) : ce régime,
qui est une simple faculté laissée aux Etats membres, leur permet de soumettre à une TVA sur
marge les marchands de biens et promoteurs exerçant une activité
d’achat
-revente. La CJUE a
toutefois dit pour droit que ce régime était soumis à des conditions restrictives
80
(CJUE 30
septembre 2021,
Icade Promotion
,
C‑299/20)
Enfin, un régime spécifique de TVA sur la marge est prévu pour les
agences de voyage
(articles
306 à 310 de la directive) : celles-ci sont imposées sur la seule marge représentée par la différence
entre le prix global facturé et le prix facturé par les hôteliers, restaurateurs, entrepreneurs de
spectacles et les autres assujettis qui exécutent matériellement les différentes prestations offertes
au cours du voyage. Ce régime spécifique ne vise pas à remédier à un sujet de rémanence de TVA
mais à un besoin de simplification administrative, afin
d’éviter
aux agences de voyage
l’immatriculation
et
l’exercice
du droit à déduction dans chaque Etat membre où elles opèrent (cf.
chapitre 4).
Comme on le verra, les régimes de TVA sur marge sont soumis à des règles de territorialité
dérogatoires, fondées sur le principe
d’origine.
Or, avec
l’abandon
du régime définitif et
l’a
ssouplissement de
l’encadrement
des taux, ces régimes sont suspectés
d’entraîner
une
concurrence fiscale entre Etats. Ils constituent donc une problématique récurrente dans les
propositions de réforme du cadre juridique de la TVA.
80
Le prix du bien doit incorporer un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial ; la qualification
juridique entre le bien acheté et revendu doit être identique,
l’interposition
du marchand de bien se limitant à un achat-
revente.
23
2.
L’exonération
des
activités
bancaires,
financières
et
d’assurance
constitue une spécificité forte du régime de TVA européen
2.1.
Malgré la stabilité du cadre fixé par
l’article
135 de la directive depuis 1977,
de nouveaux enjeux apparaissent
2.1.1.
Exonérés par la directive, les services financiers
n’en
restent pas moins au
cœur
d’une
concurrence fiscale entre Etats
En vertu des points a) à g) de
l’article
135 de la directive TVA, les Etats sont tenus
d’accorder
une
exonération de TVA à une liste de services financiers, représentant une large part des activités de
ce secteur
81
.
Ce traitement spécifique du secteur financier remonte à la
“6e
directive”
de 1977, qui a harmonisé
les pratiques antérieures des Etats membres, qui étaient
d’une
grande variété
82
. Il
n’a
pas été sur
le fond modifiée depuis 1977, alors que le rôle de la finance dans
l’économie
des Etats membres a
connu une transformation profonde depuis cette date, de même que la diversité des transactions
susceptibles
d’être
concernées
83
.
Le 5 mars 2008, la Commission a proposé un projet de réforme
84
qui
n’a
pas abouti. Il pourrait
toutefois être relancé, puisque dans son programme de travail de 2020, la Commission a annoncé
réfléchir à une proposition sur le sujet. Celle-ci a toutefois été reportée au plus tôt en 2023
85
.
Principaux enjeux du débat sur
l’exonération.
Sur son principe,
l’exonération
continue de faire
débat sous deux angles :
-
un angle lié au principe de neutralité
: le secteur financier supporte une TVA amont non
déductible entraînant des rémanences qui ont pris de
l’ampleur
avec les évolutions
technologiques récentes (par ex. investissements informatiques des opérateurs, soumis à TVA)
et pesant notamment sur les opérations BtoB ;
-
un angle contributif
: la consommation de services financiers contribue-t-elle suffisamment au
budget des Etats membres? La taxation des services financiers serait-elle opportune au regard
du renchérissement des opérations financières auquel elle conduirait ?
Selon la CJUE, la finalité de
l’exonération
du crédit est essentiellement
d’éviter
les difficultés liées
à la détermination de la base
d’imposition
et du montant de la TVA déductible et éviter une
augmentation de coût du crédit à la consommation
86
. La raison de
l’exonération
des opérations
d’assurance
- plus stricte, puisque tout droit
d’option
est interdit, tient au fait que ces opérations
sont déjà grevées, dans de nombreux Etats membres,
d’une
taxe sur les assurances qui pèse
également sur les consommateurs
87
.
81
Mais pas tous : par exemple, des services de comptabilité, certains services
d’analyse
financière, des services de
recouvrement de créances (crédit) ou de règlement de sinistres (assurance) ne sont par exemple pas couverts par
l’exonération.
82
Certains Etats membres pratiquant pour certains une exonération presque totale (Allemagne), pour
d’autres
une
exonération centrée sur le crédit (France), ou encore une taxation plus large associée à un taux réduit (Italie).
83
Comme par exemple les instruments financiers à terme, cf. infra.
84
Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la
valeur ajoutée en ce qui concerne le traitement des services d'assurance et des services financiers, COM(2007) 747
final/2
85
Potentiellement dans le cadre
d’un
paquet sur les ressources propres. Au lieu de ressusciter la taxe sur les
transactions financières (TTF), la TVA financière pourrait être un substitut de ressource propre.
86
CJUE 19 avril 2007,
Velvet & Steel Immobilien
, C
455/05, point 24; CJUE 10 mars 2011,
Skandinaviska Enskilda Banken
,
C
540/09, point 21, et CJUE 12 juin 2014,
Granton Advertising
, C
461/12, point 30.
87
CJUE 25 février 1999, CPP, C
349/96, point 23; CJUE 17 janvier 2013,
BGŻ
Leasing, C
224/11, point 67.
24
Le CPO, dans un rapport de 2013, avait étudié les enjeux de
l’application
de la TVA au secteur
financier et avait conclu que le maintien de
l’exonération
des services financiers se justifiait plus
par des considérations
d’opportunité
que par les difficultés techniques que poserait la
détermination de la base
d’imposition
88
. En 2022,-2023 dans un contexte
d’augmentation
des taux
d’intérêt,
il est peu probable que la Commission envisage de mettre fin à
l’exonération
des services
financiers qui aurait notamment pour effet de renchérir le coût du crédit pour les opérations BtoC.
Concurrence fiscale entre Etats.
Les évolutions des techniques et de la réglementation des
services financiers et des marchés ont pour effet que ceux-ci peuvent être aisément réalisés de
façon transfrontalière, par un prestataire établi dans un Etat à destination
d’un
client (assujetti ou
non établi dans un autre Etat). Dans ce cadre, peut jouer une concurrence fiscale entre pays de
l’UE
ou avec des Etats tiers. Ses facteurs sont liés aux règles de territorialité de la TVA (couvertes
plus en détail en partie 4).
En BtoC
, les services financiers sont taxables sur la base du principe
d’origine,
dans
l’Etat
du
prestataire de services (article 45 de la directive). Dès lors, les Etats peuvent être engagés dans
une concurrence fiscale directe portant sur les taux applicables aux services financiers BtoC
non-exonérés - par exemple, les services de conseil et
d’analyse
financière fournis à des
particuliers.
En BtoB
, les services financiers sont taxables, selon le principe de destination, dans
l’Etat
du
preneur du service (article 44 de la directive). Dans ce cas,
l’Etat
du prestataire reste toutefois
compétent pour déterminer les droits à déduction auquel il peut prétendre sur cette transaction.
A ce titre, la directive prévoit des règles particulières pour les prestations vis-à-vis des Etats
tiers (et donc, depuis le Brexit, du Royaume-Uni) et entre Etats membres.
Vis-à-vis des Etats tiers
, l
’article
169 de la directive TVA permet à un opérateur bancaire ou
financier de déduire la TVA ayant grevé ses opérations financières, même exonérées, lorsque le
client est établi en-dehors de
l’UE
89
.
Cette règle correspond à une nécessité économique : les prestataires financiers européens
supportant une TVA dans
l’UE
sont en concurrence, pour les prestations
qu’ils
réalisent en dehors
des frontières de
l’UE,
avec des acteurs locaux soumis à des systèmes fiscalité indirecte dans
lesquels ils ne supportent pas de rémanence de TVA
90
.
Par ailleurs, dans les Etats hors UE où une rémanence de TVA amont pèse sur les acteurs financiers
(comme au Royaume-Uni depuis le Brexit), une règle
d’exonération
avec droit à déduction
symétrique est appliquée pour favoriser
l’exportation
de services financiers
91
. Dès lors, par
exemple, les prestataires financiers établis dans
l’UE
sont avantagés sur le marché britannique, et
les prestataires britanniques le sont sur le marché européen. Si cette règle est équitable en théorie,
en pratique, elle ne
l’est
pas nécessairement au regard de
l’asymétrie
des marchés respectifs
92
.
88
Les prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier
(24 janvier 2013)
89
Il faut noter au passage
qu’un
tel opérateur doit alors calculer le chiffre
d’affaires
relatif à ses opérations internes et
hors UE pour le besoin du calcul de son coefficient de déduction. Or, la détermination du
“chiffre
d’affaires”
soumis à la
TVA
d’opérations
traditionnellement exonérées, telles que le crédit ou le
trading
de devises,
n’est
pas sans poser de
difficultés (CJUE 13 juillet 1998,
First national Bank of Chicago
, C-172/96).
90
Hong Kong et les Etats-Unis
n’ont
pas de régime de TVA; le Japon, Singapour,
l’Australie
et la Suisse ont des régimes
de TVA ou de taxe sur les produits et services (GST) qui semblent avoir pour conséquence de neutraliser les rémanences
de TVA.
91
https ://www.gov.uk/government/publications/accounting-for-vat-on-goods-moving-between-great-britain-and-
northern-ireland-from-1-january-2021/accounting-for-vat-on-services-between-the-uk-and-eu-member-states-from-
1-january-2021
92
En 2021, les services financiers exportés depuis le Royaume-Uni vers
l’UE
représentent 61.3
Md€,
et les exportations
de services financiers depuis
l’UE
vers le Royaume-Uni seulement 16,6
Md€.
Par ailleurs, le Royaume-Uni a annoncé en
2020 un
réexamen de la fiscalité des fonds
d’investissement
dans le cadre duquel les fédérations professionnelles ont
proposé
l’application
d’un
taux zéro sur la gestion des fonds
d’investissement
(The Investment Association,
Response
to HMT Review of the UK Funds Regime Call for Input
,
20 April 2021).
25
Entre Etats de
l’Union
européenne
, la tentation
d’une
concurrence fiscale
n’est
pas inexistante :
il
s’agit
pour chaque Etat membre
d’assurer,
dans un marché unique toujours plus intégré, la
compétitivité de sa place financière. Afin de parvenir à ce résultat, un Etat peut mobiliser trois
leviers :
-
le
calcul du prorata de déduction
: les articles 173 et 174 de la directive offrent aux Etats
plusieurs possibilités pour déterminer la part de la TVA amont que peuvent déduire les
assujettis réalisant des opérations taxées et non taxées. Le Royaume-Uni permettait ainsi de
longue date aux opérateurs financiers de déterminer leur prorata en fonction de
la proportion
d’affectation
réelle des biens et services acquis
. Cette méthode, plus complexe, donnait lieu
à un suivi détaillé par
l’administration
fiscale britannique et à des rescrits fiscaux favorables.
-
la
neutralisation de rémanences de TVA amont
: certains pays, dont la France, faisaient usage
du régime des groupements de moyens (article 132, point f) de la directive TVA) pour permettre
aux opérateurs financiers
d’échapper
à une TVA amont non déductible : ce régime a été toutefois
censuré par la CJUE en 2017 (cf. infra). Le régime de groupe TVA constitue une autre option
permettant de réduire les rémanences de TVA amont : à compter de 2023, il viendra se
substituer en France au régime des groupements de moyens.
-
l’
option pour la taxation
permet également aux opérateurs de choisir
d’être
soumis à la TVA
sur les opérations BtoB pour lesquelles cela peut constituer un avantage. A
l’échelle
de
l’UE,
la
France se caractérise par un usage significatif de ce régime
93
.
Enfin, le sujet de la compétitivité des services financiers français est indissociable de la
taxe sur
les salaires
dont ces derniers sont redevables,
lorsqu’ils
ont été soumis à la TVA sur moins de
90% de leur chiffre
d’affaires.
Dans
l’ensemble,
les enjeux soulevés par la concurrence fiscale sur les droits à déduction des
prestataires financiers transfrontaliers ne peuvent trouver une réponse à un niveau seulement
européen. Une partie importante du problème se situe en effet au niveau des pays tiers (cf. supra)
qui accordent à leurs acteurs financiers des exonérations associées à un droit à déduction, soit de
façon générale, soit pour les exportations de services financiers. Une telle réflexion pourrait
trouver sa place dans une enceinte multilatérale telle que
l’OCDE.
Proposition n°2
(OCDE) : Inscrire à
l’agenda
de
l’OCDE
une réflexion sur le régime des droits à
déduction des prestataires de services financiers réalisant des opérations transfrontalières
exonérées.
2.1.2.
L’option
pour la taxation à la TVA
L’option.
L’article
137 de la directive TVA permet aux Etats
d’accorder
aux acteurs financiers le
droit
d’opter
pour la taxation de la TVA pour leurs activités - à
l’exception
notable des opérations
d’assurance
et
d’intermédiation
ou de courtage en assurance, pour lesquels cette option reste
exclue.
Avec
l’Allemagne,
la France se singularise au sein de
l’UE
par un recours significatif à cette
disposition et ouvre un droit
d’option
large aux acteurs financiers en vertu de
l’article
260 B du
CGI. Certaines opérations en restent toutefois expressément exclues (article 260 C du CGI)
et
demeurent donc obligatoirement exonérées.
93
Ainsi, une proposition envisagée depuis 2008 est la
généralisation du droit
d’option
, qui reviendrait aux Etats
d’accorder
un tel droit aux opérateurs (principalement BtoB) souhaitant opter pour la taxation. Il est toutefois peu
probable
qu’une
unanimité se dégage à ce stade sur une telle mesure de faveur pour le secteur financier qui ne serait
pas accompagnée de contreparties.
26
Vers un régime
d’option
sélective.
Dans le régime antérieur à 2022,
l’option,
exercée pour une
durée minimale de cinq ans,
s’appliquait
obligatoirement de manière « globale » à toutes les
opérations financières réalisées par
l’assujetti
et éligibles au régime
d’option.
Toutefois, tirant les
conséquences de la décision CE 9 septembre 2020,
EMO
, n° 439143
94
, la loi de finances pour 2022
a fait évoluer ce régime :
l’option,
hier globale, est dorénavant devenue « sélective » et peut être
pratiquée opération par opération.
Ainsi, les sociétés de gestion peuvent désormais opter pour la TVA lorsque leurs clients sont
assujettis (ex. fonds immobiliers pratiquant une activité locative) et y trouvent un bénéfice dès
lors
qu’ils
peuvent déduire la TVA amont. La taxation à la TVA deviendra également un élément
de négociation commerciale : les prestataires financiers pourront décider
d’être
soumis ou non à
la TVA selon le pouvoir de négociation de leurs clients.
Le périmètre de
l’option
pour la taxation
n’a
pas été substantiellement modifié depuis 1979 : il est
limité aux opérations précédemment soumises à la taxe sur les activités financières (TAF) existant
avant la création de la TVA. Ainsi, la France
n’autorise
pas
d’option
pour la TVA pour les intérêts,
agios et profits assimilés (4° et 5° de
l’article
260 C du CGI) ou sur les opérations sur devises (11°
du même article), alors que la directive ouvre cette possibilité. Le placement et la distribution ne
sont pas non plus susceptibles de donner lieu à droit
d’option
. Dès lors que, depuis la loi de
finances pour 2022, la signification économique du droit
d’option
a profondément changé, il paraît
légitime de réinterroger le périmètre des opérations susceptibles
d’entrer
dans le cham du droit
d’option
.
Proposition n°3
(FR) : Etudier, en lien avec les fédérations professionnelles concernées, une
évolution du périmètre des opérations financières éligibles au droit
d’option
pour la TVA.
Option et territorialité
. Le régime
d’option
français est particulièrement favorable aux
prestations bancaires et financières fournies par un prestataire français à un client au sein de
l’UE.
Ces prestations sont en général exonérées dans le pays du preneur en vertu des articles 135 et
137 de la directive. Or, la France a accordé en 2010 un rescrit fiscal
95
permettant aux prestataires
français de ne pas perdre leur droit à déduction sur ces opérations étrangères exonérées,
s’ils
ont
exercé
l’option
pour la taxation pour ses opérations françaises. Depuis le 22 juin 2022, la doctrine
administrative
96
est encore plus avantageuse : puisque les assujettis peuvent appliquer l'option
opération par opération, ils sont réputés
l’avoir
appliquée sur leurs opérations étrangères, même
s’ils
ne la pratiquent pas sur leurs opérations internes.
Cette tolérance de
l’administration
bénéficie aux sociétés de gestion françaises gérant de fonds
étrangers (ex. luxembourgeois), qui peuvent donc mener une activité exonérée associée à un droit
à déduction intégral. Elle semble toutefois en délicatesse avec la jurisprudence de la CJUE, faisant
craindre de futurs contentieux
97
.
94
Le Conseil
d’Etat
a, en effet, considéré
qu’il
résultait de la jurisprudence de la CJUE
qu’il
appartenait à chaque État
membre de préciser, dans son droit national, la portée du droit d'option et d'édicter les règles en vertu desquelles
certains assujettis peuvent bénéficier de ce droit. Toutefois, ces dispositions ne confèrent pas aux États membres la
faculté de subordonner à des conditions ou de restreindre de quelque manière que ce soit les exonérations prévues par
le 1 de l'article 135, mais leur réservent simplement la faculté d'ouvrir, dans une mesure plus ou moins large, aux
bénéficiaires de ces exonérations, la possibilité d'opter eux-mêmes pour la taxation, s'ils estiment que tel est leur
intérêt.
95
BOI-TVA-SECT-50-10-30-10, n° 160
96
BOI-TVA-SECT-50-10-30-20, n° 90
97
Voir ex. CJUE 24 janvier 2019,
Morgen Stanley
, C-165/17 et conclusions de Paolo Mengozzi : en principe, pour la Cour,
lorsqu’un
assujetti utilise des biens et services dans un Etat-membre pour la réalisation
d’une
opération dans un autre
Etat-membre, le droit à déduction est conditionné à la double condition que les opérations sont effectivement taxées
dans
l’Etat
où elles sont réalisées, et
qu’elles
l’auraient
été également été dans
l’Etat
où les biens et services sont fournis.
27
2.1.3.
Au niveau européen, une clarification de certaines notions
s’impose.
Les dispositions de
l’article
135 de la directive relative à
l’exonération
du secteur financier ayant
été établies dans les années 1970, elles peuvent être difficiles à appliquer aux réalités du secteur
financier
d’aujourd’hui
et donnent lieu à des divergences
d’interprétation
entre Etats membres.
La proposition que la Commission européenne avait formulée en 2008 aurait permis une
clarification des notions sous la forme
d’un
règlement
d’exécution
98
. Elle
s’insérait
toutefois dans
le cadre
d’une
réforme plus ambitieuse qui
n’a
pas recueilli
l’adhésion
des Etats membres. Le sujet
des zones
d’ombre
de
l’article
135 de la directive reste toujours
d’actualité,
comme
l’illustre
par
exemple la question délicate du traitement fiscal des crypto-monnaies et crypto-actifs (cf. encadré
infra
).
Proposition n°4
(UE) : Sans engager une réforme
d’ampleur
du régime
d’exonération
applicable
aux opérations financières, moderniser les notions employées à
l’article
135 de la directive pour
tenir compte des évolutions du secteur.
Quelques autres difficultés de définition
En
l’absence
de clarification des notions de
l’article
135 de la directive sous forme de texte de droit dérivé,
la jurisprudence de la CJUE travaille à éclaircir celles-ci.
Prestations spécifiques et essentielles à la gestion de FCP
:
si la gestion des fonds communs de placement
(FCP) est exonérée, telle
n’est
pas nécessairement le cas des prestations fournies par des tiers à ces FCP,
comme par exemple
l’analyse
financière. Celles-ci sont exonérées si elles forment un ensemble cohérent et
sont spécifiques et essentielles à la gestion
d’actifs
(CJUE 2 juillet 2020,
Blackrock Investment Management
,
C‑231/19).
Elle applique ainsi une jurisprudence nuancée à des prestations telles que la réalisation de
tâches fiscales et à la mise à disposition
d’un
logiciel de gestion des risques (CJUE 17 juin 2021,
DBKAG
,
C‑59/20).
Intermédiaires en assurances
: la directive prévoit une exonération tant pour les sociétés
d’assurance
que
pour les intermédiaires ou courtiers. La CJUE a récemment resserré le champ de cette seconde exonération :
de tels opérateurs doivent, d'une part, être en relation avec l'assureur et l'assuré et, d'autre part réaliser
une activité recouvrant des aspects essentiels de la fonction d'intermédiaire d'assurance, telle que la
prospection (CJUE 17 mars 2016,
Aspiro SA
, C-40/15). En revanche,
l’activité
consistant à régler des
sinistres au nom et pour le compte d'un assureur n'est pas liée à la recherche de prospects ni à la mise en
relation de ces derniers avec l'assureur en vue de la conclusion de contrats d'assurances.
De nombreuses zones
d’ombre
fondamentales demeurent.
La simple définition
d’une
opération financière
n’est
pas évidente lorsque sont en jeu des prestations
croisées derrière lesquelles se cache un contrat de prêt. Ainsi, la CJUE a-t-elle récemment jugé que les
opérations de
sale and lease back
(cession-bail) par lesquelles une entreprise cédait un immeuble à une
banque qui le lui donnait ensuite en crédit-bail constituaient globalement des opérations financières non
soumises à TVA (CJUE 27 mars 2019,
Mydibel
,
C‑201/18).
La notion
d’
instruments financiers à terme (IFT)
, peu répandue dans les années 1970,
n’est
ainsi pas
définie par la directive. Ces contrats engageant à vendre ou à acheter des valeurs spécifiques, à une date
précise et à un prix déjà fixé portent sur des marchandises (ex. matières premières) et sont utilisés comme
instruments de couverture. Si
l’article
135 paragraphe 1 sous f), précise que sont exonérées les opérations
sur titres à
l’exception
de titres représentatifs de marchandises, le statut des IFT reste incertain et fait
l’objet
de différences de traitement entre Etats membres.
98
Sur le modèle du règlement
d’exécution
(UE) n° 282/2011 du Conseil du 15 mars 2011 définissant un certain nombre
de concepts de la directive (services de restauration, services électroniques, établissement stable, etc.).
28
On note également une double ambigüité sur les
achats de créances
et les
contrats de sous-participation
.
Dans ces opérations, un créditeur cède à un tiers le droit de bénéficier des versements du débiteur
99
. Ces
opérations permettent au premier créditeur
d’obtenir
immédiatement des liquidités et de couvrir son
risque de crédit. Une première interrogation tient au
champ
d’app
lication
: la CJUE jugeait ainsi
qu’un
opérateur achetant des créances douteuses à un prix inférieur à leur valeur nominale
n’effectu
ait pas une
prestation de services « à titre onéreux » et
n’entr
ait donc pas dans le champ
d’application
de la TVA (27
octobre 2011,
GFKL Financial Services
,
C‑93/10);
en revanche, la souscription de contrats de sous-
participation, pourtant économiquement équivalente, entre bien dans le champ de la TVA (CJUE, 6 octobre
2022,
O. Fundusz Inwestycyjny
Zamknięty
reprezentowany przez O S.A
.,
C‑250/21).
Une seconde
interrogation tient à
l’exonération
: la CJUE juge que ces opérations sont exonérées en tant
qu’opérations
de crédit (b du 1 de
l’article
135 du CGI), alors
qu’on
pourrait y voir des opérations de couverture, donc
d’assurance,
exonérées à un autre titre (a du 1 de
l’article
135)
100
.
2.2.
La transposition du régime de groupe devrait aller au-delà de la compensation
de la jurisprudence de la CJUE relative aux groupements de moyens
2.2.1.
Un régime de groupe
d’abord
destiné à venir en appui du secteur financier
La fin des groupements de moyens.
En vertu de l'article 261 B du CGI, les personnes morales
exerçant une activité exonérée pouvaient également, sous certaines conditions, bénéficier
d’une
exonération sur les services que leur rendaient leurs fournisseurs lorsque ceux-ci étaient
constitués en
groupements de moyens
. Ces derniers pouvaient réaliser des prestations, sans
payer de TVA, à destination de leurs membres (en nombre au moins égal à deux)
101
.
De nombreux acteurs dans le secteur de la banque et de
l’assurance
ou dans celui du logement
social, disposant de coefficients de déduction faibles, avaient recours à ce régime qui leur
permettait de ne pas supporter une TVA non déductible. En pratique, les entreprises de ce secteur
constituaient des groupements de moyens sous la forme de groupements
d’intérêt
économique,
parfois
d’associations
de moyens suivant le régime de la loi de 1901, parfois encore de simples
groupements de fait régis par des dispositions conventionnelles.
En 2017, plusieurs décisions de la CJUE ont fait apparaître que ce régime, pourtant vieux de plus
de quarante ans,
n’était
pas conforme à la directive.
D’une
part, elle a remis en cause une tolérance
luxembourgeoise pour un groupement de moyens dont les membres affichaient un taux de
déduction de 30-45% - faisant craindre une non-conformité similaire pour le régime français
(CJUE 4 mai 2017,
Commission c/ Luxembourg
, C-274/15). Surtout, elle a écarté le principe même
de
l’existence
de groupements de moyens au service
d’activités
exonérées au titre de
l’article
135 :
ce régime est réservé aux activités
d’intérêt
général visées à
l’article
132 (CJUE 21 septembre
2017,
Aviva
, C-605/15;
DNB Banka
, C-326/15;
Commission contre
RFA, C-616/15)
99
Dans le cas des contrats de sous-participation, le tiers ne devient pas propriétaire juridiquement de la créance mais
se borne à bénéficier du produit des créances que le premier créancier
s’engage
à lui reverser.
100
Ce qui
n’est
pas équivalent, par exemple concernant la marge de
manœuv
re dont disposent les Etats pour accorder
à ces opérations un droit
d’option.
101
Les membres du groupement devaient exercer une activité exonérée de TVA, mais une tolérance administrative
regardait cette condition comme remplie dès lors que le coefficient de déduction de ces membres était inférieur à 20%
29
Plusieurs Etats, dont la France, ont porté l'idée
d’une
modification de la directive pour étendre
explicitement le régime des groupements de moyens à l'ensemble des activités exonérées. Cette
proposition
n’a
toutefois pas connu de succès
102
. Pour la Commission, elle ne peut faire
l’objet
d’une
réforme isolée sans réflexion plus globale sur le régime des activités bancaires, financières
et
d’assurance.
Régime de groupe TVA et consolidation de paiement.
Le régime de groupe TVA permet à
plusieurs sociétés
d’un
même groupe économique de se constituer en assujetti unique. Seules sont
prises en compte pour le calcul de la TVA et des droits à déduction les opérations réalisées avec
l’extérieur
: en revanche les prestations intra-groupe sont exclues du champ
d’a
pplication de la
TVA.
L’article
11 de la directive permettant aux Etats membres
d’instaurer
un tel régime, il est
pratiqué par 18 Etats membres, dont ne faisait pas partie la France.
Le
groupe TVA
est à distinguer du régime de
consolidation de paiement de la TVA
de sociétés
du même groupe. Ce second régime a été créé par la France depuis le 1
er
janvier 2013, en utilisant
une dérogation issue de
l’article
395 de la directive
103
, et est ouvert aux seules grandes entreprises
suivies par la Direction générale des entreprises (DGE). Il permet aux sociétés
d’un
même groupe
de réaliser une déclaration conjointe et un paiement unique de la TVA, en additionnant la TVA
collectée par les différentes filiales et en y imputant les crédits de TVA déductible dont certaines
pourraient disposer. Il apporte aux groupes y ayant recours un avantage de trésorerie pour leurs
filiales en situation nette créditrice de TVA
104
.
Le groupe TVA constitue une étape supplémentaire, puisque les sociétés
d’un
même groupe sont
traitées sous la forme
d’un
assujetti unique : les opérations intra-groupe sont hors champ de la
TVA. Après consultation par la France du Comité de la TVA à Bruxelles, et conformément à
l’ar
ticle
11 de la directive,
l’article
45 de la loi de finances pour 2021
a créé un régime de groupe TVA
en
France, à portée en principe générale et susceptible
d’être
adoptée par toutes les entreprises.
Une bonne nouvelle pour les groupes bancaires et
d’as
surance.
Pour les opérateurs exonérés
qui avaient recours aux groupements de moyens, le groupe TVA constitue un bon substitut, dès
lors
qu’il
élimine la taxation à la TVA de la fourniture de services intra-groupe concourant à des
opérations exonérées.
Il est vrai que le groupe TVA constitue par certains aspects une solution plus rigide que les
groupements de moyens. La CJUE adopte ainsi une jurisprudence stricte limitant le groupe TVA
aux personnes établies sur le territoire
d’un
même Etats-membre, ce qui implique de considérer
qu’une
société établie dans un État membre ayant constitué un groupe TVA et sa succursale dans
un autre État membre, pourtant dépourvue de personnalité juridique, doivent être considérés
comme assujettis distincts
105
. En revanche, contrairement aux groupements de moyens, le groupe
TVA
n’exige
pas de condition tenant à la nature de
l’activité
(services rendus à prix coûtant ou
avec remboursement exact, concourant directement et exclusivement aux opérations exonérées)
et offre donc plus de flexibilité aux entreprises sur ce point.
102
Ainsi, là où plusieurs Etats proposaient de
l’inclure
dans la directive Quick fixes du 25 mai 2018, cette possibilité a
été écartée, car trop éloignée de
l’objet
initial de cette directive, qui concerne principalement le traitement
d’opérations
intracommunautaires sur les biens (régime des stocks sous contrat de dépôt, justification de l'exonération des
livraisons intracommunautaires et traitement des opérations en chaîne - cf. infra, partie 4.3).
103
Voir CJUE 22 mai 2008,
Amplifiscientifica Srl, Amplifin SpA
, C-162/07 sur un régime similaire existant en Italie.
104
Dans un régime de consolidation de paiement, le crédit de TVA des sociétés en situation de position nette créditrice
peut être immédiatement imputé sur la TVA collectée des sociétés redevables nettes de taxe.
L’avantage
est donc
immédiat, là où les sociétés créditrices, prises isolément, devraient attendre un remboursement de taxe pendant
plusieurs semaines.
105
CJUE 17 septembre 2014,
Skandia American Corporation
, C-7/13 et CJUE 11 mars 2021,
Danske Bank A/S
, C-812/19
30
Dans
l’ensemble,
une adoption large de ce régime est anticipée pour les groupes bancaires et les
sociétés
d’assurance
106
. En retour, la France a abrogé les commentaires administratifs protégeant
les groupes ayant recours au régime des groupements de moyens et ayant continué à les utiliser
entre 2017 et 2021.
2.2.2.
Il serait opportun de faciliter
l’adoption
du groupe TVA par les autres secteurs en
neutralisant son impact pour la redevabilité de la taxe sur les salaires (TS)
Un régime intéressant à étendre au reste de
l’économie?
Le régime de groupe TVA est
également, en théorie, susceptible
d’intéresser
l’ensemble
des sociétés, y compris la grande
majorité
d’entre
elles qui ne
l’utilisent
pas pour faire face à un problème de rémanence.
En effet, même si son application requiert sans doute un niveau élevé
d’harmonisation
des
pratiques comptables et des systèmes
d’information
de ses membres, le groupe TVA offre des
possibilités de simplification importantes pour les sociétés dont
l’ensemble
de
l’activité
est
soumise à TVA, et
n’ayant
donc pas de sujet de calcul des droits à déduction. Ces sociétés sont ainsi
libérées des obligations fiscales de facturation et de déclaration des transactions intra-groupe, qui
peuvent être lourdes, par exemple
lorsqu’une
centrale
d’achat
sert
l’ensemble
des filiales
d’un
même groupe. Le groupe TVA est également utile pour les groupes internationaux qui le
pratiquent déjà largement dans
l’UE
à
l’extérieur
des frontières françaises.
C’est
pour les entreprises exonérées partiellement que le groupe TVA entraîne un surcroît de
complexité
107
. Il est donc paradoxal de constater que, à la suite de la réforme introduite par la loi
de finances pour 2021, seuls les redevables partiels (autrement dit les entreprises qui réalisent
des activités, en tout ou partie, exonérées) auront recours au groupe TVA - alors
qu’en
principe,
le régime de groupe est ouvert à toutes les entreprises
108
.
Enfin,
l’exercice
de
l’option
pour le groupe TVA par des groupes mettant déjà en
œuvre
le régime
de consolidation de paiement entraîne un coût limité pour les finances publiques. En effet, comme
pour le mécanisme de consolidation de paiement, la TVA nette (après déduction) dont est
redevable
l’assujetti
unique est égale à la somme des TVA nettes collectées par les sociétés du
groupe
109
. Par ailleurs, les modalités
d’entrée
et de sortie du groupe TVA ont été conçues pour
assurer la neutralité pour les finances publiques dès sa constitution
110
.
106
Les notifications des entreprises souhaitant opter pour le groupe TVA étaient attendues pour octobre 2022.
107
L’intégration
à un groupe TVA oblige, en effet, à des opérations complexes liées au principe de
l’affectation
des
dépenses : celle-ci
s’effectuant
“aux
bornes”
il faut donc retracer si
l’acquisition
d’un
bien ou
d’un
service
“extérieur”
par une société membre du groupe contribue, via les prestations intragroupe,
in fine
à des opérations taxables ou non
réalisées par le groupe vis-à-vis de
l’extérieur.
Plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur indiquent que les
groupes français disposent de systèmes
d’information
hétérogènes ne permettant souvent pas de réaliser cette
opération.
108
Et a été explicitement présenté comme tel - voir la consultation par la France du comité de la TVA auprès de
Commission européenne (19 octobre 2020, taxud.c.1(2020)6421312
Working paper
N° 1002) ou
l’exposé
des motifs
de
l’article
45 du projet de loi de finances pour 2021 présenté à
l’Assemblée
nationale.
109
Comme la consolidation de paiement, le groupe TVA accorde aux entreprises un avantage de trésorerie lié aux délais
de remboursement de crédits de TVA (dont les délais de traitement ont été toutefois réduits, notamment pour les
entreprises relevant de la DGE).
110
L’entrée
d’une
société dans un groupe est placée sous le régime de la transmission universelle de patrimoine (article
257 bis du CGI) en franchise de TVA et les débits/crédits sont laissés en dehors du groupe, sans devoir procéder à une
régularisation sur biens meubles/immeubles. A la sortie du groupe, il est procédé de même. Il ne devrait donc pas y
avoir
d’impact
sur les finances publiques.
C’est
un choix du système français de groupe TVA : par comparaison, dans
certains pays (Belgique/Pays-Bas), les sociétés sont invitées à régulariser la TVA sur la période restante à courir.
31
Un régime limité au secteur financier du fait de son impact TS.
La taxe sur les salaires (TS) est
un impôt conçu pour frapper les opérations non soumises à TVA. Cet impôt, dont
l’assiette
est
constituée de
l’ensemble
des salaires versés par une société,
n’
est dû
qu’à
proportion
d’un
rapport
d’assujettissement
à la TS
égal au rapport entre «
le chiffre d'affaires qui n'a pas été
passible de la TVA et le chiffre d'affaires total
»
111
.
Or, en pratique, la constitution
d’un
groupe TVA
n’est
pas neutre en matière de TS. En effet, les
flux intra-groupe, placés hors champ de la TVA, sont également regardés comme non taxés pour
les besoins de la TS, ce qui a pour effet
d’augmenter
le rapport
d’assujettissement.
En pratique,
des entreprises réalisant exclusivement des activités soumises à TVA deviendraient redevables
de la TS du seul fait de la constitution du groupe TVA. Leur charge de TS serait une fonction
croissante de
l’importance
des transactions économiques réalisées entre les sociétés du groupe.
La solution en vigueur avait été préférée à une option alternative consistant à
neutraliser
entièrement
l’impact
du groupe TVA en matière de TS
, en regardant si les opérations intra-
groupe
auraient été taxées à la TVA
en
l’absence
de groupe TVA. Les opérations intra-groupe
neutralisées pour les besoins de la TVA auraient continué à être prises en compte comme
auparavant pour le calcul du coefficient
d’assujettissement
à la TS, selon le régime qui aurait été
le leur en
l’absence
de
l’option
pour le régime de groupe. Cette option a été écartée, car elle
avantageait les redevables partiels de la TVA, tels que les groupes financiers, qui auraient ainsi
bénéficié
d’un
double avantage
112
. Elle leur permettait en effet
d’échapper,
non seulement aux
rémanences de TVA, mais également à la TS correspondant aux opérations auparavant réalisées
par les groupements de moyens - alors
qu’ils
y étaient auparavant soumis
113
.
Toutefois,
l’application
de la TS dans le secteur financier
n’est
pas intellectuellement incompatible
avec la généralisation du groupe TVA dans
l’économie
114
. Sans remettre en cause le principe même
de la TS ou de ses règles de calcul
115
, plusieurs options sont possibles.
La première option
actuellement à
l’étude
par la Direction de la législation fiscale (DLF)
conduirait à exclure du champ de la TS les groupes industriels et commerciaux dont
l’essentiel
des opérations menées vis-à-vis de
l’extérieur
sont soumises à TVA. Cette solution implique
toutefois de définir un seuil
d’opérations
taxables au-delà duquel un groupe est, par principe,
placé hors champ.
L’existence
d’“effets
de
seuil”
disproportionnés
pourrait
poser
un
risque
d’inconstitutionnalité
116
.
111
Notion prévue à
l’article
231 du CGI. Le rapport
d’assujettissement
était le négatif de
l’ancien
prorata de déduction
de la TVA, censuré par la CJUE dans son arrêt
SATAM
du 22 juin 1993 (C-333/91).
C’est
désormais une notion autonome
qui ne se recoupe plus exactement avec le coefficient de déduction issu du produit des coefficients
d’assujettissement
et de taxation.
112
Cette option était également peu opérationnelle,
puisqu’elle
nécessitait de continuer à se poser la question du
traitement TVA purement hypothétique qui aurait été appliqué aux opérations intra-groupe, pour calculer le coefficient
d’assu
jettissement à la TS.
113
La suppression du régime des groupements de moyens rendant en théorie passible de la TVA les prestations de
services qui bénéficiaient
jusqu’en
2022 de
l’exonération
de
l’article
261 B du CGI.
114
Ainsi, le Danemark dispose d'une taxe sur les salaires pesant sur les secteurs exonérés de TVA, notamment le secteur
financier (le
lønsumsafgift
) et dispose
d’un
régime de groupe TVA ancien et largement diffusé dans l'économie. Pour
une étude du régime de groupe TVA danois, voir Karina Kim Egholm Elgaard,
“The
Danish VAT Grouping Scheme and
its compatibility with the EU VAT
Directive”,
26 avril 2021, Studi Tributari Europei. Vol.10 (2020)
115
Si la réforme plus profonde de la TS pourrait être engagée, il
n’appartient
pas à ce rapport de se prononcer sur cette
question. On rappellera toutefois, à titre illustratif, les conclusions du référé du 25 juin 2018 de la Cour des comptes
consacré à la TS : ce référé indique que les règles de calcul de cet impôt sont anciennes, son barème incohérent, et qu
’une
réforme est nécessaire à court terme. Il souligne en particulier que la TS est un impôt présentant une circularité
importante,
puisqu’une
grande partie de ses redevables sont des organismes financés sur fonds publics.
116
Si le Conseil constitutionnel juge que «
l’effet
de seuil », créé de part et
d’autre
d’une
valeur qui décide de
l’octroi
d’un
certain avantage fiscal ou social, ne constitue pas, en soi, une atteinte au principe
d’égalité,
c’est
toutefois sous la
32
La seconde option
, proposée par le présent rapport, serait de permettre aux sociétés membres
d’un
groupe TVA de
constituer, sur le même périmètre, un groupe TS
,
c’est
-à-dire de calculer
un coefficient
d’assujettissement
à la TS unique à
l’échelle
du groupe
s’appliquant
à
l’ensemble
des
rémunérations
versées
par
les
sociétés
qui
en
sont
membres.
Ce
coefficient
d’assujettissement
à la TS ne tiendrait compte que des opérations réalisées par le groupe TVA
(et TS) vis-à-vis de
l’extérieur.
La constitution simultanée
d’un
groupe TVA et
d’un
groupe TS, sur le même périmètre,
permettrait à un groupe de sociétés ne réalisant que des opérations taxables de se constituer en
assujetti unique de façon fiscalement neutre pour le groupe et pour les finances publiques.
L’impact
fiscal sur une société ne réalisant que des activités exonérées vis-à-vis de
l’extérieur,
et
ayant constitué un groupe TVA, est également nul. Par rapport au système actuel, cette option
avantage, en revanche, les sociétés ayant, dans une proportion significative, des activités mixtes
(taxables et non taxables) vis-à-vis de
l’extérieur.
Les anciens bénéficiaires du régime de
groupements de moyens affichant des coefficients de déduction très faibles seraient donc peu
gagnants.
Certaines subtilités dans le calcul des coefficients TS et TVA peuvent expliquer que la constitution
d’un
groupe TS désavantagerait suffisamment certains opérateurs
117
pour les décourager de
constituer un groupe TVA. Il est donc proposé de créer un mécanisme
d’option
“bloquée”
pour un
groupe TS : si un groupe TVA est constitué,
l’option
pour un groupe TS peut être exercée sur le
même périmètre et pour la même durée. Cette solution permet, au passage, de recréer un lien
entre TS et TVA, en partie relâché depuis
l’arrêt
SATAM
(cf. supra) en ce qui concerne le calcul des
coefficients de déduction et
d’exonération.
Proposition n°5
(FR) : Neutraliser
l’impact
TS de
l’adoption
du régime de groupe TVA en
adoptant
l’une
des deux solutions suivantes :
Option 1
: Exclure du champ de la TS les groupes industriels et commerciaux dont
l’essentiel
des opérations menées vis-à-vis de
l’extérieur
sont soumises à TVA, sur la base
d’un
seuil
forfaitaire.
Option 2
: Introduire la faculté, pour les sociétés ayant opté pour un groupe TVA, de se
constituer également en groupe TS sur le même format, pour le calcul du coefficient
d’assujettissement
à la TS.
A défaut
d’accorder
la possibilité à
l’ensemble
des groupes (y compris non financiers)
d’opter
pour
le groupe TVA sans surcoût TS, il paraîtrait du moins opportun
d’étendre
le régime de
consolidation de paiement à
l’ensemble
des groupes économiques et non aux seules grandes
entreprises.
Il semble en effet que la limitation du régime de consolidation de paiement aux seuls assujettis
relevant de la DGE
s’expliquait
par les difficultés que les services de la DGFiP rencontreraient pour
faire le lien entre des membres ne relevant pas tous nécessairement de la même direction
territoriale pour la souscription de leurs déclarations. Toutefois, dans un contexte de remontée
des taux
d’intérêt
et de tensions sur la trésorerie des entreprises, il paraît inéquitable et source
réserve que celui-ci ne soit pas « disproportionné » (CC, décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017 relative à la loi
de finances pour 2018, paragraphe 77). Pour un exemple
d’inconstitutionnalité
du barème
d’un
impôt dont il résultait
un effet de seuil trop significatif, voir la décision CC n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015. Le Conseil constitutionnel
a ainsi jugé que la contribution additionnelle au taux de 45 %, à la charge de l'employeur, sur les rentes excédant huit
fois le plafond annuel de la sécurité sociale, au taux de 45 %,
s’accomp
agnait
d’effets
de seuil excessifs.
117
Il
s’agit
par exemple de situations spécifiques dans lesquelles une société holding peut déduire intégralement la TVA,
tout en étant redevable de la TS sur les dividendes
qu’elle
perçoit -
l’intégration
de cette holding avec une filiale réalisant
des prestations intra-groupes, au sein
d’un
groupe TS+TVA, serait neutre du point de vue de la TVA mais générerait un
surcroît de TS sur les rémunérations versées par la filiale.
33
de distorsions de concurrence de réserver
l’avantage
de trésorerie associé au régime de
consolidation de paiement aux seules grandes entreprises.
Par ailleurs, si la dissémination géographique des membres
d’un
groupe - souscrivant leurs
déclarations fiscales auprès d'une multitude de services des impôts des entreprises (SIE)
différents -
n’est
pas un obstacle pour le régime de l'assujetti unique, ouvert en théorie du moins
à toutes les entreprises, elle ne devrait pas non plus l'être pour celui de paiement consolidé de la
TVA.
Proposition n°5 subsidiaire
(FR) : Etendre le régime de consolidation de paiement à
l’ensemble
des entreprises.
34
3.
L’encadrement
des taux réduits au niveau européen a été modifié en
profondeur par la directive du 5 avril 2022
3.1.
Faisant
l’objet
d’un
encadrement important en prévision de
l’instauration
d’un
système définitif, les taux réduits en France continuaient
d’être
source de
complexité
3.1.1.
Un encadrement européen strict des taux réduits de TVA applicables
Fonctionnement des taux réduits
.
L’application
d’un
taux réduit de TVA à une opération ne limite
aucunement le droit à déduction de la TVA amont. Dès lors, un taux de 0 % est plus favorable
qu’une
simple exonération et peut mettre son bénéficiaire en position de disposer de façon
permanente
d’un
crédit de TVA remboursable. Les effets de
l’application
d’un
taux réduit à une
opération BtoB et BtoC sont distincts.
Un taux réduit sur une opération BtoB (suivi
d’un
taux plein appliqué à une opération BtoC en
aval) a pour seul effet de modifier la répartition des obligations fiscales, représentées par la TVA
collectée, le long du circuit économique
118
. Il ne modifie pas, sauf exception
119
, la charge fiscale
pesant sur le consommateur final et génère donc une complexité inutile.
C’est
la raison pour
laquelle les taux réduits doivent être en principe centrés sur les seuls biens et services relevant,
en principe,
d’opérations
BtoC.
Pourquoi un encadrement européen des taux réduits?
Depuis les années 1960, la Commission
européenne estimait que le système commun de TVA devait évoluer vers un régime définitif
fondé
sur le pays
d’origine
qui aurait permis de transposer, à
l’échelle
de la Communauté, la règle
générale en droit interne selon laquelle la TVA est collectée par le vendeur, et a proposé, de ce fait,
un système plus étanche à la fraude. Le régime du pays
d’origine
était toutefois susceptible de
générer une concurrence fiscale entre Etats membres, tentés de réduire les taux pratiqués ou
d’introduire
des taux réduits pour attirer
l’activité
économique :
c’était
ainsi le cas en matière de
services BtoC fournis par voie électronique
jusqu’à
l’introduction
du principe de taxation au pays
de destination de ces services.
La directive de 1992
120
, conçue comme une étape vers la généralisation de la règle du pays
d’origine,
a construit un régime fondé sur une clause de gel des taux réduits existants et un
encadrement des
nouveaux
taux prévus à compter de cette date.
118
L’opérateur
BtoB dont les achats sont soumis au taux de 20% et vendant au taux de 5,5% est avantagé : il déduit
entièrement la TVA amont et bénéficie sans réserve du taux réduit sur ses ventes.
L’opérateur
BtoB ou BtoC aval
achetant au taux réduit mais devant appliquer une TVA au taux plein sur ses ventes est désavantagé. Il ne peut déduire
qu’une
TVA de 5,5% mais devra soumettre ses opérations au taux de 20%.
L’incidence
fiscale réelle de la taxe entre ces
opérateurs dépendra toutefois de la prise en compte de la fiscalité dans leur négociation commerciale.
119
Par exemple si
l’opération
BtoC aval est exonérée, le taux BtoB amont a une incidence. Par exemple, les hôpitaux
réalisent une activité de soins exonérée en vertu de
l’article
132 de la directive et ne peuvent donc pas déduire la TVA
supportée en amont sur les biens et services
qu’
ils acquièrent. Un taux réduit BtoB réduit sur les médicaments et les
matériels médicaux acquis par un hôpital limite la charge de TVA non récupérable et donc la rémanence de TVA.
120
Directive n°92-77 du 19 octobre 1992 complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la
directive CE 77/388.
35
Le régime antérieur à la directive
d’avril
2022
. En premier lieu, le principe de la directive de
1992 était de contraindre les Etats membres sur la structure et le nombre des taux
qu’ils
pouvaient pratiquer : la directive TVA
n’admettait
qu’un
taux plein,
d’au
moins 15%, et deux taux
réduits
d’au
moins 5%. Les Etats membres ne pouvaient prévoir de
taux majorés
, supérieurs au
taux normal
121
. Sauf clause de gel, ils ne pouvaient accorder un
taux super-réduit
,
c’est
-à-dire
inférieur à 5%, ni un taux 0%, équivalent à une exonération avec droit à déduction.
En second lieu, les deux taux réduits ne pouvaient être appliqués
qu’à
des biens et service compris
dans une liste de catégories éligibles fixée à
l’Annexe
III de cette directive. Cette liste est complétée
par divers cas spécifiques prévus aux articles 102, 103 et 122 du même texte.
Enfin, la directive TVA admettait que les Etats pratiquent des taux dérogatoires à ces deux règles,
sur la base de clauses de gel de taux pratiqués avant 1992.
Les taux réduits en France.
Les articles 278-0
bis
à 281
octies
du CGI prévoient
l’application
de
taux réduits à une centaine de catégories de biens et services, définies avec un degré de précision
variable. Il
s’agit
en principe de taux réduits de 5,5% ou de 10%, correspondant aux deux taux
réduits permis par la directive
122
.
Comme le relevait le rapport du CPO de 2015, la France a, à ce titre, largement utilisé les
possibilités offertes par la directive. Les seules catégories
d’opérations
fixées à
l’Annexe
III de la
directive TVA pour lesquelles le législateur
n’a
pas fait le choix
d’appliquer
un taux réduit ou pour
lesquelles le taux réduit ne
s’appliquait
qu’à
un petit nombre
d’opérations
étaient les droits
d’utilisation
des installations sportives, les prestations funéraires hors du transport de corps
123
,
les petits services de réparation et les services de coiffure.
Toutefois, la France prévoit également :
-
un taux réduit de 2,1% appliqué aux médicaments remboursés par la sécurité sociale, aux
publications de presse, à la contribution à
l’audiovisuel
public (CAP) et aux 140 premières
représentations théâtrales et aux ventes d'animaux vivants de boucherie
124
. Il
s’agit
du maintien
de taux réduits inférieurs à 5% antérieurs à 1992 sur la base de clauses de gel ;
-
un taux réduit de 0% (exonération avec droit à déduction) sur les vaccins et les tests liés à
l’épidémie
de Covid-19, adopté dans le cadre de dispositions européennes
ad hoc
125
; une
exonération avec droit à déduction (ayant un effet équivalent) sur la vente par les pêcheurs en
mer des produits de leur pêche, sur la base de clauses de gel ;
-
quatre taux de TVA (1,05%, 1,75%, 2,1% et 8,5%) dans les parties du territoire national ne
faisant pas partie du territoire fiscal de
l’Union
européenne, comme la Guadeloupe, la
Martinique et La Réunion. Ces territoires ne sont pas situés dans le champ
d’application
territorial de la directive TVA ;
-
six taux de TVA (0,9%, 2,1%, 5,5%, 10%, 13% et 20%) en Corse. Comme le relevait le rapport
du CPO de 2015, ces taux ne sont pas conformes au droit européen mais la France
n’a
pas fait
l’objet
à cette date
d’une
procédure de recours en manquement.
121
A compter l'entrée en vigueur de la directive de 1992, la France a supprimé les taux majorés prévus à
l’article
281
bis
et suivants du CGI sur le caviar, les films pornographiques ou
d’incitati
on à la violence, les parfums et eaux de toilette,
les perles et pierres précieuses non montées, etc.
122
Certains articles du CGI prévoient une liste de catégories de biens et services au taux de 5,5% (Articles 278-0 bis et
278-0 bis A),
d’autres
au taux de 10% (Article 278 bis, 278 quater, 278 septies, 279, 279-0 bis).
D’autres
articles
prévoient une liste de biens dont certains sont taxés à 5,5%, et
d’autres
à 10% (278 sexies-0 A sur les biens immobiliers
à vocation sociale, 278 sexies A sur les travaux immobiliers portant sur ces logements)
123
De façon curieuse, le Bulletin officiel des finances publiques (BOI-TVA-LIQ-30-20-60, n° 160) continue à regarder le
taux réduit applicable au portage de corps comme relevant de la catégorie
“transport
de
voyageurs”.
Toutefois, si ce
taux réduit est conforme à la directive,
c’est
évidemment parce
qu’il
est inclus dans la catégorie des prestations
funéraires.
124
Articles 281 quater, 281 sexies et 281 octies du CGI
125
Directive 2020/2020 du Conseil du 7 décembre 2020
36
Une
“victoire”
française : la TVA sur le livre et la presse numérique
Le rapport du CPO de 2015 signalait deux contentieux opposant la Commission européenne et la France
devant la CJUE,
s’agissant
de taux réduits pratiqués en France sur des services électroniques. Le législateur
français avait en effet, à compter du 1
er
janvier 2012, étendu le taux réduit du livre de 5,5% aux livres fournis
par téléchargement et ayant, depuis le 1
er
février 2014, élargi le champ du taux de 2,1% super-réduit sur la
presse à
l’ensemble
des services de presse en ligne. Or, depuis une directive du 7 mai 2002, les services
électroniques (dont font partie les livres et la presse en ligne)
n’étaient
en principe plus éligibles aux taux
réduits.
Cette règle avait toutefois perdu une partie de sa logique sous-jacente du fait de la modification des règles
de territorialité des services électroniques (cf. infra, partie 4) : les services électroniques BtoC sont, depuis
la directive du 12 février 2008, taxés dans
l’Etat
du preneur sur la base du principe de destination (cf. infra,
partie 4). Cette évolution met fin au risque de concurrence fiscale entre Etats sur la fourniture de services
électroniques tels que les livres et la presse numérique et rend moins nécessaire un encadrement rigide des
taux réduits.
La France a donc obtenu gain de cause : le 2 octobre 2018, le Conseil de
l’Union
européenne a adopté à
l’
unanimité une modification de la directive TVA pour étendre la possibilité
d’appliquer
un taux réduit de
TVA aux livres, journaux et publications fournis par voie électronique.
3.1.2.
Un système parfois complexe et qui
n’est
pas sans risque fiscal pour les assujettis
Taux réduits et insécurité juridique.
Les articles 278-0
bis
à 281
octies
du CGI prévoient
l’application
de taux réduits à une centaine de catégories de biens et services distincts, définis
avec un degré de précision variable. Or, si la TVA est un impôt pesant en principe sur le
consommateur final, une erreur de taux révélée à
l’occasion
d’un
contrôle mené
a posteriori
par
l’administration
vient exclusivement en réduction du résultat du producteur ou du distributeur.
Lorsqu’un
opérateur facture une taxe à tort à un taux
supérieur au taux légal
, la taxe illégalement
facturée est due par celui qui l'a facturée (3 de l'article 283 du CGI). Cette taxe
n’est
pas pour
autant déductible par le destinataire
126
. Lorsque la TVA collectée est
inférieure au taux légal
,
l’opérateur
chargé de la collecte de la taxe est soumis à des rappels de TVA, accompagnés
d’intérêts
de retard et, le cas échéant, de la pénalité de 40% pour manquement délibéré prévue à
l’article
1729 du CGI.
Sur les
opérations BtoB
, lorsque la taxe a été facturée par erreur au titre d'une opération
exonérée ou à un taux supérieur à celui dont était passible l'opération, l'émetteur de la facture
peut délivrer à son client une facture rectificative (article 272 du CGI) qui réduit en principe sa
dette fiscale. Dans des conclusions récentes lues le 7 septembre 2022,
l’avocat
général de la CJUE
a rappelé et précisé les conditions auxquelles un assujetti peut obtenir cette réduction. La Cour a
suivi ses conclusions
127
.
126
En application soit du a du 1 du II de l'article 271 du CGI qui interdit la déduction de la taxe que le fournisseur n'était
pas légalement autorisé à faire figurer sur la facture (cas visé au 3 de l'article 283 du CGI), soit du 2 de l'article 272 du
CGI (exclusion du droit à déduction de la taxe due en application des dispositions du 4 de l'article 283 du CGI), cf. BOI-
TVA-DED-40-10-10, n° 60.
127
CJUE 8 décembre 2022,
P GmbH
, C-
378/21, conclusions Julianne Kokott, L’arrêt de la Cour a été publié le 13 janvier
2023 : «
L’article 203 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au systèm
e commun de
taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2016/1065 du Conseil, du 27 juin 2016 doit être
interprété en ce sens : « un assujetti, qui a fourni un service et qui a mentionné sur sa facture un montant de taxe sur la