S2022-2182-1
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Troisième CHAMBRE
Troisième SECTION
RELEVÉ D’OBSERVATIONS
DEFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
SASU PALAIS DE TOKYO
Exercices 2012-2022
Le présent document
, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés, a
été délibéré
par la Cour des comptes, le 12 décembre 2022.
En application de l’article L. 143
-1 du code des juridictions financières, la communication de ces
observations est une prérogative de la Cour des comptes, qui a seule compétence pour arrêter la
liste des destinataires.
SASU PALAIS DE TOKYO
2
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE
...............................................................................................................................
4
LISTE DES RECOMMANDATIONS
...................................................................................
8
INTRODUCTION
................................................................................................................
9
1
LE PALAIS DE TOKYO, OBJET INSTITUTIONNEL SINGULIER
..........................
11
1.1
De l’association à la société par actions simplifiée
...................................................
12
1.1.1 La création de la SASU
................................................................................................
12
1.1.2
Un long processus de transfert du patrimoine de l’association
....................................
14
1.1.3 Un sujet de gouvernance mal anticipé
.........................................................................
15
1.2
L’encadrement déontologique des
fonctions de direction
.........................................
18
1.2.1
Le manquement aux règles de dépôt des déclarations d’intérêt et de patrimoine
........
18
1.2.2 La démission de la présidente exécutive
......................................................................
19
1.2.3
Un nouveau règlement intérieur du conseil d’administration utile mais insuffisant
....
20
2
LE PALAIS DE TOKYO, ENTRE SERVICE PUBLIC ET RECHERCHE DE
SOUTENABILITE
..........................................................................................................
23
2.1
Les instruments du pilotage stratégique
....................................................................
23
2.1.1 Les statuts et la convention de délégation de service public
........................................
23
2.1.2 Le recrutement du président exécutif et sa lettre de mission
.......................................
24
2.1.3
Les conventions pluriannuelles d’objectifs
..................................................................
26
2.2
Un « service public » aux objectifs multiples
...........................................................
28
2.2.1 Une offre organisée en trois saisons
............................................................................
28
2.2.1.1
Des indicateurs pertinents mais perfectibles
......................................................................
28
2.2.1.2
Une lisibilité du calendrier de programmation qui peut être accrue
..................................
30
2.2.2 Une constellation de cibles inscrite dans un projet de démocratisation culturelle
.......
31
2.2.3 Un cloisonnement institutionnel persistant
..................................................................
32
2.3
Un modèle économique durablement fragilisé par la crise Covid, révélatrice de
problèmes plus structurels
.........................................................................................
34
2.3.1 Des comptes marqués par la croissance des ressources propres avant 2019
...............
34
2.3.2 Des interrogations légitimes sur la pérennité du modèle économique
.........................
37
2.3.2.1
Un mécénat profondément renouvelé sous l’effet des questions sociétales qu’il convient
de sécuriser
........................................................................................................................
38
2.3.2.2
Des concessions qui ont constitué un point de fragilité mais pourraient devenir des atouts40
2.3.2.3
Un équilibre délicat entre évènements privés et missions de service public
......................
41
2.3.2.4
L’ingénierie culturelle, une piste de ressources à explorer
................................................
41
2.3.3
La crise sanitaire vient rappeler l’importance de l’adossement aux finances
publiques
......................................................................................................................
43
3
DES SUJETS DE GESTION A CONSOLIDER
............................................................
46
3.1
Des défaillances qui ont conduit à une reprise en main du contrôle interne
.............
46
3.1.1 Des risques mal maîtrisés ayant donné lieu à des pertes importantes
..........................
46
3.1.2
De récentes mesures d’atténuation des risques qui devraient porter leurs fruits
.........
49
3.2
D’autres chantiers en cours de traitement
.................................................................
50
SASU PALAIS DE TOKYO
3
3.2.1
Une adaptation en cours des systèmes d’information
..................................................
50
3.2.2 Des marges de progrès en matière de gestion des ressources humaines
......................
51
3.2.2.1
Une masse salariale scrutée et maîtrisée
............................................................................
51
3.2.2.2
Le statut à clarifier des monteurs et des médiateurs
..........................................................
53
3.3
Une inertie non dépourvue de risques de l’État actionnaire en matière immobilière
54
CONCLUSION
..................................................................................................................
60
SASU PALAIS DE TOKYO
4
SYNTHÈSE
Le Palais de Tokyo constitue un objet singulier, qui revendique son originalité institutionnelle
comme une « marque de fabrique
» de l’art vivan
t, expérimental et spéculatif q
u’il donne à voir
. Le
projet du «
plus grand centre d’art contemporain
» en Europe est en effet profondément lié, d’une
part à l’histoire du bâtiment qui l’accueille, d’autre part à des personnalités qui en ont assumé la
présidence artistique et la direction exécutive
–
MM. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, Marc-
Olivier Wahler et son adjoint Mark Alizart, puis brièvement M. Olivier Kaeppelin pour la phase de
préfiguration de la société, suivi de M. Jean de Loisy pour 8 ans, avant Mme Emma Lavigne pour
deux ans et M.
Guillaume Désanges aujourd’hui.
Né en 2002 sur les décombres du grand projet de Palais du Cinéma (cf. annexe historique),
le Palais
se veut d’abord un lieu d’exposition de la scène émergente, française ou internationale,
mais aussi de production, puisqu’il permet de concevoir des expositions sur mesure ou à la carte,
monographiques ou transversales, mettant à la disposition des artistes des espaces exceptionnels par
leur configuration, ainsi que des ateliers, des ressources matérielles et du conseil en exécution (celui
des « monteurs », souvent artistes et artisans eux-mêmes issus des écoles des Beaux-Arts). En
revanche, le Palais de Tokyo ne conserve aucune collection permanente
et n’a pas vocation à acheter
des œuvres
, se différenciant en cela des institutions muséales, notamment du Centre Pompidou.
Constitué en 2011 en société par actions simplifiée
unipersonnelle (SASU) dont l’
actionnaire
unique est
l’
État
, qui reprend le bilan et le fonds de commerce de l’association précédemment créée,
le Palais de Tokyo (au sens de la SASU) gère depuis 10 ans un bâtiment conçu en 1937 et plusieurs
fois réaménagé
,
qui accueille des concessionnaires permanents, des clients ponctuels dans le cadre
de privatisations, mais surtout une programmation artistique relevant de ses missions de service
public. La convention de délégation de service public (DSP)
passée avec l’
État, propriétaire des lieux
mis à disposition de la société, fixe le cadre juridique de son action ainsi que les modalités de calcul
de la redevance proportionnelle aux recettes générées par les concessions. Des conventions
pluriannuelles d’objectifs et lettres de mission déclinent les prin
cipes généraux fixés dans les statuts
et la convention de DSP de manière plus détaillée, assurent une forme de « tutelle » de fait sur la
SASU.
Vingt ans après son ouverture
en tant que centre d’art
, dix ans après sa réouverture exploitant
les plus de 20 000 m
2
d’espaces remis à nu et rendus utilisables
, un premier bilan de son action, qui
la place
au cœur de l’écosystème de l’art contemporain
, peut être établi, tant au regard de sa
gouvernance q
u’en ce qui concerne
son pilotage stratégique, incluant la question de son modèle
économique, et les défis auxquels ses équipes dirigeantes ont été confrontés en matière de gestion.
Des questions déontologiques à mieux encadrer
La Cour a constaté l’absence d’expertise initiale approfondie justifiant de la création d’une
SASU, comme l’absence de bilan formalisé permettant d’évaluer l’intérêt de ce statut qui emporte
pourtant des conséquences, telles que l’inapplicabilité aux présidents de la SASU des règles relatives
au contrôle de la déontologie des mobilités vers le privé par la Haute autorité pour la transparence
de la vie publique.
SASU PALAIS DE TOKYO
5
Le modèle très particulier de double présidence, mis en place en 2012 lors de la première
révision des statuts constitutifs de la société, se justifie par la nécessité de pouvoir faire appel au
mécénat en répondant au critère de la « gestion désintéressée » -
c’est ainsi qu’un président bénévole
du conseil d’administration, venant au demeurant du secteur privé,
a vocation à constituer un appui
et un relais pour l’action du président
exécutif et de son directeur général délégué.
Chargés
d’une mission de service public, ces dirigeants sont toutefois
soumis aux règles issues
de la loi relative à la transparence de la vie publique. N’en ayant pas été informés par le ministère
ou la Haut
e autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avant l’enquête de la Cour,
ils n’ont
que récemment
rempli leurs obligations en matière de déclaration d’intérêt
s et de
patrimoine. Au-
delà de cet aspect formel, l’encadrement des situations de conflit d’intérêt potentiel,
quoique désormais amélioré par l’existence d’un règlement intérieur du conseil d’administration,
reste un point de vigilance sur lequel le ministère devrait définir des orientations plus explicites, en
particulier en ce qui concer
ne la présidence d’un conseil d’administration
doté de pouvoirs
d’orientation et de validation importants
.
Le statut de SASU
exonère par ailleurs ses dirigeants, en l’état actuel du droit, de toute
obligation de recueillir un avis favorable de la HATVP en termes
déontologiques lorsqu’ils
rejoignent le secteur privé, comme ce fut le cas au moment du départ de sa directrice, Emma Lavigne,
pour la Bourse de Commerce,
dont l’
État actionnaire et le
conseil d’administration
ont été informés
par voie de presse
. Une réflexion sur les règles applicables aux mandataires sociaux d’entreprises
publiques, éventuellement fonctionnaires en disponibilité, susceptibles de rejoindre des institutions
concurrentes, pourrait être engagée par le ministère.
Si en faisant le choix de créer une SASU, puis en prévoyant que le président de son conseil
d’administration
devrait être issu du collège des personnalités qualifiées,
l’État
a souhaité donner
une large autonomie au Palais de Tokyo, il
lui revient en sa qualité d’actionnaire unique de la société
de veiller à la définition de
règles plus protectrices de l’image et de la réputation de l’institution
, à
travers les statuts et les règlements intérieurs
qu’il peut faire évoluer et dont il doit
surveiller le
respect.
Un pilotage stratégique à reconsidérer
Au-delà des aspects statutaires, le pilotage du ministère de la Culture passe essentiellement
par son pouvoir de nomination du président artistique et exécutif et de désignation de son directeur
général délégué, sans que la programmation elle-même ne relè
ve de son champ d’action.
Dès lors, c’est à travers les termes de la convention de délégation de
service public, les
modalités du recrutement et de la
définition d’une lettre de mission, enfin le suivi des objectifs et
indicateurs des conventions pluriannuelles que s’exprime la capacité du ministère à fixer un cap pour
l’action de la société. De ce point de vue, l’alignement et la priorisation des différents
objectifs
devrait permettre de faciliter l’évaluation et l’accompagnement de la société sans la contraindre
outre-
mesure dans la mise en œuvre quotidienne
de sa politique artistique ou commerciale.
Familiers des injonctions contradictoires qui les conduisent à arbitrer sans cesse entre
missions de service public et impératifs de rentabilité, les dirigeants du Palais de Tokyo sont
aujourd’hui confrontés à des mutations profondes du tissu social et éc
onomique, notamment en
matière de mécénat, au moment où les grandes entreprises privées développent leur propre modèle
de fondations, désormais concurrentes ou partenaires dans le champ du soutien à l’art contemporain.
SASU PALAIS DE TOKYO
6
Au sortir de la crise sanitaire, la SASU gagnerait à redéfinir sa vision à moyen-terme, afin de
mettre en œuvre des politiques plus ambitieuses sur certains terrains
jusque-là restés marginaux,
qu’il s’agisse du ciblage
systématique de la politique des publics (par-delà le seul objectif global de
fréquentation), du maillage territorial et institutionnel qui reste insuffisant, des pistes innovantes en
matière de concessions ou de l’ingénierie culturelle par exemple.
Au total, si le modèle économique du Palais de Tokyo, fondé sur une exigence importante en
matière de ressources propres (qui ont pu dépasser les 60 %) n’est pas fondamentalement remis en
cause aujourd’hui, c’est bien grâce à la présence constante de l’
État qui a soutenu et porté
l’institution dès lors que son chiffre d’affaires s’
effondrait. La question immobilière va imposer un
rééquilibrage financier qui devrait conduire le ministère à privilégier une approche pluriannuelle
fondée sur une ambition pérenne plutôt que sur le suivi d’un ratio de ressources propres qui ne
constitue plus un indicateur pertinent.
Dans ce cadre, le dialogue avec l’
État
sur les questions de transparence et d’exemplarité, y
compris en termes de critères pour la programmation et de lisibilité de cette dernière, pourrait être
renouvelé et affiné.
Une gestion à sécuriser
Après une période relativement faste entre la réouverture et 2016, la société a dû faire face à
des défaillances, en termes de contrôle interne et de gestion des concessions notamment, dont elle a
dû tirer les leçons. Un important détournement de fonds en 2016, puis les défauts successifs de deux
concessionnaires d
’un
espace de restauration, ont affecté ses comptes, par ailleurs solides. La mise
en place d’un plan de contrôle interne précis et détaillé, avec l’appui de nouveaux commissaires a
ux
comptes, est de nature à rassurer sur le risque lié au maniement des recettes en espèces. La situation
financière actuelle des concessionnaires est elle aussi stable et même encourageante, avec de fortes
perspectives de développement, mais la mise en place
, pour l’avenir,
de procédures de sélection plus
axées sur l’expertise économique des projets apparaît nécessaire.
La gestion des ressources humaines, marquée par un très fort taux de renouvellement,
comporte des points de fragilité juridique, bien identifiés en ce qui concerne la situation des monteurs
du Palais, moins étudiés pour ce qui relève de la précarité des médiateurs. Malgré la contrainte forte
qui pèse sur une masse salariale évoluant naturellement au rythme de l’ancienneté, le Palais de
Tokyo
ne peut éviter une réflexion de long terme sur l’adéquation de ses moyens et de ses ambitions,
à laquelle l’actionnaire unique doit contribuer par un suivi qualitatif et non seulement quantitatif.
Enfin et surtout, le principal chantier auquel s’attèlent
à ce jour les dirigeants du Palais
concerne la dimension immobilière
–
pris en charge par l’
État aux termes de la convention de
délégation de service public, les travaux nécessaires à la seule sécurisation, rénovation et remise aux
normes du bâtiment vont
représenter environ 15 M€ et nécessiter la fermeture du site pendant au
moins une année.
Après une prise de conscience tardive de l’ampleur du sujet, malgré de multiples notes
d’alerte
et le maintien d’expositions dans des conditions qui interrogent sur l
es risques assumés par
le Palais, il importe que le ministère soit à même de formuler des arbitrages clairs pour mettre en
place un plan pluriannuel d’investissement, préparer la réouverture dans les meilleures conditions
en termes artistiques comme de rapports avec les partenaires, et
s’assurer ensuite qu’il existe
un plan
de maintenance préventive, appuyé sur un marché multi-technique sérieux.
SASU PALAIS DE TOKYO
7
C’est à ces multiples conditions que le Palais de Tokyo sera en mesure de se réinventer pour
s’imposer dans la durée comme un acteur de l’art contemporain susceptible, par son portage public,
de se différencier des fondations privées ou des institutions muséales publiques et, ainsi, de remplir
les missions de service public qui lui ont été confiées tout en valorisant un bâtiment dont l’histoire
demeure centrale dans son projet.
SASU PALAIS DE TOKYO
8
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n°
1
: Renforcer le cadre déontologique applicable aux cadres dirigeants du
Palais de Tokyo (ministère de la Culture).
Recommandation n°
2
: Clarifier en les priorisant les objectifs fixés dans les différents documents
de pilotage (ministère de la Culture).
Recommandation n°
3
: Définir une stratégie de rayonnement visant à inscrire le Palais de Tokyo
plus clairement dans l’écosystème français et international de l’art contemporain au moyen de
partenariats favorisant la circulation des œuvres
(SASU Palais de Tokyo).
Recommandation n°
4
: Formaliser une charte du mécénat culturel (SASU Palais de Tokyo).
Recommandation n°
5
: Professionnaliser la procédure de sélection et de suivi des projets des
concessionnaires (SASU Palais de Tokyo).
Recommandation n°
6
: Présenter au
conseil d’administration
un suivi annuel de la mise en œuvre
du plan d’action du contrôle interne et du plan achat
(SASU Palais de Tokyo).
Recommandation n°
7
: Sécuriser la gestion des ressources humaines afin de pérenniser
l’organisation des métiers et de mieux retenir les talents
(SASU Palais de Tokyo).
Recommandation n°
8
: Assurer une visibilité pluriannuelle sur la prise en charge des travaux
relatifs a
u site et les moyens alloués à la maintenance préventive à l’issue de ces travaux
(ministère
de la Culture).
SASU PALAIS DE TOKYO
9
INTRODUCTION
Le Palais de Tokyo constitue, depuis 2002, un lieu d’expérimentation, c’est
-à-dire de
production d’œuvres aussi bien que d’expositions,
qui se définit comme un centre d’art sans
être pour
autant institutionnellement labellisé comme tel
1
. Si le bâtiment historique construit en 1937 pour
abriter des collections nationales a connu une histoire mouvementée, c’est à partir des
années 2000
qu’il a été confié à une association, à titre d’abord temporaire, pour mener à bien des missions de
service public. Ce projet se consolide dix ans plus tard, lorsque, à la suite de plusieurs études
commandées par le ministère de la Culture, l’
État décide de créer une société par actions simplifiée
unipersonnelle (SASU) dont il est
l’actionnaire unique.
Son objet est alors de «
mener toute action
relative à la promotion de l’art contemporain
», à la fois en direction de la scène émergente et
expérimentale et des créateurs confirmés, tout en mettant en valeur les aspects patrimoniaux liés au
lieu lui-même.
Cette SASU est
dotée d’un budget qui évolue progressivement de 13,
6
M€ à l’ouverture en
2012 à 18,5 M€ en 2019, avant la crise sanitaire qui aff
ecte profondément son modèle économique
(13,5
M€ en 2020 et 15,7M€ en 2021). Malgré sa caractérisation juridique, la gestion de la société
est en effet fondée sur une approche budgétaire plus que sur un suivi du chiffre d’affaires (7,4 M€ en
2019), compte
tenu de l’importance historique des subventions de fonctionnement et d’investissement
reçues annuellement du ministère de la Culture sur le programme 131 Création, sous la forme de
crédits d’intervention
2
.
Elle compte une centaine de salariés permanents et les principes de sa gouvernance, tels que
fixés par ses statuts, en font un objet institutionnel sans équivalent, doté d’une double présidence,
artistique et exécutive d’une part (
M. Guillaume Désanges depuis le printemps 2022) et une
présidence bénévole
du conseil d’administration d’autre part (
M. Laurent Dumas, depuis 2018), ce
qui lui permet de répondre au critère de la «
gestion désintéressée
» nécessaire pour percevoir des
recettes de mécénat. Le caractère volontairement hybride de cette organisation ne va pas sans poser
des questions déontologiques sur lesquelles le ministère de la Culture ne paraît pas s’être engagé assez
fermement (partie 1).
Si le pilotage stratégique de l’établissement relève très largement de sa présidence exécutive,
l’
État a mis
en place un certain nombre d’outils et d’indicateurs pour l’accompagner, dans le cadre
d’une convention de délégation de service public, de lettres de mission et de convention d’objectifs
trisannuelles, dont les divers objectifs ne sont pas toujours alignés. Les missions de service public
que le Palais de Tokyo doit assurer sont de ce fait multiples et, bien que concentrées sur la question
de «
l’émergence
» de la jeune scène française contemporaine, conduisent à une programmation
1
Il ne détient pas le label CACIN, «
centre d’art contemporain d’intérêt national
», réservé aux structures bénéficiant de
l’accompagnement financier d’une ou de plusieurs collectivités territoriales.
2
Il ne s’agit pas d’un opérateur au sens propre, doté
d’une subvention pour charge de service public et d’un plafond d’emploi, ainsi
qu’il sera expliqué
infra
.
SASU PALAIS DE TOKYO
10
éclectique, sans pour autant que le cloisonnement institutionnel auquel la création du Palais devait
remédier se trouve véritablement remis en cause. Son modèle économique très particulier, fondé sur
une part prépondérante des ressources propres, et justifiant dès lors des arbitrages permanents entre
rentabilité commerciale et priorité accordée à la programmation artistique, se trouve durablement
fragilisé dans le contexte de la crise sanitaire, qui sert de révélateur à des tendances plus anciennes
(partie 2).
Les enjeux de gestion demeurent importants dans une société qui a repris les acquis et les
pratiques
d’une association d’abord constituée à titre temporaire et dans l’urgence. La
formalisation
des processus
ne s’est développée que progressivement, tandis que s’affirmait une po
litique de
formation plus systématique. Des défaillances importantes dans le contrôle interne, donnant lieu à un
détournement de fonds substantiel, puis des pertes lourdes liées aux contrats de concession confiés à
des restaurateurs, ont conduit à une révi
sion en profondeur d’un certain nombre de procédures.
De
nombreux chantiers sont encore en cours, qu’il s’agisse de celui des systèmes
d’information, des risques liés à des pratiques de gestion des ressources humaines juridiquement
instables, ou encore à
la nécessaire reprise en main d’un bâtiment marqué par un usage intensif
,
parfois malmené par les artistes eux-mêmes
en recherche d’
un geste de défi.
Le principal enjeu pour l’avenir du Palais de Tokyo est aujourd’hui immobilier, puisqu’un
vaste programme de travaux doit être lancé, impliquant la fermeture du site pour un an et des
investissements considérables, de l’ordre de 15 M€, pour l’
État.
C’est dans
ce contexte que des
risques importants, liés à
des clauses d’exclusion
des garanties assurantielles s
ur les œuvres exposées
,
ont été pris dans des condition qui interrogent (partie 3).
SASU PALAIS DE TOKYO
11
1
LE PALAIS DE TOKYO, OBJET INSTITUTIONNEL SINGULIER
L’histoire longue du Palais de Tokyo l’inscrit dans un environnement culturel et institutionnel
tout à fait unique : vaisseau amiral de la création contemporaine conçue au sens le plus large, incluant
mais débordant la question centrale des arts plastiques, il représente depuis son ouverture en 2002,
sous la direction conjointe de deux jeunes curateurs, MM. Nicolas Bourriaud (36 ans à cette date) et
Jérôme Sans (41 ans) un lieu d’expérimentation placé sous le signe de l’étonnement, de la découverte
voire de la provocation. Cette vision délibérément inscrite en marge de la construction
institutionnelle, au départ pensée comme «
temporaire
»
3
, continue à irriguer sa programmation
tandis que s’affine progressivement, sous les présidences de
M. Jean de Loisy puis de Mme Emma
Lavigne, avant la prise de fonction en janvier 2022 de M. Guillaume Désanges, un projet plus durable
et que se mettent en place de véritables outils de gestion. C’est cette histoire qui permet de comprendre
sa forme juridique actuelle, celle
d’une société par actions simplifiée dont l’
État
est l’unique
actionnaire (q
ui pourrait s’adjoindre, conformément à l’article 1
er
de ses statuts, un ou plusieurs
associés, uniquement des personnes publiques).
C’est aussi cette histoire qui explique la gouvernance très particulière d’une société dotée
d’une «
double présidence
», artistique d’un côté («
président de la société
»), et d’un président de
conseil d’administration de l’autre
. Dans un environnement particulièrement attentif à la porosité des
fonc
tions, et au moment où s’affirme dans le paysage français une certaine concurrence entre des
projets proches par leur vocation (le soutien à l’art contemporain) mais différents par leur financement
(public, privé ou mixte), un meilleur encadrement des règl
es déontologiques s’impose.
C’est cette histoire, enfin, qui éclaire la nature des liens établis entre
la société et son
actionnaire unique, lesquels peuvent s
’interpréter
comme des rapports de tutelle bien que la SASU
échappe à la qualification d
’«
opérateur
» au sens strict (et donc au périmètre du document budgétaire
dit «
Jaune Opérateurs de l’
État
», ainsi qu’au plafond d’emploi).
La Cour a constaté l’absence d’expertise initiale approfondie justifiant de la création d’une
SASU, comme l’absence de bil
an formalisé permettant
de documenter, pour l’avenir, les avantages
et inconvénients de ce statut notamment au regard de celui d’établissement public lorsque l’
État se
retrouve finalement le seul actionnaire.
Le pilotage par l’
État actionnaire passe par l
’existence de conventions pluriannuelles
d’objectifs et de lettres de mission et par un suivi
budgétaire du
ministère de la Culture, qui s’attache
principalement à des critères de gestion plutôt qu’à la définition globale d’une stratégie
, remise entre
les mains des personnalités successivement désignées pour assumer la présidence du Palais de Tokyo.
3
Nicolas Bourriaud lui-
même l’affirmait en rappelant l’histoire de leur candidature
: « Je pense que le ministère de la Culture avait en
tête un lieu éphémère et une occupation temporaire du site, en attendant une utilisation plus officielle », in
L’histoire du Palais de
Tokyo depuis 1937
, magazine n°15 du Palais, p.122.
SASU PALAIS DE TOKYO
12
1.1
De l’association à la société par actions simplifiée
1.1.1
La création de la SASU
Le statut particulier du Palais de Tokyo interroge. Alors que la SASU
, dotée d’une délégation
de service public,
s’apparente par de nombreux traits
à un opérateur public
, (à l’exception du critère
de financement majoritaire par l’
État
qui n’était pas rempli jusqu’en 2020, puisque
,
jusqu’à la crise
Covid, plus de 60 % du budget provenaient de ressources propres), le choix fait en 2011 de
transformer en SASU
l’association
jusque-là
gestionnaire des espaces mis à sa disposition s’explique
par des considérations d’ordre budgétaire, juridique et politique. L’analyse des comp
tes-rendus des
réunions interministérielles (RIM) qui se sont tenues sur le sujet de 2007 à 2010 est à cet égard
éclairante.
Lors de la première réunion interministérielle, tenue le 18 janvier 2007 sous la présidence du
conseiller culture du Premier ministre, le ministère de la Culture
préconise la création d’un
établissement public industriel et commercial (EPIC) voué à exploiter tous les espaces du Palais de
Tokyo et à conventionner avec le «
site de création contemporaine
» qui n’en occuperait qu’une
par
tie. Il souhaite aussi la création d’une filiale commune à cet EPIC et au Centre Pompidou pour
favoriser leur «
synergie
». Le président du Centre Pompidou plaide
a contrario
pour confier le
bâtiment à son établissement et faire du Palais de Tokyo l’un de
ses départements, arguant de la
simplicité et des économies d’échelle liées à cette option. La représentante du budget
est elle aussi
favorable à cette vision, selon elle source de mutualisation. Il est finalement décidé
d’affecter le
bâtiment au Centre Po
mpidou, charge à lui de se substituer à l’
État dans ses droits, et de créer une
association de préfiguration qui devra réfléchir à la meilleure formule possible pour la nouvelle
structure.
Par arrêté du 13 février 2007, le Palais de Tokyo est remis à titre de dotation au Centre
Pompidou qui devient affectataire de ses loyers et redevances. Une première mission est confiée au
délégué aux arts plastiques, M. Olivier Kaeppelin, pour réfléchir au futur statut du Palais. Une RIM
se tient le 20 novembre 2008 pour préciser les contours de cette mission : affiner les possibilités
juridiques de cohabitation entre les différents acteurs dans un contexte «
non consensuel
» souligné
par le représentant de l’
Élysée, ouvrir les espaces à des acteurs privés comme les galeristes et explorer
toutes les pistes de mécénat. Les estimations de travaux à hauteur de 30 à 40 millions d’euros sont
jugées déraisonnables et une cible de financement partiel par le mécénat fixé à Olivier Kaeppelin, qui
doit rendre son rapport pour le 15 mars 2009, avec pour objectif de faire du Palais de Tokyo «
un lieu
de confrontation et non de canonisation
» qui devait rouvrir à l’horizon 2012.
Deux rapports sont finalement rendus. En mars 2009, une étude « Matharan Pinthat
Raymundie » recommande
la constitution d’une
SASU,
considérant qu’elle offre de la souplesse pour
développer le potentiel commercial de la future structure et écarte l’option de l’EPIC qui n’aurait pas
pour finalité de «
faire coopérer des personnes publiques et privées
», ainsi que celle du groupement
d’intérêt public
au motif que ses bénéfices devraient être réalisés «
dans le cadre d’une gestion
désintéressée
» dans un but d’intérêt général,
à l’encontre
des objectifs retenus de rentabilité, de
développement commercial et de mécénat.
En avril 2009, le rapport Kaeppelin soutient aussi l’option
SASU pour sa souplesse de création et de gestion, son objectif ouvertement commercial qui
l’inscrirait dans la lignée des centres d’arts contemporains ra
ssemblant expositions, galeries,
SASU PALAIS DE TOKYO
13
restaurants, librairies etc.
4
, mais aussi parce qu’elle permet d’échapper à la logique de plafond
d’emploi imposée aux opérateurs et ainsi d’adapter sa masse salariale «
de façon agile
» tout en
préservant une «
gouvernance fluide
» portée au départ par un actionnaire unique, l’
État.
La RIM du 6 mai 2009
décide, à la suite d’un arbitrage présidentiel rendu en faveur d’une
institution autonome
5
, de l
’affectation
du Palais, confié en 2007 au Centre Pompidou, au ministère
de la Culture afin que celui-ci
puisse passer une convention d’occupation temporaire avec le futur
gestionnaire du lieu. Le ministère souhaite alors que cette occupation soit gratuite, la direction du
budget estimant pour sa part cette option inenvisageable. Dans une communication le 20 mai 2009
au Conseil des ministres, la ministre, Mme Christine Albanel, présente les conclusions du rapport
Kaeppelin et les deux options possibles
: celle d’un organisme «
associé
» au Centre Pompidou
n’ayant pas été retenu
e
, c’e
st une formule «
plus novatrice s’écartant des logiques institutionnelles
»
qui est alors adoptée. En effet, si
la mutualisation pouvait faire sens au regard de l’expertise et du
rayonnement du C
entre Pompidou, le risque aurait été celui d’une confusion av
ec les objectifs plus
muséaux du centre, impliquant des aménagements lourds, et celui d’une concurrence entre les
programmations.
L’
État opte donc pour créer un «
quartier d’art contemporain
ouvert sur la ville et mêlant le
public et le privé, à l’image d
e ce qui a pu être inventé dans le quartier de Zurich Ouest
», qui devrait
présenter des monographies mais aussi des collections privées ou celles
d’autres institutions,
inviter
des critiques et créateurs d’autres disciplines et travailler avec des galeris
tes, commerces et
concessions privées. Cette démarche «
plus ouverte
» et «
plus moderne
» est qualifiée de pari. Pour
la porter, il est annoncé la création d’une SAS
U «
dans un premier temps unipersonnelle
» (ayant
donc «
vocation à être rapidement
élargie à des partenaires publics et privés dans le cadre d’une
mission de service public
») qui doit être maître d’ouvrage des travaux de rénovation, et à laquelle
sera donnée une occupation d’autorisation de longue durée par le
ministère de la Culture redevenu
affectataire du bâtiment. Le montage financier ne doit pas dépasser 15 à 20 millions d’euros et
pourrait être financé par l’emprunt.
Le 1
er
juillet 2010,
lors d’
une réunion interministérielle portant sur les statuts de la nouvelle
société, le minist
ère de l’économie
et le ministère du budget font part de réserves sur la formule
SASU, considérant qu’il y a trop de représentants de l’
État prévus, que les dispositions sur les
marchés publics sont ambiguës et que le rattachement à un établissement public existant serait plus
cohérent. Rappelant les arbitrages rendus, le cabinet du Premier ministre demande la finalisation
urgente du projet de statuts. Ceux-ci sont validés postérieurement à la réunion et annexés au compte-
rendu de celle-ci.
Une convention d
’utilisation est passée le 2 décembre 2009 entre l’administration du domaine
et le ministère de la Culture, pour une durée de 18 ans, 3 mois et 23 jours, à compter rétroactivement
du 9 septembre 2009, emportant mise à disposition du bâtiment domanial au ministère de la Culture,
charge à lui de consentir à un tiers un droit d’occupation
.
L’article 11 prévoit que le loyer est «
sans
objet
». Cette convention est modifiée par avenant du 29 octobre 2021, portant à 50 ans la durée totale
de la mise à disposition
, soit jusqu’au 8 septembre 2059.
La société étant finalement créée en tant que telle le 19 juillet 2011, son premier conseil
d’administration se réuni
t en novembre. Un contrat de délégation de service public portant gestion et
4
Le
Löwenbräu Kunst
de Zurich et le
Parallel Vienna
sont donnés en exemples.
5
D
iscours de Nicolas Sarkozy du 29 avril 2009 à la Cité de l’architecture et du patrimoine sur le Grand Paris, annonçant la cré
ation
d’une «
nouvelle institution autonome, emblématique, dédiée à l’art contemporain
».
SASU PALAIS DE TOKYO
14
exploitation des activités culturelles du Palais de Tokyo est conclu le 23 décembre 2011 avec elle et
emporte résiliation de la convention d’affermage du 21 février 2002 passée
précédemment au
bénéfice de l’association
«
Palais de Tokyo, site de création contemporaine
». Cette DSP tient lieu
d’autorisation d’occuper le domaine public et autorise la SASU à conclure des contrats de sous
-
occupation temporaire au bénéfice de concessionnaires.
I
nitialement valable jusqu’en septembre 2021,
elle
fait l’objet d’avenants qui la renouvellent,
le 18 janvier 2017 jusqu’au 31 décembre 2027, puis le 13 décembre 2021 jusqu’au 31 décembre 2032
de manière à
faciliter la mise en œuvre des travaux à venir
et à permettre la prolongation des titres
d’occupation
temporaire des concessionnaires arrivant eux-mêmes à échéance en 2026 ou 2027. Ce
dernier avenant est passé sur le fondement de l’article L3135
-1 du code de la commande publique, au
titre des «
circonstances imprévues
» ou «
qu’une autorité concédante dil
igente ne pouvait pas
prévoir », compte tenu de la crise sanitaire. La
DSP mentionne explicitement qu’il s’agit d’une
relation de quasi-
régie entre l’
État et la société, telle que définie par les articles L3211-1 à L3211-5
du code de la commande publique
6
.
À ce titre
, il faut souligner que l’éventuelle
entrée au capital de la SASU de capitaux privés
modifierait substantiellement l’approche
actuelle,
l’
État devant alors opérer une mise en concurrence
des projets pour attribuer la concession
. C’est sans doute l’une des raisons qui a conduit,
dans les
statuts du 19 juillet 2011 déposés au greffe du tribunal de commerce en août 2011, à prévoir que les
éventuels associés de l’
État actionnaire ne pourraient être que des personnes publiques, contredisant
en cela l
’ambition originelle d’un élargissement rapide à des partenaires privés.
1.1.2
Un long processus de transfert
du patrimoine de l’association
Le contrat de délégation de service public de 2011 mentionne le transfert des contrats de
travail des salariés de l’ass
ociation, mais aussi de la marque et de tous les contrats
, emporté par l’acte
de cession du fonds de commerce.
Le transfert de l’actif net de l’association dévolu à l’
État impliquait une évaluation préalable
du bilan, de ses valeurs corporelles et engagements à court terme mais aussi de la valeur de la marque
et du fonds de commerce. Ainsi que le soulignait l’expert
-comptable au cours de la première réunion
du
conseil d’administration
, «
le fonds de commerce s’évalue en considérant les éléments passés et
fu
turs [et il] faudra pondérer cette valeur future avec le changement de dimension de l’entité. La
démarche est délicate car il s’agit de valoriser avec discernement et de satisfaire aux intérêts de
l’
État.
» Au cours de cette même réunion, les administrateurs décidaient une «
modification
exceptionnelle de la durée du premier exercice social de la SASU
» jusqu’au 31 décembre 2012,
retenue comme «
date de clôture du premier exercice
. »
7
6
Les conditions à réunir sont celles d’un contrôle analogue à celle que l’État exerce sur ses propres services, plus de 80 % de son
activité réalisée dans le cadre des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui contrôle, pas de participation directe de
capitaux privés au capita
l à l’exception de participations sans capacité de contrôle ou de blocage qui permettraient d’exercer une
influence décisive sur la personne morale contrôlée. L’article L3222
-1 prévoit que les contrats en quasi-régie ne sont pas soumis aux
règles de préparation et de procédure de passation classiques.
7
Les premiers comptes portent donc sur une durée de 18 mois, autorisée par le code de commerce qui prévoit que la durée maximale
du premier exercice d’une société ne peut excéder celle allant jusqu’au 31 décembre de l’année suivant la création de la société, ici 31
décembre 2012 pour une SASU créée en juillet 2011.
SASU PALAIS DE TOKYO
15
C’est en juin 2012 que les modalités de transfert du patrimo
ine de
l’association sont précisées.
Au lieu du mécanisme initialement retenu de dévolution de l’actif subsistant à l’
État
et d’un apport
en nature par le biais d’une augmentation de capital, la direction du Budget a souhaité que soit plutôt
retenue l’option d’une cession des éléments d’actif de l’association
(immobilisations corporelles liées
à quelques travaux, matériel, créances et disponibilités) à la SASU, dont le prix serait réglé en partie
par voie de reprise du passif de l’association –
or les premi
ers éléments d’information annonçaient,
avant clôture définitif des comptes, un bilan financier associatif déficitaire, ce qui aurait conduit la
SASU à reprendre des dettes venant grever son fonctionnement.
Lors de ce conseil, M. Christopher Miles, alors secrétaire général adjoint du ministère de la
Culture, rappelle qu’il avait été adjoint du Directeur général de la création artistique et suivait à ce
titre l’association, qui avait été à plusieurs reprises en difficulté financière, ne pouvant bénéficier d
es
recettes des concessions. La tutelle avait donc «
injecté
» à plusieurs reprises des fonds «
de manière
à aboutir à une structure qui soit à l’équilibre au moment du transfert des actifs à la SASU
»,
notamment 1,4 million d’euros fin 2010. Il s’étonne d
onc que le passif ne soit pas apuré. Plusieurs
administrateurs s’inquiètent de cette question, l’un d’entre eux soulignant aussi son étonnement quant
à la question de «
savoir comment une association, privée à son origine, a pu déposer et avoir à son
actif
un nom reposant sur un bâtiment propriété de l’
État
.
» Il est annoncé que l’association a
demandé une dérogation au greffe du tribunal de commerce pour pouvoir clôturer ses comptes au 30
septembre plutôt qu’au 30 juin, ce qui permettra aussi d’évaluer les
risques au titre de contentieux
p
rud’homm
aux en cours, qui pourraient prolonger la durée de la liquidation et créer un besoin de
trésorerie pour le paiement éventuel de litiges perdus. De manière générale, un débat confus faute de
chiffres stabilisés s’en
gage lors de ce premier
conseil d’
administration
, qui démontre l’incapacité de
l’
État et de la SASU à évaluer correctement la nature des risques juridiques et financiers liés au
transfert. En outre, une «
valorisation de la marque
» à 500 000 euros est évoquée, puis abandonnée
comme «
n’étant pas une bonne idée économiquement
», car une telle valorisation «
pas très loin de
la réalité
», générerait de l’impôt sur les sociétés
: l’augmentation de la valeur de l’actif aurait en
effet pour contrepartie un produit exceptionnel taxable.
En novembre 2012, un projet d’acte de cession du fonds de commerce de l’association est
enfin présenté et approuvé
–
l’association continuant d’exister pour les besoins de la liquidation et de
deux contentieux en cours. La SASU pr
end l’engagement de couvrir le passif de l’association, qui
s’élève à 162
000 euros, couverts par une subvention du ministère de la Culture. Le commissaire aux
comptes souligne que ce passif est lié à l’activité reprise par la SASU et non à un défaut de ge
stion :
il s’agi
rait en fait de droits à congés payés et à engagements de retraite pour les salariés intégrés. Le
capital social de la société est fixé à la création à 10
000 €.
En outre, la marque est finalement valorisée
à hauteur de 29
554 € dans l’acte de cession,
correspondant au solde de tout compte pour la valeur du
fonds de commerce, intégré comme tel dans les actifs incorporels de la nouvelle société. Aucune
évaluation ni
revalorisation n’ont
été réalisées depuis, ce qui demeure pourtant envisageable en cas
de modification substantielle de l’activité conduisant notamment à une meilleure valorisation de la
marque en matière de produits dérivés.
1.1.3
Un sujet de gouvernance mal anticipé
Les statuts initiaux de la société prévoient l’existence d’un président, nommé par décret du
Président de la République sur proposition du ministre de la Culture pour une durée de 5 ans,
renouvelable une fois pour 3 ans. C’est ce président (
M. Jean de Loisy, Mme Emma Lavigne puis M.
SASU PALAIS DE TOKYO
16
Guillaume Désanges sur la période sous contrôle) qui représente la société à l’égard des tiers, agit en
son nom, est responsable devant le
conseil d’administration
de la bonne exécution de ses missions,
rend les comptes et occupe donc une fonction exécutive, assisté de son directeur général délégué
(Mme Julie Narbey, M. Christopher Miles puis Mme Marianne Berger-Laleix).
Le 5 avril 2012, les statuts sont toutefois modifiés pour introduire dans le dispositif un
président
du conseil d’administration (successivement
M. Jacques-Antoine Granjon puis M. Laurent
Dumas), lui aussi nommé à l’origine par décret du Président de la République sur proposition du
ministre chargé de la Culture. Dès lors, le président de la société n’es
t plus que « convié » à toutes
les réunions du
conseil d’administration, à l’instar de son directeur général délégué, avec voix
consultative (article 15.4 des statuts). Cette dichotomie s’explique en réalité par un constat dressé
après la création de la société
: pour qu’un organisme puisse bénéficier de recettes de mécénat, il droit
répondre au critère de la «
gestion désintéressée
», qui implique une gestion bénévole du dirigeant de
la société. Or, un président exécutif a vocation à être rémunéré («
s’il l’accepte
», selon les premiers
statuts, formule supprimée en mars 2021)
, et l’est d’ailleurs.
En mars 2021, intervient donc une modification des statuts
, fruit d’un travail conjoint avec
l’agence des participations de l’État,
qui comporte plusieurs éléments :
-
une référence explicite à l’ordonnance du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux
opérations sur le capital des sociétés à participation publique qui rénove le cadre
d’intervention de l’État actionnaire
;
-
le président de la société, toujours nommé par décret du Président de la République, au
titre de l’article 19, I, 3° de l’ordonnance ne l’est plus sur proposition du ministre de la
culture ; sa rémunération est désormais fixée, non par arrêté conjoint du ministre chargé
de la culture et du ministre chargé des finances mais par «
décision de l’associé unique
»
(l’État), soumise à l’approbation du ministre chargé de l’économie, après consultation du
ministre chargé de la culture -
l’évolution des statuts témoigne d’une centralisation accrue
(de «
l’associé unique
») qui tend à marginaliser la place du ministère de la Culture ;
-
le président du conseil d’administration n’est plus nommé par le Président de la
République mais par décision du conseil d’administration, dont il devient l’un des seize
membres, sous condition de faire partie du collège des neuf « administrateurs choisis en
raison de leurs compétences au regard de l’objet de la société, nommés par décision de
l’associé unique, sur proposition du président de la société
» (ex-personnalités qualifiées)
et sur proposition de l’associé unique
;
-
le contrôle de l’État est renforcé par le fait que toute délibération du
conseil
d’administration
portant sur le budget initial ou ses modifications ne devient définitive
qu’après avoir été approuvée dans les conditions prévues à l’article 1
er
du décret n°53-707
du 9 août 1953, lequel prévoit que dans tous les organismes visés à l’article L133
-1 du
code des juridictions financières
8
, les décisions portant sur les états prévisionnels de
recettes et de dépenses d'exploitation ou d'investissement ne deviennent définitives
qu’après approbation conjointe des ministres chargés de l’économie et du budget et du ou
des ministres concernés.
8
Selon lequel les juridictions financières contrôlent notamment « les sociétés dans lesquelles l'État détient la majorité du capital social
ou des voix dans les organes délibérants ou sur lesquelles il exerce, directement ou indirectement, un pouvoir prépondérant de décision
ou de gestion. »
SASU PALAIS DE TOKYO
17
Le conseil d’administration dispose de pouvoirs importants, puisqu’il délibère
sur les
orientations stratégiques de la société, son programme général d’activités, ses projets d’action, son
budget initial, ses comptes, ses éventuelles prises de participation, ses autorisations d’occupation du
domaine publique, l’organisation des servi
ces et la politique tarifaire de la société. Il est composé de
cinq représentants de l’État, dont un au titre de l’article 4
-
I de l’ordonnance précitée et quatre
conformément à l’article 6
-II, neuf administrateurs choisis en raison de leurs compétences et deux
représentants des salariés. Les nouveaux statuts suppriment l’obligation de nommer trois
administrateurs sur proposition des ministres chargés de la culture, du budget et de l’économie, le
choix étant remis entre les mains de «
l’associé unique
» sans spécification particulière. Ces membres
sont nommés pour trois ans, renouvelables une fois.
Les premiers statuts comportent dans leur annexe la liste des huit personnalités qualifiées alors
sélectionnées pour composer le premier conseil d’administration (
la neuvième étant le président du
conseil d’administration
qui n’arrivera qu’au printemps 2012). Il s’agit de
MM. Martin Bethenod,
directeur de la fondation Pinault, Jean Blaise, directeur de la société publique locale de Nantes
Métropole, Yves Carcelle, PDG de Louis Vuitton Malletier, Pierre Cornette de Saint Cyr, président
de l’ex
-association Palais de Tokyo (mais surtout commissaire-
priseur, marchand d’art), François
Henrot, associé gérant de Rothschild et Cie, Maja Hoffmann, présidente de la fondation suisse Luma
(qui vient de faire construire une tour par Franck O.Gehry en Arles), Steve Rosenblum, président de
Pixmania (commerce électronique) et Xavier Veilhan, artiste. Le premier président du conseil
d’administration
sera M. Jacques-Antoine Granjon, entrepreneur, fondateur de vente-privee.com.
Leurs fonctions respectives montrent clairement l’orientation et la volonté de l’État à la création de
la SASU
: il s’agit de nouer des liens étroits avec le secteur privé par son implication forte dans la
gestion et le pilotage d’une structure autonome ayant cependant vocation à demeurer contrôlée par
l’État. Le fait que l’État s’oblige, selon les nouveaux statuts de mars 2021, à «
proposer » un président
du
conseil d’administration
issu du collège des personnalités qualifiées témoigne là aussi d’une
volonté de créer un modèle de gouvernance hybride.
La position du président de la société (et non du
conseil d’administration
), responsable «
de
la bonne exécution des missions de la société et en particulier de la définition de la stratégie et des
actions à conduire pour mener à bien l’accomplissement de ses missions, notamment l’élaboration
du projet culturel et artistique, la programmation et la mise en œuvre du plan d’aménagement du site
du Palais de Tokyo
» (article 13.3), n’en fait donc pas pour autant le seul maître à bord
: c’est
seulement avec une voix consultative (selon
les textes) qu’il participe au conseil d’administration
. Ce
président exécutif et artistique doit composer, y compris pour faire valider son programme et ses
orientations, avec un organe collégial dont le président est aussi choisi par l’État (qui le nomma
it, et
désormais le propose). Les modèles plus classiques de société anonyme comportent la plupart du
temps, soit un directoire et un conseil de surveillance, soit un directeur général et un conseil
d’administration. En l’espèce, le président artistique n’
est ni président du
conseil d’administration
, ni
président-
directeur général. En pratique, ses fonctions s’apparentent cependant bien à celles d’un
PDG (ce que tendrait au demeurant à indiquer la notion de «
directeur général
délégué
» qui lui est
adjoint).
Cette double présidence répondant à des considérations pragmatiques et visant à concilier
modes de fonctionnement du secteur privé
et contrôle de l’État n’est pas en soi problématique, à
condition que soient repérés et encadrés les risques potentiels, pour la puissance publique, que
pourrait entraîner cet état de fait. En l’espèce, ces risques sont de nature déontologique et
réputationnelle (cf.
infra
).
SASU PALAIS DE TOKYO
18
L’arbitrage de 2009 en faveur de la création d’une société par actions simplifiée
unipersonnelle relev
ait d’un choix politique –
la dimension privée étant censée favoriser la
« modernité » et «
l’agilité
» de la nouvelle structure. En pratique, cela devait aussi permettre une
certaine « souplesse » au regard des règles de la commande publique et des plafon
ds d’emploi. Or,
en réalité, le Palais de Tokyo est bien un pouvoir adjudicateur soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005
relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des
marchés publics et a d’ailleurs mis en place dès 2014 des procédures d’achat validées par le Contrôle
général économique et financier pour les contrats supérieurs au seuil des procédures formalisées. En
outre, s’il n’est pas soumis au plafond d’emploi en tant que tel, sa masse salariale elle
-même très
contrainte représente un plafond « de fait
» dont il peut difficilement s’émanciper. Enfin, la
participation d’acteurs privés à son capital transformerait considérablement la relation avec l’État,
notamment en ce qui concerne la possibilité de conclure un contrat de délégation de service public en
quasi-régie. Les avantages de ce statut juridique paraissent donc inexistants
9
.
Le choix initial de créer une SASU
n’a pas fait l’objet d’une expertise sérieuse, comme le
montrent la prise en compte tardive du critère de gestion désintéressé imposant une modification des
statuts et l’impossibilité qu’il a fallu ultérieurement constater d’associer au capital des acteurs privés.
Il
n’a
donc pas produit tous les effets escomptés mais peut susciter,
a contrario
, des risques de conflit
d’intérêt
dès lors que ceux-ci demeurent insuffisamment encadrés à ce stade.
1.2
L
’encadrement déontologique des fonctions de
direction
1.2.1
Le manquement aux règles de dépôt des déclarations d’intérêt et de patrimoine
La théorie des appare
nces s’est progressivement inscrite dans le droit français, sous l’effet
d’une demande accrue de transparence et d’impartialité permettant de garantir la confiance placée par
les citoyens dans les institutions. C’est en matière déontologique notamment qu’e
lle mène à
considérer qu’une simple situation de fait peut produire des effets de droit. Ainsi, la loi du 11 octobre
2013 relative à la transparence de la vie publique fixe-t-elle en son article 1
er
le principe selon lequel
«
les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d'un mandat électif local ainsi que celles
chargées d'une mission de service public exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et
veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts. Les membres des autorités
administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes exercent également leurs
fonctions avec impartialité.
» La définition même du conflit d’intérêt, à l’article 2, relève de la théorie
des apparences : «
Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation
d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer
ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction.
»
9
Un statut d’EPIC aurait lui aussi permis le développement d’activités commerciales. Le modèle de «
centre
d’art / lieu de vie / galerie
commerçante
» ne s’est pas véritablement déployé au Palais de Tokyo dont les concessions demeurent classiques (cf.
infra
, restaurant
et librairie, ainsi que salle de concert/discothèque en sous-sol et société de climatisation
Climespace, à l’activité complètement
décorrélée de celle du Palais), alors même que d’autres structures au statut public travaillent sur des modèles atypiques mêl
ant
restaurants, boutiques, résidences d’artiste etc.
SASU PALAIS DE TOKYO
19
Pa
r ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’un membre de conseil d’administration d’une
entité chargée d’une mission de service public
(
a fortiori
son président), est considéré comme « une
personne chargée d’une mission de service public
».
L’article
11 de la loi précitée prévoit d’ailleurs que les obligations de dépôt d’une déclaration
d’intérêts et de situation patrimoniale sont applicables aux présidents et aux directeurs généraux «
des
sociétés et autres personnes morales, quel que soit leur statut juridique, dans lesquelles plus de la
moitié du capital social est détenue directement par l'État. »
Interrogée à ce titre par le parquet de la Cour des comptes, par courrier du 17 février 2022, la
Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a confirmé qu’aucun des présidents,
de la société ou du
conseil d’administration
, ni des directeurs généraux du Palais,
n’avait déposé de
déclarations au titre des fonctions qu’ils exercent.
Le ministère de la Culture paraît avoir pour sa part
manqué à son devoir de vigilance en
n’
informant pas les dirigeants du Palais de Tokyo de cette
obligation. Sollicités depuis par la HATVP, les dirigeants ont toutefois déposé ces déclarations en
juillet 2022.
La Cour prend acte de l’engagement du ministère pour l’avenir en termes d’information sur
les obligations déclaratives. Dans cette perspective, elle estime par ailleurs nécessaire que soient
clarifiées les
conditions dans lesquelles les œuvres d’art entrant dans des collections personnelles sont
à inclure dans les déclarations de situation patrimoniale des dirigeants concernés.
1.2.2
La démission de la présidente exécutive
Le cas particulier du départ de Mme Emma Lavigne, après deux ans seulement comme
présidente de la société (de juillet 2019 à octobre 2021), pose des questions de forme et de fond.
Sur la forme, la règle régulièrement fixée par les statuts (article 13.2.3
de l’actuelle version
),
selon lesquels «
le président de la société peut démissionner de ses fonctions sous réserve d’en
informer le
conseil d’administration
au moins quatre-vingt-
dix jours avant la prise d’effet de sa
décision, sauf accord du
conseil d’administration
pour écourter ce préavis
», a été formellement
respectée, une consultation dématérialisée étant mise en place le 30 septembre, avec délai de réponse
au 6 octobre, et validant un préavis écourté à 20 jours. Toutefois, ainsi que des administrateurs le
soulignaient eux-
mêmes lors d’un conseil d’administration
, ils avaient eu connaissance du départ
d’Emma Lavigne par la presse, le jour de l’officialisation de sa nomination dans une nouvelle
institution
10
, soit le 13 septembre 2021. C’est
ce même communiqué de presse qui annonce une prise
de fonction au 1
er
novembre 2021 avant même que la réduction du préavis ait été soumis à l’avis du
conseil d’administration
.
Sur le fond, il apparaît que
ce départ n’entr
ait pas dans le champ du contrôle de la déontologie
en matière de mobilité public-privé exercé par la HATVP, puisque les fonctions de président de la
SASU relèvent du droit privé. Mandataires sociaux, les présidents de la SASU
n’ont pas de contrat
de travail à proprement parler (lequel aurait pu prévoir une clause de non-concurrence), mais sont
nommés par décret et disposent d’une lettre de mission et d’une lettre fixant leur niveau de
rémunération.
10
Elle est alors nommée directrice générale de Pinault Collection (Bourse de Commerce et Palazzo Grassi - Punta della Dogana à
Venise)
SASU PALAIS DE TOKYO
20
En l’état actuel du droit, ils n'entrent pas dans le champ du contrôle de
la reconversion
professionnelle prévu à l'article 25
octies
de la loi du 13 juillet 1983 applicable, sauf exceptions, aux
fonctionnaires civils des administrations de l'État, des régions, des départements, des communes et
de leurs établissements publics, ainsi qu'à leurs agents contractuels.
Le statut de SASU facilite donc ce type de mobilité sans avis de la Haute autorité pour la
transparence de la vie publique, qui détient depuis 2020 les compétences anciennement dévolues à la
commission de déontologie de la fonction publique.
La question se pose dès lors d’une
éventuelle
insuffisance des textes qui régissent la HATVP,
s’agissant
de la prise en compte des cadres dirigeants
de sociétés privées dont l’
É
tat est l’actionnaire unique et qui sont investies d’une mission de service
public.
Le choix du statut de SASU a en effet privé
donc l’État d’un outil de contrôle important en
termes de préservation des compétences en interne d’une part, et de limitation des conflits d’intérêt
d’autre part, puisq
ue le poste de président de la société expose, par la nature même de ses missions,
à de permanents contacts avec les collections privées, galeries et marchands d’art, dont les œuvres
sont suceptibles d’être exposées et mises en valeur par l’institution pub
lique qui leur confère ainsi un
surplus de notoriété.
Face aux risques juridiques et judiciaires
qu’emporte de telles situations,
la Cour recommande
que soit lancée une
réflexion quant à l’élargissement des compétences de la HATVP
au titre du
contrôle de la déontologie des dirigeants de sociétés privées investies de missions de service public
et note que le ministère souscrit à cette proposition.
1.2.3
Un nouveau règlement intérieur du
conseil d’administration
utile mais insuffisant
Témoignant d’une prise de co
nscience des risques associés aux questions déontologiques, le
conseil d’administration a approuvé par délibération du 9 novembre 2021 un règlement intérieur qui
comporte un article 5 dédié au sujet qui prévoit :
-
que chaque administrateur maintienne à tout
moment son indépendance d’esprit,
d’analyse, d’appréciation, de décision et d’action, pour émettre des avis indépendants, y
compris minoritaires, et refuse tout avantage, profit ou service susceptible de
compromettre cette indépendance ;
-
que chaque administrateur doit informer le
conseil d’administration, dès qu’il en a
connaissance, de toute situation de conflit d’intérêt, même potentiel, avec la société
; que
sont notamment réputées conflits d’intérêt les situations dans lesquelles les intérêts de la
so
ciété et ceux d’un administrateur sont susceptibles d’être en concurrence, que ce soit
directement ou indirectement, et les situations dans lesquelles l’indépendance d’un
administrateur est susceptible d’être remise en cause
; qu’il s’engage à éviter de co
nduire
des activités ou conclure des transactions qui pourraient être source de conflit d’intérêts
ou en donneraient l’apparence à un tiers
; que les opérations et transactions concernant des
œuvres et biens présentés dans le cadre de la programmation arti
stique ne doivent en aucun
cas être source de conflit d’intérêt ou en donner l’apparence
; qu’il s’engage à ne pas tirer
d’avantage ou de profit, ou ne pas faire tirer d’avantage ou de profit à des sociétés dans
laquelle il détiendrait des participations,
à travers l’utilisation d’informations délivrées par
la société et non divulguées au public (hors conventions expresses conclues avec la société
SASU PALAIS DE TOKYO
21
portant sur des opérations courantes et à des conditions normales
–
cette dernière clause
vise les contrats de mécénat, cf.
infra
) ;
-
que chaque administrateur doit informer la société des mandats et fonctions exercés dans
d’autres sociétés françaises ou étrangères
; informer de tout nouveau mandat ; ne pas
accepter de mandat susceptible de créer des situations de
conflit d’intérêt ou qui en
donneraient l’apparence
; préserver le temps et l’attention nécessaire au bon exercice de
son mandat ;
-
q
ue chaque administrateur s’engage à informer la société de toute modification de sa
situation personnelle et toute condamnation ou mesure de sanction le concernant ;
-
q
ue chaque administrateur qui se trouverait en conflit d’intérêt sur une question inscrite à
l’ordre du jour s’abstient de participer aux débats et au vote de la délibération
correspondante, voire devra présenter sa démission en cas de conflit d’intérêt qui
ne
pourrait être résolu à la satisfaction du
conseil d’administration
.
La Cour note qu’au moment même de valider le nouveau règlement intérieur, lors du
conseil
d’administration du 18 juin 2021, aucun débat sur le fond n’a eu lieu. Aucun tableau correspondant
aux exigences de ce règlement (pour son troisième point, comportant par exemple la liste des mandats
et fonctions exercées) n’a été établi et présenté aux administrateurs : d
e ce fait, son approbation
apparaît largement formelle et ne suscite aucun changement factuel.
Ce cadre ne paraît donc pas constituer un garde-fou suffisant dans un contexte où neuf
membres
du conseil d’administration
au moins sur seize sont nommés «
en raison de leurs
compétences
», justement parce qu’ils exercent des fonctions au plus haut niveau ou ont des intérêts
propres dans le domaine de l’art contemporain
.
Les objectifs d’ouverture et de synergie d’une part,
de transparence et d’impartialité d’autr
e part, apparaissent contradictoires au regard de la théorie des
apparences. Une zone de fragilité et de porosité apparaît inévitable étant donné les pouvoirs détendus
d’un conseil d’administration
chargé de valider une programmation artistique dont la mis
e en œuvre,
si elle n’est pas proposée
par lui, peut toutefois entraîner des conséquences directes sur la valeur des
collections personnelles de ses membres.
La forme juridique privée du Palais de Tokyo, couplée à la volonté légitime de l’État de
préserver un contrôle des missions, conduit ainsi à un paradoxe
: c’est l’actionnaire unique lui
-même
qui s
’
est contraint statutairement à proposer la présidence
du conseil d’administration
à un membre
du
conseil d’administration
issu du collège des personnalités qualifiées
–
en pratique, du secteur privé,
justement nommées parce qu’elles
disposent
d’intérêts dans le secteur.
Du point de vue des tiers, cela
peut contribuer à renforcer le sentiment d’une confusion des
rôles. En l’état
des textes, la situation semble porteuse de risques, notamment celui de constitution
d’une prise illégale d’intérêt
11
.
11
L
’article 432
-12 du code pénal, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, sanctionne « le fait, par une
personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif
public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son
indépendance ou son
objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge
d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement
».
SASU PALAIS DE TOKYO
22
Il conviendrait donc que des
mesures plus fines d’atténuation du risque
, par exemple sous la
forme de règles de déport liées aux artistes concernés
(s’ils figurent dans les collections privées des
membres du
conseil d’administration
),
voire d’interdiction d’exercer une activité marchande dans le
secteur pendant la durée d’un mandat,
soient étudiées et mises en place.
La Cour prend acte du fait que le Palais de Tokyo lui-
même se dit désireux d’approfondir cette
question avec l’
É
tat afin de pouvoir bénéficier de bonnes pratiques éventuellement mises en œuvre
ailleurs et encourage le ministère de la Culture à définir de manière plus claire un cadre déontologique
pour la sélection et les déclarations d’intérêt des membres du conseil d’administration de ses grandes
institutions culturelles, permettant de garantir effectivement la séparation entre les fonctions de
décision et les intérêts privés. Le ministère de la Culture devrait
à cet égard s’interroger sur la
pertinence de nommer des personnalités qui sont en même temps à la tête d’entités privées agissant
sur le même terrain artistique
, ou professionnellement intéressées à l’évolution de la cote de certai
ns
artistes contemporains (à travers des activités de marchands
d’art
, galeristes, propriétaires de maisons
de ventes aux enchères etc.)
Recommandation n° 1.
: Renforcer le cadre déontologique applicable aux cadres dirigeants
du Palais de Tokyo (ministère de la Culture).
______________________CONCLUSION INTERMÉDIAIRE_________________________
Le modèle juridique du Palais de Tokyo représente une innovation institutionnelle dans le
domaine de la culture, qui s’explique par l’histoire longue d’un site aux destinées contrariée
s et la
volonté d’expérimenter de nouveaux modes de coopération entre le secteur public et le secteur privé.
Le modèle de SASU
, qui présente peu d’avantages à ce jour
, emporte en revanche des conséquences
sur la gouvernance et devrait appeler une vigilance toute
particulière de l’
État, actionnaire unique,
quant à la qualité
du cadre déontologique qu’il contribue lui
-même à forger.
SASU PALAIS DE TOKYO
23
2
LE PALAIS DE TOKYO, ENTRE SERVICE PUBLIC ET
RECHERCHE DE SOUTENABILITE
Compte tenu de son statut particulier et du profil de ses directeurs généraux successifs, le
Palais de Tokyo bénéficie à la fois d’un accompagnement étroit du ministère de la Culture et de larges
marges de manœuvre programmatiques. Les instruments du pilotage stratégique
, voués à garantir le
respect des termes des statuts et de la condition de délégation de service public, sont co-définis par la
société et le ministère, dans le cadre des lettres de mission adressées aux présidents de la société d’une
part, des conventions d’objectifs d’autre part, et font l’objet d’un suivi garanti par la présence de
l’
État
au sein du conseil d’administration.
Ces divers éléments témoignent toutefois plus d’un
accompagnement
d’ordre budgétaire et
financier que de préoccupations de fond tenant à la stratégie et au positionnement du Palais sur la
scène artistique internationale.
Il en découle une mise en œuvre des missions essentiellement portée
par la personnalité et les choix artistiques de la présidence, qui doit aussi tenir compte des contraintes
de rentabilité liées à l’expl
oitation des concessions et au rôle majeur des recettes de privatisation,
avec un nombre de jours de fermeture partielle ou totale important.
Dans un contexte où le modèle économique très particulier du Palais de Tokyo a été remis en
cause par la crise sanitaire et ses fermetures imposées, et où il se trouve aussi bouleversé par des
impératifs immobiliers trop longtemps mis de côté, il importe que l’
État soit en mesure de redéfinir
ses attentes vis-à-
vis d’un acteur central de l’écosystème de l’art contemporain en France.
2.1
Les instruments du pilotage stratégique
2.1.1
Les statuts et la convention de délégation de service public
L’article 2 des statuts de la soc
iété, comme la convention de délégation de service public, sont
très clairs quant aux missions de service public que doit assurer le délégataire :
Missions de la SASU
À
partir du site du Palais de Tokyo et dans le respect des orientations définies par l’
État, la société a
pour objet de mener toute action relative à la promotion de l’art contemporain. Pour ce faire, elle remplit les
missions suivantes : promouvoir la création contemporaine, émergente et expérimentale ; concourir à la mise
en valeur des créateurs confirmés de la scène française. Elle assure en outre
l’exploitation et la mise en valeur
du Palais de Tokyo.
Les missions mentionnées ci-avant concernent toutes les formes de la création contemporaine (arts
plastiques, photographie, vidéo, son, d
esign, mode…)
.
Pour l’exercice de sa mission de service public, la
société :
définit et met en œuvre une politique visant, par tout moyen approprié, à promouvoir le service public
culturel qui lui est confié, à favoriser l’accueil du public le plus large, à développer la connaissance des œuvres
exposées, à contribuer au développement culturel
; conçoit et met en œuvre des actions d’éducation artistique
et culturelle, notamment en direction des jeunes, et concourt à la formation et à la recherche dans le domaine
SASU PALAIS DE TOKYO
24
de l’art contemporain et des arts plastiques
; conçoit et met en
œuvre
une politique éditoriale sur tous supports ;
conçoit et met en œuvre une politique de communication mettant en valeur les missions de l’établissement
;
plus généralement, elle procède à toutes opérations industrielles, commerciales, mobilières ou immobilières
qui sont nécessaires à son objet social ou qui sont susceptibles d’en faciliter la réalisation, ou qui y concourent
directement ou indirectement »
La gestion des équipemen
ts et des locaux fait aussi l’objet d’une liste plus précise (conception
et proposition de politique d’aménagement, entretien, maintenance et renouvellement, maintien en
état de la sécurité, gestion, comptabilité et facturation, perception des droits d’ent
rée des usagers).
Les activités annexes au service public sont prévues dans la DSP (activités telles que bar,
restauration, librairie, boutiques, toute forme de publicité visuelle et auditive fixe ou mobile, droits
de photographie, télévision et radiophonie, distributeurs automatiques de confiseries et boissons,
vente de programmes, insignes, jeux
divers…,
dans la mesure où ces activités sont connexes aux
missions de service public et sont relatives à la conduite du projet). Les espaces mis à la disposition
du délégataire peuvent être loués en vue de l’organisation de manifestations
exceptionnelles,
complémentaires aux activités de service public.
L’évolution éventuelle des missions de service
public est possible par avenant à la convention, mais ne peut en tout état de cause, conduire à remettre
en cause la continuité et la qualité du service public.
La formulation très large de ces différentes missions conduit en pratique le président de la
société à disposer d’une grande liberté dans leur interprétation
ou leur priorisation. On note ainsi que
la mention relative à «
toutes les formes de la création
» permet à la fois de ne pas fixer de frontières
ou de limite formelle, ce qui apparaît légitime dans le contexte d’une modernité très expérimentale,
mais n’imp
ose pas non plus de «
quotas
» quant à certaines formes potentiellement sous-représentées.
Ainsi, les arts plastiques au sens large (peinture, sculpture) et visuels (audio, vidéo) occupent-ils à
l’évidence une place plus importante que d’autres (poésie,
musiques,
théâtre, danse…) dans la
programmation.
De manière générale, la lecture des PV de
conseils d’administration
notamment montre que
cette programmation relève entièrement des décisions, de la formation, de la subjectivité et des
réseaux relationnels du président et de son équipe curatoriale.
C’est pourquoi le recrutement de ce
président est décisif, comme la formulation de sa lettre de mission, qui constitue en réalité la véritable
feuille de route du mandat.
2.1.2
Le recrutement du président exécutif et sa lettre de mission
Les présidents sont nommés par décret du Président de la République (et depuis la réforme
des statuts en 2021, sans obligation de proposition du ministère de la Culture). En pratique, le
processus de sélection est géré au plus haut niveau. Dans le cas de M. Jean de Loisy, la situation était
particulière, liée au départ du préfigurateur, M. Olivier Kaeppelin, en cours de projet. Il recevait le
10 mai 2012, de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, sa lettre de mission qui reprenait les
principaux éléments statutaires tout en insistant sur la découverte de jeunes talents, la présentation de
formes expérimentales, des interventions liées aux « Modules-Fondation Bergé » et aux expositions
monographiques.
SASU PALAIS DE TOKYO
25
Cette lettre de mission soulignait
aussi l’importance de favoriser la recherche et la formation
,
en intégrant des artistes en résidence dans le cadre du Pavillon
12
. Une attention particulière devait être
accordée au numérique et à la création digitale, notamment pour la médiation. Le Palais devait aussi
mettre en avant des artistes confirmés, travailler en étroite collaboration avec tous les réseaux
institutionnels et professionnels de l’art contemporain en accordant une place significati
ve aux
collections publiques nationales et régionales, en association régulière et suivie avec les Fonds
régionaux d’art contemporain (FRAC) et les Centres d’art. Il lui fallait aussi renforcer l’intérêt des
collectionneurs pour l’art réalisé en France, s’
inscrire dans le cadre des projets du Grand Paris en
travaillant avec la DRAC Ile-de-France et la société du Grand Paris, valoriser le bâtiment, placer le
public au centre de son projet et l’élargir «
en direction des adultes, des publics empêchés,
particu
lièrement des personnes en situation de handicap, ainsi qu’en direction du jeune public
» et
des «
publics éloignés de l’accès à la culture pour des raisons sociales
», tout en menant une
«
politique de démocratisation
». L’égalité entre les femmes et les
hommes, le développement
durable et le respect des équilibres financiers dans un «
bon climat social
» étaient également désignés
comme des objectifs.
En 2019, le processus de nomination de Mme Emma Lavigne après un intérim de neuf mois
apparaît complexe. Auditionnée par un jury qui comprend alors le président du conseil
d’administration (ce qui ne sera plus le cas, formellement, pour
M. Guillaume Désanges), elle est
finalement nommée le 24 juille
t 2019 et dotée d’une lettre de mission
signée par le ministre de la
Culture, M. Franck Riester, le 7 février 2020. Celle-ci reprend largement les termes de la précédente,
avec quelques accents mis au surplus sur le soutien des artistes dans la durée, le rayonnement de la
scène française qui devrait passer par l’organisation d’une grande manifestation de promotion de l’art
contemporain (à son arrivée, Mme Emma Lavigne ambit
ionne de créer une Triennale d’art)
. De
nouveaux éléments apparaissent quant au rythme et à la temporalité de la programmation « afin
d’accroître les périodes d’ouverture au public de tout ou partie des espaces », à la «
juste rémunération
des artistes » et à la démarche écoresponsable. Une stratégie de privatisation des espaces et de
développement des concessions, dans le respect d’une «
compatibilité avec la programmation », doit
enfin être élaborée. La courte présidence d’Emma Lavigne sera bouleversée pa
r la crise sanitaire sans
qu’une nouvelle lettre de mission soit rédigée.
Celle de M. Guillaume Désanges est en cours de rédaction. Le processus de recrutement
apparaît mieux documenté. Un premier appel à candidature est diffusé le 29 septembre 2021, quelques
jours après l’officialisation du départ d
e Mme Emma Lavigne annoncé par un communiqué de
François Pinault. Cet appel est publié sur le site du Palais, sur le site
Profil Culture
, le réseau social
Linkedin et dans le média
The artnewspaper international
. La date initiale de remise des
candidatures, au 24 octobre 2021, est reportée au 1
er
novembre sans raison explicite. Une fiche de
poste générale est rédigée, reprenant les termes des statuts, détaillant un profil attendu, mais proposant
aussi aux candidats de recevoir sur simple demande par mail un « kit » plus détaillé comprenant
statuts, notes sur le fonctionnement de la SASU et la CPO, organigramme, tableaux financiers et
rapports d’activité.
Vingt et une candidatures ont été reçues et analysées par l
a DGCA. C’est le cabinet de la
ministre, Mme Roselyne Bachelot, qui organise des auditions, menées par la ministre elle-même, des
membres de son cabinet et la conseillère Culture de l’
Élysée, sans que la composition exacte du jury
12
Conçu comme un laboratoire de création, non spécifiquement lié au Palais de Tokyo au départ et actif de 2001 à 2017, il était dirigé
par M. Ange Leccia et a accueilli près de 130 artistes internationaux pour une durée de 8 mois, logés à la Cité internationale des arts et
qui bénéficiaient d’espaces de travail, de
production et d’exposition au Palais.
SASU PALAIS DE TOKYO
26
soit rendue publique
–
le
conseil d’administration s’étonnera d’ailleurs de n’y avoir pas été
formellement associé.
À l’issue
des entretiens, la ministre de la Culture a proposé la nomination de M. Désanges à
la présidence de la République. Celui-
ci avait adressé à l’appui de sa candidature un dossier complet
présentant sa vision du Palais comme « corps vivant » et ses projets
13
.
L’ensemble de ce processus
, notamment la forme de la fiche de poste, montre que
l’administration se situe dans une position d’attente réceptive plutôt que de pilotage stratégique
: il
s’agit moins de fixer une feuille de route sur le fond que de trouver l
e candidat qui saura se la fixer
14
,
dans son projet d’abord, puis dans le cadre de la lettre de mission à la rédaction de laquelle il participe
étroitement avant signature du ministre, et dont les termes restent très larges.
Si cette procédure peut s’enten
dre dans la mesure où elle accorde une très grande liberté de
programmation au président de la société, elle pourrait s’accompagner d’une transparence accrue au
moment de la sélection du projet, de manière à expliciter au moins les éléments qui ont emporté la
conviction de l’
État au moment de choisir
un projet plutôt qu’un autre
.
Au-
delà du choix d’un président, autonome dans le respect du principe de liberté de
programmation (issu de l’article 2 de la loi n° 2016
-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la
création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi « LCAP » disposant que «
la diffusion de la création
est libre
»), la question du degré de collégialité de la gouvernance pourrait
être posée par l’actionnaire
unique.
La présidence de M. Jean de Loisy avait ainsi mis en place, de manière très informelle, des
rendez-vous réguliers intitulés «
Cabinet des horizons
» et «
Cabinet des possibles
», lieux d’échange
internes sur la programmation. Toutefois, ces lieux de débat gagneraient à être repensés, mieux
connus, y compris du grand public, éventuellement adossés à un conseil scientifique ou artistique
élargi au-
delà de l’équipe curatoriale,
qui pourrait offrir une certaine représentativité des différentes
tendances de l’art contemporain
. U
ne telle démarche serait d’ailleurs cohérente avec les objectifs
affichés au titre de la responsabilité sociale et sociétale, incluant des valeurs de dialogue, de
transparence et d’horizontalité accrus, que le ministère pourrait accompagner.
2.1.3
Les conventions pluriannuelles
d’objectifs
Les conventions pluriannuelles
d’objectif
s (CPO) ont vocation
, d’une part à fixer le montant
pluriannuel de la subvention de fonctionnement inscrite en crédits d’intervention au budget de l’
État,
d’autre part à
décliner les pr
incipaux éléments quantitatifs et qualitatifs suivis par l’
État dans le cadre
d’indicateurs spécifiques. Elles ont
évolué dans le temps (CPO 2012-14, 2015-17, 2018-20 et 2021-
23) et appellent les observations suivantes :
13
Fondés sur « la diversité des formes
» au service d’une «
communauté d’intensité
», une approche par la permaculture conçue comme
«
partage raisonné de l’espace et du temps
», l’idée d’un «
tissage entre histoire locale et création internationale » à inscr
ire au cœur de
l’écosystème de l’art contemporain, avec des propositions concrètes à l’appui (expositions monographiques et transdisciplinai
res,
création d’une «
friche
», salon d’actualité intitulé «
contre-feux », « Tokyo parade » participative tous les deux ans, programme VIP
de Vernissages Inclusifs et Populaires, médiateurs hors-les-murs, approche du bâtiment par le « soin » etc.). Un premier grand projet
d’exposition est à l’étude, autour du concept de psychothérapie institutionnelle.
14
Avec l’aide é
ventuellement de cabinets en audit stratégique, largement sollicités dans le cadre de mécénats de compétences entre
2014 et 2018 pour produire des documents de référence constituant la véritable colonne vertébrale de la stratégie financière du Palais,
cf.
infra
.
SASU PALAIS DE TOKYO
27
•
i
l n’y a pas de corrélation directe
et systématique entre les objectifs fixés par lettre de mission et
les indicateurs divers présents dans les CPO, bien que ceux-ci se soient progressivement affinés.
Ainsi, aucun indicateur relatif à la politique de formation et de recherche n’apparaît
-il, nonobstant
sa présence dans la lettre de mission, ce qui est susceptible de créer un biais en termes de priorité
15
.
Le nombre de jours d’ouverture au public n’est pas non plus retracé alors même que son
accroissement faisait partie des objectifs de la présidence Lavigne ;
•
i
l n’existe pas de priorisation des objectifs ou indicateurs à atteindre, tous se situant sur le même
plan ; ces objectifs
restent très généraux et peu précis en matière d’élargissement des publics
par
exemple,
puisqu’ils fixent un
objectif de fréquentation globale
(et de réalisation d’une étude
annuelle des publics) sans cibler de population particulière
–
reflétant de fait la formulation très
floue de la lettre de mission, incluant « les adultes » au sens large ;
•
les conventions i
ntègrent aussi des indicateurs qualitatifs qui constituent d’utiles marqueurs de
bonne gestion (
suivi du devenir des artistes émergents et impact de l’action du Palais sur leur
carrière, bilan de l’éducation artistique et culturelle etc.)
;
•
elles doivent donner lieu à une auto-évaluation, soumise pour information au conseil
d’administration et au ministère, à l’issue des pre
mières CPO et désormais de manière annuelle.
Toutefois, ces auto-évaluations ne donnent pas lieu à un débat approfondi en conseil
d’adm
inistration qui pourrait conduire à amender régulièrement les indicateurs, lesquels sont
plutôt négociés avec le ministère. En outre, une évaluation par les services du ministère de la
Culture est rendue possible par un article de la CPO, mais cette facult
é n’a jamais été exercée ;
•
à compter de la CPO 2021-
23, apparaît dans l’article 4 relatif aux «
conditions de détermination
de la contribution financière
» une référence au règlement européen du 17 juin 2014 sur les aides
d’
État. Celles-ci sont en effet considérées comme compatibles avec le marché intérieur et
exemptées de notification, dans le secteur culturel, à une série de conditions complexes, dont
l’analyse pourrait être rendue délicate par le statut hybride
de la SASU et la multiplicité de ses
missions, y compris de nature commerciale.
Les auto-
évaluations réalisées témoignent globalement d’un suivi attentif des indicateurs et
d’engagements respectés sur l’ensemble des lignes. Pour ce qui concerne la convention 2018
-20 en
particulier, le bilan est
beaucoup plus précis et justifié qu’il ne l’était jusqu’alors. Le Palais de Tokyo
pourrait même avoir intérêt à en rendre tout ou partie public.
Ces évaluations
ont un lien, quoiqu’indirect, avec
la part variable de la rémunération du
président de la société.
En effet, les présidents d’établissement
s sous tutelle de la DGCA (auxquels
est donc assimilée la SASU) se voient fixés chaque année des objectifs en nombre limité, pondérés à
hauteur de 20 % chacun (en 2021 :
continuité de l’activité et dynamisation de la programmation,
consolidation de l’équilibre budgétaire, amélioration de la sécurité juridique, lutte contre la précarité
dans le champ des arts visuels, adossés à des indicateurs de suivi et à des cibles chiffrées le cas
échéant), tandis que les 20 % restants sont laissés à l’appréciation du ministre de la Culture. Le taux
de réalisation des objectifs de la part variable est ainsi déterminé annuellement sur le fondement de
documents transmis par l’établissement et d’une analyse pondérée en fonction des circonstances de
force majeure telles que la crise sanitaire.
15
De fait, la disparition du Pavillon en 2017 et l’arrêt du programme de résidences courtes de la Manutention en 2020 (lié par
ailleurs
à la pandémie) semble témoigner d’un relatif recul de cette politique d’accueil. Toutefois, un studio à usage rés
identiel a été créé en
2019 au sein du Palais et le projet de « friche » lancé par le nouveau président aurait vocation à relancer de tels dispositifs.
SASU PALAIS DE TOKYO
28
Le pilotage stratégique du ministère passe par le recrutement du président exécutif et la
fixation d’objectifs dans des documents de nature diverse,
tant par leur forme que par leur horizon
temporel et leurs conséquences, rendant peu lisibles les priorités. Il apparaîtrait de ce fait utile de
mieux relier les termes des appels à candidature, de la lettre de mission et des CPO annuelles, par
exemple en
prévoyant des avenants systématiques lors d’un changement de présidence.
Recommandation n° 2.
: Clarifier en les priorisant les objectifs fixés dans les différents
documents de pilotage (ministère de la Culture).
2.2
Un « service public » aux objectifs multiples
2.2.1
Une offre organisée en trois saisons
2.2.1.1
Des indicateurs pertinents mais perfectibles
Le Palais de Tokyo a pour mission principale de donner à connaître les jeunes artistes et peut
être défini à ce titre comme un «
service public de l’émergence
», qui demeure toutefois attentif aux
déroulés de carrière et susceptible d’aider les artistes à différents stades de leur vie créative. Sur ces
points, les bilans de la CPO, dans son premier axe de promotion et soutien à la création
contemporaine, et le document de « suivi du devenir des artistes » présenté en mars 2020 au conseil
d’administration
offrent des éléments convaincants.
Le nombre d’artistes dont les œuvres sont présentés pour la première fois ou l’une des
premières
fois au sein d’une institution à fort rayonnement est
très souvent supérieur à l’objectif de
dix fixé par la CPO (57 en 2019, 37 en 2020 par exemple, dans la mesure où sont comptabilisés les
artistes apparaissant dans des expositions collectives)
. L’objectif de
deux monographies annuelles
d’artistes de la sc
ène française au moins est lui aussi atteint (onze en 2018, trois en 2019, cinq en
2020). La part des artistes de la scène française dans la programmation culturelle, qui doit être
supérieure à 35 %, l’a systématiquement été depuis 2015 (atteignant 57 % en
2020). La part des
artistes femmes est en augmentation, atteignant presque la parité en 2020. La part du budget consacrée
à la rémunération artistique et à la production d’œuvres dépasse les 30 % assignés par la convention
2018-20 et le taux de production
des œuvres par le Palais de Tokyo lui
-même est passé de 15 % en
2017 à 43 % en 2020 (soit
74 œuvres produites pour 100 empruntées).
Le document de suivi du devenir des artistes détaille les expositions collectives ou
individuelles, entrées dans des collections publiques, prix, ouvrages monographiques, retombées
presse suivant des expositions personnelles et démontre à ce titre la professionnalité du travail
d’accompagnement. Ce document ne retrace toutefois pas les entrées dans des collections privées ou
galeries et ne donne donc qu’une vision partielle de l’impact d’une exposition au Palais de Tokyo.
Les documents de suivi de chaque saison sont complets et constituent de solides outils de
gestion, qu’il s’agisse du bilan des publics, de l’enquête de satisfaction des publics
(observatoire
permanent des publics), de nature quantitative et qualitative, ou du document synthétique retraçant
SASU PALAIS DE TOKYO
29
l’équilibre budgétaire des saisons, qui met en avant le caractère régulièrement déficitaire de celles
-ci,
en coûts directs (seules 8 sur une trentaine ayant généré un résultat positif).
Les succès enregistrés en termes de fréquentation font eux aussi l’objet d’un suivi méticuleux,
avec établissement de moyennes hebdomadaires et journalières permettant de rapporter les chiffres
globaux au nombre de semaines d’ouverture
: ainsi peut-on noter que les expositions les plus visitées
ont été réalisées sous l’ère
« de Loisy », avec quatre expositions entre 2013 et 2019 dépassant les
2000 visiteurs journaliers, et un pic atteint à 3000 visiteurs
/jour pour l’exposition monographique
Saraceno.
A contrario
, compte tenu aussi du contexte sanitaire, les expositions de 2020 et 2021 réalisent
des chiffres décevants avec moins de 900 visiteurs / jour pour
Le milieu est bleu
,
Notre monde brûle
,
Natures mortes
(Anne Imhoff),
Six continents ou plus
, toutes d’ailleurs très largement déficitaires, à
l’exception de
Notre monde brûle
financée à hauteur de près d’un million d’euros par une
coproduction avec le Musée d’art moderne du Qatar. L’exposition emblématique de la réouverture
dédiée à l’artiste allemande Anne Imhoff, Lion d’or à la Biennale de Venise 2017, qui avait bénéfic
ié
en 2019 d’une exposition monographique à la Tate, est par exemple déficitaire à hauteur d’1,3M€ (à
l’instar d’une autre carte blanche, accordée au chorégraphe allemand Tino Sehgal en 2016)
16
. La
visibilité est moindre sur l’ensemble des arts performatifs, c’est
-à-dire des manifestations ou
évènements ponctuels, qui ont d’ailleurs plutôt un rôle d’accompagnement et d’ouverture au
sein des
grandes saisons qu’une place à part entière. Ainsi, l’objectif un temps envisagé par la présidence de
Loisy (lors du co
nseil d’administration
d’ouverture en novembre 2011) de 48 conférences annuelles
a-t-
il disparu très vite, faute par ailleurs de disposer d’un auditorium ou d’une simple salle de
conférences.
En revanche, plusieurs éléments sont manquants pour apprécier le respect global des objectifs
de service public
: les grandes expositions d’artistes confirmés ou en milieu de carrière ne sont pas
retracées comme telles dans le document de synthèse, ni reliées à des classements internationaux tels
que celui d’ArtPrice et permettant d’évaluer un lien éventuel avec la cote de l’artiste
; l’innovation
autour de « modules » particuliers (développés au fil des années : modules Pierre Bergé-Yves Saint
Laurent, cartes blanches, formats courts, « alertes » liée
s à l’actualité, c
onférences et lectures, accueil
d’exposition
s «
young curators
»…) ne fait pas
non plus
l’objet d’indicateur particulier
; enfin, aucun
programme n’est spécifiquement réservé à des artistes indépendants, qui ne relèveraient ni d’une
exposition d’école ni du réseau d’une galerie d’art.
À cet égard, un exercice de transparence sur le rattachement, ou non, des artistes exposés à
des galeries constituerait une information intéressante et de nature à encourager les parcours
atypiques.
Le soutien à l’indépendance relève en effet d’une politique de service public qu’aucun
autre acteur n’est à même d’assumer.
Un point d’interrogation demeure en
ce qui concerne le remboursement actuellement exigible
des frais de production d’œuvres. En effet, les contrats
-types de production du Palais comprennent
une clause de remboursement des frais engagés par le Palais (matériaux, aide à la conception),
plafonn
ée à un tiers du prix de l’œuvre, en cas de vente dans les années (entre deux et dix) qui suivent
l’exposition de l’œuvre. Or, à ce jour, le Palais ne dispose pas de moyens pour suivre la mise en œuvre
effective de cette clause, sauf information volontaire
des artistes. Il n’assure pas de suivi systématique
de ce point (par exemple par le moyen d’une lettre annuelle aux artistes exposés, dans les cinq années
16
Compte tenu de la notoriété de l’artiste, la prévision journalière était de 1700 visiteurs, finalemen
t dégradée à 1200 puis 1000 en
contexte de crise sanitaire, avant de se réaliser à hauteur de 864 visiteurs/jour.
SASU PALAIS DE TOKYO
30
suivant l’exposition), qui lui permettrait pourtant, d’une part d’enrichir sa connaissance du deveni
r
des œuvres, d’autre part d’assurer le recouvrement de ces recettes exigibles, aujourd’hui considérées
comme accessoires.
Un premier recensement effectué en 2019 avait conduit à l’envoi de lettres avec «
peu de
retour »
; un nouveau recensement vient d’ê
tre effectué et pourrait conduire à de nouveaux courriers.
Au regard du faible montant des remboursements engagés, de la complexité à en assurer le suivi et
de sa politique globale de soutien aux artistes, le Palais s’interroge sur l’opportunité de mainten
ir
cette clause de manière systématique.
Toutefois, qu’il s’agisse ou non d’obtenir le remboursement
des frais de production, il apparaîtrait pertinent pour le Palais de créer contractuellement une
obligation d’information sur le devenir des œuvres produit
es et exposées par lui, qui lui permettrait
de mieux remplir sa mission d’analyse de l’impact sur la carrière des artistes
soutenus, prévue comme
l’un des indicateurs qualitatifs explicites de sa convention pluriannuelle d’objectifs, concernant les
émergents.
2.2.1.2
Une lisibilité du calendrier de programmation qui peut être accrue
La temporalité des expositions est essentiellement rythmée par le découpage en trois saisons
de trois à quatre mois qui, quoi que de manière non systématique, se déclinent traditionnellement
entre une saison grand public, une saison « pointue » plus expérimentale et une saison intermédiaire.
De grandes cartes blanches confiées à un artiste emblématique peuvent être proposées (Parreno, Tino
Sehgal, Camille Henrot, Saraceno, Anne Imhoff),
l’ensemble du Palais étant alors mis à leur
disposition, tandis que d’autres formats sont plutôt thématiques. De nombreuses expositions
cohabitent le plus souvent au sein d’un concept unique, sur des
calendriers très variés dépendant de
la disponibilité de
s espaces privatisables, d’où un relatif manque de lisibilité dans la maquette de
programmation qui apparaît comme un motif récurrent d’inquiétude au sein des débats du
conseil
d’administration
.
La question du calendrier, qui fait l’objet de négociations
annuelles serrées entre la direction
de la production des expositions et celle du développement des ressources, est en fait absolument
centrale et s’articule à ce jour autour des dates de défilés de
s
fashion weeks
annuelles. La possibilité
de fonctionner autour de deux saisons plutôt que trois, offrant ainsi des intersaisons plus étendues et
plus propices aux travaux de maintenance, est évoquée dès 2014 sans jamais faire l’objet d’une
véritable expérimentation, qui aurait pourtant des atouts en matière budgétaire, simplifierait
drastiquement la logistique salariale comme immobilière (puisque l’ensemble des lieux est
entièrement reconfiguré avec des cloisons mobiles et des installations éphémères pour chaque saison)
et permettrait aussi d’approfondir le trav
ail de médiation.
La Cour prend acte de la réflexion en cours sur un nouveau calendrier qui devrait conduire
une partie des expositions à se tenir sur six mois. La transversalité et la liberté de ton revendiquées
du Palais de Tokyo ne devraient pas conduir
e à obérer la lisibilité d’une programmation
volontairement éclectique mais qui voudrait rester accessible aux experts comme aux non-initiés. Si
les rapports d’activité, comme les débats en conseil d’administration
à titre interne, permettent de
reconstituer une cohérence conceptuelle et curatoriale, il importe que la dimension de démocratisation
se reflète aussi dans la présentation des saisons, d’où le rôle essentiel de la pédagogie, comme de la
politique éditoriale qui permet de l’accompagner.
La logique interne aux expositions ainsi que les
critères de sélection des thématiques, œuvres et artistes exposés gagneraient à être mises en lumière
SASU PALAIS DE TOKYO
31
de manière plus systématique, au moyen d
’un livret d’accompagnement ou d’un
catalogue grand
public disponible pour chaque saison.
2.2.2
Une constellation de cibles inscrite dans un projet de démocratisation culturelle
Les bilans de la CPO retracent dans leur second axe les résultats en termes
d’élargissement et
de connaissance des publics.
Comme il
l’
a déjà été souligné, les cibles assignées par les lettres de
mission restent extrêmement larges
: les critères d’âge, de milieux sociaux, d’inclusivité, se sont
successivement ajoutés les uns aux autres.
La fréquentation globale du Palais est l’indicateur le plus facile à suiv
re : le socle de visiteurs
des expositions,
de l’ordre de 200
000 visiteurs annuels à la réouverture, a progressivement évolué,
avec un faible fléchissement en 2016 et 2017 atteignant un record absolu de 420 200 visiteurs en 2018
(expositions
Discorde, filles de la nuit
, autour de la guerre et de l’histoire,
Enfance
ou
Encore un
jour-banane pour le poisson-rêve
dédiée à l’émerveillement
, et carte blanche à Tomas Saraceno).
L’objectif initialement fixé dans l’élan de l’ouverture à 500
000 visiteurs dès 2013 était revu à la
baisse dans la CPO 2015-17 qui se fixait une cible plus accessible à 350 000 visiteurs, maintenue
jusqu’en 2020.
En 2019, le nombre de visiteurs fléchissait à 284 587 (mais les mouvements sociaux ont
conduit à des horaires réduits voire à des jours de fermeture), puis à 137 427 visiteurs en 2020 sous
l’effet de la crise sanitaire et 142
866 en 2021, traduisant une légère reprise (la CPO 2021-23 fixe un
objectif à 160
000 en 2021 qui n’a donc pu être atteint, puis 325
000 en 2022 et 340 000 en 2023 qui
apparaît ambitieux au regard des nouvelles pratiques de visite).
Graphique n° 1 :
Fréquentation des expositions 2013-21
Source
: rapport d’activité 2021
Il est par ailleurs intéressant d’observer l’évolution de la fréquentation totale, incluant cette
fois, en sus des expositions,
l’ensemble des publics passés par le site du Palais
(y compris pour des
évènements, privatisations,
fashion weeks
; clients des concessions, restaurants, librairie et club).
Oscillant entre 200 000 et 250 000 personnes entre 2002 et 2011, elle connaît un bond dès la
réouverture de 2012 avec plus de 400 000 personnes, puis plus de 700 000 dès 2013, avec un pic à
812 000 en 2015.
SASU PALAIS DE TOKYO
32
Tableau n° 1 :
Évolution de la fréquentation totale du site Palais de Tokyo (nombre de visiteurs)
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
407 111
723 259
756 080
812 803
707 167
635 638
720 615
584 056
255 907
314 049
Source : Palais de Tokyo
Si les précédentes conventions prévoyaient un bilan qualitatif sur les actions en faveur de
l’éducation artistique et de la création contemporaine (
avec un accent sur les publics du champ social
et handicapés), ce n’est qu’à partir de la CPO 21
-23 que sont inclus des indicateurs sur le nombre
d’enfants et de jeunes ou de structures bénéficiaires d’actions (cible à 4600 en 2021, 17
200 en 2022
et 20 000 en 2023). En 2019, le Palais, dans son document de présentation à un mécène de son projet
phare de «
learning center
», le HAMO
17
, annonçait 170 000 jeunes accueillis depuis 2002 dans le
cadre de l’éducation artistique et culturelle
.
La présentation des « chiffres-clefs
» du rapport d’activité
met en avant, en 2018, une
répartition globale des publics par sexe (70 % de femmes), classe
d’âge (28 % de moins de 20 ans,
29,4 % de 20-29, 19,8 % de 30-49 et 22,8 % de 50 et plus), origine géographique (France à 86,7 %).
Les éléments relatifs aux publics spécifiques (ateliers de médiation dédiés, actions hors-les murs, y
compris en matiè
re d’art
-thérapie, programmes de contes, ateliers familiaux, programme « Été
culturel et apprenant
», opération Open Palais dédié aux adolescents) gagneraient à faire l’objet d’un
débat annuel sur le fondement du bilan synthétique présenté en
conseil d’adm
inistration, permettant
d’alimenter la discussion sur les priorités à venir de la politique des publics. Il conviendrait d’
affiner
ses objectifs en les déconnectant du seul chiffre global de la fréquentation : celui-ci ne permet pas de
mesurer l’effort accompli en faveur des sphères les plus éloignées de l’art contemporain.
Il appartient
en revanche au Palais de définir une stratégie pour une politique des publics plus ciblée en fonction
de la nature des saisons ou évènements proposés.
2.2.3
Un cloisonnement institutionnel persistant
Le troisième axe de la CPO s’attache
au développement du rayonnement et de la notoriété du
Palais de Tokyo, en France comme à l’international
. Il encourage la société à organiser au moins trois
expositions ou évènements en partenariat
avec des institutions régionales et à favoriser l’exportation
d’au moins trois projets (coproduction, partenariat, ingénierie, itinérances) à l’étranger (jusqu’en
2017, l’indicateur visait l’accompagnement d’au moins trois artistes par an dans le cadre
d’
expositions étrangères).
Sur ces points, la société ne développe qu’un
petit nombre de projets, d
e l’ordre de
deux à trois
p
ar an, d’une ampleur limitée. En 2018, il s’agit de deux expositions en partenariat avec le festival
des Rencontres d’Arles pendant
l’été, et d’un
e
exposition à l’invitation de la 12
ème
Biennale de
17
« Hameau
» en marge des expositions, espace entièrement dédié à la médiation culturelle, à l’éducation à l’inclusion par l’art, avec
le soutien de la Jonathan KS Choi Foundation (fondation chinoise), lieu d’innovation pédagogique de 700 m2 dédiés à des at
eliers et
espaces de rencontre mobiles.
SASU PALAIS DE TOKYO
33
Gwanju en Corée du Sud (1600 visiteurs). En 2019, une exposition collective est présentée à l’abbaye
du Thoronet et un projet d’éducation artistique déployé dans 3 communes des Vosges. Plus
emblématique, le commissariat de la 15
ème
Biennale d’art contemporain de Lyon (273
800 visiteurs)
est confié à l’équipe curatoriale du Palais
. Par ailleurs,
l’
un des artistes (américains) exposé dans
Discorde
au Palais de Tokyo l’était ensuite à la Tate Liverpool. En 2020, aucune exposition n’a fait
l’objet d’une itinérance mais l’exposition
«
Notre monde brûle »
a été conçue en coproduction avec
le Musée d’art moderne de Doha au Qatar. En 2021, l’exposition de l’artiste australien Jonathan Jones
devait être reprise à Sidney et donner lieu à une déclinaison au château de la Malmaison. De nouveaux
projets sont en cours, avec une itinérance par exemple de l’exposition consacrée à Sarah Maldoror.
Ces projets demeurent toutefois marginaux et ne paraissent pas s
’inscrire dans une politique
globale de mise en réseau des institutions culturelles françaises et mondiales telle que l’imaginait la
première lettre de mission de 2012. À cet égard
, l’absence de liens institutionnels construits et
systématiques avec le Mus
ée d’art moderne de la Ville de Paris, le
Centre Pompidou, la villa Arson,
les FRAC et centres d’art, les institutions privées, les réseaux de l’Institut français ou encore les
centres d’art à l’étranger qui pourraient se comparer par leurs ambitions
18
est frappante et témoigne
d’un cloisonnement persistant de l’imaginaire et de la programmation.
Cette situation est d’autant plus dommageable que le Palais de Tokyo, ne disposant d’aucune
collection, ne peut garder trace matérielle autre que documentaire des
expositions qu’il suscite et des
œuvres qu’il est amené à produire. Il n’existe pas en l’état d’accords sur un droit d’achat prioritaire
ou préférentiel d’œuvres susceptibles de rejoindre des collections nationales. Aucun partenariat n’a
par exemple été envisagé avec le Centre Pompidou, qui aurait pu conduire ce dernier à recevoir ou
acquérir de manière quasiment systématiques quelques œuvres emblématiques de chaque saison.
Un travail important reste donc à mener pour atteindre les objectifs de mise en réseau, avant
même de s’interroger sur l’opportunité pour le Palais de Tokyo de développer de nouvelles ressources
propres en matière de conseil et d’ingénierie culturelle (cf.
infra
). Ce diagnostic, pourtant partagé par
les présidents successifs, et même clairement identifié dès 2016 comme un axe de développement
stratégique majeur,
n’a pas encore débouché sur une politique ambitieuse.
À ce titre, le projet du
nouveau président qui souhaite faire du Palais le «
moteur d’un espace de dialogue entre grandes
institutions
»
19
devrait
faire l’objet d’une feuille de route formalisée,
attentivement accompagnée par
le ministère.
Il pourrait aussi constituer l’occasion de réfléchir aux passerelles pouvant mener à
d’éventuelles acquisitions par des institutions parten
aires.
De manière plus globale, la question de la coordination entre les différents acteurs de
l’émergence et du rayonnement de l’art contemporain, parmi lesquels le centre Pompidou mais aussi
le Centre national des arts plastiques et ses commissions de p
rospective et d’acquisition par exemple,
reste ouverte.
18
Le MoMA PS1avec ses 11
600 m2 d’expositions, le Pirelli Hangar Bicocca à Milan dans l’ancienne usine de carosserie Pirelli, la
Tate Modern (musée d’art contemporain le plus visité au monde avec près de six millions
de visiteurs annuels) …
19
« (incluant entre autres le Centre Pompidou, le Centre national des arts plastiques, la Cité internationale des arts, le Centre national
de la danse, l’École nationale supérieure des Beaux
-
Arts, l’École nationale supérieure d’art
s de Paris-
Cergy et l’École nationale
supérieure des Arts Décoratifs, mais aussi le Musée du Louvre, le Musée d’Orsay et L’Établissement public du château de Versa
illes)
[…], afin de rationaliser l’orientation et le partage des ressources », travailler à l’échelle nationale
«
avec les lieux les plus pointus de
la création en France (centres d’art,
artists-run spaces
, FRAC, musées), en lien avec les réseaux D.C.A. et TRAM , pour des
programmations en commun ou des coproductions, avec une attention particulière aux territoires isolés, ou non encore investis par
l’art
» et, à l’international «
systématiser la circulation [des œuvres] par des discussions en amont avec des structures partenaires
»
(projet Désanges).
SASU PALAIS DE TOKYO
34
La Cour prend acte de l’accord du ministère et du Palais de Tokyo sur ce point et note qu’une
instance spécifique relative à l’enrichissement des collections pourrait être mise en place.
Recommandation n° 3.
: Définir une stratégie de rayonnement visant à inscrire le Palais de
Tokyo plus clairement dans l’écosystème français et international de l’art contemporain au
moyen de partenariats favorisant la circulation des œuvres
(SASU Palais de Tokyo).
2.3
Un modèle économique durablement fragilisé par la crise Covid, révélatrice
de problèmes plus structurels
Le dernier axe de la CPO
concerne l’optimisation de la gestion et du fonctionnement du Palais.
Jusqu’en 2020, un seul indicateur quantitatif
était dédié au suivi de la part du budget consacré à la
programmation artistique et culturelle (avec un objectif de 40 %) atteint en 2019 avec 41 % et en repli
en 2020 compte tenu de la crise sanitaire ; les indicateurs qualitatifs étant consacrés à la gestion
prévisionnelle du bâtiment (qui devai
t être déclinée dans un plan pluriannuel d’investissement
) et à
la politique de gestion des ressources humaines (égalité professionnelle et évolution de la masse
salariale). Dans la CPO 21-
23, sont ajoutés deux indicateurs, l’un relatif au taux
de ressource propres,
l’autre au taux maximum de charges fixes (dépenses des fonctions support) à ne pas dépasser.
2.3.1
Des comptes marqués par la croissance des ressources propres avant 2019
La dynamique antérieure à la crise sanitaire témoignait
d’une forte croissance et d’un
e gestion
prudente. Les bilans de la société montrent des capitaux propres solides et régulièrement renforcés
par des reports à nouveaux successifs.
Au compte financier 2021, les capitaux permanents s’élèvent,
avant abondement à 5749
K€
et
le fonds de roulement brut représente 82 jours d’activité, rapporté au
niveau des charges 2021.
Tableau n° 2 :
Comptes de résultat 2012-21
en K€
2012*
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Produits
d’exploitation
13 366
15 735
18 400
17 726
18 713
17 407
18 580
18 369
11 885
14 306
dont Chiffre d’affaire
s net
3 208
5 449
5 023
5 732
6 423
5 715
6 582
7 471
3 186
3 116
Charges d’exploitation
13 511
15 043
15 274
17 191
18 522
18 055
18 563
18 455
13 481
15 583
Produits financiers
4
1
0
0
4
1
2
3
3
24
Charges financières
2
1
2
1
0
1
0
0
0
0
Produits exceptionnels
217
219
235
285
334
465
465
401
1854
2 327
Charges exceptionnelles
5
2
9
3
602
29
15
66
0
0
Bénéfices ou pertes
21
476
797
562
-73
-211
401
233
261
948
Source
: Cour des comptes, d’après comptes
certifiés (chiffres arrondis) * 18 mois (1/07/11 au 31/12/12)
SASU PALAIS DE TOKYO
35
La capacité d’autofinancement du Palais a été maintenue sur l’ensemble de la période à
l’exception des années 2016 et 2017, compte tenu des chocs d’exploitations dus à des pertes sur
créances irrécouvrables, à un détournement des fonds de billetterie (cf.
infra
), à des régularisations
de charges, hausses de provisions salariales et recettes propres inférieures aux niveaux attendus.
Tableau n° 3 :
Capacité d’autofinancement, en K€
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
792
1019
948
594
330
-307
795
548
1081
491
Source
: Cour des comptes, d’après comptes certifiés (chiffres arrondis)
Principal instrument de pilotage, l
e budget exécuté, de 13,5 M€ en 2012, atteignait 18,5 M€
en 2019, avec une
subvention pour charge de service public stable (6,4 M€ en 2013
-
14, 6,2M€ en
2015-
16, 6,6M€ 2017
-
19). Les subventions d’investissement, transitant ou non par l’OPPIC
(opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture)
, étaient d’une ampleur
variable en
fonction de la contrainte immobilière, le total des subventions
atteignant 7,2 M€ en 2019 puis 7,6 M€
en 2021. Compte tenu du coût par visiteur (budget de fonctionnement / nombre de visiteurs), la SASU
était en mesure de contrôler le % de subvention par visiteur, qui passait de 52 % en 2012 à 36 % en
2019.
Dans le même temps, le taux de ressources propres connaissait une forte croissance, passant
de 47 % à l’ouverture à 57 % dès 2013, au
-delà de 60 % dès 2015 avec un pic à 66 % en 2016 et une
exécution 2019 à 63 %.
Le revenu de billetterie évoluait de 4,14 à 6,13 € par visiteur.
Le taux de
ressources dédié à la programmation artistique, en budget de fonctionnement hors ressources
humaines, restait dans le même temps relativement stable, entre 26 et 30 % selon les années (40 %
avec le budget RH). Le taux de couverture des dépenses de fonctionnement et de personnel par des
ressources propres évoluait lui aussi considérablement, de 47 % en 2012 à près de 60 % dès 2013 et
64 % en 2019.
Tableau n° 4 :
Répartition des ressources propres par année
Répartition des
ressources propres
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Billetterie
16%
15%
15%
16%
14%
17%
20%
15%
16%
14%
Mécénats numéraires
29%
12%
28%
28%
23%
20%
18%
21%
14%
17%
Mécénats nature
20%
15%
10%
6%
10%
7%
7%
8%
3%
2%
Mécénats numéraires et
nature
49%
27%
37%
35%
34%
28%
25%
29%
16%
19%
Privatisations
26%
36%
30%
28%
28%
27%
27%
29%
23%
18%
Recettes des concessions
5%
11%
13%
16%
16%
17%
20%
19%
22%
29%
Ingénierie et coproduction
1%
3%
19%
1%
Éditions
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
1%
Autres (divers, reprises
,
recettes
exceptionnelles...)
2%
10%
4%
5%
8%
10%
7%
5%
3%
17%
TOTAL
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
Source : Palais de Toky
o, d’après comptes
certifiés
SASU PALAIS DE TOKYO
36
La répartition de ces ressources propres, telle qu’elle pouvait apparaître relativement stabilisée
en 2019, montrait que 15 % des recettes provenaient de la billetterie, près de 30 % du mécénat en
nature ou en numéraire, près de 30 % des
privatisations d’espace, près de 20 % des concessions et de
leurs redevances, le reste relevant d’activités marginales d’ingénierie, de coproduction ou des recettes
éditoriales.
En valeur absolue et non en pourcentage du budget global, l’évolution de ces
ressources
propres était encore plus parlante, puisqu’elles connaissaient 87% d’augmentation, essentiellement
portées par l’évolution de la billet
terie, des privatisations et des recettes des concessions. En revanche,
dès 2013 pour le mécénat en nature et 2016 pour le mécénat numéraire, cette source de revenus
commençait à marquer le pas, faisant l’objet d’alertes du président devant le conseil d’administration
.
Tableau n° 5 :
Évolution des ressources propres de 2012 à 2019 en
K€
2012
2019
Variation 12-19
2021
Ressources propres
6325
11846
+ 87%
6199
Dont billetterie
1028
1745
+ 70%
854
Dont mécénats numéraires
1862
2443
+ 31%
1083
Dont mécénats en nature
1247
997
-20%
102
Dont privatisations
1669
3447
+ 107%
1122
Dont recettes des concessions
330
2222
+ 574%
1805
Dont recettes éditoriales
44
77
+ 75%
78
Source :
Cour des comptes, d’après comptes certifiés
Dès 2014, le Palais de Tokyo s’était par ailleurs fait accompagner, dans le cadre d’un mécénat
de compétences, par des cabinets privés pour construire sa stratégie à moyen terme. En 2014, le
cabinet Peclers lui donnait des conseils pour « augmenter sa désirabilité » : développer les produits
dérivés autour de la « promesse
» de la marque (sujet récurrent qui n’a j
amais véritablement abouti,
la réflexion sur des « chaussures design » marquées Palais de Tokyo resurgissant même lors du
conseil d’administration
de septembre 2019), améliorer l’accessibilité et la lisibilité de l’offre ainsi
que la place accordée à des concessions qui seraient « plus volontiers fréquentées et appréciées que
le Palais lui-même », enfin développer des cibles de visiteurs mieux identifiées pour leur offrir une
expérience adaptée.
À deux reprises, le cabinet BCG intervenait pour des missions de plusieurs semaines à la
demande de la présidence. En 2014, il remettait un document de plus de 100 pages intitulé « stratégie
Palais de Tokyo », dont les conclusions présentées en
conseil d’administration
constituaient de fait la
feuille de route du président de Loisy. Il dressait un constat global sur le Palais comme « miracle
permanent
», rappelait le consensus sur la nécessité d’
augmenter la fréquentation toutes cibles
confondues, d’améliorer lisibilité et densité de l’of
fre et identifiait
des pistes d’amélioration par le
renforcement du mécénat et des privatisations, le développement d’évènements mêlant art et
« lifestyle
» (mode, design…), l’augmentation du budget de communication, le commissariat de
grandes expositions
internationales, l’accent mis sur des produits dérivés voire une franchise
internationale s’appuyant sur la marque. En 2016, le BCG menait une
nouvelle étude sur la possibilité
de diversifier l’activité en lançant de grands programmes d’enseignement (cours
magistral
sur l’art
contemporain, MOOC, écoles d’été, formation continue etc., prenant comme référence les séminaires
SASU PALAIS DE TOKYO
37
des Bernardins ou les formations de l’IHEDN), mais aussi des «
soirées cabaret décalées », spectacle
« pointus et subversifs ». En avril 2017, ces options étaient abandonnées
20
.
C’est à partir de 201
6 en effet que plusieurs éléments
imprévus s’accumul
aient en gestion,
dont certains sont analysés en détail ci-après, et contraignaient la réflexion prospective :
•
le renouvellement de la convention de délégation de service public modifiait les
dispositions relatives à la redevance due
par la société à l’
État. La DSP de 2011 prévoyait
une redevance annuelle forfaitaire de 70
K€
HT (article 20.1.1) indexée sur la variation de
l’indice trimestriel INSEE du coût de la construction ou l’indices des loyers des activités
tertiaires qui le remplace. Au terme de l’avenant de 2017, la redevance n’est plus forfaitaire
mais proportionnelle
, assise sur le chiffre d’affaires généré par le Palais auprès de ses
concessionnaires. Les recettes représentant 1,6 M€ en 2021 (près de 2M€ en année courante
2019),
la redevance domaniale versée par le Palais s’établit à 115
K€
en 2021 et devrait
atteind
re les 200k€ annuels en exercice courant
21
;
•
des problématiques liées à aux concessions des restaurants (cf.
infra
) ont conduit à
l’abandon
de plusieurs créances ;
•
la stratégie digitale, après les conclusions d’un audit rendu en 2016, et
le schéma directeur
des systèmes informations,
à la suite d’un
audit réalisé en 2020, ont occupé une place
prioritaire dans les chantiers du Palais ;
•
le détournement de fonds frauduleux (cf.
infra
) a conduit à revoir en profondeur les
processus de contrôle interne ;
•
des
sujets de ressources humaines se sont imposés, aboutissant à la rédaction d’accords
d’entreprise et à une réflexion sur le statut des monteurs (cf.
infra
) ;
•
enfin et surtout, la problématique immobilière (cf.
infra
) est devenue incontournable à
compter de
2018, avec une succession d’alertes impliquant des travaux d’urgence et la
nécessité impérieuse de revoir le plan pluriannuel d’investissement.
2.3.2
Des interrogations légitimes sur la pérennité du modèle économique
À compter de 2018, les débats jusque-là assez vifs sur le potentiel du bâtiment et le
développement des ressources propres deviennent plus prudents, tandis que le départ annoncé de M.
Jean de Loisy, l’intérim de neuf mois assuré par le directeur général délégué puis, moins d’un an
après la nominatio
n d’une nouvelle présidente, la crise sanitaire, conduisent le Palais de Tokyo à
une
crise existentielle.
Lors du premier
conseil d’administration
de Mme Emma Lavigne, en septembre 2019, alors
que la présidente semblait
arriver avec une feuille de route centrée sur l’ouverture
accrue du Palais
(y compris pendant les périodes de privatisation et les semaines traditionnellement dédiées aux
défilés, envisageant pour ce faire de réduire le nombre de saisons à deux, mieux préparées en amont,
reliées à de grands thèmes de société, tout en préservant des espaces pour des évènements pendant
20
Des «
dépenses d’enseignement
» sont bien retracées à compter de 2017 avec la mise en place de
L’atelier des regardeurs
, cycle de
conférences qui durera jusqu’en 2019 mais s’avère déficitaire dès 2018 (pour des dépenses engagées de l’ordre de 40K€ et des
recettes
de l’ordre de 13K€).
21
Le Palais so
uhaite engage une discussion avec l’administration domaniale pour revoir à la baisse ce taux de redevance, considérant
les charges de maintenance qu’imposent l’entretien du bâtiment.
SASU PALAIS DE TOKYO
38
les intersaisons), les contraintes budgétaires sont aussi mises en avant par les premiers travaux
prospectifs de la direction générale : les recettes de billetterie, stables, ne peuvent progresser
fortement sans bouleversement de la grille tarifaire qui serait contraire aux objectifs de
démocratisation ; les recettes de concessions et de privatisation pourraient marginalement progresser,
tandis que celles du mécénat pur, hors coproduction, sont plutôt appelées à reculer ; côté dépenses en
revanche, la masse salariale est fortement contrainte par les évolutions liées au glissement vieillesse
(+1,5 % par an), la part du budget artistique ne doit pas reculer, et les dépenses de sécurité,
d’informatique et immobilières sont appelées à augmenter drastiquement.
En conclusion provisoire, «
face à l’accroissement des dépenses, le Palais de Tokyo doit se
fixer un taux de croissance des ressources de 8 %
d’ici 2022 afin d’éviter un effet de ciseaux
». En
réponse, le directeur général préconise un dégel de la partie bloquée de la subvention de
fonctionnement, un maintien de la subvention d’investissement, des opérations ponctuelles de
prélèvement sur le fonds de roulement et un « marketing offensif » pour conquérir de nouveaux
publics.
Lors du
conseil d’administration
de juillet 2020, la direction générale insiste sur le fait que la
crise sanitaire constitue un accélérateur ou du moins un révélateur de problèmes plus profonds qui
conduisent à s’interroger sur le pérennité du modèle économique dans un contexte où la masse
salariale augmente naturellement d’environ 85
000
€
annuels à périmètre constant, où les subventions
ne sont pas indexées sur l’inflation et
où les coûts d’investissement (systèmes d’information,
immobilier)
sont
croissants
:
la
présidente
conclut
alors
qu’«
il
y
a
structurellement,
philosophiquement, socialement des mutations à opérer, dont il avait déjà été question avant la
crise
».
Une montée en puissance des interrogations autour de la responsabilité sociale des acteurs
publics
de la culture se fait jour par ailleurs, avec la volonté d’appliquer une nouvelle grille de
rémunération pour les artistes plasticiens, légèrement supérieure aux minimaux recommandés par la
Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture et les organismes de gestion
collective. En juillet 2020, une note en
conseil d’administration valide d’ailleurs cette politique, dont
les impacts économiques demeurent cependant marginaux par rapport aux grands équilibres de
gestion.
Concernant ces derniers
, les marges de manœuvre du Palais apparaissent relativement
réduites. Après cinq
premières années marquées par l’élan de la réouverture et le dynamisme des
ressources de mécénat, le modèle économique peine à retrouver son souffle.
2.3.2.1
Un mécénat profondément renouvelé sous l’effet des questions sociétales
qu’il
convient de sécuriser
Le surgissement de questions éthiques et la nécessité de concilier les partenariats avec une
démarche cohérente de responsabilité sociale et environnementale ouvrent une nouvelle ère, dans un
contexte où les grandes entreprises et mécènes créent de plus en plus leur propre fondation et structure
de financement. Le Palais est d’autant plus attentif à ces questions qu’il a été très tôt confronté à des
polémiques. Il n’a toutefois pas reculé devant des partenariats très approfondis
, mêlant étroitement
approche artistique et commerciale : ainsi du «
guest program
» accueillant en 2013 l’exposition
N°5
Culture Chanel
, de l’exposition
Perspective Playground
en 2015, un « évènement artistique signé
Olympus
» ou encore du partenariat avec l’horloger Vacheron Constantin p
our concevoir avec
SASU PALAIS DE TOKYO
39
l’
I
nstitut national des métiers d’art une exposition,
Period Room
, rassemblant artistes, designers,
graphistes etc. Plus récemment, en 2022, «
l’expérience
» Moleskine Détour rassemble des œuvres
conçues sur carnet Moleskine (elle fait toutefois partie des espaces dits « hors douane », en accès
libre).
Les débats sont désormais plus présents en
conseil d’administration
sur la dimension
réputationnelle de ces partenariats, alors que les premiers projets portés par le Palais (qui avait
notamment espéré début 2012 un très important partenariat pluriannuel avec Coca-Cola) ne donnaient
pas lieu à discussion. De même, en 2014, des partenariats escomptés de 650 000
€
sur 3 ans avec la
fondation Bettencourt-Schueller
autour des métiers d’art
et de 178 000
€
annuels sur 3 ans avec la
fondation Total étaient accueillis avec enthousiasme et faisaient l’objet de larges annonces, cette
relation au mécénat privé étant appréhendée comme consubstantielle à l’activité du Palais de Tokyo.
La période qui suit est moins propice à ce type de relations, en témoigne notamment le fléchissement
du « mécénat globalisé », par différence avec le mécénat fléché sur des opérations ou thématiques
spécifiques
, dont s’inquiète le conseil d’administration
dès 2016 et en 2017.
Quant aux cercles de mécènes, ils connaissent un profond renouvellement - ainsi des recettes
des Amis du Palais de Tokyo (20 000
€
en 2021 contre 212 000
€
en 2017) et du Tokyo Art Club
(rassemblant les «
mécènes les plus généreux
» parmi les Amis, 120 000
€
en 2021 mais près de
300 000
€
en 2019), présidés par Philippe Dian ; et de deux nouveaux cercles imaginés dans le cadre
de la démarche Palais durable lancée en 2021
, qui rassemblent des acteurs autour de l’
art et de
l’écologie d’une part, de l’
a
rt et de la société d’autre part (médiation et art
-thérapie).
Dès 2019, la piste d’un «
cercle international de mécènes
» qui pourrait être adossé à un fonds
de dotation, par exemple «
arts et sport
» dans la perspective des Jeux de Paris 2024, est explorée.
L’association des
Amis crée en 2021 un «
board international
» correspondant à des mécènes
internationaux individuels (18 à ce jour). Le projet de Palais durable est préféré dans un premier temps
à celui du fonds de dotation qui obligerait à engager une réflexion juridique très pointue sur plusieurs
points
: la question de la gouvernance d’une structure qui aurait vocation à financer une société privée
dotée d’une mission de service public
; la question de la consomptibilité ou non du fonds
–
non
consomptible, il n’aurait d’intérêt que dans l’hypothèse d’une très forte dotation financière initiale
permettant de générer du revenu annuel
; consomptible, il ne présenterait pas d’avantages majeurs
par rapport au mécénat direct, sauf s
’il visait le développement d’activités «
connexes » à celles
prévues par la DSP (arts et sports, commande d’œuvres monumentales dans l’espace public).
À ce
jour
, le ministère de la Culture ne semble pas avoir pris de position officielle sur un sujet qu’il
lui
appartient pourtant prioritairement d’expertiser.
Globalement, le Palais de Tokyo a su adapter son approche aux nouveaux enjeux du mécénat
culturel, mais il gagnerait à élaborer une charte
22
dans laquelle il définirait le type de partenariat qu’il
ente
nd mettre en œuvre afin d’éviter toute ingérence d’un mécène dans la programmation artistique,
établirait une distinction claire entre opérations de parrainage et mécénat, enfin détaillerait la nature
exacte des projets en « co-construction
» qu’il imagine
ou entend accueillir.
Recommandation n° 4.
: Formaliser une charte du mécénat culturel (SASU Palais de Tokyo) .
22
Un modèle de charte du mécénat culturel est proposé par le ministère de la Culture mais peut être décliné par chaque établissement
selon ses spécificités propres, importantes dans le cadre de la SASU.
SASU PALAIS DE TOKYO
40
2.3.2.2
Des concessions qui ont constitué un point de fragilité mais pourraient devenir des
atouts
Malgré un suivi attentif, y compris au niveau du
conseil d’administration
qui évoque très
souvent ce sujet, la gestion des concessions s’est soldée par de lourdes déconvenues à deux reprises,
avec des impayés importants concernant
l’un des restaurants
(cf.
infra
). À ce jour, les perspectives
semblent pourtant plus favorables et même encourageantes, constituant même un facteur de stabilité
potentiel à même de compenser les incertitudes liées à la billetterie. Les redevances sur le chiffre
d’affaires, régulièrement renégociées
ont connu une forte croissance, et atteignaient, hors charges
refacturées, 2,1
M€ en 2018,
1,9
M€ en 2019,
0,93
M€ en 2020, 1,
6
M€ en 2021
(soit 29 % des
ressources propres)
, ce qui témoigne d’une
vraie résilience, liée à la nature exceptionnelle de lieux
toujours susceptibles d’attirer un large public.
S’il y a peu de marges de manœuvre en ce qui concerne les concessions existantes, ce sont
plutôt les pistes complémentaires, évoquées ponctuellement lors de
conseils d’administration
mais
peu explorées, qui gagneraient à faire l’objet d’études approfondies
, concernant par exemple :
•
l
’utilisation du toit (qui avait accueilli en 2007 le projet de deux artistes suisses, Sabrina
Lang et Daniel Baumann, un hôtel éphémère baptisé
Hôtel Everland
) ;
•
c
elle du parvis, qui fait l’objet d’une convention d’utilisation et de
gestion avec le Musée
d’art moderne de la ville de Paris occupant l’aile est du bâtiment, depuis 20
12
, qu’il avait
été question d’équiper avec une patinoire
;
•
celle des salles de cinéma, héritées du projet de musée du Cinéma
, aujourd’hui peu
exploitées ;
•
celles des magasins temporaires, glaciers, pop-up stores, que pourraient accueillir le hall
ou d’autres espaces, notamment en cas de stratégie élaborée autour des produits dérivés
;
•
celle
d’un auditorium ou d’une salle de conférence autonome
;
•
celle de
l’
ouverture au public ou de la
mutualisation avec d’autres institutions des ateliers
de production (verre, menuiserie, métaux etc.) ;
•
celle du
développement d’espaces dédiés aux nouvelles technologies, à la réalité virtuelle,
à des showrooms digitalisés.
Le projet de « friche » évoqué par le nouveau président dans son projet, comme les travaux à
venir, constitueront l’occasion de redynamiser le projet initial visant à faire du Palais de Tokyo
un
lieu vivant et fertile en rencontres. Un tel projet, irrigué par les concepts de permaculture et de
transversalité, pourrait donner lieu à des appels à projets plus imaginatifs permettant de développer
des activités commerciales à petite échelle dans le domaine de l’écologie, de l’éducation au
développement durable etc.
Il conviendra toutefois de ne pas perdre de vue les dispositions de la délégation de service
public qui indiquent la possibilité de concéder des espaces à des délégataires dans la mesure où ces
activités sont « connexes » ou « complémentaires » aux missions de service public, malgré
l’interprétation jusqu’à présent très libérale de ces dispositions (concessions accordées à deux
restaurants, une librairie, mais aussi une discothèque et une entreprise de climatisation aux vocations
plus éloigné
es du cœur de cible
..).
La Cour prend acte du fait que le Palais de Tokyo développe des réflexions sérieuses sur ces
sujets, notamment concernant l’utilisation du toit qui fait l’objet d’une étude.
SASU PALAIS DE TOKYO
41
2.3.2.3
Un équilibre délicat entre évènements privés et missions de service public
L’activité de privatisation, rendue centrale par la taille du site et les multiples possibilités qu’il
offre avec des modularités allant de 180 à plus de 1000 m
2
, éventuellement cumulables (jusqu’à la
location du « Palais intégral » hors
salles d’expositions, pour 50
000
€
HT, permettant d’accueillir
2500 personnes), apparaît maîtrisée et très rentable. Elle produisait
des recettes de l’ordre de 3,5 M€
en 2019. Il s’agit de la ressource la plus directement affectée par la crise sanitaire, même si le Palais
a réussi à maintenir un niveau significatif d’évènements dans un contexte peu propice, générant
encore
près d’1,2
M
€ en 2020 et 2021. La principale difficulté associée à cette activité tient à la
coexistence des espaces artistiques et des espaces dédiés à des défilés, vernissages, « shootings »,
séminaires etc.
L’objectif d’accroissement du nombre de jours d’ouverture
se heurte en effet directement à
des nécessités logistiques, impliquant des arbitrages permanents entre missions de service public et
activités connexes permettant leur mise en œuvre
, régulièrement évoqués pendant les conseils
d’administrations
. Ainsi le
nombre de jours d’ouverture au public a
-t-il varié, entre 2012 et 2019 (la
période Covid n’étant pas pertinente pour analyser une politique étant données les obligations liées
au confinement), de 118 la première année à 230, pic constaté en 2017. La mise en scène des défilés
des
fashion weeks
(recettes entre 50
000 €
et 75 000
€
pour chacun des trois temps forts de l’année)
dans la grande verrière du Palais, ainsi que le rythme du démontage et remontage qui intervient dans
les intersaisons, auquel s’ajouten
t des opérations de maintenance technique, expliquent
en l’état cette
contrainte partiellement incompressible, sauf à renoncer à d’importantes recettes annuelles.
La transformation en cours des pratiques dans le domaine de la mode (défilés virtuels
notamment, réduction des voyages internationaux etc.) pourrait cependant permettre au Palais de
regagner des marges de manœuvre sur ce poste, tout en développant des pratiques d’accueil de grands
évènements » internationaux.
Tableau n° 6 :
Nombre de jours d’ouverture totale o
u partielle au public
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
118
213
249
219
201
230
215
209
140
162
Source : Palais de Tokyo
2.3.2.4
L’ingénierie culturelle,
une piste de ressources à explorer
L’une des pistes les plus fréquemment évoquées en conseil d’administration concerne la
montée en puissance des compétences que la SASU a acquises en matière de montage et de gestion
opérations d’ingénierie culturelle,
et ceci dans une double perspective : à la fois pour des raisons
d’influence et de mise en relation au sein des réseaux de l’art contemporain, conformément aux
missions de service public, et pour engendrer à terme des ressources commerciales.
Toutefois, le Palais ne dispose pas encore à ce jo
ur d’une stratégie clairement établie en la
matière, ayant plutôt lancé de multiples chantiers parallèles sans proposer une offre bien définie. Il
apparaît difficile à ce titre de distinguer clairement les recettes et les dépenses :
SASU PALAIS DE TOKYO
42
-
des opérations classées « hors les murs », permettant aux équipes du Palais de Tokyo
d’investir des lieux pour y présenter le travail d’artistes émergents, ou d’assurer le
commissariat d’une exposition (pavillon à Athènes ou exposition à Chicago en 2017,
opérations sur sites patrimoniaux tels que des cathédrales, chapelles etc., curation de la
15
ème
Biennale d’art contemporain de Lyon
etc.) ;
-
des projets de coproduction des œuvres ou expositions, plus rares (par exemple Theaster
Gates avec la Tate Liverpool en 2019, le projet plus ambitieux de
Notre monde brûle
co
financé par le musée d’art moderne de Doha dans le cadre de l’année culturelle Qatar
-
France, ou l’exposition en 2021 de Jonathan Jones)
;
-
des projets intitulés « ingénierie culturelle
» que l’on peine parfois à distingu
er des
premiers, tels le
Voyage d’hiver
à Versailles en 2017, le commissariat d’œuvres murales
dans le cadre d’une mission «
Embellir Paris » pour les 11
ème
et 18
ème
arrondissement en
2019, de l’ingénierie de formation dans le cadre d’ateliers sur les métiers de l’exposition
aux Beaux-
Arts de Paris, l’accompagnement à la production d’œuvre dans le cadre de
workshops
(Éc
ole Kourtrajmé en 2020), le développement d’une plateforme e
-Educalab
avec le lycée français de Pékin grâce à des recettes de mécénat etc.
L
a notion de recettes d’ingénierie n’apparaît d’ailleurs distinctement des autres lignes qu’à
partir de 2018 dans la note d’exécution du budget remise au conseil d’administration
et mêle
honoraires (perçus par exemple pour la Biennale de Lyon) et participations financières de certains
partenaires pour les opérations hors-les-murs
. Une ligne de dépenses d’ingénierie, en miroir, n’est
détaillée qu’en 2018 et 2019 et n’intègre pas le coût complet (ressources salariales) de ces opérations,
ni les éventuelles ref
acturations de dépenses (en 2019, pour la Biennale) et apparaît donc d’un intérêt
limité.
À compter
de 2020, les recettes d’ingénierie et de coproduction sont présentées ensemble et
agrègent des opérations liées à un contrat de coproduction et des dépenses engagées sous mécénat de
la fondation « Choi Koon Shum Education » pour le lancement du projet de nouvel espace
pédagogique Hamo. La lisibilité des gains nets liés aux
opérations d’ingénierie à proprement parler
apparaît donc limitée.
La recherche de
partenariats de grande ampleur à l’international impliquerait une
professionnalisation de la démarche et des équipes dédiées à la mise en œuvre d’une stratégie
pluriannuelle, ce qui représente, dans un premier temps, un investissement dont les retours, en termes
de rentabilité, reposent sur la conclusion de contrats substantiels justifiant le bien-fondé de la
démarche.
La compétence en matière d’ingénierie culturelle spécifiquement développée par la
direction de la production des expositions gagnerait donc à être mieux analysée, exploitée et à faire
l’objet d’une démarche stratégique.
Au-
delà, c’est toute la question de la valorisation de la marque «
Palais de Tokyo » qui reste
ouverte. Déposée à l’origine par l’association, elle a fait l’objet d’un nouveau
dépôt à titre de marque
française (marque n°13 4 011
914) auprès de l’INPI le 12 juin 2013, ainsi qu’à titre de marque de
l’Union européenne (marque n°011895372) auprès de l’Office de l’Union européenne pour la
propriété intellectuelle enregistrée au mois
d’octobre 2013.
En revanche, il n’existe pas à proprement
parler, ni d’évaluation fidèle de la valeur de la marque dans les actifs (hormis les
29
554 €
d’actifs
incorporels correspondant au « fonds de commerce
» cédé par l’association à la création de la s
ociété),
ni de stratégie de valorisation de cette marque, qu’elle passe par le développement de produits dérivés
ou une politique d’offre de prestations d’ingénierie culturelle en art contemporain (curation,
production, formation etc.), à vocation nationale ou internationale.
SASU PALAIS DE TOKYO
43
Cette situation apparaît d’autant plus regrettable que la forme juridique de la SAS
U
initialement retenue par les pouvoirs publics avait justement vocation à favoriser ce type de démarche.
La SASU cherche par ailleurs à accroître ses
ressources propres et se doit donc d’explorer les
pistes permettant d’y parvenir, en particulier celles de l’ingénierie culturelle et de la valorisation de
la marque avec une nouvelle stratégie de produits dérivés.
La Cour prend acte des projets du Palais de Tokyo consistant à revoir sa politique tarifaire,
créer de nouvelles concessions et faciliter le développement de celles qui existent, explorer les
potentialités de développement dans les univers virtuels (métavers) tout en veillant à ses missions de
service public.
2.3.3
La crise sanitaire vient rappeler
l’importance de l’adossement
aux finances
publiques
En 2020 et 2021, le nombre de jours d’ouverture au public du Palais
passe respectivement à
140 puis 162 jours d’exploitation, avec un impact évident sur l’ensemble des ressources propres.
Les
équipes du Palais développent alors de nouveaux formats de médiation numérique (« Palais de Tokyo
à la maison ») et des actions dan
s le domaine de l’éducation culturelle et artistique
; il monte de
courtes expositions capsule ou sur façade
; dédie un site internet propre à l’exposition
Anticorps
qui
ne fut visible qu’une semaine
en raison du second confinement ; organise des opérations ponctuelles
« Palais partagé » (public du champ social) et « Open Palais » (jeune public lié au Pass Culture) pour
attirer de nouveaux publics. En 140 jours, le Palais parvient tout de même à attirer près de 140 000
visiteurs (-52 % par rapport à 2019),
ce qui peut s’apprécier comme une performance en comparaison
des baisses de plus de 70 % affectant le Louvre, le Centre Pompidou, l’Orangerie ou le Musée d’Orsay
(plus exposés à un public international, alors que la jeunesse et l’origine francilienne de no
mbre de
visiteurs du Palais l’ont relativement préservé).
Un plan de continuité d’activité et un accord sur le télétravail sont trouvés
. Surtout, le Palais
obtient son habilitation à déclarer ses salariés en activité partielle. Lors du premier confinement, 40
% des salariés sont placés en chômage technique, 25 % lors du second. Pour prendre en compte
l’engagement des salariés obligés de se rendre sur le site, leurs indemnités kilométriques sont prises
en charge et leur rémunération maintenue à 100 % lorsque le salaire de base mensuel est inférieur à
2 550
€. Le Palais recourt à tous les dispositifs de compensations UNEDIC, exonération des charges
patronales, fonds de solidarité, aide à l’embauche d’apprentis.
Par ailleurs, les sommes dues aux
artistes au titre des performances et manifestations annulées ont toutes été réglées, conformément à
sa politique de soutien aux créateurs. À
la reprise d’activité, le Palais
a renégocié ses marchés pour
parvenir à un équilibre financier compensant les sommes forfaitaire
s qu’il avait dû verser malgré la
fermeture.
Le report de ses deux grandes saisons lui permet aussi de réaliser des économies substantielles,
pour un total de 4,4
M€ (dont 2,2
M
€
liés au décalage des expositions Anne Imhoff et
Ubuntu
). Il
parvient enfin à
préserver un niveau de ressources propres à 4,9 M€
(en baisse de 57 % par rapport à
son budget initial).
Un soutien financier exceptionnel de l’
État à hauteur de
1,6 M€, complété du dégel de la
subvention de fonctionnement à hauteur de 264 000
€
, cumulé avec les dispositifs de chômage partiel
(170
K€), exonérations et aides de l’URSSAF (582
000
€
) et fonds de solidarité permet, pour un total
SASU PALAIS DE TOKYO
44
de 2,8
M€, de garantir l’équilibre budgétaire et d’aboutir à un résultat bénéficiaire de 260
790 € et
à
une capacité
d’autofinancement de 1
M€
(utile pour abonder le fonds de roulement et assurer la
soutenabilité financière
de l’année suivante).
En 2021, le retour progressif à une activité plus normale permet au Palais de générer un
résultat net de 947 708
€. Le niveau de ressources propres est remonté à 6,2 M€
, avec une reprise
importante des privatisations et recettes des concessions, toutefois inférieur de 25 % aux projections
du budget initial. Les recettes de billetterie peinent en particulier à retrouver leur niveau antérieur à
la crise. Les
aides de l’
État restent importantes avec une subvention exceptionnelle de 2
M€, le dégel
de la subvention pour 276 000
€
et des exonérations de charges, aides et contributions du fonds de
solidarité, pour un total de 3,6
M€ d’ai
des en 2021. Dans le même temps, des subventions
d’investissement substantielles (316
000
€
puis 650 000
€
) permettent de faire face aux dépenses
d’investissement courant, aux travaux de refonte du système d’information notamment.
Fin 2021, la situation
financière du Palais est rassurante, sa capacité d’autofinancement atteint
près de 500 000
€, son fonds de roulement brut s’élève à
3,5
M€, ce qui représente 82 jours d’activité
et, net des provisions, à 2,5
M€ soit 57 jours d’activité.
Cette situation, quoi que dégradée par rapport
au modèle économique de 2019, témoigne à la fois de la solidité du soutien accordé par l’
État et de
la fragilité d’un modèle qui doit encore, en 2022 au moins, s’appuyer sur un soutien renouvelé
du
ministère de la Culture à hauteur de 1,6
M€.
Les projections pour les trois prochaines années, auxquelles travaille déjà la direction
générale, auront à tenir compte de plusieurs inconnues
: la problématique immobilière d’abord (cf.
infra
), qui imposera vraisemblablement une période de fermeture totale, probablement juste après les
Jeux olympiques de Paris 2024
afin de profiter des ressources propres que l’évènement devrait
apporter ;
l’incertitude sur
les recettes de billetterie, mécénat, partenariat et ingénierie culturelle dans
un contexte économique compliqué
, en l’absence de marges de manœuvre sur les charges de
fonctionnement, fortement contraintes par la dimension salariale.
Quoi qu’il en soit des choix de gestion qui seront faits, la place de l’
État apparaît donc centrale
et pourrait le conduire à s’interroger sur la meilleure manière de placer le curseur du «
soutien public »
en fonction des objectifs de service public qu’il assigne au Palais
: ainsi, l’objectif assigné en CPO
2021-23, de retrouver
un taux de ressources propres de 54 % en 2022 puis de 59 % en 2023 n’apparaît
-
il pas réaliste, ou risquerait de placer la société dans l’obligation de privilégier une approche par la
seule rentabilité des espaces publics qu’elle loue ou concède, avec les r
isques afférents sur sa capacité
à attirer du public au titre de sa programmation artistique.
La convention prévoit au demeurant une clause de rendez-
vous à l’été 2022
« afin de rendre
les objectifs prévisionnels réalisables au regard des conséquences de la crise sanitaire ». Une nouvelle
vision stratégique à cinq ou dix
ans pour le Palais, à l’instar de ce qui avait été entrepris en 2014
à
l’horizon 2018,
devrait être développée en y associant plus étroitement le ministère de la Culture.
Cette démarche es
t d’autant plus nécessaire que les grands projets immobiliers (cf.
infra
) de remise
aux normes doivent être articulés avec une réflexion de fond sur les investissements nécessaires à la
transformation du projet artistique, dans une perspective de soutenabilité à long terme.
SASU PALAIS DE TOKYO
45
_________________________CONCLUSION INTERMÉDIAIRE_________________________
Le pilotage stratégique du Palais de Tokyo passe essentiellement par la nomination de son
président ou de sa présidente et par la négociation d’une convention d’objectifs trisannuelle
comportant une série d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs, parmi lesquels l’accent est mis sur le
niveau de ressources propres. La présence de l’
État au
conseil d’administration
le conduit au
demeurant plutôt à jouer un rôle de surveillance que d’impulsion et d’arbitrage.
La mise en œuvre des orientations programmatiques du Palais conduit donc à une politique
de l’offre éclectique, parfois difficilement lisible
et à une multiplication des cibles en termes de
publics et de fréquentation. Si les objectifs des COP ont été respectés, ceux que fixaient les lettres de
mission des présidents successifs n’ont pas fait l’objet d’un suivi systématique, notamment pour ce
qui concerne la coop
ération interinstitutionnelle dans le champ de l’art contemporain –
la situation
témoignant plutôt d’un cloisonnement persistant.
Enfin, l
’évolution des pratiques de mécénat, puis la crise sanitaire, ont mis à jour les fragilités
structurelles d’un modèle
économique fondé sur la croissance (interrompue) du mécénat, la logique
d’extension (inaboutie) des concessions, la multiplication des privatisations, au péril de la mission
de service public et la promesse (incertaine) d’une ingénierie culturelle qui res
te à déployer. Si les
pouvoirs publics ont fortement soutenu le Palais de Tokyo entre 2020 et 2022, il n’en reste pas moins
nécessaire de redéfinir pour celui-ci une vision stratégique à long-terme qui permette de mieux
l’inscrire dans l’écosystème de l’ar
t contemporain en assurant la pérennité de son financement. Les
recommandations formulées dans cette partie s’inscrivent
dans la perspective des prochaines
négociations avec l’
État sur la COP 2024-2026.
SASU PALAIS DE TOKYO
46
3
DES SUJETS DE GESTION A CONSOLIDER
La gestion de la SASU est marquée, sur la période, par une amélioration progressive des outils
et tableaux de bord qui permettent aujourd’hui de disposer d’une bonne visibilité sur les principaux
enjeux et d’appuyer la décision par des projections prospectives solides. C’
est en particulier à compter
de 2017 que cette consolidation de la fonction administrative et financière a eu lieu, parallèlement à
une prise de conscience de l’urgence immobilière.
Les trois « lignes de défense
» que constituent la présence d’un
expert-comptable extérieur
mandaté pour assurer le suivi des comptes
; d’un commissaire aux comptes
; et du contrôle général
économique et financier de l’
État
n’ont pas toujours suffi à éviter des incidents dommageables,
notamment dans le cas d’un détournement de fonds qui a eu des suites pénales, mais sont aujourd’hui
complétées par des processus de contrôle interne améliorés et formalisés.
Si des marges de progrès existent encore, qui font l’objet des observations suivantes, elles
sont à ce jour identifiées par la société et font partie intégrante de son plan de travail
, à l’exception
des préoccupations concernant les engagements financiers pouvant être pris par le Palais de Tokyo à
l’occasion d’expositions emblématiques et susceptibles de faire peser un
risque incontrôlable sur les
finances de la société.
3.1
Des défaillances qui ont conduit à une reprise en main du contrôle interne
3.1.1
Des risques mal maîtrisés ayant donné lieu à des pertes importantes
La SASU
est statutairement soumise au contrôle économique et financier de l’
État. Un arrêté
du 15 février 2012, fixe les modalités spéciales d’exercice du contrôle, complété par une note du 5
avril 2012 en fixant les seuils, périodicités et modalités.
Attentif à
un établissement qu’il suit depuis sa création, le
contrôle général
l’a assisté dans la
mise en œuvre des
règles applicables à ses recrutements d’une part,
dans celles applicables à la
passation de ses marchés d’autre part.
Il établit chaque année un rapp
ort succinct d’une page en sus
des fiches analytiques qui souligne les principaux enjeux. Sur la période sous contrôles, ses
principales observations, récurrentes, ont concerné :
•
le respect du code des marchés publics, avec l’encouragement à mettre en pla
ce à ce titre
une stratégie formalisée de suivi ;
•
ses inquiétudes quant à l’évolution de la masse salariale
;
•
ses interrogations sur le recul du mécénat ;
•
ses incertitudes quant au futur de l’ensemble immobilier
;
•
son appréciation d’un «
succès de l’organ
isme reposant principalement sur les choix et la
personnalité de son président », qui lui paraît représenter une cause de fragilité.
SASU PALAIS DE TOKYO
47
À
titre plus ponctuel, dans son rapport 2018, le CGEFI s’est intéressé à trois événements
problématiques :
•
une procédure de passer-outre sur un marché ;
•
un problème de contrôle interne, traité
infra
, qui a débouché sur un détournement de
liquidités ;
•
un sujet lié au départ de concessionnaires laissant des impayés, traité
infra
.
Concernant le passer-outre, des investigations complémentaires permettent
d’expliquer
la
divergence d’interprétation entre le CGEFI et le Palais, bien qu’elles montrent la difficulté pour le
Palais à appréhender les règles de la commande publique dans leur totalité. En effet, le contrôleur
général avait refusé s
on visa pour une dépense relative à la réalisation d’un «
Bot » (un robot de
messagerie permettant d’interagir avec le public)
, estimant que le prestataire retenu, qui avait
préalablement produit une étude sur la communication digitale du Palais et recommandé la mise en
place de cet outil, ne pouvait être retenu pour autant sans mise en concurrence. La direction générale
donnait toutefois suite au projet par plusieurs commandes inférieures au seuil de visa, avant de mettre
le robot au rebut compte tenu du caractère manifestement inadapté au fonctionnement du Palais de
l'outil proposé
. L’ensemble a r
eprésenté finalement une perte sèche à hauteur de près de 110
K€
,
soulignant a posteriori la nécessité impérative de procéder à des comparaisons et mises en
concurrence avant de valider de tels projets, a fortiori
lorsqu’ils découlent des préconisations d’un
prestataire auquel serait confié la mise en œuvre de ses propositions.
Par ailleurs, un évènement aux répercussions financières et
pénales d’ampleur a directement
affecté les comptes pendant la période sous revue. En effet, une part importante des recettes est perçue
en espèces par des agents de billetterie. En février 2017, lors de la préparation de la clôture des
comptes de l’année
2016, des écarts importants entre les recettes de billetterie enregistrées en
comptabilité et les sommes effectivement perçues en banque ont été constatés. Après échanges avec
le cabinet d’expertise comptable
et investigations complémentaires, le Palais de Tokyo a été en
mesure d’identifier
un système de fraude mis en place par un agent agissant seul, rapidement mis à
pied puis licencié pour faute lourde, et contre lequel une plainte a été déposée. Une enquête
approfondie démontrera finalement que
les fonds détournés s’élèvent à 25
9 000
€ de re
cettes de
billetterie sur la période 2013-2017.
L’assureur a
pu indemniser le Palais de Tokyo pour une partie
de la somme.
L’examen des différents mécanismes de fraude mis au jour a
conduit à la révision
complète des
processus de contrôle interne (séparation des tâches de manipulation d’espèces et
d’écriture comptable, changement des codes d’accès aux coffres après chaque saison, caméra de
vidéosurveillance dans la salle des coffres).
Enfin, des impayés importants ont pénalisé le Palais de Tokyo sur la période sous contrôle.
En effet, une première société gérant un restaurant a fait face à des difficultés de règlement de sa
redevance et de ses charges dès 2016. À la fin de cette année-là
, dans le cadre d’un renouvellement
des autorisations d’occupation, un autre concessionnaire est retenu pour la gestion du restaurant. La
situation financière du premier concessionnaire s
’aggrave cependant avant que le changement soit
effectif. Après des m
ises en demeure par voie d’avocats
au cours de l’année 2017 et des actions
menées en justice, le Palais doit finalement provisionner une créance totale de 307 000
€
HT. La
société est mise en liquidation judiciaire à l’été 2017 et le
Palais déclare sa créance auprès du
liquidateur. Compte tenu de l’état du passif de la société et de ses actifs, les chances de recouvrir cette
créance apparaissaient à peu près nulles. La SASU finit par considérer sa créance comme non
recouvrable.
SASU PALAIS DE TOKYO
48
L’équipe du restaurant placé
en liquidation obtient par ailleurs et parallèlement, malgré des
alertes du CGEFI, la concession du restaurant de la Maison de la Radio sous une autre forme
juridique. La société choisie pour lui succéder est à son tour placée en redressement judiciaire. Le
Palais doit de nouveau provisionner, cette fois 470 000
€
de créances. En juillet 2020, est présentée
au
conseil d’administration
l’issue de la procédure collective dont a fait l’objet la société. Après
reprise par un autre exploitant, , il est proposé au Palais un rachat de sa créance à hauteur de 270 000
€
en contrepartie d’un transfert de la convention d’occupation. La
nouvelle société exploitant le
restaurant « Bambini » se porte bien depuis son ouverture.
L’histoire
de ces défauts successifs met toutefois en exergue une zone de fragilité importante
du Palais, qui l’aura conduit à deux reprises à essuyer des pertes
, pour un total de 507 000
€
HT
23
. Se
pose ainsi la question du processus de sélection des concessionnaires, qui devrait garantir un très haut
niveau d
’expertise sur la soutenabilité des projets et le sérieux des gestionnaires
pressentis. À ce titre,
le procès-verbal du comité de sélection de 2016 qui devait sélectionner les candidats admis à
participer au second tour de l’appel à propositions pour l’aménagement et l’exploitation commerciale
du restaurant, outre qu’il n’a pu en être retrouvé une version signée, n’est pas convaincant
: les
membres du comité de sélection,
dont aucun ne paraît être un expert en matière d’économie de la
filière restauration
, n’explicitent pas leurs critères de «
préférence »
à l’issue des auditions
et
délèguent finalement la décision finale d’examen et d’attribution des lots à la présidence et à la
direction générale déléguée.
Il importe, pour l’avenir, de p
rofessionnaliser ces jurys de sélection des
concessionnaires en y incluant, plutôt que des personnalités du monde de la culture, des experts en
matière de gestion de la filière concernée (qu’il s’agisse de restauration, de librairies ou autres).
En outre, comme le soulignait le président du
conseil d’administration
lui-même en avril 2019,
on
peut s’interroger sur l’incapacité des pouvoirs publics à s’assurer que le contexte contentieux du
Palais soit pris en compte comme un critère d’alerte majeur au moment du choix d
e nouveaux
concessionnaires de restauration
par d’autres sociétés contrôlées
par l’
État, soit en étudiant les voies
permettant de prononcer une interdiction de soumissionner
au titre de l’article 42
de l’ordonnance
n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, soit en alertant les jurys de
sélection sur l’histo
rique récent des candidats de telle manière que les décisions soient les mieux
informées possible.
Recommandation n° 5.
Professionnaliser la procédure de sélection et de suivi des projets des
concessionnaires (SASU Palais de Tokyo).
23
Rapporté au montant global des recettes issues des concessions sur la période 2013-2021, hors refacturation des charges, ce montant
ne représente que 3,6 % de l’ensemble des redevances. Mais, rapporté à une année pleine comme 2019, il représente 26 % des
redevances.
SASU PALAIS DE TOKYO
49
3.1.2
De récentes
mesures d’atténuation des risq
ues qui devraient porter leurs fruits
De manière générale, l’accompagnement par le nouveau
commissaire aux comptes, dont le
mandat a débuté avec l’exercice 2018, est satisfaisant et a permis de renforcer le contrôle des risques,
notamment grâce à la mise e
n œuvre d’un contrôle interne renforcé sur le plan comptable. Sur le plan
budgétaire, la direction générale entreprenait parallèlement une analyse circonstanciée. En avril 2022,
était présentée au
conseil d’administration
une note très complète relative aux travaux de contrôle
interne, dressant le bilan des actions entreprises, décrivant les mesures prises en matière de
formalisation des procédures
24
, de formation et de sensibilisation, de mise en place d’une piste d’audit
fiable (état des lieux des procédures de gestion des fournisseurs, cartographies de procédures, audit
par sondage). De même, était mise en
œuvre
une démarche de cartographie des risques comptables
et budgétaires,
d’après
le modèle fourni par la boîte à outils du ministère de la Culture, adapté à la
règlementation comptable et fiscale de la SASU.
Sur ce fondement, un nouveau
plan d’action très détaillé a été mis en place, présenté et
validé
en
conseil d’administration
et fait à ce jour
l’objet d’un suivi rigoureux qui d
evrait aussi passer par
un dialogue étroit avec le ministère de la Culture et une présentation annuelle au conseil
d’administration, à l’instar par exemple de la procédu
re de cadrage des dépenses des dirigeants, mise
en place dès 2015 et actualisée en 2021, qui fait l’objet d’un «
document unique » très clair sous
forme d’un
tableau de bord transmis au contrôleur général économique et financier à une fréquence
trimestrielle, qui devrait être
envoyé, une fois par an, au moment de l’examen du compte financier,
aux directions du ministère de tutelle et présenté au Conseil d’administration.
25
Concernant l’achat public, des progrès ont été accomplis.
Concernant la passation des
marchés, l’examen de plusieurs dossiers sur place n’appelle pas d’observation. C’est plutôt le taux de
couverture par des procédures de publicité et de mise en concurrence, dans le cadre d’achats groupés
par nature, qui représente un point d’attention, en
constante progression. Le Palais dispose de fiches
juridiques, rassemblées dans un guide de la commande et de l’achat actualisé en 2022 et des sessions
de sensibilisation et de formation sont organisées régulièrement depuis 2020 à l’attention des salariés.
Par ailleurs, une note relative à la politique d’achat et au plan d’achat 2022
-23 a été présentée en
conseil d’administration
en avril 2022 et propose une vision synthétique de la part des achats dans la
dépense globale du Palais (50 %, soit 8,5 M€ en 2021), de la part de ces achats ayant fait l’objet d’une
publicité et d’une mise en concurrence (48 % dont les principaux postes concernent le gardiennage
et la sécurité d’une part, la billetterie d’autre part) et de la part de
s achats « pour lesquels une
co
nsultation d’entreprises pourrait être envisagée à l’avenir et selon les besoins futurs
» (35 % soit
près de 3 M€ de dépenses)
En effet, un travail minutieux de récolement
des dépenses par nature a permis d’identifier des
marges de manœuvre pour rassembler certains types d’achats récurrents
jusque-là pilotés
ponctuellement et directement par les directions, par exemple en matière de location de nacelles
élévatrices, peinture, matériaux divers, transport d’œuvres etc.
24
Ont notamment été rédigés une note et procédure sur les notes de frais, les ordres de mission et les
perdiem
, un document unique de
cadrage des dépenses des dirigeants, des notifications des budgets initiaux aux directeurs et/ou responsables de service, un guide sur
les procédures de commande et d’achat public, une note sur les processus d’engagement et la TVA, une
note sur la rémunération des
artistes.
25
En pratique, il n’est pourtant pas soumis au
conseil
d’administration
. Le Palais devrait se mettre en conformité avec une obligation
qu’il s’est lui
-même donnée.
SASU PALAIS DE TOKYO
50
Le principal enjeu pour l’avenir,
notamment après les travaux qui devraient intervenir sur le
site, concernera la mise en place d’un
accord cadre multi-technique complet pour la maintenance et
la prévention permettant de couvrir l’ensemble des dépenses récurrentes d’
électricité, plomberie etc.
De manière surprenante, aucune stratégie ni budget de maintenance préventive à ce titre
n’avait été mis en place à la réouverture en 2012 alors que la plupart des institutions disposent de
marchés conséquents à ce titre. Ce sujet, bien identifié et s
uivi par les équipes du Palais, fait l’objet
d’une attention particulière.
Il est souhaitable que l
e plan d’action permette de réduire significativement la part des
marchés restant à couvrir, de telle façon que ne subsistent plus, pour les achats non couverts, que les
dépenses par nature non susceptibles de l’être. La présentation annuelle en conseil d’administration
du tableau de progression de couverture des achats par des marchés serait là encore de nature à
renforcer la redevabilité des services administratifs et à garantir la mise en conformité avec
l’ensemble des obligations de la commande publique, que pourrait accompagner le CGEFI dans le
cadre d’une révision concertée des seuils de visa et procédures d’information.
Recommandation n° 6.
: Présenter au
conseil d’administration
un suivi annuel de la mise en
œuvre du plan d’action du contrôle interne et
du plan achat (SASU Palais de Tokyo) .
3.2
D
’autres chantiers
en cours de traitement
3.2.1
Un
e adaptation en cours des systèmes d’information
En septembre 2019, le directeur général a indiqué que «
les systèmes d’information, des
réseaux et des fichiers présentent des insuffisances et des risques en matière de qualité de service et
de sécurisation des systèmes
». La crise sanitaire et la nécessaire accélération de la dématérialisation
ont accentué
l’urgence de cette démarche, qui s’est
traduite par un audit informatique en 2019, un
audit sur les matériels en 2020,
puis la réalisation d’un schéma directeur des systèmes d’information
en 2021, avec l’accompagnement d’un c
abinet externe. Ce dernier a alors dressé un diagnostic sans
appel (peu de processus formalisés de gestion des incidents, pas de sauvegarde externe des données,
manque de maturité d’un système de sécurité SI fondé sur des pratiques informelles…) et
établi une
liste des documents à créer (politique de protection des données personnelles, p
rocédure d’exercice
des droits, cartographie des données, politique de rétention des données, procédure de gestion des
incidents).
On note un état
de mise en œuvre des mes
ures préconisées de 66 % à fin 2021, pour un budget
total de 290 600
€
en
dépenses d’investissement
(refonte des infrastructures) et 223 000
€
en
fonctionnement soit 513
K€
, auxquels il faut
ajouter les salaires chargés de l’équipe SI
, soit un total
d’
environ 631 000
€
sur 2021. Ces montants, hors salaires, représentent toutefois un pic de dépenses
destiné à consolider sur le long terme la stratégie informatique du Palais, engagé désormais dans une
démarche pluriannuelle de sécurisation, d’optimisation de la qualité des services, d’évolution de ses
applications et d’écoresponsabilité numérique qui devrait lui permettre de lisser ses coûts pour
l’avenir.
SASU PALAIS DE TOKYO
51
Les pistes d’amélioration évoquées dans
le
dernier audit, nombreuses (création d’une direction
des SI
, d’un responsable de la sécurité du SI, de différents comités de pilotage, techniques ou de
résolution, planification, formalisation et communication autour des projets informatiques etc.) sont
en cours d’appropriation par les services du Palais, conscients de l’importance de ce chantier.
3.2.2
Des marges de progrès en matière de gestion des ressources humaines
3.2.2.1
Une masse salariale scrutée et maîtrisée
Au 31 décembre 2021, selon le rapport d’activité, le Palais emploie 93 salariés, soit 92 ETP,
dont 80 % en CDI
. Au 31 décembre 2017, il s’agissait de 91 salariés pour 86,6 ETP
(équivalents
temps plein), dont 88 % en CDI. Une extraction sur longue période (2012-21) des données salariales
en ETP aboutit à un chiffre différent de 101,6 ETP (106 emplois physiques) en 2021, contre 101,4
(104 physiques) en 2017 et 80,5 (88 physiques) en 2012 : celui-
ci inclut en effet les CDD d’usage des
médiateurs (cf.
infra
), jusque-là
non présentés dans les rapports d’activité, mais que le Palais
compte
retracer à compter de 2022.
Tableau n° 7 :
Évolution des effectifs et de la masse salariale
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
ETP
80,5
87,4
96,5
104
100
101,4
102,6
100,8
97
101,6
Effectifs
physiques
88
92
100
108
103
104
106
105
100
106
Masse
salariale
(k€)
4 565
5025
5191
5847
5996
6336
6778
6629
6105
6595
Source
: Cour des comptes, d’après comptes certifiés
Si la masse salariale continue de croître, à effectifs quasiment constants après la montée en
puissance progressive des quatre premières années, c’est sous l’effet des mesures salariales
collectives et du glissement automatique dû à l’ancienneté.
La masse salariale représentait 34 % du
budget global en 2012 et restait relativement stable en ratio (masse salariale / budget global) et en
effectifs depuis 2017, à 36 % du budget
en 2019 (6,6 M€). Une rupture s’observe en 2020 (45 %) et
2021 (42 %), compte tenu de la baisse exceptionnelle et globale du budget de fonctionnement et des
activités pendant la crise sanitaire. La masse salariale fait en effet l’objet d’un suivi attentif du
ministère de la Culture et du
conseil d’administration
qui garantit
, même en l’absence de plafond
d’emploi, une maîtrise d
e ce poste dans un contexte de glissement automatique des dépenses qui
représente 1,5 % de ressources supplémentaires à trouver chaque année.
La gestion des personnels du Palais de Tokyo est marquée par son origine associative. Voyant
leurs contrats transformés au moment de la création de la SASU, les personnels ont bénéficié
d’améliorations progressives de leur statut. Un
accord sur la classification des postes et les grilles
salariales avait d’abor
d été trouvé en décembre 2012. Des accords
d’entreprise
ont été conclus en
SASU PALAIS DE TOKYO
52
mars 2017. Deux représentants des salariés siègent au
conseil d’administration
et le comité
d’entreprise, devenu en 2019 comité social et économique, se réunit mensuellement –
il bénéfice de
deux subventions, l’une pour activités sociales et culturelles, l’autre pour fonctionnement. Les
salariés sont rattachés à la convention collective nationale de l’animation
. Un accord de participation
et d’intéressement a été mis en place.
Enfin,
les questions d’égalité et de diversité professionnelle
font désormais l’objet d’une attention particulière, avec la mise en place d’un plan d’action pour
obtenir un label AFNOR Égalité professionnelle. En matière de diversité, en revanche, un retard est
constaté, le Palais n’employant notamment aucun handicapé (malgré l’obligation d’emploi qui aurait
dû le conduire à en recruter cinq
, d’où le paiement annuel d’une contribution compensatoire).
Différentes mesures salariales collectives ont été mises en pla
ce (mesures d’augmentation
dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, prime d’ancienneté, dispositif d’augmentation
salariale minimale de 2,5 % tous les trois ans
pour les salariés dont la prime d’ancienneté est plafonnée
à 24 % ou 21 %), ainsi
que des avantages collectifs non salariaux (prise en charge par l’employeur
des tickets restaurants à 9
€ à hauteur de 60 %, prise en charge de 55 % de la mutuelle d’entreprise et
100 % de la prévoyance). S’il n’existe pas à proprement parler de bilan soc
ial (non obligatoire dans
les entreprises de moins de 300 salariés), certaines séances du CSE, ainsi de celles du 7 décembre
2021, peuvent être consacrées à la politique sociale. Elles permettent un débat sur la politique
salariale, sur
celle de l’évaluation (entretiens annuels, bilans à 6 ans), quoi qu’il n’y ait pas de
dispositif de part variable au niveau des salariés, et sur celle de la formation (un plan annuel est
présenté). Compte tenu de la taille limitée de la structure et des perspectives d’évolut
ion internes
limitées, il n’y a pas de système formalisé de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences,
mais un suivi individualisé par poste.
Une question régulièrement posée concerne, très tôt dans l’histoire de la société, l’évolution
des cha
rges de travail à assumer dans le contexte d’un projet ambitieux,
notamment celle des rythmes
de travail et des horaires au sein d’une société qui a toujours affiché le principe de l’ouverture «
midi-
minuit
» comme l’une de ses principales singularités.
Le
sujet, récurrent, s’est par exemple traduit en
2021, à l’issue de l’exposition Imhoff, par des débats en CSE au cours desquels sont évoqués
« surcharge de travail, surmenage et désorganisation du travail liés à un déficit de communication en
amont, d’info
rmation et de consignes claires, à des prises de décision tardives, à des changements
intempestifs, à des injonctions contradictoires », un «
stress lié au sentiment de fonctionnement sans
filet de sécurité et sans marge de manœuvre, à l’utilisation de gro
upes Whatsapp qui pose la question
du respect du droit à la déconnexion
», un «
sentiment de remise en cause des savoir-faire/expertise
de l’équipe, non
-respect des procédures de transmissions des consignes aux prestataires
». La
direction générale «
recon
naît que le manque d’anticipation lié à des prises de décision plus que
tardives de l’artiste a engendré stress, fatigue et tension au sein des équipes et qu’il est à l’avenir
nécessaire de définir dans la mesure du possible un cadre de travail et des proc
ess afin d’être en
capacité d’accueillir au mieux de tels projets conçus par des artistes
. » La Cour prend acte du fait
que ce travail de redéfinition des procédures internes est en cours, dans le cadre notamment de
l’arrivée d’un nouveau président au début de l’année 2022.
L’ensemble de ces éléments, ainsi que la jeunesse de son personnel (âge moyen de 37 ans en
2021)
, mais aussi une stabilité de l’organigramme offrant peu de perspectives d’évolution,
peut en
partie expliquer le fort
turn-over
qui caractérise ainsi le Palais
–
hors fin de période d’essai ou de
mutation et postes de directeur général ou président, ce ne sont pas moins de 56 salariés en CDI qui,
sur 2017-
2021, ont quitté le Palais (qu’il s’agisse de démissions, pour 22 personnes
; de ruptures
conventionnelles pour 28 autres, de licenciements ou de départs à la retraite)
: au total, c’est donc
plus de la moitié des effectifs totaux, et près de 70 % des effectifs permanents qui auront été
SASU PALAIS DE TOKYO
53
renouvelés en 5 ans, ce qui peut témoigner,
selon l’interprétation qu’on en fait, d’une forte capacité
de réinvention ou d’une fragilité de la structure qui ne parviendrait pas
toujours à retenir ses talents.
L’ancienneté moyenne des départs en CDI, hors CDD de remplacement ou de renfort et CDDU de
médiation entre 2017 et 2021 étant de 5,8 ans, le constat plaide pour une réflexion sans doute liée aux
évolutions des métiers et de la grille salariale.
En outre, deux sujets, identifiés par le Palais, font l’objet de préoccupations particulières
: il
s’agit du statut des monteurs d’exposition d’une part, de celui des médiateurs d’autre part.
3.2.2.2
Le statut à clarifier des monteurs et des médiateurs
C’est dès 2017 que le Palais de Tokyo
identifie un risque potentiel concernant le statut de ses
monteurs, personnels spécialisés et polyvalents, chevilles ouvrières de toute exposition, aux
compétences parfois très pointues
26
. Il diligente donc une étude spécifique en 2018, par un cabinet
privé, Kanju, dont les conclusions sont sans appel : le fonctionnement par prestation de service sur
des contrats d’auto
-entrepreneur présente trop de risques, juridiques et par conséquent financiers et
réputationnels en cas de litige.
Le Palais envisage alors plusieurs solutions pour répondre à cette situation. Il cherche à
appuyer
la création d’une «
filière des monteurs » qui
pourrait aussi bénéficier à l’écosystème de l’art
contemporain en général. Il soutient donc
le projet de création d’une coopérative des monteurs, sous
forme d’agence d’intérim, qui combinerait le statut de SCOP et d’entreprise de travail temporaire.
L’idée pour le Palais serait de recourir progressivement aux services de cette agence, ce qui induirait
un surcoût qu’il estimait en 2021 à 465 K€
à l’horizon 2024, compte tenu d’un taux de cotisations
sociales plus important (ouvrant aux monteurs des
droits et prestations sociales auxquels ils n’avaient
pas accès jusque-
là), d’une prime de précarité et du taux de marge de la nouvelle société. Par une note
de février 2021, le directeur général sollicitait l’appui du
ministère de la Culture pour soutenir ce
« schéma juridique original
» auprès du ministère du Travail, l’aider à structurer la filière et l’appuyer
financièrement dans la prise en charge de ce surcoût.
Finalement, l’hypothèse de la coopérative
ne prospère pas, mais le Palais a mis en place en
2021 une consultation publique pour la passation d’un accord
-cadre de travail intérimaire de sept
mois, en vue de préparer un futur accord-cadre pluriannuel. Il a attribué ce marché à une agence
d’intérim nouvellement créée par des monteurs et régisseurs, de manière indépendante des pouvoirs
publics. Toutefois, tous les monteurs n’ont pas
encore souhaité intégrer ce nouveau cadre juridique.
Un autre sujet, moins clairement identifié, concerne le statut des médiateurs du Palais de
Tokyo, dont le rôle est là encore central pour accompagner toutes les expositions, mais le rythme de
travail lui aussi voué à demeurer cyclique. Cette saisonnalité des expositions entraîne le recours
régulier du Palais à des CDD d’usage,
autorisés pour pourvoir à un emploi temporaire.
Ces médiateurs sont rémunérés au salaire plancher issu de l’accord d’entreprise de 2017 en
fonction de la valeur du point de la convention collective. Ces contrats exonèrent notamment
l’employeur de la prime de précarité et de la prime d’ancienneté. Les médiateurs peuvent en revanche
26
Il s’agit souvent d’anciens étudiants du réseau d
es Beaux-Arts ne parvenant pas à vivre de leur art. Ils comprennent des accrocheurs,
peintres, constructeurs en métal, bois, tissu, des éclairagistes, électriciens, ingénieurs son etc. Ce sont donc à la fois des artistes et des
artisans, techniciens, ouvriers ou ingénieurs dans leur domaine de qualification très particulier. Ils travaillent sur demande du Palais,
dans les intersaisons, sur un rythme souple et intense concentré sur quelques jours.
SASU PALAIS DE TOKYO
54
bénéficier des avantages du CSE, de primes, d’un maintien de salaire en cas d’arrêt
-maladie à compter
de la deuxième saison,
par suite d’une
décision exceptionnelle en 2021. Ils ont éventuellement la
perspective de devenir superviseurs ou chargés d’éducation culturelle et artistique, toujours en CDD
d’usage.
Bien que
ce type de contrat soit d’usage courant dans le secteur des spectacles et de l’action
culturelle, la jurisprudence évolue rapidement, considérant de manière toujours plus restrictive la
condition posée par l’article L
.1242-1 du Code du travail précisant qu
’un CDD ne doit pas avoir pour
but de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le
recours régulier, dans des proportions importantes (entre 30 et 40 contrats par an), à des CDDU qui
concernent en pratique souvent les mêmes personnes,
devrait faire l’objet de réflexions,
en particulier
dans le cadre de la montée en puissance des activités de médiation avec la création du HAMO.
Plus largement, la précarité associée à ces emplois, qui requièrent pourtant compétences et
expérience spécifique puisqu’ils assurent la rencontre
de premier niveau avec le public, ne semble
pas en accord avec la volonté du ministère comme du Palais de se montrer précurseurs en matière de
responsabilité sociale et environnementale. Dans un contexte où la notion de responsabilité sociétale
de l’entreprise est désormais placée au premier plan, l’image du Palais, qui passe à titre principal par
l
e contact établi avec des médiateurs susceptibles d’éclairer le visiteur sur des expositions
par nature
déstabilisantes, gagnerait sans doute à une professionnalisation accrue des équipes de médiation
culturelle, au moins pour un noyau dur d’entre elles ayant vocation à assurer la mémoire
des lieux, la
formation des nouveaux arrivants et la pérennité du projet pédagogique du Palais.
Le pilotage du ministère par la masse salariale ne devrait pas servir de substitut à un plafond
d’emploi qui ne concerne pas la SAS
U, dont les options managériales devraient plutôt être alignées
sur les besoins justifiés pour remplir les objectifs qui lui sont assignés.
Recommandation n° 7.
: Sécuriser la gestion des ressources humaines afin de pérenniser
l’organisation des métiers et de
mieux retenir les talents (SASU Palais de Tokyo).
3.3
Une inertie non dépourvue de risques
de l’
État actionnaire en matière
immobilière
La question immobilière est longtemps restée absente des débats en
conseil d’administration
.
C’est en 2018 qu’elle s’impose, à l’occasion de la reprise en main des services techniques par une
nouvelle directrice qui commande u
ne série d’audits après avoir constaté de nombreux
dysfonctionnements et incidents. Un audit des toitures, un rapport sur la couverture en zinc du Palais,
un diagnostic des façades extérieures, puis des parements de pierre intérieures, une étude de résistance
des sols, un audit électrique etc.
27
mettent successivement à jour des défauts soit de conception, soit
d’entretien et de rénovation qui fragilisent le site ou le mettent en danger par manque de conformité
aux nouvelles normes. La faiblesse du budget de maintenance préventive, aucune ligne globale
n’étant identifiée à ce titre à la réouverture en 2012
,
l’absence de cahier des charges utilisateur
par
27
La simple liste des audits, études et actions d’urgence entr
eprises par la direction des services techniques depuis 2020 comporte 7
pages, témoignant d’un suivi pointu et attentif de ces incidents au niveau de la société.
SASU PALAIS DE TOKYO
55
espace
faisant l’objet d’un suivi au moment de privatiser les espaces du Palais ou de
les confier à un
artiste et la contrainte liée au rythme des courtes intersaisons et au manque de planification des
travaux ont sans doute accentué le risque d’obsolescence pesant par nature sur des équipements qui
n’avaient pas été initialement pensé
s en
fonction d’une utilisation intensive et polyvalente.
Dès novembre 2018, des notes très complètes sont présentées au
conseil d’administration
et
adressées à l’administration
de tutelle
pour attirer l’attention sur ces désordres qui ont pour
conséquence des infiltrations et fuites dans les espaces du bâtiment, imposant des mesures
conservatoires d’urgence ou des mesures préventives, y compris dans les espaces d’expositions où
«
des seaux et moyens de balisage doivent être placés au milieu d’espaces accessible
s au public et
de présentation des œuvres, entraînant des risques non négligeables pour ces dernières et dégradant
également auprès de ses publics l’image du Palais
» (note de novembre 2018). Ainsi, des fuites et
écoulements constatés dans la salle devant
accueillir une œuvre de l’artiste Ugo Rondinone pour
l’exposition
Enfances
, évaluée 2,5M
€
de dollars en valeur d’assurance, impos
ent la mise en place
dans l’urgence de bâches et la souscription de polices d’assurance spéciales. D’autre part, la sécurité
même des salariés est en mise en jeu par des fuites dans les espaces de travail, où sont manipulés
ordinateurs et appareils électriques.
La direction de la SASU
attire alors l’attention de l’actionnaire délég
ant sur la nécessité
d
’établir
un plan de
financement pluriannuel, compte tenu de l’article 14 du contrat de délégation de
service public qui prévoit que l’autorité délégante réalise les travaux définis en annexe 6, laquelle
spécifie que les verrières de toiture, parties en zinc, descentes d’eaux
pluviales relèvent de la
responsabilité du délégataire. De même, l’article 16 de la DSP prévoit bien que si le délégataire doit
assumer «
les travaux de gros entretien et de réparation des biens et équipements indissociables
de niveaux 1 à 4
», c’est bien
le délégant qui garde à sa charge le «
niveau 5
» soit, «
les opérations
de renouvellement de matériel indissociable lié au bâti, de rénovation lourde, de reconstruction ou
de réparations importantes notamment pour répondre à des obligations de mise aux normes
. »
L’article 26 dispose
enfin que le délégant est responsable «
pour l’ensemble des dommages qui ne
sont pas du fait du délégataire ou de son exploitation
». Par conséquent, la société sollicite l’
État pour
qu’il fasse réaliser une étude complète sur
le bâtiment et les travaux à entreprendre et définisse avec
elle un calendrier, qui pourrait impliquer la fermeture du site par phases.
En juillet 2019, une demande de rebasage de la subvention de fonctionnement est adressée à
l’
État, en alertant sur les
risques en matière de sécurité, notamment à la suite de l’incendie de Notre
-
Dame-de-Paris. En septembre 2019, une note est présentée au
conseil d’administration
sur le même
sujet et annonce une baisse de 3 % sur toutes les dépenses, pour contribuer à absorber ces coûts
nouveaux, dans l’attente du résultat des négociations budgétaires
28
et des décisions de l’
État pour
mettre en œuvre un plan de travaux. En février 2020, le directeur général adresse à la DGCA une
lettre signalant un « sinistre préoccupant » pu
isque des plaques de marbre se sont détachées d’un mur
à l’intérieur du bâtiment, dans des espaces accessibles au public, ainsi qu’une lame en fer censée
maintenir ces plaques. Il alerte sur le risque de nouvelles chutes et annonce procéder à une étude tout
en rappelant les termes du contrat de DSP. Une nouvelle lettre en mai 2020 informe le ministère que
l’assureur ne prendra pas en charge le sinistre, qu’il fait procéder aux études et que la prise en charge
des opérations et travaux éventuels incomberaien
t à l’
État.
28
Le Palais bénéficie en 2018,19 et 20 d’une subvention complémentaire ministérielle exceptionnelle de 350K€ par rapports à sa
dotation initiale de l’ordre de 290K€.
SASU PALAIS DE TOKYO
56
En avril 21 lors d’un pré
-
conseil d’administration
, puis en juin lors du conseil
d’administration
, une note relative au bâtiment est présentée, qui fait état :
•
de fissures importantes constatées sur la zone haute du parvis du site, d’un trou
dans les
dalles concernées au-
dessus d’un espace public du bâtiment qui a causé une chute de
morceaux de dalle à l’intérieur du Palais (d’où une nouvelle étude commandée)
;
•
de sinistres récurrents (parements de pierre, fuites) ayant nécessité des mesures
conservatoires ;
•
de l’absence d’isolation, de contrôle climatique et des températures, pouvant
entraîner des
conséquences impor
tantes sur les œuvres
;
•
de questions persistantes sur la sécurisation du site (y compris pour le câblage et les
installations électriques, les accès au bâtiment).
Cette note souligne
l’urgence de disposer d’un schéma directeur immobilier, de choisir un
maître d’ouvrage délégué et de déterminer un calendrier de réalisation des travaux. Elle fait le bilan
des coûts engagés en 2020 pour les seuls audits structurels et mesures conservatoires, soit 108 000
€
.
Il apparaît, dans la note de pré-
conseil d’administration,
que c’est le Palais de Tokyo lui
-même qui
a échangé de façon informelle avec l’OPPIC sur ce sujet, lui propos
ant de réaliser un devis et une
étude globale.
À
l’automne 2021, une mission globale est enfin confiée à l’OPPIC, qui fait réaliser une suite
de missions au groupe EGIS :
•
un audit technique (courants forts, faibles, transports mécaniques, chauffage, ventilation,
climatisation, désenfumage, plomberie) et architectural (façades, menuiseries extérieures,
couvertures, aménagements extérieurs et intérieurs) ;
•
un audit règlementaire (incendie, PMR)
•
un audit énergétique ;
•
un audit sur l’exploitation et la maintenance.
Leurs conclusions sont rendues en décembre 2021. Sur ce fondement, un plan pluriannuel
d’investissement fait l’objet d’une étude au début de l’année 2022 et phase des opérations chiffrées
sur 10 ans, hiérarchisées en fonction de leur degré d’urgence. En avril, un complément d’étude est
réalisé pour cibler les opérations à réaliser dans le cadre d’une phase unique de fermeture totale
,
préférée à un cycle décennal de travaux coûteux en termes d’image et difficile à articuler avec les
contraintes de la rentabilité commerciale des concessions et privatisations. Des études sur la structure
sont encore en attente. La nécessité de nouveaux sondages sur le site a provoqué le glissement de la
date de rendu de cette étude structurelle, attendue désormais au printemps 2023, en parallèle de
laquelle devrait être lancé un marché de programmation.
Le coût total des travaux, couvrant rénovation et isolation (étanchéité, changement des
couvertures zinc d’origine par exemple) et remise aux normes de sécurité, y compris électr
iques, sans
aménagements nouveaux à des fins programmatiques, est estimé à
15 M€
au minimum et avant
conclusion de l’étude structurelle, qu’il appartiendrait donc à l’
État de prendre en charge aux termes
de la convention de délégation de service public. Les arbitrages sur la période de fermeture complète
(probablement l’année 2025) et sur les modalités de suivi d’un tel chantier par la société, qui ne
dispose pas en l’état des compétences internes à ce sujet, sont
en cours de discussion. On notera que
le bâ
timent du Palais n’est pas classé au titre des monuments historiques, mais seulement soumis à
l’avis de l’architecte des bâtiments de France pour toute modification extérieure dans la mesure où il
se situe dans le périmètre de 500 mètres de bâtiments protégés.
SASU PALAIS DE TOKYO
58
C’est donc
au printemps 2023 que pourront être prises les décisions définitives quant aux
travaux de grande ampleur à réaliser sur un bâtiment dans lequel les alertes se sont accumulées depuis
2017. Le nombre de courriers et notes successifs portés à la connaissance du ministère (sept
), d’audits
et mesures conservatoires réalisées par le Palais lui-
même avant que ne soient mises en œuvre des
opérations concrètes sous l’égide du ministère et de l’OPPIC peut interroger sur la réactivité des
pouvoirs publics concernant un sujet qui met pourtant en cause la sécurité du bâtiment, des personnes
et des
œuvres
–
ce sont trois années qui se sont écoulées entre le courrier de novembre 2018 et les
premiers audits commandités par l’OPPIC en octobre 2021.
Encore le Palais ne dispose-t-il toujours pas à ce jour des moyens de contrôler sa trajectoire
budgétaire dans les années à venir, compte tenu de son absence de visibilité sur la prise en charge de
ces travaux par le ministère et l’impact financier d’une fermet
ure sur son modèle économique global :
l’enjeu principal pour l’avenir consistera donc à accompagner la société budgétairement, en
travaillant sur un calendrier fiabilisé qui lui permette de communiquer avec ses partenaires, mécènes
et concessionnaires pour préparer une réouverture dans les meilleures conditions.
Au moment où la multiplication des incidents conduisait le Palais de Tokyo à alerter
l’
État, la
décision prise d’organiser
, puis de maintenir des expositions ambitieuses, malgré des conditions
d’accueil des œuvres parfois
non conformes aux normes de conservation contractuellement spécifiées
et conditionnant la validité des assurances, ont pu placer le Palais de Tokyo en situation de risque. En
particulier, l’état actuel des bâtiments ne permet p
as de garantir les conditions de conservation
préventive susceptibles d’être inscrites en conditions de prêt. L’hygrométrie du Palais, peu stable et
contrôlable, les fuites d’eau avérées, y compris dans des salles d’exposition où
étaient accrochées des
œuv
res, les chocs thermiques constatés, la porosité des lieux dans des moments de coactivité entre
expositions, privatisations voire livraisons aux concessionnaires, peuvent entraîner des conséquences
dommageables en termes de sécurité des publics et des œuvr
es.
Une telle exposition au risque n’est ni souhaitable ni acceptable du point de vue de l’
État
actionnaire qui pourrait avoir à endosser la responsabilité d’éventuels sinistres et à dédommager des
prêteurs. Cette situation implique une réflexion de fond,
tant à court terme, dans l’attente des travaux,
qu’à plus long terme à la réouverture, sur
les investissements immobiliers nécessaires pour garantir
la capacité du Palais de Tokyo à accueillir des œuvres dans un cadre conforme aux standards
internationaux, au moins dans certains espaces dédiés. Les études de programmation détaillées
devront permettre de préciser les besoins du Palais de Tokyo dans une perspective curatoriale, y
compris en identifiant des aménagements spécifiques permettant d’accueillir les œuvres de plus
grande valeur dans des conditions muséales.
Recommandation n° 8.
: Assurer une visibilité pluriannuelle sur la prise en charge des
travaux relatifs au site et les moyens alloués à la maintenance préventive à l’issue de ces
travaux (ministère de la Culture).
SASU PALAIS DE TOKYO
59
__________________________CONCLUSION INTERMÉDIAIRE________________________
Les enjeux de gestion font aujourd’hui l’objet d’un suivi attentif au sein de la direction
générale, avec des équipes qui ont très largement fait progresser la formalisation des processus et la
traçabilité des engagements au cours des dernières années, en travaillant étroitement avec le CGEFI
et le commissaire aux comptes.
Si la gestion financière globale de la SASU est satisfaisante, un manque de contrôle interne
et des défaillances chez les concessionnaires ont eu, en 2016 et en 2017, d
’importantes conséq
uences
ponctuelles sur ses comptes. Le nouveau plan d’action mis en place en matière
de contrôle interne
depuis gagnera à être consolidé, comme le plan achat qui doit encore couvrir une partie significative
de la dépense potentiellement concernée.
Compte
tenu d’un niveau étonnamment élevé de renouvellement des équipes, l
a mise en place
d’une stratégie RH apparaît indispensable, dès lors que l’héritage associatif plus informel et engagé
du Palais laisse place à une gestion professionnalisée des compétences.
Le sujet immobilier constitue aujourd’hui le cœur des réflexions sur l’engagement de l’
État
aux côtés du Palais dans les années à venir. La fermeture escomptée pour travaux pourrait constituer
l’occasion de redéfinir, 20 ans après sa création et 10 après
sa « réouverture », un projet stratégique
fondé sur une vision artistique. Surtout, la programmation des travaux devra prendre en
considération la nécessité pour le Palais de Tokyo de pouvoir accueillir des œuvres d’une valeur
importante dans des conditions conformes aux clauses assurantielles et aux normes de conservation
préventive.
SASU PALAIS DE TOKYO
60
CONCLUSION
Le Palais de Tokyo se trouve bien à la croisée des chemins. Projet artistique institutionnel
hybride et indissociable du bâtiment qui l’abrite et qu’il contribu
e à faire vivre, porté par une société
dont l’actionnaire unique agit de fait comme une tutelle, il a à la fois démontré sa capacité à faire
exister un modèle économique original, sa résilience sous la condition d’être aidé par l’
État en
fonctionnement, et son potentiel de réinvention au fil de présidences successives marquées par des
personnalités dynamiques et reconnues sur le plan international.
Deux zones de fragilité politique et financière, consubstantielles à son modèle et aux choix
effectués en 2011, demeurent toutefois :
-
d’une part, en tant qu’elle exploite un bâtiment à caractère historique, même s’il n’est pas
classé en tant que tel, et central dans la géographie muséale parisienne, même s’il ne
s’agit pas d’un musée
, la SASU
dépend fondamentalement d’arbitrages publics, évident
s
sur la question immobilière, qu’elle ne peut maîtriser
: ce sera donc au ministère de la
Culture de défendre sa vision de l’importance stratégique d’un tel lieu d’exposition et de
production de la scène française émergente ou confirmée ; et il doit le faire dans des
conditions d’exemplarité et de transparence suffisantes pour que son projet ne puisse être
remis en cause sous l’effet d’interrogations portant sur l’impartialité de sa gouvernance
;
-
d’autre
part, la question posée entre 2007 et 2009 de l’articulation avec le
Centre
Pompidou, qui pouvait alors espérer en faire un département ou une filiale, si elle semble
réglée juridiquement, se reposera peut-
être d’un point de vue plus global si
le Palais ne
parvient pas à s’inscrire de manière plus évidente au sein d’une constellation d’acteurs,
en affirmant sa spécificité tout en nouant des partenariats plus étroits. Que le principal
centre d’art contemporain français ne dispose à ce jour pas de
liens organiques,
conventionnels ou contractuels avec le principal musée public dédié à l’art contemporain
peut en effet paraître étonnant et, sans qu’il soit besoin de bouleverser le paysage
juridique désormais stabilisé, une réflexion sur les objectifs
qu’ils pourraient partager
gagnerait à être menée avec eux par le ministère.
SASU PALAIS DE TOKYO
61
Annexe n° 1.
Rappels historiques concernant le Palais de Tokyo
Construit à l’occasion de l’exposition internationale de 1937, c’est l’un des trois édifices de la colline de Chai
llot
avec le Palais de Chaillot (d’abord musée des Travaux publics, puis siège du Conseil économique et social) et le Musée
d’art moderne de la Ville de Paris. Il se nomme alors Palais de Tokio (sic) du nom du quai, actuelle avenue de New
-York.
Il est conçu dès le départ pour constituer un élément majeur du nouvel urbanisme parisien, au-delà de
l’exposition. Pourtant, le terrain est en pente, inondable, sur un sol instable. Il doit d’abord accueillir un seul musée, ce
lui
de l’État mais c’est finalement la ville de Paris, bailleur de fonds de l’exposition universelle et acquéreuse du terrain, qui
exige de pouvoir y construire aussi le sien, par une convention de 1934.
Louis Hautecoeur, conservateur du musée du Luxembourg (rassemblant alors les artistes français vivants, tandis
que le Jeu de Paume exposait les étrangers), en charge du projet, considérera qu’il s’agit d’une tâche, voire d’une tare,
indélébile : « le terra
in était bon pour un musée, qu’il fût municipal ou national, mais pas pour deux musées
». Le
programme final est donc élaboré en dépit de ses réticences.
Le concours de 1934 voit s’affronter 120 projets devant un jury de 57 membres. Il est remporté par Je
an-Claude
Dondel et André Aubert, jeunes lauréats associés à Paul Viard et Marcel Dastugue. La première pierre est posée en juillet
1935 et le projet ambitieux
: il s’agit des premiers musées conçus comme tels, plutôt que d’être logés dans d’anciens
palais désaffectés. Les façades ornées de bas-reliefs et le parvis sont marqués par la place accordée à la sculpture
–
Aristide
Maillol dira, avant même son achèvement, qu’il considère le double musée comme un chef d’œuvre.
Les travaux de fondations sont très lourds : des semelles de béton armé reposent sur 1800 pieux de 10 à 20 mètres
de profondeur, foncés par battage. Trois niveaux accueillent sur un vaste sous-sol deux services totalement indépendants,
Ville dans l’aile Est, État dans l’aile ouest. La nudité d
es espaces intérieurs, qui jouera un si grand rôle lors des multiples
travaux de réaménagement qui viseront essentiellement à lui restituer son caractère « brut », constitue un parti-pris
muséographique. La structure est de béton armé, le remplissage en briques, le revêtement en pierres (de Massangis, de
Comblanchien, d’Ecuelles)
; les sols en marbre, calcaire noble, linoléum pour les salles de peinture et de conservation.
Le musée de la Ville n’ouvrira finalement qu’en 1961 après de gros travaux complémentaires. Le musée de l’État
accueille pendant l’exposition internationale une grande rétrospective des «
Chefs d’œuvre de l’art français
» depuis le
Moyen Âge, à l’initiative de Léon Blum, avec 1300 œuvres venues de province, d’églises, d’institutions étran
gères. En
août 1942, Jean Cassou, ancien membre du cabinet de Jean Zay, époux de la sœur de Vladimir Jankélévitch et résistant,
qui aurait dû gérer le projet puisqu’il dirigeait le Musée d’art moderne est mis à la retraite d’office par le régime de Vich
y.
C’est donc Louis Hautecoeur, alors secrétaire général des Beaux
-Arts, qui reprend la main sur un musée qui ouvre
partiellement, inauguré par Abel Bonnard, ministre de l’Education nationale de Vichy, en présence d’officiers allemands,
juste après l’exposition d’Arno Breker à l’Orangerie, pour un accrochage d’artistes excluant les Français juifs et tous les
étrangers, sans aucune référence aux avant-gardes.
Parallèlement, les sous-sols des deux musées servent de magasin pour les biens sous séquestre spoliés aux Juifs
pendant l’occupation (en particulier ceux du
Sonderstab Musik
, le département chargé du pillage des biens culturels) : on
retrouvera dans l’aile Ouest, à la Libération, des milliers de pianos, parmi lesquels le Bechstein de Léon Blum, qui lui
sera restitué à son retour de déportation.
L’inauguration officielle a finalement lieu le 9 juin 1947. Georges Salles, directeur des Musées de France,
déclare : «
aujourd’hui cesse le divorce entre l’État et le génie
». Le conservateur en est Jean Cassou, qui va forger la
collection du Musée national d’art moderne, notamment autour de l’Ecole de Paris, du cubisme et de ses suites. Dès 1956,
naît une polémique sur l’état du musée
: une verrière s’écroule dans une salle consacrée à Le Corbusier.
En 1967, est c
réé un centre national d’art contemporain, rue Berryer, chargé d’exposer les artistes vivants. Tokyo
est censé n’exposer que les artistes disparus mais conserve les collections –
en fait, des exceptions sont aussi faites pour
les expositions d’artistes con
sacrés. Le Palais de Tokyo accueille quatre biennales de Paris entre 1969 et 1977. Mais le
Musée national d’art moderne ferme ses portes en septembre 1976, au moment du transfert de ses collections au Centre
Pompidou.
SASU PALAIS DE TOKYO
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De 1978 à 1986, un Musée d’art et d’es
sai abrite des collections hétéroclites (deuxième moitié du 19
ème
siècle en
attendant le musée d’Orsay, Picasso en attendant le musée Picasso, divers donateurs en attente de transfert au centre
Pompidou) et accueille des expositions temporaires et thématiques, souvent réalisées avec le Louvre.
En 1984, le Centre national de la photographie (CNP) fondé par Robert Delpire s’installe au Palais de Tokyo où
il organisera 150 expositions. À
partir de 1986, le ministère envisage de créer un Palais de l’image qui r
éunirait la FEMIS
et la Cinémathèque française auprès du CNP, de la mission du patrimoine photographique et du centre Simone de
Beauvoir. L’AMIS, association de préfiguration pour l’aménagement du Palais en maison de l’image et du son, est créée
en 1990 et une mission confiée pour un projet de Palais du cinéma à Franck Hammoutène.
Dès 1993, le projet évolue
: le CNP s’installe à l’hôtel Salomon de Rothschild, la mission du patrimoine
photographique part à l’hôtel de Sully. Le Fonds national d’art contempor
ain hébergé jusque-là déménage aussi, et le
projet se recentre alors autour du cinéma sous la direction de Dominique Païni, avec le cabinet Architecture Action qui
développe un concept novateur et prometteur autour d’un «
sol d’information
» et de la mythique « salle de cinéma 37 »
qui vient d’être redécouverte. Mais la FEMIS quitte aussi les lieux en 1995 et, malgré des travaux de gros œuvre entamés
à la même époque pour un hypothétique musée du Cinéma, le projet est finalement abandonné définitivement en 1998
quand la Cinémathèque s’installe à Bercy dans les locaux de l’
American Center
.
En 1999, Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la communication, lance un concours pour aménager
un site dédié à la création contemporaine. Remporté par les architectes Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton, il donne
lieu à deux ans de travail de réhabilitation avant l’ouverture en 2002. L’object
if est alors très clair : intervenir
a minima
(avec un budget de 3 millions d’euros) pour rendre le lieu utilisable et ouvert au public, d’une manière même provisoire
et ponctuelle dans l’attente de travaux plus complets. Les architectes mettent à nu la st
ructure de béton du bâtiment et
prennent pour référence la place Jamâa el-
Fna de Marrakech et l’Alexanderplatz de Berlin, espaces de circulation marqués
par leur capacité d’usage plus que par leur architecture. Il reviendra à chaque exposition de «
créer ses murs
», l’idée étant
seulement de stabiliser le lieu pour mettre à jour son potentiel.
Cette installation conçue comme éphémère ouvre en janvier 2002 sous la direction de Nicolas Bourriaud et
Jérôme Sans, critiques et curateurs, jusqu’en 2006, puis de M
arc-
Olivier Wahler de 2006 à 2011. L’association du Palais
de Tokyo qui gère alors le lieu est présidée par le critique d’art Pierre Restany jusqu’en 2003, puis par Maurice Lévy
jusqu’en 2007 et Pierre Cornette de Saint
-Cyr en 2011.
Promis par Jacques Chirac en 2007, un projet « Pompidou Alma
» porté par le centre Pompidou d’Alain Seban
envisage d’utiliser les près de 10
000 m
2
du sous-sol pour y exposer des artistes en milieu de carrière
–
chantier estimé à
40 millions d’euros et piloté par Catherine Gren
ier, conservatrice de Beaubourg. Côté Palais de Tokyo, Marc-Olivier
Wahler et Mark Alizart, son adjoint, souhaitent défendre la spécificité du site de création contemporaine et dénoncent des
pertes financières liées au loyer
qu’ils versent désormais au Cen
tre Pompidou, devenu affectataire du bâtiment en février
2007.
Une mission de réflexion sur le devenir du site de création contemporaine est confiée à Olivier Kaeppelin,
délégué aux arts plastiques. Elle aboutit à un arbitrage rendu en mai 2009 par le président de la République Nicolas
Sarkozy et la ministre de la Culture Christine Albanel : il est mis fin à la dotation du Palais au Centre Pompidou, au profit
d’une nouvelle structure. L’association doit être transformée en société par actions simplifiée un
ipersonnelle et une
institution autonome aux ambitions programmatiques fortes doit être créée sous la houlette d’Olivier Kaeppelin,
désormais responsable de la préfiguration de cette nouvelle société et de la deuxième phase des travaux de rénovation du
Palais, qui se déroule entre 2011 et 2012, toujours pilotés par Lacaton et Vassal, cette fois chargés de réhabiliter
l’intégralité des 22
000 m2 du lieu, dont un tiers seulement était jusque-là exploités.
Après la démission d’Olivier Kaeppelin, Frédéric Mitt
errand nomme au mois de juin 2011 Jean de Loisy qui,
après avoir été directeur de FRAC, inspecteur de la création et conservateur au Centre Pompidou et à la Fondation Cartier,
est devenu commissaire indépendant d’expositions remarquées telles que «
La beauté » en Avignon, « Traces du sacré »
au Centre Pompidou ou « Anish Kapoor Monumenta 2011 » au Grand Palais. Il pilote la réouverture des lieux, agrandis
de près de 16 000 m2, pour un budget de 20
millions d’euros de travaux, en avril 2012 et préside la nou
velle SASU
jusqu’en 2019, avec Julie Narbey à la direction générale déléguée, puis Christopher Miles à compter de 2017.
En 2019, Emma Lavigne lui succède après neuf mois de vacance de poste avant de démissionner en septembre
2021 pour devenir directrice générale de Pinault Collection. Marianne Berger-Laleix, directrice générale déléguée depuis
le mois d’avril 2021, assure l’intérim de la présidence jusqu’à l’arrivée de Guillaume Désanges à la présidence en janvier
2022.
Sources : diverses, dont Magazine du Palais de Tokyo consacré à son histoire