Sort by *
CÉRÉMONIE DES VŒUX
À LA PRESSE
Mercredi 18 janvier 2023, 9h00
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Bonjour et merci à toutes et tous de votre présence aujourd’hui pour les vœux de la
Cour des comptes à la presse.
Je me réjouis de vous voir si nombreux et j’adresse à
chacune et à chacun d’entre vous,
ainsi qu’à toutes les personnes qui vous sont chères, mes
meilleurs vœux.
C’est la première fois je crois que la Cour des comptes organise cet exercice,
que je
juge important et utile
pour vous donner quelques rendez-vous importants prévus cette
année, partager avec vous les ambitions de la Cour des comptes en 2023, et pour vous
donner mon sentiment sur la situation des finances publiques à l’orée d’une no
uvelle année.
L’année 2023 sera une année difficile mais une année de choix stratégiques pour la France
et les juridictions financières répondront présentes pour les accompagner.
***
1.
Tout d’abord, je me permets de vous indiquer quelques dates de publica
tion
importantes.
En premier lieu, la Cour des comptes publiera son rapport public annuel thématique
mi-mars sur la décentralisation,
faisant le bilan de 40 ans de ces politiques publiques.
Après la gestion de la crise COVID l’an passé, c’est la deuxième
année que la Cour
s’attache à proposer un tour d’horizon, de manière approfondie, pour donner un éclairage
complet sur un sujet défini et unique.
Je crois que cette manière de procéder permet de renforcer notre impact et de donner
une ligne directrice claire à nos travaux.
L’année 2022 fut très occupée par ces travaux
sur la décentralisation et de même 2023 sera placée sous le signe de l’adaptation à la
transition environnementale, en vue du rapport public annuel de 2024. Nous sommes en
effet très volont
aires pour investir le champ majeur et crucial de l’investissement dans la
transition environnemental, notamment par le biais de l’adaptation et non seulement de
l’atténuation, c’est
-à-dire la prise en compte du réchauffement climatique par les politiques
publiques.
Nous avons très clairement identifié que les deux volets sont maintenant indispensables et la
Cour se sent particulièrement légitime pour chiffrer et analyser les besoins en la matière.
Pour exemple, nous allons très prochainement remettre au Sénat un rapport sur
l’adaptation au changement climatique des réacteurs nucléaires
et nous publierons en
2023 un rapport sur
la politique de gestion quantitative de l'eau dans le contexte de
changement climatique
.
2
Ensuite, 2023 sera une année très particulière pour nos travaux sur les finances
publiques.
A cet égard, le printemps sera dédié à cela avec les publications des lois
d’exécution financière. En effet, tous nos rapports annuels sur les finances publiques seront
présentés : selon la LOLF modifiée
en 2021, le rapport sur l’exécution du budget de l’
État et
l’acte de certification seront publiés en même temps que la loi de règlement donc
normalement au plus tard au 30 avril. Ensuite, toujours selon la LOLF, le rapport sur la
situation et les perspectives des finances publiques sera publié au plus tard au 30 juin. Pour
sa part, le rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale sera publié en même temps
que le projet de la nouvelle loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, qui n’exi
stait
pas avant et qui s’inscrit dans un calendrier renouvelé depuis la loi organique du 14 mars
2022.
Je suis très satisfait de ce nouveau calendrier resserré qui va permettre à la Cour des
comptes de s’inscrire et d’alimenter encore davantage le «
prin
temps de l’évaluation
»
parlementaire et de participer à faire des lois d’exécution budgétaire des moments collectifs
d’analyse et de revue des dépenses.
En parallèle, je tiens à vous annoncer que le Haut Conseil des Finances Publiques,
institution associée de la Cour des comptes que je préside également, fêtera ses 10
ans en 2023 :
nous organiserons une grande conférence le 11 mai 2023 sur la définition de
finances publiques durables et soutenables avec toutes les parties prenantes. A plus court
terme, le Haut Conseil des finances Publiques publiera le 23 janvier
son avis sur le projet
de loi de financement rectificative de sécurité sociale, introduisant la réforme des
retraites
. Sa publication fera l’objet d’une communication complète et précise, sur une
réforme de la plus grande sensibilité et qui est très importante pour chacune et chacun de
nos concitoyens.
Par ailleurs, en 2023, seront publiés les premiers rapports d’initiative citoyenne.
Comme vous le savez peut-être, la Cour des comptes a lancé une plateforme de
consultation citoyenne pour alimenter sa programmation. Elle a rencontré un franc succès et
nous avons retenu
six sujets d’enquête
plébiscités par les citoyens, un par chambre
thématique. Ils seront publiés au fil de l’année, dont celui sur
le
plan égalité
femmes/homme
, « grande cause nationale » du précédent quinquennat, sur
les soutiens
publics aux fédérations des chasseurs
et le
recours au cabinet de conseils privés au
sein de l’administration publique
.
Enfin, comme chaque année
,
la Cour ne manquera pas de proposer des analyses et
recommandations pour éclairer la décision publique et nourrir le débat.
Prochainement,
seront publiés plusieurs rapports d’actualité sur les
moyens de la police judiciaire
, sur le
maillage aéroportuaire
, sur
les soins de premier recours
, sur
la gestion publique des
risques
. À
la
demande
de
l’Assemblée
Nationale,
nous
analyserons
également
l’organisation des soins palliatifs
en France. En 2023, nous analyserons bien évidemment
aussi
le bilan des mesures prises pour
limiter les prix de l’énergie,
travail
particulièrement nécessaire. En 2023, nous ferons aussi le bilan de la
réforme de la
formation professionnelle du secteur privé
. Grande première également, la Cour
transmettra au Gouvernement et au Parlement un
rapport sur la générosité publique
, pour
éclairer ce que fait la Cour dans le domaine de la philanthropie. A l’automne, la Cour publiera
également un rapport très attendu sur
la délivrance des permis de construire
et une
analyse complète sur la coopération euro
péenne en matière d’armement. Enfin, nous
regarderons d’ici l’été plus précisément le cadrage budgétaire et financier des jeux
Olympiques et Paralympiques de 2024.
3
2.
Ensuite, comme vous le savez, la Cour des comptes met en œuvre un grand
projet de transformation à horizon 2025, JF2025, pour renforcer son action
En 2022, nous avons montré notre détermination et nous nous sommes rapprochés
des citoyens.
*
Les juridictions financières ont publié des rapports nombreux, que je crois de très
grande qualité
: 109 rapports publiés par la Cour, dans des formats variés et adaptés, dont
des audits flash et des évaluations des politiques publiques, qui montent en puissance à la
Cour. Nous avons été au rendez-
vous de l’analyse de la crise Covid, avec le rapport publi
c
annuel 2022 mais aussi plus récemment avec nos rapports sur la campagne de vaccination
ou les dotations exceptionnelles à Santé Publique France.
Il était très important que la Cour
des comptes fasse le tour de la gestion de la crise sanitaire, alors que la désinformation a
proliféré ces dernières années sur ce sujet. La Cour bénéficie de la confiance des citoyens et
elle doit l’honorer.
En 2022
,
la Cour
s’est justement rapprochée des citoyens
.
C’est à mes yeux un
accomplissement essentiel. Nous étions à équidistance du Parlement et du Gouvernement ;
nous avons remis l’information du citoyen au centre de cette équation. Nous en verrons les
fruits -
les premiers rapports d’initiative citoyenne
-, en 2023, et il faudra ancrer cette pratique
dans notre culture, dans notre programmation, tout en conservant notre indépendance dans
le choix des sujets.
La plateforme de signalement que nous avons créée a aussi rencontré son public
. En
trois mois, la Cour des comptes a déjà reçu plus de 370 signalements ! Ce nombre est
éloquent : il révèle une véritable demande de renforcement du contrôle de régularité mais
aussi une inquiétude légitime sur l’emploi des fonds publics.
En 2023, la Cour des comptes mettra en œuvre deux transformations majeures de ses
pratiques
. Nous allons publier et juger autrement. Ces deux changements majeurs en 2023
auront des impacts de très longue durée.
À partir du 1
er
janvier 2023 et pour la première fois dans son histoire, le juge financier
français connaîtra de la responsabilité de l’ensemble des gestionnaires publics, qu’ils
soient ordonnateurs ou comptables
.
Avec cette réforme,
c’est notre métier de juge, enfin unifié, qui a été confirmé, renforcé et
nettement amélioré ! Ce nouveau régime est une avancée car il est plus lisible pour les
citoyens, plus respectueux des droits des justiciables et plus effectif dans ses poursuites et
dans ses sanctions.
Je suis très heureux que cette réforme ait pu voir le jour sous mon mandat
. Cette
réforme est intervenue dans un contexte porteur :
les ambitions « JF2025 » ont rencontré les
objectifs du Gouvernement pour accroître les marges de manœuvre des gestionnaires, tout
en préservant
et vous savez que je me suis battu pour cela
les garanties d’indépendance
nécessaires à une justice financière
équilibrée, entre l’action du juge pénal et la
responsabilité managériale.
Pour faire vivre ce régime, nous avons collectivement mis en œuvre les changements
d’organisation et les modifications de l’ordre juridique nécessaires.
La chambre du
4
contentieux est installée, avec une parité de magistrats de la Cour et de CRC
je le rappelle
parce que c’est une grande première, une innovation qui coïncide avec les 40 ans des CRC
et dont nous pourrons
j’en suis convaincu –
tirer de nombreux bénéfices !
Notre objectif pour 2023 est de créer une dynamique fluide et efficace pour les justiciables
comme pour les contribuables !
Deuxième changement majeur : depuis le 1
er
janvier 2023, la Cour publie l’intégralité
de ses rapports : c’était un engagement ambitieux
mais nécessaire pour répondre à la
demande de transparence de nos concitoyens.
Nous serons d’autant plus en phase avec
le temps du débat et de la décision.
Cette transformation, éminemment structurante et durable, vient réaffirmer
notre rôle
démocratique,
notre statut institutionnel, notre raison d’être inscrite dans la déclaration des
droits de l’homme et du citoyen.
Par ailleurs, de nombreuses ambitions sont également à l’œuvre pour produire nos
rapports plus rapidement ou pour devenir un acteur leader
de l’évaluation des
politiques publiques
. En ce sens, 2023 sera riche en évaluations des politiques publiques,
avec par exemple un travail très intéressant
et dont les premières conclusions sont assez
inattendues - sur
les politiques publiques en faveur
du développement de l’intelligence
artificielle
. 12% de nos ressources seront consacrées en 2023 à l’évaluation des politiques
publiques, contre 4-5% en 2020, 7% en 2022 et avec 20% en ligne de mire à horizon 2025 :
nous tenons le rythme.
*
3. Troisième point : en 2023, la Cour sera plus que jamais vigilante en matière de
finances publiques, alors que les niveaux de dette et de déficit sont très élevés et que
le contexte de financement de la dette s’est dégradé.
Après une année 2022 marquée par un net
ralentissement de l’activité économique, en
lien avec le choc sur les prix de l’énergie et les conséquences de la guerre en Ukraine,
les perspectives pour 2023 sont encore plus dégradées avec une prévision de
croissance de 1 % au PLF, au demeurant encore supérieure au consensus des
économistes, même si tous les indicateurs évalués ne sont pas aussi négatifs
qu’anticipé
. Compte tenu des mesures visant à atténuer les effets du prix élevés de
l’énergie sur les ménages et les entreprises, le déficit public s’él
èverait selon les prévisions
gouvernementales à 5 points de PIB en 2022 comme en 2023. La dette publique atteindrait
111,2 points de PIB, soit 14 points de plus qu’avant
-
crise (700 Md€ de plus).
Ainsi, le solde structurel se dégraderait de 1,4 point de PIB en 2023 par rapport à 2019.
Nous sommes entrés dans la crise avec des niveaux élevés de déficit structurel et de dette,
et les mesures mises en œuvre pendant la crise n’ont fait que détériorer cette situation.
L’année 2022 n’a en effet pas été l’année
de sortie du quoi qu’il en coûte
: les dépenses
exceptionnelles de soutien face aux crises sanitaire et énergétique, dont les boucliers
tarifaires, la remise à la pompe et d’autres dispositifs plus spécifiques, environ 22,4 Md€ en
2022 et 18,7 Md€ en 2023, ont tous été portées par l’Etat. Au
-
delà des effets de l’inflation et
des dépenses exceptionnelles de crise, la dépense publique continue à croître d’environ
3,3% en 2022 et continuerait d’environ 0,8% en 2023. Par ail
leurs, des risques pèseront sur
l’évolution des dépenses en 2023, notamment en fonction de l’évolution des prix de l’énergie.
5
En parallèle, les conditions de financement des pays fortement endettés se sont
dégradées en 2022.
Les pressions inflationnistes et le resserrement de la politique
monétaire mis en œuvre pour y faire face ont contribué à faire augmenter sensiblement les
taux d’intérêt sur la dette française, comme ceux de nos partenaires européens. Le taux à 10
ans a ainsi augmenté de près de 250 po
ints de base depuis le début de l’année 2022.
Alors que la France fait partie des pays de la zone euro dont la situation des finances
publiques est la plus dégradée derrière l’Italie et la Belgique, et que la Commission
européenne juge les risques élevés sur la soutenabilité de la dette française à moyen
terme, nos rapports sur les finances publiques seront particulièrement attendus et
importants en 2023 pour nos concitoyens.
Cette situation dégradée, je ne vous le cache pas, me préoccupe au plus haut point.
Un pays endetté à l’excès ne dispose pas des marges de manœuvre suffisantes pour
préparer son avenir. Au contraire il grève celui des générations futures. Par ailleurs, la
divergence entre les pays de la zone Euro est un facteur de risque pour la cohésion
européenne.
Notre rôle de vigie en matière de finances publiques me paraît plus que jamais
essentiel,
notamment dans un contexte où la configuration du Parlement est plus complexe
qu’à l’accoutumée sous la Ve République. La Cour des comptes continu
era à proposer une
stratégie viable de finances publiques qui combine redressement résolu des finances
publiques et préservation du potentiel de croissance à moyen terme, conformément aux
deux objectifs que se donne la réforme attendue de la gouvernance macroéconomique
européenne.
Réduire sensiblement les déficits et mettre la dette publique sur une trajectoire
descendante, tout en préservant le potentiel de croissance, sont les trois objectifs
posés à l’horizon de la trajectoire pluriannuelle 2023
-2027.
Toute stratégie nationale devra s’intégrer à un cadre européen rénové.
L’aboutissement
rapide de la réforme de la gouvernance européenne en 2023 de cette réforme est crucial
pour qu’elle puisse s’appliquer une fois la clause de sauvegarde levée, ce qui e
st prévu à ce
stade au 1er janvier 2024.
La trajectoire présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation
des finances publiques apparaît, à ce titre, encore trop peu ambitieuse
, avec un déficit
public qui ne passerait sous les 3 point
s de PIB qu’en 2027 et avec une dette qui en 2027
serait quasiment au même niveau qu’en 2022. De plus, les hypothèses sous
-jacentes à cette
trajectoire sont, prises dans leur ensemble, trop optimistes tandis que l’effort de maîtrise
inédit de la dépense publique affiché est peu documenté.
Toutefois, et je le redis très clairement devant vous, malgré ces analyses, je rappelle la
nécessité
à mes yeux incontournable -
, de disposer d’une telle loi pour respecter nos
engagements européens et crédibiliser les objectifs de finances publiques à moyen terme.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire
: la mise en place de revues annuelles apparaît plus
que nécessaire à la Cour pour garantir l’atteinte de la trajectoire pluriannuelle
ambitieuse de dépenses publiques.
Il
sera essentiel à l’avenir de faire preuve de
sélectivité dans les dépenses comme dans les baisses discrétionnaires de prélèvements
obligatoires, d’engager des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir
durablement le rythme de la dépense, sans repousser les efforts à la fin de la période de
programmation, et faire du renforcement de son efficience une priorité de premier rang.
6
Je me réjouis que l’ambition de conduire des revues de dépenses annuelles ait été
annoncée par le ministre de
l’
É
conomie et des Finances, à qui j’ai dit la disponibilité
de la Cour et la mienne pour y participer activement.
Cela étant dit, soyons conscients
qu’un calendrier, un périmètre, une méthode et des objectifs explicites seront nécessaires
pour mettre en œu
vre cet outil de pilotage des dépenses. En effet, les expériences passées
(RGPP, MAP, AP2022), dont la capacité à identifier et mettre en œuvre des montants
conséquents d’économies s’est révélée limitée, montrent que la réussite réside dans une
volonté politique forte et une adhésion collective de tous les acteurs de la dépense publique.
Ainsi, en 2023, nous poursuivrons avec la même exigence ce double impératif d’objectivité et
d’inventivité pour rendre nos finances publiques plus fortes et plus durables.
*
Je ne serai pas plus long pour répondre à toutes vos questions sur la programmation
ou nos ambitions en 2023.
A vous la parole !