La participation de la France aux corps
militaires européens permanents
_____________________
PRESENTATION
____________________
Purement nationale il y a encore cinquante ans, la défense des
pays européens a suivi, avec bien des hésitations et des retards, les
progrès de la construction européenne. Alors que la France privilégie
désormais le cadre multilatéral pour ses engagements militaires
extérieurs autrement qu’au sein d’une force internationale, les sept corps
militaires européens dont elle fait partie, et qui ont tous été largement
créés à son initiative, apparaissent comme une accumulation d’unités
assez disparates, peu maniables et sous-utilisées.
Les corps militaires européens dont la France fait partie ont été
contrôlés par la Cour en 1996, puis en 2003 ; ce dernier contrôle a donné
lieu à un référé au ministre de la défense en date du 18 juin 2004.
Les observations de la Cour formulées à cette occasion portaient
sur trois points :
−
les contentieux financiers qui paralysaient, pour les plus
importants de ces corps, la mise en place de statuts juridiques
adaptés ;
−
la rationalisation de leur organisation, et, dans le cadre d’une
réflexion à moyen terme, le réexamen de l’architecture
d’ensemble de ces corps ;
−
l’utilisation de ces unités dans le cadre des opérations
extérieures auxquelles participent les nations européennes.
364
COUR DES COMPTES
Il a paru à la Cour utile de revenir sur ces corps européens qui
mobilisent des moyens non négligeables
127
. Il lui apparaît que sur les trois
points précédents les évolutions constatées depuis trois ans confirment
assez largement ces constatations.
La France participe à sept corps militaires européens de nature et
d’importance variables.
Le plus ancien, qui est aussi le plus structuré, est la brigade franco-
allemande. Prévue par le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963, elle n’a été
créée qu’en 1989. Elle rassemble plus de 5 000 hommes en trois garnisons
toutes situées en territoire allemand.
Le Corps Européen de Défense, dit aussi Eurocorps, est un état-major
d’environ 1 000 personnes qui siège à Strasbourg. Créé en 1992, il comprend
la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg. Seule la
brigade franco-allemande lui est directement subordonnée, les autres unités
restant, en temps de paix, sous commandement national ; le total peut
atteindre 60 000 hommes,.
L’Eurofor est un état-major d’une centaine de personnes, situé à
Florence ; il réunit la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal ; créé en 1995,
il ne détient pas d’unités organiques et assure la coordination d’exercices.
Les forces maritimes ne comportent aucune structure permanente ;
elles se composent de deux entités : la Force navale franco-Allemande créée
en 1991, initialement prévue pour des activités d’entraînement et de
formation, elle peut aussi exécuter des missions opérationnelles, et
l’Euromarfor, équivalent naval de l’Eurofor et datant, comme elle, de 1995.
L’Euromarfor est activée deux ou trois fois par an pour participer à des
exercices.
Les forces aériennes étaient encore au moment du précédent contrôle
de la Cour effectué en 2003 encore embryonnaires : elles se composent du
Groupe Aérien Européen, créé en 1994 par la France et la Grande-Bretagne,
auxquels se sont joints l’Allemagne, l’Italie l’Espagne les Pays-Bas et la
Belgique. Groupe de réflexion chargé d’améliorer les capacités des Etats
participants à travailler en commun, il se limite à un état-major d’une
vingtaine de personnes, basé à High-Wycombe, prés de Londres ; il est à
l’origine, en 2001, de la Cellule de Coordination du Transport Aérien, situé à
Eindhoven aux Pays-Bas, devenu en juillet 2004 Centre Européen de
Transport Aérien. Après des débuts difficiles, ce groupe de 25 officiers gère
désormais les missions et coordonne les échanges d’une réserve théorique de
plus de 250 appareils de transport.
127) Le ministère de la défense avait état pour 2001 auprès de la Cour d’un coût pour
la France des unités multinationales de l’armée de terre de 123 millions d’euros.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
365
I
-
Des contentieux accessoires source de blocages
Des contentieux financiers ont, pendant de nombreuses années,
bloqué la mise en oeuvre de dispositifs juridiques nécessaires au bon
fonctionnement de certains de ces corps.
A) S’agissant du Corps européen de défense, le projet de traité de
Strasbourg, dont les bases avaient été fixées dans le rapport de la
Rochelle du 22 mai 1992 par le conseil franco allemand, avait les
objectifs suivants :
−
conférer au quartier général une personnalité juridique lui
permettant de bénéficier d’une autonomie administrative source
de plus d’efficacité et de rapidité de fonctionnement ;
−
donner un statut uniforme pour les personnels des États
membres ;
−
donner la responsabilité de la gestion financière du budget
globalisé au général commandant le Corps européen, sous le
contrôle d’un collège de commissaires aux comptes.
Ces dispositions mettaient un terme à la prépondérance de la
France dans son rôle de Nation hôte en matière d’exécution de la dépense
et à l’application du droit fiscal français comme aux dérogations
éventuellement consenties dans ce cadre.
Ainsi la France avait accordé aux personnels non français du Corps
européen une défiscalisation partielle des biens de consommation acquis à
titre individuel. Ces privilèges fiscaux individuels prenaient fin à l’entrée
en vigueur du traité. En revanche, la totalité des dépenses de
fonctionnement et d’investissement effectués au profit du quartier général
serait pour l’avenir détaxée et, en particulier, non soumise à la TVA.
Ce dernier sujet a longtemps bloqué la signature du projet de traité.
Les partenaires de la France subordonnaient en effet leur signature au
remboursement rétroactif, à partir de 1992
,
par la France, de la TVA
acquittée sur les investissements du quartier général.
La France a accepté ce principe dès l’ouverture des négociations
mais les discussions ont été très longues pour fixer le montant des
dépenses en cause et elles ont retardé la signature du traité qui n’est
intervenue que le 22 novembre 2004 par les partenaires (France,
Allemagne, Belgique, Espagne, Luxembourg). La loi française autorisant
la ratification est intervenue le 5 mars 2007, la ratification allemande est
imminente, celle de la Belgique risque de tarder du fait des difficultés
politiques actuelles de ce pays.
366
COUR DES COMPTES
Le montant de la somme à rembourser par la France pour la
période 1992-2004 a été fixé à 5 288 849 € selon l’échéancier suivant :
2004
865 861
2005
2 115 540
2006
2 307 448
Sur le plan interne français un arbitrage du 28 avril 2003 du
Premier ministre a stipulé que ces sommes devaient être prises en charge
par le budget du ministre de la défense, mais qu’à partir de la signature du
traité (2004) le remboursement « serait assuré par le ministère des
finances à partir du budget des charges communes de l’État ».
B) S’agissant de la brigade franco-allemande, cette dernière était
régie par un arrangement administratif signé le 2 novembre 1989, qui ne
correspondait plus à la réalité du fonctionnement du corps s’agissant
notamment de son articulation avec le corps européen, de son inscription
dans les actions aussi bien de l’Union européenne que de l’OTAN, de
l’application du droit de la nation hôte, l’Allemagne, de la répartition des
charges et de l’uniformisation des matériels.
Un projet de révision lancé depuis une douzaine d’années
établissait des principes mieux adaptés :
−
subordination opérationnelle au Corps européen ;
−
vocation d’intervention pour des missions Union Européenne
ou OTAN ;
−
application du droit de la notion hôte (donc le droit allemand
sauf pour le droit pénal et la gestion des personnels) ;
−
répartition équilibrée des charges ;
−
uniformisation et standardisation des matériels.
Mais du fait de contentieux financiers persistants, le projet de
révision n’a pu aboutir que le 26 octobre 2004.
- Le premier de ces contentieux portait également sur une question
de TVA. Il s’agissait cette fois du remboursement par l’Allemagne à la
France de la TVA indûment payée par cette dernière de 1991 à 1998
inclus soit 1,6 M€. L’Allemagne n’en contestait pas le principe mais
faisait valoir que la France devait de son côté payer sa part des coûts
annexes
de
construction
(maîtrise
d’ouvrage,
de
planification,
d’architecture, d’ingénierie et d’expertise des sols et matériaux) dont le
coût s’élevait à 2 M€ de 1991 à 1998 inclus.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
367
Un accord est finalement intervenu sur ces deux points et la France
a versé le 17 juillet 2005, 0,4 M€ à l’Allemagne.
Toutefois pour la période postérieure à 1999, le montant des coûts
annexes de construction fait encore l’objet de discussions techniques.
- Le second contentieux portait sur le règlement du coût des
personnels civils. Il résultait de différences de structure entre armées
française et allemande. En France, les personnels de soutien sont intégrés
dans les régiments alors que dans l’armée allemande ils sont placés dans
des structures administratives extérieures. L’Allemagne estimait de ce fait
que le mode de calcul appliqué mettait à sa charge des dépenses ne lui
revenant pas. En définitive, un accord est intervenu en janvier 2004 et,
pour la période 1996-2002, la somme due par la partie française a été
fixée à 3,5 M€. L’évaluation 2003 est en cours.
La nouvelle rédaction de l’arrangement signée en 2004, plus
précise, élimine pour l’avenir ces deux sources de contentieux.
C) Pour ce qui concerne l’Eurofor, basée à Florence, la Cour avait
relevé
plusieurs
anomalies,
entraînant
une
insécurité
juridique
permanente pour nos militaires et leurs familles ; les plus sérieuses étaient
l’impossibilité d’obtenir un permis de séjour en Italie pour les familles
des militaires non italiens ou une plaque d’immatriculation pour les
véhicules personnels de ces militaires. Or, malgré la ratification du statut
juridique de l’Eurofor, le 9 septembre 2003, qui aurait dû normalement
résoudre ces problèmes, la situation n’a pas évolué, en partie en raison de
l’inertie de la représentation diplomatique française.
II
-
Quelques progrès dans la gestion d’un
ensemble toujours disparate
La Cour a relevé quelques progrès dans les modalités de gestion de
ces
corps mais
constaté
le
défaut
persistant d’une
articulation
d’ensemble.
A - Quelques progrès dans la gestion des corps
Des progrès ont été relevés par la Cour s’agissant du statut des
forces européennes et des structures de commandement de la brigade
franco-allemande.
368
COUR DES COMPTES
Les corps militaires internationaux européens, à la différence des
corps de l’OTAN, sont toujours dépourvus d’un statut international unifié
(accord de siège, droit des personnes, situation fiscale) ; un accord relatif
au statut des forces dans le cadre de l’Union européenne (SOFA-UE) est
certes en cours de ratification, mais il ne concerne que les forces
engagées, en mission ou en exercice
128
, et ne prévoit rien pour le temps de
paix, situation pourtant la plus ordinaire de ces corps, comme on le verra.
La brigade franco-allemande, quant à elle, dépend toujours de cinq
autorités différentes : deux du côté français, le Commandement de la
Force d’Action Terrestre (CFAT) de Lille au plan opérationnel, et la
Région Terre Nord-Est de Metz pour le soutien organique ; deux du côté
allemand, le corps d’armée de Coblence au plan opérationnel et le WBK4
de Munich pour le soutien ; enfin l’ensemble dépend sur le plan
opérationnel et l’entraînement de l’Eurocorps de Strasbourg. Les
recommandations de la Cour ont cependant été suivies sur deux points :
•
du côté français la brigade dépendait, lors du contrôle antérieur
de la Cour, au plan opérationnel d’un corps d’armée, le CFAT, et du côté
allemand d’une simple division, celle de Sigmaringen ; cette différence de
niveau hiérarchique suffisait à rendre tout dialogue direct impossible
entre les deux autorités militaires ; le rattachement de la brigade au corps
d’armée de Coblence, en décembre 2006, comme le recommandait la
Cour, a permis de résoudre le problème ;
•
bien que la brigade soit subordonnée au plan opérationnel à
l’état-major de l’Eurocorps de Strasbourg, ce lien était purement
théorique, et elle n’en recevait, au moment du contrôle antérieur de la
Cour, aucune instruction, notamment en matière d’entraînement ; il a été
indiqué qu’il avait été remédié à cette situation.
B - La question de l’articulation des différents corps
européens
Le ministère des affaires étrangères, comme celui de la défense,
s’étaient dits, dans leurs réponses au référé de la Cour, convaincus de la
nécessité d’une réflexion d’ensemble sur la rationalisation et la cohérence
de ces corps. Le ministère de la défense avait cependant souligné les
obstacles s’opposant à une évolution rapide : la lourdeur des structures
128) Les missions visées sont celles de l’article 17 paragraphe 2 du traité sur l’Union
européenne : « les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de
la paix et les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les
missions de rétablissement de la paix ».
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
369
organiques
issues
du
concept
de « groupe
de
nations-cadres
129
»,
l’absence de réel statut international de ces forces, le niveau
d’implication, très différent d’un pays à l’autre des ministères concernés,
enfin l’insuffisante coordination entre les Etats-membres responsables ; il
concluait, comme le ministère des affaires étrangères, que la réflexion
s’inscrivait désormais dans le cadre de l’adaptation de ces forces aux
développements récents de la politique européenne de sécurité et de
défense (PESD), et donc dans la durée.
La Cour ne peut cependant que continuer à relever le manque
d’articulation de ces corps d’ambitions et de dimensions variables,
investis de missions souvent connexes mais exercées de façon
fréquemment indépendante. Au-delà de cette constatation qui résulte des
développements
qui
précèdent,
se
posent
aussi
des
questions
d’architecture ou de fonctionnement propres à chacun de ces corps.
La brigade franco-allemande est une unité binationale subordonnée
à un état-major composé en grande partie de nations qui n’y participent
pas.
L’Eurocorps est largement paralysé par son statut de nation-cadre
multiple, où chaque État membre participe, à égalité, à chaque décision, à
la différence de la nation-cadre unique sur le modèle britannique ou sur
celui de la force de réaction rapide de Lille, où la nation hôte prend en
charge la plupart des décisions.
S’agissant de l’Eurofor et de son adaptation aux évolutions de la
PESD, une tentative d’implication dans les groupements tactiques
(GTIRR)
de
l’Union
européenne,
à
l’instar
de
la
brigade
franco-allemande n’a pas abouti, le quartier général de Florence ne
répondant pas aux critères fixés. On s’orienterait désormais vers une
spécialisation plus restreinte de l’Eurofor. Cette réduction d’ambition
confirme les interrogations de la Cour sur le devenir d’une force qui
manifestement n’a pas encore trouvé sa vocation.
L’éventualité d’une fusion des différentes forces navales (Force
Navale Franco-Allemande et Euromarfor), un moment évoquée, n’a pas
abouti et l’Union européenne vient de mettre en place un nouveau
concept, l’Eumarc, indépendante des deux structures précédentes, qui
permet de constituer rapidement une force maritime pour une opération
de l’Union.
129) La nation-cadre, qui est aussi nation hôte de la structure concernée, assume la
principale responsabilité en matière d’organisation et de soutien.
370
COUR DES COMPTES
Seul le domaine aérien montre de réels progrès. La Cour avait, en
effet, relevé le caractère très embryonnaire des forces aériennes
multinationales et la nécessité d’une réflexion à ce sujet. Il semble que
quelques progrès aient été faits en ce domaine : en effet la Cellule
Européenne de Coordination du Transport Aérien (EACC) a été
transformée, en juillet 2004, en Centre Européen du Transport Aérien
(CETA ou EAC) ajoutant à ses fonctions de coordination un nouveau rôle
de planification. Après des débuts difficiles le centre d’Eindhoven
dispose désormais d’un réservoir théorique de quelques 270 appareils de
transport, dont il gère les missions et coordonne les échanges via le
système Atarès. Un autre arrangement technique, l’accord Salis, conclu
sous l’égide de l’OTAN, est venu récemment compléter le dispositif : il
met à la disposition des membres de l’Alliance et de l’EAC six Antonov
AN-124, mobilisables selon différents types de préavis. Enfin a été signé
le 11 mai 2007 à Bruxelles, un accord entre la France, les Pays-Bas, la
Belgique et l’Allemagne qui jette les bases d’un futur commandement
européen du transport aérien militaire (EATC) qui devrait voir le jour en
2010.
III
-
Une sous-utilisation manifeste
On aurait pu s’attendre à une grande visibilité des corps européens
compte tenu des ambitions qui ont présidé à leur création. Or les moyens
engagés dans ces différentes formations sont largement sous-utilisés
malgré les intentions affichées.
Le ministère de la défense affirmait en effet dans sa réponse au
référé précité que « les forces multinationales jouent et seront appelées à
jouer à l’avenir, tant dans le cadre de la montée en puissance de l’Europe
de la défense, que dans le processus d’adaptation de l’Alliance
Atlantique, un rôle majeur ». Plus prudent, le ministère des affaires
étrangères, s'il « partageait la recommandation de la Cour de donner à ces
forces toute leur portée politique et symbolique » soulignait que « les
contraintes attachées à l’action multinationale imposent une approche
souple des processus de génération de forces ».
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
371
Dans les faits, depuis quatre ans, chaque corps n’a trouvé qu’une
fois à s’employer dans des opérations extérieures pourtant nombreuses et,
souvent, de façon modeste :
−
sans doute faut-il souligner l’engagement du Corps européen et
de la brigade franco-allemande en Afghanistan au sein de la
Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) d’août
2004 à février 2005. La FIAS, commandée par le Corps
européen, et la brigade multinationale de Kaboul (BMN-K)
tenue par l’état-major de la brigade franco-allemande ont
couvert une période délicate, celle de l’élection présidentielle.
Mais il n’y a eu aucun autre engagement depuis cette date. Pour
le Corps européen, les explications données sont que la
préparation au commandement de la composante terrestre de la
Force de Réponse de l’OTAN et l’obtention de la certification
afférente ont requis toutes ses capacités ; quant à la brigade, son
intégration, prévue pour 2008, dans l’un des groupements
tactiques interarmées de réaction rapide (GTIRR) que l’Union
européenne a décidé de développer, lui interdirait tout autre
engagement sur un théâtre d’opérations ;
−
l’engagement des Euroforces pendant cette période est, en
revanche, particulièrement limité : L’Eurofor a contribué
récemment à l’état-major de l’opération Althéa en Bosnie ;
mais le commandement revenant à des officiers non membres
de la force, le QG n’a pu être déployé en tant que tel ; ses
éléments ont donc été répartis dans l’état-major sur place, ôtant
ainsi toute visibilité « européenne » à l’opération. Quant à
l’Euromarfor, on n’a pu lui trouver d’emploi depuis son retour,
il y a deux ans, de l’opération Enduring Freedom dans la Corne
de l’Afrique ; une tentative pour l’utiliser dans le volet
maritime de la Finul au Liban a échoué devant les réticences de
certains de nos partenaires ;
−
enfin, sur le plan aérien, si le Groupe Aérien Européen n’a pas
vocation, en tant qu’état-major de réflexion, à être déployé en
campagne, sa partie opérationnelle, le Centre Européen de
Transport Aérien, a été utilisée dans le cadre de l’opération
Artémis, en République Démocratique du Congo.
La Cour ne méconnaît pas les lourdeurs inhérentes à toute décision
d’emploi d’un corps multinational. Elle s’interroge cependant sur
l’entretien
de
structures
permanentes
auxquelles
il
n’est
qu’épisodiquement recouru.
372
COUR DES COMPTES
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
En conclusion, la Cour souhaite insister sur trois points :
- si la plupart des contentieux juridiques ou fiscaux handicapant le
fonctionnement normal des corps terrestres ont été résolus, il a fallu plus
d’une décennie aux administrations concernées pour parvenir à un
accord ; le dernier contentieux encore pendant, celui de l’Eurofor, risque
de durer, à défaut d’une intervention des autorités compétentes en France
et sur place. Le caractère subalterne des contentieux en cause et leur
durée témoignent de l’affaiblissement de l’inspiration qui a présidé à la
création des corps européens ;
- si, sur le plan de la gestion, quelques progrès ont été constatés,
on ne peut que regretter l’absence d’un statut unique des forces analogue
à celui de l’OTAN ; mais surtout, et au-delà, reste indispensable une
réflexion sur la cohérence d’ensemble de dispositifs disparates, souvent
redondants, complexes et mal articulés. Les administrations concernées
en avaient admis la nécessité. Elle n’a pas été engagée ;
- le sous-emploi de ces corps internationaux dans les opérations
extérieures à participation européenne, critiqué par la Cour en 2004, n’a
pas, sauf exception, connu d’amélioration. Certes il ne faut pas
sous-estimer la lourdeur du processus de décision inhérent à ces
dispositifs au sein desquelles la réticence d’un seul État suffit à
bloquer l’ensemble ; mais ce sous-emploi ne peut que susciter des
interrogations sur l’utilité même de la plupart de ces nombreuses
structures à caractère permanent.
La réflexion actuellement en cours sur la défense française devrait
être l’occasion d’évoquer l’avenir de ces organismes.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
373
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA DÉFENSE
Dans son insertion sur « La participation de la France aux corps
européens permanents », la Cour insiste sur trois points : les contentieux
financiers, la gestion et le sous-emploi de ces corps internationaux.
Le constat établi par la Cour concernant les contentieux financiers est
partagé par le ministère de la défense. Cependant, comme l’indique
d’ailleurs la Cour, ces contentieux sont, pour l’essentiel, réglés ou en cours
de règlement. Ils n’ont pas eu d’impact visible sur le fonctionnement des
structures, sauf les contentieux fiscaux, qui, s’ils touchent des individus, ont
pu susciter des réactions négatives
130
. La complexité de ces questions a
nécessité des arbitrages au plus haut niveau.
En matière de gestion, la Cour reconnaît aussi les progrès effectués
mais regrette l’absence d’un statut unique.
Les sept entités multinationales considérées sont envisagées de façon
globale. Or, elles couvrent,
comme cela est d’ailleurs souligné dans le projet
d’insertion, des missions très hétérogènes, dont l’organisation varie
considérablement d’une entité à l’autre, tant en termes de fonctions que
d’effectifs. Pour l’essentiel, leur création remonte au début des années 90, à
l’époque où une volonté politique forte cherchait à faire avancer l’Europe de
la Défense par touches successives, en privilégiant une logique d’intégration.
Cette logique tenait compte de celle qui prévalait dans l’OTAN et répondait
au souci politique d’approfondir la construction européenne et d’arrimer
l’Allemagne réunifiée à l’Europe. Or, la politique européenne de sécurité et
de défense (PESD) n’est devenue une réalité qu’à partir de 1999. Du fait de
certains blocages politiques, elle s’inscrit actuellement moins dans une
logique d’intégration que dans celle de nation cadre
131
, ce qui rend difficile
toute rationalisation d’ensemble de ces structures, créées à la suite
d’initiatives individuelles.
De même, les sept entités qui ont été étudiées étant effectivement
disparates, elles ne peuvent guère prendre place dans une architecture
d’ensemble, tant qu’il n’y aura pas de véritable chaîne de commandement
européenne et de label européen.
130) Cas du Canada, qui a retiré ses officiers du Corps européen, en protestant
contre l’interprétation restrictive à ses yeux du SOFA OTAN par les autorités
fiscales françaises.
131) Le concept de nation cadre suppose en fait qu’une nation constitue le noyau
fédérateur d’une force multinationale. Elle va fournir en général l’ossature du
commandement, de la logistique et une part importante des troupes.
374
COUR DES COMPTES
En ce qui concerne l’emploi de ces forces, au-delà de l’intérêt en
matière d’interopérabilité des forces européennes, leur utilité est variable
(cf. annexe détaillée ci-jointe). Il faut noter une réelle crédibilité
opérationnelle du Corps européen et de la Brigade franco-allemande et sans
doute un sous-emploi de l’Eurofor, de l’Euromarfor et de la Force navale
franco-allemande, cependant ces deux dernières structures ne sont pas
permanentes. L’ambition du Groupe aérien européen était, dès le départ,
limitée et excluait une utilisation en opérations. L’EATC (commandement
européen du transport aérien) en revanche est nettement plus ambitieux :
pour la première fois depuis 1995, il préfigure une logique d’intégration,
puisqu’un groupe de nations a décidé de mettre des moyens en commun, afin
d’assurer
une
fonction
opérationnelle
transverse
(transport
aérien
stratégique).
Les opérations actuelles se font, pour l’essentiel, dans un cadre
multinational dont l’intérêt va grandissant en raison des difficultés
budgétaires
des
pays
européens.
Créer
et
entretenir
des
entités
multinationales intégrées n’est donc pas illogique. Elles sont susceptibles de
générer des économies, d’éviter des duplications et de permettre à des
armées qui s’engagent souvent dans des opérations communes de mieux
opérer ensemble. Elles ont certes l’inconvénient de nécessiter un effort
d’harmonisation, mais celui-ci, une fois fait, un temps précieux est gagné
pour faire face à des situations d’urgence.
A l’image du Corps européen, qui a considérablement évolué depuis
sa création, afin de s’adapter aux besoins opérationnels, ces entités ne sont
pas figées. Des efforts sont en cours, afin de les rapprocher des réalités
actuelles de la PESD, elles-mêmes en constante évolution. Il faut noter que le
Traité de Lisbonne pourrait offrir à terme des perspectives nouvelles grâce
aux dispositions concernant les coopérations renforcées. Comme l’indique la
Cour, les réflexions actuelles sur la défense devraient prendre en compte ces
perspectives.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
375
Annexe détaillée sur l’emploi des corps internationaux
•
le Corps Européen (CE) a un taux d’emploi comparable, voire
supérieur, aux structures de même niveau en Europe : Balkans en
1998, 1999 et 2000, Afghanistan en 2004/2005, alerte NRF en 2006,
engagement envisagé au Kosovo en 2008/2009 et alerte NRF en 2010.
Or, son budget de fonctionnement et d’investissement ne repose pas
uniquement sur la France, mais est réparti entre cinq nations
cadres
132
. Cette entité étant située en France, l’effort financier de nos
partenaires en matière de soldes est comparativement nettement plus
lourd. L’attractivité de ce corps semble bonne, puisque l’Italie et la
Roumanie vont y insérer des officiers, tandis que la Pologne va
augmenter significativement sa participation ;
•
la Brigade Franco-allemande (BFA) a un taux d’emploi inférieur à
celui des brigades françaises. Elle a cependant été engagée dans les
Balkans en 2002, en Afghanistan avec le CE, elle a monté l’alerte
NRF en 2006 et se prépare à celle d’un BG 1500 de l’UE en 2008.
L’Allemagne est pour cette brigade un partenaire particulièrement
fiable, puisqu’elle lui accorde une priorité visible en matière
d’équipements. On notera que la BFA accueille désormais des
officiers espagnols et belges et que son lien avec le CE est devenu réel.
Elle conserve tout comme lui une valeur politique importante ;
•
l’Eurofor, modeste état-major de brigade (82 personnes) sans troupe
subordonnée, a un taux d’emploi très faible. Ses perspectives
d’engagement restent marginales. Il existe toutefois une possibilité
d’engagement au Kosovo au deuxième semestre 2008. Son utilité reste
surtout politique, puisqu’il s’agit de la seule formation terrestre
européenne à vocation méditerranéenne. La participation française
est de 17 militaires, tandis que le coût global pour la France est de
1,2 M d’€uros par an
133
;
•
l’Euromarfor est une structure essentiellement temporaire. Elle a été
relativement peu utilisée et son utilité reste aussi avant tout politique.
Elle sera engagée au large du Liban en mars 2008 dans le cadre de la
Finul. L’Euromarfor permet de réaliser des exercices à fort
« affichage » avec des pays de la rive sud de la Méditerranée
.
Le
dernier a eu lieu avec l’Algérie en novembre 2007 ;
•
la Force Navale franco-allemande est également une structure
temporaire qui n’est activée que pour des exercices ou de rares
opérations (Océan indien, 2003) ;
132) En 2007, il s’élevait à 12,9 millions d’euros (35.6% à charge de la France).
133) Participation au budget de fonctionnement et surcoût en soldes à l’étranger.
376
COUR DES COMPTES
•
le Groupe Aérien Européen est une petite structure
134
, la seule qui
nous lie dans un cadre européen avec des Britanniques. Son utilité va
au-delà du symbole : il a amélioré par ses travaux l’interopérabilité
des flottes aériennes européennes et a contribué de façon notable à la
mise sur pied de l’EACC
135
;
•
l’EACC est devenu l’EAC
136
, lequel est en train de donner naissance à
l’EATC
137
. Au-delà des sigles, la différence est considérable : on est
passé d’une simple démarche de coordination à une logique de
commandement. L’EATC est destiné à fédérer la quasi-totalité du
transport militaire aérien français, allemand, belge et néerlandais.
Par ailleurs, un MCCE
138
a vu le jour, afin de coordonner l’ensemble
des transports aériens, terrestres et maritimes de 18 pays.
RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
EUROPÉENNES
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes relatif
à
la participation de la France aux corps militaires européens permanents
appelle de la part du ministère des affaires étrangères et européennes les
observations suivantes.
Dans ses conclusions, la Cour des comptes considère notamment que :
« la réflexion sur la cohérence d’ensemble de dispositifs disparates, souvent
redondants, complexes et mal articulés (…) n’a pas été engagée. » ;
« le sous-emploi de ces corps internationaux dans les opérations extérieures
à participation européenne (…) n’a pas connu d’amélioration » et suscite
« des interrogations sur l’utilité même de la plupart de ces nombreuses
structures à caractère permanent. »
Ces
conclusions,
pour
être
globalement
recevables,
méritent
néanmoins d’être nuancées au vu des efforts et des réflexions actuellement en
cours.
134) 7 nations représentées pour un total de 33 personnes.
135) Il n’y a cependant aucun lien fonctionnel entre les deux entités.
136) European Airlift Center : centre européen du transport aérien.
137) European Air Transport Command : commandement européen du transport
aérien.
138) Movement Coordination Centre – Europe : centre européen de coordination des
transports.
LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AUX CORPS MILITAIRES
EUROPÉENS PERMANENTS
377
1 – Renforcement de l’articulation des forces multinationales avec la
politique européenne de sécurité et de défense, notamment dans la
perspective de la présidence française de l’Union européenne.
Les différentes forces multinationales européennes ont, pour la
plupart, été créées avant la mise en place de la politique européenne de
sécurité et de défense, dont elles ont été les précurseurs. La recherche d’un
rapprochement de ces forces avec les structures actuelles de l’Europe de la
défense doit permettre d’améliorer à la fois la cohérence d’ensemble de ces
différents dispositifs et leur emploi dans les opérations conduites par l’Union
européenne.
Dans la perspective de la présidence de l’UE, pour laquelle la relance
de l’Europe de la défense sera l’une de nos priorités, la France aura
notamment comme priorité de promouvoir, auprès de ses partenaires des
différentes forces multinationales, une meilleure articulation de celles-ci
avec la PESD. Deux corps multinationaux sont concernés en premier lieu par
cette démarche, l’EUROFOR et le Corps européen.
S’agissant de l’EUROFOR, une étude est en cours pour définir les
conditions nécessaires à la participation de cette force à un groupement
tactique de l’UE.
Lors du dernier comité commun du Corps européen, réuni à Madrid le
18 décembre 2007, les
cinq nations-cadres ont décidé d’étudier différentes
possibilités
concrètes
pour
rapprocher
dans
une
perspective
opérationnelle le Corps européen de la politique européenne de sécurité et
de défense. Il s’agit, notamment, de :
−
la mise en place d’un dialogue régulier entre l’état-major du Corps
européen et le Comité militaire de l’UE d’une part, l’état-major de
l’UE d’autre part ;
−
la constitution d’un groupement tactique de l’UE avec le Corps
européen ;
−
la déclaration du Corps européen comme état-major de force (FHQ)
ad hoc, notamment
pour participer aux exercices conduits par l’UE.
2 – Emploi des corps militaires européens permanents dans les opérations.
Les forces multinationales européennes ont vocation à participer aux
opérations internationales de gestion de crise. Comme le relève la Cour,
elles ont déjà fait leurs preuves dans ce domaine (Corps européen et BFA au
sein de la FIAS en Afghanistan d’août 2004 à février 2005 ; contribution
d’Eurofor à l’opération Althéa en Bosnie par exemple). Certaines de ces
forces, comme le Corps européen, bénéficient d’une réelle crédibilité
opérationnelle.
378
COUR DES COMPTES
Néanmoins, dans les processus de génération de forces pour les
opérations multinationales, une approche pragmatique est nécessaire pour
répondre rapidement aux besoins militaires identifiés dans un contexte
capacitaire contraint.
Actuellement, les perspectives d’emploi de ces forces au cours de
l’année 2008 concernent l’opération menée par l’OTAN au Kosovo et
l’opération des Nations Unies menée au Liban :
−
après confirmation de la participation italienne lors du sommet
franco-italien de Nice (30 novembre 2007), l’EUROMARFOR
assurera, à compter de février 2008 et pour une durée initiale de six
mois, la relève de l’Allemagne pour la composante navale de la
FINUL. Ce déploiement est un signe politique fort, qui confirme la
détermination des quatre pays de l’EUROMARFOR à oeuvrer au
règlement de la question du Liban ;
−
la possibilité d’emploi concomitant de l’EUROFOR et du Corps
européen au sein de la KFOR au Kosovo au second semestre 2008 est
à l’étude. Lors du dernier Comité commun du Corps européen
(Madrid, 18 décembre 2007), les nations-cadres ont donné leur accord
pour poursuivre la planification en vue
d’engager cette force pour
commander l’opération.