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CHAMBRES RÉUNIES
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FORMATION RESTREINTE
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Arrêt n° S-2022-0943
Audience publique du 14 avril 2022
Prononcé du 19 mai 2022
COMMUNE DE COMMENTRY
Arrêt après cassation par le Conseil d’État
Rapport n° R-2022-0212-1
République Française
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la décision n° 436208 du 3 août 2021 par laquelle le Conseil d’État a annulé l’arrêt
n° S2019-2268 du 26 septembre 2019 de la Cour des comptes qui, saisie en appel
par
Mme
X,
ancienne
comptable
de
la
commune
de
Commentry,
a
rejeté
la requête de celle-ci contre le jugement de la chambre régionale des comptes Auvergne-
Rhône-Alpes n° 2017-0035 du 26 juillet 2017 l’ayant constitué débitrice envers la commune
de Commentry d’une somme de 72 595,85€, augmentée des intérêts de droit, au titre
de la gestion de 2013 ;
Vu ledit jugement de la chambre régionale des comptes ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;
Vu la requête du 18 octobre 2017, enregistrée au greffe de la chambre régionale des comptes
Auvergne-Rhône-Alpes le 20 octobre 2017, par laquelle Mme X a élevé appel
du jugement susvisé ;
Vu le courriel du 25 octobre 2017 par lequel le greffe de la chambre régionale des comptes
Auvergne-Rhône-Alpes a informé le greffe contentieux de la Cour de l’appel interjeté
par Mme X et le courrier du 17 avril 2018 par lequel le greffe de la chambre régionale des
comptes Auvergne-Rhône-Alpes a transmis la requête en appel au greffe contentieux
de la Cour ;
Vu le mémoire de Mme X reçu au greffe de la Cour des comptes le 30 juillet 2019 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction
publique territoriale ;
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Vu le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991 pris pour l’application du premier alinéa de l’article
88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
territoriale ;
Vu le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux
supplémentaires ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 relatif à l’application du VI de l’article 60
modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
Vu la décision du 7 décembre 2021 du président des chambres réunies désignant
Mme Sophie MOATI, présidente de chambre maintenue en activité, rapporteure de la présente
affaire ;
Vu le rapport n° R-2022-0212-1 de Mme Sophie MOATI, magistrate chargée de l’instruction ;
Vu les conclusions de la Procureure générale n° 123 du 28 mars 2022 ;
Vu la note produite par Mme X et enregistrée au greffe de la Cour des comptes
le 7 avril 2022 ;
Entendu lors de l’audience publique du 14 avril 2022, Mme Sophie MOATI en son rapport,
Mme Alice BOSSIÈRE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, les autres
parties, informées de l’audience, n’étant ni présentes ni représentées ;
Entendu
en
délibéré
M.
Jean-Michel
CHAMPOMIER,
conseiller
maître,
réviseur,
en ses observations ;
1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Auvergne-
Rhône-Alpes
a
constitué
Mme
X,
comptable
de
la
commune
de
Commentry,
débitrice envers ladite commune de la somme de 72 595,85 € au titre de l’exercice 2013,
pour avoir pris en charge et payé des indemnités horaires pour travaux supplémentaires
(IHTS) à des agents de la commune de Commentry sans disposer d’une délibération fixant
la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures
supplémentaires, telle que prévue au paragraphe 210224 de l’annexe 1 du code général
des collectivités territoriales ;
2. Attendu que par arrêt n° S2019-2268 du 26 septembre 2019, la Cour des comptes a rejeté
la requête en appel formée contre le jugement précité par Mme X ;
3. Attendu que, par décision n° 436208 du 3 août 2021, le Conseil d’État, saisi par un pourvoi
et un mémoire en réplique du ministre de l’action et des comptes publics enregistrés
le 25 novembre 2019 et le 5 août 2020, a annulé l’arrêt précité et a renvoyé l’affaire devant
la Cour des comptes ;
4. Attendu qu’ainsi il y a lieu pour la Cour des comptes, toutes chambres réunies, de statuer
à nouveau sur l’ensemble des moyens de la requête en appel précitée ;
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Sur le manquement de la comptable à ses obligations
5. Attendu que la requérante demande à titre principal l’infirmation du jugement de la chambre
régionale
des
comptes
Auvergne-Rhône-Alpes
et
la
constatation
d’une
absence
de manquement ;
Sur le droit applicable
6. Attendu qu’aux termes du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisée,
«
les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables (...)
du paiement des dépenses
» ; que la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables
publics «
se trouve engagée dès lors (...) qu’une dépense a été irrégulièrement payée
» ;
7. Attendu qu’aux termes de l’article 18 du décret du 7 novembre 2012 susvisé,
«
Dans le poste comptable qu’il dirige, le comptable public est seul chargé : (…)
7° Du paiement des dépenses, soit sur ordre émanant des ordonnateurs, soit au vu des titres
présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative
» ; qu’aux termes de l’article 19
du même texte, «
Le comptable public est tenu d’exercer le contrôle : (…) 2° S’agissant
des ordres de payer : (…) d) De la validité de la dette dans les conditions prévues à l’article
20 (…)
» ; qu’aux termes de l’article 20 précité, «
Le contrôle des comptables publics
sur la validité de la dette porte sur : (…) 3° La production des pièces justificatives
» ;
8. Attendu que le paragraphe 210224 de l’annexe I au code général des collectivités
territoriales, prévoit, s’agissant des indemnités horaires pour travaux supplémentaires
que doivent être fournis au comptable d’une collectivité : «
1. Délibération fixant la liste
des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures supplémentaires.
2. État liquidatif précisant pour chaque agent, par mois et par taux d’indemnisation le nombre
d’heures effectuées (…)
» ;
Sur les faits
9. Attendu qu’il est constant que la comptable a payé les indemnités litigieuses
sur le fondement de la délibération du conseil municipal de Commentry du 29 octobre 2003,
laquelle ne comportait pas la liste des emplois éligibles à ces indemnités au sein
de la commune ;
Premier moyen
10. Attendu que la requérante soutient en premier lieu que la chambre régionale des comptes
Auvergne-Rhône-Alpes a commis une erreur de droit en engageant sa responsabilité
personnelle et pécuniaire pour un défaut de contrôle de la légalité d’une pièce justificative ;
qu’elle disposait, en effet, au moment du paiement, d’une délibération du 29 octobre 2003
attribuant le bénéfice des IHTS à tous les agents éligibles aux termes du décret n° 2002-60
du 14 janvier 2002 susvisé ; que l’assemblée délibérante était compétente pour ce faire ;
que la comptable était tenue par une délibération claire et exécutoire ; qu’il ne lui appartenait
pas de se faire juge de sa légalité ; qu’au demeurant, elle observe que le juge de cassation
a admis, dans une décision n° 304759 du 17 mars 2010
Commune d’Alès
, la légalité
d’une délibération attribuant des indemnités à l’ensemble d’une catégorie de cadres d’emplois,
sans autre considération ;
11. Attendu cependant que le jugement entrepris ne fait pas grief à la comptable d’avoir pris
en charge et payé les IHTS sur le fondement d’une délibération illégale, mais de l’avoir fait
sans disposer de la pièce justificative prévue par la nomenclature alors en vigueur ;
que le moyen est par conséquent inopérant ;
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Second moyen
12. Attendu que la requérante soutient qu’en ouvrant le bénéfice du régime des heures
supplémentaires à tous les agents communaux éligibles, la délibération produite à l’appui
des paiements visait indirectement tous les emplois exercés par ces agents ; qu’il n’y avait pas
lieu d’en préciser davantage la liste ; qu’au demeurant la délibération du 5 avril 2017
ultérieurement intervenue dans des termes conformes et fixant une telle liste ne conduisait
pas à modifier le visa de la dépense de 2013 ; qu’au surplus, le caractère suffisant du contrôle
du comptable s’apprécie au regard, non de la seule délibération, mais de l’ensemble
des justifications, notamment la signature des bordereaux de mandats de paye ; qu’elle a ainsi
payé les dépenses litigieuses en disposant de pièces justificatives suffisamment précises
et complètes ;
13. Attendu que le paragraphe 210224 de l’annexe 1 du code général des collectivités
territoriales
prévoit
que
les
dépenses
de
l’espèce
sont
justifiées,
notamment,
par une délibération fixant la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation
effective d’heures supplémentaires ; qu’il est établi et non contesté que la délibération produite
ne comporte pas une telle liste mais se limite à reprendre les dispositions générales du décret
n° 2002-60 du 14 janvier 2002 susvisé ; qu’il s’ensuit que la pièce n’est ni complète ni précise ;
14. Attendu que si la comptable devait apprécier les pièces justificatives dans leur ensemble,
il n’en est pas moins établi que, contrairement à ce qu’elle soutient, la signature
par l’ordonnateur des bordereaux de mandats relatifs au paiement de ces indemnités
ne saurait suppléer à la production d’une délibération revêtant la forme prévue
par la nomenclature des pièces justificatives ;
15. Attendu que l’existence d’une nouvelle délibération prise par le conseil municipal
dans les formes requises par le code général des collectivités territoriales, mentionnée
dans le mémoire susvisé produit par l’appelante, ne saurait conférer
a posteriori
à la précédente délibération le caractère d’une pièce justificative suffisante ;
16. Attendu que le moyen manque en droit ;
17. Attendu en conséquence que la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes
a, à bon droit, constaté qu’une des pièces justificatives des paiements en cause ne répondait
pas aux termes de la nomenclature des pièces justificatives de dépenses en vigueur et ainsi
établi que la comptable avait manqué à son obligation de contrôle de la production
des justifications ; qu’elle a, en conséquence, jugé à bon droit que dans cette situation,
la comptable aurait dû suspendre les paiements et demander la production d’une délibération
conforme à la règlementation ;
Sur le préjudice
18. Attendu que l’appelante conteste l’existence d’un préjudice financier, au motif
que la délibération produite à l’appui du paiement justifie suffisamment de la volonté du conseil
municipal, organe compétent, d’attribuer les IHTS à tous les agents communaux éligibles ;
qu’elle soutient ainsi que c’est à tort que la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-
Alpes a jugé que la volonté du conseil ne s’était pas exprimée ; que cette volonté était
au contraire manifeste et qu’en conséquence les paiements de l’espèce n’ont pu causer
de préjudice financier à la commune ; que l’appelante demande l’infirmation du jugement
de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes sur ce point, et, le cas échéant,
la mise à sa charge d’une somme minimale, voire nulle ;
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19. Attendu que les manquements du comptable aux obligations tenant à la production
des pièces justificatives requises doivent être regardés comme n’ayant, en principe, pas causé
de préjudice financier à l’organisme public concerné lorsqu’il ressort des pièces du dossier,
y compris d’éléments postérieurs aux manquements en cause, que la dépense repose
sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de vérifier l’existence,
que l’ordonnateur a voulu l’exposer et, le cas échéant, que le service a été fait ;
20. Attendu qu’en l’espèce, la réalité du service fait et la volonté de l’ordonnateur d’exposer
la dépense ne sont pas en cause ;
21. Attendu d’une part, que si la délibération du 29 octobre 2003, en contradiction
avec l’article 2 du décret du 6 septembre 1991 susvisé, ne fixe pas expressément
et directement la liste des emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures
supplémentaires ouvrant droit aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires,
elle arrête le principe du versement de cette indemnité aux agents éligibles en application
de l’article 2 du décret du 14 janvier 2002 susvisé ; que, d’autre part, il résulte du dossier
que les indemnités ont été versées à des agents dont les missions impliquaient la réalisation
effective d’heures supplémentaires ; que dans ces conditions, la dépense n’était pas
dépourvue des fondements juridiques dont il appartenait à la comptable de vérifier l’existence ;
22. Attendu qu’il résulte de ce qui précède que le manquement de la comptable
à ses obligations n’a pas causé de préjudice financier à la commune de Commentry ;
23. Attendu qu’aux termes des dispositions du deuxième alinéa du VI de l’article 60 de la loi
du 23 février 1963 susvisée, «
Lorsque le manquement du comptable (…) n’a pas causé
de préjudice financier à l’organisme public concerné, le juge des comptes peut l’obliger
à s’acquitter d’une somme arrêtée, pour chaque exercice, en tenant compte des circonstances
de l’espèce
» ; que le décret du 10 décembre 2012 susvisé fixe le montant maximal
de cette somme à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste
comptable ;
24. Attendu que le montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré pour
l’exercice 2013 est fixé à 151 000 € ; qu’ainsi le montant maximal de la somme susceptible
d’être
mise
à
la
charge
de
Mme
X
s’élève
à
226,50 € ;
qu’en
l’absence
de circonstances qui pourraient être prises en compte, il y a lieu d’arrêter cette somme
au montant arrondi de 226 € ;
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – Le jugement de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes
n° 2017-0035 du 26 juillet 2017 est infirmé en ce qu’il dit que le manquement de la comptable
a causé un préjudice financier et constitue Mme X débitrice de la commune de Commentry de
la somme de 72 595,85 € ;
Article 2. – Mme X devra s’acquitter d’une somme de 226 €, en application du deuxième alinéa
du VI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ; cette somme ne peut faire l’objet
d’une remise gracieuse en vertu du IX de l’article 60 précité.
Article 3. – La requête est rejetée pour le surplus.
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Fait et jugé en la Cour des comptes, chambres réunies en formation restreinte,
par
M.
Gilles
ANDRÉANI,
président
de
chambre,
président
de
la
formation,
MM. Daniel-Georges COURTOIS, Philippe GEOFFROY, Gilles MILLER, Jacques BASSET,
Vincent FELTESSE et Jean-Michel CHAMPOMIER, conseillers maîtres ;
En présence de Mme Vanessa VERNIZEAU, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Vanessa VERNIZEAU
Gilles ANDRÉANI
Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation
présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État
dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt peut
être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions
prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.