1
Cour de discipline budgétaire et financière
Seconde section
Arrêt du 6 mai 2022
«
21
ème
conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies
sur les changements climatiques de 2015 à Paris (COP 21)
»
N° 257-835
--------------
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
---
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,
siégeant à
la
Cour des comptes, en audience publique, a rendu l
’
arrêt suivant
:
Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1
er
de son livre III relatif à la
Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1
er
août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code des relations entre le public et l
’
administration, notamment son article
L. 221-14 ;
Vu la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;
Vu la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des
entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des
procédures administratives ;
Vu le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d
’œuvre
confiées par des maîtres d
’
ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
Vu le décret n° 2009-151 du 10 février 2009 relatif à la rémunération de certains services
rendus par l
’
État consistant en une valorisation de son patrimoine immatériel ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
Vu le décret n° 2015-
78 du 29 janvier 2015 portant création d’un secrétariat général
chargé de la préparation et de l’organisation de la vingt
-et-unième session de la conférence
des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ;
Vu la communication en date du 27 septembre 2018, enregistrée le 28 septembre 2018
au parquet général, par laquelle le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes
a informé le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de
discipline budgétaire et financière, de faits relatifs à la gestion de la 21
ème
conférence des
parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 2015 à
Paris (COP 21) ;
2
Vu le réquisitoire du 15 mai 2019 par lequel le procureur général a saisi de cette affaire
le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et
financière ;
Vu la décision du 4 juin 2019 par laquelle le président de la Cour de discipline
budgétaire et financière a désigné M. Christophe Cantié, président de tribunal administratif et
de c
our administrative d’appel,
en qualité de rapporteur de l
’
affaire ;
Vu les lettres recommandées de la procureure générale du 3 juillet 2019, ensemble les
avis de réception de ces lettres, par lesquelles ont été mis en cause, au regard des faits de
l
’
espèce :
-
M. X..., secrétaire général chargé, de juillet 2013 à juillet 2016, de la préparation et
de
l’organisation de la
COP 21 ;
-
M. Y..., chef du protocole au ministère des affaires étrangères et du développement
international (MAEDI) de mai 2010 à avril 2016 ;
-
M. Z..., sous-directeur de la logistique, de l
’
interprétation et de la traduction au
protocole au MAEDI du 13 juin 2013 au 15 janvier 2016 ;
Vu la lettre du 14 janvier 2021 du président de la Cour de discipline budgétaire et
financière transmettant au ministère public le dossier de l
’
affaire après le dépôt du rapport de
M. Cantié ;
Vu la décision du 21 décembre 2021 de la procureure générale renvoyant MM. X..., Y...
et Z... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu les lettres recommandées du 3 janvier 2022 adressées par la greffière de la Cour de
discipline budgétaire et financière à MM. X..., Y... et Z..., les avisant qu
’
ils pouvaient produire
un mémoire en défense et les citant à comparaître le 18 mars 2022 devant la Cour de discipline
budgétaire et financière, ensemble les avis de réception de ces lettres ;
Vu les demandes présentées par MM. Y... et Z..., par courriel et courrier
du 22 février 2022, tendant à faire citer à comparaître comme témoins MM. A... et B... et
Mme C... lors de l
’
audience publique et le permis, délivré le 7 mars 2022 par la vice-présidente
de la Cour de discipline budgétaire et financière, après conclusions de la procureure générale,
de citer ces personnes
à l’audience
;
Vu les lettres recommandées du 8 mars 2022 par lesquelles la greffière de la Cour de
discipline budgétaire et financière a transmis aux témoins, MM. A... et B... et Mme C..., une
convocation à l’audience publique
;
Vu le mémoire en défense produit le 2 mars 2022 par M. Y..., ensemble la pièce à
l
’
appui ;
Vu le mémoire en défense produit le 4 mars 2022 par M. Z..., ensemble les pièces à
l’appui
;
Vu le mémoire en défense produit le 7 mars 2022 par Maître Thiriez
dans l’intérêt de
M. X... ;
Vu les autres pièces du dossier, comprises les pièces produites par le ministère public et
par les conseils de M. X...
au cours de l’audience
;
Entendu le représentant du ministère public, présentant la décision de renvoi ;
Entendu en leur déposition sous serment les témoins, MM. A... et B... et Mme C... ;
3
Entendu la procureure générale en ses réquisitions ;
Entendu en leur plaidoirie Maîtres Thiriez et Weigel pour M. X..., Maître Vallat pour
M. Z..., MM. X..., Y... et Z... ayant été invités à présenter leurs explications et observations,
la défense ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant ce qui suit :
Sur la compétence de la Cour
1.
En application de l
’
article L. 312-1 du code des juridictions financières, la Cour de
discipline budgétaire et financière est compétente pour connaître des infractions susceptibles
d
’
avoir été commises dans l
’
exercice de leurs fonctions par
«
[...]
b) Tout fonctionnaire ou
agent civil ou militaire de l
’
État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics
ainsi que des groupements des collectivités territoriales ;
[...]
»
.
2.
Aux termes du décret du 29 janvier 2015 susvisé a été institué
« auprès du ministre
des affaires étrangères et du développement international et de la ministre de l’écologie, du
développement durable et de l’énergie, un secrétariat général chargé de la préparation et de
l’organisation de la vingt
-et-unième session de la conférence des parties à la convention-
cadre des Nations unies sur les changements climatiques ainsi que de la onzième session de
la conférence des parties agissant comme réunion des parties au protocole de Kyoto et des
sessions des organes subsidiaires (COP 21/CMP 11) qui se tiendront à Paris en
décembre 2015 »
.
3.
Il résulte de l’instruction, d’une part, que le secrétariat général de la COP 21 a été, de
fait,
mis en place dès 2013, d’autre part, que
les services du protocole au MAEDI ont participé
à la préparation de la COP 21.
4.
Les
agents de l’État qui ont participé à l’organisation et à la gestion de la COP 21 sont
justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en application des dispositions
précitées de l’article L. 312
-1 du code des juridictions financières. Tel
est le cas en l’espèce
de M. X..., nommé par un décret du 6 mars 2015 secrétaire général chargé de la préparation
et de
l’organisation de la COP
21, de M. Y..., nommé chef du protocole au ministère des
affaires étrangères par un décret du 3 juin 2010 et de M. Z..., nommé par un arrêté du
13 juin 2013 dans les fonctions de sous-directeur de la logistique, de l
’
interprétation et de la
traduction au protocole au ministère des affaires étrangères.
Sur la prescription
5.
Aux termes de l
’
article L. 314-2 du code des juridictions financières
« La Cour ne peut
être saisie par le ministère public après l
’
expiration d
’
un délai de cinq années révolues à
compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l
’
application des
sanctions prévues par le présent titre »
. Ne peuvent être, par suite, poursuivies dans la
présente affaire que les infractions c
ommises moins de cinq ans avant, d’une part,
la date à
laquelle a été déférée au parquet général la communication susvisée du président de la
quatrième chambre de la Cour des comptes, soit les faits commis depuis le 28 septembre 2013
pour les
faits relatifs à l’
attribution des marchés publics et au recouvrement des recettes liées
à la location d
’
espaces privatifs à des entreprises
, et, d’autre part
, la date à laquelle le ministère
public a saisi de sa propre initiative la Cour de discipline budgétaire et financière pour les faits
4
relatifs aux conditions de location d
’
espaces privatifs aux délégations étrangères, soit les faits
commis depuis le 15 mai 2014.
Sur les faits, leur qualification juridique et l
’
imputation des responsabilités
6.
Aux termes de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières
«
Toute personne
visée à
l’article
L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint
les règles relatives à l
’
exécution des recettes et des dépenses de l
’
Etat ou des collectivités,
établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur
appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou
organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de
l
’
amende prévue à l
’
article L. 313-1
».
Sur les marchés publics passés dans le cadre de l’organisation de la COP 21
Sur le droit applicable
à l’époque des faits litigieux
7.
Le II de
l’article 1
er
du code des marchés publics alors en vigueur dispose que
« Les
marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de
liberté d
’
accès à la commande publique, d
’
égalité de traitement des candidats et de
transparence des procédures. Ces principes permettent d
’
assurer l
’
efficacité de la commande
publique et la bonne utilisation des deniers publics ».
8.
Aux termes du I de l’article 5 du
même code,
« La nature et l
’
étendue des besoins à
satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute
négociation non précédée d
’
un appel à la concurrence
[
…
]
»
.
9.
L’article 17
du même code dispose en son alinéa premier que
« Les prix des prestations
faisant l
’
objet d
’
un marché sont soit des prix unitaires appliqués aux quantités réellement
livrées ou exécutées, soit des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie du marché, quelles
que soient les quantités livrées ou exécutées »
.
En vertu de l’article 18 du même code,
« I. - Sous réserve des dispositions de l
’
article 19, un marché est conclu à prix définitif.
II. - Un prix définitif peut être ferme ou révisable »
.
10.
L’article 20
du même code précise
qu’
« En cas de sujétions techniques imprévues ne
résultant pas du fait des parties, un avenant ou une décision de poursuivre peut intervenir
quel que soit le montant de la modification en résultant. Dans tous les autres cas, un avenant
ou une décision de poursuivre ne peut bouleverser l
’
économie du marché, ni en changer
l
’
objet ».
11.
L’article 26
du même code dispose que
« I. - Les pouvoirs adjudicateurs passent leurs
marchés et accords-cadres selon les procédures formalisées
[…]
. II. - Les marchés et
accords-cadres peuvent aussi être passés selon une procédure adaptée, dans les conditions
définies par l’article
28, lorsque le montant estimé du besoin est inférieur aux seuils suivants :
1° 134 000
€
HT pour les marchés de fournitures et de services
[…]
de l
’
État et de ses
établissements publics ;
[…]
/
5° 5 186 000
€
HT pour les marchés de travaux »
.
12.
Le I de l’article 27 du
même code dispose que
« le pouvoir adjudicateur ne peut pas
se soustraire à l
’
application du présent code en scindant ses achats ou en utilisant des
modalités de calcul de la valeur estimée des marchés ou accords-cadres autres que celles
prévues par le présent article »
.
5
13.
A
ux termes de l’article 28 du même code,
« III- Le pouvoir adjudicateur peut
également décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables
si son montant estimé est inférieur à 15 000 euros
HT. Lorsqu’il fait usage
de cette faculté, il
veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne
utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même
prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentiell
es susceptibles de répondre au
besoin »
. Le seuil précité de 15 000
€
a été porté à 25 000
€
par le décret n° 2015-1163 du
17 septembre 2015.
14.
Aux termes du I de l’article 77
du même code,
« Un marché à bons de commande est
un marché conclu avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécuté au fur et à mesure
de l
’
émission de bons de commande
[…]
. L
’
émission des bons de commande s
’
effectue sans
négociation ni remise en concurrence préalable des titulaires, selon des modalités
expressément prévues par le marché. Les bons de commande sont des documents écrits
adressés aux titulaires du marché. Ils précisent celles des prestations, décrites dans le marché,
dont l
’
exécution est demandée et en déterminent la quantité »
.
15.
Aux termes de l’article 81
du même code, «
les marchés et accords-cadres d
’
un
montant supérieur à 25 000 euros HT sont notifiés avant tout commencement d
’
exécution »
.
16.
L’article 112 du
même code dispose que «
L
e titulaire d’un marché public de travaux,
d’un marché public de services ou d’un marc
hé industriel peut sous-
traiter l’exécution de
certaines parties de son marché à condition d’avoir obtenu du pouvoir adjudicateur
l’acceptation de chaque sous
-
traitant et l’agrément de ses conditions de paiement
».
L’alinéa
1
er
de l’article 3 de la loi
du 31 décembre 1975 susvisée dispose que
« L
’entrepreneur
qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants
doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire
accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-
traitance par le maître de l’ouvrage
[…]
; »
.
17.
En
vertu de l’
article 118 du même code,
« Dans le cas particulier où le montant des
prestations exécutées atteint le montant prévu par le marché, la poursuite de l
’
exécution des
prestations est subordonnée, que les prix indiqués au marché soient forfaitaires ou unitaires,
à la conclusion d
’
un avenant ou, si le marché le prévoit, à une décision de poursuivre prise
par le pouvoir adjudicateur »
.
En ce qui concerne le marché passé avec le groupement D... et E...
18.
À l
’
issue d
’
une procédure d
’
appel d
’offres ouvert
, le ministère des affaires étrangères
a conclu, le 10 juillet 2012, avec un groupement d
’
entreprises formé par les sociétés D...
et E..., un marché public à bons de commande sans montant maximum et pour un montant
minimum de 900 000
€
hors taxes (HT) sur une période ferme de trois ans. En application de
l’article 1.3 du
cahier des clauses administratives particulières (CCAP), le marché pouvait être
reconduit tacitement pour une année supplémentaire pour un montant minimum de
300 000
€
HT.
19.
L’objet
de ce marché aux termes de
l’article 1.
1 du CCAP était le suivant : «
Ce
marché comprend la fourniture, l’installation et le démontage de matériels d’aménagement
événementiel (tentes, dais, cloisonnages, planchers, agencements décoratifs, mobilier et
accessoires,
éclairage
scénique,
signalétique,
distribution
électrique,
matériel
de
restauration...) suivant les besoins définis par l’administration, nécessaires à la tenue de
6
sommets, de conférences internationales et de réunions d’experts organisés par le Ministère
des affaires étrangères et européennes. Il comprend par ailleurs, dans certains cas,
l’élaboration de documents techniques complémentaires à ceux fournis par l’Administration
(plans, visuels, planning...) et une assistance technique sur les sites de l’événement durant la
tenue de la manifestation. Ce marché concerne tous les évènements organisés par le Cabinet,
les directions et les services du Ministère des affaires étrangères et européennes. Il vise à
satisfaire les besoins liés à l’organisation par le Ministère des Affaires étrangères et
européennes de deux types d
’évènements : les sommets de Chefs d’État ou de gouvernement
et les conférences internationales
[
…
]
»
.
20.
Le choix a été fait de prolonger ce marché
de l’
année supplémentaire
qu’il prévoyait
,
soit de juillet 2015 à juillet 2016, pour répondre aux besoins de
l’organisation de la COP 21
qui devait se tenir du 26 novembre au 13 décembre 2015.
21.
Par un courrier du 5 février 2015, le groupement
D.…
-
E.…
s’est engagé à prendre en
compte, «
sans facturation additionnelle
», des prestations non comprises dans le marché
initial et ainsi précisées : «
Rôle d’intégrateur
[…]
;
Prestations commerciales associées à la
gestion des demandes d’espaces privatifs des délégations, ONG,
etc. ...
[…]
;
Préconisations
et exigences en matière de développement durable »
. Le groupement a, par ailleurs, accepté
de consentir une remise de 20 % sur le bordereau des prix unitaires
joint à l’acte d’engagement
du marché.
22.
En réponse, par un courrier du 6 mars 2015, et «
dans ce contexte
», le secrétaire
général de la COP 21 et le chef du protocole ont confirmé au groupement D...-E... la
reconduction pour une année supplémentaire du marché dont le coût a été alors évalué à
43,2
M€
toutes taxes comprises (TTC).
23.
Le 13 août 2015 a été émis, dans le cadre du marché ainsi reconduit, un bon de
commande d’
un montant de 3,84
M€
TTC pour la construction de la salle de la conférence
plénière
décidée par l’
État
en exécution de l’annexe I de l’
accord conclu entre le
Gouvernement de la République française et le secrétariat de la convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques et son protocole de Kyoto, signé à Paris le 20 avril 2015
et à Bonn le 27 mars 2015, et publié au
Journal officiel
de la République française par le décret
n° 2015-1471 du 10 novembre 2015.
24.
Un avenant conclu par la suite, le 6 novembre 2015
a, d’une part, modifié
le CCAP du
marché pour y préciser
les modalités de paiement d’acomptes
ainsi que
l’acte d’engagement
pour prévoir le paiement des factures sur un compte bancaire spécifique,
d’autre part, ajouté
aux documents du marché la commande de prestations
d’étude et de fourniture de plans
supplémentaires, prestations
qui ne figuraient pas dans l’annexe financière initiale
,
ainsi qu’un
bordereau complémentaire de prix unitaires correspondant à ces prestations.
25.
Il
résulte de l’instruction que le coût des prestations commandées
au groupement
D...-E... a été évalué
ex post
à 70,7
M€.
En ce qui concerne l’avenant au marché
et son commenceme
nt d’exécution
26.
Il est fait grief à l’avenant du 6
novembre 2015
d’avoir été conclu sans publicité, ni
mise en concurrence préalable,
alors qu’il
aurait confié aux cocontractants les prestations
énumérées dans la lettre du groupement D...-E... mentionnée au point 21, lesquelles ne
figuraient pas au marché initial et
qu’il
en aurait par suite
changé l’objet
. Il lui est également
fait grief
d’avoir connu un commencement d’exécution avant sa signature.
7
27.
Il résulte
cependant de l’instruction que
ces prestations q
ui semblent n’avoir fait l’objet
d’autre formalisation que celle de l’échange de lettres mentionné
aux points 21 et 22, ne
figurent pas, en tout état de cause, dan
s l’avenant du 6
novembre 2015
dont l’objet se limite à
ce qui en est exposé au point 24 et ne c
omprend que des prestations qui, bien qu’additionnelles,
se rattachent à
l’objet du marché initial et n’ont pas d’incidence financière sur un marché
conclu sans maximum.
28.
Il
n’est pas
, par ailleurs, établi que les prestations prévues par cet avenant aient connu
un commencement d’exécution avant sa signature.
29.
Dans ces conditions, le grief
n’apparait
pas constitué.
En ce qui concerne la révision du prix du marché
30.
Il résulte
de l’instruction que le marché initial du 10 juillet 2012
ne comportait aucune
clause de modification des prix de nature à autoriser la remise figurant dans la lettre
mentionnée au point 21.
31.
Le fait
pour le pouvoir adjudicateur d’avoir
obtenu une baisse du prix du marché
postérieurement à sa conclusion, en méconnaissance des dispositions des articles 17 et 18 du
code des marchés publics précités, constitue une infraction aux règles relatives à l
’
exécution
des dépenses, au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières.
En ce qui concerne la construction de la salle plénière
32.
Il résulte de l’instruction que le
bon de commande émis le 13 août 2015 fait suite à la
décision figurant dans une lettre du 28 mai 2015 adressée par le secrétaire général au
groupement d’entreprise
D...-E... de lui confier la réalisation de la salle de la conférence
plénière de la COP 21.
33.
Il résulte également
de l’instruction que
cette salle, dont le projet avait été conçu par
l’agence d’architecture
F...
dans le cadre d’un marché d’études,
constituait une construction
entièrement nouvelle créée pour cet évènement, qui ne peut, eu égard aux modalités de
conception,
à l’
ampleur, à la consistance et au coût de cette réalisation
et alors même qu’elle
serait susceptible de réutilisation, être regardée comme constitutive des «
aménagements
temporaires à caractère évènementiel
» prévus par le marché, ce
qu’a
, au demeurant, souligné
une note du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du 12 août 2015 adressée au
sous-directeur de la logistique, de l
’
interprétation et de la traduction. La réalisation de la salle
plénière constituait, dès lors,
une prestation nouvelle qui n’entrait pas dans l’
objet du marché
tel que défini à l’article
1 du CCAP.
34.
Le fait pour le pouvoir adjudicateur de ne pas avoir procédé à une mesure de publicité
et de mise en concurrence selon les procédures prévues par le code des marchés publics,
laquelle ne pouvait se limiter, eu égard au montant de la prestation, à la seule collecte de trois
devis, constitue une infraction aux règles relatives à l
’
exécution des dépenses au sens de
l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières.
En ce qui concerne le
marché de maîtrise d’œuvre confié à l’
agence F...
35.
Un marché
ayant pour objet d’
élaborer un concept d
’
aménagement du site du Bourget
a été attribué,
à l’issue
d’une procédure de publicité et de mise en concurrence adaptée,
au
groupement constitué par les sociétés F..., G..., H... et I..., pour un montant maximum de
133 000
€
HT et une durée de six mois.
8
36.
Par un avis publié au
Journal officiel
de l’Union européenne le 22
décembre 2010,
une procédure de publicité et de mise en concurrence a été, par ailleurs, engagée par le
ministère des affaires étrangères pour «
des prestations d’expertise, de conception
architecturale (scénographie)
, de coordination de l’action technique des entreprises dans les
domaines de l’aménagement événementiel, de supervision pour l’ensemble des prestations
événementielles pour les besoins de l’administration avant, pendant et après les conférence
s,
ainsi que l’assistance à l’élaboration des documents techniques nécessaires à la définition
des besoins et à la passation de la commande publique
»
. Ce marché, d’une durée de trois ans,
était composé de trois lots, le premier relatif aux «
prestations
d’expertise de conception
architecturale (scénographie) relatives aux aménagements événementiels et au pilotage de
l’ensemble du dispositif technique
», le deuxième concernant les «
prestations d’expertise
relatives aux aménagements événementiels et à la c
oordination de l’ensemble du dispositif
technique
» et le troisième lot ayant trait à des «
prestations d’expertise de supervision des
aménagements événementiels
».
37.
Ce marché a été renouvelé, dans le cadre d
’
un appel d
’
offres ouvert, respectivement
le 30 décembre 2014 pour le lot n° 1 attribué à la société J..., le 18 novembre 2014 pour le lot
n° 2 attribué à la société K.., et le lot n° 3 attribué au cabinet L
....
Seuls les lots 2 et 3 incluaient
explicitement des prestations liées à la COP 21, celles du lot 3 étant qualifiées, aux termes du
CCAP, de prestations d
’
assistance à maîtrise d
’
ouvrage.
38.
Devant les difficultés techniques posées par le projet conçu par la société F..., et afin
de répondre à un besoin en maîtrise d
’œuvre
du secrétariat général de la COP 21,
l’agence
d’architecture
F... a été acceptée comme sous-traitante de la société L
…
par une déclaration
de sous-traitance signée le 10 mars 2015 par le sous-directeur de la logistique, de
l
’
interprétation et de la traduction au protocole.
39.
L
’agence
F... a ainsi perçu un total de 340 224
€
TTC, soit une somme de
70 224
€
TTC au titre du marché initial passé selon une procédure adaptée, et une somme de
270 000
€
TTC en sa qualité de sous-traitante de la société L
....
40.
Il résulte des dispositions rappelées au point 16 que le recours à la sous-traitance a
exclusivement
pour objet de permettre au titulaire d’un marché
de sous-
traiter l’exécution de
certaines des prestations du marché dont il est attributaire.
41.
Il résulte de l’instruc
tion que le cabinet L
…
était exclusivement titulaire du lot
d’assistance au maître d’ouvrage pour des prestations de supervision des aménagements
évènementiels. Dès lors,
l’agence d’architecture
F..., qui exerce une activité de maîtrise
d’œuvre, ne pouvait
être la sous-traitante du cabinet L
…
pour les prestations qui lui ont été
confiées relatives à des «
études de faisabilité technique et financière relatives à une salle
plénière
(SP1) susceptible d’accueillir 1
500 participants
».
42.
Ces prestations qui relevaient des dispositions alors en vigueur du décret du
29 novembre 1993 susvisé devaient, par ailleurs, être attribuées à
l’issue d’
une procédure de
publicité et de mise en concurrence formalisée, dès lors que le seuil de 134 000
€
HT pour les
marchés de fournitures et de services de l
’
État prévu à l
’article
26 du code des marchés publics
a été franchi.
43.
Le fait d’avoir
accepté
l’agence d’architecture
F... comme sous-traitante du
cabinet L
…
dans un montage contractuel qui méconnaissait les dispositions des articles 26 et
112 du code des marchés publics, constitue une infraction aux règles relatives à l
’
exécution
des dépenses au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières.
9
En ce qui concerne les prestations confiées à la société M...
44.
Le choix du site du Bourget pour la tenue de la conférence imposait de louer cet espace
à la société concessionnaire du site. En conséquence et en application du 8° du II de l
’
article 35
du code des marchés publics, un marché négocié, sans publicité préalable ni mise en
concurrence, a été signé avec
la société d’exploitation
M... le 21 septembre 2015 par le
sous-directeur de la logistique, de l
’
interprétation et de la traduction au protocole et notifié le
2 octobre 2015. Le montant minimal de ce contrat était de 9 067 309,25
€
HT. Il se
décomposait en des prestations à prix forfaitaire d
’un montant de 4
067 309,25
€
HT et des
prestations sur bons de commande à prix unitaires d
’
un montant minimal de 5 000 000
€
HT.
45.
Par un premier avenant du 18 novembre 2015, un bordereau de prix unitaires
complémentaire a été intégré au marché en vue de confier des prestations supplémentaires à
la société M...
relatives, notamment, au nettoyage, à l’
entretien des sanitaires, au gardiennage,
à la sûreté et à la vidéosurveillance du site. Par un second avenant du 25 février 2016 notifié
le 1
er
mars suivant, ce marché, dont le terme initial était prévu au 13 janvier 2016, a été prorogé
pour une durée de deux mois. La société concessionnaire a facturé à l
’
État une somme totale
de 2,17
M€
TTC au titre des prestations d
’
entretien et une somme de 8,89
M€
TTC au titre
des prestations liées à la sécurité et à la sûreté.
46.
Il est
fait grief aux modifications du marché initial intervenues en 2015, d’avoir
bouleversé
l’é
conomie du marché
par l’adjonction
de nouvelles prestations, en s
’
abstenant de
toute publicité et de mise en concurrence.
47.
Il résulte cependant
de l’instruction et notamment du détail des prestations figurant
dans le CCAP du marché du 21 septembre 2015, que si le bordereau de prix unitaires
complémentaires de ce marché avait pour objet de confier à la société M... des prestations
supplémentaires, ces prestations
se rattachaient à l’objet du marché initial
fixé sans maximum
de montant. Par ailleurs, la
signature d’un premier avenant
, deux mois à peine après la
conclusion du marché,
n’était
pas due à un défaut de prévision initiale mais au bouleversement
du contexte sécuritaire après les attentats du 13 novembre 2015, ayant rendu indispensable le
renforcement des mesures de sureté et de sécurité, compte tenu notamment du public qui
devait être accueilli lors du déroulement de la COP 21.
48.
Dans ces conditions, le grief n’apparait pas constitué.
En ce qui concerne l
es prestations d’assistance et de conseil au secrétariat général de la
COP 21 réalisées par la société N...
49.
Le secrétariat général de la COP 21 a confié à la société N...
l’exécution de prestations
d
’
assistance et de conseil pour la recherche, la mise en
œ
uvre et le suivi de mécénats sur le
fondement d’un seul devis
d
’
un montant de 12 000
€
HT. Les prestations ont été exécutées du
1
er
octobre au 31 décembre 2014. Le secrétariat général a ensuite attribué à la société N..., un
second marché pour le même objet, signé le 22 janvier 2015, après une procédure négociée
sans publicité préalable, ni mise en concurrence.
50.
Il résulte de l’instruction que le
coût des prestations rendues par la société N...
s’est
élevé à 12 000
€
HT en 2014 et 48 000
€
HT en 2015, soit un total de 60 000
€
HT. Ce montant
excédait le seuil de 15 000
€
HT, porté à 25 000
€
HT en 2015, fixé
à l’article 28 du code des
marchés publics.
10
51.
Dès
lors, l’ensemble
de ces prestations aurait dû
faire l’objet d’une mise
en
concurrence dans
le cadre d’un
marché public à procédure adaptée, ainsi que le préconisait la
sous-direction de la logistique, de l
’
interprétation et de la traduction. La seconde commande
devait, en tout état de cause,
faire l’objet d’une mise en concurrence, dès lors
que son montant
était à lui seul supérieur à ce seuil.
52.
Ces achats irréguliers révèlent également que,
contrairement à ce qu’impose l’article
5
du
code des marchés publics, le pouvoir adjudicateur n’a pas effectué une évaluation préalable
de ses besoins.
53.
Le fait pour le pouvoir adjudicateur d
’avoir méconnu
les seuils de passation des
marchés en fractionnant irrégulièrement ses achats, en méconnaissance des dispositions des
articles 5, 26, 27 et 28 du code des marchés publics précitées, constitue une infraction aux
règles relatives à l
’
exécution des dépenses au sens de l
’
article L. 313-4 du code des
juridictions financières.
En ce qui concerne les prestations d’assistance en matière de développement durable
réalisées par Mme O...
54.
Le secrétariat général de la COP 21 a souhaité
recourir à un prestataire pour l’assister
dans le cadre de la mise en œuvre de mesures en matière de développement durable à
l’occasion de l’organisation de la COP 21. La prestation a été
effectuée en deux contrats
conclus avec Mme O...,
créatrice, avec le statut d’
auto-entrepreneur, du cabinet P...
à l’issue
de son stage au sein du secrétariat général de la COP 21,
d’un
montant de 14 950
€
HT
en 2015 et de 12 675
€
HT en 2016, soit un montant total de 27 625
€
HT. Ces contrats ont
été passés, de gré à gré, sans publicité, ni mise en concurrence.
55.
Il ressort de l
’
instruction que le secrétariat général de la COP 21 disposait lors de la
première commande des éléments lui permettant de constater que le montant du besoin à
satisfaire concernant les études en cause, qui ne sont pas objectivement dissociables, était
supérieur au seuil de 15 000
€
HT fixé par l’article 28 du code des marchés publics,
au-delà
duquel la procédure de passation devait s
’
effectuer après une mesure de publicité et de mise
en concurrence. La circonstance que, préalablement à la première commande, deux devis aient
été sollicités dont un auprès de Mme O..., ne saurait être regardée comme une mise en
concurrence suffisante, compte tenu de la nature et de la valeur estimée du besoin.
56.
Le fait pour le pouvoir adjudicateur
d’avoir méconnu les seuils de passation
des
marchés en fractionnant irrégulièrement ses achats, en méconnaissance des dispositions des
articles 5, 26, 27 et 28 du code des marchés publics, constitue une infraction aux règles
relatives à l
’
exécution des dépenses, au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions
financières.
En ce qui concerne les commandes effectuées à la société
Q…
57.
Il ressort de l’instruction qu’u
n marché à bons de commande de fourniture de
prestations de traiteur, avec un minimum de 400 000
€, a été attribué à
la société Q... par la
sous-direction de la
logistique, de l’interprétation et de la traduction au
protocole afin de
couvrir les besoins du MAEDI dans le cadre de la tenue de certaines manifestations, telles
que conférences et réunions. La fiche « marché » CHORUS a été signée le 9 mars 2015 par
le sous-
directeur de la logistique, de l’interprétation et de la traduction au
protocole.
11
58.
Une clause manuscrite a été insérée
ab initio
à l’article 5 du cahier des clauses
particulières du 27 novembre 2014. Elle stipule que
«
l’administration se réserve la
possibilité de commander en cours d’exécution du marché des prestations non prévues à
l’annexe financière dans
la limite de 5 % de chaque montant minimum annuel du marché.
Les prestations donnent lieu à l’établissement d’un devis préalable de la part du titulaire qui
devra être agréé par l’administration avant émission du bon de commande
»
. Ces
stipulations permettaient donc de commander des prestations ne figurant pas dans la liste en
annexe à ce cahier, à hauteur de 20 000
€
au maximum.
59.
De telles prestations ont été commandées pour un montant de 91 235,62
€
, soit un
dépassement très important du montant maximum autorisé pour des prestations
complémentaires.
60.
La méconnaissance manifeste des stipulations contractuelles figurant à l’article 5 du
cahier des clauses particulières constitue une
violation des dispositions de l’article
118 du
code des marchés publics précitées et, par suite, une infraction à une règle relative à
l’exécution de la dépense.
Sur l
a perception de recettes tirées de la location d’espaces
sur le site de la COP 21
En ce qui concerne le recouvrement des recettes issues de la
location d’espaces privatifs à
des entreprises
61.
Aux termes
de l’article 2 du
décret du 10 février 2009 susvisé,
l’
État est autorisé à
percevoir des rémunérations au titre de
la
« location ou mise à disposition, à titre temporaire,
de salles, d
’
espaces ou de terrains, en vue d
’
événements, de manifestations, de tournages
d
’œuvres audiovisuelles ou de prises de vue
. »
Le montant de ces rémunérations est fixé aux
termes de l’article 3 du mêm
e décret
« pour chaque prestation, selon les caractéristiques de
la prestation, par arrêté du ministre concerné ou par voie de contrat relatif à une ou plusieurs
prestations déterminées »
.
62.
L’article 11 du décret
du 7 novembre 2012 susvisé précise que :
« Les ordonnateurs
constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de
recouvrer. /
[...]
/ Ils transmettent au comptable public compétent les ordres de
recouvrer
[...]
»
. Aux termes de l’article 24 de ce décret
:
« Dans les conditions prévues pour
chaque catégorie d
’
entre elles, les recettes sont liquidées avant d
’
être recouvrées. La
liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. Les recettes sont
liquidées pour leur montant intégral, sans contraction avec les dépenses. / Toute créance
liquidée faisant l
’
objet d
’
une déclaration ou d
’
un ordre de recouvrer indique les bases de la
liquidation
[...]
»
.
63.
Lors du déroulement de la COP 21, l
’
auditorium, des salles de réunion et les studios
de télévision au sein du centre de presse ont été donnés en location à des entreprises
étrangères et françaises. Les recettes tirées de ces locations se sont élevées à un total de
78 005,88
€.
64.
Il résulte de l
’
instruction qu
’
aucun arrêté n
’
a été pris
et qu’
aucun contrat
n’a été
conclu
pour fixer les caractéristiques et le prix de ces prestations. Ni le secrétariat général de la
COP 21, ni le service du protocole n
’
ont été en mesure de transmettre le barème de prix et
l
’
état des réservations permettant de justifier le montant des recettes associées.
12
65.
Il résulte également de l’instruction qu’aucun
titre de perception n
’
a été émis pour
recouvrer les créances résultant de ces mises en location, lesquelles ont fait seulement
l’objet
d’un
e attribution de produits au sein du programme 341-
Conférence Paris Climat 2015
.
66.
Le fait d’avoir liquid
é des recettes sans que le recouvrement ne soit fondé sur un acte
réglementaire ou conventionnel et celui de ne pas avoir émis de titre de perception pour
recouvrer ces recettes, en méconnaissance des dispositions précitées du décret du
7 novembre 2012 et du décret du 10 février 2009, constituent des infractions aux règles
relatives à l
’
exécution des recettes au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions
financières.
En ce qui concerne le recouvrement des recettes issues de la
location d’espaces privatifs à
des délégations étrangères
67.
Le premier alinéa de l
’article 13 du décret
du 7 novembre 2012 précité dispose que :
« Les comptables publics sont des agents de droit public ayant, dans les conditions définies
par le présent décret, la charge exclusive de manier les fonds et de tenir les comptes des
personnes morales mentionnées à l
’
article 1
er
»
.
Il résulte de ces dispositions que sauf dans
les cas où la loi autorise l’intervention d’un
mandataire, les personnes publiques ne peuvent
décider par convention de faire exécuter une partie de leurs recettes ou de leurs dépenses par
un tiers autre que leur comptable public.
68.
Par ailleurs, a
ux termes du IV de l’article 17 de la l
oi organique du 1
er
août 2001
susvisée :
« Peuvent donner lieu à rétablissement de crédits dans des conditions fixées par
arrêté du ministre chargé des finances : / 1° Les recettes provenant de la restitution au Trésor
de sommes payées indûment ou à titre provisoire sur crédits budgétaires ; / 2° Les recettes
provenant de cessions entre services de l
’
État ayant donné lieu à paiement sur crédits
budgétaires ».
69.
Lors de la COP 21, les délégations étrangères ont pu louer et faire aménager des
espaces de travail sur le site du Bourget. Le groupement D
…
-E..., auquel a été confié
l
’
aménagement du site par le marché mentionné au point 18 a été chargé, par le secrétariat
général de la COP 21, de la gestion commerciale de ces espaces et de la perception des recettes
afférentes.
70.
Par un courrier du 5 novembre 2015, le directeur des affaires financières du MAEDI
a indiqué au mandataire du groupement D…
-E
…
avoir demandé aux services compétents de
l’État
d
’
émettre un titre de perception à l
’
encontre du groupement
« afin d
’
obtenir le
recouvrement de la somme de 5 354 400,00 € qui correspond à la facturation totale toutes
taxes comprises des aménagements de base des espaces des délégations officielles étrangères,
réalisés par
[le]
groupement pour le compte du MAEDI »
. Ce titre de perception a été émis le
6 novembre 2015, pour un montant finalement
fixé à la suite d’un titre d’annulation ultérieur
à 5 178 260
€.
71.
Le groupement D
…
-
E.…
a en définitive reversé à l
’
État 5 209 030,80
€
au titre des
recettes tirées de la location des espaces aménagés au profit de délégations étrangères. Ces
recettes ont été inscrites dans le budget de l
’
État au programme 341
- Conférence Paris
Climat 2015
selon la procédure de rétablissement de crédits.
72.
F
aute de l’entrée en vigueur
, à la date des faits litigieux,
de l’article 40 de la loi du
20 décembre 2014 susvisée
autorisant l’
État à confier par mandat la perception de recettes
publiques à un tiers, il n’était pas
possible, en premier lieu, de donner à une entreprise
13
prestataire un tel mandat, lequel aurait dû, au surplus,
faire l’objet d’une procédure de publicité
et de mise en concurrence.
73.
Il est constant, en second lieu, que les recettes inscrites dans le budget de l
’État au sein
du programme 341 -
Conférence Paris Climat 2015
selon la procédure de rétablissement de
crédits ne proviennent pas
de la restitution au Trésor de sommes payées indûment ou à titre
provisoire sur crédits budgétaires. Elles ne peuvent non plus être qualifiées de recettes
provenant de cessions entre services de l
’
État ayant donné lieu à paiement sur crédits
budgétaires
. L’utilisation irrégulière de cette procédure a
d’ailleurs
été reconnue par la
direction du budget dans sa réponse au rapport d
’
observations provisoires de la Cour des
comptes.
74.
Le fait d’avoir
confié au groupement D...-E... la facturation de la location des espaces
et l
’
encaissement des sommes dues par les délégations étrangères, en méconnaissance des
dispositions
de l’article 13
du décret du 7 novembre 2012 citées au point 67, ainsi que le fait
d’avoir i
nscrit des recettes au programme 341, en méconnaissance de la loi organique du
1
er
août 2001 précitée, constituent une infraction aux règles relatives à l
’
exécution des recettes
au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières.
Sur
l’imputabilité des infractions
En ce qui concerne l’organisation administrative de la COP 21
75.
La préparation et
l’organisation de la COP
21 ont été,
d’un
e part, confiées, par le
ministère des affaires étrangères au secrétaire général de la COP 21. Ce dernier, aux termes
du décret du 29 janvier 2015 cité au point 2, établit le cahier des charges et demande aux
services du ministère d’en assurer la mise en œuvre.
Il est associé à la programmation des
crédits octroyés. Il en coordonne la gestion et en
rapporte l’exécution.
La responsabilité du
programme budgétaire spécifique créé (programme 341), a été,
d’autre part,
confiée au chef
du protocole qui en a assuré,
en sa qualité d’
ordonnateur, le pilotage. Il est également pouvoir
adjudicateur. Au sein de la direction du protocole, la sous-direction de la logistique, de
l’interprétation et de la traduction (PRO/LIT) est chargée de la gestion budgétaire et de
l’organisation logistique des conférences internationales. Elle élabore les marchés publics
nécessaires à son activité.
Enfin, le ministère des affaires étrangères dispose d’une mission
des achats qui relève de la direction générale de l’administration et de la modernisation.
En ce qui concerne l’application de l’article L.
313-9 du code des juridictions financières
76.
L
’
article L. 313-9 du code des juridictions financières dispose que
« Les personnes
visées à l
’
article L. 312-1 ne sont passibles d
’
aucune sanction si elles peuvent exciper d
’
un
ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou de la personne légalement habilitée à donner
un tel ordre, dont la responsabilité se substituera dans ce cas à la leur, ou donné
personnellement par le ministre compétent, dès lors que ces autorités ont été dûment
informées sur l
’
affaire »
.
77.
La défense se prévaut de ces dispositions en faisant valoir que les faits incriminés
relatifs notamment à la révision du prix du marché passé avec le groupement D...-E..., à la
construction de la salle plénière et au
marché de maîtrise d’œuvre confié à l’entreprise
F...
étaient connues du ministre et
avaient fait l’objet de décisions d’autorisations soit expresses,
soit résultant des échanges entre les parties. Elle produit
, à l’appui de ce moyen, quatre
14
documents signés ou annotés par le ministre des affaires étrangères et du développement
international.
78.
La circonstance qu’en diverses occasions et notamment dans les
quatre documents
produits, le ministre a exprimé sa volonté ferme
que soit respectée l’enveloppe budgétaire du
programme ainsi que les délais prescrits ne peut cependant être analysée comme un ordre écrit
au sens des dispositions de l’article L
. 313-9 du code des juridictions
financières, d’avoir
à
ignorer, pour atteindre ces objectifs, les principes de la commande publique et les dispositions
réglementaires qui les traduisent. Ce moyen ne peut, dès lors,
qu’
être écarté.
En ce qui concerne la répartition des responsabilités
79.
L’ensemble des irrégularités relevées aux points précédents
, relatives aux différents
marchés passés dans le cadre de la préparation et de l’organisation de la COP 21
et à la location
d’espaces
, sont
d’abord
imputables à M. X... qui, en tant que secrétaire général, était chargé
de la préparation et de
l’organisatio
n de la COP 21, et qui, plus spécifiquement, a validé la
réduction de 20 % sur les bordereaux de prix unitaires du marché initial conclu avec le
groupement D...-E... et décidé de lui confier la réalisation de la salle plénière. Il est également
personnellement intervenu en faveur de
l’acceptation
de
l’agence d’architecture
F... comme
sous-traitante du cabinet L...,
dans l’attribution des prestations d’assistance et de conseil à
l’entreprise
N...
ainsi que dans l’attribution des prestations d’assistance en
matière de
développement durable à une ancienne stagiaire du secrétariat général de la COP 21.
80.
Ces irrégularités sont également imputables à M. Y..., qui, comme ordonnateur
responsable du programme 341 -
Conférence Paris Climat 2015
, était responsable des
dépenses afférentes aux prestations attribuées en méconnaissance du droit des marchés
publics, et qui, comme chef du protocole disposant de l’autorité hiérarchique sur la
sous-
direction de la logistique, de l’interprétation et de la traduction au
protocole, avait un
devoir général de surveillance sur cette sous-direction. M. Y... a, en outre, proposé la réduction
des bordereaux de prix unitaires du marché initial
conclu avec le groupement D…
-
E…
avant
de la valider. Il
a été à l’origine des prestations confi
ées au cabinet F... en tant que sous-traitant
et a formellement attribué l
es prestations d’assistance en matière de développement durable
à
Mme O
....
81.
Enfin, ces irrégularités sont également imputables à M. Z...
, qui avait l’autorité
hiérarchique sur
l’agent qui a signé le bon de commande de la r
éalisation de la salle plénière,
qui a signé la déclaration de sous-traitance a
vec l’agence d’architecture
F... ainsi que
l’acte
d’engagement du 22 janvier 2015 confiant à la société
N... un marché de prestations
d’assistance et de conseil.
En outre, M. Z..., en tant que représentant du pouvoir adjudicateur,
est également responsable des commandes passées à la société Q
....
Enfin, il est directement
intervenu dans l’attribution irrégulière au groupement
D...-E... du mandat de recouvrer les
recettes liées à la location d’espaces aux délégations étrangères.
Sur les circonstances
82.
Il sera reconnu comme circonstances aggravantes globales pour MM. X..., Y... et Z...
le fait que les intéressés ont été conscients de la plupart des irrégularités commises ou
qu’ils
ont vu leur attention appelée sur ces risques.
83.
Il sera reconnu, en revanche, comme circonstances atténuantes globales pour les
intéressés le fait que la COP 21 était un évènement à bien des égards exceptionnel, dont
l’organisation faisait peser sur les acteurs en charge de sa préparation une obligation de
15
résultats très lourde
alors même que l’organisation
générale mise en place retenue par le
ministère était complexe et
n’apparaît pas avoir
pleinement répondu a
ux exigences d’une
administration efficace.
Il résulte de l’instruction que les
personnes renvoyées ont dû, en outre,
travailler dans un contexte de forte pression politique. Il ressort en particulier
de l’instruction
que le ministre des affaires étrangères est personnellement intervenu à plusieurs reprises dans
les choix opérés en matière d’organisation
de la conférence. Il convient enfin de tenir compte
de ce que cette conférence internationale, considérée comme une réussite diplomatique,
s’est
déroulée dans des conditions financières maîtrisées.
84.
Il sera reconnu comme circonstance atténuante particulière pour M. X...
, le fait qu’il
s’es
t opposé au recours au marché D...-E... existant pour répondre aux besoins particuliers de
la COP 21.
85.
Il sera reconnu comme circonstance atténuante particulière pour M. Y...
le fait qu’il a
dû cumuler, contre son gré, les fonctions de chef du protocole et de responsable du
programme 341, cumul dont il avait souligné par avance les difficultés
en l’absence
de moyens
supplémentaires octroyés.
86.
Il sera reconnu comme circonstance atténuante particulière pour M. Z...
le fait qu’i
l a,
à plusieurs reprises, alerté par écrit des irrégularités commises.
87.
En revanche, la situation d’urgence dans laquelle les intéressés
indiquent s’être
trouvés pour préparer et organiser la COP 21, ne saurait être considérée comme une
circonstance atténuante. La France ayant été désignée pour organiser la COP 21 en
novembre 2013, et la préparation de cet événement ayant débuté avant même cette
désignation, le secrétariat général de la COP 21 et les services du protocole disposaient
d’un
temps suffisan
t pour préparer l’organisation de la conférence de Paris sur le climat
dans le
respect du droit des marchés publics.
C’est en réalité
la
déficience de l’organisation retenue
pour l’organisation de la COP 21
et
le manque d’anticipation, de coordination et de réactivité
des différents services qui ont
placé l’acheteur dans une situation d’urgence dont il ne peut se
prévaloir.
Sur l
’
amende
88.
Il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de
l
’
espèce en infligeant à M. X... une amende de mille euros, à M. Y... une amende de
mille euros et à M. Z... une amende de cinq-cents euros.
Sur la publication de l
’
arrêt
89.
Il y a lieu,
compte tenu des circonstances de l’espèce, en application de l’article
L. 313-15 du code des juridictions financières, de publier le présent arrêt sous forme
anonymisée au
Journal officiel
de la République française, selon les modalités prévues par
l’article L. 221
-
14 du code des relations entre le public et l’administration, et sous la même
forme anonymisée sur le site internet de la Cour.
16
ARRÊTE :
Article 1
er
: M. X... est condamné à une amende de 1 000
€ (mille
euros).
Article 2 : M. Y... est condamné à une amende de 1 000
€ (mille
euros).
Article 3 : M. Z... est condamné à une amende de 500
€ (cinq
-cents euros).
Article 4 : Le présent arrêt sera publié, sous forme anonymisée, au
Journal officiel
de la
République française et sur le site internet de la Cour.
Copie en sera adressée au ministre
de l’Europe et
des affaires étrangères.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, seconde section,
le 18 mars deux-mille-vingt-deux par Mme Bergeal, présidente de la section des finances du
Conseil d
’
État, présidente ; M. Yeznikian, conseiller d
’
État ; Mmes Vergnet et Coudurier,
conseillères maîtres à la Cour des comptes.
Notifié le 6 mai 2022.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce
requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la
République près les tribunaux judiciaires d
’
y tenir la main, à tous les commandants et officiers
de la force publique de prêter main-forte lorsqu
’
ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par la présidente de la Cour et la greffière.
La présidente,
La greffière,
Catherine BERGEAL
Isabelle REYT