1
Cour de discipline budgétaire et financière
Première section
Arrêt du 3 décembre 2021
«
Société anonyme d
’
économie mixte locale TERACTEM
»
N° 254-861
--------------
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
---
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,
siégeant à
la
Cour des comptes, en audience publique, a rendu l
’
arrêt suivant
:
Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1
er
de son livre III relatif à la
Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu le code des relations entre le public et l
’
administration, notamment ses articles
L. 221-14 et R. 221-16 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu l
’
ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines
personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;
Vu l
’
ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;
Vu le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés
passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l
’
article 3 de l
’
ordonnance n° 2005-649 du
6 juin 2005 ;
Vu le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;
Vu la communication en date du 8 juillet 2020, enregistrée le même jour au parquet
général, par laquelle le procureur financier près la chambre régionale des comptes Auvergne-
Rhône-Alpes a informé la procureure générale près la Cour des comptes, ministère public près
la Cour de discipline budgétaire et financière, de faits relatifs à la gestion administrative et
financière de la société anonyme d
’
économie mixte locale TERACTEM, conformément aux
dispositions de l
’
article L. 314-1 du code des juridictions financières ;
Vu le réquisitoire du 31 août 2020 par lequel la procureure générale a saisi de cette affaire
le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et
financière, conformément aux dispositions de l
’
article L. 314-1-1 du code des juridictions
financières ;
Vu la décision du 8 septembre 2020 par laquelle le président de la Cour de discipline
budgétaire et financière a désigné M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes
au Conseil d
’
État, en qualité de rapporteur de l
’
affaire ;
2
Vu la lettre recommandée de la procureure générale du 28 octobre 2020, ensemble l
’
avis
de réception de cette lettre, par laquelle, conformément aux dispositions de l
’
article L. 314-5
du code des juridictions financières, a été mis en cause, au regard des faits de l
’
espèce,
M. André X..., directeur général de la société anonyme d
’
économie mixte locale TERACTEM
depuis le 11 décembre 2013 ;
Vu la lettre du 26 avril 2021 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière
transmettant au ministère public le dossier de l
’
affaire après le dépôt du rapport de
M. de La Taille Lolainville, en application de l
’
article L. 314-6 du code des juridictions
financières ;
Vu la décision du 12 juillet 2021 de la procureure générale renvoyant M. X... devant la
Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l
’
article L. 314-6 du code des
juridictions financières ;
Vu la lettre recommandée adressée par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et
financière à M. X..., le 15 juillet 2021, l
’
avisant qu
’
il pouvait produire un mémoire en défense
dans les conditions prévues à l
’
article L. 314-8 du code des juridictions financières et le citant
à comparaître le 19 novembre 2021 devant la Cour de discipline budgétaire et financière,
ensemble l
’
avis de réception de cette lettre ;
Vu le mémoire en défense produit le 15 octobre 2021 par Maître Salamand dans l
’
intérêt
de M. X..., ensemble les pièces à l
’
appui ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu le représentant du ministère public, présentant la décision de renvoi, en
application de l
’
article L. 314-12 du code des juridictions financières ;
Entendu la procureure générale en ses réquisitions, en application de l
’
article L. 314-12
du code des juridictions financières ;
Entendu en sa plaidoirie Maître Salamand, M. X... ayant été invité à présenter ses
explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant ce qui suit :
Sur la compétence de la Cour
1.
En application du c) du I de l
’
article L. 312-1 du code des juridictions financières, la
Cour de discipline budgétaire et financière est compétente pour connaître des infractions
susceptibles d
’
avoir été commises dans l
’
exercice de leurs fonctions par
«
Tout représentant,
administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis
[…]
au contrôle d
’
une chambre
régionale des comptes
[…]
»
. La société anonyme d
’
économie mixte locale TERACTEM
relève de la compétence de contrôle des chambres régionales des comptes en application de
l
’
article L. 211-8 du code des juridictions financières dans la mesure où son capital est
majoritairement détenu par des collectivités territoriales et leurs groupements sis en région
Auvergne-Rhône-Alpes. Il en résulte que ses dirigeants sont justiciables de la Cour de discipline
budgétaire et financière.
3
Sur la prescription
2.
Aux termes de l
’
article L. 314-2 du code des juridictions financières
«
La Cour ne peut
être saisie par le ministère public après l
’
expiration d
’
un délai de cinq années révolues à
compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l
’
application des sanctions
prévues par le présent titre
»
. Il en résulte que ne peuvent être valablement poursuivies et
sanctionnées dans la présente affaire que les infractions commises moins de cinq ans avant la
date à laquelle a été déférée au parquet général la communication susvisée du ministère public
près la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, soit les faits commis depuis le
8 juillet 2015.
Sur les faits, leur qualification juridique et l
’
imputation des responsabilités
En ce qui concerne la qualification comme pouvoir adjudicateur de la société TERACTEM
3.
L
’
article 3
de l’
ordonnance du 6 juin 2005 susvisée définit les marchés dont elle régit la
passation comme des contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs, lesquels sont eux-mêmes,
notamment :
«
[…] Les organismes de droit privé ou les organismes de droit public
autres que
ceux soumis au code des marchés publics dotés de la personnalité juridique et qui ont été créés
pour satisfaire spécifiquement des besoins d
’
intérêt général ayant un caractère autre
qu
’
industriel ou commercial, dont : / a) Soit l
’
activité est financée majoritairement par un
pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à la présente ordonnance ; /
b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur soumis au code des
marchés publics ou à la présente ordonnance ; c) Soit l
’
organe d
’
administration, de direction
ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir
adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à la présente ordonnance ; ».
L
’
article 10
de l
’
ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée précise que les pouvoirs adjudicateurs sont,
notamment :
«
2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire
spécifiquement des besoins d
’
intérêt général ayant un caractère autre qu
’
industriel ou
commercial, dont : / a) Soit l
’
activité est financée majoritairement par un pouvoir
adjudicateur ; / b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ; / c)
Soit l
’
organe d
’
administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont
plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ;
[…]
»
.
4.
La société TERACTEM est une société anonyme d
’
économie mixte locale, régie par
les dispositions du code de commerce relatives aux sociétés anonymes et par les articles
L. 1521-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT). Elle est à ce titre
dotée de la personnalité juridique.
5.
La
société
TERACTEM
est
dotée
d
’
un
conseil
d
’
administration
composé
statutairement de membres dont plus de la moitié sont désignés par des collectivités, pouvoirs
adjudicateurs. Elle se trouve donc sous la dépendance d
’
un pouvoir adjudicateur. Par ailleurs,
son capital social étant majoritairement détenu par des collectivités territoriales et leurs
groupements situés en région Auvergne-Rhône-Alpes, elle relève du contrôle de la chambre
régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, en application de l
’
article L. 211-8 du code
des juridictions financières.
4
6.
Selon l
’
article L. 1521-1 du CGCT, les collectivités territoriales et leurs groupements
« peuvent, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, créer des sociétés
d
’
économie mixte locales [
…
] pour réaliser des opérations d
’
aménagement, de construction,
pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre
activité d
’
intérêt général
[…]
»
. Conformément à ces dispositions et à l
’
article 2 de ses statuts,
la société TERACTEM a pour objet social de satisfaire des besoins d
’
intérêt général. La
défense de M. X... soutient cependant que la société n
’
exercerait que des activités de caractère
industriel et commercial. Au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l
’
Union
européenne, cette qualification ne peut résulter que de l
’
appréciation portée par les juridictions
nationales sur les conditions dans lesquelles la société exerce son activité, en ce compris,
notamment, l
’
intervention sur un marché concurrentiel, la poursuite éventuelle d
’
un but
lucratif et la prise en charge des risques liés à son activité.
7.
L
’
existence d
’
une concurrence développée ne permet pas, à elle seule, de conclure à
l
’
absence d
’
un besoin d
’
intérêt général ayant un caractère autre qu
’
industriel ou commercial.
D
’
autres facteurs doivent être pris en compte et notamment la question de savoir dans quelles
conditions l
’
organisme exerce ses activités. Il ressort de l
’
instruction que les ressources tirées
des opérations d
’
aménagement confiées à la société par voie de concessions, mandats et
prestations de service, qui constituent l
’
activité essentielle de la société, s
’
avèrent déficitaires
et durablement insuffisantes pour couvrir ses charges de structure. Seules ses opérations en
nom propre dégagent une marge positive et lui permettent d
’
atteindre un équilibre financier.
Par ailleurs, la société ne distribue pas de dividendes à ses actionnaires. Au surplus, les
collectivités territoriales et la Caisse des dépôts et consignations détiennent à elles seules plus
de 75 % du capital de la société TERACTEM, ce qui illustre la volonté des donneurs d
’
ordre
publics de «
conserver une influence déterminante
» sur les opérations de la société au sens de
la jurisprudence de la Cour de justice de l
’
Union européenne, compte tenu de leur importance
en termes d
’
aménagement et de développement économique local et d
’
enjeux financiers. Les
critères de performance et d
’
efficacité économiques, mis en avant par la défense, sont en fait
susceptibles de concerner toute société et ne suffisent donc pas pour conclure au caractère
lucratif des activités de la société TERACTEM. Dans ces conditions, la société TERACTEM
ne peut être regardée comme poursuivant un but lucratif.
8.
Il résulte de ce qui précède que, même si la société TERACTEM exerce une partie de
ses activités dans un cadre concurrentiel, elle n
’
en satisfait pas moins, et pour une large part,
des besoins ayant un caractère autre qu
’
industriel et commercial. Or, lorsqu
’
un organisme
exerce plusieurs activités d
’
intérêt général dont certaines ont un caractère autre qu
’
industriel
et commercial, les marchés qu
’
il conclut sont soumis aux règles de la commande publique,
sans qu
’
il y ait lieu de distinguer selon la nature des activités.
9.
Il résulte des points précédents que la société TERACTEM était, sur la période
poursuivie, un pouvoir adjudicateur au sens de l
’
article 3 de l
’
ordonnance du 6 juin 2005 puis
de l
’
article 10 de l
’
ordonnance du 23 juillet 2015 à compter de son entrée en vigueur au
1
er
avril 2016, par application de l
’
article 188 du décret du 25 mars 2016 susvisé. Elle était
donc soumise aux dispositions des décrets susvisés des 30 décembre 2005 et 25 mars 2016.
10.
Par ailleurs, le conseil d
’
administration de la société TERACTEM a approuvé, lors de
la séance du 18 décembre 2014, un règlement intérieur de la commission d
’
appel d
’
offres et de
la commission d
’
attribution et en particulier un document relatif aux
«
Procédures de passation
TERACTEM pour les Marchés de Travaux
–
Fournitures
–
Services selon les articles 7 à 10 du
décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 pris en application de l
’
ordonnance n° 2005-649 du
6 juin 2005
»
. Ces documents constituent autant de règles internes de procédure qui s
’
imposent
dans le processus de passation des marchés.
5
En ce qui concerne les marchés de maîtrise d
’œuvre
11.
La société TERACTEM a notifié trois marchés, négociés de gré à gré, sans mesure de
publicité ni de mise en concurrence préalable :
-
le
9
septembre
2015,
le
marché
de
maîtrise
d
’œuvre,
d’
un
montant
de 254 847,21
€
HT, avec le cabinet d
’
architecture Y... pour la construction d
’
un
immeuble de logements « Le Sirah » à Gaillard ;
-
le 4 novembre 2015, le marché de maîtrise d
’œuvre
, d
’
un montant de
457 335,45
€
HT, avec le cabinet d
’
architecture Y... pour la construction d
’
un
ensemble résidentiel « Les Rigoles » à Argonay ;
-
le 15 avril 2016, le marché de maîtrise d
’œuvre, d’
un montant de 509 000
€
HT, avec
le cabinet d
’
architecture Z... pour une opération de construction de trois bâtiments
dans la ZAC du Centre Bourg à Viry.
12.
Concernant les deux marchés de 2015, en application des dispositions du décret du
30 décembre 2005 précité, les seuils au-dessus desquels s
’
appliquaient les procédures
formalisées de droit commun, précédées de la publication d
’
un appel public à concurrence
auprès du
Journal officiel
de l
’
Union européenne, étaient de 207 000
€
HT pour les marchés
de fournitures et de services, y compris les marchés dits de « service d
’
architecture »
explicitement visés à l
’
article 8 du même décret.
13.
Quand bien même les dispositions du marché de 2016 étaient explicitement placées
sous l
’
empire de l
’
ordonnance du 6 juin 2005 et du décret 30 décembre 2005, c
’
est la date
d
’
attribution du contrat qui détermine l
’
application dans le temps des règles de la commande
publique lorsqu
’
il n
’
y a pas eu consultation engagée du fait d
’
un marché passé de gré à gré,
comme en l
’
espèce. En application des dispositions du décret du 25 mars 2016 susvisé, les
seuils au-dessus desquels s
’
appliquaient les procédures formalisées de droit commun,
précédées de la publication d
’
un appel public à concurrence auprès du
Journal officiel
de
l
’
Union européenne, étaient de 209 000
€
HT pour les marchés de fournitures et de services.
Les articles 28 et 29 de ce décret n
’
ont pas dispensé les marchés de maîtrise d
’œuvre de
procédure formalisée.
14.
En vertu des règles internes applicables à la société TERACTEM rappelées au point 10
ci-dessus, et compte tenu de la nature et du montant des prestations prévues par ces contrats, la
conclusion de ceux-ci devait donc être précédée de mesures de publicité européenne et d
’
une
procédure de mise en concurrence formalisée, sauf à établir que de tels contrats entraient dans
les exceptions définies par le II de l
’
article 33 du décret du 30 décembre 2005 reprises dans le
I de l
’
article 30 du décret du 25 mars 2016.
15.
Au titre de ces exceptions figure celle invoquée par la défense de M. X... à savoir : «
Les
marchés qui ne peuvent être confiés qu
’
à un opérateur économique déterminé pour des raisons
techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d
’
exclusivité
». La possibilité de
recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence au motif de la protection
des droits d
’
exclusivité exige cependant d
’
une part, la démonstration de l
’
existence d
’
un droit
d
’
exclusivité objectif, extérieur au pouvoir adjudicateur, et d
’
autre part, l
’
impossibilité de
satisfaire le besoin par un autre moyen.
6
En ce qui concerne le marché de maîtrise d
’œuvre pour la construction d’
un immeuble de
logements « Le Sirah » à Gaillard
16.
Dans le cadre de l
’
installation d
’
une voie de tramway, la société TERACTEM a réalisé,
à la demande de la commune de Gaillard, l
’
analyse pré-opérationnelle des options de
constructibilité du site. Pour ce faire, elle a fait appel, sans procédure de mise en concurrence,
au cabinet
Y…
qui a exécuté, à compter de fin 2012, sans formalisation écrite, des études
d
’
esquisse, des études d
’
avant-projet sommaire, des études d
’
avant-projet définitif qui ont
ensuite donné lieu à la définition, entre janvier et mai 2013, d
’
un programme immobilier sur
le fondement duquel la commune a retenu la société TERACTEM pour réaliser le projet. Une
fois le permis de construire validé par la commune en 2014, le marché de maîtrise d
’œuvre a
été signé le 9 septembre 2015 au bénéfice du cabinet d
’
architecture Y
....
17.
La chronologie des opérations montre que c
’
est en raison de son choix initial de faire
appel au cabinet Y..., sans procédure d
’
appel à la concurrence ni formalisation, et donc en-
dehors de tout contrat valide, que la société TERACTEM s
’
est considérée comme liée pour la
poursuite du projet. Au surplus, la prestation initiale du cabinet Y... a été rétribuée
postérieurement dans le cadre du contrat formalisé via l
’
acte d
’
engagement du
9 septembre 2015. Ce paiement effectué ne pouvait avoir pour effet de constater l
’
existence
d
’
un droit d
’
exclusivité mais permettait au contraire au pouvoir adjudicateur d
’
utiliser, pour le
développement de son projet, des prestations acquises et rémunérées.
En ce qui concerne le marché de maîtrise d
’œuvre
pour la construction d
’
un ensemble
résidentiel « Les Rigoles » à Argonay
18.
Pour répondre à une procédure de consultation lancée par la commune d
’
Argonay, la
société TERACTEM, avec deux autres partenaires, s
’
est associée avec le cabinet
d
’
architecture Y
....
Choisi sans procédure de mise en concurrence, ce cabinet a réalisé les
études d
’
esquisse, les études d
’
avant-projet sommaire, les études d
’
avant-projet définitif, les
études de projet et le dossier de consultation des entreprises pour le compte de la
société TERACTEM.
19.
Comme pour le marché précédent, la chronologie des opérations montre que c
’
est en
raison de son choix initial de recourir au cabinet Y..., sans procédure d
’
appel à la concurrence
ni formalisation, et donc en-dehors de tout contrat valide, que la société TERACTEM s
’
est
considérée comme liée pour la poursuite du projet. Au surplus, la prestation initiale du cabinet
Y…
a été rétribuée postérieurement dans le cadre du contrat formalisé via l
’
acte d
’
engagement
du 4 novembre 2015. Ce paiement effectué ne pouvait avoir pour effet de constater l
’
existence
d
’
un droit d
’
exclusivité mais permettait au contraire au pouvoir adjudicateur d
’
utiliser, pour le
développement de son projet, des prestations acquises et rémunérées.
20.
Pour les deux marchés passés avec le cabinet d
’
architecture Y..., la matérialité
d
’
aucune des conditions rappelées au point 15 ci-dessus quant à l
’
existence d
’
un droit
d
’
exclusivité et de l
’
impossibilité de satisfaire le besoin par un autre moyen, n
’
a été établie.
Au surplus, dans les deux cas, c
’
est au stade de la commande initiale, non formalisée, qu
’
il
conviendrait d
’
apprécier si les opérations ne pouvaient être confiées qu
’
au cabinet
d
’
architecture pour les raisons évoquées ci-dessus. Ceci n
’
est pas établi en l
’
espèce, ni même
allégué.
7
21.
Enfin, les règles internes de la société TERACTEM précitées imposent que la
commission d
’
attribution soit décisionnaire, après avoir été destinataire d
’
un rapport de
procédure et d
’
analyse des offres, pour tous les marchés au-delà des seuils communautaires, y
compris pour les procédures négociées dérogatoires relevant de l
’
article 33 du décret du
30 décembre 2005. Il apparaît que cette procédure n
’
a été respectée ni s
’
agissant de
l
’
établissement d
’
un rapport de procédure et d
’
analyse des offres, ni s
’
agissant de la prise de
décision par la commission interne.
22.
Le fait d
’
avoir conclu les marchés en cause, sans mesure de publicité ni de mise en
concurrence préalable, au surplus sans présenter à la commission interne un rapport de
procédure et d
’
analyse des offres, est constitutif de l
’
infraction prévue à l
’
article L. 313-4 du
code des juridictions financières. Le fait d
’
avoir signé des marchés alors qu
’
ils avaient déjà
connu un commencement d
’
exécution constitue également une infraction aux règles relatives
à l
’
exécution des dépenses au sens de l
’
article L. 313-4 du code des juridictions financières.
23.
En revanche, les éléments constitutifs de l
’
infraction prévue à l
’
article L. 313-3 du code
des juridictions financières ne sont pas, en l
’
espèce, réunis, le directeur général de la société
TERACTEM étant compétent, en application des statuts de la société, pour procéder à la
signature des marchés.
En ce qui concerne le marché de maîtrise d
’œuvre pour la construction
de trois bâtiments dans
la ZAC Centre Bourg à Viry
24.
En 2008, la commune de Viry avait désigné la Société d
’
Équipement du Département
de la Haute-Savoie (SED74), devenue depuis la société TERACTEM, concessionnaire de la
ZAC du Centre. Le concessionnaire a porté sur la ZAC trois opérations de promotion pour
lesquelles il a eu recours au cabinet Z..., choisi sans procédure de mise en concurrence en
avril 2016. Par un protocole d
’
accord du 10 mai 2016, la société TERACTEM a ensuite cédé
ses droits à construire au promoteur, la société A..., en vue de la réalisation du programme
immobilier.
25.
La défense de M. X... soutient, en substance, que le contrat passé entre la société
TERACTEM et le cabinet Z... ne serait pas un marché public, la prestation du cabinet
d
’
architecte n
’
étant pas directement destinée à la société qui intervenait en qualité de
concessionnaire d
’
aménagement et non en tant que promoteur, et cette prestation n
’
ayant pas
un caractère onéreux, compte tenu d
’
un remboursement ultérieur effectué par la société A
....
26.
Il ressort de l
’
instruction que le protocole d
’
accord entre la société TERACTEM et le
promoteur date du 10 mai 2016 et qu
’
il est donc postérieur à la passation du marché litigieux.
Au surplus, ni ce protocole d
’
accord ni la facture correspondante ne font état de ce que la
société TERACTEM aurait agi au nom et pour le compte du promoteur, mais actent la cession
d
’
un certain nombre de parcelles entre deux acteurs du projet d
’
ensemble. En conséquence, il
ne ressort d
’
aucune pièce du dossier que le contrat litigieux aurait été passé au nom et pour le
compte d
’
un tiers au bénéfice d
’
un mandat de représentation.
27.
En conséquence, le fait d
’
avoir conclu le marché en cause, sans mesure de publicité ni
de mise en concurrence préalable, en méconnaissance des dispositions rappelées au point 13
ci-dessus est constitutif de l
’
infraction prévue à l
’
article L. 313-4 du code des juridictions
financières.
8
En ce qui concerne le marché de travaux de construction
de l’i
mmeuble « Le Nausicaa » à
Juvigny
28.
En application de l
’
article 10 du décret du 30 décembre 2005 précité, au-dessous
des seuils de procédure formalisée, les marchés sont passés selon des modalités librement
définies par le pouvoir adjudicateur. Ces marchés passés selon la procédure adaptée demeurent
soumis quel que soit leur montant aux principes généraux de la commande publique rappelés
à l
’
article 6 de l
’
ordonnance du 6 juin 2005, que sont
«
les principes de liberté d
’
accès à la
commande publique, d
’
égalité de traitement des candidats et de transparence des
procédures »
.
29.
Les règles internes de la société TERACTEM précitées définissent en particulier les
procédures applicables aux travaux supérieurs à 500 000
€
HT et inférieurs au seuil
communautaire
de 5 186 000
€
HT,
en
application
de
l
’
article
10 du décret
du
30 décembre 2005 précité.
30.
La communauté d
’
agglomération d
’
Annemasse a lancé une consultation pour
l
’
attribution d
’
un bail emphytéotique administratif portant sur la conception, le financement,
l
’
entretien technique, la maintenance et l
’
exploitation commerciale d
’
un ensemble immobilier
à usage professionnel et de services sur le Technosite ALTEA à Juvigny, comprenant un
restaurant, une crèche interentreprises, des locaux à usages de bureaux et d
’
activités de
production ou de services à la production. Dans le cadre de cette opération, la société
TERACTEM a conclu avec sa filiale, la société B..., le 22 février 2016, un contrat de
promotion immobilière, régi par l
’
article 1831-1 du code civil, avec la société C... un marché
de maîtrise d
’œuvre de 92
000
€
HT, et avec la société D... un marché de travaux pour la
construction d’un bâtiment multifonctions
« Le Nausicaa », passé « en procédure adaptée en
application de l
’
article 10 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 », notifié le
11 février 2016 pour un montant de 2 389 006,79
€
HT.
31.
En application de l
’
article 20 des statuts de la société TERACTEM, le conseil
d
’
administration, en matière d
’
engagement
d’
investissements,
«
décide les opérations propres
et à risque financier pour la société
»
. Le conseil d
’
administration a été informé lors de ses
réunions des 2 octobre 2014 et 18 décembre 2014 d
’
un projet commun de bail emphytéotique
administratif avec la société B..., sans toutefois valider explicitement le marché de travaux
conclu avec la société D
....
32.
En vertu des règles applicables à la société TERACTEM, et compte tenu de la nature
et du montant des prestations prévues par le contrat avec la société D..., sa conclusion devait
faire l
’
objet au préalable au minimum d
’
un
«
avis de publicité dans un support permettant
une concurrence suffisante
»
et d
’
une mise en concurrence négociée donnant lieu à un rapport
de procédure et d
’
analyse des offres à transmettre avec proposition de choix à la commission
d
’
attribution.
33.
Il ressort de l
’
instruction que cette procédure n
’
a pas été respectée, qu
’
il s
’
agisse de
mesures de publicité et de mise en concurrence minimales, de l
’
établissement d
’
un rapport de
procédure et d
’
analyse des offres, et enfin de la prise de décision par la commission
d
’
attribution.
9
34.
La défense de M. X... soutient, en substance, que la société n
’
était pas tenue de suivre
une procédure de publicité et de mise en concurrence en raison du caractère obligatoire de son
offre. L
’
attribution du marché de travaux à la société D... était, selon elle, rendue indispensable
par l
’
engagement contractuel qui liait les sociétés TERACTEM et B... à la communauté
d
’
agglomération d
’
Annemasse.
35.
Il ressort également de l
’
instruction que le bail emphytéotique administratif a été
présenté, non pas par un groupement qui aurait été constitué avec les partenaires de la société
TERACTEM, mais au seul nom de la société, la seule mention figurant dans le contrat étant
que sa filiale B pourrait lui être substituée. La société D... n
’
était donc pas cotraitante dans le
cadre du bail emphytéotique, mais un simple prestataire choisi par la société TERACTEM, en
tant que pouvoir adjudicateur, pour remplir ses propres obligations.
36.
Dans ces conditions, il ne ressort pas de l
’
instruction que le contrat relevait des cas
d
’
exception au principe de la publicité préalable et de la mise en concurrence énumérés au II
de l
’
article 33 du décret du 30 décembre 2005 susvisé. La possibilité de recours à la procédure
négociée sans publicité ni mise en concurrence au motif de raisons techniques exige en effet,
d
’
une part, la démonstration de l
’
existence de contraintes techniques rendant la mise en
concurrence impossible, et d
’
autre part, l
’
impossibilité de satisfaire le besoin par un autre
moyen. Aucun élément n
’
établit ainsi de contrainte opérationnelle ou technique justifiant la
nécessité de passer un marché de travaux de gré à gré avec la société D..., le marché visant au
demeurant l
’
application d
’
une procédure adaptée.
37.
Le fait d
’
avoir conclu le marché en cause, sans garantir les principes de liberté d
’
accès
à la commande publique, d
’
égalité de traitement des candidats et de transparence des
procédures et en particulier sans mesure de publicité ni de mise en concurrence, sans présenter
à la commission interne de rapport de procédure et d
’
analyse des offres ni lui permettre de
prendre la décision, est constitutif de l
’
infraction prévue à l
’
article L. 313-4 du code des
juridictions financières.
38.
En revanche, les éléments constitutifs de l
’
infraction prévue à l
’
article L. 313-3 du code
des juridictions financières ne sont pas, en l
’
espèce, réunis, le directeur général de la société
TERACTEM étant compétent, en application des statuts de la société, pour procéder à la
signature des marchés.
Sur les circonstances
39.
Le fait que la société TERACTEM intervienne dans un secteur concurrentiel
nécessitant de répondre dans des délais parfois très contraints aux demandes des collectivités
territoriales et le fait que ses objectifs stratégiques, s
’
imposant à son directeur général, portent
en partie sur le développement d
’
opérations propres et la réalisation d
’
excédents pour financer
des activités moins rentables, constituent des circonstances atténuantes de responsabilité pour
M. X
....
Sur l
’
amende
40.
Il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de
l
’
espèce en infligeant à M. X... une amende de mille euros.
10
Sur la publication de l
’
arrêt
41.
Il y a lieu, compte tenu des circonstances de l
’
espèce, de publier le présent arrêt au
Journal officiel
de la République française, selon les modalités prévues par les articles
L. 221-14 et R. 221-16 du code des relations entre le public et l
’
administration, et, sous forme
anonymisée, sur le site internet de la Cour, en application de l
’
article L. 313-15 du code des
juridictions financières. Il y a lieu également de mettre en place un lien entre le site internet de
la Cour et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
ARRÊTE :
Article 1
er
: M. André X... est condamné à une amende de 1 000
€ (mille euros).
Article 2 : Le présent arrêt sera publié au
Journal officiel
de la République française et, sous
forme anonymisée, sur le site internet de la Cour. Un lien sera créé entre le site internet de la
Cour et le
Journal officiel
qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, première section,
le 19 novembre deux-mille-vingt-et-un par M. Moscovici, Premier président de la Cour des
comptes, président ; MM. Dacosta et El Nouchi, conseillers d
’
État ; M. Geoffroy et
Mme Casas, conseillers maîtres à la Cour des comptes.
Notifié le 3 décembre 2021.
En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis
de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République
près les tribunaux judiciaires d
’
y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force
publique de prêter main-forte lorsqu
’
ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.
Le président,
La greffière,
Pierre MOSCOVICI
Isabelle REYT