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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
NOVEMBRE 2021
LES CHOIX DE PRODUCTION
ÉLECTRIQUE : ANTICIPER
ET MAÎTRISER LES RISQUES
TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
COUR DES COMPTES
3
SOMMAIRE
5
AVERTISSEMENT
7
SYNTHÈSE
9
INTRODUCTION
11
1 - UN PARC DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE
À RENOUVELER EN GRANDE PARTIE DANS
LES DEUX DÉCENNIES À VENIR
11
A - Un parc majoritairement nucléaire
dont l’évolution doit être anticipée
13
B - De longs délais de construction
des moyens de production
14
C - Un renouvellement du parc dont
le dimensionnement est incertain
16
2 - UN RENOUVELLEMENT SOUMIS À PLUSIEURS
ALÉAS ET PORTEUR D’ENJEUX IMPORTANTS
16
A - Un futur parc de production associé
à des défis technologiques
18
B - Des modalités de renouvellement qui impliquent
des investissements complémentaires
19
C - Des conséquences en termes de filières
industrielles, de formation, d’emploi
et d’aménagement du territoire
SOMMAIRE
20
3 - MIEUX ÉCLAIRER LES CHOIX, À ASSUMER
AVEC DÉTERMINATION
21
A - La nécessaire planification des étapes
de ce renouvellement
22
B - Mieux documenter le coût d’un futur
mix électrique et les conséquences
financières pour l’État
23
C - Des choix qui doivent être débattus,
puis mis en oeuvre
24
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX DE LA COUR DES COMPTES
COUR DES COMPTES
5
La présente note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à présenter,
sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels
seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années
et les leviers qui pourraient permettre de les relever. Cette série de
publications, qui s’étale d’octobre à décembre 2021, s’inscrit dans le
prolongement du rapport remis en juin 2021 au Président de la République,
Une stratégie des finances publiques pour la sortie de crise.
Ce travail de
synthèse vise à développer, sur quelques enjeux structurels essentiels,
des éléments de diagnostic issus de précédents travaux de la Cour et des
pistes d’action à même de conforter la croissance dans la durée tout en
renforçant l’équité, l’efficacité et l’efficience des politiques publiques.
La Cour, conformément à sa mission constitutionnelle d’information des
citoyens, a souhaité développer une approche nouvelle, qui se différencie
de ses travaux habituels, et ainsi apporter, par cette série de notes
volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat
public, tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes
envisageables.
Cette note a été délibérée par la 2
e
chambre et approuvée par le comité du
rapport public et des programmes de la Cour des comptes.
Les publications de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
.
AVERTISSEMENT
COUR DES COMPTES
7
SYNTHÈSE
La production électrique française repose aujourd’hui à environ 70 %, sur le parc de
réacteurs nucléaires. EDF envisage de porter la durée de vie d’au moins une partie
de ses centrales nucléaires à 60 ans. Ce parc aura toutefois en grande partie cessé
de produire avant 2050, ce qui nécessitera le renouvellement d’une part importante
de la capacité de production d’électricité et représentera un investissement
considérable.
Afin de respecter les engagements climatiques de la France, seuls des moyens dits
« décarbonés » (nucléaire, hydraulique, nouvelles énergies renouvelables) sont
désormais envisagés. La construction de ces nouveaux moyens de production
nécessite aujourd’hui un délai important. Elle appelle donc des décisions à présent
urgentes pour garantir notre approvisionnement à l’horizon de la décennie 2040,
et ce d’autant que le développement des usages de l’électricité (mobilité, industrie,
chauffage…) pourrait augmenter sensiblement la consommation d’électricité,
malgré les efforts, nécessaires, d’efficacité énergétique et de sobriété.
Le renouvellement du parc de production électrique français constitue un défi
technologique, technique et industriel. Les différentes composantes d’un futur parc
détermineront également des besoins nouveaux notamment en termes de réseaux
et de stockage, devant eux aussi être anticipés. Enfin, les répercussions en termes
d’emplois et d’aménagement du territoire rejoignent des enjeux de compétitivité
pour notre pays. Les choix à venir auront ainsi des conséquences sur plusieurs
décennies rendant d’autant plus nécessaire la tenue d’un débat sur les scénarios
énergétiques possibles, sur des bases mieux éclairées notamment par une analyse
de coûts.
8
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
Chiffres clés :
La production d’électricité est aujourd’hui assurée à près de
70 %
par les
réacteurs nucléaires.
Les deux tiers des réacteurs nucléaires en fonctionnement auront atteint
60 ans
dans le courant de la décennie 2040.
Les durées de construction des nouveaux moyens de production varient
entre
8 et 15 ans
selon les technologies, éolienne terrestre, éolienne
maritime ou nucléaire.
La consommation d’électricité pourrait passer d’environ
475 TWh à
650 TWh
en 2050 du fait de l’électrification des usages.
Débattre des choix possibles
Mieux documenter le coût
d’un futur mix électrique et les
conséquences financières pour l’État
Planifier les étapes
du renouvellement
puis les mettre
en oeuvre dans la durée
ANTICIPER ET MAÎTRISER
LES RISQUES LIÉS AU RENOUVELLEMENT
DU PARC DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE
ANTICIPER ET MAÎTRISER
LES RISQUES LIÉS AU RENOUVELLEMENT
DU PARC DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE
COUR DES COMPTES
9
INTRODUCTION
La construction et l’exploitation d’un parc électrique découlent, au moins
pour partie, de choix sociétaux en faveur ou en défaveur de certains modes de
production, et de la répartition souhaitée des risques en termes de sûreté et de
sécurité, de garantie de disponibilité, d’incertitudes technologiques, d’aléas de coûts
et de prix et de capacité financière des acteurs. Ces grandes décisions peuvent
également être éclairées par une analyse du coût du mix électrique résultant des
parts de chacune de ses composantes et de l’intensité de leur utilisation à l’année.
La production d’électricité dans notre pays, de l’ordre de 530 à 550 TWh par an sur
ces dernières années (500 TWh pour 2020), est assurée à environ 70 % par le parc
nucléaire. Mis en service pour une grande part à la fin des années 1970 et dans les
années 1980, il est aujourd’hui composé de 56 réacteurs. Le reste de la production
provient des barrages hydroélectriques, des nouvelles énergies renouvelables que
sont l’éolien terrestre (en attendant l’éolien en mer) et le solaire photovoltaïque,
d’une production thermique fossile au gaz et de façon de plus en plus résiduelle
au charbon ou au fioul, et marginalement des bioénergies. Elle est assurée pour
l’essentiel par le groupe EDF et couvre la totalité des besoins à l’année de notre
pays tout en assurant un solde exportateur de 50 à 70 TWh par an.
Le parc nucléaire en fonctionnement dont la durée de vie est actuellement
envisagée jusqu’à 60 ans devrait en grande partie être mis à l’arrêt d’ici 2050. Notre
outil de production électrique devra donc, de façon substantielle, être renouvelé
en une vingtaine d’années et pour plusieurs décennies (I). Le nouveau parc de
production électrique, quelles qu’en soient les composantes, devra relever des
défis technologiques et emportera de lourdes conséquences sur l’adaptation des
réseaux, la structuration des filières industrielles, l’emploi et les territoires (II). La
programmation énergétique actuelle éclaire insuffisamment les décisions à venir.
Ces choix doivent être débattus et devront ensuite être mis en œuvre de façon
résolue, en identifiant les jalons critiques (III).
COUR DES COMPTES
11
1 - UN PARC DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE À RENOUVELER
EN GRANDE PARTIE DANS LES DEUX DÉCENNIES À VENIR
Du fait de la fin de vie prévisible des réacteurs
nucléaires en fonctionnement, le parc actuel
de production électrique de notre pays
devra être majoritairement renouvelé d’ici
une vingtaine d’années. Afin de respecter
les engagements climatiques de la France,
seuls des moyens dits « décarbonés »
(nucléaire, hydraulique, nouvelles énergies
renouvelables) sont désormais envisagés
par la programmation énergétique pour
l’installation de nouvelles capacités de
production électrique. Compte tenu des délais
de construction, des décisions claires qui
engageront le pays à long terme, devront être
prises dès ces prochaines années.
A - Un parc majoritairement nucléaire
dont l’évolution doit être anticipée
Le parc de réacteurs nucléaires a été
majoritairement mis en service entre 1977 et
1987. EDF envisage de porter la durée de vie
d’au moins une partie de ses centrales à 60 ans.
Quelle que soit la trajectoire d’arrêt qui serait
mise en œuvre et la part effective du nucléaire
en 2035 par rapport à un plafond de 50 %
prévu par la loi énergie-climat n°2019-1147 du
8 novembre 2019, ce parc aura ainsi en grande
partie cessé de produire en 2047. Le fait que
le nucléaire représente 70 % de la production
nécessite donc une attention toute particulière.
Schéma n° 1 : composition du mix électrique 2019 (en part de l’énergie produite)
Répartition de la production par filière
6,3 %
Éolien
2,2 %
Solaire
11,2 %
Hydraulique
7,9 %
Thermique
fossile
1,8 %
Bioénergies
70,6 %
Nucléaire
Source : RTE (gestionnaire du réseau de transport d’électricité)
À ce jour, la prolongation des réacteurs à
50 puis 60 ans ne peut d’ailleurs être
tenue pour acquise, comme le souligne
régulièrement l’Autorité de sûreté nucléaire
(ASN). Elle dépend de la validation par
cette dernière des visites décennales de
chacun des réacteurs au bout de 40 puis
50 ans d’exploitation. Aujourd’hui, seule la
prolongation à 50 ans des réacteurs de type
REP 900 est engagée (cf. décision de l’ASN du
23 février 2021).
12
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
De ce point de vue, le fait que les choix en
matière de mix électrique n’aient pas été
effectués il y a dix ans, oblige d’ores et déjà à
intégrer, comme le prévoit la programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée en
mars 2020, la nécessité d’une prolongation
jusqu’à 60 ans d’une partie du parc, avec les
contraintes en termes de sûreté et les aléas du
passage de la cinquième visite décennale qui
en résultent.
En toute hypothèse, les dates rapprochées
de mise en service initiale du parc nucléaire,
concentrent son arrêt sur une courte période,
avec pour conséquence un « effet falaise »,
comme l’illustre le graphique suivant, et ce,
quel que soit le scénario retenu.
La prolongation de la durée de fonctionnement
des centrales nucléaires
Il n’existe pas, en France, d’encadrement législatif ou réglementaire de la
durée de fonctionnement des installations nucléaires de base. En revanche,
elles sont soumises à un réexamen périodique tous les 10 ans, au titre des
articles L. 593-18 et L. 593-19 du code l’environnement. EDF combine,
dans une logique d’optimisation industrielle, ce réexamen périodique avec
d’autres exigences techniques ainsi qu’avec la réalisation d’investissements
de maintenance, ce qui donne lieu à un arrêt prolongé des réacteurs, appelé
« visite décennale » (VD).
Une exploitation au-delà de 60 ans n’est aujourd’hui pas prévue. RTE
retient toutefois l’hypothèse, dans l’un des six scénarios de son rapport
Futurs énergétiques 2050
publié le 25 octobre 2021, d’une prolongation
de certains réacteurs au-delà de 60 ans tant qu’ils respecteront les normes
de sûreté, tout en soulignant que cela repose sur un pari technologique
lourd. Aux États-Unis, la commission de sûreté nucléaire (NRC) a accepté la
prolongation à 80 ans de quatre réacteurs,
Turkey Point 3
et
4,
et
Surry 1
et
2.
COUR DES COMPTES
13
B - De longs délais de construction
des moyens de production
Le renouvellement d’ici le courant de la
décennie 2040 d’une grande part de la capacité
de production d’électricité de notre pays
représentera un investissement considérable,
de plusieurs centaines de milliards d’euros
couvrant les moyens de production et les
investissements complémentaires en termes
de réseaux et de stockage d’électricité ou de
déchets radioactifs.
Le passé récent montre que la construction de
nouveaux moyens de production électrique
nécessite dans notre pays un délai important,
quelle que soit la technologie utilisée : plus
de 15 ans pour l’EPR, entre 7 et 9 ans pour
les parcs éoliens terrestres, un minimum de
11 années pour les premiers parcs éoliens
en mer. Ces délais, dont on peut espérer la
réduction à l’avenir, sont également significatifs
pour les infrastructures qui y sont associées :
5 à 10 ans pour les lignes haute tension,
4 à 7 ans pour les postes électriques, etc.
Les modes de production de l’électricité
au-delà de 2040 et la trajectoire pour y
parvenir constituent donc un enjeu majeur
pour les prochaines années. Il s’agit de
décisions à présent urgentes pour garantir
notre approvisionnement à cette échéance.
Graphique n° 1 : évolution de la puissance des réacteurs de deuxième génération (hors EPR)
selon différents scénarios de fermeture des réacteurs (MW)
Notes de lecture : VD signifie « visite décennale » ; pour le scénario industriel d’EDF, les dates précises de
fermeture ont fait l’objet d’hypothèses de la Cour tout en respectant les objectifs énoncés par ce scénario
Source : Cour des comptes
2016
2018
2020
2022
2024
2026
2028
2030
2032
2034
2036
2038
2040
2042
2044
2046
2048
2050
2052
2054
2056
2058
2060
MW
Puissance en fonctionnement en MW scénario arrêt VD5 (réacteurs 900 MW) et VD4 (autres réacteurs)
Puissance en fonctionnement en MW scénario arrêt VD5 (tous réacteurs)
Puissance en fonctionnement en MW scénario arrêt VD6 (tous réacteurs)
Puissance en fonctionnement en MW scénario industriel EDF (2 réacteurs par an entre 2030 et 2060)
0
10000
20000
30000
40000
50000
60000
70000
14
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
C - Un renouvellement du parc
dont le dimensionnement
est incertain
Le dimensionnement du parc pour l’après 2040
reste toutefois incertain : si la consommation
électrique dans notre pays a été assez constante
sur la dernière période, une incertitude existe
sur ce qu’elle sera dans 20 à 30 ans, sous l’effet
de la croissance, de la démographie et surtout
du développement encouragé des usages de
l’électricité (mobilité, industrie, chauffage…) au
regard de l’objectif de neutralité carbone en 2050.
À ce titre, disposer à cette échéance de
la capacité de production nécessaire
d’électricité décarbonée constitue un enjeu
environnemental et climatique non seulement
pour le secteur électrique mais également pour
les secteurs des transports, de l’industrie et du
bâtiment.
Une augmentation de 20 ou 30 % du besoin
d’électricité d’ici 2040 ou 2050 augmenterait ainsi
sensiblement le dimensionnement du futur parc
de production. La stratégie nationale bas-carbone
reflète cette anticipation de l’électrification des
usages en tablant sur une demande électrique à
l’horizon 2050 s’élevant à 650 TWh.
À l’inverse, une efficacité et une sobriété
énergétiques fortement accrues réduiraient
sensiblement ce besoin additionnel. Dans tous
les cas, une forte augmentation de la part de
l’électricité dans le mix énergétique est anticipée.
Ce dimensionnement dépend, par ailleurs, de la
volonté et de la possibilité de maintenir ou non un
solde exportateur de l’ordre de 50 à 70 TWh par
an, comme cela a été le cas tout au long de ces
dernières années. Un solde ramené à l’équilibre
compenserait une partie d’un éventuel surplus de
consommation.
Carte n° 1 : niveau des échanges commerciaux avec les pays frontaliers
Royaume-Uni
Export : 13,2 TWh
Import : 4,4 TWh
Europe de l’Ouest
et Europe Centrale
Export : 15,8 TWh
Import : 15,1 TWh
Suisse
Export : 19,5 TWh
Import : 6,3 TWh
Italie
Export : 16,3 TWh
Import : 0,9 TWh
Espagne
Export : 13,1 TWh
Import : 7,9 TWh
France
Export : 77,8 TWh
Import : 34,6 TWh
Solde : 43,2 TWh
Sources : RTE, Bilan électrique 2020
COUR DES COMPTES
15
L’élaboration de notre futur mix électrique devra
donc tenir compte des options qui sont retenues
par nos voisins en ce qui concerne l’évolution
de leur propre outil de production à long terme
comme l’illustre le graphique suivant, et dont
dépendra pour partie le maintien, ou non, d’une
situation exportatrice d’électricité.
Graphique n° 2 : illustration des mix électriques en 2040 pour l’Allemagne,
l’Espagne et la Grande-Bretagne
Allemagne
Espagne
Grande-Bretagne
Nucléaire
Charbon et fioul
Gaz
Photovoltaïque
Éolien
Autres nouvelles
énergies renouvelables
Source : RTE, Consultation publique sur le cadre et les hypothèses des scénarios du Bilan prévisionnel long terme
« Futurs énergétiques 2050 », à partir des scénarios élaborés par l’association des gestionnaires de réseau d’électricité
européens ENTSO-E
Les interconnexions sont en toute hypothèse
indispensables pour assurer l’équilibre offre/
demande permanent, pour mettre notre
consommation à l’abri d’un imprévu (accident,
catastrophe naturelle…) et en particulier pour
éviter de soumettre le secteur industriel à un
risque de difficulté d’approvisionnement. Un
tel risque pourrait avoir pour conséquence
un besoin d’effacement fortement accru de
la consommation d’électricité du secteur
industriel et plus encore un aléa de prix, en
fonction des fluctuations des marchés de
l’électricité en Europe.
En dépit des incertitudes sur nos besoins
d’électricité, il conviendra sur la période 2022-27
de faire et d’assumer des choix structurels
au moins pour la période 2040-2070, et
potentiellement pour 2040-2100. En effet,
le parc de production électrique renouvelé
engagerait notre pays pour plusieurs dizaines
d’années, de l’ordre de 60 ans en cas de
nouveaux réacteurs nucléaires, de 25 à 30 ans
pour les modes de production à partir d’énergies
renouvelables.
Ces choix à brève échéance seront donc
structurants à long terme, comme l’ont été
ceux des années 1960 et 1970 s’agissant du
parc nucléaire actuel. Naturellement, d’ici 2040
ou 2050, il est probable qu’interviendront des
innovations, voire des sauts technologiques ou
des événements qui n’auront pas été anticipés
à l’instar du développement de la technologie
éolienne maritime dans les années 1960.
Au regard de la contrainte de délai pour la
construction d’un nouveau parc, ces aléas
technologiques et de dimensionnement ne
permettent toutefois pas de différer les choix.
16
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
2 - UN RENOUVELLEMENT SOUMIS À PLUSIEURS ALÉAS
ET PORTEUR D’ENJEUX IMPORTANTS
La construction à grande échelle de nouvelles
capacités nucléaires suppose de surmonter
les difficultés rencontrées jusqu’à présent
sur les chantiers d’EPR en Europe, ou, le cas
échéant, d’être en mesure de développer à
brève échéance de nouvelles technologies
de type SMR (
Small Modular Reactor
). Le
recours aux nouvelles énergies renouvelables
(EnR) dans une proportion très majoritaire
et plus encore exclusive ne serait possible
qu’en résolvant les difficultés découlant de leur
variabilité. Ces différentes composantes d’un
futur parc, et leurs proportions, détermineront
également les besoins techniques additionnels,
en termes de réseaux, de stockage, de gestion
des combustibles et déchets nucléaires, etc.,
qu’il conviendra d’anticiper longtemps à
l’avance. Enfin, les répercussions en termes de
filières industrielles, de besoins de formation,
d’emplois et d’aménagement du territoire
rejoignent des enjeux de compétitivité pour
notre pays.
A - Un futur parc de production
associé à des défis technologiques
L’attention désormais portée au changement
climatique et à la recherche de la neutralité
carbone en 2050 contraint le champ des
choix possibles, dès lors que la production
d’électricité est déjà très largement décarbonée
dans notre pays. Le recours à grande échelle
aux solutions de production les plus simples
technologiquement (des centrales à charbon ou
au gaz fossile) serait ainsi incompatible avec le
respect de nos engagements internationaux et
européens. À ce titre, la fermeture des centrales
à charbon et l’arrêt de la construction de
nouvelles centrales au gaz est désormais actée.
Quant à l’hydraulique, notre pays bénéficie de
longue date d’un équipement important qui ne
pourra plus être complété que de façon limitée
et dont la capacité de production pourrait
être affectée à long terme par le changement
climatique.
Pour le nucléaire, la dérive des délais de
construction de l’EPR de Flamanville, qui aura
duré au moins onze ans de plus que prévu,
et de son coût, initialement chiffré à 3 Md€,
mais estimé par la Cour en juillet 2020 à plus
de 19 Md€ (les écarts sont du même ordre
pour l’EPR d’Olkiluoto en Finlande), reflète
la complexité accrue de réacteurs intégrant
des contraintes de renforcement de la sûreté
à la suite des accidents de Tchernobyl puis
de Fukushima. Il s’ensuit une incertitude en
termes de capacité à construire un nouveau
parc de réacteurs dans des délais et à de
coûts raisonnables. Le lancement de six EPR2,
nouveau modèle qui n’a pas encore été
validé par l’ASN, mais que le Gouvernement
a demandé à EDF de préparer, a été soumis à
l’entrée en service effective de Flamanville, qui
n’interviendra pas avant 2023. Si la décision
était prise, ces six EPR2, dont le coût de
construction estimé par EDF s’élève à 46 Md€,
entreraient en service de façon échelonnée
entre 2035 et le début des années 2040.
Or, le maintien d’une part nucléaire de 50 %
dans la production d’électricité projetée par
la stratégie nationale bas-carbone
au-delà de
2050 supposerait de disposer à terme non pas
de sept EPR ou EPR2, mais de 25 à 30 dans
COUR DES COMPTES
17
l’hypothèse où les réacteurs actuellement
en fonctionnement seraient presque tous
arrêtés à cet horizon. Construire un tel
nombre d’EPR2 en une trentaine d’années
nécessiterait, au-delà des mesures déjà prises
récemment (cf. plan Excell d’EDF présenté
en décembre 2019), une mobilisation et un
effort de redressement accélérés de notre
industrie nucléaire. La question du nombre de
sites disponibles pourrait en outre se poser, le
changement climatique pouvant rendre plus
compliquée l’installation de sites en bord de
fleuves.
Par ailleurs, le Commissariat à l’énergie
atomique (CEA), EDF, Naval Group et
TechnicAtome travaillent sur le projet
Nuward
de petit réacteur modulaire de type SMR.
De puissance plus limitée (170 MW unitaire,
dans le cadre d’une installation par paire,
de 340 MW au total), il pourrait être plus
facilement dupliqué et installé. Sa mise au
point et l’obtention de coûts raisonnables
ne sont toutefois pas espérées avant la
prochaine décennie. Dans son rapport
Futurs
énergétiques
2050, RTE envisage néanmoins,
dans l’un de ses six scénarios, l’hypothèse du
développement de SMR pour une puissance
cumulée de 4 000 MW, à la place de plusieurs
EPR2.
Les défis à relever paraissent tout aussi
importants pour les nouvelles énergies
renouvelables. Il n’existe certes pas
d’incertitude technologique pour les
outils de production en eux-mêmes, qui au
contraire progressent d’année en année, la
puissance moyenne des éoliennes terrestres
ou maritimes augmentant par exemple
régulièrement, de même que le rendement des
panneaux solaires photovoltaïques. Toutefois,
un développement de très grande ampleur,
dans un scénario 100 % renouvelable, ou ne
comportant qu’une faible part de nucléaire
ou d’autres moyens pilotables, nécessiterait
de surmonter les difficultés découlant de la
variabilité de leur production en définissant
des modalités de stockage à un coût abordable,
comme l’a souligné le rapport d’étape RTE-AIE
sur un scénario 100 % renouvelable en 2050.
Ce scénario risquerait également de se heurter
à des difficultés d’implantation du fait de
contraintes géographiques ou règlementaires,
voire de difficultés d’acceptabilité sociale,
tant pour l’éolien terrestre que pour les parcs
offshore
au large des côtes françaises, et,
dans une moindre mesure, de conflits d’usage
avec le secteur agricole pour de très grandes
centrales solaires au sol.
Pour ce qui concerne le remplacement du
gaz fossile par du gaz vert comme moyen
de production d’électricité, la question du
coût et des limites des moyens de production
de biogaz serait posée, de même que serait
interrogée la pertinence de son utilisation pour
produire de l’électricité plutôt que l’injection
dans le réseau de gaz ou l’approvisionnement
des flottes de bus ou de camions assurant
des dessertes locales. Enfin, l’utilisation
d’hydrogène comme moyen de production et
de stockage, qui n’est envisageable que s’il est
produit par un processus lui-même décarboné,
nécessite quant à elle des moyens accrus de
production d’électricité.
Ces difficultés, de différentes natures, ne sont
pas insurmontables pour notre pays ; mais leur
résolution suppose, dans tous les cas, à la fois
des choix clairs et une très forte mobilisation
de l’ensemble des acteurs.
18
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
Carte n° 2 : développement prévu des interconnexions
Paquet 0
Paquet 1
Paquet 2
Hors paquets
Manche
FRANCE
IRLANDE
ALLEMAGNE
ITALIE
ESPAGNE
GRANDE-
BRETAGNE
PAYS-
BAS
BELGIQUE
Méditerranée
Celtic
Interconnector
Projets
transpyrénéens
Golfe de
Gascogne
Lonny-Achêne-
Gramme
Avelin/Mastaing
Avelgem-Horta
TD Aubange
Muhlbach-
Eichstetten
Vigy-
Uchtelfangen
ElecLink
Savoie-
Piémont
Renforcement
France-Suisse
IFA2
Paquet 0
~3 GW
IFA2
ElecLink
Savoie-Piémont
Paquet 1
~5 GW
Golfe de Gascogne
Avelin/Mastaing-
Avelgem-Horta
TD Aubange
Vigy-Uchtelfangen
Muhlbach-Eichstetten
Paquet 2
~5 GW
Lonny-Achêne-
Gramme
Celtic Interconnector
2 projets France-
Grande Bretagne
Renforcement
France-Suisse
Hors paquets
1 projet France-
Grande Bretagne
Projets
transpyrénéens
SUISSE
Sources : RTE, Bilan électrique 2020, schéma décennal de développement du réseau 2019
B - Des modalités de renouvellement
qui impliquent des investissements
complémentaires
Il est d’autant plus nécessaire de faire des choix
rapidement sur le mix énergétique que d’autres
décisions « techniques » en découleront.
Pour ce qui concerne les aspects « classiques »
relatifs au fonctionnement d’un grand système
électrique, il faut en premier lieu souligner
que le réseau des lignes très haute tension
(THT) devra, le cas échéant, être adapté pour
raccorder de nouveaux lieux de production, en
particulier les parcs éoliens en mer, voire des
réacteurs nucléaires qui seraient construits sur
de nouveaux sites, ainsi que pour s’adapter aux
arrêts concomitants (un délai d’anticipation
supérieur à 10 ans est nécessaire).
L’ampleur des besoins en interconnexions
supplémentaires, au-delà de celles déjà
programmées (cf. carte suivante) pourrait
également varier sensiblement en fonction de
la part de mix « pilotable ». Une très grande
part d’énergies renouvelables au sein de la
production d’électricité rendrait nécessaire, en
complément de modalités de stockage, une
capacité d’échanges accrue avec nos voisins.
De ce point de vue, la position géographique
de notre pays et la diversité des modes de
production constituent un atout.
COUR DES COMPTES
19
Enfin, les nouvelles énergies renouvelables
éoliennes terrestres et solaires photovoltaïques
doivent être raccordées non pas au réseau
THT, mais au réseau de distribution. Les
besoins d’adaptation de ce dernier varieront
considérablement en fonction de la part de ces
nouvelles énergies renouvelables.
Le renouvellement du parc de production
pourrait enfin soulever des questions plus
spécifiques : de nouveaux réacteurs
nucléaires, qui fonctionneraient jusqu’en
2100, entraineraient un besoin de gestion de
leurs combustibles usés. Cela supposerait,
soit de renouveler l’usine de retraitement
des combustibles de la Hague (en cas de
poursuite de l’utilisation du plutonium issu de
ce retraitement dans des combustibles dits
« MOX » en adaptant les nouveaux réacteurs
à cet usage) et de créer de nouveaux sites
d’entreposage puis de stockage des déchets
nucléaires soit de proposer un autre mode
de gestion des combustibles usés et des
déchets, qui seraient, dans une telle hypothèse,
beaucoup plus volumineux.
C - Des conséquences en termes
de filières industrielles, de formation,
d’emploi et d’aménagement
du territoire
Les filières concernées dans notre pays ont
besoin de visibilité pour tirer le meilleur profit
du renouvellement du parc ou pour s’y adapter.
La filière nucléaire représente 200 000 emplois
en France , répartis entre plus de
2 000 entreprises, constituant la troisième
filière industrielle française derrière
l’aéronautique et l’automobile. Par ailleurs, la
présence d’une filière nucléaire civile n’est pas
sans incidence pour nos moyens militaires.
Les nouvelles énergies renouvelables
correspondent à une dizaine de filières
industrielles différentes, pour un total
d’environ 60 000 emplois hors hydraulique.
Toutefois, le développement de l’éolien
terrestre et du solaire photovoltaïque dans
notre pays ne s’est que très partiellement
traduit par une croissance des emplois de
fabrication de ces équipements, même si
l’évolution des emplois au titre des énergies
renouvelables au cours de la dernière
décennie a été essentiellement portée par les
nouvelles énergies renouvelables électriques.
Les parcs éoliens maritimes ont par contre
entraîné la création d’usines à Saint-Nazaire,
au Havre et à Cherbourg.
20
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
D’une façon générale, pour l’ensemble des
moyens de production, les choix à venir
conditionneront fortement l’évolution des
besoins de formation et d’emplois, pour
construire ces nouveaux moyens, les faire
fonctionner et en assurer la maintenance. Des
choix clairs et rapides, orientant les évolutions à
long terme, favoriseraient les retombées les plus
positives en termes industriels et d’emplois.
L’impact de ces décisions sera également
important pour chacun des territoires
concernés, dans une perspective plus globale
d’aménagement du territoire, qu’il s’agisse
là encore de la fabrication de moyens de
production ou de leur maintenance. La
répartition territoriale des emplois sera très
différente en fonction des choix qui seront
arrêtés.
3 - MIEUX ÉCLAIRER LES CHOIX, À ASSUMER AVEC DÉTERMINATION
L’ampleur du besoin de renouvellement du
parc de production actuel d’ici une vingtaine
d’années, les défis technologiques et
techniques restant à relever, les conséquences
des choix à venir en termes d’équipements
complémentaires, de filières industrielles,
d’emplois et d’impacts territoriaux, rendent
d’autant plus nécessaire la tenue d’un débat,
sur des bases mieux éclairées, avant de
prendre des décisions, qu’il faudra ensuite
mettre en œuvre de façon résolue, en
identifiant les jalons critiques.
Graphique n° 3 : évolution de l’emploi dans les énergies renouvelables entre 2004 et 2017
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
0
10 000
20 000
30 000
40 000
50 000
60 000
70 000
80 000
En ETP*
Hydraulique
Éolien
Géothermie
Bois-énergie
Photovoltaïque
Biogaz
Pompes à chaleur
Biocarburants
Solaire thermique
UIOM (Unités d’incinération d’ordures ménagères)
* ETP : Emploi, en équivalents temps plein
Note de lecture : Ces emplois recouvrent les activités de fabrication, d’installation et de
maintenance des équipements (éoliennes, pompes à chaleur, panneaux photovoltaïques,
etc.) et de la vente d’énergie
Source : Ministère de la transition écologique , Chiffres clés des énergies renouvelables, 2020
COUR DES COMPTES
21
A - La nécessaire planification
des étapes de ce renouvellement
Le renouvellement du parc de production
électrique nécessite du temps, et donc une
forte capacité d’anticipation, ce que n’assure
pas, à l’échéance 2045-2050, la programmation
pluriannuelle de l’énergie (PPE).
La PPE trace un chemin intermédiaire pour
atteindre une limitation à 50 % de la part du
nucléaire en 2035 et la hausse progressive
des nouvelles énergies renouvelables (EnR),
mais elle n’indique pas ce que sera l’outil de
production au-delà de la fin de vie du parc
actuel. Renforcer le volet de la stratégie
nationale bas-carbone
consacré aux
perspectives d’évolution du parc de production
électrique pourrait permettre d’esquisser
une trajectoire de long terme nécessaire à la
programmation des investissements.
Au regard de l’actuelle PPE, la progression des
EnR a déjà pris du retard, et la séquence précise
de fermeture de réacteurs pour atteindre
50 % en 2035 n’est pas officiellement arrêtée.
Comme RTE l’a récemment souligné dans
son dernier bilan prévisionnel de l’équilibre
offre-demande d’électricité, la sécurité
d’approvisionnement est actuellement sous
vigilance et la simple tenue des objectifs d’EnR
nécessiterait une accélération très sensible
du rythme annuel de mise en service de
ces nouveaux moyens de production. C’est
tout particulièrement le cas pour les filières
éoliennes en mer ou solaire photovoltaïque,
comme l’illustre le graphique suivant pour
cette dernière.
Graphique n° 4 : trajectoire d’évolution de la filière solaire photovoltaïque
Objectifs PPE
Parc installé solaire
Trajectoire tendancielle
Objectif PPE Haut
Trajectoire atteinte objectifs
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
2022
2023
2024
2025
2026
2027
2028
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
30 000
35 000
40 000
45 000
50 000
En MW
Source : Cour des comptes, selon données RTE
22
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
C’est dans ce contexte que le Gouvernement
a demandé fin 2019 à RTE de travailler sur
des scénarios 2050, pour préciser l’ensemble
des aspects technologiques, techniques,
environnementaux et sociétaux à prendre en
considération. Les travaux présentés dans le
rapport
Futurs énergétiques
2050 resteront à
intégrer, après débat contradictoire, dans une
planification gouvernementale.
B - Mieux documenter le coût
d’un futur mix électrique
et les conséquences financières
pour l’État
Le choix du prochain mix électrique à horizon
2040 devrait également être mieux éclairé par
une analyse sur les coûts.
Concernant les coûts unitaires des différentes
technologies et leurs évolutions d’ici 20 à
30 ans, il existe de grandes incertitudes sur les
technologies non matures, telles que le nouveau
nucléaire ou les installations de stockage, et par
ailleurs sur le rythme et l’ampleur de la baisse
des coûts pour les filières éoliennes et solaires
photovoltaïques.
En outre, il existe une différence importante entre
les coûts unitaires de chaque filière et les coûts du
mix qui en résultent, en fonction, notamment, de
la part de chacune de ces filières et des éléments
complémentaires qui en découlent.
Or, pour le moment, la planification ne
s’appuie pas suffisamment sur des exercices
de comparaison de coût de divers scénarios.
La deuxième PPE propose une trajectoire de
mix à l’horizon 2035, sans évaluer pour l’instant
des éléments de coûts à plus long terme. Le
rapport
Futurs énergétiques 2050
de RTE
devrait servir de fondement à une meilleure
analyse de ce coût du mix électrique.
Par ailleurs, EDF ne pourra financer seule la
construction de nouveaux réacteurs alors
qu’elle doit supporter le coût de la prolongation
du parc actuel et des investissements de
sûreté « post Fukushima », faire face aux coûts
futurs de démantèlement et à l’évolution
incertaine de l’accès régulé au nucléaire
historique en place depuis 2011, et qu’elle
est déjà endettée à hauteur de 42 Md€. Pour
être mené à bien, l’effort d’investissement
supposerait un partage des risques avec
l’État. Les conséquences budgétaires doivent
être anticipées, dans un contexte où la
restructuration de la filière nucléaire a déjà
récemment conduit l’État à mobiliser une aide
publique importante.
Parallèlement, le développement des nouvelles
énergies renouvelables (EnR) a représenté jusqu’à
présent un coût budgétaire substantiel : le soutien
aux EnR électriques à travers des tarifs garantis
correspond à 5 611,7 M€ de dépenses en 2020.
Par ailleurs, les comptes de l’État 2020 identifient
113 870 M€ d’engagements au titre du compte
d’affectation spéciale « Transition énergétique »,
qui retrace principalement les engagements de
soutien aux énergies renouvelables électriques
(auxquels s’ajoutent la cogénération et
le bio-méthane). Si ces EnR pourront
progressivement se développer aux conditions
de marché, une vigilance reste nécessaire.
La PPE a ainsi évalué entre 19,2 et 33,4 Md€
le montant des nouveaux engagements de
soutien aux énergies renouvelables nécessaires
à l’atteinte des objectifs 2028.
Il existe ainsi un risque important pour les
finances publiques, soit au titre de l’État
actionnaire, soit au titre de mécanismes de
soutien à la production, au stockage ou à
l’effacement. Le choix d’un mix électrique doit
se faire en tenant compte de ces contraintes :
selon les hypothèses qui seront retenues pour
la part relative des différentes filières et les
modes de rémunération de celles-ci (tarifs
garantis ou rémunération sur les seuls marchés
de l’électricité), les coûts de production seront
couverts dans des proportions différentes
COUR DES COMPTES
23
par la facture des consommateurs et par
l’impôt des contribuables. En tout état de
cause, un effort accru d’efficacité et de sobriété
énergétiques viendrait limiter les risques
pesant sur les finances publiques.
C - Des choix qui doivent être
débattus, puis mis en œuvre
Dans un contexte où il n’existe ni décision simple,
ni solution à faible coût, ni risque zéro, il est
nécessaire, comme la Cour a eu l’occasion de le
relever, de définir une stratégie de mix électrique,
d’en anticiper et d’en assumer les conséquences,
puis de la mettre en œuvre de façon ordonnée. La
tenue d’un débat démocratique éclairé favoriserait
des choix arrêtés en toute connaissance de cause
puis suivis d’effet dans la durée.
La loi énergie-climat de 2019 a introduit
l’article L.100-1 A du code de l’énergie, qui
dispose que : «
Avant le 1
er
juillet 2023, puis tous
les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe
les priorités d’action de la politique énergétique
nationale pour répondre à l’urgence écologique et
climatique. […], la programmation pluriannuelle
de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1
du présent code et la stratégie bas-carbone
mentionnée à l’article L. 222-1 B du code de
l’environnement font l’objet d’une concertation
préalable adaptée dont les modalités sont définies
par voie réglementaire. Cette concertation ne
peut être organisée concomitamment à l’examen
par le Parlement du projet ou de la proposition de
la loi prévue au I du présent article
».
Le débat parlementaire qui se tiendra en
2023 à l’occasion de l’adoption de la loi de
programmation, revêt ainsi une importance
stratégique majeure. Il importe de préparer
au mieux l’orientation des investissements
énergétiques dans notre pays pour les
décennies à venir, dont les conséquences seront
supportées par tous les Français.
En l’absence de marge de manœuvre sur les
délais, la trajectoire qui sera adoptée devra
identifier les étapes les plus importantes pour
sa mise en œuvre. Il s’agit notamment de :
la construction dans les temps de la piscine
d’entreposage centralisée, nécessaire à la
poursuite d’exploitation du parc nucléaire
actuel, la capacité à prolonger certains
réacteurs de 40 à 50 puis 60 ans, la disponibilité
de technologies de stockage de l’électricité
à coûts raisonnables, la capacité à construire
d’éventuels EPR 2 dans les délais prévus,
le niveau de la demande d’hydrogène
et de développement du
Power-to-X
, le
développement au rythme annoncé des mix
électriques frontaliers, la réalisation aux dates
prévues des interconnexions supplémentaires
et, enfin, le démarrage du projet de stockage
des déchets radioactifs
Cigéo
.
Devant respecter l’objectif de neutralité
carbone en 2050, le nécessaire renouvellement
à terme du parc de production électrique,
aujourd’hui majoritairement nucléaire,
nécessite une forte anticipation compte
tenu des enjeux technologiques, techniques,
industriels et financiers.
Le choix d’un mix électrique s’inscrit, de plus,
dans un contexte d’incertitudes fortes, tant sur
les évolutions des technologies elles-mêmes et
de leurs coûts, que sur l’évolution de la demande,
compte tenu des reports d’usages vers l’électricité,
mais également des objectifs d’efficacité et de
sobriété énergétiques, de toute façon nécessaires
pour réduire les risques en termes de sécurité
d’approvisionnement et le coût pour les finances
publiques et les consommateurs.
Le débat démocratique qui doit se tenir sur
le sujet peut être utilement éclairé par la
comparaison de différents scénarios illustrant
le champ des possibles ainsi que la sensibilité
des résultats aux différents paramètres.
24
LES CHOIX DE PRODUCTION ÉLECTRIQUE : ANTICIPER ET MAÎTRISER LES RISQUES TECHNOLOGIQUES,
TECHNIQUES ET FINANCIERS
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX
DE LA COUR DES COMPTES
La Cour a mené de nombreux travaux ces dernières années sur lesquels elle s’est
appuyée, en particulier les publications suivantes :
l
Réseau de transport d’électricité (RTE),
observations définitives, octobre 2021
;
l
Enedis : contrôle des comptes et de la gestion,
observations définitives, mai 2021 ;
l
Compte d’affectation spéciale « transition énergétique »,
note d’analyse de
l’exécution budgétaire 2020, avril 2021 ;
l
La filière EPR
, rapport public thématique, juillet 2020 ;
l
L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires,
communication à la
commission des finances du Sénat, mars 2020 ;
l
L’aval du cycle de combustible nucléaire,
rapport public thématique, juillet 2019 ;
l
Le soutien aux énergies renouvelables,
communication à la commission des
finances du Sénat, avril 2018 ;
l
L’évaluation de la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire
historique (ARENH),
référé, mars 2018.
La Cour des comptes a par ailleurs adressé, aux organismes contrôlés, ses
observations définitives sur le sujet suivant :
l
L’analyse des coûts du système de production électrique en France,
observations
définitives, 2021.
Les publications de la Cour des comptes sont consultables sur le site Internet :
www. ccomptes.fr
Le présent rapport
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
NOVEMBRE 2021