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LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
NOVEMBRE 2021
ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
RESTAURER LA COHÉRENCE
DE LA POLITIQUE DU
LOGEMENT EN L’ADAPTANT
AUX NOUVEAUX DÉFIS
COUR DES COMPTES
3
SOMMAIRE
5
AVERTISSEMENT
7
SYNTHÈSE
9
INTRODUCTION
11
1 - UNE POLITIQUE AUX OBJECTIFS AMBITIEUX,
QUI N’ATTEINT QUE DES RÉSULTATS MODESTES,
VOIRE DÉCEVANTS
12
A - Des objectifs multiples difficiles à atteindre
15
B - Une panoplie d’instruments poursuivant
des objectifs hétérogènes
18
2 - LES LEVIERS D’ACTION POUR REMETTRE
EN COHÉRENCE LA POLITIQUE DU LOGEMENT
18
A - Améliorer la performance de la dépense
publique en faveur du logement
19
B - Rééquilibrer le rôle des acteurs publics pour
renforcer la cohérence territoriale de la politique
21
C - Privilégier une approche qualitative pour
prendre en compte les nouvelles priorités sociales
et environnementales
25
CONCLUSION
26
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX DE LA COUR
DES COMPTES
COUR DES COMPTES
5
La présente note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à présenter,
sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels
seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années
et les leviers qui pourraient permettre de les relever. Cette série de
publications, qui s’étale d’octobre à décembre 2021, s’inscrit dans le
prolongement du rapport remis en juin 2021 au Président de la République,
Une stratégie des finances publiques pour la sortie de crise.
Ce travail de
synthèse vise à développer, sur quelques enjeux structurels essentiels,
des éléments de diagnostic issus de précédents travaux de la Cour et des
pistes d’action à même de conforter la croissance dans la durée tout en
renforçant l’équité, l’efficacité et l’efficience des politiques publiques.
La Cour, conformément à sa mission constitutionnelle d’information des
citoyens, a souhaité développer une approche nouvelle, qui se différencie
de ses travaux habituels, et ainsi apporter, par cette série de notes
volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat
public, tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes
envisageables.
Cette note a été délibérée par la 5
e
chambre et approuvée par le comité du
rapport public et des programmes de la Cour des comptes.
Les publications de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
.
AVERTISSEMENT
COUR DES COMPTES
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SYNTHÈSE
Le contraste est fort entre une politique du logement conçue dans les années
1970, voire dans l’après-guerre, autour des priorités de reconstruction, et les
réalités humaines de la France des années 2020. En outre, bien que cette politique
s’inscrive dans un cadre en évolution constante, elle peine à atteindre ces objectifs,
dont le nombre s’est élargi. De nombreuses lois se sont succédé au cours des
dernières années et, en dépit des réformes successives, le budget public consacré
au logement reste à un niveau comparativement plus élevé que dans des pays
comparables, sans pour autant garantir une plus grande efficacité, notamment
pour loger les ménages modestes et défavorisés.
Dans un contexte de dégradation des finances publiques, les enjeux apparaissent
nombreux : nécessité d’un meilleur ciblage des diverses aides et des bénéficiaires
du parc de logements sociaux, réponse aux évolutions des besoins des ménages sur
le territoire (développement du télétravail, transports rapides, attractivité de villes
moyennes, etc.), adaptation de l’habitat au vieillissement de la population et à la
préservation de l’environnement, meilleure coordination entre les acteurs.
Face à ce constat, la Cour propose trois leviers d’action susceptibles d’être
mobilisés pour remettre en cohérence la politique du logement. Le premier vise
à améliorer la performance de la dépense publique en faveur du logement, par
une meilleure évaluation des dépenses fiscales, un recentrage de l’effort public
sur les publics les plus défavorisés et une meilleure coordination de l’action des
nombreux intervenants publics. Le deuxième axe repose sur un rééquilibrage des
responsabilités entre l’État et les collectivités locales pour faire du cadre territorial
le lieu naturel de mise en cohérence de la politique du logement. La troisième
piste conduit à privilégier une approche plus qualitative pour prendre en compte
les nouvelles priorités sociales et environnementales plutôt qu’à continuer de
s’assigner des objectifs quantitatifs nationaux de construction de logements.
8
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
Chiffres clés
37 millions
de logements en 2020, pour
67 millions
d’habitants
38 Md€
de moyens publics consacrés au logement en 2020, soit
1,6 %
du PIB, dont
14 Md€
de dépenses fiscales non évaluées
6,4 millions
de ménages bénéficient d’aides au logement
5,4 millions
de ménages disposent d’un logement social
Moins de
8 %
de rotation annuelle des occupants du parc social en 2020,
contre plus de
10 %
en 2011
22 %
des résidences principales en 2018 sont difficiles ou trop coûteuses
à chauffer
Rééquilibrer le rôle des
acteurs publics dans
les territoires
Privilégier l’amélioration
qualitative de l’habitat
Optimiser
les ressources
et mieux cibler
les publics défavorisés
RESTAURER LA COHÉRENCE
DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT
RESTAURER LA COHÉRENCE
DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT
COUR DES COMPTES
9
INTRODUCTION
Dans le prolongement de sa publication de juin dernier,
Une stratégie de finances
publiques pour la sortie de crise,
la Cour a conduit un diagnostic sur la politique
du logement en France métropolitaine et a identifié ce qu’elle estime être les
principaux leviers d’action envisageables dans les prochaines années. Elle s’est
appuyée sur les nombreux travaux qu’elle a réalisés récemment sur la politique du
logement, en les actualisant au cours de l’été 2021, afin notamment de prendre la
mesure des enjeux liés à la crise sanitaire.
Au regard des 37,6 Md€ de moyens publics qui étaient consacrés au logement en
2020, le contraste est fort entre une politique dont la conception et les moyens
restent marqués par les années 1970, voire par l’après-guerre, autour de priorités
comme la reconstruction et la résorption de l’habitat insalubre, et les réalités de la
France d’aujourd’hui, même si certains de nos concitoyens connaissent toujours des
difficultés de logement. Notre pays se caractérise par l’accroissement de la fluidité
sociologique, professionnelle et géographique de ses 30 millions de ménages, par
la redéfinition des conditions de leur ancrage territorial (télétravail, transports
rapides, villes moyennes, etc.), dans un contexte de dégradation des finances
publiques et de concurrence entre les systèmes socio-économiques nationaux. Ces
mutations doivent, en outre, tenir compte de la nécessité d’adapter le patrimoine
de logements au vieillissement de ses occupants dans un contexte de recherche
du maintien à domicile des personnes âgées. À cette nécessité s’ajoute le défi
climatique, qui impose de construire et de rénover l’habitat dans des conditions qui
préservent ou ne dégradent pas l’environnement.
Après avoir établi un diagnostic de la politique du logement au cours de la décennie
écoulée (I), la Cour esquisse trois priorités d’action (II). Ces priorités portent
sur l’amélioration de l’efficience des financements consacrés au logement, le
rééquilibrage des compétences entre les intervenants publics et une meilleure prise
en compte de la dimension qualitative de la politique du logement.
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RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
COUR DES COMPTES
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1 - UNE POLITIQUE AUX OBJECTIFS AMBITIEUX, QUI N’ATTEINT
QUE DES RÉSULTATS MODESTES, VOIRE DÉCEVANTS
Garant, en matière de logement, d’une politique
d’aide définie par la loi, l’État intervient
traditionnellement par l’établissement de
normes et par une intervention financière
substantielle, qui prend diverses formes :
réductions d’impôts destinées à favoriser
l’investissement des organismes d’HLM
(habitation à loyer modéré) et des particuliers
dans des logements locatifs, aides à la personne
permettant aux ménages les moins favorisés
de faire face à leurs dépenses courantes de
logement, aides à la pierre visant à soutenir
la construction de logements sociaux et la
rénovation de logements du parc privé ou
à aider les ménages modestes à devenir
propriétaires de leur logement, comme le
prêt à taux zéro (PTZ). Ces actions ont permis,
au cours des décennies passées, d’améliorer
sur le plan quantitatif et qualitatif le parc
de logements disponibles, d’accroître l’offre
de logements sociaux à prix modérés ou de
soutenir la rénovation de l’ensemble du parc.
En France, la politique du logement mobilise,
toutes administrations publiques confondues,
37,6 Md€ en 2020, soit 1,6 % du PIB, part
nettement supérieure à celle de nombreux
pays de l’Union européenne (1,2 % en données
Eurostat 2018 en France, contre 0,5 % en
moyenne au sein de l’Union européenne). Pour
autant, la dépense de logement restant à la
charge des ménages français demeure à la fois
plus élevée (26,2 % de leur revenu en 2019,
contre 23,5 % au sein de l’Union européenne)
et croissante (20,9 % de leurs dépenses de
consommation en 2020, contre 19,0 % en
2008). Cette situation se traduit par une
augmentation continue du parc de logements
mais aussi par une croissance tendancielle
des dépenses publiques. Malgré les efforts
pour le contenir, le niveau de dépenses du
budget de l’État en faveur du logement est
resté l’équivalent en 2020 de celui de 1995, ce
qui pèse lourdement sur les charges publiques
et interdit de consacrer à d’autres priorités les
ressources engagées. Financées à plus de la
moitié par l’État, ces dépenses se répartissent
entre des allègements d’impôt, qualifiés de
dépenses fiscales (13,9 Md€), des prestations
sociales comme les aides personnelles
au logement (20,2 Md€), des subventions
(2,6 Md€) et des avantages permettant de
réduire le taux des prêts au logement (0,9 Md€).
12
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
Cette politique s’inscrit dans un cadre
en évolution constante, au risque d’une
certaine instabilité. Fixant des objectifs
parfois contradictoires, de nombreuses
lois se sont en effet succédé au cours des
dernières années : loi « Molle » en 2009, loi
« Duflot » en 2013, loi égalité et citoyenneté
en 2017, loi pour l’évolution du logement,
de l’aménagement et du numérique en 2018
imposant une concentration du secteur HLM,
loi de finances pour 2018 sur la réduction du
loyer de solidarité (RLS), etc.. Si ces réformes
ont permis de mieux maîtriser le budget public
consacré au logement, leur succession a rendu
le champ de la politique instable et a eu des
effets dissuasifs sur les acteurs responsables
de sa mise en œuvre et sur les ménages
bénéficiaires.
A - Des objectifs multiples difficiles
à atteindre
La politique du logement vise, entre autres,
à fournir à chacun un logement décent et
abordable. À cette fin, la France a défini
un équilibre complexe entre le soutien au
logement privé et au logement social,
d’une part, et à la location et à l’accession à
la propriété, d’autre part, qui remonte pour
l’essentiel aux années 1970. Cette approche,
reposant sur l’idée d’un « parcours résidentiel »
des ménages à mesure que s’accroissaient
leurs ressources, visait à augmenter le nombre
de logements offerts et à rendre leur prix
accessible. Il en résulte un habitat de résidences
individuelles dispersées et un parc de logement
social particulièrement étendu (5,15 millions
de logements sociaux, soit près de 17 % des
Graphique n° 1 : les grandes tendances du logement 1984 à 2020
Source : compte du Logement 2020, septembre 2021. Stock de logements
40
30
20
10
0
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
2018
2020
Parc de logements (en millions)
Aides à la personne (Md€)
Aides aux producteurs de logements (Md€)
COUR DES COMPTES
13
résidences principales), ouvert en théorie aux
trois-quarts de la population, mais qui ne
parvient pas à en loger la part plus défavorisée.
1. L’accès à un logement
Les difficultés d’accès au logement tiennent
à la nature du marché immobilier français,
dont les prix sont de plus en plus déconnectés
des revenus des ménages, principalement
dans les zones tendues (zones délimitées
par la loi d’urbanisation continue de plus de
50 000 habitants dans lesquelles existe un
déséquilibre marqué entre l’offre et la demande
de logements, qui se caractérisent notamment
par le niveau élevé des loyers, des prix
d’acquisition des logements ou de demandes de
logements sociaux). Pour les plus précaires, ces
conditions conduisent à accroître la demande
de logement social. Toutefois, on constate que
cette demande se révèle surévaluée de l’ordre
de 20 % pour des raisons tenant aux modalités
de comptabilisation des demandes.
Les attributions de logements sociaux ne
permettent pas de loger les ménages modestes.
Le parc social français, particulièrement
vaste, est en fait de moins en moins ouvert
à de nouveaux entrants, l’âge moyen de
ses occupants dépassant désormais 50 ans.
Ainsi, en dépit de nouvelles constructions
et de mécanismes correctifs censés mieux
articuler les territoires et les acteurs, le droit
au maintien dans les lieux explique la faible
rotation des locataires du parc social. L’entrée
de nouveaux ménages dans ce parc est de plus
en plus difficile, notamment pour les jeunes
travailleurs modestes, même s’ils occupent
des emplois considérés comme essentiels, et
les ménages précaires, dont le profil est jugé à
risque par les bailleurs disposant de contingents
d’attributions.
Graphique n° 2 : demandeurs en attente d’un logement social par catégorie de ressources
Source : direction du budget.
Les logements PLAI, financés par le prêt locatif aidé d’intégration, sont attribués aux locataires en situation de grande précarité.
Les logements PLUS, financés par le prêt locatif à usage social, correspondent aux locations HLM.
Les logements PLS, financés par le prêt locatif social, sont attribués aux candidats locataires ne pouvant prétendre aux
locations HLM mais ne disposant pas de revenus suffisants pour se loger dans le privé.
14
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
Ainsi, en dépit de la demande croissante de
logement social émanant de ménages
modestes et très modestes, l’accès au parc
social a diminué en raison de la chute du
taux de rotation de ses occupants (moins de
8,0 % en 2020 contre 10,3 % en 2011, selon
l’Union sociale pour l’habitat). Or, comme un
ménage seulement sur six entre dans ce type
de logement grâce à l’offre nouvelle, alors que
cinq sur six y accèdent du fait de la rotation au
sein du parc, une augmentation d’un point du
taux de mobilité ou une réduction d’un point
du taux de vacance représenterait chacune
une offre équivalente à la construction de
47 000 logements par an – soit à peu près un
tiers des nouveaux logements agréés – sans
coût pour la collectivité. Cette situation appelle
des actions visant à faire davantage porter
l’accent sur la mobilité des locataires et sur la
gestion active du parc existant.
2. L’accueil des ménages
les plus modestes
Depuis 2012, l’offre s’est orientée vers le
financement des logements les plus sociaux
et par des prêts locatifs aidés d’intégration
(PLAI) accordés aux bailleurs, destinés tout
particulièrement aux zones tendues. Or, si
la part de ces PLAI a progressé au cours des
dernières années, les résultats obtenus sont
en-deçà des objectifs affichés dans la stratégie
logement de septembre 2017 : celle-ci visait en
effet un nombre de 40 000 PLAI par an, alors
que seulement 27 800 ont été construits en
2020, niveau que la crise sanitaire seule ne peut
expliquer.
Le caractère prioritaire de cette orientation
s’est accentué avec l’adoption, en mars 2018,
du plan quinquennal pour « le logement
d’abord », qui fixe pour 2022 des objectifs
nationaux ambitieux en matière de
construction de logements destinés aux plus
modestes. Pourtant, les moyens prévus par ce
plan ne sont pas pleinement mobilisés, voire
n’occupent qu’une place très secondaire dans
sa mise en œuvre.
L’enjeu est également de s’assurer que les
attributions dans le parc social bénéficient bien
aux ménages « prioritaires » les plus modestes.
Mais, sur 385 000 attributions de logements
sociaux en 2020, seulement 5 % l’ont été en
faveur de ménages reconnus prioritaires au titre
du droit au logement obligatoire (Dalo), car les
priorités d’attribution se sont accumulées au
cours des dernières années, avant même que ne
se développe la notion d’« emplois essentiels »
dans le contexte de la crise sanitaire.
La maîtrise du foncier, assise sur un système
extrêmement figé, est une autre difficulté dans
l’objectif de production d’une offre abordable.
L’article 55 de la loi sur la solidarité et le
renouvellement urbain, dite « loi SRU », impose
l’obligation pour les 2 000 communes les plus
importantes de disposer d’un taux minimum de
logements sociaux de 20 ou 25 % de l’ensemble
des résidences principales. Ce dispositif a eu un
effet positif, avec plus de 210 000 logements
sociaux construits ou agréés entre 2017 et
2019 dans les communes soumises à la loi, en
dépassant l’objectif triennal fixé. De grandes
disparités existent toutefois, et plus de la moitié
des communes concernées se situent sous
les seuils fixés, avec l’obligation d’atteindre le
pourcentage prévu par la loi d’ici 2025. La loi
SRU n’a pas permis de résoudre la question
de la mixité sociale, dont la définition reste au
demeurant à préciser. Devancer l’échéance
de 2025, comme le prévoit le projet de loi
relatif à la différenciation, la décentralisation,
la déconcentration et portant diverses mesures
de simplification de l’action publique locale,
est indispensable pour corriger les faiblesses
COUR DES COMPTES
15
du dispositif et pour prévenir la concentration
territoriale du parc social.
3. Le logement à un prix abordable
Les prix du logement ont doublé entre 2000
et 2017, avec des écarts géographiques
importants. Cette situation contraste avec celle
de nos voisins européens. Le prix du foncier,
qui représente environ la moitié du coût d’un
logement avec une forte amplitude selon
les zones, est principalement responsable de
cette croissance : entre 2000 et 2018, le prix
des logements anciens et neufs en France
métropolitaine a augmenté de 115 %, alors que
le coût de la construction n’a progressé que de
50 %. L’encadrement des loyers, pratiqué par
certaines collectivités, ne peut donc constituer
la réponse unique.
Par ailleurs, comme cela avait déjà été relevé
par un rapport d’inspections interministérielles
de 2014, la méconnaissance des besoins
conduit à surestimer le nombre de logements
à construire, en ne prenant pas suffisamment
en compte la part croissante des logements
vacants depuis 2006 (plus de 8 %, selon l’Insee,
en décembre 2020). Elle ne permet pas non
plus d’appréhender les enjeux tout aussi
importants de réhabilitation et de rénovation.
Graphique n° 3 : taux de vacance des logements
Source : compte du logement
B - Une panoplie d’instruments
poursuivant des objectifs hétérogènes
Les instruments d’intervention de la politique
du logement, plus nombreux en France que
dans la plupart des pays de l’OCDE, se sont
multipliés selon des logiques compartimentées :
subventions (aides à la construction de
logements sociaux, aides à la rénovation
urbaine, aides à l’amélioration de l’habitat),
prestations sociales (aides personnelles),
outils fiscaux (taxation des transactions, de la
détention, des revenus locatifs des plus-values,
dispositif d’incitation fiscale à l’investissement
locatif, dispositif d’incitation à l’accession,
exonération fiscale pour le secteur HLM),
produits de financement (prêts au logement
social et à l’accession privée), outils juridiques
(encadrement des relations locataires-bailleurs,
règles d’urbanisme, normes d’habitat).
16
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
1. L’insuffisante cohérence
du financement
Outre une contribution budgétaire importante,
le financement de la politique du logement
est assuré par le renoncement de l’État
à des recettes fiscales mais aussi par les
prélèvements effectués sur les entreprises.
En consentant à ces dépenses fiscales, l’État
renonce chaque année à une part significative
de ses recettes : 65 dépenses fiscales d’un
montant total évalué à 13,9 Md€ en 2020
concernent le logement. Elles sont devenues
si complexes qu’elles ne concourent ni à la
transparence ni à l’efficience de cette politique.
Faute d’arbitrage entre les différents leviers
(construction dans les zones tendues,
modération des loyers, développement de
la propriété et de la primo-accession, ventes
de logements sociaux, etc.) et en l’absence
d’une appréciation de leur efficacité, nombre
de ces dépenses fiscales sont gérées dans une
logique de droits acquis ou de reconduction.
Ainsi, peu de logements sont concernés par le
bénéfice de ces dépenses fiscales au regard de
la production totale de logements et aucune
étude économique n’est concluante sur l’effet
qu’elles peuvent avoir sur la production de
logements locatifs.
Pour ce qui concerne les prélèvements sur les
entreprises, le législateur a généralisé, en 1953,
la démarche volontaire de certains employeurs
en faveur du logement de leurs salariés, en
créant une « participation des employeurs à
l’effort de construction » assise sur la masse
salariale (le nom de « 1 % Logement » est resté
dans le langage commun, alors que le taux
n’est plus que de 0,45 % de la masse salariale
depuis 1991). Depuis 2017, le groupe Action
Logement assure la collecte et la gestion
de cette contribution et dispose en 2020 de
ressources de l’ordre de 2,8 Md€ comprenant
la contribution des entreprises
stricto sensu
(1,7 Md€). L’État a sollicité le groupe pour
financer d’autres actions, au premier rang
desquelles la rénovation urbaine. Cette situation,
et en particulier l’existence d’une ressource
directe abondante, a conduit à différer les
efforts attendus en matière d’amélioration de
gouvernance, de rationalisation d’organisation
et de maîtrise des coûts.
2. Le rôle redistributif
des aides personnelles
Les trois aides personnelles au logement -
allocation de logement familiale (ALF),
allocation de logement sociale (ALS) et aide
personnalisée au logement (APL) -, versées
à 6,4 millions de ménages - soit plus d’un
ménage sur cinq -, représentent plus de 40 %
des dépenses publiques pour le logement. Leur
montant, qui atteignait 18 Md€ par an entre
2015 et 2017, a été ramené à 15,3 Md€ en
janvier 2021.
Bénéficiant aussi bien aux résidents du parc
privé que social, elles demeurent un outil de
redistribution de la politique du logement,
malgré quelques disparités injustifiées (comme
l’attribution de l’aide au logement aux étudiants
rattachés au foyer fiscal de leurs parents,
l’absence de prise en compte du patrimoine
de l’allocataire, ou l’incidence négative d’une
reprise d’emploi). Elles ont permis de réduire, en
moyenne, le taux d’effort des ménages de 41 %
à 27 % de leur revenu en 2017. Les ménages du
premier décile de niveau de vie (sur une échelle
de 1 à 10, les ménages les plus modestes)
constituent plus de 75 % des bénéficiaires. Ces
aides ont probablement un effet inflationniste
sur le niveau des loyers, mais son ampleur
reste à évaluer, notamment sur ceux des petits
logements en zones tendues.
COUR DES COMPTES
17
Graphique n° 4 : taux d’effort des ménages
Source : Eurostat
Lecture : en 2008, les ménages consacrent 17 % de leurs revenus en dépense logement
Les mesures d’économie introduites entre
2015 et 2017 ont permis une maîtrise, puis une
baisse importante de la dépense pour l’État,
sans toucher aux fondements des dispositifs. La
prise en compte des ressources des allocataires
en temps réel a permis un calcul plus juste
et plus efficace des APL, sans appréciation
suffisante de ses effets négatifs sur les
ménages les plus modestes. La perspective,
annoncée en septembre 2018 et toujours
en chantier, d’une intégration des APL dans
un « revenu universel d’activité » viserait à
apporter une plus grande cohérence entre les
différentes prestations sociales et à réorienter
plus encore ces dispositifs vers la reprise
d’emploi pour ceux qui le peuvent.
Au total, les objectifs, affichés ou implicites, de
la politique du logement, ne sont pas toujours
strictement compatibles entre eux :
• maintien de loyers modérés dans le parc privé
et production d’une offre locative neuve, qui
nécessite des rendements attractifs ;
• maximisation du nombre de constructions
neuves et concentration des moyens publics
sur les zones tendues ;
• offre au plus grand nombre de ménages
modestes d’un logement social et mixité dans
ce parc ;
• ciblage des aides sur les populations qui en
ont le plus besoin et simplicité des barèmes
des aides ;
• lutte contre l’étalement urbain et contre la
surdensité.
18
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
2 - LES LEVIERS D’ACTION POUR REMETTRE EN COHÉRENCE
LA POLITIQUE DU LOGEMENT
Les contradictions identifiées dans la politique
du logement justifieraient un changement
de référentiel, dans le cadre d’une approche
globale. Comme pour toute politique publique,
elle doit disposer d’objectifs crédibles, dont
les résultats sont mesurables grâce à des
indicateurs fondés sur des données accessibles,
ce qui est loin d’être le cas.
Une remise en cohérence suppose de
déterminer l’équilibre souhaité entre
l’intervention de l’État et celle des collectivités
territoriales, entre le soutien aux propriétaires
et celui aux locataires, entre l’aide à la pierre
et l’aide à la personne, entre le soutien à la
construction et le soutien à la rénovation, entre
le soutien sous forme d’aide et sous forme de
prêt et enfin entre la subvention ou l’aide sur
crédits budgétaires et la mesure fiscale.
Un
statu quo
des orientations actuelles
laisse prévoir un maintien élevé du niveau de
dépenses dans la prochaine décennie. Trois
leviers d’action, à mobiliser en fonction des
options retenues, permettraient d’accroître, à
des degrés différents, l’efficacité, l’efficience et
la cohérence de la politique du logement.
Quelles que soient les options retenues, cette
politique du logement obéit à des cycles
relativement longs (la durée d’amortissement
d’un immeuble HLM est, par exemple, de
50 ans), supposant une certaine stabilité des
dispositifs et une prévisibilité des opérations.
Cette exigence de stabilité doit tempérer
la tentation d’un emploi conjoncturel de
cette politique, comme en témoignent les
désillusions engendrées par la perspective
ouverte en 2017 d’un « choc d’offre ».
A - Améliorer la performance
de la dépense publique en faveur
du logement
À cadre institutionnel et juridique inchangé, un
ensemble d’actions permettraient d’obtenir de
meilleurs résultats sur le plan de l’efficience, de
l’équité et de l’efficacité.
1. Rendre plus efficientes
les dépenses fiscales
L’efficience des dépenses fiscales au profit
de la politique du logement étudiées entre
2015 et 2019 n’a pas été évaluée, en dépit de
leur coût élevé. Les adaptations récentes - les
dispositifs Pinel et le prêt à taux zéro, évalués
à la demande du Parlement en 2019 -, qui ont
été aménagés par la loi de finances pour 2021,
ne font pas disparaître le manque d’efficience
de dispositifs comme la défiscalisation du
logement social propre à l’outre-mer ou encore
les exonérations d’impôt sur les sociétés
en faveur du secteur du logement social. Il
apparaît également nécessaires de recentrer
le prêt à taux zéro renforcé et de réexaminer
l’efficience du taux réduit de TVA à taux réduit.
2. Recentrer la politique du logement
sur les publics les plus défavorisés
Le recentrage des dispositifs de soutien
au logement doit cibler les publics par une
refonte des critères d’attribution des aides à
la personne et par un recentrage des aides
à la pierre. En matière de logement social, il
serait nécessaire d’en restreindre l’accès aux
publics les plus modestes, comme c’est le cas
au Royaume-Uni. L’autre option - un logement
COUR DES COMPTES
19
social largement ouvert -, comme aux Pays-
Bas, imposerait de renoncer aux autres formes
d’aide pour remédier à leur dispersion actuelle.
Recentrer la politique du logement sur les
publics les plus défavorisés suppose aussi
de mieux définir le concept de mixité sociale.
Cette notion, qui a été ajoutée aux objectifs
de la politique du logement, ne peut se limiter
aux conditions de ressources et devrait aussi
prendre en compte les enjeux d’attractivité des
quartiers défavorisés au regard de la situation
de l’emploi, de l’âge ou encore de l’origine
ethnico-culturelle des ménages résidents.
3. Mieux coordonner l’action
des intervenants publics
Le manque de connaissance des effets
des actions menées et des publics qui en
bénéficient ne paraît pas acceptable pour
une politique présentant autant d’enjeux. Les
administrations de l’État (direction de l’habitat,
de l’urbanisme et des paysages et direction
générale des finances publiques, notamment)
et les autres acteurs publics (tels que la Caisse
nationale d’allocations familiales ou la Caisse
des dépôts et consignations) partagent trop
peu de données pour pouvoir prendre des
décisions en connaissance de cause. Cette
situation réduit inévitablement la cohérence
des actions menées et affaiblit l’articulation
entre dispositifs. Les publics visés ne sont
pas toujours bien connus ni identifiés. La
débudgétisation progressive des financements
a pour effet de multiplier les centres de décision
au plan national. L’État doit mieux connaître
l’efficacité de ses instruments en les évaluant
plus systématiquement et en assurant le suivi
des bénéficiaires directs et indirects des aides.
L’importance des dépenses publiques au
profit du logement locatif privé, que ce soit
sous forme d’aides budgétaires (APL) ou
fiscales, justifie, en outre, de disposer d’une
information fiable sur les prix des loyers. Or,
la connaissance des prix du marché locatif
privé constitue un point faible de la statistique
publique. La création d’un réseau de plus de
30 observatoires locaux des loyers, prévu par
la loi Alur de 2014 dans une perspective de
régulation du marché, apporte une information
reconnue pour sa rigueur scientifique, mais
demeure très en deçà des objectifs affichés.
Enfin, la politique du logement gagnerait à être
mise en cohérence avec d’autres politiques
nationales structurantes, comme celles de
l’emploi, des transports, de l’aménagement du
territoire (y compris de la rénovation urbaine)
ou encore les politiques éducatives et sociales.
Ainsi, en matière d’emploi, l’État pourrait
s’appuyer sur certains acteurs, tel Action
Logement, par exemple en confiant à cet acteur
la prise en charge des « travailleurs essentiels »
afin d’améliorer la résilience collective.
B - Rééquilibrer le rôle des acteurs
publics pour renforcer la cohérence
territoriale de la politique
Dans un rapport de mai dernier de l’OCDE,
la France apparaît comme un des pays où la
« fragmentation des pouvoirs administratifs »
en matière de logement est la plus forte. Depuis
les lois de décentralisation des années 1980 et
la mise en œuvre de la loi de 2004 relative aux
libertés et responsabilités locales, déléguant la
gestion des aides à la pierre aux établissements
publics de coopération intercommunale (EPCI)
et aux départements intéressés, les collectivités
territoriales ont pourtant pris une place
grandissante dans la définition et la mise en
œuvre de politiques locales et sont des acteurs
significatifs de son financement (désormais à
20
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
hauteur de 3 à 4 Md€ par an, principalement
par exonération de taxes locales). Même si
la dynamique des délégations des aides à la
pierre s’est essoufflée, de nombreux EPCI se
sont positionnés, avec l’État, pour établir des
stratégies communes.
Ainsi pourrait-on considérer que la réforme
de la politique du logement passe par un
rééquilibrage des responsabilités entre les
acteurs centraux et locaux, à l’instar des
pratiques de certains de nos voisins européens.
1. Renforcer le pilotage local
de la politique du logement adapté
aux besoins des territoires
Le pilotage local de la politique du logement
devrait être renforcé, afin de faire des EPCI
le cadre naturel de conception et de mise en
œuvre de politiques territorialisées pour mieux
construire avec l’État des réponses adaptées
aux territoires. La loi Alur a fait de ces EPCI les
principaux acteurs de la programmation en
matière d’habitat et d’urbanisme (programmes
locaux de l’habitat et plans locaux d’urbanisme
intercommunaux), mais leur intervention n’a
pas été à la hauteur des attentes (85 EPCI
sont délégataires en 2016, soit de l’ordre
de 7 % d’entre eux, sans évolution depuis) et
l’émergence de politiques territoriales souffre
toujours de l’écart entre des compétences
en matière d’urbanisme et d’habitat
décentralisées depuis 1982 et celles que l’État
a conservées.
C’est pourquoi, à l’heure où de nouvelles étapes
de décentralisation, de déconcentration et
de différenciation des politiques publiques
sont envisagées, l’enjeu de la territorialisation
de la politique du logement réside dans la
recherche d’objectifs partagés entre l’État et
les collectivités dont la réalisation nécessite
une différenciation d’un territoire à l’autre.
Cette territorialisation devrait aller au-delà
de l’adaptation des politiques nationales aux
territoires, déjà largement réalisée. Elle devrait
prévoir la mise en œuvre d’outils susceptibles
de déroger aux règles nationales si la
démonstration de leur intérêt est faite (comme,
par exemple, l’expérimentation en cours en
Bretagne du dispositif « Pinel » modulé selon
des critères locaux) et sous réserve d’accords
liant les services déconcentrés de l’État et les
EPCI volontaires.
2. Étudier une décentralisation
des politiques de logement
Une option plus volontariste pourrait reposer
sur une décentralisation de la politique
du logement au profit des EPCI ou des
départements. Dans ce scénario, les EPCI
seraient, entre autres, chargés d’attribuer les
permis de construire et d’agréer la construction
de logements sociaux. Ils pourraient, grâce à
l’analyse des données au niveau de chaque
territoire et sous réserve qu’elles leur soient
accessibles, moduler les aides fiscales pour
l’acquisition de certaines catégories de
logement. Ils seraient, enfin, chargés de la
rénovation énergétique des bâtiments.
La mise en œuvre de ce scénario impliquerait
que soient maintenus les dispositifs de
solidarité financière entre les territoires
(dotation de solidarité rurale, dotation
d’équipement des territoires ruraux, dotation
de soutien à l’investissement local, fonds
de soutien interdépartemental), quitte à en
assurer la simplification.
Les interventions de l’État seraient resserrées
autour d’objectifs stratégiques en fonction
d’un partage des tâches : à l’État de fixer
les perspectives générales au terme d’une
concertation, puis d’assurer la solidarité
entre les territoires et d’exercer sa mission de
COUR DES COMPTES
21
contrôle des collectivités territoriales ; à ces
collectivités de définir et de mettre en œuvre
leurs politiques ; aux établissements publics
nationaux la charge de mise à disposition de
l’ingénierie et des financements nécessaires
aux acteurs locaux. Cette organisation devrait
permettre, au plus près des bassins de vie,
d’améliorer l’habitat dans des conditions plus
conformes aux souhaits des populations.
C - Privilégier une approche
qualitative pour prendre en compte
les nouvelles priorités sociales
et environnementales
1. Améliorer la qualité, notamment
énergétique, des logements
Ces dernières décennies, de grandes actions
de résorption de l’habitat indigne ont été
conduites dans certains territoires, parfois avec
succès, grâce à l’action conjuguée de l’État et
des collectivités territoriales. L’habitat indigne
représentait, avec 420 000 logements, moins
de 1,8 % du parc privé en 2013 (estimation
non actualisée depuis) ; la Fondation Abbé
Pierre estime dans son dernier rapport sur le
sujet, paru en février 2021, qu’1,12 million de
ménages souffrirait de privation de confort
ou de surpeuplement. Malgré l’engagement
des acteurs et l’existence d’une riche
palette d’instruments, les résultats obtenus
restent insuffisants au regard de l’ampleur
du phénomène. Pour renforcer l’efficacité de
la lutte contre l’habitat indigne, il demeure
nécessaire, notamment, de mieux identifier les
ménages concernés, d’optimiser la coordination
des intervenants publics et de renforcer les
moyens d’action pénale contre ceux qui sont à
l’origine de ces situations.
La précarité énergétique concerne au moins
3,5 millions de ménages, en particulier 30 %
des Français les plus pauvres. 4,8 millions
de résidences principales sont qualifiés de
« passoires thermiques » sur les 29 millions que
compte l’hexagone.
Deux instruments de rénovation énergétique
des logements ont été principalement utilisés :
le crédit d’impôt pour la transition énergétique
(CITE), assis sur une dépense fiscale,
auquel a succédé, partiellement en janvier
2020 puis totalement depuis janvier 2021,
une aide budgétaire, « MaPrimeRénov’ ».
Le CITE a essentiellement bénéficié aux
ménages disposant de revenus élevés.
Le dispositif « MaPrimeRénov’ » est ouvert,
dans le cadre exceptionnel de la relance, à
ces ménages, y compris aux propriétaires
bailleurs. Les travaux susceptibles d’être
aidés ont un champ plus large. Le dispositif,
administré par l’Agence nationale de l’habitat,
reflète la volonté de massifier la rénovation
énergétique et de sensibiliser le plus grand
nombre de propriétaires à ses avantages.
Cette transition d’une dépense fiscale à une
subvention aux travaux s’est réalisée dans des
conditions globalement satisfaisantes, mais la
soutenabilité financière du dispositif au-delà
du plan de relance doit être vérifiée et il doit
faire la preuve de son efficacité, dans le paysage
complexe des aides à la rénovation énergétique.
Le vieillissement de la population aura par
ailleurs des répercussions importantes sur les
logements. L’option du « virage domiciliaire »
retenue actuellement, c’est-à-dire du maintien
à domicile des personnes âgées, implique
d’adapter les logements existants et de
construire des logements adaptés dans les
parcs privé et social.
22
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
2. Contribuer à la lutte contre
l’artificialisation des sols
Les politiques de logement butent de manière
croissante sur des objectifs, parfois ambitieux,
de préservation des espaces naturels. Certains
territoires présentant une forte attractivité
démographique souhaitent en effet limiter,
voire interdire, toute nouvelle artificialisation
des sols, en renonçant à la construction de
nouveaux logements.
La lutte contre l’artificialisation des sols, qui
concerne de 20 000 à 30 000 hectares par
an, est ainsi devenue un objectif majeur. La
loi du 22 août 2021 « Climat et résilience »
dispose qu’
« afin d’atteindre l’objectif national
d’absence de toute artificialisation nette des
sols en 2050, le rythme de l’artificialisation
des sols dans les dix années suivant la
promulgation de la présente loi doit être tel
que, sur cette période, la consommation totale
d’espace observée à l’échelle nationale soit
inférieure à celle observée sur les dix années
précédant cette date »
. Dans certains territoires,
la compatibilité de cet objectif avec celui
visant à accroître l’offre de logements face
à la croissance de la population devient un
enjeu social et économique majeur. Certaines
métropoles à la démographie très dynamique
seront à court terme confrontées à cet enjeu,
même si l’objectif fixé par la loi ne concerne pas
uniquement le logement.
Enfin, l’ambition de mobiliser le foncier public
au profit du logement social montre ses
limites. Le dispositif de décote introduit par
la loi en 2013 a été relativement peu utilisé :
trop complexe et concurrencé par d’autres
procédures de cession du foncier public, il
n’a concerné finalement qu’une centaine
d’opérations et n’a permis la construction
que de moins de 10 000 logements. Il
s’avère donc peu efficient et a pu entraîner le
lancement d’opérations bénéficiant d’une aide
disproportionnée par rapport aux objectifs de
construction de logements sociaux.
3. Préférer l’amélioration qualitative
de l’habitat à la fixation d’objectifs
quantitatifs nationaux de construction
de logements
La politique du logement a été jusqu’ici
déterminée par ce qui peut être qualifié
d’approche « constructiviste ». Celle-ci
pourrait être infléchie au bénéfice d’actions
de rénovation et d’entretien du patrimoine
existant (programme action cœur de ville,
lutte contre les copropriétés dégradées, etc.),
plus à même de répondre aux exigences
de qualité. Comme l’illustre la chute de la
production survenue en 2020 (près de
377 000 logements mis en chantier en
2020, soit une baisse annuelle de 14,7 %),
l’ambition constructiviste, qui n’est pas fondée
sur des éléments objectifs, n’a finalement
jamais été satisfaite (plan d’investissement
pour le logement de mars 2013 pour
la construction de 500 000 logements par
an, dont 150 000 logements sociaux ; plan
d’investissement volontaire d’avril 2019
entre l’État et Action logement prévoyant le
financement de 110 000 logements sociaux par
an, ou encore plan de relance de la Caisse des
dépôts de septembre 2020 prévoyant 11 Md€
d’investissement pour le logement).
COUR DES COMPTES
23
Graphique n° 5 : évolution du nombre de constructions neuves
Source : SDES (Données Sitadel)
Une approche qualitative ne signifie pas
renoncer à soutenir la construction de logements
lorsque son besoin est démontré. Mais, comme le
suggère une analyse présentée par la direction
générale du Trésor, les aides à la pierre pourraient
être restreintes aux zones tendues, caractérisées
par des prix supérieurs à 2 000 €/m² et des taux
d’occupation supérieurs à 90 %.
Dans cette perspective, la politique du logement
porterait avant tout des objectifs de nature
qualitative visant à permettre l’adaptation du
parc aux défis environnementaux ou sociétaux,
par un soutien aux actions de rénovation
énergétique, par la prise en charge des
personnes les plus défavorisées dans le cadre
de structures d’hébergement collectives de
type foyers ou par l’adaptation des logements
au vieillissement de la population.
4. Réduire la part du logement
dans les financements publics et privés
La « préférence française pour le logement »,
illustrée par son poids élevé dans les ressources
publiques et privées, présente aussi un coût
d’opportunité, au détriment d’autres priorités.
Afin de favoriser la production de logements
abordables, la concentration des quelque
700 opérateurs HLM a été engagée par la
loi Elan de 2018. En janvier 2021, près de la
moitié des 335 organismes désormais soumis
à l’obligation de gestion d’un parc minimum
de 12 000 logements s’était déjà conformée à
la loi. Les entreprises du secteur du logement
social, déjà considérées comme étant dans
une situation financière satisfaisante, ont été
restructurées pour pérenniser leur activité et
pour consolider leur patrimoine social. Même si
le bilan de la réforme de 2019 ne peut encore
être pleinement apprécié, l’optimisation des
ressources et les économies attendues par le
regroupement des bailleurs sociaux, évaluées
en 2019 à 1 Md€, peuvent être considérées
comme une ressource disponible.
Du point de vue des ressources, le livret A
représente, en 2020, une collecte nette de
16 Md€, soit le double de l’année précédente,
24
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
dans le contexte de la crise sanitaire. Le fonds
d’épargne géré par la Caisse des dépôts
et consignations enregistre un encours de
190 Md€, dont 165 Md€ destinés au logement
social et à la politique de la ville, et les prêts
accordés à ce titre ont représenté 13 Md€,
essentiellement pour le logement social et la
politique de la ville.
Par ailleurs, réduire le poids du financement
public en le libérant de l’« injonction à
construire » permettrait de disposer de
marges de manœuvre pour d’autres priorités :
désendettement, réduction des prélèvements
obligatoires et quasi obligatoires (comme
le « 1 % logement »), affectation à d’autres
politiques publiques prioritaires.
Réformer le financement global permettrait
d’éviter le risque d’une mauvaise allocation
de l’épargne et du crédit et la création d’une
possible « bulle » financière. Ce sont en effet
les conditions très favorables d’endettement
des ménages, permises par les taux bas, qui
sont les principaux responsables du niveau
des prix des logements, ceux-ci constituant
aujourd’hui près des deux-tiers du patrimoine
des ménages. D’après l’Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution de la Banque de
France, les crédits à l’habitat aux particuliers
représentaient, fin 2019, 1 078 Md€, soit
85 % de leur endettement. La hausse des
prix de l’immobilier a de fait entraîné celle de
l’endettement des ménages, dont près d’un
tiers ont souscrit un prêt immobilier. Cette
situation désavantage les ménages jeunes,
les dettes liées à l’acquisition du logement
représentant plus de la moitié de la valeur
de leur patrimoine immobilier, contre 5 %
de ceux des 60-69 ans. C’est pourquoi le
Haut-conseil à la stabilité financière, qui avait
mis en garde en décembre 2019 contre une
augmentation des taux d’effort des ménages
liés à leur endettement immobilier et de la
durée de leurs emprunts, vient de renouveler
son avertissement en septembre 2021.
Le soutien à l’accession à la propriété reflète
une préférence collective (58 % des ménages
étaient propriétaires de leur logement en
2020), mais ne constitue pas un objectif de
même valeur que le droit à un logement décent
(le Conseil constitutionnel a rappelé en 1995
que la
« possibilité pour toute personne de
disposer d’un logement décent »
constituait
un objectif à valeur constitutionnelle).
La part élevée de ménages propriétaires
de leur logement n’est pas synonyme de
développement économique et social, comme
le montre la comparaison avec l’Allemagne. Un
moindre accent sur la propriété permettrait
de libérer une partie de l’épargne publique et
privée pour la consacrer à d’autres priorités,
en même temps qu’il permettrait de réduire
l’endettement des ménages.
COUR DES COMPTES
25
CONCLUSION
Une politique du logement devrait satisfaire à quatre exigences :
• permettre à toute personne de disposer d’un logement décent ;
• contribuer à la cohésion sociale ;
• contribuer à l’adaptation du territoire et de ses habitants aux changements
environnementaux et sociétaux majeurs que sont le réchauffement climatique ou
le vieillissement de la population ;
• veiller à ce que l’efficacité et l’efficience des instruments de la politique permettent
de définir de la manière la plus juste la charge publique qui y est consacrée.
Ces exigences appellent plusieurs choix essentiels.
Comme la Cour l’a déjà souligné, il importe en premier lieu de recentrer les
dispositifs de la politique du logement sur les publics les plus défavorisés et
d’optimiser l’occupation du parc social en zones tendues, en faisant du bail à durée
déterminée la règle d’occupation des logements, en renforçant les règles de sortie
du parc social et l’accompagnement des personnes qui dépassent les plafonds de
ressource autorisés et en étudiant la possibilité d’instaurer un mécanisme de taux
d’effort plancher.
En deuxième lieu, quelle que soit la répartition des responsabilités entre l’État et
les collectivités territoriales, il apparaît essentiel de renforcer le pilotage local de la
politique du logement et de faire des EPCI le cadre de référence de la conception et
de la mise en œuvre des politiques de logement territorialisées.
Il importe en troisième lieu de simplifier les dispositifs et de réduire
significativement le nombre des intervenants publics et parapublics dans la
politique du logement. Cela permettra, en outre, de renforcer les actions de
contrôle et de lutte contre la fraude.
En quatrième lieu, il apparaît nécessaire de mettre en œuvre un ciblage sur les
aides les plus efficaces. Cela suppose de mieux évaluer leurs effets et doit conduire
à programmer la mise en extinction des dépenses fiscales dont l’efficacité et
l’efficience ne sont pas démontrées.
Il importe, enfin, de mieux coordonner les acteurs du logement et ceux chargés de
politiques connexes, notamment de l’emploi, des transports, de l’aménagement du
territoire (y compris de la rénovation urbaine) ou encore les politiques éducatives
et sociales.
Ces exigences s’imposeront dans toutes les situations, qu’il s’agisse de revoir la
répartition des responsabilités entre l’État et les autres collectivités publiques ou
d’atténuer ou de réviser la « préférence pour le logement » qui marque depuis des
décennies notre pays.
26
RESTAURER LA COHÉRENCE DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT EN L’ADAPTANT AUX NOUVEAUX DÉFIS
La Cour a mené de nombreux travaux ces dernières années sur lesquels elle s’est
appuyée, en particulier les publications suivantes :
l
Action Logement : un premier bilan de la réforme,
rapport public, octobre 2021 ;
l
Le déploiement par l’Anah du dispositif « MaPrimeRénov’ » : premiers
enseignements ,
audit flash, septembre 2021 ;
l
L’application de l’article 55 de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain,
c
ommunication à la commission des finances du Sénat, mars 2021 ;
l
L’hébergement et le logement des personnes sans domicile pendant la crise
sanitaire du printemps 2020,
rapport public annuel, février 2021 ;
l
La politique en faveur du « Logement d’abord »,
référé, janvier 2021 ;
l
La territorialisation des politiques du logement,
référé, janvier 2021 ;
l
L’attractivité des quartiers de la politique de la ville (évaluation de politique
publique),
rapport public thématique, décembre 2020 ;
l
Le logement dans les départements et régions d’outre-mer,
rapport public
thématique, septembre 2020 ;
l
L’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) et la mise en œuvre des
programmes de renouvellement urbain,
c
ommunication à la commission des
finances du Sénat, juin 2020 ;
l
La contribution de la politique du logement à l’amélioration de la situation de
l’emploi,
référé, avril 2020 ;
l
La numérisation de la demande de logement social : une procédure simplifiée pour
les demandeurs, une gestion à fiabiliser ?,
rapport public annuel, février 2020 ;
l
Les aides personnelles au logement : des évolutions insuffisantes, une réforme à
mettre en œuvre,
rapport public annuel, février 2020 ;
l
Les aides à la pierre : retrouver la finalité des loyers modérés,
référé, août 2019 ;
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX
DE LA COUR DES COMPTES
COUR DES COMPTES
27
Les publications de la Cour des comptes sont consultables sur le site Internet :
www. ccomptes.fr
l
La gestion des dépenses fiscales en matière de logement,
c
ommunication à la
commission des finances de l’Assemblée nationale, mars 2019 ;
l
La caisse de garantie du logement locatif social,
c
ommunication à la commission
des finances du Sénat, mars 2019 ;
l
Le contrôle de la conformité au droit européen des aides publiques au logement
social,
référé, février 2019 ;
l
La mise en œuvre de la politique du logement par les services déconcentrés de
l’État,
référé, janvier 2019 ;
l
Les dépenses fiscales en faveur de l’investissement locatif des ménages,
référé,
avril 2018 ;
l
Le programme « Habiter Mieux » de l’agence nationale de l’habitat (Anah),
c
ommunication à la commission des finances du Sénat, février 2018 ;
l
Le dispositif de décote du foncier public en faveur du logement social,
référé,
janvier 2018 ;
l
Les dépenses fiscales en faveur du logement social,
référé, septembre 2017.
l
L’hébergement des personnes sans domicile : des résultats en progrès, une
stratégie à préciser,
rapport public annuel, février 2017 ;
l
Le logement social face au défi de l’accès des publics modestes et défavorisés
(évaluation de politique publique),
rapport publique thématique, février 2017 ;
Conseil des prélèvements obligatoires
l
Les prélèvements obligatoires sur le patrimoine des ménages,
rapport,
janvier 2018.
Le présent rapport
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
LES ENJEUX STRUCTURELS
POUR LA FRANCE
NOVEMBRE 2021