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Le 17 juin 2021
Le Premier président
à
Monsieur Jean Castex
Premier ministre
Réf. : S2021-1337
Objet
: Le personnel civil du ministère des armées
En application des dis
positions de l’article L
111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné la gestion du personnel civil du ministère des armées pour les exercices
2015 à 2018.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé,
en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
Si le ministère des armées est principalement composé de personnels sous statut
militaire, la place du personnel civil est loin
d’y être négligeable
: selon les données du bilan
social 2018, ces agents formaient 23 % des effectifs totaux du ministère, soit 61 287 emplois
équivalent temps plein au 31 décembre 2018, pour un total de dépenses de rémunération de
4,8
Md€.
Relevant de toutes les catégories de fonctionnaires ou niveaux de contractuels, et pour
près de 15
000 d’entre eux du statut d’ouvrier de l’
État, ils sont présents dans tous les services
employeurs des armées, non seulement sur les métiers du soutien et de la santé mais aussi,
dans les trois armées, sur les fonctions de maintenance en condition opérationnelle (MCO) et
au sein de la direction générale de l’armement
(DGA), qui dis
pose notamment d’
ingénieurs et
cadres technico-commerciaux et de techniciens technico-commerciaux (couramment
désignés sous l’acronyme d’
ICT-TCT), contractuels recrutés
par le truchement d’un
« quasi-statut » qui leur est propre.
Cour des comptes
Référé S2021-1337
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Le contrôle de la Cour a mis en lumière que le contexte de recrutement dans lequel le
ministère était engagé dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025, et
l’émergence des nouveaux métiers spécialisés que les missions
des armées requièrent,
allaient indéniablement renforcer le rôle du personnel civil et sa part relative dans les effectifs
totaux du ministère. Dans ce contexte, et même si une véritable prise de conscience de la
reconnaissance de la valeur ajoutée apportée par cette diversification des profils s’est opérée
au sein des armées, la Cour appelle à une modernisation et à une rationalisation de la gestion
et des carrières de ces agents.
Ainsi le ministère doit s’attacher à simplifier l’organisation de
la gestion déconcentrée de ses personnels, établir un bilan qualitatif des mesures prises pour
améliorer les techniques de recrutement, développer la gestion prévisionnelle des emplois,
des effectifs et des compétences (GPEEC) via la conception d’un outil numérique
et définir
une doctrine d’emploi
et une dynamique de formation, reposant notamment sur le
« e-learning ».
De surcroît,
l’en
quête de la Cour a révélé que deux situations particulières, que le
ministère des armées se refuse à rectifier, imposent que des mesures correctrices soient
décidées et diligentées sans délai.
1. LE QUASI-STATUT ET LES MODALITÉS DE GESTION DES ICT-TCT DE LA
DGA DOIVENT ÊTRE REVUS
Dans le cadre de son contrôle, la Cour a constaté que le quasi-statut des ICT-TCT était
irrégulier au plan juridique et que les modalités de gestion de ces agents étaient peu
transparentes. Or la DGA recourt de plus en plus au recrutement
d’ICT
: de 2 367 en 2017, le
nombre de ces derniers est passé à 2 633 fin 2018 et 495 recrutements ont été réalisés en
2019.
Pourtant, le décret du 4 mai 1988
1
relatif à
certains agents sur contrat des services à
caractère industriel ou commercial du ministère de la défense
, ne prévoit pas que les ICT-TCT
figurent au nombre des contractuels dont il autorise le recrutement
. C’est
en réalité un simple
arrêté du même jour qui dispose
ex nihilo
que, dans les services de la DGA
«
qui n’ont pas un
caractère industriel ou commercial, des ingénieurs, des cadres technico-commerciaux et des
techniciens peuvent être recrutés dans les cas prévus à l’article 4 de la loi du
11
janvier
1984
2
».
L’institution par un simple arrêté d’un tel quasi
-statut alors même que le décret du
même jour ne prévoit pas cette possibilité est irrégulière au plan juridique.
De surcroît, la référence à l’article 4 de la loi du 11 janvier 1984
précitée, laquelle
constitue le statut général de la fonction publique de l’
État,
n’apparaît pas justifiée car
cet
article limite le recrutement des contractuels aux cas dans lesquels
«
il n’existe pas de corps
de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspo
ndantes »
ou
« pour des
emplois de niveau A [...] lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le
justifient
».
Or
il existe bien des corps d’ingénieurs fonctionnaires
, sous statut militaire (ingénieurs
de l’armement notamment) et civils (ingénieurs civils de la défense
, dénommés antérieurement
ingénieurs d’études et de fabrications
), la loi de programmation militaire ayant prévu un
reclassement catégoriel pour ces derniers.
Les responsables de la DGA ont
indiqué qu’i
l existerait une différence de niveau entre
les ICT et les ingénieurs civils de la défense. Pourtant, la Cour a constaté que les deux
catégories d’agents pouvaient servir indifféremment sur de nombreux
métiers spécialisés de
la DGA et
le délégué général à l’
armement a aussi
indiqué que les différents corps d’ingénieurs
occupaient des postes à tous les niveaux hiérarchiques au sein de la DGA.
1
Décret n°88-541 du 4 mai 1988
relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou
commercial du ministère de la défense
2
Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984
portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat
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S’agissant des
techniciens contractuels (TCT), la même situation se présente
puisqu’il
existe un corps de catégorie B
de technicien supérieur d’études et de fabrications
. Par ailleurs,
si l’on se réfère au deuxième alinéa
précité
de l’article 4 de la loi du 11 janvier 1984,
le
quasi-
statut s’avère
irrégulier aussi
en ce qu’il concerne des emplois de niveau B
, alors même
que la faculté prévue par la loi de recruter des contractuels ne concerne que le niveau A.
Enfin les modalités de gestion des ICT-TCT apparaissent atypiques et peu
transparentes. Ils sont encore à ce jour recrutés et gérés par référence aux dispositions de
conventions collectives de la métallurgie remontant à 1972 et classés dans des « positions »
évoluant de manière croissante. Leur rémunération, encadrée entre des niveaux plancher et
plafond, évolue par référence aux salaires minimaux conventionnels et fai
t l’objet
d’augmentations dites personnalisées
:
ce système s’avère complexe et opaque, les niveaux
de rémunération constituant un véritable « nuage de points » au vu des diagrammes
communiqués à la Cour.
En résumé, la gestion de carrière des ICT-TCT fait
l’objet d’une
attention des
gestionnaires sur les parcours professionnels au sein de la DGA, mais le « quasi-statut »
actuel, clairement irrégulier, doit être régularisé et les fonctions concernées circonscrites par
rapport à celles dévolues aux corps de fonctionnaires existants. D
’ailleurs, les dispositions de
la loi relative à la transformation de la fonction publique du 6 août 2019, qui facilitent le recours
aux contractuels, posent la question du maintien du recours aux ICT-TCT et imposent
d’examiner la compatibilité de ces différents modes de recrutement.
2. LE RECOURS AUX OUVRIERS DE L
ÉTAT A VOCATION À CESSER ET LEUR
GESTION DOIT ÊTRE MODERNISÉE
La Cour est intervenue
sur la situation des ouvriers de l’État du ministère des armées,
dans deux référés de 2011
3
et 2013
4
et une insertion au rapport public annuel de 2012
5
. Elle
y avait relevé la charge budgétaire croissante des dépenses de rémunération (rémunérations
moyennes élevées, évolutions salariales favorables, promotions avantageuses, régime des
heures supplémentaires et organisation du travail à revoir, charges de pension progressant
vivement) ainsi que
l’irrégularité juridique de la plupart d’entre elles.
Elle avait aussi constaté
que la structure des professions occupées par les ouvriers de l’
État posait problème, un ouvrier
sur deux occupant des fonctions relevant de la fonction publique, et elle avait recommandé de
ne plus recruter sous ce statut.
Le ministère a néanmoins obtenu son maintien en 2016 au prétexte qu’il était de nature
à permettre de recruter et fidéliser des personnels qualifiés dans certains métiers requérant
une haute technicité ou des compétences rares. En contrepartie, la réouverture des
recrutements a
été limitée à 21 professions correspondant essentiellement, d’après le
ministère, au maintien en condition opérationnelle des matériels militaires (MCO).
La régularisation des textes fondant la rémunération principale et indemnitaire ainsi
que les modalités de gestion ont été publiées fin 2016. Au total, la régularisation juridique du
statut aura généré 13,
27 M€
de mesures catégorielles sur 2017 et 2018
. L’
encadrement des
modalités d’avancement,
par restriction
de l’assiette de calcul au choix
, aux seuls agents
éligibles, a été réalisé mais
la baisse progressive et partielle des taux d’avancement
s
’achève
seulement en 2021. En revanche, les modal
ités d’avancement demeurent
nombreuses et
devraient être resserrées car elles génèrent une grande complexité avec des procédures qui
s’étalent sur tout
e
l’année.
3
Référé sur la gestion des ouvriers de l’
Etat
9 août 2011
4
La gestion des ouvriers de l’État au ministère de la défense
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Rapport public annuel 2012
Tome I -
La gestion des ouvriers de l’Etat au ministère de la défense
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Au total, ce statut reste coûteux et le
taux d’absentéisme des ouvriers demeure élevé.
Bien que le volume des recrutements ait été limité à un peu plus de 400 ouvriers en 2017 et
2018, cette relance du flux entrant
reconstitue un vivier d’agents dont la seconde partie de
carrière risque d’être u
ne difficulté, en raison par exemple de grilles médicales qui les
empêchent de continuer à exercer des fonctions de MCO.
On relève d’ailleurs que
63 % des
ouvriers occupaient en 2018 des fonctions correspondant à des branches professionnelles
n’ouvrant pl
us droit à recrutement, à la suite de reclassements professionnels de seconde
partie de carrière.
La voie des recrutements spécifiques sur contrat, qui avait été expérimentée avant la
réouverture des recrutements ouvriers, a été abandonnée trop vite alors
même qu’aujourd’hui
de nouvelles dispositions législatives prévues par la loi du 6 août 2019 sur la transformation
de la fonction publique permettent un recours plus aisé aux contrats. Pour certaines fonctions,
comme la logistique, le recours à l’external
isation peut aussi être envisagé, comme cela se
pratique
d’ores et déjà dans des ateliers industriels de l’aéro
nautique.
La Juridiction formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation
1 :
(destinataires : Premier ministre, ministre des armées, ministre
délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la
relance, chargé des comptes
publics, ministre de la transformation et de la fonction publique
) Clarifier le régime juridique et
les modalités de gestion des ICT-TCT, ne recourir à ce « quasi-statut » que pour des fonctions
ne pouvant être confiées aux corps de fonctionnaires existants et, enfin, examiner si les
facilités de recrutement de contractuels permises par la loi sur la transformation de la fonction
publique ne rendent pas inutile le recours à ce « quasi-statut ».
Recommandation
2
:
(destinataires : Premier ministre, ministre délégué auprès du
ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, ministre de
la transformation et de la fonction publique)
Utiliser les possibilités de recrutement de
contractuels sur des métiers de haute technicité et cesser les recrutements d’ouvriers de l’
État.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
6
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
6
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).