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Le 9 juin 2021
Le Premier président
à
Monsieur Jean Castex
Premier Ministre
Réf. : S2021-1199
Objet
:
La lutte contre l’habitat indigne
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné
la mise en œuvre de la politique de lutte contre l’habitat indigne
au cours
des années 2015 à 2020.
À l’issue de son contrôle,
elle
m’a demandé, en application des
dispositions de l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations
et recommandations suivantes.
L
oin d’être
seulement une marque du passé
, l’habitat indigne
, tel que défini par la loi
1
,
est une réalité, qui subsiste de façon plus ou moins concentrée dans des contextes urbains
comme ruraux. Dans de nombreux territoires, les tensions pour accéder à un logement ou, au
contraire, les effets de la déprise démographique, la carence de certains propriétaires
impécunieux, négligents voire malveillants, ainsi que les conditions particulières
d’occupation
contribuent
au maintien d’un parc privé de logements indignes,
assimilés parfois à des
« logements très sociaux de fait ». La persistance de ce
phénomène et l’insuffisance des
initiatives privées pour y remédier imposent souvent à
l’État et
aux collectivités concernées de
s’
engager fortement, sur les plans juridique, opérationnel et budgétaire, pour accompagner ou
se substituer aux propriétaires privés.
Ces dernières décennies, de grandes actions de réso
rption de l’habitat indigne dans le
parc privé ont été conduites dans certains territoires, parfois avec un succès remarquable,
grâce à
l’action conjuguée de l’État et
des collectivités territoriales. La diversification et le
renforcement des instruments mis à la disposition des acteurs en matière de police
administrative (astreintes,
travaux d’office), d’accompagnement à la réhabilitation du parc privé
(guichet unique, n° vert) et de répression pénale (renforcement des sanctions introduit par les
articles 190 et 191 de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018
2
), y ont assurément contribué.
La récente simplification des dispositions de police administrative par
l’
ordonnance du 16
septembre 2020 est
l’exemple le plus récent
de ces mesures qui facilitent
l’
action des pouvoirs
publics.
1
Notamment la
loi du 31 juillet 1990
visant à la mise en œuvre du droit au logement et la
loi n° 2009-323 du
25 mars 2009
de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.
2
Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018
portant évolution du logement, de l’aménagement et du num
érique
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Cependant, malgré
l’
engagement des acteurs et
l’existence d’
une « boîte à outils »
étoffée, la Cour constate que les résultats obtenus sont encore insuffisants au regard de
l’ampleur estimée d
u phénomène.
Pour
renforcer l’efficacité de la lutte, il importe d’
intensifier les démarches visant à
caractériser
l’habitat
indigne,
d’optimiser
la coordination des acteurs concernés, de développer
une approche stratégique et de renforcer l
es moyens de l’action pénale
.
1.
UNE CONNAISSANCE DES SITUATIONS D’INDIGNITÉ À PARFAIRE
La seule estimation nationale du phénomène date de 2013 et
a été établie par l’
Agence
nationale de l’habitat (
Anah), à partir du croisement de diverses sources, et a permis de mettre
en évidence un « parc privé potentiellement indigne » (PPPI) de 420 000 logements. Cette
estimation n’a pas été actualisée
depuis.
L’habitat indigne
dans le parc privé est une réalité difficile à appréhender, hors la
survenue d’événements dramatiques.
Les propriétaires ou les locataires qui occupent ces
logements
peuvent être confrontés à une absence d’alternative, faute d’offre, de revenus
suffisants ou du fait de leur situation juridique. Ils
n’ont pas nécessairement conscience
de la
situation dans laquelle ils se trouvent ; c
’est
souvent le cas pour les propriétaires occupants.
L’activité de police administrative
ne saurait, à elle seule,
restituer l’ensemble des
actions menées,
mais c’est un indicateur pertinent pour mesurer la réalité de l’action des
pouvoirs publics. Or, seule la partie de cette activité
correspondant à l’intervention
de l’État au
titre de la lutte contre l’insalubrité, est connue. L’activité des
maires agissant en qualité
d’
autorité de police ne
fait l’objet
que
d’un recensement partiel au niveau départemental.
Une
sensibilisati
on renforcée des élus et l’exploitation plus systématique des actes
qui sont
transmis par ces derniers au contrôle de légalité, contribueraient à améliorer cette
connaissance de l’indignité
.
S’agissant de la police de la salubrité, l’enquête annuelle
réalisée par les ministères
chargés du logement et de la santé et par
la délégation interministérielle à l’hébergement et
au logement met en évidence une légère augmentation du nombre des mesures de police
prises par les préfets (2 893 en 2018, soit + 9,7 % depuis 2012). La part des procédures
d’insalubrité instruites par les services communaux d’hygiène et de santé (
SCHS), pour le
compte des préfets, est importante et croissante : 43 % en 2016 contre 37 % en 2014, cette
part dépassant les 50 % pour certaines procédures.
Ces données, non exhaustives, mettent en lumière que cette activité (2 898 mesures
de police) ne concernerait que 0,7 %, à
l’échelle nationale,
du parc des 420 000 logements
susceptibles
d’être
indignes
selon l’estimation de 2013
.
Cette activité varie en outre fortement selon les départements. En 2016, aucun arrêté
n’a été pris au titre du
code de la santé publique dans trois départements et, dans 24
d’entre
eux, le nombre de mesures de dépassait pas quatre. Si des disparités territoriales
existent certes
en matière d’indignité, ces faibles résultats mettent en lumière l’importance
majeure de la mobilisation et des
capacités d’action des acteurs locaux.
Identifier les logements indignes constitue un enjeu essentiel.
Si à l’échelle de
s
grandes unités urbaines, des observatoires locaux ont été créés, ce type
d’organisme
n’est
pas encore généralisé.
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Au niveau
national, les imperfections de l’o
util de repérage et de traitement de l'habitat
indigne (Orthi) prévu par la loi, non encore complètement opérationnel malgré un déploiement
de plus de dix ans, participe de cette méconnaissance. Son interfaçage partiel avec les
applicatifs de gestion utilisés par les acteurs de la salubrité (agences régionales de santé,
SCHS) ou les organismes payeurs des aides personnelles au logement
n’autorise
pas une
intégration véritable des données. Cet outil méconnu qui ne permet pas aux acteurs locaux de
gérer les situations, de leur identification jusqu’à leur traitement
, demeure sous-utilisé.
Les collectivités du bloc communal jouent
un rôle central dans la mise en œuvre de
démarches de repérage pour affiner et actualiser les données estimatives
de l’
outil statistique
et cartographique de repérage du parc privé potentiellement indigne (PPPI). Ces démarches
sont en principe le préalable aux phases de planification et de requalification urbaine et de
revitalisation
(opérations
programmées
de
l’habitat,
programmes
d’intérêt
général,
renouvellement urbain, opérations de revitalisation du territoire, etc.). Le programme national
Action Cœur de ville
a ainsi permis, dans près de 40 % des villes concernées,
d’initier, pour la
première fois, une opération programmée de l’habitat précédée d’un diagnostic.
La Cour relève
cependant que le nombre des études de repérage visant spécifiquement le sujet
de l’habitat
indigne demeure limité, cette question
n’
étant souvent abordée que de façon incidente.
Il conviendrait d’engager un repérage plus poussé des situations d’indignité
en partant
des zones à risque, identifiées par le PPPI.
Des initiatives spécifiques, communes à l’
État et
aux collectivités, ont été prises dans certains territoires : elles ciblent des zones déterminées et
donnent lieu, immeuble par immeuble, à des visites systématiques des services de
l’
État et de
la collectivité concernée. Ces démarches, qui ne peuvent chaque fois concerner qu
’un nombre
limité de logements, gagneraient à être étendues aux zones à risques élevés.
2. UNE POLITIQUE PARTENARIALE À RENFORCER
La lutte contre le logement indigne relève d’une action locale
qui mobilise de très
nombreux partenaires
: maires, présidents d’EPCI et préfets de département
en qualité
d
’autorités de police administrative
; collectivités du bloc communal en qualité de maîtres
d’ouvrage des politiques d’aménagement et de rénovation urbains, avec l’appui de l’
État, voire
à son initiative,
dans le cadre des opérations d’intérêt national
; opérateurs publics et privés
accompagnant les propriétaires ou les pouvoirs publics dans les travaux de remise en état des
logements ; acteurs du champ social ; institutions judiciaires pour la répression de la mise en
danger d’autrui et de l’exploitation des vulnérabilités…
Alors que ces partenariats multiples sont nécessaires, ils se heurtent
, à l’échelle
nationale, à un déficit de coordination et, au plan local,
à l’absence
d’
outils de suivi des actions
menées.
2.1. Une intervention publique incontournable
Ciblée sur les pathologies les plus graves du parc privé, la politique de lutte contre
l’habitat indigne présente la particularité de conduire les pouvoirs publics à s’immiscer dans
l’exercice du droit de propriété privée pour des motifs fondés d’ordre public.
C
omposante à part entière des politiques du logement et de l’habitat
, cette action doit
dépasser le traitement des situations d’urgence pour s’inscrire
dans un horizon de moyen et
long terme. Du signalement d’une situation d’indignité jusqu’à son traitement complet, plusieurs
années peuvent en effet
s’écouler. Dans les zones où l’accè
s au logement est difficile, le seul
relogement des ménages qui habitent un logement indigne peut prendre plusieurs mois. Des
actions visant à la requalification durable de quartiers anciens dégradés imposent un cadre
pluriannuel.
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C’est pourquoi il est
essentiel de bien articuler les diverses dimensions (sanitaire,
sociale, bâtimentaire, juridique,
…)
jusqu’à l’intervention de la puissance publique dans
l’exercice du droit de propriété.
À cette fin, le renforcement du caractère opérationnel et
contraignant des plans pluriannuels départementaux de lutte contre
l’habitat indigne devrait être
envisagé.
La lutte contre l’habitat indigne vise d’abord à inciter les propriétaires des immeubles
présentant des désordres à procéder aux travaux de rénovation nécessaires. Cette dimension
incitative est au cœur des dispositifs d’opérations programmées pour l’amélioration de l’habitat
ou des programmes d’intérêt général
.
Le soutien financier de l’État aux propri
étaires concernés passe principalement par
l’intermédiaire des aides versées par l’Anah
(136 M
en 2019 pour 10 218 logements). Les
objectifs fixés à l’agence en matière de logements indignes rénovés
(32 850 logements aidés
dans le dernier contrat d’objec
tifs et de performances 2015-2017) ne sont pas en rapport avec
l’ampleur estimée du phénomène. L’effet
-levier de ces aides financières peut en outre être
insuffisant pour convaincre des propriétaires, souvent démunis ou mal armés, de conduire les
opérations nécessaires. La situation des propriétaires occupants, particulièrement délicate,
exige un accompagnement spécifique. L’intervention des pouvoirs publics devient
dès lors
souvent incontournable. Face aux propriétaires malveillants ou aux marchands de sommeil, elle
est même impérative.
2.2.
Le besoin d’un
pilotage national de cette politique
Avec le renforcement des outils de
lutte contre l’habitat indigne, l
a dimension
partenariale de
cette politique n’a cessé
de se développer, induisant des besoins de
coordination, déterminants pour son efficacité.
Concomitamment à la
refondation de la politique de lutte contre l’habitat indigne à
compter du début des années 2000, le renforcement de la coordination des acteurs a été
engagé
à l’échelle nationale, avec la mise en place d’un pôle national
et de pôles
départementaux de lutte c
ontre l’habitat i
ndigne (PNLHI et PDLHI). En vingt ans, ces structures
sont devenues les cadres de référence des acteurs concernés. Ainsi
les objectifs d’a
ctions
partagées sont arrêtés
à l’échelle des PDLHI.
À
l’échelon central, le
PNLHI
, rattaché jusqu’au 1
er
janvier 2021 à la délégation
interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement
(DIHAL), exerce une fonction
d’impulsion et d’animation du
réseau et
d’appui
aux acteurs locaux, sans avoir pour autant
d’
autorité sur les pôles départementaux.
Son intervention se concentre sur la mise en œuvre
des outils de police administrative et des instruments répressifs.
Il n’aborde qu’à titre
secondaire
les dispositifs opérationnels (opérations programmés, programmes nationaux, etc.) qui
demeurent gérés et suivis par le ministère chargé du logement et
l’Anah. La prochaine
intégration du pôle au sein de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des pays
ages du
ministère chargé du logement devrait lui permettre
d’élargir son champ d’action et ses fonctions
d’animation, de synthèse, de suivi et d’évaluation à l’ensemble des outils d’action mobilisés en
matière d’habitat indigne, sans porter atteinte au car
actère interministériel de ses travaux.
Il manque toutefois à la politique de lutte contre l’habitat indigne une instance de
concertation et de pilotage au sein de laquelle
l’État et
les collectivités territoriales échangeraient
et arrêteraient des orientations stratégiques communes. En effet, seul le ministre du logement
rend compte devant la représentation nationale des résultats atteints
alors qu’
il ne dispose que
d’une
connaissance partielle. En effet, certains programmes et dispositifs nationaux incluant
des actions de traitement de l’habitat ancien dégradé (Action Cœur de ville, PNRU et NPNRU
,
etc.) disposent de leur propre structure de dialogue nationale.
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En matière d’habitat indigne
, cette instance unique de pilotage permettrait de bien
inscrire la lutte contre
l’habitat indigne au sein de l’ensemble des actions menées par les
pouvoirs publics visant à améliorer le parc privé ancien et à traiter ses pathologies (rénovation
énergétique, copropriétés dégradées, etc.).
Enfin, pour associer e
t mettre en cohérence l’ensemble des dispositifs spécifiques
mobilisés, la Cour recommande qu’une stratégie nationale soit formalisée, à l’instar de la
démarche du plan « Initiative copropriétés », applicable aux copropriétés dégradées.
2.3. La nécessité
d’un système d’information commun
à tous les acteurs
Les acteurs publics locaux souffrent de ne pouvoir disposer
d’un outil commun
pour
gérer les situations signalées
d’habitat indigne. En effet,
le système Orthi n
’a qu’une fonction
d’observ
ation des situations mais cet outil, non interfacé avec les applications existantes (Ariane
pour les agences régionales de santé, Cristal pour les caisses d’allocations familiales, …)
, ne
permet pas de collationner l’ensemble des actions mises en œuvre pou
r résoudre les désordres
constatés.
À défaut, la centralisation des signalements et des plaintes et celle des actions mises
en œuvre pour traiter les situations
,
s’effectue
dans le cadre d’initiatives
locales
sous l’égide
des PDLHI, et sous des formes variables : guichets uniques (plus de 67 départements en
202
1…), tableaux de bord plus ou moins
adaptés,
etc.
Chronophage, la gestion de ces outils
de suivi se fait en ordre dispersé,
sans garantir un niveau d’exhaustivité satisfaisant, ni
permettre de c
onsolidations. Ils sont rarement interfacés avec les systèmes d’information
propres à chacun des acteurs.
La perspective du déploiement programmé par la direction générale de la santé, dans
le courant de l’année 2021, d’
un système
d’information
santé-habitat commun aux agences
régionales de santé (ARS) et aux services communaux (SCHS), déjà
nombreux à l’utiliser,
pourrait améliorer le travail collaboratif pour
nombre d’
acteurs. Mais cet outil traite des sujets
de salubrité dans l’habitat, sans intégrer la dimension du péril ni
prendre en compte les besoins
des autres acteurs.
Il importe donc de développer un
système d’information
accessible et partagé par tous
les acteurs, qui permettrait,
sur l’ensembl
e du territoire, un suivi fin de chaque situation.
S’agissant d’une politique partagée,
un tel outil doit être accessible
à l’État et aux collectivités
.
3. UN REDIMENSIONNEMENT NÉCESSAIRE DES MOYENS
Les outils de lutte contre l’habitat indigne ont été
considérablement renforcés ces vingt
dernières années. Dans les dimensions préventive, coercitive, opérationnelle et répressive, de
nouveaux dispositifs d’intervention et de nouvelles procédures contribuant à son efficacité ont
été créés. Ce
s améliorations n’ont toutefois
pas été accompagnées
d’un ajustement et d’une
réorganisation des moyens disponibles.
3.1. Des moyens publics limités, inégalement répartis sur le territoire
national et encore insuffisamment mutualisés
Le développement continu et la sophistication croissante des instruments juridiques à
la disposition des acteurs pour traiter l
’habitat indigne pose
nt la question des moyens
nécessaires
pour les mobiliser et mettre en œuvre des actions résolues et efficaces.
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Selon les données très partielles établies par la Cour, la
lutte contre l’habitat
indigne
mobilise
de l’ordre de 630 ETP
répartis entre
l’État
(un tiers environ en ARS, un tiers environ
dans les directions départementales interministérielles) et les SCHS (pour le dernier tiers). Les
effectifs mobilisés par les collectivités qui ne dispose
nt pas d’un service communal d’hygiène
et de santé, ne sont pas connus. Ces moyens atteignent parfois un niveau critique (dans
certains départements, les ARS ne peuvent compter que sur un ou deux agents) au risque
d’obérer
la capacité d
’action d
es pouvoirs publics. À cet enjeu
d’effectif
s
s’ajoutent dans
plusieurs territoires des difficultés de recrutement et de fidélisation des agents concernés,
notamment pour les techniciens de salubrité.
Les maires, qui
, en leur qualité d’a
utorité de police administrative, sont tous
susceptibles d’agir en matière d’habitat indigne, n
e disposent pas toujours des moyens
d
expertise technique nécessaires. Or, les exigences et le formalisme des mesures de police
administrative sont les mêmes, quelle que soit la taille de la commune concernée. Les
réformes successives de l’ingénierie publique apportée par l’État aux collectivités
réduisent
davantage la possibilité de les accompagner dans la durée. Dans ces circonstances, certains
élus peuvent privilégier
des tentatives de solution à l’amiable, alors que la loi leur fait obligation
de prendre sans délai des mesures de police.
Dans les collectivités du bloc communal
, l’organisation de l’expertise est très variable.
Les 208 communes
dotées d’un SCHS s’appu
ient sur un service
dont l’action est souvent de
qualité, même si tous les services n
ont pas la même implication en matière de lutte contre
l
’indignité ni les mêmes résultats. A
gissant également pour le compte du préfet de département
au titre de la police de la salubrité, leur positionnement est souvent
source d’ambiguïté
et de
confusion des responsabilités. Une réflexion plus large sur leur devenir est nécessaire.
Dans le même temps, la volonté du législateur de
renforcer l’échelo
n intercommunal,
en incitant au transfert des pouvoirs de police spéciale des maires vers les présidents
d’EPCI,
ne s’accompagne pas
encore
d’une réorganisation
notable des moyens. Les stratégies pour
constituer une ingénierie mutua
lisée à l’échelle interc
ommunale sont contrastées. Elles
dépendent en pratique, pour une large part, du degré d’intégration de l’EPCI, d
es équilibres
entre l’
échelon
intercommunal et des communes parfois solidement dotées, de l’antériorité
des communes dans le pilotage
de politiques d’amélioration de l’habitat privé et de l’existence
de lieux de partage de l’expertise (agences techniques départementales
notamment).
Les initiatives prises par certaines collectivités départementales ou intercommunales
sous la forme de soc
iétés publiques locales (SPL) et l’action des structures créées par l’
État
pour mener des actions de grande ampleur dans les territoires à forts enjeux (établissements
publics d’aménagement, établissements publics
fonciers) peuvent,
s’il existe
une volonté
politique locale effective, donner des résultats intéressants.
Pour renforcer et amplifier
la lutte contre l’habitat indigne
, il importe de réorganiser les
moyens et les
expertises autour de pôles mutualisés à l’échelle intercommunale, avec ou sans
transfert associé des pouvoirs de police municipaux.
3.2. Le nécessaire renforcement des moyens
d’enquête
en matière pénale
Les réformes législatives successives
jusqu’à
la loi Élan du 23 novembre 2018, ont très
nettement renforcé la panoplie de sanctions pénales mobilisables pour réprimer les situations
d’habitat indigne, contraindre au respect des règles de droit et sanctionner les propriétai
res
négligents ou malveillants.
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Pour les parquets, la lutte contre l’habitat indigne
reste cependant
un domaine d’action
publique particulièrement complexe à appréhender, dès lors qu
’à l’exception de quelques
départements où
une action significative est conduite, elle n’intervient que très ponctuellement
dans leur champ d’activité
, faute de signalements suffisants. Le très faible nombre de
procédures traitées (moins d'une dizaine par an) ne permet pas aux magistrats référents
d'investir pleinement ce contentieux ni même de constituer un vivier suffisant
d’enquêteurs
maîtrisant ce contentieux spécialisé. L'élaboration d'une véritable politique pénale est donc
difficile et reste largement dépendante des spécificités de chaque ressort (zones rurales ou
urbaines notamment).
Le nombre de sanctions pénales
n’
enregistre pas de progression significative malgré
l’enrichissement de l’arsenal
disponible et une forte mobilisation depuis 2019. Si la diversité
des instrument
s permet d’ajuster une réponse pénale plus contraignante et adaptée,
celle-ci
se heurte à la technicité des mesures et à l’or
ganisation des acteurs qui en sont chargés.
Dans ces circonstances,
l’action pénale
trouverait avantage à ce que les pouvoirs de
police judiciaire des agents assermentés des services administratifs spécialisés évoluent pour
renforcer leurs
moyens d’instruction des infractions. S’ils disposaient de
prérogatives élargies
pour constater une infraction, procéder à des auditions, obtenir une information ou un
document ou vérifier l'identité des personnes présumées responsables d'infraction, il serait
possible d’
engager plus rapidement des procédures pénales
sous l’autorité du parquet
et de
pallier en partie
le déficit actuel d’agents et d’enquêteurs.
La Cour formule donc les recommandations suivantes
:
Recommandation n° 1
: développer un
système d’information performant, adossé sur l’outil
de repérage et de traitement de l’habitat indigne (Orthi) et interfacé avec les différents
applicatifs existants ;
Recommandation n° 2
: donner aux plans pluriannuels départementaux de lutte contre
l’habitat indigne une dimension opérationnelle
(orientations et objectifs chiffrés) et une force
contractuelle ;
Recommandation n° 3
: mettre en place, au niveau national, un organe de concertation et
d’orientation stratégique associant les principales parties prenantes de la lutte contre l’habitat
indigne ;
Recommandation n° 4
: renforcer les prérogatives de police judiciaire des agents
assermentés des services intervenan
t en matière d’habitat indigne.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication
3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationa
le et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à
l’adresse
électronique
suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-
146 du 10 février 2015 relatif à la dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici