Liberti
•
Égalité
•
Frat�rnité
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
à
Paris, le
2 2 JAN. 2018
Monsieur le Premier président de la Cour
des comptes
Objet:
Référé sur l'évaluation du dispositif de la décote sur le foncier en faveur du
logement social.
Par cour
rier du 26 octobre 2017, vous m'avez adressé le projet de référé sur
l'évaluation du dispositif de la décote sur le foncier public en faveur du logement social.
Celui-ci appelle de ma part les observations suivantes.
1
-
La Cour relève la coexistence de plusieurs dispositifs de cession du foncier
public.
Le dispositif de décote instauré par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative
à
la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations
de production de logement social a complété le dispositif de cession
«
classique
»
en
permettant, d'une part, une évaluation transparente de l'effort de l'État consenti lors de la
vente et, d'autre part, en imposant
à
l'opérateur des engagements de réalisation dans un
délai rapproché
afm
d'éviter la constitution de réserves foncières.
Ces deux dispositifs ont vocation
à
être utilisés en parallèle.
Depuis 2013, au
fur
et
à
mesure de son appropriation par l'ensemble des acteurs,
la procédure de décote s'est largement développée dans les cessions réalisées par l'État en
faveur du logement. Ainsi, les ventes réalisées avec décote ont représenté 38 % des
cessions de terrains de l'État en 2014, 54 % en 2015, 72 % en 2016. Sur les premiers mois
de 2017, ce pourcentage a atteint 75 %, confirmant cette tendance.
En ce qui concerne la création de la Foncière Publique Solidaire (FPS), celle-ci
s'inscrit, certes avec des objectifs différents, dans la continuité des cessions réalisées par la
Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), dont elle reprend le cadre
législatif (article 141 de la loi n° 2006-1 771 du 3 0 décembre 2006 de finances rectificative
pour 2006).
Ses modalités d'intervention diffèrent de ceux des établissements publics fonciers
(EPF) qui n'ont pas pour vocation première d'intervenir sur des fonciers publics.
Hôtel
de
Matignon
-
57, rue de Varen ne
-
75007
Paris
Tél
:
01 42 75 80 00
Ceux-ci
interviennent
principalement
sur un cycle
de
type «acquisition
-
transformation - revente» s'inscrivant dans le cadre de conventions avec les collectivités
locales qui se portent garantes sur la revente des biens acquis. Ils peuvent conserver la
propriété d'un foncier ou procéder
à
son démembrement, mais ce mécanisme, qui
immobilise des moyens sur une très longue durée, reste marginal. A l'inverse, la FPS se
positionnera davantage sur des portages, de long voire de très long terme, en privilégiant
les baux emphytéotiques et les baux
à
construction. Elle pourra avantageusement relayer
les EPF pour le portage de long terme destiné
à
des opérations d'aménagement ultérieures.
La FPS apparaît donc comme un outil complémentaire aux EPF et ne se substitue
pas
à
leurs missions.
II
-
La Cour souligne la complexité de la mise en œuvre du dispositif et relève
que
la
décote
constitue
un
complément
d'aide à
la
pierre
qui
justifierait sa
présentation dans le programme budgétaire consacré à la politique du logement
(programme 135).
Un
tel
rattachement
sur
le
programme
budgétaire
135
présente
plusieurs
inconvénients. En effet, comme le souligne la Cour, les procédures de vente de foncier
autres que celles prévues par la loi du
18
janvier
2013
et réalisées sur la base de prix
négociés ne permettent pas d'évaluer l'effort financier consenti par l'État. En conséquence,
seul le montant de la décote selon la procédure instaurée par la loi n°
2013-61
du
18
janvier
20 13
pourrait être inscrit dans les documents budgétaires.
L'exigence de transparence dans le calcul de la décote a conduit les acteurs
à
formaliser un certain nombre d'étapes dans le montage de l'opération qui auraient, de toute
façon, dû être réalisées. Il en est ainsi de
1
'élaboration du progr
amm
e de logements qui
s'avère nécessaire aux échanges avec les collectivités ou
à
la vérification de la faisabilité
financière de
1'
opération. La procédure de complément de prix, relevée dans le référé, est
également couramment utilisée par les aménageurs, y compris les établissements publics
d'aménagement, pour la vente de lots dans les opérations d'ensemble de type zone
d'aménagement concertée (ZAC) ou lotissement.
L'analyse des délais globaux de réalisation des opérations ne montre donc pas de
rallongement significatif lorsque la procédure de décote est utilisée.
Par
ses
exigences,
cette
procédure
a
cependant
demandé
une
période
d'apprentissage pour les services de l'Etat et amené le Gouvernement
à
conduire un travail
pédagogique
à
destination des collectivités et des opérateurs. L'analyse des opérations
montre aujourd'hui une bonne appropriation de cette procédure et une coopération efficace
entre services
Ill
-
La Cour estime que la procédure a été peu utilisée et craint son
essoumement ; les terrains les plus propices à la réalisation de logements ayant déjà
fait l'objet d'une cession.
Les ventes avec décote ont concerné
69
opérations entre janvier
2013
et décembre
2016
et ont permis la mise en chantier d'environ
6 700
logements dont
4 600
logements
sociaux.
A ce titre, il convient de distinguer les ventes de terrains de
1
'État de celles des
établissements publics.
2
S'il est vrai que le dispositif de décote n'est utilisé que marginalement par les
établissements publics (4 ventes au total sur la période 2013-2017), la procédure de décote
pour les cessions des terrains de l'Etat a progressé significativement depuis 2013, en
même temps que la vente avec décote sur l'ensemble des cessions : 11 cessions sur 39 en
2014 (38 %), 19 sur 37 en 2015 (54 %), 34 sur 47 en 2016 (72 %) et de janvier 2017 à
octobre 2017, 22 ventes sur 29 (75%).
Enfin, il convient de souligner que les ventes avec décote, en faveur du logement,
ne représentent qu'une partie des cessions faites par l'État, les établissements publics et les
établissements publics d'aménagement. Celles-ci s'élèvent à 335 entre 2013 et 2016, dont
51 en 2013, 97 en 2014, 81 en 2015 et 106 en 2016. Ces chiffres conduisent à nuancer la
perspective d'essoufflement annoncée par la Cour. Il est à noter que, pour les seuls terrains
de l'État, 29 cessions ont déjà été réalisées en faveur du logement dans les premiers mois
de 2017.
IV
-
La
Cour regrette l'absence de contrôle financier des opérations de
cession.
La loi du 18 janvier 2013 a prévu un dispositif de contrôle et de sanction sur la
bonne réalisation du progr
amm
e mentionné dans la convention jointe à l'acte de vente.
Ainsi les articles L. 3211-7-V et L. 3211-7 V bis du code général de la propriété
des personnes publiques (CGPPP) mentionnent la possibilité d'aboutir, en cas de non-
respect des obligations figurant dans la convention jointe à 1'acte de vente (progr
amm
e,
délais de réalisation), soit à une résiliation de la vente (sans indemnité pour l'acquéreur et
le versement du montant des indemnités contractuelles applicables), soit au versement
d'une indemnité préjudicielle dont le montant peut atteindre le double de la décote
consentie. La convention jointe à l'acte de vente prévoit, en outre, un contrôle de la
réalisation des progr
amm
es et de
1
'application du dispositif de décote.
Si le législateur a donc souhaité encadrer la décote par un contrôle sur la
réalisation du progr
amm
e de construction, il n'a, en revanche, pas souhaité mettre en place
un mécanisme de contrôle particulier sur le bilan fmancier de l'opération. Un tel dispositif
pourrait reposer sur l'insertion de clauses de compléments de prix ou de «retour à
meilleure fortune>> qui pourraient être intégrées dans l'acte de vente avec un contrôle accru
pouvant porter sur la fourniture d'un bilan après construction.
Pour les opérations complexes, réalisées dans le cadre djune opération
d'aménagement d'ensemble (type ZAC par exemple), la recommandation de la Cour se
heurte à plusieurs écueils :la durée de ce type d'opération qui peut s'étaler sur 10 à 20
ans,
la maîtrise foncière de 1' opération qui peut intégrer des terrains vendus avec décote et des
terrains privés (ex : cession le 24 mars 2014 de la Caserne Flaubert, avenue Marcelin
Berthelot à Grenoble) et la complexité du montage financier de
1'
aménageur, qui prend en
compte non seulement les travaux, mais aussi ses propres frais, ses risques, son bénéfice
et
le portage financier.
V
-
La Cour recommande de recentrer géographiquement les procédures de
décote sur les zones tendues et en déficit de logements sociaux.
Sur les 107 M€ de montant total de décotes réalisées entre 20 13 et 2016, 70 M€
(65%) concernent les zones A et A bis, 34 M€ (32%) les zones B1 et seulement 3 M€ (3%)
les zones de faible tension (B2 et C).
3
La Cour s'interroge sur la pertinence d'appliquer le dispositif de décote en dehors
des zones A et Abis.
Au préalable, il convient de rappeler que les zones B 1 concernent des métropoles
certes non incluses dans les zones A et A bis (telles que Rennes, Tours, Rouen, Toulouse ou
Nantes), mais dans lesquelles des opportunités de cession importantes nécessitaient l'usage
du dispositif de décote.
Par ailleurs, en zone non tendue non soumise à l'article 55 de la loi solidarité et
renouvellement urbain (SRU), la production de logements locatifs sociaux (LLS) en 2016
représentait 18 % de la production totale de LLS (hors foyers personnes âgées aux
handicapées). La part de la production sur ces territoires n'est donc pas négligeable à
l'échelle nationale et des besoins s'expriment également, quand bien même ils sont moins
importants qu'en zones tendues.
Dans un souci d'équité de traitement et de soutien de l'État et des moyens
nati
onaux
à la production de logements pour les plus modestes, l'utilisation des outils créés
pour faciliter cette production, y compris le mécanisme de décote, doit pouvoir être mis en
œuvre partout sur le territoire national dès lors qu'il peut contribuer à faire sortir de terre
des opérations qui répondent à des besoins et qu'il accompagne les efforts des acteurs
locaux. En secteurs détendus aussi, des opérations peuvent être déséquilibrées, quand bien
même le foncier y est moins cher qu'ailleurs.
L'analyse d'opérations en secteurs non tendu (zone C) confirme ces éléments :
l'opération de 28 logements sociaux à Bourg-Saint-Andéol en Ardèche est typique de ces
opérations en secteurs détendus qui, par manque de co-financeurs, ne sont pas équilibrées.
Le montant de la décote peut y sembler faible (46 380€) par rapport à d'autres opérations
mais un travail d'analyse de son équilibre sur son plan de fmancement et son prix de
revient avant et après la décote montre que cette opération reste déséquilibrée.
Il convient de souligner également le fort investissement du bailleur en fond
propre sur cette opération (12 % du prix de revient).
A cet égard, il parait peu pertinent de mobiliser la décote sur le territoire exclusif
des communes carencées qui par défmition sont les moins enclines à accompagner et à
soutenir l'effort de solidarité nationale et de réponse aux besoins des ménages modestes.
S'il est indéniable qu'il existe souvent une forte demande en logements, notamment
sociaux, sur les communes carencées, ces dernières sont sanctionnées du fait de leur
manque de volontarisme en faveur de la production de logements à destination des
ménages à faibles ressources. Il leur appartient donc, en premier lieu, de produire les
efforts, not
am
m
ent financiers, nécessaires pour atteindre leurs objectifs de rattrapage et
ainsi satisfaire à l'article 55 de la loi SRU.
Enfin, il convient de rappeler que la valeur du pourcentage de réduction du prix de
vente prévue par l'article R. 3211-15 du CGPPP est beaucoup plus faible en zone détendue
qu'en zone tendue.
VI
-
La Cour recommande de publier le montant des décotes accordées par
logement.
Sur ce point, je crois utile de rappeler que la loi du 18 janvier 2013 prévoit déjà la
publication de tableaux en annexe des rapports relatifs à la mobilisation du foncier public
en faveur du logement permettant de connaître ces montants.
4
Au-delà des réponses et précisions que j'ai souhaité apporter aux observations de
la Cour, je vous informe que j'ai demandé qu'une réflexion interministérielle soit initiée
sur
1
'évolution de ce dispositif et sur les aménagements qui pourraient
y
être apportés et
figurer dans le cadre de la future loi
«
Logement
»
qui sera présentée au Parlement au
début de l'année
2018.
5