AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
Lundi 22 janvier 2018 - 9h30
Allocution de Gilles Johanet,
Procureur général près la Cour des comptes
Monsieur le Président de la République,
Vous
m’autoriserez
à
m’associer
aux
remerciements
exprimés
par
le Premier président pour votre venue et votre écoute. Chacun mesure le privilège
que vous nous faites et je mesure le privilège supplémentaire que vous m’accordez
en écoutant quelques instants mes propos.
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames et Messieurs les ministres, les élus, les autorités,
Je souhaite vous dire également combien le Parquet général de la Cour est honoré de
votre présence, de votre fidélité pour la plupart d’entre vous et de l’intérêt que vous portez à
nos travaux.
Monsieur le Premier président,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Il me revient maintenant de parcourir ce qu’est l’activité de la Cour et
de son parquet. Je dis parcourir car la publication des travaux de la Cour permet
de mesurer précisément son activité. Il me parait toutefois nécessaire de présenter
en quelques mots à vous notamment, Monsieur le Président de la République,
ce qu’est le Parquet général près la Cour.
*
Un président de la 1
ere
chambre, le président Le Vert, a déclaré dans son discours
d’accueil
du
nouveau
Premier
président
lors
de
notre
séance
solennelle
du 13 juillet 1972 que le Parquet général était «
la mémoire et la conscience
de la Cour
».
2
Bien entendu, le ministère public qui a un sens aigu du partage, ne saurait considérer
que
les
magistrats
du
siège
travaillent
sans
mémoire
et
encore
moins
sans conscience. Mais il est vrai que nous attachons un prix particulier à cette mémoire dont
la
portée
a
d’ailleurs
été
profondément
renouvelée
à
partir
de
1982
quand
ont été créées les chambres régionales des comptes dotées d’un ministère public,
ces procureurs financiers que vous nommez, Monsieur le Président de la République, et que
j’ai
l’honneur
de
coordonner
afin
d’assurer
la
cohérence
de
l’action
des chambres et donc d’enrichir cette mémoire.
Quant à la conscience, le parquet, en étant près la Cour et non la Cour,
en
établissant
ses
conclusions
sur
la
quasi-totalité
des
travaux
de
la
Cour,
mais en ne participant pas au délibéré des chambres, bénéficie d’une distanciation heureuse
qui
enrichit
la
conscience
qu’il
entretient
des
devoirs
et
des
ambitions
des juridictions financières.
Comment ne pas songer au rôle du Parquet en relisant les propos du Président
Giscard d’Estaing, ici même lors de la séance solennelle du 12 septembre 1974 :
«
Puisque notre temps renverse les idoles et brise les tabous, qu’il rejette aussi
les faux-semblants et les alibis.
[…]
Plus fermes et plus nets seront vos référés,
vos jugements et vos rapports, mieux vous servirez l’intérêt français d’aujourd’hui
».
Le Parquet, c’est une ambition forte, une conscience de nos devoirs et finalement
l’adhésion aux propos tenus par le général de Gaulle lors de la séance solennelle du 20
septembre
1960 :
«
L’ensemble
formé
autour
de
vous,
M. le Premier président, par les présidents, les conseillers maîtres, les conseillers
référendaires et les auditeurs, et auprès d’eux, par M. le Procureur général et
le parquet, cet ensemble offre, en effet un caractère de conscience, d’impartialité et
de valeur qui mérite d’être hautement reconnu.
»
*
Permettez-moi maintenant de centrer mon propos sur une question majeure qui se
pose
à
nous,
je
veux
parler
des
effets
de
la
révolution
numérique,
de l’adaptation des métiers qu’elle exige, mais aussi qu’elle permet car bien anticipée ce sera
aussi une chance.
1
Les effets de la « révolution numérique »
Le caractère disruptif des révolutions technologiques est connu.
On annonce dans certaines études des suppressions massives d’emplois et
on éprouve des difficultés à percevoir la nature et mesurer l’ampleur des métiers qui les
remplaceront. En cela, la révolution numérique peut créer les mêmes inquiétudes que la
révolution
industrielle
au
XIX
ème
siècle
et
la
révolution
informatique
à la fin du XX
ème
siècle. Dans les deux cas, les inquiétudes apparaissent rétrospectivement
excessives.
3
Mais la « révolution numérique » – c’est-à-dire, ensemble, la robotique autonome, les
données de masse (big data) et l’avènement de l’intelligence artificielle – a ceci de spécifique
qu’elle va impacter des emplois qualifiés. Elle touche des secteurs préservés jusqu’ici comme
la
santé
ou
l’éducation,
mais
aussi,
pour
se
rapprocher
de notre maison, les services juridiques et financiers, ou encore les métiers de juge ou de la
détection des fraudes.
Prenons
l’exemple
du
diagnostic
médical.
L’exploitation
de
vastes
bases
de données comprenant des millions d’informations cliniques et d’articles spécialisés, qui sont
croisées avec les symptômes du patient, ses antécédents, pose un diagnostic et propose un
traitement maximisant les chances de réussite. Réalité, déjà, au centre anti-cancéreux de
New-York,
réalité
demain
en
France
pour
peu
que
notre
frilosité
ne l’emporte plus en matière d’utilisation de données de santé.
Les
spécialistes
de
l’intelligence
artificielle
distinguent
ainsi
trois
phases
de
développement :
la
première
fut
l’apprentissage
automatique
supervisé
de la machine, ce fut « Deep blue » longuement programmé, battant Kasparov il y a
20 ans. La deuxième phase fut l’apprentissage profond, ce fut il y a quelques semaines
« AlphaZero », battant l’ordinateur champion du monde d’échecs après quelques heures
seulement d’entrainement. Ces phases sont derrière nous. La troisième phase est
l’apprentissage
non
supervisé
et
la
capacité
de
la
machine
à
faire
preuve
de
sens
commun,
d’une
intelligence
générale
qui
permet
d’acquérir
de nouvelles compétences.
Nous ne sommes pas encore à cette troisième phase. Sans doute faudra-t-il
au
moins
20
ans
mesurés
aujourd’hui.
Votre
âge
Monsieur
le
Président
de la République vous permettra d’être avec les jeunes magistrats situés de ce côté
de notre Grand’chambre un acteur de ce changement profond. Alors que nous,
de ce côté de la salle serons pour l’essentiel dans l’éther.
Alors, face à un tel tsunami, comment le travail des juridictions financières
sera-t-il affecté ?
2
Quelques chantiers numériques déjà en cours au sein des juridictions financières
Progressant dans cette direction, la Cour et les juridictions financières ont déjà engagé
avec les services de l’État trois chantiers :
- Le premier, la dématérialisation des comptes publics et des pièces à l’appui permettra
de gagner en efficacité et en efficience. Du moins, car nous n’y sommes pas encore, quand
les
systèmes
d’information
qui
en
traitent
garantiront
la
traçabilité
des
opérations,
leur
intangibilité,
la
sécurité
des
habilitations,
l’effectivité
des opérations ou encore la conservation et la quérabilité des données. Ces exigences sont
animées
par
la
conscience
qu’en
cas
de
défaillance,
voire
de
malveillance,
la dématérialisation des données peut entrainer de graves conséquences.
4
Mais,
une
fois
passée
cette
transition
laborieuse
voire
douloureuse,
nous devrions par exemple être à même, comptable public comme juge des comptes, de
mieux détecter les risques d’irrégularité. Nos contrôles y gagneront en profondeur et en
rapidité. Il sera par exemple possible d’établir une cartographie, dans telle région captive, du
partage des marchés publics entre quelques entreprises du cru, et ainsi de mettre en évidence
des risques de pratiques anticoncurrentielles voire frauduleuses.
- Deuxième chantier en cours, l’exploitation de vastes bases de données.
Le législateur et l’autorité réglementaire ont souhaité renforcer le code des juridictions
financières sur ce point : nous avons désormais un accès direct aux bases d’information utiles
à nos contrôles, dans le respect des secrets protégés par la loi. Cela doit nous permettre de
mieux contrôler, mais également, par une analyse amont des enjeux et des risques, de mieux
programmer nos travaux, en ciblant nos audits là où ils porteront le plus de fruits.
-
Troisième
chantier
bien
avancé,
la
Cour
s’est
résolument
engagée
dans
la
démarche
en
faveur
de
l’ouverture
à
tous
des
données
publiques.
Elle ambitionne de rendre ainsi progressivement accessible à chaque internaute
la plateforme des données essentielles sur lesquelles se fondent ses rapports.
Et enrichir ainsi les potentialités d’analyse par tout un chacun, y compris en vue
de s’assurer de la solidité des conclusions que la Cour elle-même a tiré de ces données – par
exemple de la représentativité des échantillons sur lesquels elle a travaillé.
Il faudra aussi concilier cet impératif d’ouverture des données avec la tentation
d’anonymisation de nos jugements, entreprise au demeurant quelque peu vaine
vu la capacité accrue par internet de reconstituer les données cachées.
Ainsi, plusieurs chantiers s’inscrivent d’ores et déjà dans le sillon de la révolution
numérique. Dans les trois cas, nos métiers sont enrichis et ce, dans une transparence
beaucoup plus forte.
Mais au-delà, à quoi doit-on se préparer ? Cette nouvelle révolution technologique
sonne-t-elle le glas des missions exercées par les juridictions financières, et plus largement
d’un grand nombre de fonctions traditionnellement dévolues à l’État ?
3
Quelques grandes questions qui nous attendent
Mon propos n’est pas de tomber dans la science-fiction. De vous décrire
par exemple l’équipement du magistrat financier « 2.0 », muni de son assistant
de vérification androïde, à même de détecter en quelques secondes, à peine poussées les
portes
virtuelles
d’un
ministère,
les
agents
publics
qui
auraient
l’intention
de se prêter à une manoeuvre coupable…
Non, je souhaite plutôt passer brièvement en revue les différents métiers
des
juridictions
financières
et
voir
avec
vous
comment
on
peut
se
préparer
aux transformations que la révolution numérique est susceptible d’induire.
3.1
Fonctions de jugement et avenir de la responsabilité individuelle
Commençons
par
le
métier
historique
de
jugement
des
comptes,
et plus largement la mise en jeu des responsabilités personnelles des agents publics devant
un juge financier.
5
On devine que les fonctions du comptable public vont être profondément
bouleversées :
l’intelligence
artificielle
pourra
prendre
le
relai
non
seulement
des
contrôles
élémentaires,
mais
aussi,
en
fonction
d’une
analyse
de
risque
auto-développée, des contrôles ciblés et plus approfondis les mieux à même d’optimiser la
fiabilité et la régularité de l’ensemble des opérations. Le comptable public, dans un partage
des
rôles
avec
l’ordonnateur,
à
repenser
dans
un
contexte
de
compte
financier
unique,
pourra
s’il
survit
à
ces
évolutions
se
recentrer
sur des missions de supervision du risque, de gardien indépendant de la régularité
des opérations, de conseil sans doute aussi.
Ces évolutions technologiques conduiront le contrôleur de second niveau,
Cour ou chambre régionale des comptes, à porter ses efforts sur une analyse
de
la
fiabilité
des
systèmes
d’information,
sur
une
approche
plus
systémique
des manquements, en adoptant une démarche d’audit d’ensemble qui renonce
aux sanctions mécaniques d’irrégularités ponctuelles. Mais n’est-ce pas amplifier
un mouvement déjà engagé depuis quelques années, qui fait des juridictions financières le
juge
non
plus
seulement
des
comptes
mais
le
juge
des
responsables
du budget et des comptes, qu’ils soient comptables ou ordonnateurs ?
Dans la transparence que crée la révolution numérique, le juge lui-même
sera
encore
moins
à
l’abri
d’une
analyse
critique
de
ses
jugements,
notamment dans ce qu’ils peuvent conserver d’arbitraire ou de fantaisiste par rapport à une
ligne
jurisprudentielle
établie.
À
cet
égard,
il
conviendra
de
savoir
conserver
une capacité d’analyse et de validation propre à chaque cas, même si la justice
dite prédictive pourra nous fournir des éléments d’appréciation très utiles.
Mais
je
voudrais
m’attarder
un
instant
sur
la
question
de
l’érosion
de la responsabilité individuelle dans un univers numérique. En effet, dans un monde de
« workflow », de partage des applications informatiques entre différents utilisateurs où
s’insèreront
des
interventions
d’intelligence
artificielle,
se
pose
la question de la pertinence, voire de la possibilité même de maintenir des régimes
de
mise
en
jeu
de
responsabilités
personnelles.
On
le
voit
d’ores
et
déjà :
sur
des
dossiers
où
interviennent
un
grand
nombre
de
personnes,
comme celui touchant à l’échec d’un projet informatique de l’État de plusieurs centaines de
millions
d’euros,
il
devient
très
difficile
d’identifier
et
de
sanctionner
des responsables, et ce en dépit de l’ampleur des gaspillages de deniers publics ou
de la gravité des irrégularités commises.
Comme le soulignent les premiers travaux de recherche en la matière,
la révolution numérique conjugue quatre facteurs de dilution des responsabilités :
-
l’intervention dans les processus décisionnels d’un grand nombre de personnes,
phénomène
couplé
souvent
à
une
segmentation
voire
une
stratification
des systèmes d’information,
-
l’impossibilité
d’éviter
totalement
les
bugs
informatiques,
mal
inévitable
dont personne ne saurait être tenu pour redevable,
-
la facilité, en cas de mauvais résultat, de désigner comme bouc-émissaire
l’informatique, dont la médiation devient nécessaire à toute action,
a fortiori
quand
interviendra,
en
substitution
à
certaines
tâches
humaines,
l’intelligence artificielle,
6
-
ou encore la déconnexion, jusqu’ici, entre d’une part la protection élevée
des droits de propriété privée des industries des logiciels, et d’autre part
la reconnaissance, quasi nulle contrairement à ce qui existe dans d’autres secteurs
économiques, de leur responsabilité en cas de défaillance des produits.
Cette situation n’est pas satisfaisante, et je reste convaincu que la mise en jeu de
responsabilités
personnelles
est
un
puissant
levier
de
protection
des
intérêts
de la société, de lutte contre les dérives dans le bon emploi des fonds publics,
ou encore de transformation de l’État. L’article 15 de la Déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen, «
La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de
son administration.
», n’a rien perdu de sa valeur.
Mais il faudra pour cela veiller à ce que les agents publics, et pas seulement
les élus et les ministres, voient leurs responsabilités opérationnelles et managériales de
demain
clairement
identifiées.
Avec
un
chef
de
file
redevable
et
disposant
d’une latitude de manoeuvre suffisante pour exercer pleinement ses responsabilités,
notamment une liberté suffisante dans l’emploi des moyens au service des objectifs, dans une
logique
de
performance
et
de
résultats.
C’était
l’esprit
de
la
LOLF,
je ne suis pas certain que cela en ait été l’application.
Tant que nous n’aurons pas également fixé des références en matière de risque
évitable, nous ne pourrons pas sanctionner efficacement les négligences coupables
ni faire admettre au citoyen le risque inévitable. Et tant que nous n’aurons pas distingué plus
clairement
l’établissement
d’une
juste
indemnisation
des
victimes
et
la mise en jeu de la responsabilité des agents publics, notre action sur ce deuxième volet
n’aura pas toute la rigueur nécessaire.
3.2
Contrôle de la gestion et évaluation
Le contrôle de la gestion des organismes publics et l’évaluation des politiques
publiques, deuxième ensemble de métiers des juridictions financières, me paraissent moins
susceptibles
d’être
fondamentalement
remis
en
question,
encore
que
le
développement
de
l’analyse
comparée
des
résultats
mettra
à
jour,
par rapprochement des données dans l’espace et dans le temps, la valeur ajoutée
mais aussi les risques de carences et de faiblesses de nos travaux.
Dans un environnement qui sera de plus en plus compétitif – et c’est très bien ainsi –,
l’enjeu
me
paraît
de
veiller
toujours
davantage
à
la
valeur
ajoutée
de nos contrôles en vue de remplir encore mieux cette mission que nous assigne l’article 47-
2
de
la
Constitution :
« Par
ses
rapports
publics,
[la
Cour]
contribue
à l'information des citoyens. »
.
On
pourrait
citer
à
cet
égard
le
cas
des
comptes
de
la
région
Poitou-Charentes.
Les
élus
de
Nouvelle-Aquitaine
demandèrent
à
un
cabinet
de consultants un audit, lequel fut réalisé en quelques jours : travail de qualité certes, borné
toutefois par sa rapidité et son unilatéralité. La chambre régionale avait programmé le contrôle
de
ces
comptes ;
ce
fut
plus
lent,
nécessairement,
mais le résultat fut un bilan approfondi, contredit point par point avec les autorités concernées.
Ce
rapport
constitue
depuis
la
référence.
En
d’autres
termes,
nous avons échangé de la qualité contre du temps.
7
Pour permettre à de tels travaux d’être toujours plus pertinents, il me semble qu’il nous
faut développer trois vertus essentielles :
-
la
concision
et
la
clarté
de
nos
rapports.
Quand
l’information
surabonde,
c’est l’information intelligible qui prime ;
-
la rigueur de nos observations, afin de s’assurer de la qualité des données,
de leur représentativité, et de demeurer un point d’ancrage pour le citoyen
dans
un
univers
propice
à
la
multiplication
des
commentateurs
et
autres « youtubeurs » parfois plus rapides mais souvent moins scrupuleux ;
-
et
la
crédibilité
de
nos
recommandations
ou
des
scénarios
alternatifs
que
nous présentons, afin de structurer le débat public et de permettre aux autorités politiques
de décider en pleine connaissance de cause.
Il nous faudra aussi faire davantage porter nos contrôles sur les questions liées à la
qualité de la gouvernance et à la sécurité des usages numériques eux-mêmes.
3.3
Analyse d’ensemble des finances publiques et certification
Je terminerai par nos missions, constitutionnelles, d’analyse de la situation d’ensemble
des finances publiques, et de certification de la qualité des comptes publics.
Sur la certification. Il paraît prévisible qu’une grande part des tâches accomplies par le
certificateur,
qu’il
soit
public
ou
privé,
en
vue
de
s’assurer
de
la
fiabilité
des
comptes,
pourra
demain
être
assurée
par
des
programmes
d’intelligence artificielle.
Les diligences accomplies répondent en effet à des normes très codifiées,
et
sont
constituées
d’actes
de
vérification
nombreux
et
en
partie
répétitifs.
Au vu des développements de l’intelligence artificielle, on peut s’interroger sur
ce qui subsistera à terme de ce métier pour l’homme.
C’est dire que la révolution numérique permettra de remettre en cause
des rentes ; et que nous devrons assurer cette remise en cause.
Enfin, nos rapports sur la situation d’ensemble des finances publiques, État, sécurité
sociale et collectivités locales, constituent des éléments essentiels du contrôle par le citoyen,
et par les assemblées parlementaires, de la sincérité des lois financières et du bon emploi des
fonds publics. Ils s’inscrivent d’ores et déjà dans un
continuum
d’avis et de contrôles, qui vont
de
ceux
que
les
ministères,
finances
en
tête,
exercent eux-mêmes, de ceux de notre proche cousin le Haut conseil des finances publiques,
la
section
des
finances
du
Conseil
d’État,
le
législateur,
jusqu’à
l’examen
de la constitutionnalité des lois financières, aux exercices de comptabilité nationale
ex post
, à la surveillance macro-budgétaire de la Commission européenne ou
encore aux contrôles et sanctions qu’exercent, à leur façon, les marchés financiers.
8
Aujourd’hui, c’est un train où chacun a son wagon. Mais on pourrait dire
que nous allons passer du bocage à l’openfield : les données de masse, ouvertes et partagées,
cassent
silos
et
barrières.
La
cagnotte
fiscale
découverte
a
postériori
n’est plus possible, le budget insincère non plus. La place de la Cour en est modifiée : elle
n’est
plus
dans
la
révélation
des
données
ou
des
analyses
de
base.
Elle est - et pas seule ! - dans l’évaluation de la pertinence et la pondération
des analyses. Elle va voir derrière le miroir.
*
L’ensemble de ces évolutions appelle au moins une certitude : il va nous falloir anticiper
encore plus, dans l’ensemble des juridictions financières et plus largement au sein de la sphère
publique. Anticiper, nous former et nous inspirer des meilleures pratiques, afin que la
révolution
numérique
ne
soit
pas
une
occasion
perdue,
un saut dans l’inconnu, mais le levier pour être demain, les plus utiles possibles
à la société.
Je terminerai en citant «
Le rivage des Syrtes
» de Julien Gracq : «
le rassurant de
l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire
tout bouger ».
Le souffle, c’est la conscience et la mémoire. La Cour ne se complait pas
dans son confort.
Je vous remercie.