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Le 26 octobre 2017
Le Premier président
à
Monsieur Edouard Philippe
Premier Ministre
Réf
.
: S2017-3068
Objet
: Évaluation du dispositif de la décote sur le foncier public en faveur du logement social
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a examiné le dispositif de décote du foncier en faveur du logement social, pour les
exercices 2013 à 2016.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
Le dispositif de la décote a été instauré par la loi n°2013-61 du 18 janvier 2013 relative
à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations
de production de logement social. Cette loi a introduit la possibilité, pour l’État et certa
ins
établissements publics,
d’appliquer une décote sur la valeur vénale des terrains qu’ils cèdent
,
lors
qu’un
projet de construction inclut des logements sociaux. La décote permet ainsi à un
programme de logements sociaux d’atteindre l’équilibre financier,
sans lequel il ne pourrait
obtenir d’agrément.
L’objectif de la décote était de favoriser la mise en chantier rapide de logements locatifs
sociaux, voire en accession sociale à la propriété. L’exposé des motifs de la loi précitée indique
que « le potentiel de construction de logements sur du foncier public [est] estimé à 110 000
logements sur la période 2012-2016 ». Cet objectif ambitieux supposait « le doublement du
rythme (de mise en chantier) observé sur la période 2008-2011 ».
En définitive, le dispositif de la décote a été relativement peu utilisé au cours des trois
derniers exercices : apparaissant trop
complexe et concurrencé par d’autres procédures de
cession du foncier public, il
n’a concerné finalement que 69 opérations,
en permettant la
construc
tion d’environ 6 700 logements (
1).
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Avec un coût global supérieur à 107
M€, ce dispositif s’avère peu efficient et a parfois entraîné
le lancement d
’opérations bénéficiant d’une aide disproportionnée par rapport aux objectifs de
construction de logements sociaux (2). Enfin
, les intérêts patrimoniaux de l’
É
tat n’ont pas
toujours été suffisamment protégés, ce qui justifierait un contrôle financier renforcé des
opérations (3).
1
UN DISPOSITIF CONCURRENCÉ, COMPLEXE ET PEU UTILISÉ
Par rapport aux dispositifs précédents, le système de la décote introduit en 2013
présente deux nouveautés.
D’une part,
son
montant n’est
pas plafonné : la décote peut
conduire à une gratuité totale du terrain, à condition que le programme de construction soit
entièrement consacré à des logements sociaux destinés aux personnes les plus modestes et
qu’il soit situé dans un secteur de forte tension immobilière (zonage A ou B1)
; d
’autre part,
le
suivi du dispositif a été confié à une instance spécifique, la Commission nationale de
l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier
(CNAUF), dont le
champ de compétence s’étend
à
l’ensemble des procédures de cession d
e foncier.
1.1
Une procédure qui s’ajoute à d’autres dispositifs
La mise en œuvre d
e cette procédure
n’a
pas permis de rationaliser l
’ensemble d
es
dispositifs de cession du foncier public. En effet, la décote est entrée en concurrence avec
d’
autres procédures : la cession « classique
1
», qui reste de loin la plus fréquente, la cession
réalisée sur la base de charges foncières « sociales » ou « administrées », ou la cession
réalisée par la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) et ses filiales.
La loi
n°2017-257 du
28 février 2017
relative au statut de Paris et à l'aménagement
métropolitain vient, au demeurant, de créer encore une nouvelle structure dans le domaine de
la cession du foncier public : la Foncière Publique Solidaire (FPS), filiale de la SOVAFIM et de
la Caisse des dépôts, devrait appliquer un mécanisme spécifique, en vendant des lots de
terrain grâce à une procédure de négociation directe.
La place
de la procédure de décote n’a guère été clarifié
e
par l’émergence de ce nouvel
acteur. L
’articulation
de cette nouvelle structure avec les
établissements publics fonciers n’a
pas non plus été explicitée. Ainsi, le paysage institutionnel, loin de se simplifier,
s’est encore
complexifié.
1.2
Des garanties cohérentes avec la politique du logement, mais une mise
en œuvre complexe
La procédure de la
décote garantit la construction d’une proportion
minimale de
logements sociaux au sein du programme envisagé, dans un délai de cinq ans après la cession
du foncier.
1
Par laquelle les services départementaux de France Domaine réalisent une vente, soit au profit de la commune
ayant exercé son droit de priorité, soit après mise en concurrence.
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Elle permet également de mieux mesurer les coûts résultant de la procédure, en
l’espèce
107
M€
entre 2013 et 2016, même s
’il est regrettable que les documents budgétaires
relatifs au programme 135
Urbanisme, territoires et amélioration de
l’
habitat
n’en
fassent pas
mention. La décote constitue en effet un
complément d’aide à la pierre,
ce qui justifierait sa
présentation dans ce programme budgétaire consacré à la politique du logement.
A contrario
, les autres procédures de cession de foncier public ne permettent pas
toujours d’évaluer l’effort financier consenti par l’
État lors de la vente.
C’est notamment le cas des cessions réalisées sur la base de charges foncières
« sociales » ou de prix de cession négociés
2
: ce n’est qu’
occasionnellement
qu’un chiffrage
de la « moins-value
» consentie par l’
État est réalisé, comme
par exemple dans le cas de la
cession des « anciens ateliers de Puteaux », intervenue à Rueil-Malmaison en octobre 2015,
où ce montant a été estimé à 2,5
M€, soit 12
% du prix de vente.
Afin de mieux estimer l’effort
financier de
l’
État, il serait souhaitable que les « moins-values » consenties en faveur du
logement social sur toutes les cessions de son patrimoine foncier soient recensées et publiées
dans les documents budgétaires et dans les comptes nationaux du logement.
L
’aliénation de terrains publics bénéficiant d’une
décote est une procédure complexe
et longue (18 mois en moyenne en 2014), portant majoritairement sur des terrains identifiés
sur des listes régionales publiées par les préfets de région. La demande de terrain émane
principalement de personnes morales titulaires ou délégataires d
un droit de priorité :
collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale, entreprises
publiques locales (sociétés
d’économie mixte
, sociétés publiques
d’aménagement
, etc.), ou
bailleurs sociaux. Le dossier d’acquisition est instruit par
les directions départementales des
territoires (DDT), qui proposent au préfet un montant de décote
s’appliquant
à la valeur
foncière du terrain, qui est estimée par France Domaine, avec, le cas échéant,
l’appui de
la
direction de
l’immobilier de l’
État.
L’acte d’aliénation est
ensuite signé par le préfet. Le contrôle
des engagements
de l’acheteur est
enfin
réalisé sur la base d’une
convention signée avec
celui-ci.
Certaines administrations
ont pu craindre d’être
soumises à des injonctions
contradictoires, entre la volonté de valoriser
au maximum le patrimoine de l’
État ou
d’
accorder
des décotes généreuses pour développer le logement social. De fait, si l
’analyse des
opérations montre généralement une bonne coopération entre services,
l’apprentissage a été
long et parfois difficile. Ainsi, pour les services de France Domaine, le mécanisme de la décote
heurtait une culture professionnelle visant à valoriser au maximum les biens publics en les
cédant au plus offrant, alors même que, simultanément, certaines actions de communication
mal maîtrisées pouvaient faire croire à tort aux élus locaux que les terrains cédés pourraient
être gratuits.
Enfin, pour les acquéreurs de terrains, les contraintes imposées par le dispositif se sont
révélées fortes. La totalité des actes de cession avec décote comprennent des clauses de
« complément de prix », au cas où le potentiel constructible de la parcelle serait supérieur à
l’estimation initiale
.
L’acquéreur ne
dispose
d’aucune
latitude pour modifier le programme de
logements : il doit préciser son contenu dès le dépôt du
dossier d’acquisition
et il n
’est
pas
autorisé à le modifier, puisqu
il sert de référence au calcul de la décote. Ce programme doit
être réalisé dans les cinq ans suiva
nt l’aliénation du terrain public, sau
f exceptions prévues
par la loi. Des pénalités sont enfin prévues en cas de non-respect des engagements tenus,
notamment en matière de délais.
Ces multiples contraintes expliquent que de nombreux bailleurs ou collectivités ont
préféré ne pas recourir à cette procédure.
2
Les données recueillies par la CNAUF ne présentent que le prix final convenu,
non l’évaluation de marché.
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1.3
Une procédure peu utilisée
En définitive, les ventes avec décote n’ont concerné entre janvier 2013 et
décembre
2016 que 69 opérations, en
permettant la mise en chantier d’environ 6 700 logements, dont
4 600 logements sociaux.
Ces chiffres sont à comparer avec les mises en chantier prévues sur les terrains publics
non décotés : depuis 2013, les ventes sans décote ont concerné 335 lots de terrain pour une
prévision de mise
en chantier d’environ 35 000 logements, dont 16 000 logements sociaux.
Même si ces données doivent être prises avec précaution, la décote ne concerne ainsi
qu’une
proportion réduite des ventes (21 %) et des logements programmés (19 %).
Au sein
de l’
État, le ministère de la défense a été le principal contributeur de cette
politique, en ayant permis la mise en chantier de près de 3 000 logements, soit 45 % de la
production totale issue de la procédure de la décote. En revanche, la participation des
établissements publics à ce dispositif est demeurée marginale
3
: la quasi-totalité des cessions
effectuées par les opérateurs a
fait l’objet de négociations sans passer par le mécanisme de
la décote.
Par ailleurs, un essoufflement de cette procédure est perceptible, les terrains les plus
propices à la réalisation de logements ayant déjà
fait l’objet d’une cession
et le stock de foncier
« utile » étant appelé à se raréfier dans les prochaines années. Selon les informations
données par la
Commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier
(CNAUF), seule une dizaine de nouveaux dossiers de décote seraient ainsi attendus pour
l’exercice
2017.
Au total, même si la part de logements sociaux représente 70 % des programmes
construits sur les terrains décotés, contre 40 % pour les cessions hors décote, le bilan
quantitatif du dispositif de la décote apparaît mitigé.
2
UNE MOBILISATION EXCESSIVE DE MOYENS AU REGARD DES FAIBLES
RÉSULTATS OBTENUS
2.1
Un recentrage géographique nécessaire
Les décotes représentent une aide moyenne de 23 000
€ par logement social
(49 000
€ en
Île-de-France, 14 993
€ hors
Île-de-France).
Afin de n’exclure aucun territoire,
cette procédure a été ouverte aux zones détendues. La répartition territoriale des décotes
montre en effet que près de la moitié
d’entre elles, soit l’équivalent de 50
M€,
ont été attribuées
en zone A bis, qui est la zone la plus tendue, ce qui est cohérent avec les besoins de logement.
La zone A a bénéficié pour sa part de 19 % du montant des décotes, la zone B1 de 32 %, et
les zones B2 et C d’un montant résiduel. Si la majeure partie de l’effort financier
a ainsi porté
sur des opérations en zone tendue, le tiers des opérations a tout de même été réalisé dans
des zones de faible tension immobilière, alors même que, dans celles-ci,
l’opportunité de
produire davantage de logements sociaux peut être discutée.
Le mécanisme de la décote a en outre été parfois sollicité pour des projets faisant
apparaître un écart manifeste entre les moyens mobilisés et le nombre de logements produits.
3
Elle ne concerne à ce jour que SNCF Réseau pour quatre sites vendus à Mantes (Yvelines), Mende (Lozère),
Uchaud (Gard) et Céret (Pyrénées-Orientales).
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Ainsi, à Calais et à Dinan, des programmes de trois logements seulement ont donné lieu à
une décote cumulée de 62 376
€.
Un recentrage de la décote sur les zones tendues ou sur les communes les plus en
déficit de logements sociaux permettrait une utilisation plus économe des moyens
administratifs et financiers de l’Etat.
2.2
Des décotes parfois coûteuses
Le législateur n’a pas fixé
de plafond au montant de décote pouvant être consenti par
mètre carré de surface utile de logements sociaux.
De ce fait, le bilan financier de certaines opérations montre une disproportion entre le nombre
de logements financés et les montants financiers alloués.
Le tableau suivant indique ainsi certaines opérations dont le coût de la décote -
supérieur à 50 000
€ par logement
, apparaît particulièrement important.
Tableau n° 1 : Décotes supérieures à 50
000 € par logement
Commune
Site - Adresse
Prix de cession
(€)
Montant de décote
(€)
Nb.
logements
sociaux
Décote par
logement
(€)
Paris
4, rue de Lille
1 407 430
4 830 650
18
268 369
Paris
2, Cité Charles Godon
496 253
2 580 352
13
198 489
Paris
26, rue de Saint-
Pétersbourg et 73, rue
d'Amsterdam
5 702 250
13 377 750
84
159 259
La Rochelle
6, rue Arcère
237 102
742 143
10
74 214
Paris
58-66, rue de Mouzaïa
6 700 000
19 200 000
284
67 606
Ville d'Avray
200, rue de Versailles
1 088 658
2 207 036
34
64 913
Roquebrune
Cap Martin
Caserne Gardanne
Avenue François de
Monléon
21 427 315
9 183 135
150
+350
logements libres
61 221
Thonon-les-
Bains
Caserne Rollin -Phase
2
193 766
597 960
10
59 796
Source : Cour des comptes, par rapprochement des données DIE, DAFI et CNAUF.
Dans certains cas, le montant élevé de la décote n’est pas uniquement dû au coût du
foncier, mais également
au fait qu’elle s’est substituée à d’autres sources de financement.
Ainsi, à Paris, les opérations réalisées sur des immeubles situés rue de la Mouzaïa et rue de
Saint-
Pétersbourg n’ont pas (0
%) ou peu (4,8
%) mobilisé de fonds propres, alors qu’à titre
de comparaison, les fonds propres engagés pour le logement social représentaient en
moyenne 11,9 % des plans de financement en 2015
4
. Pour ces projets, le contribuable a donc
assuré
de facto
, via la décote, la part de financement qui incomberait normalement dans des
opérations classiques aux bailleurs sociaux et aux acquéreurs de terrain.
4
Cf.
bilan 2015 des logements aidés, ministère du logement.
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En outre, à compter de la loi de finances du 29 décembre 2015, le régime de la décote
est devenu applicable aux immeubles devant faire l’objet d’une réhabilitation, et non plus
seulement aux constructions nouvelles. Cette évolution a permis de concrétiser des projets de
cession liés par exemple
à d’anciennes casernes
, mais elle a également contribué à renchérir
considérablement le montant de la décote pour certains dossiers, lorsque ceux-ci impliquaient
une transformation en logements de locaux qui n’avaient pas toujours été conçus à cet effet.
L’opération des anciens locaux de l’INALCO
La cession dite de la rue de Lille, dans le 7
ème
arrondissement de Paris, a conduit à la
transformation des anciens bureaux de l’Institut national des langues et des civilisations
orientales (INALCO) en 18 logements. Comme l’ind
ique le programme de rénovation, le coût
des seuls travaux était initialement estimé à plus de 4,2
M€. Afin d’équilibrer le bilan de
l’opération, d’autres subventions que celle de la décote ont été recherchées. Au final, le
montant total des subventions, d
irectes ou indirectes, s’est élevé à plus de 6,9
M€, soit une
aide publique supérieure à 386 000
€ par logement ou à 5
560
€ par m² de surface utile de
logement. Ce coût est supérieur à celui de la construction neuve de logements sociaux à Paris.
Avec le m
ême montant de subventions, c’est quasiment le double de logements sociaux neufs
qui auraient pu être construits en Île-de-France
5
.
3
DES INTÉRÊTS PATRIMONIAUX
DE L’
ÉTAT À MIEUX PRÉSERVER
Le principal risque inhérent au dispositif de décote est d’accorder
un rabais supérieur
à celui qui serait nécessaire au strict équilibre financier de l’opération
, et donc un avantage
financier indu aux acquéreurs des terrains décotés.
3.1
L’encadrement des évaluations domaniales
Le pourcentage de décote s’applique à la va
leur vénale du terrain à céder
, telle qu’elle
est évaluée par les services locaux de France Domaine. La valorisation doit normalement tenir
compte du plan local d’urbanisme (PLU) ou des sujétions d’urbanisme imposées po
ur la
parcelle
6
. L’évaluation fournie
doit également être circonstanciée, dans la mesure où elle doit
tenir compte de facteurs tels que le secteur géographique ou la densité de construction
environnante.
Ces modalités d’évaluation de la charge foncière sont parfois mal acceptées des
collectivités territoriales, qui sont les acquéreurs potentiels des terrains décotés. Ainsi, dans
l’ouest de la France, une grande agglomération n’a pas admis que France Domaine puisse
réviser son évaluation à la suite de la modification de la constructibilité d’un
site. L’estimation
initiale de 3,19
M€ tenait compte du classement de l’emprise en zone d’équipement collectif,
avec une constructibilité limitée. La seconde estimation fournie par France Domaine (16,6
M€)
anticipait en revanche une modification du PLU, qui entraînait une forte augmentation de la
constructibilité de l’emprise.
5
La Caisse des dépôts estime compris entre 2 662
€ et 3
247
€ du
le coût de construction d’un logement social
neuf en grande et petite couronne, sauf dans le département des Hauts-de-Seine (entre 3
248 € et 3
834
€) et
dans
Paris
intra-muros
(entre 3
835 € et 4
421 € du
m²). Référence : Eclairages, juin 2017.
6
La question de la prise en compte partielle du PLU a été explicitée par le ministère du logement (DAFI) et France
Domaine dans l’instruction commune du 21 mai 2013, qui recommande de tenir compte du programme de
constructions envisagé plutôt que du PLU, sauf si ce dernier devait être modifié.
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La Cour rappelle sur ce point
la recommandation qu’elle a déjà exprimée
7
, visant à
«
calculer la décote pour le logement social par rapport au potentiel optimal de valorisation du
bien considéré »
, tout
en tenant compte d’une
densification réaliste et adaptée au secteur
immobilier.
La Cour a par ailleurs noté que les services de France Do
maine ont pu faire l’objet,
dans de rares occasions, de demandes pour revoir à la baisse des évaluations initiales jugées
trop élevées.
Tel a été le cas à l’occasion d’
une cession dans le 8
ème
arrondissement de Paris,
avec le
passage d’une évaluation de 3
500
€ du m² à 3
000
du m²
8
. Au cas d’espèce, le
montant de la cession a été en réalité le
résultat d’une
négociation : si la procédure de la
décote avait été strictement respectée, elle aurait conduit à abandonner l’opération projetée.
3.2
Le risque d’instrumentalisation des règles d’urbanisme
Les sujétions d’urbani
sme influent également sur la valorisation des terrains à céder.
Comme l’a déjà observé la Cour, cette situation peut conduire à l’acquisition, par les
communes,
« de vastes emprises en zone urbaine, à des prix avantageux, au détriment des
intérêts de l’
État
9
»
, alors que les collectivités peuvent simultanément continuer, pour certaines
d’entre elles, à céder leurs parcelles au plus offrant par des pr
océdures de mise en
concurrence, sans imposer systématiquement des contraintes en matière de production de
logements sociaux.
Des différences de valorisation entraînées par les règles d’urbanisme.
La ville de Nantes a modifié le 24 juin 2013 les orientations d’aménagement autour de la
place Briand. Le renforcement des sujétions d’urbanisme en matière de
logement social a
concerné une parcelle appartenant au
groupe SOVAFIM (ancienne maison d’arrêt
10
), mais
non une parcelle appartenant au département de Loire-Atlantique (ancienne caserne de
gendarmerie Lafayette). La cession de la première parcelle a été effectuée pour 4,9
M€, soit
un prix de cession de 327
€ par m² de surface de plancher. Dans le même temps, le
département a procédé à une mise en concurrence et a cédé son emprise pour 6,6
M€, soit à
un prix de 1 246
€ du m² de surface de plancher. Au final,
les prix de cession au m² de surface
de plancher de ces deux parcelles, qui étaient situées sur une même place, ont varié du simple
au quadruple.
Les services de France Domaine et des DDT(M) entament parfois avec les collectivités
détentrices de la compétence « urbanisme », dans le cadre des révisions des PLU, des
négociations difficiles sur la localisation des emplacements réservés au logement locatif social.
7
Enquête sur le bilan des conventions et des crédits de revitalisation des territoires dans les zones de
restructuration de la Défense. Rapport publié en novembre 2014.
8
Compte rendu de la CNAUF de novembre 2014.
9
Op.cit.
, novembre 2014.
10
La parcelle de foncier public détenue par la SOVAPAR, filiale de la SOFAVIM, a été concernée par une
augmentation de la servitude de logement social, portant à 50 % le nombre de logements locatifs sociaux de type
PLAI et PLUS devant être inclus dans l’opération
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La ville de Paris a ainsi modifié son PLU par une délibération du 4 juillet 2016. Son
annexe V porte sur les servitudes applicables en matière de logement social (le
« pastillage
11
»). Sur les 416 emplacements ainsi réservés, 82 appartiennent à un service de
l’État. Les négociations autour de l’inscription du «
pastillage » applicable aux bi
ens de l’
État
ont débuté dès 2013 : par rapport au projet de PLU initialement présenté, elles ont conduit à
exclure 25 biens
appartenant à l’
État et à ses opérateurs du pastillage « emplacement réservé
au logement social
12
».
Dans ce contexte, les services de France Domaine ont pu ainsi négocier une absence
de servitude de logement social pour un bien qu’ils souhaitaient valoriser contre un
« pastillage » « 100 % social » sur un autre emplacement.
C’est cette logique qui a présidé, dans le cadre de la
révision du plan de sauvegarde
et de mise en valeur du 7
ème
arrondissement, à l’inscription d’une réserve 100
% logement
social sur l’ancien immeuble de l’INALCO (cession dite de la «
rue de Lille ») en contrepartie
de l’absence de servitude de logement social sur l’îlot Penthemont
-Bellechasse.
3.3
L’absence
de contrôle financier des opérations de cession
Pour déterminer le montant de la charge foncière, les services locaux de France
Domaine doivent
contrôler la sincérité de l’ensemble des prévisions de recett
es et de
dépenses présentées par les acquéreurs dans leur plan de financement. En effet, la valeur de
cession du foncier décoté se calcule par différence entre le montant des dépenses et celui des
recettes prévues
13
.
Bien qu’appuyés par les services de la direction nationale d’interventions domaniales,
les services locaux de France Domaine ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire
pour réaliser un contrôle précis de la fiabilité des dépenses présentées par les acquéreurs.
Les d
ocuments d’aide à la décision n’indiquent
, pour la plupart, que des ratios de dépenses :
par exemple, les honoraires de maîtrise d’œuvre représentent en général entre 11
% et 15 %
du coût HT des travaux, les frais généraux entre 15 % à 18 %, etc. ; pour certains postes de
dépenses « globalisés » (frais de démolition, frais de dépollution, VRD), les fichiers définissent
également des fourchettes de dépenses (par exemple, pour les coûts de démolition, entre 30
et 60
€ du m² du terrain).
Si ces éléments permettent de réaliser des « contrôles de cohérence », ils ne
permettent pas d’effectuer un contrôle précis de la sincérité des dépenses présentées. Dans
plusieurs dossiers, les services se sont contentés de reprendre les estimations globales
14
figurant dans les plans de financement des acquéreurs. Même lorsque les ratios présentés
dépassent
ceux
qui
sont
traditionnellement
admis,
une
justification
n’est
pas
systématiquement réclamée
15
.
11
Emplacements réservés en vue de la réalisation de programmes de logements et de logements sociaux ou
intermédiaires (article L 151-
41&4 du code de l’urbanisme)
.
12
Lettre du 9 septembre 2016 du pré
fet de la région d’Ile
-de-
France, à l’attention des secrétaires généraux des
ministères.
13
Méthode du compte à rebours classique, combinée avec le mécanisme de la décote, suivant la méthodologie
prévue par l’instruction du ministère du logement et de Franc
e Domaine du 24 mai 2013.
14
Opération de la caserne Mellinet à Nantes, avec un poste de travaux divers forfaitisé à 8
M€ sans description
détaillée des opérations ni métrage.
15
Par exemple, dans l’évaluation en date du 24
juin 2015 effectuée dans le cadre
d’une
cession à Abbeville, le prix
au m² de VRD présenté était de 62,23
du m², supérieur à la fourchette traditionnellement admise (entre 30 et 60
du m²) alors même que cette ville se situe en zone B2, avec un marché très peu tendu.
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Enfin, après la réalisation du programme, le contrôle des opérations de décote ne
s’applique qu’
à des données générales : respect du calendrier, conformité au projet du
programme de construction, etc. En revanche, dans la liste de documents devant être
adressés au comité de suivi placé auprès du préfet de région, il n’e
st pas prévu de document
d’exécution budgétaire ou comptable. Il n’est pas non plus prévu que l’
É
tat puisse s’assurer,
une fois le chantier achevé, que les comptes financiers de l’opération correspondent
effectivement aux prévisions de recettes et de dépenses qui avaient été présentées par
l’acquéreur et dont le déséquilibre avait justifié l’obtention d’un montant de décote précis.
Le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) autorise pourtant
l’organisation d’un contrôle financier sur les opérations réalisées avec décote. En effet, l’article
L.3211-7 de ce code précise dans son chapitre V que «
l'acte d'aliénation prévoit en cas (…)
de réalisation dans des conditions différentes de celles prises en compte pour la fixation du
prix de cession, le paiement d'un complément de prix correspondant à l'avantage financier
indûment consenti ».
Or, l
É
tat ne s’est pas doté
des moyens nécessaires pour vérifier que la
décote a bien servi à garantir l’équilibre de l’opération, et non à accroître les fonds propres de
l’acquéreur. Il
apparaît nécessaire, dans ces conditions, de prévoir un contrôle financier
a
posteriori
des opérations décotées, avec le cas échéant des clauses de pénalités.
3.4
L’absence de prise en compte des recettes issues des droits de
commercialité à Paris
À
Paris, le risque d’octroyer aux acquéreurs, par le système de
la décote, un avantage
financier indu est
d’autant plus fort que les recettes attendues de la vente des droits de
commercialité -
c’est
-à-dire la transformation de logements en bureaux - ne sont pas toujours
comprises dans les recettes prévisionnelles des plans de financements présentés par les
ac
quéreurs. Cette absence conduit à majorer le montant de décote consenti par l’
État pour
équilibrer le financement de l’opération. Ainsi, dans le cas de la cession de l’immeuble de la
rue de Saint-Pétersbourg
16
, la fourchette d’évaluati
on des droits de commercialité était
comprise entre 7,7
M€ et 11,6
M€
:
ces recettes n’ont pas été prises en compte lors du calcul
de la décote, qui était
pour sa part de l’ordre de
13
M€.
Certes, grâce à l’insertion de clauses d’intéressement, l’
É
tat peut obtenir qu’un
pourcentage des droits de commercialité perçus par le bailleur lui soit restitué ultérieurement.
Ces clauses sont cependant moins protectrices, en termes de préservation des deniers
publics, qu’une position qui amènerait à prendre en compte dès le calcul d
e la décote les
recettes attendues des droits de commercialité.
Sur le fondement de ces observations, la Cour formule en définitive les recommandations
suivantes :
Recommandation n°1 :
simplifier l’organisation
de la cession à moindre coût du foncier
public, qui repose actuellement sur de trop nombreux dispositifs ;
Recommandation n°2 :
recentrer géographiquement les procédures de décote sur les zones
tendues et en déficit de logements sociaux ;
Recommandation n°3 :
publier le montant des décotes accordées par logement ;
16
Note France Domaine des 8 septembre 2014 et 23 avril 2015.
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Recommandation n°4 :
en cas de cession de foncier par la procédure négociée ou par mise
en concurrence, imposer une clause de garantie de construction de logements locatifs sociaux
lorsque le terrain est vendu en deçà de la valeur de marché ;
Recommandation n°5 :
pour les dossiers importants,
inclure par avenant la possibilité
pour
les services de l’
É
tat d’effectuer un contrôle financier
a posteriori
de l’équilibre économique
des opérations décotées, en prévoyant le cas échéant des clauses de sanction financière.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à
l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que
vous aurez donnée à la présente communication
17
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de
l’Assemblée
nationale
et
du
Sénat.
Il
sera
accompagné
de
votre réponse si elle est parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur
sera transmise dès sa réception par la Cour (article L. 143-4) ;
-
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
-
l’article
L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en
vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être
adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud
17
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
Cf.
arrêté du 8 septembre 2015 portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).