Sort by *
Cour des comptes
Le Premier président
Réf. : 82016-2893
Le
1 4
SEP.
2016
à
Monsieur Michel Sapin
Ministre de l'économie et des finances
Madame Emmanuelle Cosse
Ministre
du
logement et de l'habitat durable
Objet:
Le
taux réduit de TVA sur les travaux d'entretien et d'amélioration des logements
de plus
de
deux ans
En
application de l'article L.111-3 du code des juridictions financières,
la
Cour des comptes a
conduit
au
premier semestre 2016 une enquête sur
le
taux réduit de
la
taxe
su
r
la
va
le
ur
ajoutée (TVA) applicable aux travaux d'entretien et d'amélioration des logements de plus de
deux ans.
À
l'issue de son contrôle,
la
Cour m'a demandé, en application des dispositions de
l'article
R.
143-1
de
ce
code,
d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
1.
Une des dépenses fiscales les plus importantes
Depuis 1999,
la
France permet aux particuliers réalisant des travaux d'entretien et
d'amélioration dans leurs logements, achevés depuis plus de deux ans, de bénéficier d'un
taux réduit
de
TVA.
Initialement autorisée
à
titre expérimental par l'Union européenne dans le but de soutenir
l'emploi dans les secteurs intensifs en main d'oeuvre et de lutter contre l'économie
souterraine, cette mesure a été prise
à
l'origine dans
un
contexte national de surplus
conjoncturel de recettes fiscales. Bien que cette situation ait rapidement disparu et que
la
commission ait fait valoir
en
2003 qu'«
il
n'est pas possible d
'i
dentifier
de
fa
çon
robuste
un
effet favorable
en
faveur de l'emploi,
ni
une réduction de l'économie souterraine
su
ite
à
la
réduction
du
taux de TVA
»
1
,
la
mesure a été pérennisée. Autorisée par
la
directi
ve
européenne 2009/47/CE du 5 mai 2009, elle est aujourd'hui inscrite dans l'article 279-0 bis
du
code général des impôts.
1
Communiqué de la Commission du 16 juillet 2003.
13 rue Cambon • 75100 PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98
95
OO
• www.ccomptes.fr
Cour
des comptes -
Référé n° 82016-2893
2 / 4
Peu d'États européens tirent parti
de
cette faculté d'appliquer
un
taux réduit aux travaux
effectués dans les logements particuliers, une telle mesure n'étant notamment pas appliquée
en
Allemagne et
ne
l'étant que très marginalement
au
Ro
yaume-Uni.
Avec
un
coût de
3,28
Md€ prévu pour
2016,
ce
dispositif constitue, dans
le
cadre
du
recensement imposé par l
'a
rticle
51
de la loi organique relative aux
lo
is de finances (LOLF
),
la
quatrième dépense fiscale
la
plus importante
en
volume parmi les
449
dénombrées par
le
projet de
loi
de finances.
2.
Des conditions de pilotage, de suivi et de contrôle insatisfaisantes au regard
du
montant de l'effort budgétaire consenti
L'estimation
du
montant de
la
dépense fiscale effectuée par
la
Direction générale des
finances publiques (DGFiP) dans
le
projet de loi de finances annuel est
re
la
ti
vement fiable :
depuis
2012,
l'écart entre prévision et réalisation s'est cependant accru, dans
le
sens d'
une
minoration du montant
en
2012
et en
2014
et d'une majoration
de
celui-ci
en
2015
,
en
raison
de
la
difficulté d'estimer correctement l'assiette des tra
va
ux concernés.
Le
champ des équipements éligibles
à
cette mesure et
le
critère d'ancienneté des
logements, dont
la
définition est restée stable au cours de la pér
io
de,
ne
posent pas
de
problème particulier.
En
re
vanche,
la
modifi
ca
tion
à
trois reprises depuis quatre ans d'un
ta
ux qui était resté
constant
à
5,5 %
entre
1999
et
2012
,
suscite des interrogations quant
à
la
finalité
de
ce
tte
mesure.
Ce taux a ainsi d'abord été porté
à
7
%
à
co
mpter du
1
er
janvier
2012
par
la
quatrième loi
de
finances rectificative pour
20
11
,
afin de contribuer au financement du plan de redressement
présenté
en
novembre
2011.
Il
a été
à
nouveau augmenté
à
10 %
par
la
t
ro
isième loi
de
finances
re
cti
fi
ca
tive pour
20
12
avec
un
e date d
'e
ffet au
1
er
janvier
2014,
afin de permettre
le
financement
du
crédit d'impôt
pour la compétitivité et l'emploi sans dégradation supplém
en
tai
re
du
solde des finances
publiques.
Enfin, la loi de finances pour
20
14
a scindé cette dépense fisca
le
en
deux dispositifs,
en
faisant bénéficier
le
s travaux d'amélioration éne
rg
étique d'un ta
ux
ramené
à
5,5
%,
ta
ndi
s
que les autres dépenses d'entretien et d'amélioration demeuraient assujetties
au
taux
de
10
%.
Ces trois modifications substantielles, apportées quelques mois après que la F
ran
ce ait
obte
nu
la pérennisation
du
dispositif, ont été introduites par la
vo
ie d'amendements d'origine
gouvernementale ou parlemen
ta
ire
au
co
urs du débat
rel
atif
à
la lo
i
de
finances.
Ell
es n'ont
fait l'objet d'aucune étude préalable : aucun chiffrage
du
ga
in
attendu en matière de recettes
fi
scales n'a été présenté et aucune estimation de leurs effets attendus sur l'économie et sur
l'emploi n
'a
été produite.
À
déf
aut d'évaluati
on
préalable,
il
aurait été utile de s'attacher
à
quantifier a
posteriori
les
effets de ces décisions sur le plan fiscal, dans
le
ca
dre
du
projet
de
loi
de
règlement pour
20
14
ou
du
projet
de
loi de finances pour
20
16.
Tel n'a pas été
le
cas,
si
bien qu'il n'est
pas
possible de mesurer a
uj
ourd'
hui
si
, et
à
quelle hauteur, ces relèvements de taux ont p
ro
curé
un surcroît de re
ce
ttes
fis
ca
les.
13
ru
e Cambon • 751
OO
PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42 98 95 OO •
www
.ccomptes.fr
Cour des comptes -
Référé n° 52016-2893
3 / 4
Par ailleurs, sur le plan économique, une évaluation des effets de ces mesures sur le chiffre
d'affaires du secteur et sur l'emploi n
'a
pas non plus été menée
à
bien. Ainsi,
la
répercussion
éventuelle des variations des taux de TVA sur les prix toutes taxes comprises (TTC) dans
le
secteur concerné
demeure largement inconnue de l'administration, alors que les
organisations professionnelles ont fait valoir que les hausses récentes ont été absorbées
pa
r
une réduction des marges des entreprises du secteur.
Enfin, les conditions du contrôle par les services fiscaux de l'application des taux de TVA ne
permettent pas de garantir
sa
correcte liquidation.
La
TVA
à
ta
ux réduit ne fait pas l'objet
d'une stratégie spécifique de contrôle dans
le
cadre des opérations de vérification sur p
ces
et sur place des agents de la DGFiP. Cette situation confirme le
co
ns
ta
t effectué l'an passé
par
le
Conseil des prélèvements obligatoires
2
.
3.
La
nécessité de nouvelles évaluations pour démontrer l'efficience de cette
dépense fiscale
De 1999
à
2015,
la
dépense fiscale n°730213 relative aux travaux d'entretien et
d'amélioration des logements a représenté
un
coût cumulé de 70 Md€ pour les finances
publiques, soit
en
moyenne un abandon de recettes de près de 4,4 Md€ par
an.
Un consensus se dégage pour admettre que cette mesure a
eu
un effet positif sur l'activité et
l'emploi
du
secteur. Pour autant, les éléments techniques permettant d'appuyer cette
appréciation sont insuffisants.
En effet, durant cette période,
la
mesure a fait l'objet de neuf tentatives d'évaluation, dont
deux seulement,
en
dépit de l'importance des montants
en
jeu, ont été réalisées par les
pouvoirs publics,
en
octobre 2002 et en juin 2011. Les sept
au
t
res
études émanaient
directement des deux fédérations professionnelles intéressées
3
et visaient avant tout
à
pérenniser l'avantage fiscal.
La première évaluation réalisée par l'État a pris la forme,
en
2002, d'un rapport de la France
adressé
à
la
Commission européenne. Ce rapport plaidait pour le maintien du dispositif,
compte tenu de ses effets estimés : une augmentation du chiffre d'affaires du secteur de
2,8 Md€
en
deux ans
et
la
création d'environ 43 000 emplois
(31
000 emplois directs et
12 000 emplois indirects).
À
l'occasion du travail transversal d'évaluation des
«
niches
»
fiscales et sociales réalisé
en
2011, ces chiffres ont été revus
à
la baisse dans une seconde évaluation, qui a estimé
à
1,6 Md€ l'augmentation du chiffre d'affaires annuel du secteur induite par cette mesure et
à
32 000 le nombre total d'emplois créés du fait
du
dispositif. Cette étude soulignait par ailleurs
que le
coû
t net par emploi cr
éé
pouvait être estimé entre 50 000
€et
90 000
€.
La
Cour constate que, depuis lors, aucune autre évaluation,
ni
aucun travail de simulation
à
l'aide d'outils économétriques ne
so
nt disponibles, malgré une tentative d'évaluati
on
prospective conduite par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages
à
l'automne
2015. Faute de ces éléments, l'efficience de cette dépense fiscale n'est pas démontrée :
en
l'état actuel de l'information, son coût annuel apparaît même disproportionné par rapport
à
ses bénéfices estimés
en
termes d'activité et d'emploi du secteur concerné.
En conséquence, si l'État entend maintenir ce dispositif,
il
apparaît impératif que des travaux
permettent rapidement d'apporter au Parlement et
au
citoyen la preuve de
sa
pertinence et
de son efficacité.
2
Conse
il
des
pr
élèvements obligatoires,
La gestion de
l'
impôt et la fraude
à
la
TVA,
juin 2015.
3
Fédération française du bâtiment et Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâ
ti
men
t.
13
ru
e
Cambon•
75100 PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
OO•
www.ccompte
s.
fr
Cour des comptes -
Référé n° S2016-2893
4 / 4
Aussi, au terme de son enquête,
la
Cour formule les recommandations suivantes :
Recommandation
1
:
Présenter
un
chiffrage
rigoureux
des
effets
budgétaires et des effets économiques des trois ajustements intervenus depuis
2012 (relèvement du taux
à
7,0
%,
à
10,0 % et dissociation avec les travaux
d'amélioration énergétique).
Recommandation
2
:
Procéder
à
une évaluation précise des bénéfices
économiques du taux réduit de
TVA
sur les travaux d'entretien
et
d'amélioration
des logements
de
plus de deux ans, en chiffrant explicitement le coût pour les
finances publiques des créations d'emplois qui lui sont imputables
et
en examinant
les scénarios d'évolution susceptibles d'en améliorer l'efficience.
-=oüo=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans
le
délai
de
deux mois prévu
à
l'article
L.
143-5 du code des juridictions financières, la réponse que vous aurez donnée
à
la
présente communication
4
.
Je vous rappelle qu'en application des dispositions du même code :
-
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions
permanentes de l'Assemblée nationale
et
du Sénat. Il sera accompagné de
votre réponse
si
elle est parvenue
à
la
Cour dans ce déla
i.
À
défau
t,
votre réponse
leur se
ra
transmise dès sa réception par
la
Cour (article
L.
143-5);
-
dans le respect des secrets protégés par
la
loi, la Cour pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L.
143-1);
-
l'article
L.
143-10-1 prévoit que,
en
tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez
à
la
Cour
un compte rendu des suites données
à
ses observations,
en
vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit
être adressé
à
la
Cour selon les modalités de
la
procédure de suivi annuel
coordonné convenue entre elle et votre administration.
/..,u
/'//
.. -
j
Didier
~
..
4
La Cour vous remercie de lui faire parven
ir
votre réponse sous forme dématérialisée via
Correspondance JF
(https://correspondanc
ej
f.
ccomptes.fr/linshare
/)
à
l'adresse électronique suivante : qreffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant application
du
décret n° 2015-146 du
10
févr
ie
r 2015
re
latif
à
la
dématérialisation des
éc
hanges avec les juridictions financ
res).
13 rue Cambon • 751
OO
PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95
OO
• www.ccomptes.fr