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Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Conférence de presse
Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques
Mercredi 29 juin 2016
Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes et vous remercie de votre présence.
La Cour rend public ce matin son rapport sur la situation et les perspectives des finances
publiques.
Ce rapport est établi chaque année conformément à la loi organique relative aux lois de
finances, pour que le Parlement puisse préparer de la manière la plus opérationnelle
possible le débat d’orientation sur les finances publiques.
Ce rapport examine les finances publiques françaises à l’aune des objectifs fixés et des
engagements pris par les pouvoirs publics. Le rôle de la Cour, je veux à nouveau insister sur
ce point, est d’apprécier les résultats obtenus au regard de ces objectifs et de ces
engagements. Ce n’est pas la Cour qui les détermine.
Ce rapport complète l’analyse des finances publiques qui vous a été présentée à l’occasion
de la publication d’autres rapports de la Cour.
Il se situe dans le prolongement du rapport sur le budget de l’État en 2015, qu’il complète. Il
concerne en effet l’ensemble des administrations publiques, y compris la sécurité sociale et
les administrations publiques locales. Il analyse la trajectoire d’évolution des finances
publiques à l’horizon 2019. Il tient compte par ailleurs des travaux du Haut Conseil des
finances publiques, notamment sur les prévisions de croissance associées au Programme
de stabilité.
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Pour vous présenter ce rapport, j’ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui
préside la formation
inter
chambres chargée de sa préparation, Christian Charpy, conseiller
maître, contre-rapporteur de ce rapport, Éric Dubois, conseiller maître, et Vianney
Bourquard, conseiller référendaire, respectivement rapporteur général et rapporteur devant
la formation collégiale.
Dans ce rapport, la Cour dresse trois constats principaux :
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premièrement, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015, mais
la situation des finances publiques de la France reste en décalage avec la
moyenne de l’Union européenne ;
deuxièmement, l’objectif 2016 de réduction du déficit public, plus modeste qu’en
2015, est atteignable, en dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l’État
et sur les dépenses sociales ;
troisièmement, en l’état des décisions connues, l’atteinte de l’objectif 2017 est très
incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des finances publiques peu
réaliste.
Avant de conclure mon propos, je ferai un rapide point sur l’effet des évolutions récentes de
la gouvernance des finances publiques, qui est encadrée par les règles européennes. Le
rapport propose quelques pistes pour l’améliorer encore.
J’en viens au premier constat du rapport : la situation des finances publiques s’est
légèrement améliorée en 2015. La Cour le reconnaît. Mais cette situation reste en décalage
avec la situation de la plupart des autres pays de l’Union européenne.
Seul le prononcé fait foi
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Interrompu entre 2013 et 2014, le mouvement de réduction du déficit public a repris en 2015.
Cette légère amélioration est plus rapide que prévu dans la loi de programmation des
finances publiques : le déficit public, qui devait être de 4,1 points de PIB en 2015, a
finalement été de 3,6 points de PIB. La Cour observe que cette amélioration de 0,5 point de
PIB avait déjà été largement acquise en 2014, avec 0,4 point de déficit en moins que
programmé.
Cette amélioration doit être nuancée à plusieurs titres. D’une part, le déficit public reste à un
niveau élevé en 2015.
La réduction des déficits publics est concentrée sur les collectivités territoriales, qui ont
significativement infléchi leurs dépenses de fonctionnement (+1,0 % en 2015 après +2,7 %
en 2014), et diminué de manière marquée leurs dépenses d’investissement pour la seconde
année consécutive. Une situation légèrement moins dégradée des comptes sociaux
contribue également de manière plus marginale au résultat.
D’autre part, l’amélioration des déficits publics a bénéficié de phénomènes qui ne sont pas
forcément récurrents. La modération des dépenses a été facilitée par la baisse des charges
d’intérêts et par la chute de l’investissement local. Or ces évolutions ne peuvent pas être
considérée comme pérennes. La dette publique continue d’augmenter, ce qui conduira les
charges d’intérêts à croître si les taux d’intérêt remontent. La chute de l’investissement local,
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qui résulte en partie, mais en partie seulement, du cycle électoral, devrait cesser de favoriser
la baisse des dépenses en 2016.
La situation des finances publiques en France est examinée par la Cour, comme chaque
année, au regard de celle de nos voisins européens. Cet examen conduit à plusieurs
constats.
En premier lieu, le niveau du déficit public est toujours élevé en France, par rapport à ses
voisins. Seuls quatre pays de l’Union européenne conservent un déficit effectif plus dégradé
que celui de la France : la Grèce, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni.
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Cet écart touche également le déficit structurel. La France continue d’accuser un décalage
par rapport aux autres économies européennes dans l’ajustement de ses finances publiques.
Quatre pays seulement ont un déficit structurel plus élevé que celui de la France : le
Royaume-Uni, l’Espagne, la Slovénie et la Belgique.
La réduction du déficit public en France, de l’ordre de 0,5 point de PIB en 2015, est à peu
près équivalente à celle observée en moyenne au sein de la zone euro et de l’Union
européenne. Cela signifie que la France doit poursuivre ses efforts de réformes structurelles,
si elle souhaite mettre fin au décalage observé aujourd’hui avec les autres pays européens
ou a minima le réduire significativement.
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En second lieu, les dépenses publiques en France ont continué d’augmenter en volume, à
un rythme supérieur à celui de la plupart des autres pays de l’Union européenne. Si la
maîtrise de la dépense fait désormais partie de la stratégie gouvernementale pour redresser
les finances publiques, cette stratégie apparaît cependant moins marquée que dans d’autres
pays. D’autres pays ont également accru en 2015 leurs dépenses publiques, comme
l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne. Mais si l’on s’intéresse à l’ensemble de la période
2010-2015, l’Allemagne est le seul de ces pays à avoir connu une dynamique de la dépense
publique supérieure à celle de la France depuis 2010. La situation des finances publiques y
est nettement plus favorable.
En troisième lieu, la trajectoire d’endettement de la France diverge désormais non seulement
de celle de l’Allemagne, mais aussi de celle de la moyenne des pays de la zone euro. Alors
que le poids de la dette publique a diminué en moyenne dans la zone euro (- 1,3 point de
PIB) et dans l’Union européenne (- 1,6 point de PIB), il a continué à augmenter en France
(de 0,4 point de PIB).
De manière à infléchir la dépense publique, le Gouvernement a annoncé un plan de 50 Md€
d’économies de dépenses sur la période 2015 à 2017. La Cour a examiné la mise en oeuvre
de ce plan pour 2015.
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Lors de l’annonce de son plan de 50 Md€ d’économies, le Gouvernement avait réparti les
économies sur les trois années 2015 à 2017, avec une première tranche de 21 Md€
d’économies en 2015, puis deux tranches de 14,5 Md€ d’économies chacune, en 2016 et
2017.
Cette répartition a été modifiée progressivement au cours de l’année 2015 jusqu’au
Programme de stabilité d’avril 2016. Dans ce document, le montant d’économies a été révisé
à la baisse pour 2015 et 2016. L’effort le plus important a alors été reporté à 2017
(18,7 Md€).
La Cour observe que le montant des économies correspond à un effort par rapport à une
évolution tendancielle des dépenses publiques. Or l’examen des hypothèses retenues par le
Gouvernement révèle qu’elles conduisent à une évaluation plutôt élevée de la croissance
tendancielle. Elles comportent ainsi un biais majorant d’autant les économies affichées.
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La première tranche d’économies de plus de 18 Md€ en 2015 a été examinée dans ce
rapport. Même si l’effort des pouvoirs publics est réel, la Cour estime que le montant
d’économies s’élève plutôt à 12 Md€, du fait essentiellement d’une moindre contribution de
l’État. Les dépenses de l'État (hors prélèvements sur recettes, hors charge d’intérêts, hors
pensions) ont en effet continué d’augmenter de 3,2 Md€ entre 2014 et 2015, alors qu’elles
auraient dû diminuer de près d’1 Md€.
De surcroît, certaines mesures d’économies présentées par le Gouvernement ne peuvent
pas être comptabilisées comme des économies réelles. En particulier, le ralentissement de
la dépense des programmes d’investissements d’avenir (les PIA) correspond davantage à
des décalages de paiements qu’à une vraie économie. En effet, la dépense est reportée
dans le temps et non pas annulée. Les crédits totaux destinés aux PIA affectés aux
opérateurs restent en effet inchangés.
*
Au total, l’effort porté sur les dépenses publiques en 2015 a été réel, mais moindre que celui
correspondant à nos engagements européens. L’effort structurel qui aurait permis de
respecter les engagements européens de la France est de 0,5 point de PIB par an. Or l’effort
structurel tel qu’évalué par le Gouvernement est de 0,3 point de PIB hors charge d’intérêts,
avec la croissance potentielle retenue par le Gouvernement, et cet effort serait seulement de
0,2 point de PIB avec la croissance potentielle estimée par les organisations internationales.
L’effort structurel en dépenses réalisé en 2015 est donc inférieur d’environ 0,3 point de PIB à
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celui qui aurait été nécessaire pour assurer sur le moyen terme la consolidation annoncée de
nos finances publiques.
*
L’objectif 2016 de réduction du déficit public, plus modeste qu’en 2015, est atteignable, en
dépit des risques qui pèsent sur les dépenses de l’État et sur les dépenses sociales. C’est le
deuxième constat de la Cour.
Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public
prévu pour 2016 était de 3,6 points de PIB. Dans le Programme de stabilité d’avril 2016
transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée
à 3,3 % du PIB. Les résultats meilleurs que prévu en 2014 et en 2015, associés à une
conjoncture économique orientée plus favorablement, sous réserve d’effets possibles du
résultat du référendum au Royaume-Uni, permettent ainsi d’envisager une situation
financière un peu améliorée en 2016.
Les risques apparaissent limités sur les prélèvements obligatoires.
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La prévision de recettes repose sur un scénario de croissance du PIB et d’inflation jugé
réaliste par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis sur le Programme de
stabilité d’avril 2016. Les indicateurs de conjoncture publiés depuis cet avis le confortent,
sous réserve des conséquences éventuelles du Brexit, qui pourraient porter davantage sur
les années 2017-18 que sur l’année 2016.
Les recettes publiques apparaissent correctement calibrées. Elles devraient progresser en
2016 au rythme d’une croissance économique en amélioration par rapport à 2015, comme le
retient la prévision du Gouvernement.
Si le scénario relatif aux recettes publiques apparaît relativement prudent, la trajectoire de
déficit ne saura être durablement respectée sans une maîtrise rigoureuse des dépenses.
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Des tensions fortes existent notamment en ce qui concerne l’évolution des dépenses de
l’État. Elles sont plus importantes en 2016 qu’en 2015. Les risques de dépassement
pourraient représenter en 2016 entre 3,2 et 6,4 Md€, contre des risques estimés entre 1,8 et
4,3 Md€ à la même époque l’année dernière.
Ces dépassements sont avant tout liés aux annonces de mesures nouvelles et aux sous-
budgétisations. Les annonces nouvelles recensées par la Cour pourraient conduire à
accroître les dépenses de l’État de 2,5 Md€. Cet accroissement serait principalement le fait
du plan d’urgence pour l’emploi, des aides accordées aux agriculteurs et aux éleveurs et de
la hausse des dépenses du ministère de la défense. Les sous-budgétisations
représenteraient de l’ordre de 2 Md€ en 2016, soit un ordre de grandeur comparable à celui
observé en 2015. Elles concernent en particulier les missions
Défense
,
Travail et emploi
, et
Solidarité, insertion et égalité des chances
. Ces sous-budgétisations nuisent à la sincérité du
vote du Parlement sur la loi de finances. Elles rognent dès le début de l’année les marges de
manoeuvre nécessaires pour maîtriser l’exécution de la dépense budgétaire.
Par ailleurs, la masse salariale de l’État, hors contributions au CAS
Pensions
, devrait
progresser de 1 à 1,5 % en 2016, contre 0,4 % en 2015. Il faut remonter à 2007 pour
retrouver un tel rythme d’évolution. Les trois facteurs qui avaient permis de modérer la
masse salariale de l’État depuis près de dix ans contribuent maintenant à cette accélération.
Les effectifs augmentent depuis 2015. La valeur du point de la fonction publique sera
majorée au 1
er
juillet 2016 puis au 1
er
février 2017. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé
de nouvelles mesures catégorielles depuis le début de l’année 2016.
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Le Gouvernement a accentué en début d’exercice la réserve de précaution pour tenir
l’objectif de dépense de l’État. Il a décidé de geler les reports de crédits de manière
transversale, pour la première fois depuis la mise en oeuvre de la LOLF en 2006. Par
ailleurs, la mise au point en juin 2016 du premier des trois décrets d’avance prévus dans
l’année a déjà donné lieu à des arbitrages difficiles, le Gouvernement ayant renoncé à
certaines des annulations prévues initialement.
Au regard de l’ampleur des risques de dépassement de crédits, le respect de l’objectif de
dépenses incluses dans la norme de dépenses en valeur sera plutôt difficile en 2016. À titre
de comparaison, malgré des risques de dépassement moindres en 2015, la norme de
dépenses n’avait été respectée que facialement grâce à la baisse du prélèvement sur
recettes destiné à l’Union européenne et à des contournements notables (3 Md€). La tenue
de l’objectif pourrait devenir impossible, si de nouvelles dépenses supplémentaires venaient
à être décidées d’ici la fin de l’année.
Des risques de moindre ampleur pèsent également sur les dépenses des administrations de
sécurité sociale. Notamment, l’économie de 800 M€ attendue en 2016 de la renégociation de
la convention de l’Unédic paraît désormais hors d’atteinte, suite à l’échec de cette
négociation. Etaient également prévues des économies sur 2017.
*
Au total, si l’objectif, plus modeste qu’en 2015, de réduction du déficit reste atteignable, il
exigera une gestion très stricte des moyens. Il ne laisse aucune place à des décisions
nouvelles conduisant à des hausses de dépenses. Les annonces successives de nouvelles
dépenses publiques, qui ne sont, en l’état de nos connaissances aujourd’hui, ni financées ni
gagées par des économies pérennes, font peser un risque sur les finances publiques en
2016 mais plus encore sur les années suivantes. Parmi les dépenses supplémentaires
annoncées au cours de l’année 2016, celles concernant la masse salariale pèseront en effet
essentiellement à partir de 2017 et continueront de monter en charge les années ultérieures.
J’en arrive au troisième et dernier constat de la Cour : en l’état des décisions connues,
l’atteinte de l’objectif 2017 est très incertaine et le respect de la trajectoire 2017-2019 des
finances publiques peu réaliste, au regard des nouveaux engagements pris. Pour les années
2017 à 2019, le Programme de stabilité d’avril 2016 prévoit une trajectoire de redressement
des finances publiques revue à la baisse. L’amélioration du déficit public est en effet moindre
que celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre
2014, alors même que le déficit de 2015 est d’un demi-point inférieur. Le résultat meilleur
que prévu n’est donc pas mis à profit pour réduire plus rapidement le déficit public et infléchir
nettement la trajectoire de dette.
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Le Gouvernement a, dès le Programme de stabilité d’avril 2015, révisé à la hausse la
croissance potentielle pour 2016 et 2017. Elle se situe désormais à un niveau sensiblement
supérieur à celui retenu par les organisations internationales. Elle permet ainsi au
Gouvernement d’afficher un solde structurel à l'équilibre en 2019 malgré un déficit effectif
s’élevant encore à 1,2 point de PIB.
Avec les estimations de PIB potentiel des organisations internationales différentes,
notamment celles retenues par les organisations internationales, un tel déficit laisserait
encore un déficit structurel supérieur à 1 point de PIB. Sur la base d’hypothèses de
croissance potentielle plus prudente, une trajectoire plus ambitieuse de finances publiques
serait nécessaire pour respecter, en 2019, l’objectif de moyen terme de solde structurel fixé
à -0,4 point de PIB par la loi de programmation.
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L’analyse du Programme de stabilité montre en outre que l’atteinte d’une cible de déficit
effectif de 1,2 point de PIB en 2019 suppose une maîtrise sans précédent du volume de la
dépense publique compte tenu de la baisse visée du taux de prélèvements obligatoires de
0,2 point par an. La dépense publique en volume (hors charges d’intérêts) devrait être stable
en 2017 puis baisser légèrement en 2018 et en 2019. Cela devrait impliquer un effort
nettement accru par rapport à la période récente, puisque cette dépense en volume a
progressé en moyenne de 1,1 % entre 2010 et 2015 (après 2,6 % entre 2000 et 2009).
En dépit du caractère très ambitieux de l’objectif affiché de maîtrise des dépenses, le
Gouvernement ne présente pas de réforme nouvelle à la hauteur de ces enjeux et à l’appui
du Programme de stabilité, alors même que les politiques mises en oeuvre ces dernières
années ne sont guère porteuses d'économies à moyen terme. Au contraire, la hausse
programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d'année concernant
l'emploi, la modération de l’effort demandé aux communes et intercommunalités, et, surtout,
la progression de la masse salariale vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur
d’environ 0,3 point de PIB en 2017, soit de l’ordre de 6 Md€.
En particulier, la masse salariale des administrations, qui représente près du quart des
dépenses publiques, augmentera, dès 2017, à un rythme marquant une rupture forte avec
les évolutions constatées depuis dix ans. Aucun des trois leviers – stabilité des effectifs, gel
du point d’indice et limitation des mesures catégorielles – qui avaient permis de maîtriser
l’évolution de la masse salariale publique au cours des dix dernières années ne sera plus
actif. De ce fait, la masse salariale de l’État pourrait progresser en 2017 à un rythme
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supérieur à celui enregistré au total sur l’ensemble de la période 2009-2015, soit plus de
2 %. La réforme des grilles salariales négociée dans le cadre du protocole «
parcours
professionnels, carrières et rémunérations
» va entraîner également une hausse des
dépenses de personnel. Sa montée en charge progressive représenterait à l’horizon 2020
entre 2,0 et 2,5 Md€ pour la seule fonction publique d’État, et entre 3,5 et 4,5 Md€ pour
l’ensemble des composantes de la fonction publique.
*
Les travaux de la Cour montrent que les risques pesant sur la réalisation de cette trajectoire
sont très importants.
Pour atteindre la cible du Programme de stabilité, les mesures annoncées dans le cadre du
plan d’économies à 50 Md€ devraient être effectivement mises en oeuvre.
Or les mesures annoncées depuis le début de l’année ne conduisent pas à freiner les
dépenses ni à compenser les nouvelles dépenses annoncées. Elles viennent plutôt alourdir
la dépense publique. Tout semble se passer comme si le dynamisme espéré des recettes
conduisait le Gouvernement à étaler encore davantage les efforts nécessaires au respect
des objectifs de redressement des finances publiques.
Seule la maîtrise de nos dépenses publiques pourra garantir le respect à moyen et long
terme de nos objectifs de déficit public sans hausse de prélèvements obligatoires, et
permettra de dégager les marges de manoeuvre indispensables à l’exercice des missions
régaliennes dans les meilleures conditions possibles.
*
Avant de conclure, je veux évoquer la gouvernance des finances publiques. Encadrée par
les règles européennes, elle peut encore être renforcée. La crise financière de 2008, puis
celle des dettes souveraines, ont conduit les États membres de l’Union européenne, en
particulier ceux de la zone euro, à revoir leur gouvernance budgétaire. Plusieurs textes
visant à renforcer les règles du Pacte de stabilité et de croissance ont été adoptés dans ce
sens entre 2012 et 2013. Ces textes prévoient trois innovations principales : une règle
d’équilibre structurel ; l’instauration d’un mécanisme de correction automatique ; la création
d’institutions budgétaires indépendantes. Nous avons regardé ce que ces textes
impliquaient.
Les textes européens imposent désormais la fixation d’un objectif d’équilibre de moyen
terme, défini en termes structurels, qui ne peut pas être supérieur à 0,5 point de PIB.
Le pilotage de la politique budgétaire à partir d’un objectif de solde structurel, plutôt que
nominal, est, dans son principe, économiquement souhaitable : il permet de limiter le risque
d’une politique budgétaire trop relâchée en période de croissance forte ou trop rigoureuse en
période de récession ; il permet aussi de refaire de la politique budgétaire un instrument
contracyclique.
En France, cet objectif est inscrit dans les lois de programmation des finances publiques.
Révisables à tout moment, celles-ci ne lient pas le législateur financier.
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Le mécanisme de correction automatique, qui impose une correction en cas de déviation
significative de la trajectoire, n’a en pratique pas fonctionné en 2014. Ce mécanisme a été
déclenché au printemps 2014 mais le Gouvernement, plutôt que de revenir sur la trajectoire
de finances publiques de la loi de programmation alors en vigueur, a choisi de modifier la
trajectoire de finances publiques en présentant une nouvelle programmation pluriannuelle.
Les nouvelles règles de gouvernance ont imposé la création d’organismes budgétaires
indépendants dont la mission est double : s’assurer du caractère non biaisé et réaliste des
prévisions macroéconomiques et de finances publiques et constater
ex post
le respect de la
trajectoire financière.
Dans ce cadre, la France a créé le Haut Conseil des finances publiques, que le législateur
organique m’a donné pour mission de présider. Les organisations internationales
considèrent qu’en France, cette institution, comme d’ailleurs ses homologues à l’étranger,
contribue positivement à la qualité des prévisions macroéconomiques. Elle incite les
pouvoirs publics à davantage de prudence dans l’estimation des recettes publiques, élément
clé pour le respect des trajectoires de solde.
Il paraît possible de renforcer la gouvernance des finances publiques dans le cadre
institutionnel actuel.
Il faut vraissemblablement objectiver la croissance potentielle pour ne pas biaiser les cibles
de solde structurel. À ce titre, il peut sembler anormal que, en application des textes, la
révision à la hausse de la croissance potentielle lors du Programme de stabilité d’avril 2015
n’ait pas été soumise à l’examen formel d’une autorité indépendante comme le Haut Conseil
des finances publiques.
L’élaboration du programme de stabilité annuel, pierre angulaire du dialogue avec l’Union
européenne et à bien des égards plus structurant que les lois de programmation, ne donne
d’ailleurs lieu qu’à un examen limité, tant par le Parlement que par le Haut Conseil des
finances publiques. Il serait souhaitable qu’ils soient davantage concernés par cette
élaboration du programme de stabilité.
Ensuite, les règles européennes de gouvernance budgétaire pourraient être simplifiées. Si la
référence au solde structurel permet de vérifier la soutenabilité de long terme de la politique
budgétaire et doit donc être conservée dans son principe, elle gagnerait à être complétée par
une règle de dépense, plus facile à expliciter
ex ante
et à vérifier
ex post
.
Une telle règle pourrait prendre la forme d’un objectif de dépenses décliné annuellement
pour l’ensemble des administrations publiques, fixé en euros courants, en fonction d’une
cible de solde structurel compatible avec le respect de l’objectif structurel de moyen terme.
Un tel schéma imposerait de réfléchir à un mode de gouvernance associant l’État, les
administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales afin de préciser sa
définition et les modalités de son suivi.
*
Je veux conclure en rappelant d’abord que la Cour reconnait les efforts réalisés ces
dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au redressement des finances
publiques. Pour autant, la Cour redoute que l’amélioration de la conjoncture conduise une
nouvelle fois à interrompre ce mouvement.
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Les travaux de la Cour, en mettant notamment en lumière les expériences de nos voisins
européens, montrent au contraire que l’effort structurel ne doit pas être relâché au moment
où les pouvoirs publics bénéficient d’une conjoncture économique favorable et de taux
d’intérêt extrêmement bas. Les ajustements structurels des finances publiques qui doivent
intervenir dans des phases de conjoncture moins favorables sont généralement beaucoup
plus douloureux.
En dépit des progrès réalisés dans la période récente, la politique de maîtrise de la dépense
menée jusqu’à présent a davantage visé à la contenir. Les résultats ne sont pas
complètement au rendez-vous, alors que les travaux des juridictions financières soulignent
les marges d’efficacité et d’efficience de l’action publique dans notre pays. Faire des choix
explicites, s’attaquer aux principales sources d’inefficacité et d’inefficience de la dépense,
réexaminer les missions des administrations publiques prises dans leur ensemble et mieux
cibler les dépenses d’intervention : tout cela aiderait à mieux maîtriser les dépenses
publiques tout en permettant l’affirmation des priorités politiques voulues par les pouvoirs
publics.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent, pour répondre à vos questions.