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Seul le prononcé fait foi
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse
du rapport sur la sécurité sociale pour 2014
mercredi 17 septembre 2014
Mesdames et messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue ce matin à la Cour des comptes pour la présentation de notre
rapport 2014 sur la sécurité sociale.
Ce rapport est élaboré par la Cour au titre de sa mission constitutionnelle d’assistance au
Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 2015. Cette après-midi,
je le présenterai à l’Assemblée nationale.
Ce matin à travers vous, la Cour s’adresse aussi au citoyen.
La sécurité sociale est un élément majeur du pacte républicain et la garante de la cohésion
sociale de notre pays. Mais c’est un acquis fragilisé par d
es déficits permanents depuis
2002.
Ces cinq dernières années, la sécurité sociale a accumulé un déficit équivalent à une année
de dépenses de la branche vieillesse ou deux années de dépenses de la branche famille.
Cette accumulation de déficits alimente l
a dette sociale, dont l’encours financiers atteint
désormais 157
Md€, soit près de 8
points de PIB et a continué d’augmenter en 2013. La
charge annuelle de cette dette mobilise plus de 15
Md€ de prélèvements obligatoires, soit
une année et demie d’indemnit
és journalières.
Préserver la sécurité sociale est une priorité qui exige des choix collectifs forts. Ces choix
relèvent naturellement de la responsabilité des pouvoirs publics, et au premier chef des
représentants du suffrage universel, en fonction des ob
jectifs et priorités qu’ils définissent.
Pour sa part, la Cour s’efforce d’éclairer les champs d’action possibles, d’ouvrir des pistes,
de montrer qu’à tous les niveaux des économies sont
possibles, envisageables sans remise
en cause des principes qui ont présidé à la création de la sécurité sociale.
*
Notre rapport analyse la situation et les perspectives des finances sociales et met sur la
table de nouvelles propositions. J’ai auprès de moi pour vous les présenter Antoine
Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour qui a préparé ce rapport, Henri Paul,
président de chambre et rapporteur général de la Cour, Noël Diricq, conseiller maître,
rapporteur général de ce rapport, et Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général
Seul le prononcé fait foi
2
adjoint. Je veux par ailleurs exprimer devant vous toute ma reconnaissance aux nombreux
autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail.
*
Cette année, la Cour formule
trois messages principaux
. D’abord, la situation des comptes
sociaux reste préoccupante. Cela conduit la Cour
à identifier plusieurs pistes d’amélioration
du pilotage de notre protection sociale. Enfin, la maîtrise des dépenses est le principal levier
à actionner.
*
En premier lieu, malgré les efforts, la situation des comptes sociaux reste fortement
préoccupante.
Trois constats s’imposent
:
-
en 2013, la réduction des déficits a été moins importante que prévu et a eu
tendance à marquer le pas ;
-
en 2014, cette réduction devrait être encore plus limitée ;
-
pour 2015 à 2017, la trajectoire de redressement annoncée est devenue très
incertaine.
[2013]
En 2013, le déficit total des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse
(le FSV) s’est élevé à 16
Md€. La Cour constate heureusement une sensible diminution
depuis le déficit historique de 2010. En
réalité, cette diminution n’a été ni aussi grande ni
aussi rapide que prévu. Depuis 2010, le rythme de réduction a même chaque année
davantage ralenti (
diapo 1
) : 7
Md€ en 2011, 3,5
Md€ en 2012 et 3,1
Md€ en 2013.
LA SITUATION ET LES PERSPECTIVES FINAN
CIÈ
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CURIT
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SOCIALE (1/3)
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Source : Cour des comptes
Cour des comptes - La
curit
é
sociale
Une r
é
duction ralentie des d
é
ficits
0
5
10
15
20
25
30
35
2009
2010
2011
2012
2013
2014 (p) 2015 (p) 2016 (p) 2017 (p)
é
quilibre vis
é
en 2017
d
é
ficit ex
é
cut
é
d
é
ficit 2014
(provisoire)
pr
é
vision
(LFRSS 2014)
en Md
Seul le prononcé fait foi
3
Deux observations soulignent l’ampleur d
u chemin qui reste à parcourir :
-
deux branches sur quatre du régime général voient leurs déficits aggravés : la
branche maladie et la branche famille (
diapo 2
) ;
-
la réduction du déficit repose majoritairement sur l’apport de recettes
nouvelles, alors que le rythme de progression des charges du régime général
(+2,7 %) reste très supérieur à celui du PIB en valeur (+1,1 %) et à celui de la
masse salariale (+1,2 %).
Cette situation n’est pas seulement due à la conjoncture économique
:
le déficit 2013 est,
en réalité, en majeure partie indépendant de la conjoncture
. En effet, et comme c’est le
cas depuis 2001, dernière année où la sécurité sociale a été en équilibre, le déficit des
comptes sociaux est principalement d’origine structurelle
: cette composante structurelle peut
être estimée à près des trois cinquièmes du déficit total du régime général et du FSV, soit
8,7 sur 15,4
Md€.
Notre pays continue de tolérer un niveau élevé et durable de déficit structurel des comptes
sociaux, alors que cette situation ne se retrouve pas chez nos grands voisins européens. À
l’échelle de la zone euro, les comptes de l’ensemble des administrations sociales sont à
l’équilibre sur les trois dernières années. Seuls l’Espagne et les Pays
-Bas présentaient en
2013 un besoin de financement des administrations sociales supérieur à la France.
[2014]
Cette situation est d’autant plus inquiétante que 2014 ne devrait pas connaître d’amélioration
dans le rythme de diminution du déficit. La baisse du déficit devrait ralentir à nouveau et plus
fortement encore qu’attendu initialement. En effet, la loi de financement pour 2014 prévoyait
2
Source : Cour des comptes
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-14
-12
-10
-8
-6
-4
-2
0
2
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
AT-MP
Famille
Vieillesse + FSV
Maladie
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En 2013, un ralentissement d
û
aux d
é
ficits
des branches
«
maladie
»
et
«
famille
»
en
Md
Seul le prononcé fait foi
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une nouvelle étape limitée de réduction de 2,8
Md€ par rapport à 2013. Cette réduction
reposait encore majoritairement sur l’apport de rec
ettes supplémentaires (+5,8
Md€).
La dégradation de la situation économique a conduit les pouvoirs publics à réviser et porter
la prévision de déficit de 13,2
Md€ à 13,6
Md€, soit une baisse de 2,4
Md€ au lieu de
2,8
Md€
, initialement prévus.
Mais cette nouvelle prévision est fragilisée par les dernières hypothèses économiques
retenues par le Gouvernement la semaine dernière : en effet, la croissance du PIB a été
revue à la baisse de 0,6 point, à +0,4
%, et la prévision d’inflation diminuée de 0,6
point, à
+0,5 %. La réalisation de ces prévisions devrait aggraver le déficit du régime général et du
FSV.
[2015-2017]
La révision des hypothèses macro-économiques rend plus incertaine encore la trajectoire de
redressement des comptes sociaux sur la période 2015-2017, déjà très fragile.
La loi de financement rectificative avait pour ambition un retour à l’équilibre en 2017 et
prévoyait un quasi doublement du rythme de réduction des déficits par rapport à la période
triennale précédente. Les prévisions de recettes
dépendaient d’un scénario de forte
accélération de la croissance du PIB et de la masse salariale. Le rythme d’augmentation des
dépenses ne devait être que peu modifié.
Depuis lors, l’hypothèse de croissance a été révisée à la baisse sur les deux années 201
4 et
2015. Le rapport illustre les conséquences d’une dégradation des hypothèses économiques
(
diapo 3
) : une moindre progression de la masse salariale en 2014 et en 2015 aggraverait le
déficit de la sécurité sociale en 2017.
*
Pour rétablir l’équilibre
des comptes, le pilotage des finances sociales doit fortement
gagner en efficacité et en fermeté. C’est là notre deuxième message.
3
Source : Cour des comptes
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Une trajectoire de r
é
duction des d
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ficits fragilis
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e
en cas de ralentissement de la masse salariale
16,0
13,6
9,3
5,2
0,3
0,0
2,0
4,0
6,0
8,0
10,0
12,0
14,0
16,0
18,0
2013
2014 (p)
2015 (p)
2016 (p)
2017 (p)
Md
Hypoth
è
se de ralen
ssement de -2% sur 2 ans de la masse salariale
Trajectoire LFRSS
Seul le prononcé fait foi
5
La cohérence du cadre d’ensemble et la solidité des outils de régulation qui lui sont associés
constituent une condition déte
rminante du retour à l’équilibre des comptes sociaux.
Près de dix ans après leur dernière réforme, la Cour a particulièrement analysé
l’apport et
les limites à cet égard des lois de financement de la sécurité sociale
. Dans le nouveau
contexte de gouvernanc
e des finances publiques, l’instrument a vieilli.
Pour renforcer sa contribution à la maîtrise des dépenses sociales, la Cour suggère
plusieurs pistes :
-
d’abord, le Parlement pourrait adopter chaque année une «
loi de protection
sociale obligatoire
» étendue aux régimes sociaux conventionnels - assurance
chômage et régimes de retraite complémentaire obligatoires ;
-
ensuite, l’effort devrait se concentrer sur la composante structurelle des
soldes ;
-
l’accent devrait, en outre, être mis beaucoup plus fortement
sur la dimension
pluriannuelle des objectifs de dépenses ;
-
enfin, les possibilités de contrôle et d’orientation du Parlement peuvent être
améliorées par l’institution d’une loi de résultats.
Le
renforcement des instruments de maîtrise de la dépense
portés par les lois de
financement apparaît aussi nécessaire, tout particulièrement en matière d’assurance maladie.
Le périmètre de
l’ONDAM
serait ainsi à élargir aux dépenses qu’il ne couvre pas, qui
représente plus de 10
% de la dépense totale d’assurance malad
ie. Le seuil de
déclenchement du mécanisme d’alerte devrait être sensiblement abaissé.
Le redressement des comptes sociaux doit en outre être servi par une amélioration de la
qualité des prévisions
financières
intégrées aux lois de financement de la sécurité
sociale
. Cet enjeu de fiabilité est absolument majeur, sauf à risquer de mettre en cause la
sincérité même des lois de financement de la sécurité sociale.
La Cour a procédé à une analyse approfondie des
modalités d’élaboration de l’ONDAM
2013
(
diapo 4
).
L
’O
BJECTIF NATIONAL DE D
É
PENSES
D
’A
SSURANCE MALADIE
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Source : Cour des comptes
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Une reprise de la dépense en 2013
-4%
-3%
-2%
-1%
0%
1%
2%
3%
4%
2009
2010
2011
2012
2013
ONDAM vot
é
ONDAM e
cut
é
PIB en valeur
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Elle met en lumière les indispensables progrès de méthode à réaliser pour rendre beaucoup
plus rigoureuse sa construction. Sans ces progrès, son rôle de régulation de la dépense va
continuer à s’affaiblir. De multiples biais de construction aux
différentes étapes se
superposent en effet et finissent par constituer des «
coussins d’air
», si je puis dire, qui
atténuent la discipline imposée.
Ces biais avaient déjà été relevés par la Cour l’an dernier quand elle avait examiné le mode
de constructio
n de l’ONDAM hospitalier. Ils apparaissent particulièrement marqués dans
l’élaboration de l’objectif de dépenses relatif aux soins de ville,
expertisée en détail cette
année. Avec une base surestimée et une progression de la dépense surévaluée, l’ONDAM
ville a été de plus en plus «
sous-exécuté
» depuis 2010, sans effort particulier. En effet :
-
les économies ont été moindres en 2013 qu’en 2012
;
-
le rythme d’augmentation de la dépense n’a pas diminué et est resté supérieur
à l’évolution du PIB
.
Cet
te situation donne le sentiment que la maîtrise des dépenses est plus prononcée qu’elle ne
l’est réellement. Elle ne permet pas aux patients et aux professionnels de santé de prendre la
mesure véritable des enjeux. Elle laisse à penser que l’effort peut être différé, alors qu’il
requiert l’implication de tous.
Or, justement, les
projets régionaux de santé
élaborés par les agences régionales de
santé (ARS) n’ont pas débouché sur une démarche qui permet
te de dépasser les
cloisonnements traditionnels entre secteurs et entre acteurs, contrairement aux objectifs
fixés. Ils n’ont pas davantage permis de construire des parcours de soins fluides entre
médecine de ville, hôpital, institutions médico-
sociales, comme la Cour l’a constaté au
travers de problématiques tell
es que l’obésité ou les accidents vasculaires
-cérébraux. Leur
architecture particulièrement complexe, leur lourdeur d’élaboration, la superposition des
objectifs en ont fait un cadre peu opérationnel. Si des évolutions fortes n’intervenaient pas
rapidement, le risque serait grand de mettre en question la valeur ajoutée des nouvelles
agences par rapport aux institutions qu’elles ont remplacées.
Le déséquilibre de l’assurance
-
maladie, qui s’est creusé à nouveau en 2013 et qui reste la
principale source de déficit de la sécurité sociale, exige au contraire de mobiliser plus
activement et plus résolument les marges d’efficience et d’économies que recèle notre
système de soins, et qui sont très importantes.
Si le redressement des comptes de l’assurance maladie est un impératif premier, j’y
reviendrai dans un instant, il ne saurait différer les efforts indispensables à consentir
dans d’autres domaines, en particulier ceux des retraites et de la gestion des
organismes sociaux.
Après avoir examiné l’an dernier les régimes de retraite des exploitants agricoles et des
professions libérales, la Cour s’est intéressée cette année
à ceux des artisans et des
commerçants
(
diapo 5
)
.
Leur régime complémentaire, unifié dans de bonnes conditions, ne
pose pas de problème de soutenabilité. Il n’en va pas de même pour les deux régimes de
retraite de base. En raison d’un ratio démographique de plus en plus défavorable, ceux
-ci
présentent un solde financier fortement négatif de près de 3
Md€, qui
devrait encore se
dégrader à moyen terme.
Seul le prononcé fait foi
7
Leur situation préoccupante est cependant masquée par l’attribution d’une partie des
produits de la contribution sociale de solidarité. La suppression en trois ans de cette
contribution, par la récente loi de fi
nancement rectificative, s’accompagnera d’une intégration
financière complète au régime général. Cela aura pour conséquence de rendre visible ce
déficit et cela supposera de compenser, dans la durée, son aggravation continue. Pour ne
pas avoir à recourir à des ressources nouvelles, à faire supporter aux salariés le déséquilibre
ou à alourdir la dette sociale, il conviendrait d’envisager une contribution plus grande de la
part des artisans et des commerçants. Leur effort reste en effet inférieur à celui des salariés,
parfois du fait de capacités contributives moindres mais parfois aussi du fait d’une sous
-
déclaration de leurs revenus d’activité.
La gestion des organismes de sécurité sociale
doit, pour sa part, davantage être orientée
vers des objectifs de productivité, comme la Cour l’illustre régulièrement. Elle apporte cette
année trois éclairages complémentaires sur ce sujet :
-
premièrement
, après son enquête consacrée en 2011 à la réorganisation de la
mutualité sociale agricole, la Cour a examiné
l’évolution du réseau du régime
social des indépendants.
Créé à la suite de l’importante réorganisation qui a
pris effet au 1
er
juillet 2006, ce régime a regroupé trois réseaux distincts. Cette
fusion ambitieuse et rapide s’est traduite par une restructuration qui n’a pas
enclenché de dynamique de gains de productivité. Une démarche plus forte de
réorganisation est désormais indispensable, pour dépasser les limites liées à la
faible dimension des
nouvelles caisses et à la mise en place de l’interlocuteur
social unique, déjà analysée par la Cour en 2012.
-
deuxièmement, le recouvrement social en Corse
devrait gagner en qualité
c’est un euphémisme –
, notamment pour la mutualité sociale agricole et le
régime social des indépendants. La restauration de la crédibilité du
0
2
4
6
8
10
12
14
2011
2020
2030
2050
2060
Md
courants
Cotisations
Prestations
LES
GIMES DE BASE DE RETRAITE
DES ARTISANS ET DES COMME
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5
Source : RSI
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sociale
-7,6 Md
Seul le prononcé fait foi
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recouvrement en Corse passe notamment par des mutualisations accrues et
une relance déterminée du recouvrement contentieux. Elle doit être soutenue
sans faiblesse par les autorités publiques, dans un contexte où le
consentement à payer est fortement érodé.
-
troisièmement,
la Cour a examiné
la gestion
des agents de direction des
organismes de sécurité sociale.
Ceux-ci doivent jouer, par les fonctions
d’encadrement supérieur qu’ils ont voca
tion à occuper, un rôle majeur pour leur
modernisation. La situation actuelle n’est pas encore à la mesure des enjeux.
Elle appelle, au-delà des réformes récemment intervenues, une vision plus
dynamique et plus ambitieuse.
*
Le troisième message de la Cour
, c’est que la stratégie du rééquilibrage des comptes
passe avant tout par un effort accru de maîtrise de la dépense.
En effet, la voie d’un retour à l’équilibre par un effort portant d’abord sur les recettes trouve
aujourd’hui des limites évidentes, tant en termes d’impact économique que d’acceptabilité
sociale.
Malgré des apports très considérables de ressources supplémentaires chaque année depuis
2012, le ralentissement continu du rythme de rééquilibrage des comptes sociaux, illustre la
très grande sensibilité des recettes de la sécurité sociale à la situation économique.
Des progrès importants d’efficience et d’équité restent toutefois possibles en matière de
recettes, comme la Cour l’avait montré l’an dernier, en examinant l’évolution des «
niches
sociales
». Dans la même perspective, elle a analysé cette année
la lutte contre la fraude
aux cotisations sociales
. Cette dernière représente un enjeu d’une ampleur considérable
mais largement sous-estimée, du fait en particulier du renouvellement rapide de ses formes.
Selon une nouvelle étude réalisée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale
(Acoss) à la demande de la Cour, son montant pouvait être estimé de 20 à 25
Md€ en 2012.
Il s’agit d’un quasi doublement en huit ans.
Cette estimation est à considérer avec précaution. En effet, le recouvrement de la totalité
des sommes en cause n’est pas envisageable dès lors que certaines activités ne subsistent
que du fait de la fraude. Mais cela montre qu’une lutte plus intense contre la fraude pourrait
contribuer à l’amélioration des comptes sociaux
: malgré les progrès accomplis par certains
organismes, les résultats obtenus restent extrêmement modestes, avec un nombre de
redressements et des montants recouvrés dérisoires. À tous égards, la lutte contre la fraude
doit ainsi constituer une priorité
nettement accrue en termes de modernisation des
méthodes, d’élargissement du champ et
de passage à une logique de résultats.
Toutefois, ainsi que la Cour l’a notamment exprimé dans son dernier rapport sur la si
tuation
et les perspectives des finances publiques, c’est en pesant plus fortement sur la dépense par
des réformes structurelles que le redressement des comptes publics doit désormais
s’affermir et s’accélérer.
En particulier, et c’est là
le message central de notre rapport, un effort nettement plus
ambitieux de maîtrise des dépenses d’assurance maladie est possible sans mettre en
cause la qualité des soins ou compromettre l’égalité d’accès au système de santé.
Il en est ainsi, par exemple, des dépenses de soins de ville, qui représentent 80
Md€, soit le
premier poste de dépenses de l’assurance maladie. Un effort plus vigoureux dans ce domaine
permettrait de dégager des économies importantes dans des secteurs autres que les
transports sanitaires ou la biologie médicale, déjà mis en lumière par la Cour ces dernières
années.
Seul le prononcé fait foi
9
Encore faut-il que
les conventions passées par l’assurance maladie avec les professions
libérales de santé
concourent beaucoup plus efficacement à l’objectif d’efficience de la
dépense. Leur contribution à une meilleure répartition géographique des professionnels
libéraux a été tardive et limitée, en particulier pour les médecins. Les dépassements tarifaires
ont significativement augmenté et ne paraissent pas pouvoir être endigués par le récent
«
avenant n° 8
» à la convention médicale. L’élargissement du champ des conventions a
entraîné des dépenses nouvelles, sous forme en particulier de rémunérations forfaitaires ou à
la performance, sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours à la hauteur
des enjeux ni leurs résultats mesurables. La recherche de compromis fluctuant suivant les
professions et les situations s’est faite au détriment de l’approche interprofessionnelle
nécessaire à la construction de parcours de soins. La nécessaire réorientation des politiques
conventionnelles passe par des négociations moins éclatées et recentrées sur les questions
essentielles. Il s’agit en particulier de l’accès aux soins, qui suppose notamment d’élargir à
toutes les professions, y co
mpris les médecins, le principe d’un conventionnement
conditionnel dans les zones en surdensité. Il s’agit aussi de la question centrale du retour à
l’équilibre de l’assurance maladie.
L’absence de mobilisation de l’ensemble des professionnels de santé autour d’objectifs
convergents explique notamment les retards persistants de
la diffusion des médicaments
génériques
(
diapo 6
).
Il s’agit pourtant d’un levier majeur de maîtrise de la dépense d’assurance maladie, à qualité
de soins équivalente. Alors que la plupart des grands pays européens affichent des taux de
pénétration des génériques très élevés, la France a des résultats encore trop modestes : en
Allemagne et au Royaume-Uni, près de trois boîtes de médicaments remboursables sur
quatre sont génériques, contre une sur trois seulement en France.
LA DIFFUSION DES G
É
N
É
RIQUES :
DES
SULTATS FRAN
ÇA
IS TROP MODESTES
6
Source : OCDE 2013
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Cour des comptes - La
curit
é
sociale
76
75
72
70
42
41
36
35
34
34
30
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18
16
0
10
20
30
40
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60
70
80
Allemagne
Royaume-Uni
Danemark
R
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p. Slovaque
Norv
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ge
OCDE 19
Finlande
Estonie
R
é
p. Tch
è
que
Espagne
Portugal
France
Suisse
Irlande
Italie
Part de
marché
des
génériques
en volume (%)
Seul le prononcé fait foi
10
Contrairement à ses voisins, la France n’a pas mobilisé l’ensemble des acteurs
: le modèle
actuel de diffusion des médicaments génériques, fondé presque exclusivement sur des
incitations financières envers les pharmaciens, est non seulement à bout de souffle, mais
aussi extrêmement coûteux. Pour deux euros d’économies, un euro est versé aux
pharmaciens.
Une nouvelle approche s’impose, qui passe par une plus grande responsabilisation des
médecins prescripteurs tout
en améliorant fortement l’information des patients. Par ailleurs,
les révisions des tarifs de ces médicaments doivent être réalisées plus énergiquement. Il
conviendrait enfin d’augmenter la part des médicaments substituables et de supprimer à
terme le mécanisme actuel de répertoire des médicaments génériques, qui limite
artificiellement les possibilités de substitution. La Cour estime que l’ensemble de ces
recommandations pourrait procurer jusqu’à 2
Md€ par an d’économies à l’assurance
maladie.
Des économi
es significatives peuvent aussi être attendues d’une gestion plus rigoureuse de la
dépense liée aux
dispositifs
médicaux
(
diapo 7
), soit plus de 80
000 produits d’une très
grande diversité, allant des pansements aux fauteuils roulants.
En ville, cette dépense
a progressé trois fois plus vite que l’ONDAM entre 2000 et 2012, pour
atteindre plus de 5
Md€ à la charge de l’assurance maladie. Le vieillissement de la population,
le développement du maintien à domicile, les évolutions épidémiologiques ou les progrès
techniques ne suffisent pas à expliquer ce dynamisme très important. Cette catégorie de
dépenses est de fait insuffisamment suivie et régulée par les pouvoirs publics, avec pour
résultat des économies tardives et modestes. Selon des études de la Caisse nationale
d’assurance maladie des travailleurs salariés, sous réserve d’expertiser certaines de leurs
LES DISPOSITIFS M
É
DICAUX EN VILLE :
UNE D
É
PENSE PARTICUL
REMENT DYNAMIQUE
7
Source : Cour des comptes
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109%
34%
2000
2012
Total dispositifs
médicaux en ville
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é
alis
é
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sociale
Depuis 2000, les d
é
penses li
é
es aux dispositifs m
é
dicaux en ville
ont progress
é
trois fois plus vite que l
Ondam
Seul le prononcé fait foi
11
conclusions, les tarifs de prise en charge de certains dispositifs seraient substantiellement
supérieurs à ce qui peut être constaté à l’étranger.
Une gestion beaucoup plus active de ces dispositifs est possible, fondée sur une organisation
repensée, des procédures simplifiées, des moyens renforcés et la recherche de baisses de
prix plus ambitieuses, selon des priorités recentrées autour d’objectifs pl
us clairs. La baisse
d’un point seulement du rythme de progression de la dépense permettrait de dégager une
économie de 250
M€ annuels
, et ce dès 2017.
L’hôpital
, qui représente plus de 75
Md€ de dépenses d’assurance maladie, n’a jusqu’ici été
soumis qu’à
des contraintes relativement modestes et ne saurait être exonéré des efforts qui
s’imposent déjà en matière de soins de ville. Des gains d’efficience de grande ampleur y
sont possibles en reconsidérant des pratiques souvent «
hospitalo-centrées
» et en
red
éfinissant l’articulation des prises en charge entre médecine de ville et hôpital. L’exemple
de la chirurgie ambulatoire étudié l’an dernier le met en lumière.
L’enjeu de cette ré
-articulation des prises en charge est pourtant majeur (
diapo 8
).
Les
urgences hospitalières
, que la Cour a examinées cette année dans le prolongement de
son analyse l’an dernier de la permanence des soins en ville, en offrent une illustration. Elles
ont enregistré en 2012 plus de 18 millions de passages, soit 30 % de plus en dix ans. Face à
cette augmentation continue, la solution a été trop souvent recherchée dans la mobilisation
d’importants moyens supplémentaires. Certes, des situations de tension persistent. Toutefois,
y remédier ne suppose pas l’allocation de nouveaux finan
cements mais une meilleure
définition de la place et du rôle des services d’urgence dans le système de soins. Un passage
sur cinq n’a pas nécessité d’autre acte qu’une consultation soit, en première analyse, de
l’ordre de 3,6
millions de «
passages évitables
». Leur réorientation vers la médecine
ambulatoire pourrait se traduire par une moindre dépense dont l’ordre de grandeur, à
confirmer bien sûr, pourrait atteindre environ 500
M€. Encore faut
-
il notamment qu’aboutisse
LES URGENCES HOSPITAL
RES : UNE HAUSSE DE 30 %
DE LA F
QUENTATION EN 10 ANS
8
Source : DREES
17/09/2014
Cour des comptes - La
curit
é
sociale
12
14
16
18
20
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Nombre de passages
aux urgences (en M
)
Seul le prononcé fait foi
12
rapidement la révision indispensable
de la tarification des services d’urgence
: en effet, le
dispositif actuel incite plus à l’activité qu’il n’encourage les efforts de régulation.
Une problématique du même ordre a été constatée par la Cour dans l’analyse qu’elle
consacre à la prise en charge de la maternité (
diapo 9
).
Les différentes composantes de
la dépense d’assurance
-maternité
progressent à un rythme
soutenu alors que le nombre des naissances reste stable. Malgré un effort supplémentaire
d’1,5
Md€ par rapport à une simple prise en charge au titre de l’assurance maladie, nos
indicateurs de périnatalité sont moins bons que ceux de la plupart de nos voisins. Or réduire
encore la durée moyenne de séjour en maternité est possible. Cette durée est en effet
supérieure d’un tiers
à celle constatée en moyenne à l’étranger
: l’alignement sur cette
moyenne entraînerait une économie brute de plus de 300
M€. La Cour recommande donc de
modifier les modalités de tarification de l’accouchement, qui n’incitent pas à la réduction de la
durée des séjours en maternité. Elle recommande aussi de trouver un meilleur équilibre entre
suivi pré- et post-
natal, en développant notamment l’accompagnement du retour à domicile
des femmes venant d’accoucher.
Plus généralement, les efforts de gestion et de réorganisation des établissements
hospitaliers doivent substantiellement se renforcer pour que des gains de productivité leur
permettent de faire face à la croissance de leurs charges
dans le contexte d’un
ralentissement annoncé de la progression de l’OND
AM. Les
dépenses de personnel
médical et non médical des hôpitaux publics
, qui ont atteint près de 42
Md€ en 2012 pour
un effectif d’un million de personnes, constituent leur premier poste de
dépenses (64 %).
Elles représentent ainsi un enjeu central. Dans la période récente,
l’augmentation de
la
masse salariale des hôpitaux
s’est
fortement ralentie par rapport au début des années 2000,
en dépit
de l’
augmentation des effectifs, notamment médicaux, liée à la progression et à
l’alourdissement de l’activité. M
ais cette situation, facilitée par le gel du point de la fonction
publique et par l’importance des départs en retraite, apparaît fragile. De premiers signes de
relance de la dépense sont apparus en 2013. Au-
delà de l’augmentation des cotisations de
LA MATERNIT
É
:
UNE DU
E DE S
É
JOUR SUP
É
RIEURE
À
LA MOYENNE
9
Source : statistiques de l
OCDE sur la sant
é
2013 - du
e moyenne de
jour pour un accouchement normal en 2011 (ou ann
é
e la plus proche)
17/09/2014
Cour des comptes - La
curit
é
sociale
5,2
5,2
4,5
4,2
4,1
4,0
4,0
3,9
3,9
3,4
3,1
3,1
3,1
3,0
2,7
2,7
2,5
2,3
2,0
2,0
2,0
1,8
1,6
Hongrie
R
é
p. Slovaque
R
é
p. Tch
è
que
France
Belgique
Autriche
Gr
è
ce
Pologne
Suisse
Italie
Finlande
Allemagne
Norv
è
ge
OCDE 32
Danemark
Portugal
Espagne
Su
è
de
Irlande
Pays-Bas
É
tats-Uns
Islande
Royaume-Uni
Seul le prononcé fait foi
13
retraite employeurs,
le paiement d’une partie des heures accumulées sur les comptes
épargne temps du personnel hospitalier a pesé. Aucune donnée consolidée
n’existe
cependant sur le nombre de jours épargnés, de sorte que le caractère suffisant des
provisions comptables constituées dans cette perspective par les établissements (1
Md€ fin
2012) ne peut pas être vérifié.
Un pilotage plus ferme de la masse salariale par les administrations de tutelle est
indispensable, notamment en développant des outils de prévision
et d’analyse qui font
cruellement défaut. Les communautés hospitalières devraient aussi rechercher une gestion
plus efficiente, en mettant fin à des pratiques peu rigoureuses régulièrement constatées par
les chambres régionales des comptes : accélération des avancements, durée annuelle du
travail inférieure à la durée légale, recrutements onéreux de médecins intérimaires ou
contractuels…
L’amélioration des organisations internes, la redéfinition des cycles de travail, une maîtrise
accrue de l’absentéisme, la mise en place de dispositifs d’intéressement sont autant de leviers
à mobiliser. La nécessité d’accélérer les recompositions hospitalières n’est pas non plus à
négliger.
Les limites de ses compétences n’ont pas permis à la Cour de procéder à une analyse
détaillée des
dépenses de personnel des
cliniques privées
. Elle appelle néanmoins à la
réalisation d’études comparatives en ce domaine entre cliniques privées et hôpitaux publics.
L’assurance maladie doit ainsi concentrer les efforts de redressement des co
mptes sociaux.
Son déficit vient augmenter la dette sociale et fait peser sur les générations futures des
charges lourdes, sans que l’euro dépensé soit toujours justifié par les exigences de la santé
publique. Le retour rapide à l’équilibre est à notre por
tée, dès lors que les indispensables
réformes structurelles sont conduites.
Dans ce contexte, infléchir plus fortement et durablement une dépense qui progresse
nettement plus vite que la richesse nationale apparaît essentiel :
- pour moderniser notre système de soins dans toutes ses composantes ;
- et pour le rendre plus efficient et remettre en cause les actes inutiles.
*
Pour conclure, la Cour ne méconnaît ni ne mésestime en aucune façon les efforts des
pouvoirs publics, des administrations et des organismes de sécurité sociale pour moderniser
notre sécurité sociale, renforcer son efficience, améliorer la qualité du service rendu, la
rendre plus solidaire et plus forte.
Ces efforts portent leurs fruits. Des progrès indéniables sont constatés année après année
dans de nombreux domaines.
Mais la permanence des déficits sociaux est pernicieuse (
diapo 10
). Elle ronge comme un
poison à effet lent la légitimité même de notre système de sécurité sociale dont nous allons
dans un an, en octobre 2015, célébrer le 70
e
anniversaire.
Seul le prononcé fait foi
14
C’est pourquoi la Cour invite à une poursuite nette et à un approfondissement des efforts
déjà engagés.
*
Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent, à votre
disposition pour répondre à vos questions.
UNE DETTE SOCIALE TOUJOURS
É
LEV
É
E
10
Source : Cour des comptes
17/09/2014
Cour des comptes - La
curit
é
sociale
136,3
148,6
154,1
156,6
156,8
125
130
135
140
145
150
155
160
2010
2011
2012
2013
2014 (p)
Md
p
vision
LFRSS 2014