Chapitre VIII
Les conventions avec les professions
libérales de santé
: répondre aux besoins
des patients, mieux assurer l’efficience
de la dépense
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DÉPENSE
233
_____________________
PRESENTATION
_______________________
La France a développé un modèle spécifique visant à concilier un
exercice libéral des professions de santé avec un accès aux soins de ville
généralisé, garanti par une sécurité sociale organisant la solidarité
collective. Les conventions nationales passées depuis 1971 entre
l’assurance maladie et les différentes catégories de professionnels libéraux
en constituent un outil essentiel. L’enjeu financier en est significatif
: en
2013, au sein de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie
(ONDAM), le sous-objectif des soins de ville
235
s’est élevé en exécution à
79,4
Md€, soit 46
% du total.
Les conventions élaborées par profession revêtent un caractère
obligatoire une fois approuvées par arrêté ministériel, sauf refus
d’adhésion par le praticien concerné. Plus de 99
% des professionnels de
santé libéraux sont actuellement conventionnés
236
.
Le cadre de leur négociation a été profondément réformé par la loi
n° 2004-
810 du 13 août 2004 relative à l’ass
urance maladie.
La Cour a examiné les politiques conventionnelles développées à la
suite de cette réforme. Elle a centré son analyse sur cinq professions, qui
représentent l’essentiel des dépenses de soins de ville: médecins,
chirurgiens-dentistes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes.
Elle a constaté que les résultats de ces politiques sont insuffisants,
que ce soit en termes d’accès aux soins ou d’efficience dans leur
dispensation (I). Le système conventionnel doit être réorienté, pour le
recentrer sur les besoins des assurés sociaux et pour faciliter une
réorganisation des soins de proximité en développant les approches
interprofessionnelles (II)
237
.
235.
Les dépenses de soins de ville, au sens de l’ONDAM, couvrent à la fois des
dépenses liées aux professionnels de santé, comme leurs honoraires et des dépenses
sur lesquelles ils exercent une influence directe, comme les médicaments.
236. 17 conventions ou accords nationaux sont actuellement en vigueur. Selon les
données de la DREES, au 1
er
janvier 2014, environ 420 000 professionnels de santé
(professions m
édicales, auxiliaires médicaux, professions d’appareillage médical)
exercent totalement ou partiellement leur activité en libéral, dont 130 000 médecins.
237. La Cour a par ailleurs adressé le 30 juin 2014 à la commission des affaires
sociales du Sénat, à sa demande, une communication sur les relations entre
l’assurance maladie et les professions libérales de santé. Cette communication,
publiée le 11 juillet 2014, traite aussi d’autres aspects des politiques conventionnelles,
comme l’impact sur les revenus de
s professions de santé.
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234
I
-
Des résultats peu satisfaisants pour les patients
Au regard des préoccupations des assurés, les politiques
conventionnelles n’ont pas réussi à remplir les objectifs majeurs qui sont
au fondement même du dispositif depuis son institution. En effet, elles
n’ont pas empêché le développement des difficultés d’accès aux soins,
que ce soit en matière financière ou sur le plan géographique. Depuis
2004, l’élargissement du champ des négociations et la multiplication des
incitations financières à destination des professions de santé ont débouché
sur une grande complexité tarifaire sans que les gains d’effic
ience et de
qualité des soins, escomptés en contrepartie, soient tangibles.
A -
L’accès aux soins
: des actions tardives et trop
limitées
1 -
Des dépassements de tarifs en progression continue
Alors que le fondement originel du système conventionnel
était de
mettre en œuvre une opposabilité des tarifs
238
des
professionnels libéraux
pour faire bénéficier tous les assurés d’un égal
accès aux soins, la problématique des dépassements d’honoraires n’a
pas fait l’objet d’une priorité d’action.
De nombreux professionnels libéraux de santé, bien que
conventionnés, pratiquent en effet de façon courante des dépassements de
tarifs qui peuvent être importants : les médecins principalement pour ceux
qui relèvent du secteur 2, les chirurgiens-dentistes pour la partie de leur
activité liée aux soins prothétiques
239
.
a)
Les médecins : une absence prolongée de toute régulation
Les dépassements d’honoraires des médecins, autorisés depuis
1980 pour ceux relevant du secteur 2, soit 25
% d’entre eux, représentent
environ 2,4
Md€, dont 2,15
Md€ pour les spécialistes. Si la proportion
des généralistes inscrits en secteur 2 est passée de 16 % en 1985 à 13 %
238. La notion de tarifs opposables correspond aux tarifs conventionnels, reconnus
par
l’assurance
maladie
obligatoire,
sur
la
base
desquels
s’effectuent
les
remboursements aux assurés.
239. Sont communément distingués, dans les soins d
entaires, d’une part les soins
conservateurs permettant de soigner les dents malades ou d’entretenir les dents saines
et d’autre part les soins prothétiques visant à remplacer les dents enlevées.
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en 2005 et 9,5 % en 2013, celle des spécialistes est passée dans le même
temps de 30 % en 1985 à 38 % en 2005 et 43 % en 2013.
Les niveaux de dépassement ont significativement augmenté : le
taux de dépassement moyen a doublé depuis 1990 et s’établit à 56
% en
2013. Les dépassements ont été jusqu’alors peu contrôlés, dans la mesure
où ils ont été utilisés en réalité comme un élément modérateur de la
revalorisation des tarifs opposables. Les outils conventionnels ont échoué
à les endiguer
: l’option de coordination, mise en place par la convention
de 2005, a eu très peu de succès
240
; le secteur optionnel, prévu par la
convention de 2011 pour inciter à la limitation des dépassements dans les
spécialités de chirurgie, d’anesthésie et de gynécologie obstétrique, n’a
même pas été mis en place.
L’avenant n°
8 à la convention médicale, conclu en 2012, a
instauré un nouveau dispositif, le contrat d’accè
s aux soins (CAS). Les
médecins qui y adhèrent s’engagent à stabiliser leurs tarifs, à respecter un
taux maximum de 100 % de dépassement en moyenne et à avoir une part
d’activité à tarifs opposables supérieure ou égale à celle pratiquée avant
l’adhésion. Ils bénéficient en contrepartie d’une prise en charge de leurs
cotisations sociales, pour leurs actes à tarifs opposables, dans les mêmes
conditions que les médecins de secteur 1, ainsi que des revalorisations
décidées dans le cadre de la convention médicale de 2011.
Ce dispositif, entré en vigueur le 1
er
décembre 2013, avait recueilli
environ 10
700 adhésions en mars 2014. S’il est trop tôt pour en faire un
bilan, il suscite à ce stade plusieurs interrogations. Lors de son entrée en
application, 27 % des signataires provenaient du secteur 1
241
: le CAS a
donc paradoxalement augmenté le nombre de médecins autorisés à
pratiquer des dépassements et contribue à vider le secteur 1 des
spécialistes qui y restaient encore. Par ailleurs, son mécanisme est peu
contraig
nant pour les médecins de secteur 2, en ne les engageant qu’à un
gel de la moyenne de leur dépassement et à un maintien de leur activité à
tarif opposable. En fixant aux médecins qui y souscrivent un plafond à
100 % pour le taux de dépassement maximum admis, il recèle un risque
de demande de solvabilisation de dépassements élevés : certains syndicats
de médecins sollicitent une prise en charge des dépassements effectués
240.
Le praticien devait s’engager à appliquer les tarifs
opposables pour les actes
cliniques et à limiter les dépassements à 15 % (puis 20 %) pour les actes techniques,
en contrepartie d’une prise en charge par l’assurance maladie des cotisations sociales
dans les mêmes conditions que le secteur 1.
241.
Il s’agit d’une concession faite aux médecins spécialistes, anciens chefs de
clinique qui, alors qu’ils disposent des titres permettant d’exercer en secteur 2, étaient
bloqués en secteur 1.
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dans le cadre du CAS par les assureurs complémentaires et surtout une
obligation de remboursement par ceux-ci dans le cadre des « contrats
responsables »
242
.
L’avenant n°
8 met également en place une procédure de sanction
pour les dépassements jugés excessifs. L’appréciation de ce caractère
excessif reste toutefois très souple
243
. Il est à craindre que ce mécanisme
ne permette qu’une action à la marge sur les cas extrêmes. La procédure
est lourde et
la décision du directeur de la caisse primaire d’assurance
maladie est contrainte par les avis des commissions paritaires, réunissant
représentants de
l’assurance maladie et syndicats médicaux signataires de
l’avenant, auxquelles il revient d’indiquer la sanction maximale
: cette
stipulation est une limite forte à l’action de l’assurance maladie. À cet
égard, le déconventionnement, temporaire ou pour la durée de la
convention, ne devrait pas être écarté pour les cas abusifs.
Si la CNAMTS a enregistré en 2013, avant même sa mise en
œuvre, un début de baisse des dépassements les plus élevés, la poursuite
de ce mouvement dépend en effet du caractère vraiment dissuasif du
nouveau dispositif. De ce point de vue les premières sanctions seront
décisives pour sa crédibilité.
b)
Les chirurgiens-dentistes : une couverture des soins dentaires qui
ne cesse de se dégrader
La prise en charge des soins dentaires par l’assu
rance maladie,
après avoir progressé jusqu’aux années 70 pour atteindre 55
%, a
progressivement reculé et s’établissait à 31,5
% en 2012. La Cour avait
relevé en 2010 que seulement 18 % du coût des actes prothétiques étaient
pris en charge
244
. En effet, à pa
rtir des années 80, en contrepartie d’une
progression faible du tarif des soins conservateurs, les honoraires ont été
laissés
libres
sur
les
soins
prothétiques
et
orthodontiques.
En
242.
Définis à l’article L.
871-1 du code de la sécurité sociale, les « contrats solidaires
et responsables
» proposés par les organismes complémentaires d’assurance maladie
doivent respecter certaines obligations et interdictions de prise en charge, en
contrepartie de quoi ils bénéficient d’un régime fiscal et social favorable.
243 . Le caractère excessif est apprécié au regard de tout ou partie des critères
suivants : taux de dépassement, taux de croissance annuel, fréquence des actes avec
dépassement, variabilité des honoraires pratiqués, dépassement moyen annuel par
patient, en tena
nt compte de la spécialité, du lieu d’exercice et du niveau de
compétence.
244. Cour des comptes,
Rapport sur l’application des lois de financement de la
sécurité sociale pour 2010
, chapitre XIII : les soins dentaires, p. 317-350, La
Documentation française, septembre 2010, disponible sur
www.ccomptes.fr
.
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237
conséquence, le prix des soins prothétiques a très fortement augmenté et
la part des dépassements dans le total des honoraires a continuellement
progressé, passant de 47,6 % en 2004 à 53 % en 2012, soit 4,7
Md€.
Or, si l’intention affichée de rééquilibrer la rémunération et le
financement des soins dentaires, en l’associant à un
effort de maîtrise des
tarifs des prothèses, est ancienne, les conventions dentaires ont laissé se
développer le déséquilibre et ses effets pervers sans y remédier.
Dans le cadre de la convention de 2006, les soins conservateurs
avaient été revalorisés e
n contrepartie d’une participation de l’assurance
maladie aux cotisations sociales des chirurgiens-dentistes limitée aux
seuls honoraires correspondant à des tarifs remboursables. Toutefois la
revalorisation n’a pas privilégié les soins conservateurs les p
lus précoces,
destinés à limiter à terme les extractions et la pose de prothèses, mais des
soins nécessités par des pathologies dentaires avancées et qui constituent
souvent des actes « pré-prothétiques » ainsi que les extractions elles-
mêmes. Par ailleurs
, la profession s’était engagée à ce que cette
réaffectation ne se traduise pas par une augmentation des prix des soins
prothétiques
: cet engagement n’a pas été tenu.
Des mesures récentes (avenant n° 2 de 2012 et avenant n° 3 de
2013) ont abouti à la mise en place de la classification commune des actes
médicaux pour l’activité bucco
-
dentaire afin de remplacer l’ancienne
nomenclature devenue obsolète. Toutefois, la transposition des actes
accomplis par les chirurgiens-dentistes et les tarifs remboursables liés à
ces actes s’est faite sans que la nature des actes remboursables ni leur
hiérarchisation n’évoluent.
Les nouvelles dispositions introduisent certes plus de transparence
en permettant une meilleure traçabilité des actes. Cependant, la poursuite
de la
revalorisation des soins conservateurs et l’alignement du tarif de la
consultation dentaire sur celle des médecins généralistes en 2012 n’ont
pas eu pour contrepartie des engagements plus contraignants de maîtrise
des dépassements en matière de soins prothétiques. Le patient continue de
voir s’éroder sa couverture sociale. Ce secteur a été, de fait, laissé en
déshérence, avec un risque de conséquence grave à terme sur la santé
bucco-dentaire des assurés.
2 -
Une contribution restreinte à une meilleure répartition
géographique des professionnels libéraux
Les professionnels de santé libéraux sont inégalement répartis sur
le territoire. Les négociations conventionnelles n’ont que récemment
intégré cette dimension géographique de l’accès aux soins. Si quelques
tent
atives antérieures ont concerné les médecins, c’est à partir de 2008
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238
que des mesures, permises par des modifications du code la sécurité
sociale, ont été mises en place, visant à concilier le principe de la liberté
d’installation avec la préservation d’un
égal accès aux soins pour les
patients.
Pour les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-
femmes, le dispositif s’articule autour de deux axes
: d’une part des
incitations financières en zones sous-denses dans le cadre de contrats
incitatifs
; d’autre part une restriction de l’accès au conventionnement en
zones sur-
denses, cet accès n’étant possible qu’en remplacement d’une
cessation définitive d’activité.
Ce double dispositif, qui a constitué une avancée significative, a
d’abord été mis en p
lace pour les infirmiers libéraux en 2008 : ceux-ci
connaissent en effet une croissance démographique forte et très
inégalement répartie, avec une densité allant de 1 à 7 suivant les
départements. Les masseurs-kinésithérapeutes ont été la deuxième
profession concernée, les écarts de densité allant de 1 à 4. Toutefois les
dispositions limitant leur installation en zones sur-denses ont été
récemment remises en cause par le Conseil d’État
245
.
Pour les médecins, les mesures mises en œuvre sont purement
incitatives. Pourtant, des déséquilibres démographiques importants
existent également : les littoraux et les centres villes sont en règle
générale bien pourvus, alors que les zones rurales, de montagne, mais
aussi certains quartiers urbains le sont moins voire doivent faire face à
des situations difficiles. La densité des généralistes rapportée à la
population va de 1 à 2 suivant les départements, celle des spécialistes de 1
à 7. L’avenant n°
20 à la convention médicale de 2005, signé en 2007,
avait déjà prévu un dis
positif qui s’est avéré très coûteux pour un résultat
extrêmement faible
246
. La convention de 2011 a mis fin à cette option et
245. CE, 17 mars 2014,
Syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs des
Landes
. Le Conseil d’État a jugé que les dispositions du code de la sécurité sociale ne
permettaient pas, au contraire des infirmiers, l’adoption par les partenaires
conventionnels de mesures limitant les possibilités de conventionnement en fonction
de la zone d’installation.
246.
Création d’une option conventionnelle dans le cadre de laquelle
les honoraires
des médecins généralistes exerçant dans les zones sous-médicalisées pouvaient être
majorés de 20 %. Entre 2007 et 2010 le coût de cette option a été de 20
M€ par an,
soit 25 000
€ par médecin. Or, seuls 60 nouveaux médecins se sont installés
dans les
zones concernées : le dispositif a essentiellement constitué un avantage pour les
médecins déjà en place.
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239
a institué deux nouvelles formules incitatives à l’installation en zones
sous-denses
: l’option démographie et l’option santé
-solidarité
247
.
Les accords conclus en 2012 avec les chirurgiens-dentistes et les
orthophonistes
comportent
de
même
des
mesures
exclusivement
incitatives relatives aux zones sous-
denses. Les autres professions, n’ont
pas fait l’objet de mesures conventionnelles de
régulation des
implantations. Si la convention de 2012 avec les pharmaciens comporte
un sous-titre visant à «
organiser la gestion de l’évolution du réseau des
officines
», les travaux de mise en œuvre de ces stipulations restent en
suspens.
Même si le recul manque encore pour apprécier leur impact, la
mise en œuvre des contrats incitatifs a, en l’état, essentiellement bénéficié
aux professionnels déjà installés (pour les infirmiers, à fin 2012, 74 % des
contrats santé solidarité et 89 % des contrats incitatifs infirmiers qui leur
ont succédé ; pour les masseurs-kinésithérapeutes, 94 % des contrats).
Pour les médecins, l’option démographie avait recueilli 1732 adhésions
en 2013, l’option santé solidarité seulement 22. Dans les zones sur
-
dotées, des installa
tions précipitées d’infirmiers et de masseurs
-
kinésithérapeutes ont en outre été constatées avant l’entrée en vigueur des
mesures et le nombre de dossiers traités est encore peu significatif pour
améliorer sensiblement la répartition des professionnels
248
.
L’approche reste en outre incomplète, notamment pour les
médecins spécialistes
: l’analyse de l’accès aux médecins spécialistes,
prévue par l’avenant n°
8 à la convention médicale, n’a pas été réalisée.
L’assurance
-
maladie, dès lors qu’elle apporte aux pro
fessionnels
une très large part de leur revenu, est légitime à orienter les installations
et les remboursements là où il y a des besoins constatés, mais n’a pas
mobilisé tous les leviers conventionnels pour permettre d’atteindre ces
objectifs. Le conventionnement ne devrait en tout état de cause pas être
considéré comme un droit automatique, comme il l’est actuellement, mais
devrait correspondre à un besoin effectif de soins pris en charge par
l’assurance maladie. La possibilité de rendre le conventionnemen
t
conditionnel devrait être élargie en permettant par la loi d’étendre cette
247.
L’option démographie cherche à inciter les médecins à s’installer ou à maintenir
leur cabinet de groupe ou organisé en pôle en zone sous-
dotée et l’option santé
solidarité aide ceux exerçant dans d’autres zones à venir prêter main forte aux
médecins exerçant en zones sous-dotées.
248. De premières inflexions ont néanmoins été constatées pour les infirmiers : la
CNAMTS a indiqué début juin 201
4 que depuis 2012 le nombre d’infirmiers s’était
accru de 198 dans les zones sous-dotées et avait baissé de 295 dans les zones sur-
dotées.
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240
orientation à toutes les professions dans les zones en surdensité et utilisée
plus résolument afin de favoriser une meilleure répartition des
professionnels sur le territoire en fonction des besoins effectifs des
patients.
L’Allemagne a ainsi mis en place, en accord avec les professions
concernées, un système de répartition des professionnels sur le territoire.
L’implantation territoriale des professions médicales en Allemagne
L'accès à la médecine de ville conventionnée n'est plus libre en
Allemagne depuis la loi du 21 décembre 1992 sur la structure du système
de santé. Dans chaque Land, une commission paritaire rassemblant des
représentants des médecins et des caisses de sécurité sociale délivre des
autorisations d’installation, qui sont attribuées en fonction des directives
d’une instance fédérale, paritaire elle aussi. Ces directives définissent des
quotas de médecins pour quelque 400 territoires et pour une quinzaine de
spécialités médicales soumises à restriction. Dans un territoire donné,
l’installation n’est possible que si le nombre de médecins de la spécialité
considérée ne dépasse pas 110 % du quota.
La commission du Land publie périodiquement un tableau
indiquant les possibilités d'installation. En 2013, dans la plupart des
circonscriptions, aucune installation de spécialiste n'était possible. En
revanche, un cabinet de généraliste pouvait être ouvert dans les deux tiers
des circonscriptions.
Cette règle de base est assortie d'exceptions. La première permet
aux médecins qui prennent leur retraite de vendre leur cabinet, même si de
nouvelles
installations
sont
théoriquement
impossibles
dans
la
circonscription. La deuxième exception donne à la commission paritaire
régionale la faculté d'accepter de nouvelles installations lorsque les
médecins d'une sous-spécialité sont en nombre insuffisant, ou de prendre
en compte des disparités géographiques à l'intérieur d'une circonscription
globalement bien pourvue. Une troisième exception permet l'installation
comme membre d'un cabinet de groupe, l'installation étant alors
subordonnée à la limitation du volume d'activité.
Source
:
rapport
d’information
pour
la
commission
du
développement durable du Sénat, « Déserts médicaux : agir vraiment »,
M. Hervé MAUREY, rapporteur, février 2013.
B - Une ambition élargie, des résultats modestes
1 -
Une diversification des rémunérations à l’impact réduit sur les
pratiques
La diversification des modes de rémunération a constitué une
innovation importante pour intégrer des objectifs de santé publique et de
gestion du risque dans certaines conventions. Ces mesures visent aussi à
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DÉPENSE
241
un meilleur suivi individualisé des patients. Leur impact sur les pratiques
reste toutefois pour l’instant réduit.
Pour les médecins,
si le paiement à l’acte reste en France le socle
de leur rémunération, la convention de 2011 a marqué une évolution vers
un mode de rémunération mixte qui comporte trois piliers
: l’acte, la
rémunération à la performance sur objectifs de santé publique (ROSP) et
la rémunération forfaitaire. Cette diversification a rapidement pris de
l’importance dans leur rémunération globale
: en 2013, la part des
rémunérations liées à la performance et aux forfaits, rapportée au total des
honoraires sans dépassement, était de 12,3 % pour les médecins
généralistes, dont 3,9 % liés à la première année de paiement de la
rémunération sur objectif de santé publique
249
.
La rémunération à la performance avait été expérimentée dans le
cadre des contrats d’amélioration des pratiques
individuelles (CAPI),
lancés en 2009 hors convention. Sa généralisation, décidée par la
convention de 2011, couvre deux dimensions
: l’organisation des
cabinets, qui concerne tous les médecins ; la qualité de la pratique
médicale, d’abord appliquée aux méd
ecins traitants et qui a vocation à
s’étendre à l’ensemble des spécialités
250
. La performance individuelle
des médecins est mesurée par une batterie d’indicateurs (29 au total pour
les généralistes), la rémunération étant versée sur la base d’objectifs et de
barèmes définis pour chaque indicateur.
En
2013,
les
médecins
généralistes
ont
bénéficié
d’une
rémunération moyenne liée à la ROSP de 5 480
€ (+15,3
% par rapport à
2012), soit une dépense brute totale de 341
M€.
La crédibilité du système et son bénéfice pour les patients
dépendent en grande partie du degré d’exigence retenu pour apprécier le
niveau de performance et de la fixation des objectifs-cibles. Il peut se
révéler coûteux sans pour autant contribuer à l’amélioration effective de
la santé publique si le niveau de performance a été sous-estimé, avec
notamment pour conséquence de permettre aux intéressés de percevoir
automatiquement une partie de cette rémunération complémentaire.
Ainsi, les cinq indicateurs relatifs à l’organisation du cabinet sont
p
our l’essentiel des incitations financières à son informatisation. 80 % des
249. La ROSP payée en 2013 correspondait aux résultats des médecins constatés en
2012. Seuls 2,8 % des médecins généralistes et 4,4 % des médecins spécialistes ont
refusé la ROSP, comme la convention de 2011 leur en donnait la possibilité.
250 .
C’est déjà le cas pour les cardiologues depuis 2012 et pour les gastro
-
entérologues depuis 2013.
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242
omnipraticiens ont été éligibles à une rémunération de ce type dès la
première année, ce qui pose la question de l’intérêt de maintenir à terme
cet avantage dans un environnement a
ujourd’hui de plus en plus
informatisé. La qualité de la pratique, pour sa part, porte sur neuf
indicateurs de suivi des pathologies chroniques, huit de prévention et sept
d’efficience dont cinq concernent la prescription dans le répertoire des
génériques. Seules deux pathologies chroniques ont été retenues pour
apprécier la qualité des pratiques
: le diabète, qui fait l’objet à lui seul de
huit indicateurs et
l’hypertension. Par ailleurs, si des progrès sont
observés sur les indicateurs de pathologies chroniques au terme des deux
premières années de mise en application de la ROSP, les résultats sont
moins satisfaisants en matière de prévention (notamment pour la grippe et
le dépistage de certains cancers).
Aucune conséquence négative n’est attachée au non
-respect des
objectifs en matière de qualité de la pratique : une solidarité entre les
indicateurs, permettant de calculer l’avantage final en fonction de
l’ensemble des résultats par solde entre les impacts positifs et négatifs,
renforcerait le caractère incitatif du dispositif.
Les médecins traitants bénéficient également de rémunérations
forfaitaires assises sur la composition de leur patientèle. En application
des conventions de 2005 et de 2011, les caisses leur versent une
rémunération annuelle de 40
€ p
ar patient en affection de longue durée
(ALD) et de 5
€ hors ALD, de 5
€ supplémentaires par consultation pour
les patients âgés
251
et de 23
€ annuels par patient diabétique suivi dans le
cadre du programme Sophia
252
. Ces formules successives, jamais
évaluées, tendent, en se sédimentant, à complexifier le système. Source
de dépenses nouvelles, ces forfaits seraient à assortir de contreparties
vérifiables
: ils s’ajoutent en effet à la rémunération à l’acte et
discriminent les médecins selon la nature de leur patientèle.
La rémunération sur objectifs des pharmaciens, introduite par la
convention de 2012, couvre pour sa part trois domaines : la dispensation
de spécialités génériques
253
,
la modernisation des officines et la
promotion de la qualité de la dispensation. Ce dernier axe porte
notamment
sur
la
prévention
des
risques
iatrogéniques
et
251. Patients de plus de 85 ans à partir du 1
er
juillet 2013, puis patients de plus de 80
ans à compter du 1
er
juillet 2014.
252. Ce programme, mis en place par la CNAMTS, vise à accompagner les patients
atteints de pathologies chroniques - en premier lieu le diabète - pour mieux les suivre
et prévenir les complications.
253. Sur ce point, voir le chapitre IX - la diffusion des médicaments génériques : des
résultats trop modestes, des coûts élevés.
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ES CONVENTIONS AVEC LES PROFESSIONS LIBÉRALES DE SANTÉ
:
RÉPONDRE AUX BESOINS DES PATIENTS
,
MIEUX ASSURER L
’
EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
243
l’accompagnement des patients atteints de maladies chroniques. Cet
accompagnement se met en place progressivement et concerne pour
l’instant les patients placés sous certains an
ticoagulants oraux
254
et les
patients asthmatiques. Dans les deux cas, le pharmacien est éligible à la
rémunération sur objectifs (40
€ par patient concerné) dès lors qu’il
réalise au moins, avec chaque patient concerné, deux entretiens
pharmaceutiques au co
urs de l’année. Le coût de la rémunération à la
performance est déjà significatif puisqu’il s’établissait en 2012 à
113,5
M€.
Un honoraire de dispensation des médicaments, versé directement
par l’assurance maladie, est en outre en cours de mise en place
255
. Si cet
honoraire doit rester neutre sur les dépenses de l’assurance maladie par
une réforme de la « marge dégressive lissée » dont les pharmaciens
bénéficient sur les boîtes de médicaments, il reste corrélé pour sa quasi-
totalité à la boîte vendue, alors q
u’il était l’occasion de déconnecter la
rémunération du volume de vente et de construire une politique incitant à
l’efficience des pratiques, centrée sur les patients.
2 -
Une complexité tarifaire sans cesse accrue
La Cour a déjà relevé à plusieurs reprises la complexité et le
caractère peu lisible, pour les assurés, des tarifs et des modes de prise en
charge des soins
256
.
La politique conventionnelle avec les médecins est axée depuis
2005 sur la définition d’un parcours de soins devant permettre, en
conférant un rôle pivot au médecin traitant, une prise en charge globale
du patient et son orientation au sein du système de soins. Les dispositions
de la convention médicale de 2005 ont compliqué le schéma de la
réforme de 2004 relative au parcours de soins coordonné. Elles ont en
effet mis en place des mécanismes tarifaires complexes reposant sur le
principe de responsabilisation des assurés, beaucoup plus que sur celle
254.
La convention n’a retenu qu’un seul type d’anticoagulants, les antivitamines K.
Or de nouveaux anticoagulants oraux (NACOs) se développent et leur mésusage peut
également être source de problèmes.
255. Avenant n° 5 du 21 mai 2014. Le schéma retenu consiste à transférer dans le
champ conventionnel, sous forme
d’honoraire, de l’ordre de 45
% de la marge sur les
médicaments remboursés.
256. Cour des comptes,
Rapport sur l’application des lois de financement de la
sécurité sociale pour 2007
, chapitre VII : l
a nouvelle gouvernance de l’assurance
maladie, septembre 2007 ;
Rapport public annuel 2013
, chapitre 3 : Le médecin
traitant et le parcours de soins coordonnés : une réforme inaboutie
,
février 2013, La
Documentation française, disponibles sur
www.ccomptes.fr
.
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OUR DES COMPTES
244
des praticiens. Les médecins dits « correspondants » bénéficient pour leur
part de divers types d
e majorations d’honoraires, selon qu’il s’agit d’un
avis ponctuel ou de soins séquencés ou itératifs.
La convention médicale de 2011 et ses avenants ont encore
augmenté la complexité du système tarifaire, pour les actes techniques
mais aussi pour les actes cliniques. Une série de revalorisations ciblées
ont été décidées dans le cadre de la rémunération à l’acte, en instituant
par exemple des consultations à haute valeur ajoutée de santé publique.
L’avenant n°
8 a de même procédé à des revalorisations pour la prise en
charge de patients nécessitant un suivi particulier dans le cadre du
parcours de soins
: création d’une consultation majorée de suivi de sortie
d’hospitalisation en court séjour des patients à forte comorbidité (2C)
;
consultation majorée pour le suivi des patients insuffisants cardiaques
ayant été hospitalisés pour un épisode de décompensation (2C) ;
rémunération forfaitaire de 5
€ par consultation ou visite des patients
âgés ; revalorisation de certaines consultations de pédiatres.
Si, prises isolément, chacune de ces mesures peut paraître trouver
une justification, le parcours de soins s’effectue dès lors dans un maquis
tarifaire difficilement lisible et sur lequel le patient reste peu informé. En
revanche l’assurance maladie n’a pas recouru à d’autres leviers pourtant à
sa disposition pour concourir à la réalisation des objectifs des politiques
conventionnelles.
Médecins, chirurgiens-dentistes et auxiliaires médicaux bénéficient
en effet de la prise en charge, par l’assurance maladie, d’une par
t
significative de leurs cotisations sociales. Cette prise en charge, qui
remonte aux années 60, a été progressivement étendue même à certains
praticiens de secteur 2, ceux qui ont signé un contrat d’accès aux soins.
Ces avantages sociaux, qui s’apparenten
t à des cotisations employeurs,
constituent une contribution substantielle au revenu des professions de
santé
257
et sont coûteuses pour l’assurance maladie (2,2
Md€ en 2013).
Ils sont insuffisamment mis au service des politiques conventionnelles.
Les prises
en charge de cotisations s’élargissent continûment au gré des
négociations avec les différentes professions au lieu d’être modulées
fortement en fonction d’objectifs de meilleure prise en compte des
besoins des patients et de qualité des pratiques.
257. Ils équivalaient en 2010 à près de 18
% des revenus d’un
médecin généraliste,
entre 10 et 11 % pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes, plus de 7 %
pour les dentistes.
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EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
245
II
-
Un système conventionnel à réorienter
Les
résultats
limités,
pour
les
patients,
des
politiques
conventionnelles, conduisent à s’interroger sur l’adaptation de leur cadre
comme sur leur contenu pour qu’elles contribuent davantage à la
meilleure efficience des
soins de ville et à l’équilibre financier de
l’assurance maladie.
A - Redéfinir le cadre des négociations
Des négociations très cloisonnées n’ont pas permis de réformer
l’organisation des soins
et la nouvelle gouvernance prévue par la loi de
2004 a, dans sa p
ratique, débouché sur un jeu d’acteurs brouillé
permettant difficilement de mettre en œuvre une stratégie claire.
1 -
Un dispositif conventionnel très éclaté
a)
Des négociations nombreuses et très séquencées retardant les
approches interprofessionnelles
Les
conventions
avec
les
principales
professions
sont
régulièrement renégociées et font surtout l’objet de multiples avenants.
Ainsi, la convention passée avec les médecins en 2005 a fait l’objet de
32 avenants et celle passée en 2011 en compte déjà 11. Les conventions
passées en 2007 respectivement avec les infirmiers et avec les masseurs-
kinésithérapeutes comportent chacune cinq avenants et celle passée avec
les pharmaciens en 2012 en comptait déjà cinq en mai 2014.
Cette succession rapide de textes s’explique no
tamment par la mise
en œuvre des multiples axes des politiques conventionnelles. Il en a
résulté une inflation de négociations en raison d’un traitement très
séquencé, donnant lieu à un enchaînement quasi-ininterrompu de
« colloques singuliers
» entre l’as
surance maladie et chaque profession. Si
la forte segmentation des négociations peut comporter des avantages en
permettant une maturation des problématiques à des rythmes différents et
une diffusion par l’exemple, elle présente également des inconvénients.
Elle est mobilisatrice de temps et d’énergie
et est susceptible de multiplier
les avantages accordés sans contreparties suffisantes. En outre, elle nuit à
la pérennité des dispositifs qui peuvent être rapidement modifiés voire
fréquemment remplacés sans même avoir pu réellement être mis en
œuvre ou sans qu’un bilan en ait été établi.
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OUR DES COMPTES
246
De ce fait, l’efficience du système de soins a été insuffisamment
améliorée. Des négociations trop exclusivement en «
tuyaux d’orgues
»
ont fait obstacle à une meilleure organisation des soins de proximité, à la
redéfinition de certaines fonctions pour répondre à l’évolution des besoins
des patients et à une articulation des prises en charge entre la ville et
l’hôpital. Elles ont fortement retardé l’émergence des approches
interprofessionnelles.
Il aura fallu en effet attendre dix ans, après la loi de 2002 qui en
prévoyait
la
conclusion,
pour
qu’un
premier
accord
-cadre
interprofessionnel (ACIP) voie le jour
258
. Encore le contenu de cet
accord,
conclu
en
mai
2012,
reste-t-il
très
pauvre,
exposant
essentiellement des déclarations d’intention. Il ne joue pas le rôle de socle
des conventions particulières, contrairement à l’architecture imaginée par
la réforme de 2002.
La loi de 2004 a prévu un autre mode de contractualisation
interpr
ofessionnelle à géométrie variable sous la forme d’accords
conventionnels
interprofessionnels
(ACI)
intéressant
plusieurs
professions désireuses de renforcer la coordination des soins. Ce n’est que
dans le cadre des négociations en cours sur les soins de proximité,
ouvertes en 2014 sous l’impulsion des pouvoirs publics, que ce cadre
devrait pour la première fois être utilisé. L’assurance maladie, craignant
des
surenchères
entre
professions
et
les
principaux
syndicats
représentatifs, soucieux d’obtenir des m
esures et avantages spécifiques,
ont préféré jusque-là rester dans le cadre de négociations particulières.
b)
Des mesures coûteuses insuffisamment suivies
L’éclatement du dispositif conventionnel fait en outre obstacle à
une vision globale et claire du coût des politiques conventionnelles et
complique leur suivi. L’extension du champ des négociations a en effet
un coût. La seule augmentation des lettres-clés déterminant les tarifs à
l’acte
n’est
pas
représentative
du
bilan
global
des
politiques
conventionnelles : les négociations portent de manière croissante sur des
avantages annexes accordés en contrepartie des nombreux dispositifs mis
en place ou prévus sur des thématiques variées.
258. Prévu par la loi n° 2002-322 du 6 mars 2002 portant rénovation des rapports
conventionnels entre les professions de santé libér
ales et les organismes d’assurance
maladie, l’ACIP, conclu pour une durée de cinq ans, fixe des dispositions communes
à l’ensemble des professions et peut déterminer des mesures relatives à la qualité des
soins et à leur meilleure coordination, ainsi qu’à
la santé publique.
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EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
247
En coût net de sortie de négociation, la convention médicale de
2011 et ses avenants ont généré 647,1
M€ de dépenses annuelles
supplémentaires.
Deux
textes
ont
eu
une
portée
financière
particulièrement importante : la convention de 2011 elle-même, qui a
notamment mis en place la ROSP et procédé à des revalorisations ciblées
de consultations dites à haute valeur ajoutée
; l’avenant n°
8, qui prévoit
notamment une revalorisation progressive de certains actes, avec pour
contrepartie dont on a vu les limites, la mise en place du contrat d’accès
aux soins et des procédures relatives aux dépassements excessifs.
Tableau n° 64 :
Coût de la convention médicale de 2011
Texte
Coût des mesures en sortie de négociation
Convention de 2011
386
M€ (dont 85 en 2012)
Avenant n° 4
- 52,6
M€
Avenant n° 5
45
M€ (12
M€ en 2012, 33
M€ en 2013)
Avenant n° 7
3,7
M€ en
2013
Avenant n° 8
246,3
M€ (dont 86 en 2013)
Avenant n° 9
3,2
M€
Avenant n° 10
1,8
M€
Avenant n° 11
13,7
M€
Total
647,1
M€
Source :
UNCAM, Cour des comptes
259
La profession d’infirmier a également bénéficié de mesures
financières significatives dans le cadre de la convention de 2007 et de ses
avenants, pour un total de plus de 560
M€, en raison notamment des
contreparties aux mesures de régulation démographique. Les masseurs-
kinésithérapeutes ont bénéficié, avec les mesures nouvelles de la
convention de 2007 et de ses avenants, de 319,4
M€.
Par ailleurs, si les relations conventionnelles font l’objet d’un
investissement important de l’assurance maladie au moment des
négociations, le suivi des mesures est parfois défaillant. Certaines
stipulations sont appliquées avec retard, voire non appliquées. Il en est
ainsi pour la modulation de la ROSP ou des forfaits versés aux médecins
en fonction des zones et des difficultés d’exercice. C’est également le cas
pour la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui n’a fait l’objet
d’aucun suivi annuel contrairement aux dispositions de la convention
259. Seuls les avenants ayant une incidence financière sont répertoriés. Le coût
négatif de l’avenant n°
4 s’explique par des baisses de tarifs de radiologie, l’avenant
prévoyant en outre des hausses ciblées pour des actes de cardiologie et de
néphrologie.
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248
médicale. C’est également vrai du développement des nouveaux rôles des
infirmiers et du remplacement de la démarche de soins infirmiers, prévus
par la convention de 2007, ou enc
ore de la mise en œuvre d’actions de
prévention, notamment dans le domaine de la rééducation rachidienne,
prévues dans la convention de 2007 des masseurs-kinésithérapeutes.
De même, l’impact des mesures conventionnelles sur les patients et
la réponse à leurs besoins est insuffisamment évalué. En réponse aux
demandes, formulées par la Cour, de communication des bilans
disponibles des conventions avant reconduction ou renégociation,
l’UNCAM n’a apporté que des éléments ponctuels ou thématiques. Elle
n’a été e
n mesure de produire que des données partielles et disparates sur
les sanctions conventionnelles prononcées au cours des trois dernières
années. Ce sont là pourtant des éléments d’analyse importants sur le non
-
respect des stipulations conventionnelles, ses causes et les conséquences
qui en sont tirées.
2 -
Clarifier le rôle des acteurs
a)
Une forte autonomie de la CNAMTS dans un contexte de cogestion
avec les professions de santé
La procédure conventionnelle a été redéfinie par la loi du 13 août
2004 relative à l’
assurance maladie. Auparavant, la négociation des
conventions constituait une prérogative des présidents des conseils
d’administration des trois principaux régimes d’assurance maladie
- régime général, mutualité sociale agricole et régime social des
indépendants - et des partenaires sociaux qui y siégeaient. Depuis 2004,
l’établissement des conventions avec les professions de santé relève de
l’union
nationale
des
caisses
d’assurance
maladie
(UNCAM),
établissement public réunissant les trois régimes et doté
d’un conseil,
d’un collège des directeurs et d’un directeur général.
Le conseil de
l’UNCAM, présidé es
-qualité par le président du conseil de la CNAMTS,
y tient un rôle limité à la définition des orientations. C’est le directeur
général de l’UNCAM, égalem
ent directeur général de la CNAMTS, qui
est chargé de conduire les négociations sur mandat du collège des
directeurs.
Du fait de cette architecture, la CNAMTS joue un rôle
prépondérant dans la définition des objectifs et le déroulement des
négociations.
Les
syndicats
représentatifs
disposent
toutefois
de
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EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
249
prérogatives importantes dans la négociation des textes
260
. En outre,
l’application des accords fait l’objet d’une cogestion avec les syndicats
signataires, au sein de commissions paritaires nationales et locales. Cette
configuration, jointe à des négociations très séquencées, incite à des
compromis catégoriels entre l’assurance maladie et chaque profession de
santé dans lesquelles les préoccupations des patients restent à l’arrière
-
plan.
Par ailleurs, deux a
cteurs des politiques conventionnelles n’ont
pas trouvé la place que la réforme de 2004 visait à leur donner pour le
bon équilibre du système conventionnel
: l’union nationale des
professions de santé (UNPS)
261
, qui ne joue pas le rôle interprofessionnel
que
l’on pouvait en attendre
; l’union nationale des organismes
d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM)
262
, dont l’association
aux négociations reste chaotique et qui s’est mise en retrait après la
signature de plusieurs accords en 2012 et 2013, estimant qu
’elle n’était
pas reconnue comme un véritable acteur de la régulation du système de
soins, avec pour conséquence que l’articulation entre la protection de base
et la protection complémentaire reste défaillante au détriment des assurés.
La nouvelle gouverna
nce prévue par la loi de 2004 n’a ainsi pas
fonctionné, sauf pour ce qui concerne le rôle accru de la CNAMTS.
b)
Un État en retrait mais appelé à intervenir fréquemment
Les pouvoirs de régulation de l’État sont, à s’en tenir aux textes,
limités. La première régulation est d’ordre financier
: l’objectif national
des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), voté par le Parlement,
conditionne pour partie le contenu et le calendrier des négociations
conventionnelles, en fonction des marges de manœuvre financières à
disposition du directeur général. Cependant, le fait que le taux
d’évolution de l’ONDAM soins de ville ait été fixé au même niveau que
260.
Notamment, une convention n’est valide que si elle a été conclue par une ou
plusieurs organisations reconnues représentatives ayant réuni au moins 30 % des
suffrages exprimés au niveau national aux élections aux unions régionales des
p
rofessions de santé. Deux organisations syndicales représentatives, dès lors qu’elles
ont obtenu ensemble la majorité des votes à ces mêmes élections, peuvent faire
opposition à la mise en œuvre d’un accord.
261.
L’UNPS, créée sous forme associative, est
composée des syndicats représentatifs
des différentes professions. Elle a notamment pour but de faire des propositions
relatives à l’organisation du système de santé ainsi qu’à tout sujet d’intérêt commun.
262.
L’UNOCAM, créée également sous forme associativ
e en 2005, fédère les trois
grands types d’organismes d’assurance complémentaire
: mutuelles, entreprises
d’assurance, institutions de prévoyance.
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250
celui de l’ONDAM hospitalier alors que le poste médicaments n’évoluait
que faiblement, a permis une certaine souplesse. En outre, si le taux de
progression de l’ONDAM «
soins de ville » est respecté depuis 2010,
avec un écart négatif d’exécution par rapport à l’objectif voté qui est allé
croissant, la politique conventionnelle ne tient qu’une place modeste dans
ce résultat
263
.
Par ailleurs, si le Parlement vote cet objectif de dépenses,
l’UNCAM et son directeur général n’ont pas, en l’état, de bilan à lui
présenter
sur
les
politiques
conven
tionnelles
et
l’exécution
des
objectifs
264
.
Le gouvernement dispose pour sa part de pouvoirs en principe
limités. L’entrée en vigueur des conventions est soumise à approbation
ministérielle, par arrêté ou tacitement passé un délai de 21 jours, ce qui
leur confère un caractère réglementaire. Le ministre ne peut toutefois
s’opposer à cette entrée en vigueur que pour des motifs strictement
définis relevant de la non-conformité aux lois et règlements, de la santé
publique, de la sécurité sanitaire ou d’une atteinte au principe d’égal
accès aux soins. Le coût des mesures négociées n’est plus un motif
d’opposition depuis 2004.
L’État n’a également plus la main en cas d’échec des négociations.
Une ordonnance du 21 avril 1996 avait prévu qu’en l’absence de
convention les médecins seraient régis par un règlement conventionnel
minimal, élaboré par le gouvernement et publié par arrêté ministériel ne
prévoyant pas de revalorisation d’honoraires et réduisant les prises en
charge de cotisations sociales par les caisses, permettant de garantir à la
fois l’intérêt des patients et de l’assurance maladie. La loi de 2004 a
supprimé ce dispositif et a prévu, pour toutes les professions, qu’en cas de
rupture des négociations ou d’opposition à la nouvelle convention, un
arbitre est d
ésigné par l’UNCAM et au moins une organisation syndicale
représentative ou, à défaut, par le président du Haut Conseil pour l’avenir
de l’assurance maladie. Cette procédure a été appliquée en 2010 aux
médecins.
L’assurance maladie bénéficie ainsi d’une fo
rte autonomie dans
l’opportunité, l’objet et la conduite des négociations conventionnelles.
263. Cf. dans le présent rapport, le chapitre III
sur l’ONDAM 2013 et le chapitre
VII
sur
l’ONDAM
pour les soins de ville.
264 . Le rapport sur les charges et produits communiqué chaque année par la
CNAMTS
au
Parlement
est
accompagné
d’un
rappel
des
négociations
conventionnelles de l’année, mais il ne comporte pas de bilan de la mise en œuvre des
stipulations conventionnelles ni de leur impact.
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EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
251
Cependant, l’État n’a pas pour autant renoncé à être présent, comme le
montrent les multiples exemples (dépassements d’honoraires, approche
multi-
professionnelle…)
où, sur des thèmes précis, les pouvoirs publics
ont voulu forcer indirectement les parties conventionnelles à trouver un
accord ou orienter celui-ci.
Au regard des enjeux financiers et de la nécessité de réformer
l’organisation des soins, les pouvoirs publ
ics, qui conservent par ailleurs
la responsabilité du pilotage du système hospitalier, sont amenés à peser
sur les négociations, soit en prenant par la loi des dispositions de
circonstance pour que les partenaires conventionnels agissent dans un
sens déterminé, soit en fixant officieusement des objectifs et un cadre aux
négociations, soit encore en intervenant, de fait, dans les négociations
dans des conditions qui brouillent les responsabilités.
B - Des politiques conventionnelles à recentrer sur les
besoins des patients
Les constats effectués rendent nécessaire un réexamen du cadre et
du contenu des politiques conventionnelles, pour qu’elles contribuent
davantage à la rationalisation du système de soins, tout en s’inscrivant
dans l’objectif du nécessaire rétablissement de l’équilibre financier de
l’assurance maladie.
1 -
Mieux organiser les soins de proximité
Le système conventionnel actuel, s’il a connu au cours de la
décennie écoulée des succès tactiques, n’a pas été suffisamment mis au
service d’une organisation
plus intégrée du système de soins à même de
répondre à l’évolution des besoins de santé. Le vieillissement de la
population, le développement des pathologies chroniques, la recherche de
gains d’efficience structurels, imposent de rechercher une meilleure
organisation des soins de ville et une coordination beaucoup plus étroite
des différents intervenants.
Les conventions n’ont pas jusqu’alors débouché sur des mesures à
la hauteur des modifications de pratiques et d’organisation qui auraient
été nécessaires
. Cette frilosité des politiques conventionnelles n’a pas
conduit l’État à une réorientation d’ensemble mais au lancement, depuis
2008 d’une série d’expérimentations sur de nouveaux modes de
rémunérations en équipe. Les négociations interprofessionnelles en cours
pour définir un dispositif pérenne se déroulent dans des conditions
difficiles faute que les différentes conventions par profession se soient
d’emblée inscrites dans une perspective d’ensemble.
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OUR DES COMPTES
252
La structuration des soins de premier recours et la mise en place
d’une meilleure interface avec l’hôpital impliquent, à l’avenir, un
changement de modèle. Il est ainsi souhaitable de renverser la perspective
conventionnelle en faisant des approches interprofessionnelles le cadre
premier des négociations. Leu
rs résultats formeraient ensuite l’armature
commune des différentes conventions par profession de manière à
permettre une approche plus coordonnée des soins de ville. Chaque
convention conserverait pour le reste une logique plus spécifiquement
propre à chaque profession.
En outre, l’activité conventionnelle devrait être recentrée sur les
enjeux essentiels - politique de rémunération contrainte et équilibrée,
accès aux soins préservé et organisé, maîtrise médicalisée des dépenses -
et ne s’étendre à d’autres
sujets que dans la mesure où cette ossature est
affermie. Ce recentrage devrait s’inscrire dans le cadre de négociations
moins nombreuses, permettant une plus grande stabilité des dispositifs et
facilitant la mise en place d’un suivi plus exigeant, ainsi que d’une
évaluation systématique de l’impact des mesures prises.
Il revient enfin à l’assurance maladie, dans le cadre des
négociations, de mettre les outils conventionnels au service d’un accès à
des soins de qualité. Les rémunérations et avantages annexes accordés
aux professionnels de santé devraient être assortis de contreparties plus
tangibles, notamment sur une organisation des soins au service des
patients. En particulier la prise en charge des cotisations sociales des
professionnels de santé par l’
assurance maladie devrait être modulée en
fonction de la densité des professionnels de santé sur un territoire donné,
ainsi que la Cour l’a déjà recommandé
265
ou à défaut supprimée ou à tout
le moins plafonnée.
2 -
Adopter une approche plus intégrée
Les directions ministérielles relevant du ministère chargé de la
santé -
direction de la sécurité sociale, direction générale de l’offre de
soins, direction générale de la santé - ont une approche trop peu
coordonnée des problématiques conventionnelles.
Le manque de cohérence et de coordination entre les acteurs se
répercute au niveau territorial. Il existe de nombreux points de
recoupement entre l’action des agences régionales de santé (ARS) et les
265. Cour des comptes,
Rapport sur l’application des lois de financement de la
sécurité sociale pour 2012,
chapitre X : la prise
en charge par l’
assurance maladie des
cotisations sociales des professionnelles libéraux de santé, p. 288-307, septembre
2012, La Documentation française, disponible sur
www.ccomptes.fr
.
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EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
253
politiques conventionnelles. C’est notamment le cas en matière de
régulation démographique, où la multiplicité des zonages professionnels
et des outils incitatifs respectifs de l’assurance maladie et de l’État,
auxquels s’ajoutent les aides des collectivités territoriales, débouche sur
une situation particulièrement complexe
. En outre, pour l’essentiel, il
n’existe pas d’articulation entre les actions de santé publique et de gestion
du risque développées à travers les politiques conventionnelles et celles
initiées par les ARS
266
.
Seuls un pilotage plus intégré et une meilleure articulation
permettront
de
dépasser
les
clivages
traditionnels
- ville/hôpital,
État/assurance
maladie,
généralistes/spécialistes,
médecins/autres
professions de santé -
de dégager des gains d’efficience significatifs
et de
mieux répondre aux besoins des patients. Il conviendrait à cet effet de
s’appuyer au moins dans un premier temps sur les institutions et outils
existants, en renforçant à la fois leur champ et leur légitimité.
Ainsi, les missions du comité national de pilotage des ARS
(CNP)
267
, qui fonctionne depuis 2010, pourraient être renforcées et
étendues aux orientations et au suivi de la politique conventionnelle, sous
la présidence régulière du ministre chargé de la santé. Cette association
des services de l’État et de l’assurance maladie, à la foi
s dans le pilotage
et sur le plan opérationnel, permettrait notamment de veiller à la
cohérence de l’ensemble des actions avec la stratégie nationale de santé et
la nouvelle loi de santé publique dont l’adoption est prévue en 2015.
Par ailleurs, la loi HPS
T de 2009 a prévu la conclusion, entre l’État
et l’UNCAM, d’un contrat pluriannuel qui détermine les objectifs de
gestion du risque partagés entre l’État et l’assurance maladie. Un premier
contrat couvrant la période 2010-2013 a été signé en mars 2011. Il reste
toutefois très général et peu contraignant dans les orientations qu’il
formule. Un second est en cours de discussion. Ce contrat devrait
constituer un outil essentiel et structurant de la coordination entre l’État et
l’assurance maladie et de la défi
nition des objectifs assignés à la politique
conventionnelle, au besoin en modifiant les textes en ce sens. Il devrait
266. Voir sur cette question les développements contenus dans le chapitre XI - les
projets régionaux de santé : un cadre peu opérationnel.
267.
Le CNP a notamment pour mission de valider les objectifs et l’ensemble des
directives données aux ARS et de s’assurer de leur bonne mise en œuvre. Il regroupe
les directeurs d’administration centrale concernés par les ARS, les directeurs généraux
des caisses nationales d’assurance maladie et le directeur de la caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie.
Il est présidé par le ministre ou, en son absence, par le
secrétaire général des ministères sociaux. Dans la pratique, le secrétaire général
préside actuellement toutes les réunions.
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C
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254
faire l’objet d’un suivi précis, relevant du comité national de pilotage aux
missions élargies.
Il
convient
également
de
mieux
associer
les
organismes
complémentaires à la régulation du système de soins, au regard de la
place grandissante qu’ils tiennent dans la couverture des dépenses
d’assurance maladie des ménages
268
. Il n’apparaît pas souhaitable que les
organismes complémentaires soient utilisés comme de simples opérateurs
financiers permettant de solvabiliser les accords passés entre l’UNCAM
et les professions de santé, en raison du risque inflationniste que cela
représente. L’amélioration des conditions d’accès aux soins suppose une
véritable coopération des régimes de base et complémentaires. Une
application stricte de la loi de 2004 qui prévoit un examen conjoint
annuel, entre l’UNCAM et l’UNOCAM, des programmes de négociation
serait déjà de nature à renforcer cette coordination. La concertation
obligatoire devrait être élargie à l’ouverture de toute négociation
et en
constituer un préalable nécessaire. Il pourrait également être prévu que le
comité national de pilotage puisse entendre l’UNOCAM et ses
composantes sur les thèmes qui les concernent plus particulièrement.
Enfin, il importe que le Parlement, appelé à voter l’ONDAM mais
qui ne dispose aujourd’hui que d’informations réduites sur les politiques
conventionnelles, soit à même de développer son contrôle sur ces
politiques publiques
269
, qui sont une composante importante des
dépenses d’assurance maladie. Lors de la présentation du projet de loi de
financement de la sécurité sociale, la réalisation des ONDAM précédents
doit être mieux documentée. La fixation du sous-objectif des soins de
ville devrait être appuyée d’une annexe faisant systématiquement le point
sur les politiques conventionnelles, globalement et profession par
profession, en termes d’engagements pris, de coûts pour la collectivité et
de résultats.
268. Selon les comptes nationaux de la santé pour 2012, leur part dans le financement
de la consommation de soins et de biens médicaux est passée de 12,4 % en 2000 à
13,7 % en 2012. Les assurances complémentaires sont plus particulièrement présentes
sur certains segments, comme les soins dentaires ou l’optique.
269.
Sur la nécessité de renforcer, d’une manière générale, les capacités de contrôle et
d’orientation dont disposent les assemblées en matière de protection sociale de la
population, voir le chapitre V, les lois de financement de la sécurité sociale : une
ambition à élargir.
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L
ES CONVENTIONS AVEC LES PROFESSIONS LIBÉRALES DE SANTÉ
:
RÉPONDRE AUX BESOINS DES PATIENTS
,
MIEUX ASSURER L
’
EFFICIENCE DE LA
DÉPENSE
255
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
____________
Le modèle conventionnel bâti sur les fondements de la réforme de
2004 s’est essoufflé et a montré ses limites. Tout en voulant rester présent,
l’État s’en est progressivement remis, sur des sujets importants, aux
politiques conventionnelles, comme pour l’organisat
ion du parcours de
soins, les politiques de prévention ou les besoins engendrés par le
vieillissement de la population. Or, les politiques conventionnelles n’ont
pas apporté de réponses satisfaisantes, que ce soit en matière d’accès aux
soins ou d’organisation de l’offre. En outre, l’élargissement considérable
de leur champ a engendré des dépenses nouvelles sans que les obligations
définies en contrepartie soient toujours à la hauteur des enjeux ni leurs
résultats mesurables. La recherche de compromis fluctuant suivant les
professions et les situations et
résultant dans le cas des médecins d’une
quasi cogestion, s’est faite au détriment de la lisibilité du système de soins
et d’une prise en considération globale des besoins des patients et de leur
évolution.
La place des politiques conventionnelles dans la régulation globale
du système de soins mérite pour le moins d’être réexaminée. Leur
réorientation passe par des négociations moins éclatées et moins diffuses,
recentrées sur les questions essentielles - pilotage des rémunérations,
accès et organisation des soins, maîtrise médicalisée des dépenses - et
permettant
d’articuler
les
politiques
conventionnelles
avec
la
préoccupation centrale d’un retour à l’équilibre financier de l’assurance
maladie.
Cet objectif nécessite un pilotage national plus intégré et une
coordination renforcée entre les acteurs et plus particulièrement entre
l’État et l’assurance maladie, pour optimiser l’allocation des ressources.
L’État, nécessairement responsable dès lors que la santé p
ublique est en
cause, doit être en mesure de jouer sur l’ensemble des leviers afin de
développer une régulation des politiques de santé et d’assurance maladie,
qu’elles concernent l’hôpital ou le secteur ambulatoire
et
d’assurer la
prise en compte des besoins des patients. Le cadre conventionnel doit
également laisser une plus grande place à des accords interprofessionnels,
permettant une approche coordonnée des soins de premier recours. Des
mandats clairs doivent être donnés par les pouvoirs publics à l’as
surance
maladie sur les objectifs des politiques conventionnelles.
L’élaboration en cours de la stratégie nationale de santé et d’une
nouvelle loi de santé publique offre l’occasion de remettre en perspective
les évolutions récentes des relations entre l’a
ssurance maladie et les
professions de santé et de repenser le cadre de la régulation globale ainsi
que la place, dans celle-ci, des politiques conventionnelles.
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256
La Cour formule les recommandations suivantes :
31.
mettre en place un pilotage national plus intégré, permettant à
l’État
de
cadrer
les
orientations
stratégiques
des
politiques
conventionnelles, d’en suivre l’exécution
et de mieux articuler les actions
des différents acteurs ;
32.
développer
de
façon
prioritaire
les
approches
interprofessionnelles pour une plus grande efficience des soins de
premier recours ;
33.
recentrer les politiques conventionnelles sur les enjeux essentiels
(rémunérations, accès aux soins, maîtrise médicalisée des dépenses) dans
le cadre de négociations moins nombreuses et moins éclatées ;
34.
étendre, dans les zones en surdensité, le conventionnement
conditionnel à toutes les professions, y compris aux médecins, pour mieux
équilibrer la répartition des professionnels sur le territoire ;
35.
lier plus étroitement l’ensemble des modes de rémun
ération, hors
rémunération à l’acte (forfaits, rémunération à la performance,
avantages sociaux) à une meilleure organisation des soins de ville en les
modulant en fonction des résultats atteints ;
36.
en particulier, moduler la prise en charge de cotisations sociales
par l’assurance maladie en fonction de la densité des professionnels de
santé sur un territoire donné (recommandation réitérée) ;
37.
évaluer systématiquement les conditions de mise en œuvre des
actions conventionnelles et les résultats obtenus au regard des objectifs.
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