Chapitre VIII
La réduction du nombre de lits à
l’hôpital, entre stratégie et contraintes
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
La pandémie de covid 19 a mis en lumière les difficultés rencontrées
par les hôpitaux dans la prise en charge des patients et a notamment
conduit à s’interroger sur la pertinence de la politique de fermeture des
lits menée au cours des deux précédentes décennies.
Entre 2000 et 2022, le nombre de lits a en effet baissé de 23 % pour
l’ensemble des hôpitaux publics et privés
342
. Cette réduction s’explique,
pour moitié, par le transfert de lits de soins de longue durée de l’hôpital
vers les établissements d’hébe
rgement pour personnes âgées dépendantes
(Ehpad) avant 2013. Pour l’autre moitié, et surtout depuis 2013, elle a été
favorisée par le progrès des techniques médicales, avec notamment une
montée en puissance de la chirurgie réalisée en ambulatoire, sans que le
patient passe la nuit à l’hôpital.
La Cour a cherché à connaître l’évolution du nombre de lits depuis
2013 et ses motifs, en distinguant facteurs structurels et conjoncturels. À
cette fin, elle s’est limitée aux périmètres de la médecine et de la chirurgie,
hors obstétrique, et a analysé en particulier les trois plus importantes
structures hospitalières publiques, l’assistance publique
-hôpitaux de Paris
(AP-
HP), l’assistance publique
-hôpitaux de Marseille (AP-HM) et les
hospices civils de Lyon (HCL).
Durant la dernière décennie, la réduction du nombre de lits de
chirurgie et de médecine a été principalement causée par une politique
incitative de développement de
l’hospitalisation en ambulatoire dans un
contexte financier contraint (I). Depuis le début de la crise sanitaire, elle
est plutôt l
a conséquence d’une contraction subie des capacités d’accueil,
du fait du manque de personnels soignants, situation qui conduit à
s’interroger sur les meilleurs leviers pour répondre aux besoins de soins
tout en garantissant des prises en charge de qualité (II).
342
Cette évolution ne prend pas en compte l’augmentation en parallèle de l’activité
d’hospitalisation à domicile.
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COUR DES COMPTES
282
Chiffres clés
En 2022, on comptait 374 290 lits hospitaliers, dont 46 % en
médecine et chirurgie, 27 % en soins médicaux et de réadaptation, 14 % en
psychiatrie, 8 % en soins de longue durée et 4 % en gynécologie-obstétrique
343
.
Le graphique ci-après présente la variation de ce nombre entre les années 2000
et 2022 pour ces différentes disciplines.
Graphique n° 36 :
évolution du nombre de lits total et par discipline
Source : Drees, SAE 2000-2022, traitement Cour des comptes
Entre 2000 et 2013, la baisse du nombre de lits de soins de longue durée
représente les trois-quarts de la baisse totale du nombre de lits. Elle est le
résultat d’une transformation de lits hospitaliers en places d’Ehpad.
Depuis 2013, l’évolution est prin
cipalement due à la suppression de lits
de chirurgie.
343
Données issues de la statistique annuelle des établissements (SAE) 2000-2022, hors
hospitalisation à domicile. Cette statistique est une enquête administrative et obligatoire
réalisée annuellement par la
direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (Drees) du ministère chargé de la santé auprès des hôpitaux pour recueillir
des informations sur leur activité, leurs capacités, équipements et personnels.
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
283
I -
Les fermetures de lits, une stratégie
volontariste aux effets mal évalués
Le virage ambulatoire, caractérisé par le développement de
l’hospitalisation sans nuit et par la réduction des durées de séjour
, a
constitué un progrès en termes d’organisation et de qualité des prises en
charge. Sa mise en œuvre a permis une réduction du nombre de lits
hospitaliers. Celle-
ci a toutefois été insuffisamment suivie et n’a pas
conduit à des restructurations territori
ales de l’offre de soins.
A -
Le virage ambulatoire, principale cause
de la baisse du nombre de lits en chirurgie
Au cours de la décennie 2010, l’activité ambulatoire a été
encouragée dans le double objectif d’améliorer la qualité des prises en
charge hospitalières et de mieux maîtriser les dépenses associées. Son
développement a surtout concerné la chirurgie, avec une forte réduction de
la durée moyenne de séjour des personnes opérées et, par là-même, du
nombre de lits nécessaires à leur hospitalisation. En médecine, le nombre
de lits est resté stable.
1 -
Une réduction du nombre de lits supérieure
à celle du nombre de nuit
s passées à l’hôpital
Entre 2013 et 2019, le nombre de
nuits d’hospitalisation en chirurgie
a baissé de 3,7 millions, soit de 21 %
344
. Deux-tiers de cette baisse
s’expliquent par le développement de la chirurgie ambulatoire,
passé de
48 % à 59,2 % des opérations et un tiers par la baisse des durées de séjour
en
hospitalisation
complète,
liée
à
des
progrès
médicaux
et
organisationnels
345
.
344
Sourc
e programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) 2013 à
2022. Le périmètre ne prend pas en compte l’activité de soin gynécologique et
obstétrique dans l’activité chirurgicale.
345
Exemple de la récupération améliorée après chirurgie (Raac), qui est «
une approche
de prise en charge globale du patient favorisant le rétablissement précoce de ses
capacités après la chirurgie
», Haute Autorité de santé,
rapport d’orientation sur les
programmes Raac
, juin 2016.
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COUR DES COMPTES
284
En médecine, les durées de séjour ont peu diminué, ce qui a eu pour
effet d’augmenter
de 300 000
le nombre de nuits d’hospitali
sation
346
(+ 1 %).
La différence avec la chirurgie s’explique par une évolution plus
faible du taux d’ambulatoire et par des effets plus prononcés du
vieillissement de la population sur les prises en charge.
L’évolution du nombre de nuits d’hospitalisation a ainsi permis un
e
réduction évaluée à 12 000 lits, avec une baisse de 13 000 lits
347
en
chirurgie et une augmentation de 1 000 lits en médecine.
Tableau n° 29 :
évolution du nombre de lits entre 2013 et 2019,
comparaison entre les données issues de l’activité médicale
et observées
–
établissements publics et privés
Unité :
nombre de lits
Variation calculée
à partir du nombre
de nuits
Variation
observée
Chirurgie
- 13 030
- 15 900
Médecine
+ 1 030
+ 1 050
Total
- 12 000
- 14 850
Source : Cour des comptes à partir des données PMSI et SAE - champs médecine et chirurgie
(hors gynécologie-obstétrique)
La baisse du nombre de lits constatée dans la statistique annuelle des
établissements est supérieure de près de 3 000 lits, et atteint près de
15 000 lits. Cette divergence porte uniquement sur les lits de chirurgie et
concerne essentiellement les hôpitaux publics.
L’évolution constatée en France est similaire à celle observée dans
les autres pays européens.
346
Source PMSI 2013 à 2022 hors gynécologie-obstétrique.
347
Ce volume de lits est une estimation réalisée à partir de la réduction du nombre de
nuits d’hospitalisation, en tenant compte d’un taux d’occupation de 78 % observé en
2019 sur le champ de la médecine-chirurgie-obstétrique, dans le rapport
Études et
Résultats
–
Les établissements de santé en 2022,
Drees.
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
285
Le nombre de lits hospitaliers pour 1 000 habitants
et son évolution en Europe
348
En 2019, la France comptait 5,8 lits pour 1 000 habitants, toutes
disciplines confondues
349
. Elle se situait à un niveau supérieur à celui de la
moyenne de ses partenaires comparables en termes de niveau de vie
(13
pays de l’Union européenne
350
plus Norvège et S
uisse), qui s’élevait à
4,1 lits pour 1 000 habitants.
Sur le champ de la médecine-chirurgie-obstétrique, proche de celui
étudié dans ce rapport, le ratio était 3 lits pour 1 000 habitants, un peu
supérieur à la moyenne de ses partenaires (2,8 lits) mais inférieur à ceux de
l’Allemagne (5
lits) et de l’Autriche (4,9
lits).
Entre 2013 et 2019, la baisse du nombre de lits pour 1 000 habitants
en France (-
0,33 lit) a été équivalente à celle de l’Allemagne mais moindre
que celle des pays nordiques (- 0,46 lit en Finlande et - 0,44 lit en Suède).
2 -
Un effort plus marqué dans les hôpitaux publics
Entre 2013 et 2019, les fermetures de lits dans le secteur public ont
été plus importantes (- 8 100 lits) que celles qui auraient résulté de la seule
baisse du nombre de
nuits d’hospitalisation (
- 4
600 lits). L’écart atteint
3 500 lits.
Pour le secteur privé non lucratif, l’évolution va dans le même sens
(400 lits fermés malgré une augmentation des nuits d’hospitalisation dont
aurait résulté une hausse de 100 lits, soit un écart de 500 lits). Pour le
secteur privé lucratif, au contraire, la baisse du nombre de lits constatée sur
la période (- 6
350 lits) est inférieure d’environ 1
100 à celle estimée à
partir de la baisse du nombre de nuits (- 7 450 lits).
S
elon l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection
générale des affaires sociales (Igas)
351
, la part de la chirurgie ambulatoire
était, en 2013, dans les cliniques privées, beaucoup plus importante
(55,2 %) que dans les hôpitaux publics (37,5 %) et le nombre de lits y était
mieux ajusté aux besoins. Cette analyse a conduit les pouvoirs publics à
348
Données internationales issues d’Eurostat
(hors hospitalisation à domicile).
349
Les disciplines sont la médecine, la chirurgie, l’obstétrique, les
soins médicaux et de
réadaptation, les soins de longue durée et l’hospitalisation à domicile.
350
Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne et Suède.
351
IGF-Igas, rapport sur
les perspectives de développement de la chirurgie ambulatoire
en France
, juillet 2014.
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COUR DES COMPTES
286
encourager plus fortement la diminution du nombre de lits dans les
hôpitaux publics entre 2013 et 2019, avec une démarche volontariste
d’amélioration de l
a performance (
hausse du taux d’occupation des lits,
gestion des lits, sortie précoce, ratios d’encadrement cibles, etc.).
Évolution du nombre de lits et performance
dans les grands hôpitaux universitaires de Paris, Lyon
et Marseille entre 2013 et 2019
352
À l’AP
-HP de Pari
s, la réduction de la capacité d’accueil a
principalement concerné les lits de soins de longue durée (- 24 %) et les lits
de chirurgie (- 15
%). Les plans stratégiques de l’établissement 2010
-2014 et
2015-2019 comprenaient des audits pour les services dont les taux
d’occupation étaient inférieurs à 80
% ou dont les durées de séjour dépassaient
de deux jours la moyenne de la spécialité médicale
353
. L’objectif était
d’adapter l’offre aux évolutions des prises en charge en «
ferm[ant] des lits,
[en] les réorient[ant] vers des activités insuffisamment dotées, voire [en]
mutualis[ant] certains services
» selon le projet d’établissement 2015
-2017.
Aux HCL de Lyon, le nombre de lits de chirurgie a diminué de 20 %.
Le projet d’établissement 2013
-2017, réalisé en cohérence avec le contrat
de retour à l’équilibre financier 2013
-2016, comprenait des actions
«
d’optimisation des processus et organisations internes relatives au
patient
», de restructuration et de réorganisation médicale majeures, avec
des opérations immobilières sur deux sites.
À l’AP
-
HM de Marseille, la fermeture de lits de chirurgie, de l’ordre
de 12 %, a été moins importante. Le projet stratégique 2017-2021 précisait
pourtant que le développement de la chirurgie ambulatoire, la réduction des
durées de sé
jour et l’optimisation du nombre de lits par unité de soins
devaient
contribuer
à
la
maîtrise
de
la
situation
financière
de
l’établissement, qui était depuis 2016 sous contrat de retour à l’équilibre.
Le comité interministériel de la performance et de la modernisation
de l’offre de soins hospitalière (Copermo)
354
a été l’un des outils de cette
recherche de performance. Il instruisait les projets immobiliers dépassant
352
Données Drees SAE 2000-2022
–
Traitement Cour des comptes.
353
Les spécialités médicales incluent la gériatrie, la neurologie, la pneumologie,
l’urologie, la neurochirurgie, l’ort
hopédie, etc. avec des intitulés qui peuvent être
propres à chaque établissement.
354
La circulaire du 10 mars 2021 a supprimé le Copermo, remplacé par le conseil
national de l’investissement en santé (Cnis),
appuyé par le conseil scientifique de
l’investiss
ement en santé (Csis).
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
287
50
M€ et définissait les trajectoires de retour à l’équilibre des
établissements en difficulté financière, avec un niveau élevé d’exigence en
termes de gestion hospitalière
. S’appuyant sur plusieurs
critères de
performance
355
, le Copermo a validé des projets d’investissement
conduisant à une réduction importante du nombre de lits : pour une série
de projets, celle-ci a atteint en moyenne 29 % en chirurgie et 17 % en
médecine
, d’après la revue des projets approuvés et suivis en 2019.
B -
Une stratégie mal évaluée
La recherche d’une plus grande performance des hôpitaux publics
aurait dû permettre une meilleure maîtrise de la dépense publique et une
réorganisat
ion de l’offre hospitalière. Ces conséquences ont pourtant été
insuffisamment évaluées.
1 -
Des objectifs d’économies
ambitieux
En 2014, le ministère chargé de la santé s’est appuyé sur le rapport
précité de l’inspection générale des affaires sociales et de l’
inspection
générale des finances pour évaluer à 600
M€ les économies qui pouvaient
découler du virage ambulatoire à l’horizon 2018. Elles étaient fondées sur
trois moyens :
-
une réduction des charges salariales, logistiques et hôtelières induite
par un développement attendu, à hauteur de 62 %, du taux de chirurgie
ambulatoire ;
-
les gains de productivité permis par la montée en charge des unités de
chirurgie ambulatoire ;
-
la restructuration des unités d’hospitalisation conventionnelle en perte
d’activité e
t leur mutualisation entre plusieurs établissements, pour un
tiers environ des économies estimées.
Le ministère chargé de la santé a finalement retenu un objectif
d’économies de l’ordre de 800
M€, dont 400
M€ à atteindre entre 2015 et
2017 et 400
M€ entre 2019 et 2021. Cet objectif s’est traduit par une baisse
des tarifs versés par l’assurance maladie aux hôpitaux, et donc de leurs
recettes.
355
Durées moyennes de séjour, taux d’occupation des lits, taille des services de soins,
taux d’encadrement des lits en personnel soignant, etc.
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COUR DES COMPTES
288
2 -
Un montant
d’économies
inconnu
L’impulsion donnée par les pouvoirs publics, notamment par la
fixation d’objectifs pré
cis
356
, s’est traduite par une hausse de plus de
11 points du taux de chirurgie ambulatoire entre 2013 et 2019, dont
9,7 points pour le secteur public, 12,9 points pour le secteur privé non
lucratif et 12,3 points pour le secteur privé lucratif. Ce développement a
été encouragé et suivi mais il n’en a pas été de même de la maîtrise associée
des dépenses.
Le rapport de la Cour sur la chirurgie ambulatoire en 2013
357
, de
même que celui précité de l’Igas et de l’IGF en 2014, estimaient que le
développement de l’a
ctivité ambulatoire devait être accompagné
d’objectifs d’économies à suivre précisément, afin d’éviter une dégradation
de la situation financière des établissements. Le redimensionnement de
capacités chirurgicales devenues sous-utilisées constituait un axe important
d’économies.
Or, dès 2018, la Cour jugeait incertain l’impact financier global du
virage ambulatoire, notant en particulier que «
la réalisation d’actes
chirurgicaux
rest[ait]
dispersée
entre
un
nombre
très
élevé
d’établissements
»
et qu’il
«
n’
[était] pas établi que les réductions de
capacité en chirurgie conventionnelle aient été accompagnées de
réductions de dépenses, notamment de masse salariale
»
358
.
En 2024, ces constats restent inchangés. L’analyse des comptes des
hôpitaux publics ne permet pas d’identifier clairement une incidence
du
virage ambulatoire sur les dépenses hospitalières
. Il n’a pas été possible
d’évaluer les économies réalisées ni de le
s comparer au potentiel
d’économies attendues.
Peu de restructurations ont été ainsi réalisées pendant la période 2013-
2022, comme en témoigne la persistance d’une forte proportion d’hôpitaux
publics et privés de petite taille. En 2022, 56 % des établissements, tous
secteurs confondus, disposaient ainsi d’une capacité inférieure à 100 lits,
contre 57 % en 2013. Beaucoup de petits hôpitaux publics, malgré une faible
activité de leurs services de médecine et de chirurgie, doivent recourir à un
effectif important
d’
emplois temporaires pour combler leur manque de
356
Cible d’un taux de chirurgie ambulatoire de 66
% à l’horizon 2020 dans l’instruction
DGOS/R3 n°2015-296 du 28 septembre 2015.
357
Cour des comptes,
La chirurgie ambulatoire,
Ralfss 2013 chapitre VIII.
358
Cour des comptes,
Le virage ambulatoire,
Ralfss 2018, chapitre V.
Sécurité sociale 2024 – mai 2024
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
289
personnel médical
359
et infirmier. Les regroupements attendus ne se sont pas
réellement produits.
La Cour a
d’ailleurs
récemment rappelé que la période 2013-2017
correspondait à un cycle d’augme
ntation de déficits hospitaliers, qui ont
atteint près de 900
M€ en 2017 et plus de 600
M€ en 2018 et en 2019
360
.
3 -
Une évaluation tardive de la qualité
des prises en charge ambulatoires
La qualité des prises en charge liée au développement de la chirurgie
amb
ulatoire n’a commencé à être évaluée que récemment.
Dès 2012, la Haute Autorité de santé (HAS) a certes convenu d’un
programme d’actions communes
361
avec l’Agence nationale d’appui à la
performance (Anap), qui a notamment conduit à l’établissement de
référen
ces pour la prise en charge des patients ainsi qu’à des
recommandations de bonnes pratiques
362
.
Toutefois, l’expérimentation
d’indicateurs de qualité n’a commencé qu’en 2018.
Depuis 2019, quatre indicateurs ont été définis mais seul est
obligatoire celui relatif à la qualité des documents remis au patient à sa sortie
après une hospitalisation ambulatoire
363
. Ces documents peuvent être
améliorés dans la mesure où ils ne mentionnent pas systématiquement le
médecin traitant ni les soins à réaliser en ville. Aucun des trois autres
indicateurs
364
n’est publié, ni même mis à disposition des agences régionales
de santé (ARS), étant donné leur caractère facultatif et le recueil aléatoire par
les hôpitaux des données nécessaires à leur réalisation.
359
Cour des comptes,
Intérim médical et permanence des soins dans les hôpitaux
publics : des dérives préoccupantes et mal maîtrisées,
Ralfss 2024, chapitre 7.
360
Cour des Comptes,
La situation financière des hôpitaux publics après la crise
sanitaire
, rapport public thématique, octobre 2023.
361
D’après la note d’orientation établie en décembre 2011 sur la chirurgie ambulatoire,
les six axes étaient : élaborer un socle de connaissances, mettre au point les critères
d’éligibilité des patients, mettre en avant la dimension organisationnelle, explor
er la
dimension économique, construire des indicateurs afin d’assurer le suivi et l’évaluation,
faire évoluer la certification.
362
HAS et Anap, socle de connaissances portant sur
Ensemble pour le développement
de la chirurgie ambulatoire
, avril 2012.
363
Décret n° 2016-995 du 20 juillet 2016.
364
Ces indicateurs sont :
évaluation à l’admission de l’éligibilité à l’intervention,
anticipation de la prise en charge de la douleur, évaluation du patient pour la sortie de
la structure, contact avec le patient entre J+1 et J+3.
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COUR DES COMPTES
290
Après une étude de la HAS
365
, un indicateur de résultat a également
été retenu : le taux de ré-hospitalisation à trois jours après une chirurgie
ambulatoire
366
. Les résultats par hôpital n
’ont été
publiés qu
’en février
2024,
plus de dix ans après la décision de développer la chirurgie ambulatoire.
II -
Face à des contraintes croissantes,
une nécessaire adaptation des capacités
d’accueil
par territoire
La crise sanitaire a accentué les difficultés des hôpitaux en matière
de ressources humaines et a conduit à un niveau élevé de fermetures de lits,
dont il est complexe d’identifier précisément les motifs au niveau national,
en l’état des données disponibles. Cette pression sur l’offre hospitalière
nécessite de repenser les capacités de prise en charge en fonction des
patients, du vieillis
sement de la population et de l’offre territoriale de soins.
A -
Des contraintes plus fortes sur les ressources
humaines, avec des conséquences
sur le nombre de lits ouverts
En 2022, les fermetures de lits pour manque de personnel ont atteint
un niveau inédit
, reflet d’un manque d’attractivité de l’hôpital de plus en
plus marqué. La charge de travail des personnels infirmiers et aides-
soignants, mal appréhendée, contribue à cette désaffection.
1 -
Des fermetures de lits liées au manque de personnel
Les fermetures de lits pour manque de personnel sont récentes.
L’AP
-
HM et l’AP
-HP ne les ont recensées dans leur outil interne de suivi
que depuis, respectivement, 2018 et 2020. Auparavant, les motifs de
365
HAS,
rapport d’étape sur le développement de la mesure des ré
-hospitalisations
entre un et trois jours après chirurgie ambulatoire
, validé par le collège le 30 juin 2022.
366
Il concerne six types d’interventions
: cholécystectomies, interventions par voie
transurétrale ou transcutanée pour lithiases urinaires, interventions par voie
transurétrale ou transcutanée pour des affections non lithiasiques, interventions sur les
amygdales, hémorroïdectomies et prostatectomies transurétrales.
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
291
fermetures conjoncturelles des lits étaient limités à d’autres caté
gories
367
.
Elles ont pris des proportions importantes à partir de 2021 en raison «
de
congés-maladie ordinaires liés aux épidémies (covid, grippe, bronchiolite)
ainsi que de la lassitude des soignants après la forte sollicitation de la crise
sanitaire et les réorganisations internes
»
368
.
En 2022, 21
% des lits de l’AP
-HP étaient fermés, dont près de 70 %
pour manque de personnel. Cette proportion atteignait 11 % des lits de
l’AP
-HM, dont la moitié faute de personnel, et 15 % des lits des HCL.
La situation des trois plus grands centres hospitaliers ne peut pas
être généralisée. Néanmoins, une étude du ministère chargé de la santé
369
mettait en exergue en 2021 une fermeture des lits de chirurgie plus
importante qu’en 2019 (de l’ordre de 4
%), avec des différences
d’une
région à une autre. Cela était notamment dû à des difficultés de recrutement
des infirmiers de bloc opératoire, des infirmiers anesthésistes, des
personnels de nuit, mais aussi du personnel soignant dans les petits
hôpitaux
370
. L’étude du ministère a dénombré 800 postes d’infirmiers
vacants en plus sur le seul mois d’octobre 2021 par rapport au mois de
septembre, soit un tiers des départs non remplacés.
2 -
Un recensement national impossible des lits fermés
faute de personnel soignant,
en l’absence de suiv
i statistique
Seule la statistique annuelle des établissements
371
recense de
manière exhaustive le nombre de lits hospitaliers. Toutefois, elle ne permet
pas de mesurer les fermetures ponctuelles liées à un manque de personnel.
367
Isolement prescrit pour un patient, travaux ou maintenance, désinfection ou catégorie autre.
368
Cour des comptes,
La situation financière des hôpitaux publics après la crise
sanitaire
, rapport public thématique, octobre 2023.
369
Cette enquête a été menée en octobre et novembre 2021. Elle a été adressée à
2 300
établissements de tous secteurs, sur tous les champs d’activité (médecine
-
chirurgie-obstétrique, soins de suite et de réadaptation, psychiatrie, hospitalisation à
domicile, soins de longue durée). Le taux de réponse a été de 47 %. Elle portait sur la
situation des ressources humaines et la disponibilité des lits hospitaliers sur le mois
d’octobre 2021 comparé à 2019.
370
Cour des comptes,
La situation financière des hôpitaux publics après la crise
sanitaire
, rapport public thématique, octobre 2023.
371
Sauf précision contraire, et en dépit des limites mentionnées dans cette sous-partie,
ce sont les données de la SAE auxquelles il est fait référence dans ce chapitre.
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COUR DES COMPTES
292
La notion de « lit hospitalier »
Dans les années 1980 et 1990, le ministère de la santé réalisait une
planification précise de l’offre de soins, dénommée «
carte sanitaire », qui
décrivait le niveau d’équipement des hôpitaux et notamment leur nombre de lits.
Le plan hôpital 2007 a assoupli cette planification en donnant plus
d’autonomie aux acteurs locaux, afin que le pilotage de l’offre de soins
repose moins sur les moyens que sur l’atteinte d’objectifs d’activité et de
soutenabilité financière
372
.
Cette évolution a conduit à délaisser les outils opérationnels et
statistiques recensant les capacités d’accueil en nombre de lits. La crise
sanitaire a montré l’impossibilité pour les pouvoirs publics de disposer
instantanément d’une vision consolidée du nombre de lits hospitaliers
effectivement disponibles. Dans les régions en tension, un suivi quotidien
de ces disponibilités a dû être mis en place en urgence par conférences
téléphoniques avec les hôpitaux, afin de garantir une remontée fiable et
exhaustive de l’information.
En effet, la statistique annuelle des établissements recense les lits en
état d'accueillir des malades au 31 décembre. Elle inclut les lits fermés
temporairement pour travaux ou désinfection mais exclut les lits fermés
pour cause d’absence de personnel (congés, postes v
acants). La capacité
d’accuei
l en lits, ainsi définie, prête à confusion et les différents
interlocuteurs rencontrés par la Cour ont admis avoir du mal à s’y
conformer, puisqu’elle ne correspond strictement ni à la définition de lit
installé, ni à celle de lit ouvert.
Les différents « états » du lit hospitalier
Lit installé : lit dont les conditions techniques pour accueillir un
patient sont remplies (lit fonctionnel, raccordement possible aux fluides
médicaux, enregistrement dans le logiciel de gestion, etc.).
Lit ouvert
: lit installé en capacité d’accueillir un patient du fait de la
présence de personnels médicaux et soignants, formés et en nombre suffisant.
Lit fermé : lit installé qui ne peut être ouvert faute de personnels en
nombre suffisant (congés, arrêt-maladie, poste vacant), du fait de travaux,
de maintenance, d’isolement prescrit pour un patient ou de désinfection.
372
Selon l’article L. 6122
-5 du code de la santé publique, les agences régionales de santé
vérifient désormais la cohérence entre l’activité prévisionnelle et l’organisation médico
-
soignante, décrites dans les demandes et les renouvellements d’autorisation de soins.
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
293
En outre, les évolutions de l’activité depuis la crise sanitaire sont
difficiles à analyser :
le système d’information hospitalièr
e ne permet pas
d’identifier ce qui relève d’un
rattrapage des opérations non-réalisées
pendant la crise sanitaire et ce qui relève de changements des pratiques
médicales et chirurgicales.
Dès lors, il n’a pas été possible à la Cour d’estimer
pour la période
2019-2022 le lien entre la variation du nombre de nuits
d’hospitalisation et
celle du nombre de lits, comme cela a pu être fait précédemment pour la
période 2013-2019.
3 -
Une charge de travail à mieux évaluer
Selon l’Agence technique de l’information sur
l’hospitalisation, le
taux d’absentéisme des personnels non médicaux soignants est passé de
8 % en 2019 à 11 % en 2021. Ce taux était en 2022 de 14,2
% à l’AP
-HM,
de 11,2 % aux HCL et de 8,9
% à l’AP
-HP.
En outre, les difficultés de recrutement sont importantes. 9,8 % des
postes d’infirmiers étaient vacants à l’AP
-
HP, avec une baisse de l’effectif
infirmier de 8 % depuis 2019
; 5 % des postes d’infirmiers étaient vacants
aux HCL, en particulier pour les infirmiers anesthésistes et de bloc
opératoire. Près
d’une infirmière hospitalière sur deux a quitté l’hôpital ou
a changé de métier après dix ans de carrière
373
.
Les causes de la désaffection des personnels infirmiers sont
plurielles (rémunération, conditions de travail, pénibilité). Entre autres
facteurs, le
virage ambulatoire a eu pour effet d’intensifier la charge en
soins
374
: les patients pouvant être pris en charge en ambulatoire ne sont
plus hospitalisés et ceux admis en hospitalisation complète le sont au
moment de la phase aiguë de leur pathologie.
La crise sanitaire a renforcé cette évolution. Les patients atteints de
covid ont nécessité des soins importants, qui ont conduit à des
déprogrammations ou à des retards de prise en charge pour d’autres
pathologies
375
.
373
Drees,
Études et Résultats
n°1277, juillet 2023.
374
La charge en soins peut se définir comme l’ensemble des actions paramédicales requises
par un patient en 24
heures. Elle inclut l’ensemble des soins prodigués techniques
(diagnostiques et thérapeutiques), de base (alimentation et hygiène), relationnels ou éducatifs.
375
Sénat,
Santé publique : pour un nouveau départ
–
leçon de l’épidémie de covid
19,
rapport de commission d’enquête, 2020.
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COUR DES COMPTES
294
Il n’existe toutefois pas d’outil consensuel permettant d’objectiver
la charge en soins. La seule méthode élaborée en France est la mesure des
« soins infirmiers individualisés à la personne soignée », prévue par la
circulaire n° 205 du 1
er
septembre
1987. Cette méthode n’a cependant
jamais été re
connue ni portée par la direction générale de l’offre de soins
(DGOS).
En
2009,
l’Agence
technique
de
l’information
sur
l’hospitalisation a installé un groupe de travail visant à l’utiliser dans
l’étude nationale des coûts de médecine, chirurgie et obstétr
ique. Les
travaux, relancés en 2017, n’ont pas abouti.
La charge totale de travail des infirmiers et des aides-soignants
inclut, en plus de la charge en soins, des «
actions afférentes aux soins
»
376
,
définies en 1995. Elles représenteraient plus de 50 % du temps de travail
des infirmiers et des aides-soignants, 57 % dans une évaluation réalisée au
centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux en 2021.
Entre 2013 et 2019, l’activité hospitalière a progressé de 9
% et les
effectifs infirmiers de 2,4 %. La productivité des infirmiers a augmenté
mais leur charge de travail a pu aussi s’accroître du fait de reports de tâches,
permanents ou ponctuels, entre les différentes catégories de professionnels,
sans qu’aucune mesure en soit faite.
Après l’épidémie d
e covid, les hôpitaux rencontrés ont cherché à
mieux apprécier la charge de travail des services et à ajuster les effectifs au
chevet des patients
377
si cela s’avérait nécessaire. Chaque établissement a
élaboré sa propre méthodologie d’évaluation.
Il serait souhaitable de pouvoir apprécier la charge totale de travail
des infirmiers et des aides-soignants selon une méthode reconnue
nationalement. Cela permettrait un meilleur ajustement des effectifs et des
conditions de travail adaptées à des prises en charge sécurisées. Une
validation de la grille d’évaluation des soins infirmiers et des actions
afférentes aux soins, ainsi que leur informatisation en lien avec le dossier
patient, faciliteraient la mise en œuvre d’une telle mesure, qui s’ajouterait
utilement a
ux indicateurs d’activité médico
-
économiques (taux d’occupation
et durée moyenne de séjour) pour piloter l’organisation hospitalière.
376
Transmissions entre soignants, tâches administratives (entrée et sortie du patient,
procédur
es, etc.) et logistiques (approvisionnement, transport d’échantillons, préparation
des médicaments, etc.). Elles sont définies dans
Méthode pour mesurer les autres activités
afférentes aux soins, ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville
, février 1995.
377
Cour des comptes,
La situation financière des hôpitaux publics après la crise
sanitaire
, rapport public thématique, octobre 2023.
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RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
295
B -
Une capacité hospitalière à adapter aux effets
du vieillissement et aux territoires
La demande de soins va fortement s’accroître d’ici à 2040 sous
l’effet du vieillissement de la population, dans un contexte où les capacités
d’accueil sont contraintes, faute de personnel. Afin de répondre aux
besoins, des parcours de soins coordonnés, incluant le secteur médico-
social et les
soins de ville, doivent être constitués à l’échelle des territoires.
1 -
Une accélération des effets du vieillissement à anticiper
La Cour a estimé à trois millions pour la période 2013-2019 et à
treize millions pour la période 2020-2040 le nombre de nuits
d’
hospitalisation supplémentaires induites par le vieillissement de la
population
378
. Cette projection correspond à 45 000 lits supplémentaires en
médecine et en chirurgie, à mode de prise en charge inchangé
379
.
Tableau n° 30 :
part des différentes classes d’âge
dans la population générale entre 2010 et 2040
2010
2020
2040
85 ans et plus
2,0 %
2,9 %
4,8 %
70 - 84 ans
9,8 %
10,6 %
14,5 %
0 - 70 ans
88,2 %
86,5 %
80,7 %
Source : Cour des comptes à partir des projections de populations Insee, modèle Omphale, 2010-2070
Les effets du vieillissement de la population entre 2013 et 2019 ont
été absorbés par les hôpitaux grâce aux réductions des durées de séjour
mais il ne pourra pas en être de même à l’avenir
: une progression du taux
de chirurgie ambulatoire de 62,3 % en 2021 à 80 % ne permettrait de
compenser qu’un tiers des besoins nouveaux en lits liés au vieillissement
de la population.
En conséquence et afin de répondre au mieux aux besoins des
patients âgés de 75 ans et plus, les parcours de soins coordonnés doivent
être repensés pour réduire le nombre de passages dans les services
378
Estimation de la Cour réalisée sur le champ médecine et chirurgie à partir des
évolutions démographiques p
ar classes d’âge entre 2013 et 2019 publiées par l’Insee.
379
Le nombre de nuits en 2019 était, selon le PMSI 2022, de 48,4 millions (dont
14,1 millions en chirurgie et 34,3 millions en médecine).
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COUR DES COMPTES
296
d’urgence et d’hospitalisation
380
. Les parcours de ces patients présentent
en effet des atypies : après un passage aux urgences, près de 50 % ont été
hospitalisés, contre 14 % pour les patients de moins de 75 ans ; dans les cas
suivis d’un retour à domicile ou d’une sortie dans un établissement
psychiatrique, leur durée moyenne de séjour est supérieure.
Schéma n° 3 :
comparaison de la prise en charge d’un patient
de moins de 75 ans et d’un patient de plus d
e 75 ans en 2022
Source : Cour des comptes à partir des données PMSI 2022
Une récente étude de l’institut de recherche et de documentation de
l’économie en santé (Irdes) a mis en évidence qu’un Français de 75
ans et
plus sur quatre vivait dans un territoire mal desservi par les prestataires de
soins (Ehpad, résidences autonomie, infirmières libérales, services d’aide
à domicile). L
es dépenses d’hospitalisation de
ces populations étaient alors
plus élevées que dans les territoires mieux dotés, ce qui confirme que
«
la politique médico-sociale des départements et le niveau d'accessibilité
locale de l'offre médico-sociale [sont] des éléments déterminant la
capacité des territoires à réduire les hospitalisations
»
381
.
La réduction des écarts de parcours entre patients âgés et plus jeunes
passe par un renforcement de l’offre médico
-sociale et de soins primaires
380
Cour des comptes,
La prévention de la perte d’autonomie de
s personnes âgées
rapport public thématique, novembre 2021.
381
Irdes,
Question d’économie de la santé n°279
portant sur
les dépenses de santé des
personnes âgées de 75 ans et plus atteints d’une maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome
apparenté
, mai 2023, A Penneau et Z Or.
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AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
297
dans ces territoires sous-dotés, pour améliorer, en amont et en aval de
l’hôpital la prise en charge des personnes âgées et réduire la pression sur le
système hospitalier.
Un état des lieux et un plan d’action chiffré mériteraient donc d’être
inscrits dans chaque projet régional de santé afin d’anticiper les
effets du
vieillissement sur la demande de soins et d’adapter l’organisation de l’offre
de soins à cet enjeu de santé publique.
2 -
Une nécessaire fluidification des parcours de soins
non programmés
Les urgences doivent être en mesure de réorienter les patients
hospitalisés vers une structure adaptée après les avoir pris en charge. Dans
un des sites des HCL
, la durée d’attente pour être hospitalisé après un
passage aux urgences a augmenté de quatre heures entre janvier 2020 et
mai 2022, pour atteindre près de treize heures, ce qui illustre la difficulté
croissante à trouver des lits pour hospitaliser les patients.
Les hospitalisations à la suite d’un passage aux urgences ont
représenté 24
% de l’activité d’hospitalisation complète des hôpitaux
publics en 2022
382
. Ce taux est plus élevé pour les centres hospitaliers
généraux (45 %) que pour les CHU : 30 % à l
’AP
-HM, 22
% à l’AP
-HP,
19 % aux HCL.
Dès 2009, l’organisation d’un hôpital en pôles et la définition de
contrats précisant leurs moyens et leurs objectifs
383
auraient dû permettre
un fonctionnement mutualisé des lits et des équipes soignantes pour les
diffé
rents services d’un même pôle. Cette organisation reste variable d’un
hôpital à l’autre, voire au sein même d’un hôpital, et la spécialisation des
services, plus forte dans les CHU, est une difficulté pour la gestion
commune des lits.
À l’automne 2019, face à l’augmentation croissante du recours aux
urgences et à leur saturation, le pacte de refondation des urgences a mis
l’accent sur le nécessaire renforcement de la gestion des lits à l’hôpital pour
les hospitalisations non programmées, avec la définition par le ministère
d’un «
besoin journalier minimum en lits » calculé par les ARS
384
. Cette
notion suppose que si, par nature, les hospitalisations après passage aux
urgences ne sont pas programmables dans le temps, elles n’en restent pas
382
Résumés des passages aux urgences 2022, hors gynécologie-obstétrique.
383
Articles L. 6146-1 et R. 6146-8 du code de la santé publique.
384
Circulaire n° DGOS/R2/2019/235 du 07 novembre 2019.
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COUR DES COMPTES
298
moins prévisibles. En Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-
Alpes-Côte-
d’Azur, le besoin journalier minimum en lits a été transmis aux
hôpitaux concernés.
Cependant, cet indicateur trop global a été peu utilisé
385
. Il doit être
accompagné d’une gestion des lits structu
rée au niveau de chaque hôpital
ou groupement hospitalier de territoire, qui regroupe plusieurs centres
hospitaliers, et soutenue au niveau des ARS.
3 -
Une gestion des lits à organiser au niveau territorial
Depuis 2013, afin d’assurer une meilleure gestion d
u flux de patients
au sein de l’hôpital, d’optimiser l'occupation des lits et d’améliorer la
communication entre les différents acteurs, le ministère, avec l’appui de
l’Agence nationale d’appui à la performance, a promu la mise en place de
cellules de gestion des lits dans les hôpitaux.
Le rôle de ces cellules est d’anticiper les besoins provenant des
urgences, d’avoir une visibilité sur les disponibilités en lits de
l’établissement, et de veiller à ce que les durées de séjour soient optimales
par rapport
aux besoins des patients. Il s’agit de coordonner les parcours,
qu’ils soient ou non programmés, depuis l’admission d’un patient à
l’hôpital jusqu’à sa sortie.
Cette démarche a été fortement encouragée dans
le pacte de refondation des urgences en 2019, et rendue obligatoire dans le
cadre de la réforme des autorisations de médecine d’urgence
386
, afin
notamment de mettre fin aux durées de séjour anormalement longues.
Les durées de séjour anormalement longues
Les séjours anormalement longs se poursuivent pour différentes
raisons administratives, juridiques ou médico-sociales, alors que les patients
concernés, qualifiés alors de « bloqueurs de lits », sont considérés comme
pouvant sortir médicalement. Ces patients sont souvent âgés et en perte
d’autonomie. Les p
atients non gériatriques sont lourdement dépendants
après un accident cardio-vasculaire, une hospitalisation en neuro-oncologie
ou un passage en réanimation.
385
L’AP
-HP travaille pour le préciser par site et par discipline pour un pilotage plus fin.
L’AP
-
HM l’a décliné au niveau de ses services d’hospitalisation pour pouvoir l’utiliser en
amont de la période estivale à venir, afin de lisser la programmation et les congés.
386
Décrets n° 2023-1374 et n° 2023-1376 du 29 décembre 2023.
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LA RÉDUCTION DU NOMB
RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
299
En proportion, le volume de ces séjours est faible par rapport à celui
des hôpitaux rencontrés. Ils représentaient toutefois plus de 7 % des lits aux
HCL et près de 5
% des lits à l’AP
-HM en 2021.
Entre 2020 et 2023, de nombreux financements spécifiques et non
reconductibles ont été consacrés à la mise en place d’une gestion des lits
au sein des hôpitaux publics et privés, pour un total cumulé de 137
M€.
L’accumulation de ces mesures depuis 2019 est peu lisible pour les
ARS comme pour les hôpitaux et le nombre de cellules de gestion des lits
en activité est encore trop faible. Au 30 août 2022, seulement 58 % des
établissements avec service d’accueil d’urgence en disposaient. En outre,
leur qualité n’est toujours pas suivie,
un indicateur étant en cours
d’élaboration
387
.
Étant donné les difficultés actuelles pour maintenir les lits hospitaliers
ouverts, faute de personnel, les ARS devraient encourager les établissements
à disposer de cellules de gestion des lits performantes par des financements
liés aux résultats, voire par la contrainte dans certains cas.
Une mise en
œuvre
opérationnelle de ces cellules nécessiterait au
préalable un recensement fiable du nombre de lits dans les autres
établissements d’un même territoire
. Ce recensement pourrait être assuré
par la tenue exhaustive et à jour du répertoire national de l’offre et des
ressources, seul outil qui a vocation à donner une vision consolidée des lits
installés et de leur disponibilité.
En effet, en application du décret n°2006-577 du 22 mai 2006, les
hôpitaux qui participent à un réseau de prise en charge des urgences doivent
transmettre régulièrement leurs données mobilisables et disponibles à tous
les membres du réseau. Ces données, comprenant notamment leur nombre
de lits par discipline et par spécialité médicale
388
, constituent des
répertoires opérationnels de ressources.
Ces répertoires régionaux ont été informatisés en 2010 et la
DGOS
389
avait
prévu qu’ils soient rendus inter
-opérables. En 2019, ils ne
l’étaient toujours pas. La décision a donc été prise de déployer un répertoire
387
L’indice de maturité des cellules de gestion de lits a été mis au point par l’observatoire
régional des urgences d’Occitanie et par l’Anap en vue d’une animation du dispositif
territorial de ges
tion des lits. Il est en voie de généralisation par la DGOS depuis l’été 2023
388
Pour rappel, les disciplines sont la médecine, la chirurgie, l’obstétrique, les soins
médicaux et de réadaptation, les soins de longue durée et l’hospitalisation à domicile
;
l
es spécialités médicales incluent la gériatrie, la neurologie, la pneumologie, l’urologie,
la neurochirurgie, l’orthopédie, etc.
389
Instruction DGOS/PF5/2015/114 du 7 avril 2015
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COUR DES COMPTES
300
national et de supprimer progressivement les répertoires régionaux d’
ici à
la fin de l’année 2026.
Le répertoire national ne devait concerner initialement que l’offre
hospitalière. Il a été élargi en 2017 à l’offre médico
-sociale puis, en 2021,
aux professionnels de santé de ville. L’objectif est d'améliorer l'orientation
des patients vers l'offre la plus adaptée à leurs besoins, tout en réduisant les
délais de recherche.
Toutefois, à ce jour, seules les données du répertoire national
relatives aux services de réanimation et de soins critiques, adultes et
pédiatriques, sont considérées comme exhaustives et fiables. Dans le
champ de la médecine et de la chirurgie, 88 %
des hôpitaux renseignent le
répertoire national. Ce taux atteint 86 % pour les établissements médico-
sociaux concernant les patients âgés et en situation de handicap mais il est
quasiment nul pour l’offre de ville. En outre, les données hospitalières ne
sont pas toujours vérifiées par les ARS
390
, ce qui ne garantit ni leur qualité
ni leur exhaustivité.
Afin que le répertoire national puisse constituer un outil d
’aide à la
gestion des lits, il apparaît nécessaire de généraliser l’automatisation des
remontées d’information qui doivent y figurer et de définir un calendrier
de fiabilisation par discipline, voire par spécialité médicale.
390
Les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-
d’Azu
r
ont indiqué que les travaux de fiabilisation des informations n’avaient porté jusque
-là
que sur les capacités de réanimation et de soins critiques. D’autres régions, comme
l’Occitanie et la Nouvelle
-Aquitaine, ont mis en place une gestion territorialisée des lits
et sont plus avancées sur ces vérifications, même si aucune obligation en termes de
fréquence ou d’automatisation n’existe actuellement.
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RE DE LITS À L’HÔPIT
AL,
ENTRE STRATÉGIE ET CONTRAINTES
301
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
L
e virage ambulatoire
en cours
a eu pour objectif d’améliorer la
qualité des soins tout en réduisant leur coût
.
Il
a été accompagné d’une
réduction du nombre de lits sur la période 2013-2019.
Le manque de suivi et d’accompagnement de cette orientation
s
tratégique n’a toutefois pas permis de mesurer ses effets sur la qualité des
soins ni de confirmer dans quelle mesure elle a contribué à l’atteinte des
objectifs de maîtrise de la dépense. Au contraire, la détérioration des
résultats financiers des hôpitaux publics et le caractère limité des
restructurations menées pendant la période laissent penser que
les
économies d’échelle attendues n’ont, pour l’essentiel,
pas été réalisées.
Depuis la crise sanitaire, les capacités d’accueil réelles en lits
hospitaliers se sont encore plus contractées, faute de personnel.
Dans le futur, une adaptation des conditions de prise en charge
hospitalière devra être envisagée pour mieux répondre aux besoins de la
population et notamment à son vieillissement. Un certain desserrement de
la contrainte sur le nombre de lits disponibles, qui restera forte, supposera
la poursuite du virage ambulatoire et une amélioration de la coordination
au plan territorial de l’ensemble des secteurs hospitalier, médico
-social et
de ville
.
En conséquence, la Cour formule les trois recommandations de
gestion et la recommandation de politique publique suivantes :
27.
enrichir le recueil des données de l’enquête «
statistique annuelle des
établissements de santé » en distinguant les lits installés des lits
ouverts, et automatiser la transmission des données des hôpitaux vers
le répertoire opérationnel national des ressources, par filière de
soins ; (ministère du travail, de la santé et des solidarités) ;
28.
valider une méthode d’évaluation de la charge de tra
vail des
infirmiers et des aides-soignants et mettre à la disposition des
établissements un outil informatique permettant la mesure de cette
charge (ministère du travail, de la santé et des solidarités, Agence
nationale d’appui à la performance)
;
29.
définir,
dans chaque projet régional de santé, un plan d’action chiffré
visant à limiter le plus possible les hospitalisations évitables des
personnes âgées de 75 ans et plus (ministère du travail, de la santé et
des solidarités) ;
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COUR DES COMPTES
302
30.
confier aux ARS la responsabilité du pilotage de la gestion des lits
effectivement ouverts au niveau territorial ; pour cela, intégrer les
conditions de ce pilotage dans les contrats pluriannuels d’objectifs et
de moyens signés entre les ARS et les hôpitaux, avec des financements
liés à la présence de cellules de gestion des lits dans les établissements
hospitaliers et à leur efficacité à fluidifier les parcours de soin
(ministère du travail, de la santé et des solidarités).
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