1
La gestion durable de la forêt
métropolitaine, quelle adaptation
au changement climatique ?
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Près du tiers de la métropole est couvert par la forêt. Sa surface
représente 171 000 km
2
(17,1 millions d’hectares) en croissance
continue depuis le XIX
e
siècle.
Les effets du changement climatique sur les peuplements forestiers
se sont accélérés et intensifiés. L’augmentation des températures et les
sécheresses sévères intervenues depuis 2018 accroissent les besoins
physiologiques des arbres en eau et déclenchent des dépérissements. Les
crises d’origine biotique se multiplient (notamment la crise des
scolytes
1
). Les feux hors normes de l’été 2022 ont fortement
marqué
l’opinion publique. Près de 20
000 incendies, en partie simultanés, dans
90 départements, ont fait disparaître 72 000 hectares
2
de végétation,
mettant durement à l’épreuve les services d’incendie et de secours, qui
se sont trouvés à la limite de la rupture capacitaire.
Ces destructions
ont des conséquences tant sur l’environnement
–
en raison de l’affaiblissement du rôle de la forêt en matière de
séquestration du carbone et de menace pour la biodiversité
–
que sur
l’économie de la filière et la trans
formation des paysages. La
vulnérabilité de la forêt française au changement climatique et le
besoin de s’y adapter ont conduit aux mesures issues de la feuille de
1
Insectes xylophages qui s’attaquent aux résineux. Les conditions climatiques, plus
chaudes et plus sèches, entraînent leur prolifération en multipliant le nombre de
générations sur une année.
2
D’autres pays européens ont été touchés, comme l’Espagne (306
000 ha), la Roumanie
(153 000 ha) ou le Portugal (104 000 ha).
COUR DES COMPTES
8
route pour l’adaptation des forêts (2020) et des assises de la forêt et du
bois (2022), ains
i qu’à l’adoption de la loi du 10 juillet 2023 visant à
renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension
du risque incendie.
L’enquête réalisée par cinq chambres régionales des comptes
3
et
la Cour des comptes
4
, dont les résultats sont présentés dans ce chapitre,
fait état des conséquences, de plus en plus visibles, des effets du
changement climatique sur la forêt (I), analyse les limites des mesures
récemment mises en œuvre (II) et présente les changements à engager
dans la gesti
on et la protection de la forêt pour lui permettre de s’adapter
durablement (III).
I -
L’intensification et l’accélération
des effets du réchauffement climatique
sur l’ensemble des massifs
La forêt métropolitaine est fortement affectée par le réchauffement
cl
imatique, sans que l’état de la recherche n’apporte de
certitudes sur les
meilleures mesures d’adaptation à mettre en œuvre. Cette situation
fragilise les propriétaires forestiers et notamment de nombreuses
communes forestières.
3
Chambres régionales des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-
Comté, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte-
d’Azur.
4
Enquête menée auprès
des services centraux et déconcentrés de l’État, de ses
établissements publics ainsi que d’un large échantillon d’organismes locaux
: région
Bourgogne Franche-Comté, communes forestières, établissements publics de gestion
forestière, associations syndical
es autorisées de défense contre l’incendie, parcs
naturels régionaux, services départementaux d’incendie et de secours.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
9
Schéma n° 1 :
portrait schématique de la forêt métropolitaine
Source : inventaire forestier national (IFN), IGN 2022
COUR DES COMPTES
10
A -
Des peuplements forestiers de plus en plus fragilisés
malgré leur diversité
1 -
Un changement climatique qui prend de vitesse
l’adaptation naturelle des forêts
Tant le groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC) que le Haut conseil pour le climat (HCC)
5
alertent sur le fait
que le réchauffement climatique entraîne pour les forêts une hausse de la
mortalité et des destructions par incendie. D’ici la fin
du siècle, 30 à 50 %
des territoires ne seront plus en mesure
d’offrir des conditions
adaptées aux
essences forestières existantes.
La vitesse des évolutions climatiques observées n’est plus
compatible avec celle de la migration des espèces forestières, qui leur
permettait, sur
le temps long, de s’adapter
6
.
L’inadaptation de certaines essences à leur milieu est de plus en plus
marquée. Leur répartition sur le territoire en est modifiée tant en latitude
qu’
en altitude
. L’aire de répartition de certaines e
ssences (sapin pectiné,
hêtre commun) se réduira ainsi fortement. Elle
s’élargira pour d’autres
(pin
maritime), transformant irréversiblement les paysages forestiers.
5
Rapport annuel 2023, «
acter l’urgence, engager les moyens
», juin 2023.
6
La vitesse du changement climatique est évaluée à 200 km par siècle alors que la
vitesse moyenne de migration actuelle des essences forestières est de 5 km par siècle
(CNPF, d’après les travaux de A. Ducousso et S. Delzon, INRAe).
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
11
Carte n° 1 :
cartes de compatibilité climatique pour trois essences
(sapin pectiné, pin maritime et hêtre commun) en 2050
Source
: cartes extraites de l’outil ClimEssences développé par le réseau mixte technologique
AFORCE. Compatibilité climatique : définit les territoires qui seront climatiquement
favorables à la présence de l’essence forestière.
2 -
Une vulnérabilité croissante des massifs
Les sécheresses marquées des dernières années et les températures
extrêmes entraînent des destructions massives de peuplements forestiers.
COUR DES COMPTES
12
L’
Inventaire forestier national (IFN) relève une hausse de la
mortalité de 54 % entre les périodes 2005-2013 et 2012-2020
7
. Ce
phénomène est notamment dû aux crises sanitaires liées aux conditions
climatiques. Il concerne surtout
les territoires de l’Est
où, à partir des
années 1970, la plantation de résineux a été privilégiée. Dans ces régions,
les peuplements d’épicéas situés en dessous de 800 à 1
000 m d’altitude
sont particulièrement touchés par la crise des scolytes et les sapinières
subissent des dépérissements liés à la sécheresse.
La superficie de peuplements dépéris ou susceptibles de disparaître
dans les dix prochaines années est estimée entre deux et trois millions
d’hectares selon les sources, soit environ 15
% du couvert forestier. Sur la
seule forêt publique, l’office national des forêts (ONF) relève la disparition
de 300 000 hectares depuis 2018 et des dépérissements dans près de la
moitié des peuplements.
Les conditions climatiques influent sur la réussite des plantations,
dont 38 % ont été en échec
8
en 2022, le plus mauvais résultat depuis 2007.
La sensibilité des peuplements aux incendies est également accrue.
Carte n° 2 :
prévision d’évolution des périodes
de forte sensibilité au feu
météo élevée : nombre de jours avec un indice forêt météo (IFM) >40
Source : Météo-F
rance, modèle Safran. L’indice forêt météorologique caractérise, pour une
journée, la propension d’un feu de forêt à s’aggraver et se propager. Il est calculé à partir de
la température, de l’humidité de l’air, de la vitesse du vent et du cumul des précipi
tations. Les
seuils utilisés sont IFM >20 (modéré), 40 (élevé) ou 60 (sévère).
Les projections de Météo F
rance à l’horizon de 2035 et 2055
montrent une accentuation du risque de feu de forêt autour de la
Méditerranée, mais également une sensibilité beaucoup plus forte sur la
majeure partie du territoire métropolitain.
Le risque s’accentuerait en
particulier pour les massifs forestiers aquitains et du val de Loire.
7
Institut national de l
’information géographique et forestière (IGN), IFN édition 2022.
8
Département santé des forêts (DSF), bilan de la santé des forêts en 2022.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
13
La saison des feux de forêt tend par ailleurs
à s’
élargir en juin et
septembre
. L’organisation
des forces de sécurité civile est articulée autour
de cette saisonnalité, qui permet une disponibilité des sapeurs-pompiers
volontaires, sur leurs congés, pour participer aux colonnes de renfort et
rend possible
la maintenance des moyens aériens sur le reste de l’année.
D
ans certains territoires, comme l’Aquitaine
, l
’augmentation d
es épisodes
de sécheresse hivernale favorise les feux de forêt à des périodes de moindre
disponibilité des ressources.
B -
Des propriétaires
confrontés à l’absence
de certitudes scientifiques
sur les solutions d’adaptation
1 -
Un effort de recherche sur
l’adaptation
de la forêt
qui demeure insuffisant
Les soutiens publics à la recherche dans le domaine de la forêt et du
bois (200
M€ par an) do
ivent être complétés par un programme prioritaire
de recherche
9
de 40
M€ dans le cadre de France 2030. Ces montants limités
ne peuvent aboutir qu’à des résultats modestes pour la recherche
10
.
Portée par de nombreux
organismes, l’activité de recherche est
coordonnée à travers deux réseaux, dont le réseau mixte technologique
AFORCE
11
,
chargé d’accompagner les forestiers dans l’adaptation des
forêts au changement climatique.
La plupart des moyens ne sont pas dirigés vers les questions
d’adaptation. Néanmoins, le
s travaux des établissements publics (Office
national des forêts (ONF) et Centre national de la propriété forestière
(CNPF))
sont
orientés
vers
la
recherche
appliquée
et
les
expérimentations, notamment en faveur de
l’adaptation. Leurs ressources
sont cependant limitées et ont peu évolué. Le département « recherche
développement innovation »
de l’ONF dispose d’un effectif de
71 ETP et
d’un budget de fonctionnement hors masse salariale stable à 0,6
M€,
l’institut de développement forestier (IDF), service rech
erche du CNPF,
regroupe 35 ETP.
9
PPR FORESTT 2024-
2031 coordonné par l’INRAe.
10
Cour des comptes,
Structuration de la filière forêt-bois, ses performances
économiques et environnementales
, avril 2020, chapitre II I-B.
11
Le RMT AFORCE (Adaptation des FORêts au Changement climatiquE) regroupe seize
partenaires et est coordonné par le centre national de la propriété forestière (CNPF).
COUR DES COMPTES
14
La part des travaux de recherche de l’ONF sur l’adaptation (50
%
en 2022) va toutefois continuer à progresser.
L’émergence de nouvelles
technologies devrait améliorer la connaissance des peuplements et de leur
évolution. En particulier,
l’utilisation des données LIDAR
12
doit permettre
à
l’
Office de monter en compétence dans le domaine de la télédétection et
de l’analyse de données
.
2 -
Une diffusion des connaissances à améliorer
L’accélération des conséquences du changement climat
ique sur les
forêts génère de fortes attentes des propriétaires. Ces derniers s’interrogent
principalement sur le choix des essences à planter et sur le traitement
sylvicole à adopter. Or, le temps long de la recherche en foresterie ne permet
pas d’apporte
r une réponse certaine et immédiate à ces préoccupations.
Des outils d’aide à la décision ont été développés, notamment des
modélisations de compatibilité climatique des essences ou des diagnostics
réalisés à partir des caractéristiques des sols des parcelles
13
. Certains guides
sylvicoles ont été révisés pour intégrer l’impact du changement climatique
14
.
De nombreux acteurs,
à l’image des parcs naturels régionaux du
Morvan et du Haut-Jura, développent leurs propres expérimentations.
Les parcs naturels régionaux (PNR),
acteurs
de l’expérimentation et de la recherche
Les forêts du Morvan sont constituées
d’
un tiers de résineux en
monoculture. Ces peuplements souffrent des évolutions climatiques et le
parc développe des expérimentations sur la diversification des modes de
sylviculture et les mélanges d’essences.
Le
PNR est partenaire d’un laboratoire expérimental concernant
l’adaptation des forêts au changement climatique
créé en 2022 sur le massif
du Mont Beuvray, financé au titre du
partenariat européen d’innova
tion
« agriculture et foresterie productives et durables » (PEI-AGRI 2021). Il
conduit également une expérimentation sur l
’
abaissement du seuil de
demande d’autorisation de
s coupes rases sur environ 40 000 hectares.
12
Light detection and ranging
: technologie permettant d’obtenir des données numériques
en 3D avec une description très précise de la couverture forestière. Les collectes LIDAR
effectuées par l’IGN et l’acquisition des données par l’ONF sont financé
es en partie dans
le cadre du plan de relance (22
M€ sur un montant total de 60
M€).
13
« ClimEssences » par le RMT AFORCE et « BioClimSol » par le CNPF.
14
Ils orientent les forestiers dans leurs choix de gestion. Le guide des stations calcaires
du Nord-
Est a par exemple été révisé avec l’appui financier des régions Grand Est et
Bourgogne-Franche-Comté.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
15
La forêt du PNR du Haut-Jura est composée majoritairement de
résineux. Depuis quelques années, le parc mène des études scientifiques
notamment sur la « vulnérabilité de la forêt »
en partenariat avec l’université
de Franche-Comté. Il a développé des outils de diagnostic des sols forestiers
et un observatoire des forêts du Haut-Jura et conduit, en 2021, une étude de
faisabilité d’un dispositif de détection et de neutralisation précoce des
scolytes sur les pessières d’altitude.
Ces études ont permis d’établir des diagnostics. Pour l’heure,
elles
n’ont pas encore engendré d’actions concrètes.
Favorisant la recherche de solutions au plus près du contexte local, ce
foisonnement d’expériences rend leurs résultats difficiles à valoriser. Certaines
expérimentations tardent à être rendues publiques : le guide des sylvicultures
des forêts littorales dunaires n’a, par exemple, toujours pas été mis à jour trois
ans après la publication des conclusions de l’étude correspondante
15
.
Outre les raisons économiques, ces incertitudes peuvent conduire
certains propriétaires à s’orienter vers d’autres usages plus rémunérateurs
16
. Ce
contexte rend indispensable de renforcer et d’élargir le rôle du
réseau mixte
technologique (RMT) AFORCE dans la mise à disposition et la coordination
de la diffusion de connaissances auprès des opérateurs de terrain.
C -
Certaines communes forestières
en grande difficulté financière
La forêt des collectivités locales représente 15,6 % de la production
métropolitaine et 18,3 % du volume de bois commercialisé
17
. Le niveau
des ventes de coupe de bois (352
M€ en 2022) constitue un enjeu financier
important pour les 15 000 communes forestières.
1 -
Une situation contrastée selon les territoires
et la taille des communes
La plupart des communes forestières sont situées au sein des deux
régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté
18
, territoires les plus
touchés par les dépérissements de peuplements depuis 2018.
15
Étude ECODUNE (2015-
2020), fruit d’un partenariat entre l’ONF et l’INRAe visant
à mieux comprendre la régénération des pins maritimes littoraux.
16
Commune de Rion-des-landes (Landes) : les centrales solaires installées sur
160 hectares génèrent une recette 11 fois supérieure à celle des coupes de bois.
17
Source IFN 2017-2021 et Agreste.
18
Les communes forestières de ces deux régions concentrent 80 % du volume de bois
commercialisé provenant des forêts des collectivités territoriales.
COUR DES COMPTES
16
Le montant des ventes de coupes de bois des collectivités locales a
nettement diminué
en 2019 et 2020, sous le double effet de l’
augmentation
du volume de bois dépéris et de la politique de rétention des ventes de bois
vert
19
. Le produit des ventes progresse en 2021 et 2022, porté par le volume
global commercialisé (2021) et la hausse importante du cours du bois (2022).
Les communes forestières ont enregistré ces deux dernières années des
recettes en hausse. Cette progression masque toutefois une dégradation de la
rentabilité de leur capital forestier (volume important de bois dépéris vendu à
faible prix dit produit accidentel). Par ailleurs, leur domaine forestier connaît
une réduction marquée, augurant une perte sensible de recettes à l’avenir
20
.
Carte n° 3 :
taux de produits accidentels de résineux récoltés au cours
des trois dernières années (de mai 2020 à mai 2023) en forêt publique
Source : ONF
–
bulletin sanitaire. Produit accidentel : bois récoltés
à la suite d’un phénomène ayant affecté leur santé et leur qualité
(récolte imprévue). Note : c
oncernant les feuillus, l’ONF constate,
dans son bulletin sanitaire, un moindre dépérissement mais une
situation qui va en s’aggravant notamment dans le Nord
-Est.
19
Depuis le début de la crise des sc
olytes, l’ONF et l
es unions régionales des communes
forestières ont décidé de réduire les coupes annuelles de bois frais pour permettre
l’écoulement des bois secs sans
que les cours
s’effondrent
.
20
La commune de Gerbamont (Vosges) a, par exemple, vendu en cinq ans,
l’équivalent
de 11,3 années de récolte et a perdu près de 10 % de son capital forestier.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
17
Entre 8 et 12 % des communes concernées présentent un risque fort de
dégradation de leurs comptes. Celles de moins de 500 habitants, qui
représentent plus de la moitié des communes forestières, sont très dépendantes
des produits de la forêt et sont donc les plus fragilisées financièrement.
En soutien aux communes les plus en difficulté, l’État a mis en place
une enveloppe d’1
M€
21
. Ce montant reste limité au regard de la situation
financière de nombreuses communes forestières. Ainsi, les communes de
Bourgogne-Franche-
Comté ont bénéficié d’une aide de 300
000
€ quand leurs
produits forestiers ont diminué de 20
M€ par rapport à leur montant moyen.
2 -
Une fragilité financière qui pénalise leurs capaci
tés d’investissement
Jusqu’en 2018, les communes forestières consacraient une grande partie
de leurs ressources forestières au financement de leurs dépenses d’équipement.
Elles les utilisent aujourd’hui pour couvrir leurs charges courantes.
Cette évolution a des répercussions immédiates sur le niveau
d’investissement sylvicole. Les communes concernées se trouvent en effet
dans l’incapacité de renouveler et d’adapter leur patrimoine forestier au
changement climatique. Le montant par hectare des travaux sylvicoles des
communes vosgiennes est ainsi passé de 41
€ en 2017 à 21
€ en 2022.
Certaines communes ne parviennent pas à renouveler leur patrimoine
détruit par les scolytes. Ainsi, la commune de La Longine (Haute-Saône)
n’a pu replanter que 10
hectares sur les 76 hectares sinistrés ; celle de
Sombacour (Doubs) a privilégié la régénération naturelle de moindre coût,
ne replantant qu’un
hectare sur 31.
En outre, la plupart des communes forestières ne disposent pas d’un
budget annexe « forêt » (90 % des communes forestières de Grand Est et
de Bourgogne-Franche-Comté
22
). Ce mécanisme permettrait pourtant
d’améliorer le pilotage budgétaire et d’assurer un niveau d’investissement
sylvicole minimal et régulier de nature à permettre l’adaptation et le
renouvellement de leur patrimoine forestier.
21
Aide exceptionnelle prévue à l’article
L. 2335-2 du code général des collectivités
territoriales
22
IGA et CGAAER
, Impact des scolytes sur le budget des
communes dans l’Est de la
France
, juin 2021
COUR DES COMPTES
18
Deux communes jurassiennes confrontées
aux conséquences du changement climatique
La commune de Grande-Rivière Château (632 habitants) gère une forêt
de résineux de 1 402 hectares. Les produits de coupe de bois ont été divisés par
deux sur la période 2019-2021. La dépréciation du bois (58 % du volume de
bois vendu est constitué de bois dépéri) a généré un manque à gagner de 0,8
M€
de recettes qui a conduit la commune à renoncer à tout travail sylvicole, au
risque d’obérer la
production future de la forêt et son adaptation.
Sur le premier plateau du Jura, la forêt communale de Lemuy
(244 habitants) a connu par le passé un enrésinement massif. Situés à
700
mètres d’altitude, les épicéas subissent de plein fouet l’attaque de
scolytes et les sapins dépérissent du fait de la sécheresse. 70 % de la forêt
communale est touchée, 30
% est d’ores et déjà détruite. Les recettes issues
de la forêt ont été divisées par trois entre 2017 et 2022 alors que la commune
avait réalisé d’importants investissements. Elle a dû lourdement s’endetter
(sa dette par habitant est dix fois supérieure à celle des communes
comparables) et sa capacité d’investissement est désormais nulle.
II -
Des mesures récentes d’adaptation
confrontées à des difficultés de mise
en œuvre
Que ce soit en termes sanitaires ou en matière de feux de forêt, les
prévisions relatives aux effets du réchauffement climatique sur la forêt
métropolitaine ont été dépassées en gravité.
Dans l’urgence, l’État a réagi en annonçant des mesures
d’a
daptation, portant sur le renouvellement forestier et le renforcement des
moyens de lutte contre les feux de forêt. Elles se heurtent cependant à des
difficultés de mise en œuvre et à l’éparpillement des propriétaires.
A -
Un renouvellement fragile sur certains territoires
1 -
Un effet limité du plan de relance
sur l’adaptation de la forêt
Le soutien public annuel à l’ensemble de la filière forêt
-bois est évalué
à 1,11
Md€ en moyenne sur la période 2019
-2022, stable par rapport à la
période 2015-2018
23
. Les premièr
es mesures d’adaptation de la forêt au
changement climatique n’ont commencé à être mises en œuvre que
23
Données du rapport de la Cour des comptes sur
la structuration de la filière forêt-
bois
, avril 2020, réactualisées pour la période 2019-2022.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
19
tardivement, en 2021. Elles représentent 85,6
M€ en crédits de paiement sur
les exercices 2021 et 2022. Il s’agit particulièrement des dispositifs financé
s
dans le cadre de France Relance (renouvellement forestier et soutien à la
filière graines et plants) ainsi que de la revalorisation de plusieurs missions
d’intérêt général (MIG) en lien avec l’adaptation de la forêt
24
.
S’agissant du fonds d’aide au
repeuplement du plan de relance, doté
de 210
M€ (dont 60
M€ gérés par l’ONF pour les forêts domaniales), les
crédits ont été engagés à hauteur de 166
M€ sur 2021 et 2022, dont 76
M€
avaient été payés en novembre 2023. Le programme France 2030 inclut
une dotation de 145
M€ pour poursuivre cet effort en faveur de la forêt
métropolitaine. À l’avenir, l’objectif de l’État est de pérenniser un outil
d’aide au renouvellement forestier à travers le projet de planter «
un
milliard d’arbres
»
25
en dix ans, dont le coût est évalué à 150
M€ par an.
26
Le niveau des aides à l’investissement de France Relance en 2021
et 2022, certes significatif
27
, demeure limité au regard des dépérissements
que connaît la forêt métropolitaine depuis 2018. Ainsi, alors que les
peuplements en forêt publique ont été détruits sur environ 60 000 hectares,
le fonds d’aide au repeuplement ne permettra d’en reconstituer que
15 000 ha. Dans les Vosges, le dispositif ne permettra de replanter que 6 %
de la forêt communale détruite.
Certaines intervent
ions du fonds d’aide au renouvellement de
France Relance ne répondent pas directement à des objectifs d’adaptation
des forêt
s. En effet, d’une part, elles
privilégient les peuplements à faible
valeur économique non dépéris
et, d’autre part, elles reposent
sur des
critères de diversification trop peu contraignants. Le dispositif a surtout
bénéficié à la forêt privée, qui a été quasiment la seule à solliciter le volet
relatif au
« peuplement à faible valeur économique »
du fonds d’aide au
renouvellement de France Relance. Les communes forestières ont, quant à
elles, majoritairement choisi de reconstituer leurs peuplements sinistrés en
privilégiant des plantations diversifiées, plus à même de s’adapter au
changement climatique. Certaines ont cependant été pénalisées par les
délais de réalisation des travaux imposés par France Relance, peu
compatibles avec le respect des règles administratives (validation des
conseils municipaux, passation des marchés publics).
24
MIG ressources génétiques forestières, santé des forêts et réseau national de suivi à
long terme des écosystèmes forestiers sur la période 2019-2022.
25
Discours du Président de la République du 28 octobre 2022.
26
La loi de finances initiale pour
2024 a retenu le montant de 100 M€ en crédits de
paiement pour l’année 2024
.
27
Il s’agit de l’investissement le plus significatif depuis l’arrêt du fonds forestier
national qui a pris fin avec la loi de finances de 2000.
COUR DES COMPTES
20
Par ailleurs, la sécheresse et la canicule de 2022 ont entraîné un taux
d’échec important des plantations, ce qui conduit les propriétaires
concernés à investir à nouveau pour remplacer les plants dépéris.
Enfin, le déploiement du dispositif s’est heurté à la disponibilité
des plants, pour lesquels la demande a fortement progressé. Alors que la
filière graines et plants a bénéficié de 12
M€ au titre du plan de relance
(6
M€ en crédits de paiement sur les exercices 2021 et 2022), les vergers
à graines financés par l’État n’entreront en production que dans 10
ou 20
ans selon l’ONF
28
.
Le plan France 2030 a mieux intégré les enjeux d’adaptation dans le
dispositif
29
. Cependant, les volumes financiers du plan ne sont pas à
l’échelle du besoin de reconstitution de parcelles détruites, qui plus est
depuis l’élargissement de l’éligibilité aux peuplements incendiés. La
dotation de 145
M€ permettra de replanter environ 30
000 hectares, soit
deux fois moins que la surface détruite par les incendies de 2022.
Dans ces conditions, il est nécessaire que le futur dispositif «
planter un
milliard d’arbres en 10 ans
» poursuive l’objectif engagé par France 2030 d’une
meilleure orientation des crédits vers l’adaptation des forêts au changement
climatique en ciblant ces derniers sur les peuplements dépéris ou inadaptés.
2 -
La nécessité de structurer la filière
des entreprises de travaux forestiers
6 882 entreprises de travaux forestiers
30
réalisent plus des trois
quarts des travaux d’exploitation forestière et de sylviculture. Composé de
70
% d’entreprises individuelles, ce maillon indispensable à l’amont de la
filière souffre de difficultés structurelles propres à la taille des sociétés et
au manque de compétences de gestion
31
. Avec le développement de la
mécanisation, leur nombre a fortement diminué depuis vingt ans.
Le volet relatif au renouvellement forestier du plan de relance a mis
en évidence les fragilités de la filière et sa grande difficulté à faire face à la
demande. Ce problème a été amplifié dans les territoires où l’ONF réalisait,
28
L’office gère la sècherie de la Joux (Jura) qui produit 50
% des graines françaises.
29
Plus grande exigence
de diversification dans les plantations, ouverture de l’aide aux
travaux de régénération naturelle,
contraintes renforcées pour l’éligibilité des coupes
rases sur les peuplements pauvres.
30
Source : fédération nationale entrepreneurs des territoires (FNEDT).
31
Étude du cabinet 1630 conseil,
Entreprises de travaux forestiers : quels profils à
l’avenir
, 2021.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
21
par le passé, la plupart des travaux et sur l
esquels une offre privée ne s’est
pas structurée. Dans des territoires très forestiers tels que le Jura, le Doubs,
les Vosges, la Savoie, de nombreux appels d’offres lancés par les communes
forestières en matière de plantations ont ainsi été infructueux. Cette situation
obère la capacité du dispositif à obtenir les résultats escomptés
32
. Pour
certaines communes jurassiennes (Lemuy, Andelot en Montagne), le coût
des travaux a parfois doublé, absorbant en partie la subvention de l’État.
La mise en tension de
la filière est due à l’augmentation de la
demande - portée par le dispositif France Relance et par une forte récolte
de bois dépéris -
et à la diminution des moyens de production de l’ONF
33
.
Ce dernier réduit depuis quelques années ses activités de travaux forestiers,
y compris sur les forêts domaniales, pour lesquelles il recourt de plus en
plus à des prestataires extérieurs (à hauteur de 99,1
M€ en 2022, contre
71
M€ en 2017). Confrontées également à des difficultés de recrutement
pour des métiers peu attractifs, les entreprises de travaux forestiers ne
parviennent pas à compenser la baisse de capacité de l’ONF, ce qui affecte
l’ensemble de la filière.
Dans le cadre de France 2030, la mise en place d’un programme
d’aide financière à l’investissement des ent
reprises de travaux forestiers
n’est pas suffisamment articulée avec les dispositifs régionaux en vigueur
depuis plusieurs années
34
. Cet accompagnement ne traite pas des difficultés
de recrutement de la filière, exacerbées par une inadéquation entre le besoin
et l’offre de formation
35
, ni des problèmes structurels d’organisation des
entreprises. L’accompagnement de la filière doit être recentré sur des
enjeux de structuration pour lui permettre de répondre aux exigences d’un
repeuplement massif de la forêt.
B -
La lutte contre les feux de forêt confrontée
à des contraintes humaines et matérielles
Les moyens de lutte contre les feux de forêt reposent majoritairement
sur l’action de proximité des services départementaux d’incendie et de
secours (SDIS) mais également
sur l’intervention des moyens nationaux de
sécurité civile. Leur coût annuel peut être estimé à 340,5
M€.
32
L
’ONF Bourgogne Franche
-
Comté estime que jusqu’à un tiers des
projets ne seront
pas réalisés,
faute d’opérateur disponible
.
33
Entre 2018 et 2022, l’effectif d’ouvriers forestiers de l’ONF a baissé d’un quart.
34
Cf. rapport d’observations définitives Région Bourgogne Franche
-Comté.
35
Source : FCBA :
Enjeux et perspectives de la mécanisation en exploitation forestière
à l’horizon
2020
, 2020.
COUR DES COMPTES
22
Schéma n° 2 :
moyens de la sécurité civile affectés à la lutte
contre les feux de forêts
Source
: Cour des comptes, d’après DGSCGC
Ce dispositif de lutte est appelé à être renforcé. Pour autant, face à
l’ampleur du risque, il rencontre des limites matérielles.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
23
1 -
Des moyens supplémentaires importants annoncés
à la suite des feux de forêts de 2022
L’intensité de la saison de feux de forêts de 2022 a conduit l’État à
accroître et à adapter les moyens dont dispose la sécurité civile.
La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du
ministère de l’intérieur (LOPMI), qui présente la stratégie pluriannuelle
d’investissement
du
ministère,
entérine
le
renouvel
lement
et
l’élargissement du parc aérien de la sécurité civile, dont la nécessité avait
déjà été soulignée par la Cour
36
. Le coût de l’acquisition de ces matériels
(avions canadairs et hélicoptères lourds) est estimé à 1,2
Md€
37
.
L’État a sollicité les SDIS pour mobiliser, dès l’été 2023, sept
colonnes de renfort supplémentaires et leur accorde des subventions pour
l’achat de matériels complémentaires de lutte contre les feux de forêts
38
.
La réponse massive à cet appel à projets, doté de 150
M€, traduit une pr
ise
de conscience par les
SDIS de l’importance
de leurs besoins en la matière.
Le pilotage national des campagnes de lutte contre les feux de forêt
au cours de l’été a été renforcé. Le dispositif de gestion de crise est
repositionné au centre opérationnel de gestion interministérielle des crises,
à Paris, et s’appuie sur un pôle spécifique situé sur la base de la sécurité
civile de Nîmes-
Garons. Ce pilotage permet de garantir l’application
uniforme de la doctrine nationale de lutte contre les feux de forêt, fondée
sur le principe d’attaque massive du feu naissant, mais également
d’harmoniser les critères d’analyse du risque. À ce titre, l’appui
opérationnel de Météo
France, jusqu’à présent réservé au
Sud de la France,
est progressivement étendu à l’ensemble de la métropole jusqu’en 2024.
36
Cour des comptes,
La flotte aérienne de la sécurité civile
, référé, octobre 2022.
37
Ce programme d’acquisition est susceptible de bénéficier d’un financement au titre
du mécanisme eur
opéen de protection civile de l’Union Européenne.
38
Les services de sécurité civile sont équipés de 3 690 camions citernes feux de forêt,
dont 1 502 appartiennent aux SDIS du pourtour méditerranéen. Leur nombre a baissé
de 12 % au cours de la dernière décennie, dans un contexte de contrainte financière
pesant sur les départements.
COUR DES COMPTES
24
Une mise à niveau du dispositif de lutte en Nouvelle-Aquitaine
essentiellement financée par l’État
L’État a prépositionné en Nouvelle
-Aquitaine, dès 2023, à la demande
des élus locaux, de nouveaux moyens aériens bombardiers
d’eau en location
39
ainsi qu’un détachement de pose de produit retardant (DIR), très efficace dans
la lutte contre les feux de forêt
40
. En outre, une unité supplémentaire de
formation militaire de la sécurité civile, permettant de mobiliser 150 à
200 sapeurs-
sauveteurs opérationnels de plus au cours de l’été, sera implantée
dans la région. Son installation, échelonnée jusqu’en 2027, cons
titue un défi
pour les prochaines années. Son coût est estimé à 63
M€ par an, hors
construction et premier équipement (140
M€). Ni le coût de construction, ni
les emplois et les crédits correspondants n’ont été programmés au sein de la
loi d’orientation et
de programmation du ministère de l’intérieur
(LOPM) ; ils
pourraient absorber les moyens prévus pour d’autres opérations. Le
dédoublement en Nouvelle-Aquitaine de la base aérienne de la sécurité civile
a même été envisagé, ce qui augmenterait les charges de structure, au
détriment des efforts d’adaptation de la sécurité civile, pour un bénéfice
opérationnel qui, à 1 heure 30 de vol de la base de Nîmes et alors que des
détachements estivaux sont déjà mis en place, n’est pas établi.
Parallèlement,
en
comparaison
avec
leurs
homologues
méditerranéens, les ressources humaines et matérielles mobilisées par les
SDIS de Nouvelle-
Aquitaine sont actuellement inférieures, qu’il s’agisse
des colonnes de renfort (deux colonnes extra-zonales, contre trois pour les
zones
ouest et six pour la zone sud) ou de l’armement de moyens aériens
41
.
Ces SDIS ont engagé en 2023 un effort, soutenu par l’État, afin de se doter
de camions citernes complémentaires et commencent à combler l’écart au
regard de leur surface forestière et de l
’évolution du risque.
2 -
Des limites en matière d’organisation
et de disponibilité des moyens
L’accroissement significatif des capacités opérationnelles de la
sécurité civile se heurte à des limites humaines et matérielles.
La faculté de disposer rapidement d
’effectifs formés, dans des
métiers stratégiques pour l’adaptation, à l’accroissement du risque de feux
de forêts (personnel navigant de la sécurité civile
42
, agents prévisionnistes
39
Un avion Dash, 10 hélicoptères lourds et quatre avions air-tractor.
40
Dans l’attente de la création annoncée d’un nouveau détachement, un détachement
localisé dans le sud-est a été déplacé.
41
0,3
M€ par an pour le SDIS de Gironde, contre 0,7
M€ pour le SIS de Corse
-du-Sud
ou 2,1
M€ pour le SDIS des Alpes
-Maritimes.
42
Il faut ainsi trois à quatre années pour former un commandant de bord sur avion
canadair, appelé à terme à devenir à son tour formateur. Leur recrutement a été freiné
entre 2011 et 2017.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
25
de Météo
France ou techniciens forestiers de l’ONF),
est restreinte par
l’e
ffet des
politiques passées de resserrement des schémas d’emploi, qui
ont méconnu les enjeux de transmission des compétences.
La capacité opérationnelle des SDIS, dans les territoires ruraux
(Ardèche) comme touristiques (Var), est par ailleurs de plus en plus
absorbée par les missions de secours à la personne.
Enfin, la disponibilité des équipements souhaités dépend de
contraintes industrielles que subissent les acteurs de la sécurité civile.
L’engagement effectif des industriels aéronautiques rend incertai
n le
calendrier de renouvellement de la flotte de la sécurité civile prévu pour
s’achever en 2027. S’agissant de l’acquisition de camions citernes pour
lutter contre
les feux de forêts, l’État et les SDIS sont confrontés à des
délais de livraison de 12 à 1
8 mois. L’augmentation substantielle du coût
des véhicules pourrait en définitive absorber le cofinancement proposé
par l’État.
C -
L’éparpillement des
propriétés, frein à
l’adaptation
au changement climatique
La mise en œuvre d’actions efficaces pour la gest
ion et la protection
de la forêt se heurte à l’éparpillement des propriétés. C’est particulièrement
le cas
s’agissant de la
forêt privée pour laquelle deux tiers des propriétaires
(2 203 000) possèdent des surfaces inférieures à un hectare, représentant
au total seulement 7,6 % de sa superficie.
1 -
Le morcellement des massifs : un obstacle à la lutte
contre les incendies de forêt
Le morcellement des propriétés complexifie les efforts des acteurs
publics pour identifier et atteindre les petits propriétaires et mettre en
œuvre les servitudes nécessaires aux aménagements de défense de la forêt
contre l’incendie
(DFCI)
43
. Le développement des associations syndicales
permet de réaliser ces aménagements et devrait donc figurer parmi les
premiers objectifs de préventi
on de l’État
pour les massifs où prédomine la
forêt privée. Ces structures peuvent d’ailleurs être constituées d’office par
le préfet pour la prévention des risques naturels.
43
Article L. 134-2 du code forestier.
COUR DES COMPTES
26
À ce titre, l’activité des associations syndicales autorisées (ASA)
dans le massif des Landes de Gascogne, liée à son exploitation
économique,
peut
constituer
un
exemple
d’organisation
44
.
Ces
établissements publics, composés de communes et de propriétaires privés,
permettent de mettre en place des aménagements de DFCI et d’assurer
l’e
ntretien des canaux, fossés, pares-
feux ou points d’eau. La cotisation des
propriétaires (2,5
€ par ha en moyenne
45
) paraît faible au regard des coûts
constatés et plusieurs ASA, en raison du niveau de leurs ressources,
atteignent difficilement le seuil de 20
% d’autofinancement nécessaire pour
obtenir des subventions d’investissement
de l’État ou de l’Union
Européenne (DFCI des Landes et de Gironde). Le réseau des ASA est en
outre fragilisé par le besoin de renouveler son bénévolat.
Ces structures syndicales sont moins présentes dans les autres
départements de Nouvelle-Aquitaine et font défaut dans les autres régions.
2 -
Encourager les regroupements forestiers pour une gestion
plus efficiente de la forêt
L’enjeu du regroupement pour améliorer l’efficacité de
la gestion
des forêts privées est essentiel. La lutte contre le morcellement mobilise de
nombreux instruments mais se heurte à la difficulté de contacter des
propriétaires très éparpillés et pas toujours identifiables
46
.
Dans le cadre des programmes régionaux de la forêt et du bois,
plusieurs mesures d’accompagnement permettent aux propriétaires de se
regrouper pour la gestion de leurs forêts. Ces regroupements peuvent
prendre la forme
d’
ASA ou toute
autre forme, à l’image de la fruitière de
gestion
forestière
du
Haut-Jura.
Ces
rapprochements
permettent
d’améliorer sensiblement
la gestion des forêts et doivent donc être
encouragés par un soutien accru aux actions locales d’animation et de
mobilisation des acteurs.
44
Article L. 132-2 du code forestier. Il existe sur les massifs des Landes de Gascogne,
de Charente et du Périgord Ouest 209 associations syndicales autorisées couvrant
340 communes sur 1,2
million d’hectares. Elles sont gérées par un réseau de
2 500 propriétaires fonciers bénévoles.
45
La déf
iscalisation de cette cotisation représente un coût annuel pour l’État de moins
de 0,5
M€.
46
Cour des comptes, avril 2020, op cit., chapitre II I-B.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
27
La gestion forestière concertée :
l’exempl
e de la fruitière forestière du Haut-Jura
Créée en 2015 sous forme associative, la fruitière forestière du Haut-
Jura regroupe aujourd’hui 233 propriétaires et 873 hectares. Chaque
adhérent bénéficie de conseils personnalisés et d’un document de gestion de
sa forêt. L’objectif est de pratiquer une sylviculture qui prenne en compte
les
enjeux
environnementaux
et
particulièrement
le
devenir
des
peuplements face au changement climatique. Les travaux sylvicoles sont
regroupés afin de réduire les coûts et l’impac
t environnemental des
interventions. La fruitière a bénéficié d’un accompagnement public dans le
cadre du programme régional de la forêt et du bois.
Dans la sphère publique, les forêts appartenant aux collectivités
territoriales sont plus morcelées que les
forêts domaniales de l’État
47
: 2,2 % de
leur superficie est géré dans le cadre d’un groupement
48
. À la crainte de
certaines communes de perdre leur pouvoir de décision s’ajoutent le coût élevé
de la création d’un groupement
49
et, depuis la loi NOTRé, la volonté des
services de l’État de limiter la création de nouveaux syndicats intercommunaux.
La gestion par une structure intercommunale présente pourtant de
nombreux intérêts : o
utre les économies d’échelle
générées dans
l’élaboration et le suivi des document
s de gestion, elle permet de donner la
priorité à
l’investissement forestier
et de mutualiser les risques, notamment
financiers. Une action forte en direction des communes pour promouvoir
la création de structures intercommunales de gestion forestière
50
, dans un
contexte d’adaptation de la forêt au changement climatique, est donc utile.
Elle serait favorisée par une prise en charge par l’État des frais liés aux
démarches préalables (environ 19
M€ pour atteindre l’objectif de 10
% de
forêts communales regroupées).
Par ailleurs, les enjeux de l’adaptation des forêts au changement
climatique et l’accompagnement des propriétaires dans leurs choix de gestion
justifient de favoriser les rapprochements entre forêt privée et forêt publique
à l’échelle des massifs. S’il est juridiquement difficile de créer des structures
de regroupement forestier de ce type, les actions communes pour
l’exploitation et la mobilisation du bois doivent être encouragées, à l’exemple
du projet
Symbiose
mis en œuvre en Auvergne
-Rhône-Alpes.
47
La surface moyenne de la forêt domaniale est de 1 340 hectares contre 231 hectares
pour la forêt des collectivités.
48
224 forêts de structures intercommunales gérées par l’ONF représentant 65
400 hectares.
49
Ce coût concerne l’évaluation du patrimoine forestier afin de déterminer les tantièmes
de répartition entre les membres. Il peut être estimé à 80
€/ha.
50
Prévues aux articles L. 231-1 à L. 231-6, L. 232-1 à L. 232-3 et L. 233-1 à L. 233-10
du code forestier.
COUR DES COMPTES
28
Le développement, à l’échelle des massifs, des chartes forestières de
territoire
51
, permet en outre de mettre en œuvre une stratégie collective de
valorisation des espaces forestiers et constitue une première étape dans le
rapprochement des propriétaires publics et privés. Les commissions régionales
de la forêt et du bois disposent, avec les programmes régionaux, des outils pour
relancer une dynamique de stratégie locale de développement forestier.
III -
L’évolution des modes de gestion
et de prévention, préalable à la réussite
de l’adaptation de la forêt
La vulnérabilité croissante de la forêt au changement climatique a
conduit l’État à mettre en place des dispositifs de
soutien, principalement
en investissement. Le seul recours à des dispositifs financiers minore
cependant l’importance de sujets structurels pour la gestion de la forêt
.
L
’adaptation des politiques publiques de gestion de la forêt demeure
en
effet confront
ée à l’obsolescence des méthodes d’aménagement et de
planification, à l’aggravation des déséquilibres sylvo
-cynégétiques et à la
lenteur de la diffusion des modèles de prévention et de sensibilisation dans
les territoires désormais concernés.
A -
Les outils d’
aménagement et de planification
doivent répondre aux enjeux actuels d’adaptation
1 -
Des documents de gestion forestière
aujourd’hui obsolètes
À l’échelle
de chaque domaine forestier, les documents de gestion
(aménagements forestiers en forêt publique et plan simple de gestion (PSG)
en forêt privée, pour les principaux) fixent, sur une longue période, les
modalités de gestion de la forêt (programme de coupes et de travaux en
fonction de la spécificité de la forêt)
52
.
Leur élaboration nécessite des moyens importants en relevés de
terrain, analyses de données et expertises
53
. Or, ces documents de gestion
prédictifs se fondent sur les résultats du passé et le principe de stabilité des
51
Articles L. 123-1 à L. 123-3 du code forestier.
52
Ces documents sont compatibles avec les orientations de la politique forestière
nationale fixées dans le plan national de la forêt et du bois (PNFB 2016-2026).
53
Pour la forêt publique, l’ONF y consacre 165 ETP.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
29
conditions de milieu. Ils
sont aujourd’hui dépassés et ne correspondent plus
à la réalité des forêts,
l’état sanitaire des massifs nécessitant d’adapter le
programme des travaux et des coupes.
Les documents de gestion n’intègrent que très rarement la question
de l’impact du changement climatique.
Dans la région Grand Est,
seulement 10 %
d’entre eux anticipent les risques sanitaires
alors que 75 %
de la forêt publique
est aujourd’hui concernée.
Les limites d’une démarche planificatrice dans le contexte de crise
se constatent également dans les documents de protection des forêts contre
l’incendie. Les plans départementaux
54
, conçus
sur la base d’un diagnostic
à partir des événements des sept dernières années, ne prennent pas en
compte l’
augmentation du risque. Par ailleurs, les documents de gestion
n’intègrent que rarement cette menace.
L’ensemble des acteurs considère qu’il est dorénavant impossible de
planifier l’exploitation forestière au
-delà de cinq ans. Des expérimentations
sont en cours pour définir un autre modèle, fondé sur l’évaluation en continu
de la vulnérabilité des peupleme
nts et de l’action des forestiers sur le terrain.
La mise en œuvre de tels dispositifs est complexe et nécessite une
évolution des métiers et l’acquisition de nouvelles
compétences. Elle ne
peut se faire sans un redéploiement des moyens. Or, ces derniers font déjà
défaut pour réaliser des bilans à mi-parcours ou réviser des documents
obsolètes, dont certains ont été prorogés administrativement pour ouvrir
droit aux subventions. De surcroît, la loi du 10 juillet 2023 précitée a
abaissé le seuil rendant obli
gatoire la réalisation d’un PSG
55
.
Pour répondre plus efficacement aux enjeux d’adaptation, les
dispositifs
d’accompagnement,
qui
privilégient
le
financement
des
investissements dans le renouvellement forestier, doivent intégrer la nécessité
de renforcer l
’expertise de terrain et l’accompagnement technique des acteurs.
2 -
Une vulnérabilité plus forte du fait de l’urbanisation
En 40 ans, la lisière des forêts s’est transformée sous l’effet de la
déprise agricole, de l’urbanisation et de la multiplication des ha
bitats diffus
et des équipements touristiques. Or, la doctrine de la sécurité civile priorise
la protection de l’habitat sur l’attaque du feu. Selon les acteurs de la
sécurité civile, près de la moitié des moyens terrestres déployés pour
54
Plans départementaux de protection des forêts contre l’incendie, article R.
133-10 du
code forestier.
55
Soit 0,5 M ha supplémentaires soumis à un PSG.
COUR DES COMPTES
30
chaque feu de forêt est consacrée à la défense des « points sensibles »
urbanisés. Le déploiement de moyens complémentaires de sécurité civile
pourrait ne pas suffire si les documents d’urbanisme des communes ou de
leurs groupements ne limitent pas les possibilités d’urbani
sation dans les
zones forestières ou à risques particuliers.
La loi du 10 juillet 2023 a ouvert au préfet la possibilité de définir
pour les communes à risque des « zones de danger », dans lesquelles
s’appliquent interdictions et prescriptions nécessaires.
Ce dispositif s’ajoute
aux plans de prévention des risques d’incendies de forêts (PPRIF)
56
, dont les
prescriptions, opposables, sont annexées aux documents d’urbanisme, et aux
« porter à connaissance » départementaux
57
, contributions écrites sans portée
jur
idique à l’attention des collectivités territoriales.
Pour autant, ces documents, qu’ils aient ou non une portée normative,
ont peu d’efficacité s’ils ne sont pas accompagnés d’un travail de
sensibilisation auprès des services d’urbanisme des collectivités
locales, en
particulier des plus modestes. La réduction des moyens humains des
directions départementales des territoires et de la mer au cours de la dernière
décennie
58
constitue un frein majeur à l’exercice de cet accompagnement.
B -
La réduction des déséquilibres sylvo-cynégétiques,
condition nécessaire à la régénération dans certains massifs
1 -
Une évolution défavorable de la situation
dont les conséquences financières ne cessent de croître
Le
déséquilibre
sylvo-cynégétique
induit
des conséquences
financières de plus en plus importantes pour l’exploitation forestière.
Il
n’existe pas d’évaluation nationale de son coût financier mais ce dernier
met parfois en péril l’équilibre économique de l’activité forestière
59
.
56
Article L. 562-
1 du code de l’environnement et article L.
131-17 du code forestier. Le
faible nombre de plans de prévention approuvés (272) s’explique notamment par la lenteur
(deux à trois ans en l’absence de contestation) et la difficulté d’
élaboration de ces documents.
57
Article L. 132-
2 du code de l’urbanisme.
58
Cour des comptes,
Les effectifs de l’administration territoriale de l’État
, observations
définitives, mai 2022.
59
La perte de revenu peut atteindre 400
€/ha/an, selon une étude coordonnée par
FIBOIS Alsace sur l’impact économique du déséquilibre forêt
-gibier sur la gestion
forestière (septembre 2014).
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
31
Outre l’imp
act économique sur la production de bois, le déséquilibre
sylvo-cynégétique
60
résultant d’une population trop importante de cervidés
dans nombre de forêts met en échec leur adaptation au changement climatique.
En 1973, le plan de chasse national pour les cerfs portait sur
2 339 individus. Ce nombre est passé en 2021 à 108 438. De plus, les
espaces colonisés sont de plus en plus étendus.
Carte n° 4 :
tableaux de chasse et présence par massif du cerf élaphe
1983-1984 et 2020-2021
Source : réseau ongulés sauvages OFB/FNC/FDC
Le renouvellement forestier devient difficile à mettre en œuvre et la
biodiversité forestière est menacée, les cervidés détruisant davantage les
essences d’arbres les plus résilientes face au changement climatique
61
.
60
Selon l’arti
cle L. 425-
4 du code de l’environnement, l’équilibre sylvo
-cynégétique consiste
«
à rendre compatibles, d’une part, la présence durable d'une faune sauvage riche et variée
et, d’autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités […] sylvic
oles »
.
61
Le sapin, le chêne ou encore le frêne sont plus appétents pour les cervidés que l’épicéa
ou le hêtre, deux essences parmi les moins résilientes au changement climatique (GIP
ECOFOR,
Influence du grand gibier sur le monde forestier
, 2014). Dans les Vosges,
certaines hêtraies sapinières du haut de la vallée de la Thur (Haut-Rhin) ont évolué vers
des hêtraies pures ; dans la forêt domaniale du Donon (Bas-Rhin), les jeunes
peuplements ne sont plus constitués que d’épicéas et de hêtres.
COUR DES COMPTES
32
En particulier, la régénération naturelle, considérée comme
favorable à l’adaptation au changement climatique, est compromise du fait
de l’impossibilité de protéger les plants.
Illustration des conséquences d’une surpopulation de cervidés
en forêt domaniale
Dans la forêt domaniale de Chaux (Jura), les populations de cerfs et
de chevreuils engendrent de nombreux dégâts sur les semis de chêne,
fragilisant une régénération naturelle déjà rendue difficile par la nature des
sols. L’ONF réalise un suivi de la situation à partir de
diagnostics sylvicoles,
qui fait apparaître une baisse systématique de la densité de semis, une
croissance en hauteur très limitée des plants (trois fois plus faible), une
augmentation du taux de dégâts et du nombre de placettes
62
avec absence de
semis. La régénération n
aturelle n’est plus possible sur au moins un tiers de
la forêt (4
000 hectares). L’ONF a obtenu une hausse de 50
% du plan de
chasse pour la saison 2023-2024.
Dans la forêt domaniale de Murat (Cantal), l’ONF a sollicité début
2023 auprès du ministère de l’
agriculture et de la souveraineté alimentaire
(MASA) une modification de l’aménagement forestier pour acter la
suspension du programme des coupes (effectif depuis 2020) du fait de la mise
en échec du renouvellement des peuplements par les dégâts dus au cerf.
L’ONF considère que, tant que l’équilibre n’est pas rétabli,
toute intervention
sur la forêt serait «
désastreuse pour le maintien de l’état boisé
».
L’échec de la plupart des comités régionaux paritaires à définir les
zones à enjeu et l’absence de protocole national unique d’évaluation des
dégâts rendent impossible l’évaluation de la pression du grand gibier sur la
forêt. Or ce diagnostic est une condition nécessaire à la mise en œuvre
d’actions de redressement
63
. La plateforme de signalement des dégâts du
grand gibier sur la forêt, déployée à l’échelle nationale depuis 2021, est très
peu renseignée.
Selon le ministère, les dépenses de protection des plantations
représentent 9 % des dépenses éligibles de France Relance
64
, soit 28
M€.
62
Parcelles
de petites surfaces réservées à l’expérimentation et aux études
.
63
Cour des comptes,
Les missions de service public des fédérations de chasseurs et leur
financement
, rapport public thématique, juillet 2023, chapitre II I-A-2.
64
Le CNPF, FranSylva et la FNCOFOR considèrent, quant à eux, que 30 % de
l’enveloppe de France Relance a été consacrée à des travaux de protection soit 4
5
M€.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
33
Le coût à l’hectare
protégé varie entre 1 200
€ et plus de 6
000
€ selon le
mode de protection choisi. L’État prévoit de favoriser la plantation d’un milliard
d’arbres en 10 ans, pour un montant estimé de subvention de 1,5
Md€. Le coût
de la protection de ces plantations représente entre 15 et 25 % de cette enveloppe.
Assurer partout sur le territoire un équilibre sylvo-cynégétique
permettrait de régénérer la forêt sans mise en œuvre de protection
s et donc
de réaliser une économie comprise entre 225 et 375
M€
65
.
2 -
Le
renouvellement forestier dépendant d’une meilleure
régulation des populations de cervidés
Aucune solution n’a permis, jusqu’à présent, d’améliorer la
situation. Les intentions affichées dans le programme national de la forêt
et du bois (PNFB) ou lors des Assises de la forêt et du bois tardent à
produire un résultat opérationnel
66
.
Les dégâts du
gibier sur la forêt ne font pas l’objet d’indemnisation,
contrairement aux dégâts agricoles. Une disposition législative
67
en prévoit
pourtant le principe depuis 2005. Sa mise en œuvre complexe et son champ
d’application restreint font que cette disposition
n’a jamais été mise en œuvre
68
.
Le mode de régulation actuel ne permet pas de garantir la
préservation et le renouvellement des forêts. La diminution constante du
nombre de chasseurs rend difficile la réalisation des plans de chasse et ne
permet pas de les augmenter sur les territoires qui le nécessitent.
La maîtrise des populations de cervidés passe par un niveau de pression
de chasse adapté à la situation de chaque territoire. Dans certaines forêts
domaniales très dégradées, l’ONF applique une stratégie d
e reprise des lots de
chasse sous sa direction
69
. L’agence Vosges Ouest a ainsi repris en régie les
lots en forêt domaniale en doublant les objectifs de prélèvement. Ce sont les
forestiers, accompagnés de chasseurs, qui réalisent les prélèvements, ce qui a
conduit à en améliorer les taux de réalisation. D’autres expériences,
notamment européennes, ont montré les effets positifs de la gestion en régie,
avec un retour à l’équilibre durable et des économies financières importantes
70
.
65
15 à 25 % des 1,5
Md€ estimés sur 10 ans.
66
Cour des comptes,
La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques
et environnementales
, communication à la commission des finances, de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
de l’Assemblée nationale, avril 2020, page 97.
67
Article L. 425-
12 du code de l’environnement.
68
En particulier, le barème ministériel fixant l’indemnité forfaitaire a été défini par arrêté
du 20 mai 2009 pour une durée de trois ans. Il n’est donc plus ap
plicable depuis 2012.
69
15 lots ont été repris en régie sur les 2 000 lots de chasse en forêt domaniale.
70
Pierre Beaudesson, Pierre Brossier et Arnaud Apert,
Prélèvements intensifs et
soutenus pour la maîtrise des populations de cervidés dans les forêts allemandes
, Forêt-
entreprise, n°225, novembre 2015 ou exemple du projet ASKAFOR qui s’est intéressé
aux pratiques sur cinq sites en France, Allemagne, Belgique et Luxembourg.
COUR DES COMPTES
34
Le retour à l’équilibre ne p
eut être confié aux seuls chasseurs
71
. Les
opérateurs publics de l’État (ONF, CNPF, office français de la biodiversité
(OFB)) pourraient être chargés, à titre expérimental, de réguler les
populations de cervidés sur les secteurs très dégradés. Cette mission, qui
augmenterait le niveau de prélèvements, serait de nature à réduire le
montant des aides allouées à la mise en place de protections.
C -
Une prévention qui reste à organiser dans les régions
nouvellement exposées aux feux de forêt
1 -
Des aménagements et des services de prévention à généraliser
Au sein des massifs, les aménagements de défense contre l’incendie
doivent être mis en cohérence avec l’accroissement du risque. Jusqu’à la
loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre
l
’
intensification et l
’
extension du risque incendie, le code forestier limitait
les territoires où ces aménagements pouvaient être déclarés d’utilité
publique, en dépit du
besoin d’équipement de certains massifs (SDIS du
Jura).
En
dehors
de
ces
territoires,
l’information
relative
au
dimensionnement des routes forestières est lacunaire, peu cartographiée et
mal suivie
72
, ce qui constitue un frein à l’engagement des véhicules (SDIS
de Haute-Saône). En outre, certaines communes peu peuplées ne disposent
pas des
moyens pour mettre en place les points d’eau destinés à la lutte
contre les incendies (SDIS d’
Ardèche et de Haute-Vienne).
La création de ces infrastructures représente un défi financier et de
capacité de maîtrise d’ouvrage pour les communes. Dans le massi
f des
Landes de Gascogne, ces aménagements représentent chaque année entre
1,70 et 2,60
€ en investissement et 0,85
€ en entretien
par hectare
73
. L’État
a ouvert des possibilités de cofinancement dans le cadre du « fonds vert ».
L’aide à l’investissement pour l’aménagement des forêts incombe
toutefois
aux régions, depuis le transfert de la gestion des fonds européens
74
. Pour
autant, ce sujet est nouveau dans de nombreuses régions.
L’entretien
71
Cour des comptes,
La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques
et environnementales
, communication à la commission des finances, de l
’
économie générale
et du contrôle budgétaire de l
’
Assemblée nationale, avril 2020, page 97.
72
Les départements ont désormais l’obligation de cartographier ces accès, à l’horizon de 2026.
73
L’extrapolation aux départements appelés à atteindre un niveau moyen de risque
représente
un coût annuel d’entretien de 2,1
M€ et d’investissement de 6,4
M€.
Le coût
moyen est cependant fonction de la topographie de chaque massif.
74
L’action correspondante est dotée de 112,4
M€ pour la période 2024
-2029.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
35
régulier des pistes ne donne lieu en revanche à aucun cofinancement, ce
qui peut générer un abandon progressif de cette mission.
À ce titre, les services départementaux de forestiers-sapeurs, qui
existent dans sept départements méditerranéens
75
, pourraient se révéler
utiles
dans d’autres territoires.
Leurs 764 agents assurent notamment
l’entretien et le débroussaillage des voies DFCI
76
, ainsi que des patrouilles
au cours de l’été. Par ailleurs, des missions de prévention pourraient être
confiées à des groupements intercommunaux chargés notamment de la
protection des espaces naturels sensibles, tels que le syndicat mixte des
gardes champêtres intercommunaux du Haut-Rhin.
2 -
La poursuite des dispositifs de sensibilisation du public
Dans neuf cas sur dix, les feux de forêt sont d’origine humaine, ce
qui justifie, depuis 2018, une campagne nationale de sensibilisation et de
prévention
77
. En 2023, l’État a également rappelé aux 2,5
millions de
propriétaires leur obligation légale de débroussaillage
78
, qui reste trop mal
connue
79
et ne donne lieu qu’à peu de verbalisations par l’ONF (700
en
2022). La finalité des travaux de débroussaillage est mal comprise et les
oppositions locales, voire les incidents, se sont multipliés, soulignant la
nécessité d’un échange démocratique au niveau local au sujet des risques
d’incendie
et des enjeux de biodiversité.
Certains SDIS, comme en Ardèche, assurent une action de médiation
auprès des maires et des habitants. Dans les territoires nouvellement
concernés, la sensibilisation des populations repose sur la mobilisation des
forces locales. Elle peut par
exemple prendre la forme, dans les Vosges, d’un
partenariat entre l’État, les communes, les propriétaires et les plateformes de
location ainsi que les associations de randonnée.
75
Des Alpes-
Maritimes (185 agents) à l’
Ardèche (24 agents), ces services sont
hétérogènes en taille comme en contenu des missions. Leur coût global peut être extrapolé
à 20
M€ de fonctionnement et 6
M€ d’investissement, partiellement financé par l’État.
76
Défense de la forêt contre les incendies.
77
Le coût de cette campagne, qui s’est appuyée sur des supports radiophoniques,
digitaux puis télévisés, est passé de moins 0,5
M€ à 1,4
M€ en 2022 et 1,6
M€ en 2023.
78
Cette campagne spécifique a représenté un coût de 1,7
M€.
79
L’obligation de débroussaillage ne serait appliquée qu’à 40
%, selon les estimations
de l’ONF. La moitié du coût est éligible au crédit d’impôt pour les services à la personne
(article D 723-1 du code du travail).
COUR DES COMPTES
36
3 -
La promotion d’une culture de la gestion des risques
de feux de forêts dans l
es territoires jusqu’à peu épargnés
Les incendies de l’été 2022 ont déclenché une prise de conscience
collective sur les territoires concernés. Elle s’est traduite en Gironde,
département en manque de volontariat, par un regain de l’engagement
bénévole en matière de sécurité civile ou, dans les Vosges, par la
conclusion entre l’État et le département d’une feuille de route prévoyant
des efforts conséquents de formation comme d’acquisition de matériels.
Face à l’accroissement du risque, le défi dans les territoires est d’accélérer
cette prise de conscience et de mettre en place une mobilisation préventive
sans attendre que survienne un événement dramatique.
Les acteurs locaux ont d’ores et déjà à leur disposition l’ensemble
des leviers nécessaires. Ainsi, la mobilisation des sous-commissions
départementales pour la sécurité contre les risques d’incendie de forêts et
d’espaces naturels,
lieu
de dialogue entre les services de l’État et les
associations d’élus, est encore trop
variable : rendez-vous régulier dans les
Bouches-du-
Rhône, elle n’est qu’annuelle
dans la Drôme et la commission
n’a
à ce jour jamais été constituée en Haute-
Vienne comme en Côte d’Or.
La diffusion d’une culture de gestion du risque de feux de forêt peut
s’inspirer de modèles d’engagements c
itoyen et bénévole. Ainsi, dans les
Bouches-du-
Rhône, des associations d’éducation populaire (scouts de
France) participent à l’information à l’entrée des forêts. Les 11
000 bénévoles
des réserves communales des départements méditerranéens organisent des
patrouilles. Dans le Var, le SDIS leur a délégué une mission de surveillance
pour se reconcentrer sur la lutte contre le feu.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
37
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
En réponse à l’accélération et à l’intensification des conséquences
du changement climatique sur la
forêt, l’État a mis en œuvre, depuis 2021,
des soutiens publics au renouvellement forestier et au renfort des moyens
de lutte contre les incendies. Ces investissements vont se poursuivre avec
l’objectif de «
planter un milliard d’arbres
» évalué à 1,5
Md€
d’aides sur
dix ans et le développement de moyens aériens et terrestres au cours de la
prochaine décennie (près de 1,5
Md€ également). Ces mesures témoignent
d’une prise de conscience de la gravité de la situation mais demeurent
complexes dans leur mise e
n œuvre et se heurtent d’ores et déjà à des
difficultés pratiques qui limitent leur efficacité.
Ces soutiens financiers n’apporteront pas à eux seuls de solutions
aux fragilités affectant les massifs forestiers. Ils doivent être assortis de
mesures structu
relles. L’essentiel des interventions de l’État est tourné
vers des soutiens à l’investissement. Or, l’adaptation de la forêt au
changement climatique, comme l’action préventive contre les incendies,
nécessitent avant tout de développer, au plus près des m
assifs, l’ingénierie
et la capacité de maîtrise d’ouvrage des acteurs locaux. Pour être efficace,
l’investissement dans le renouvellement de la forêt doit pouvoir s’appuyer
sur des opérateurs robustes, les mieux à même, par leur expertise de
terrain, d’évaluer en continu l’état des peuplements comme l’action des
forestiers et de lever les freins qui le contraignent aujourd’hui. En matière
de lutte contre les feux de forêts, le développement des moyens capacitaires
de la sécurité civile doit s’accompagner d’
un aménagement préventif des
massifs forestiers. Les habitants doivent être également associés aux
dispositifs de prévention.
Du fait de l’importance de leur patrimoine forestier et de leur rôle
dans les règles d’occupation des sols et dans le financement
des SDIS, les
collectivités territoriales doivent être également pleinement associées à la
définition, à la mise place et au financement d’une politique forestière
d’adaptation au changement climatique.
COUR DES COMPTES
38
La Cour formule les recommandations suivantes :
1.
inciter les communes forestières qui disposent de produits forestiers
réguliers à mieux piloter financièrement leur activité et leurs
investissements sylvicoles en favorisant la mise en place de budgets
annexes (ministère de l'intérieur et des outre-mer, ministère de
l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) ;
2.
faciliter le regroupement des forêts communales en accompagnant la
création de structures intercommunales de gestion forestière et en
utilisant les chartes forestières pour y associer la forêt privée
(ministère de l'intérieur et des outre-mer, ministère
de l’
agriculture et
de la souveraineté alimentaire) ;
3.
intégrer l’enjeu d’adaptation dans les documents de gestion forestière
à partir d’un suivi régulier de l’état des pe
uplements et affecter les
moyens humains des opérateurs pour accompagner ce processus sur
le terrain (ministère
de l’
agriculture et de la souveraineté alimentaire,
Office national des forêts, Centre national de la propriété forestière) ;
4.
confier aux établissements publics nationaux la direction et
l’organisation de la régulation des populations de cervidés sur les
territoires marqués par un important déséquilibre (ministère de la
transition écologique et de la cohésion des territoires, Office national
des forêts, Centre national de la propriété forestière, Office français
de la biodiversité) ;
5.
dans les départements nouvellement à risque, combler le retard du
déploiement des dispositifs juridiques et d’animation existants en
matière de prévention de lutte contre les feux de forêt (ministère de
l'intérieur et des outre-mer).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du ministre de la transition écologique
et de la cohésion des territoires
.................................................................
40
Réponse du ministre de l’agriculture
et de la souveraineté alimentaire
...............................................................
40
Réponse du directeur général du centre national
de la propriété forestière (CNPF)
..............................................................
44
Réponse du directeur général de l’Office français
de la biodiversité (OFB)
...........................................................................
46
Réponse de la directrice générale de l’Office national
des forêts (ONF)
.......................................................................................
48
Réponse reçue après la date de publication
Réponse du ministre de l’intérieur et des outre
-mer
...............................
489
Destinataire n’ayant pas d’observation
Monsieur le
ministre de l’économie, des finances
et de la souveraineté industrielle et numérique
COUR DES COMPTES
40
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Le président de la République a fixé un objectif de plantation d'un
milliard d'arbres à horizon 2030 afin de développer, comme préconisé par
la Cour des comptes, des capacités stratégiques de production de graines
et plants adaptés et diversifiés et d'amplifier le renouvellement forestier
afin de répondre à la rapidité et à l'intensité du changement climatique.
Par ailleurs, les critères d'éligibilité des peuplements forestiers au fonds
de renouvellement, au regard des objectifs de résilience et de préservation
de la biodiversité, et leur articulation avec le label bascarbone, constituent
un axe de travail inscrit dans la Stratégie nationale biodiversité 2030
récemment présentée par la première ministre.
Je partage le diagnostic sur le frein structurel que constitue la
dispersion de la propriété forestière tant pour déployer les mesures
d'adaptation des peuplements que pour organiser les mesures de
prévention des incendies, ou pour mobiliser la ressource bois, mais
souligne que ce problème réside principalement en forêt privée où près de
9 millions d'hectares ne disposent d'aucun plan de gestion.
Enfin, je partage le constat d'un nécessaire rétablissement de
l'équilibre forêt - gibier dans les massifs où le déséquilibre nuit à la
capacité des forêts à se régénérer et augmente les coûts de leur
renouvellement. Ce déséquilibre ne trouvera de solution qu'à travers la
mobilisation simultanée de diagnostics partagés entre forestiers et
chasseurs et d'un objectif de régulation primant sur la chasse marchande.
Une mobilisation plus large des agents publics de l'OFB et de l'ONF ne
fait en revanche pas partie des orientations que je retiens.
RÉPONSE
DU MINISTRE DE L’AG
RICULTURE
ET DE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE
Vous trouverez ci-après mes commentaires sur les recommandations
de ce rapport.
Je tiens à remercier la Cour des comptes pour son analyse fine de
l
’
enjeu crucial de l'adaptation des forêts métropolitaines aux changements
climatiques. Je partage les grandes lignes de cette étude.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
41
L
’
accélération et l
’
intensification des effets des changements
climatiques sur les forêts viennent bousculer les fondamentaux de la
gestion sylvicole. La gestion pensée jusqu
’
ici à climat constant n
’
est plus
adaptée pour garantir la pérennité des peuplements, et par conséquent les
services écosystémiques qu
’
ils rendent, dont notamment la récolte de bois
d
’œuvre. Face à ce constat, l’
État se mobilise afin d
’
apporter des moyens
et des réponses aux incertitudes provoquées par ces changements.
Cette mobilisation se concrétise au travers de plusieurs initiatives
stratégiques :
-
la feuille de route pour l
’
adaptation des forêts au changement
climatique (2020) :
dans ce document préparé par les acteurs de la forêt et du bois et
validé par le Conseil Supérieur de la Forêt et du Bois (CSFB), sont
présentées des mesures opérationnelles pour faire face au défi du
changement climatique afin de rendre nos forêts plus résilientes et
maintenir les services qu
’
elles rendent à nos sociétés. Un bilan et un suivi
de la feuille de route est prévu dans le cadre du Plan National d
’
Adaptation
au Changement Climatique (PNACC3) ;
-
les Assises de la forêt et du bois (2022) :
instance de concertation lancée en octobre 2021 entre toutes les
parties prenantes de la forêt et du bois pour faire converger les intérêts et
les stratégies favorisant la construction de la forêt de demain et garantir à
la fois sa sauvegarde et son exploitation durable dans nos territoires, les
Assises ont permis de définir une vision forestière autour de quatre piliers :
1. relever le défi de la connaissance pour dresser un état détaillé de
la forêt, suivre et anticiper ses évolutions et accompagner les propriétaires
forestiers dans leurs choix face au changement climatique ;
2.
poursuivre
et
pérenniser
les
financements
dédiés
au
renouvellement de forêts plus résilientes et riches de biodiversité ;
3. investir massivement pour assurer l
’
innovation et la compétitivité
de la filière industrielle bois ;
4. expérimenter de nouvelles formes de dialogue national et
territorial pour la conduite des politiques forestières et pérenniser la
dynamique des Assises.
La clôture des Assises a abouti à l
’
élaboration de 25 fiches actions
matérialisant les consensus trouvés avec les acteurs de la forêt et les
représentants de la société civile ;
COUR DES COMPTES
42
-
l
’
adoption de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention
et la lutte contre l'intensification et l
’
extension du risque incendie :
face aux feux d
’
une ampleur historique qu
’
a connus la France en 2022
avec une surface incendiée supérieure à six fois la moyenne des 10 années
précédentes, une loi visant à renforcer la défense des forêts et des surfaces
non boisées contre les incendies a été adoptée le 10 juillet 2023. Celle-ci
contient différentes mesures de prévention et de lutte contre le risque incendie
telles que le renforcement des obligations légales de débroussaillement, la
mise en place d'outils cartographiques mis à disposition du public, mais
également une interdiction de fumer en forêt pendant la période à risque. Une
stratégie nationale contre les incendies sera également élaborée par les
Ministères chargés de la forêt, de l'environnement, de l'urbanisme et de la
sécurité civile, en concertation avec diverses parties prenantes, et prendra en
compte le risque incendie croissant auquel va faire face le territoire
métropolitain dans les prochaines décennies ;
-
la feuille de route forêt et bois de la planification écologique dans le
cadre de France Nation Verte (suite au CSFB du 23 novembre 2023) :
la stratégie forestière est placée comme chantier prioritaire de la
planification écologique. Ce plan d'action fixe cinq axes de travail
élaborés à partir des 25 actions issues des Assises de la forêt et du bois :
1. mieux prévenir les risques et lutter contre les incendies ;
2. adapter la forêt au changement climatique ;
3. gérer durablement les forêts ;
4. restaurer et préserver la biodiversité, les services écosystémiques
et les sols des forêts ;
5. structurer et développer la filière pour mieux valoriser les
produits bois.
Le budget du volet forestier de la planification écologique s
’
élève à
plus de 500
M€
en 2024, dont 250
M€ au titre du renouvellement forestier.
Sur les recommandations du rapport de la Cour des comptes,
j
’
émets les observations suivantes :
-
concernant la recommandation 2, le ministère de l
’
agriculture et de
la souveraineté alimentaire (MASA) est favorable à la création de
syndicats intercommunaux de gestion forestière tout comme à celle
des syndicats mixtes de gestion forestière. Si elle induit un effort
supplémentaire de la part du gestionnaire de la forêt communale
qu
’
est l
’
Office national des forêts (ONF) au moment de la mise en
place, elle présente l
’
avantage de rationaliser les coûts de transaction
pour l
’
établissement tout en conservant aux communes constitutives
la propriété de leurs forêts. Elle facilite l
’
aménagement et l
’
entretien
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
43
des parcelles forestières réunies au sein du syndicat. La forêt
communale, comme le reste de l
’
espace forestier, souffre de manière
de plus en plus manifeste du réchauffement climatique, ce qui peut
inciter les élus locaux à se tourner vers ce type de structure afin d'en
assurer la gestion la plus adaptée possible, que ce soit dans la
prévention des risques naturels (en premier lieu du risque incendie)
que pour conforter ou sécuriser une ressource économique issue de
cet espace.
Les chartes forestières de territoire font partie des formes que peut
prendre une stratégie locale de développement forestier, laquelle a
notamment pour finalité d'encourager, sur un territoire pertinent, la
mobilisation
de
bois,
le
regroupement
des
propriétaires
et
la
restructuration foncière. À ce jour, le bilan de ces chartes reste modeste
puisque le caractère volontaire des engagements pris par les parties
prenantes n'a souvent pas permis d'amener à une vraie évolution de fond
en termes de mobilisation de bois.
-
concernant la recommandation 3, face aux enjeux du changement
climatique, il y a sans doute lieu de réfléchir à la question de
l'adaptation des documents de gestion en lien avec les établissements
publics concernés (ONF, Centre national de la propriété forestière
(CNPF), les gestionnaires et propriétaires). Concernant l
’
ONF, on peut
noter que la nouvelle mission d'intérêt général « changement
climatique » permettra à compter de 2024 d'apporter une première
réponse à cette question des moyens affectés à la question de la
connaissance des effets du changement climatique sur les peuplements ;
-
concernant la recommandation 4, et afin d'assurer le renouvellement
des forêts, il est nécessaire d
’
apporter une réponse au déséquilibre
sylvo-cygénétique que subissent certaines zones forestières. Les
établissements publics de l'ONF, du CNPF et l
’
Office Français de la
Biodiversité ont un rôle majeur à jouer sur ce sujet mais il ne leur
appartenait pas jusqu
’
à présent de mener directement des actions de
régulation par la chasse ;
-
concernant la recommandation 5, en ce qui concerne le volet relatif à
la prévention des incendies, le MASA poursuit ses efforts sur le
déploiement des dispositifs juridiques et d
’
animation en matière de
prévention et de lutte contre les incendies en forêts.
Il est aujourd
’
hui clair que, dans les prochaines décennies, les forêts
métropolitaines subiront de fortes modifications de leurs structures. Pour
faire face à ce grand défi, et garantir la durabilité de la gestion de nos
forêts pour les générations futures, une collaboration étroite et rigoureuse
est essentielle entre toutes les parties prenantes de la forêt. Les crédits de
la planification écologique déployés par le MASA y contribueront.
COUR DES COMPTES
44
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL
DE LA PROPRIÉTÉ FORESTIÈRE (CNPF)
Par courrier en date du 1
er
décembre 2023 vous sollicitez l’avis du
CNPF sur le chapitre du rapport public annuel 2024 portant sur la gestion
durable de la forêt et son adaptation au changement climatique.
Après étude du document avec Madame BAREAU, Présidente du
CNPF, nous relevons de manière positive vos recommandations sur les
moyens de l’établissement pour accompagner les propriétaires forestiers
sur le terrain afin de faire face aux enjeux de la gestion durable et de
l’adaptation au changement climatique. Nous partageons le cons
tat que
pour répondre plus efficacement aux enjeux d’adaptation, les dispositifs
d’accompagnement de l’investissement dans le renouvellement forestier
doivent
intégrer
le
renforcement
de
l’expertise
terrain
et
l’accompagnement technique des acteurs, qui fo
nt partie des missions
centrales du CNPF. La loi du 11 juillet 2023, qui sollicite le CNPF à tous
les niveaux, a été suivie par une élévation du plafond d’emploi de
l’établissement de 21 ETP dans le PLF 2024. Cet effort d’augmentation de
nos moyens devra être poursuivi en 2025 et 2026, car le besoin est estimé
à 50 ETP sur 3 ans.
Je partage avec la Cour la conviction de l’importance du travail de
recherche et de développement pour l’adaptation des forêts au changement
climatique, auquel s’attache le service
de recherche et développement du
CNPF en continuant de développer des outils d’aide à la décision
aujourd’hui reconnus par tous tels Bioclimsol, ARCHI, et l’indice de
biodiversité potentielle (IBP). De même, comme la Cour, je suis convaincu
de l’importanc
e du rôle du réseau RMT Aforce, coordonné et animé par le
CNPF, pour le transfert des connaissances.
Comme la Cour le souligne, l’enjeu du regroupement pour
améliorer l’efficacité de la gestion des forêts privées est essentiel. À ce
titre, Anne-Marie BAREAU, Présidente du CNPF, a co-présidé avec le
Président des communes forestières un groupe de travail dédié à ce sujet
et a remis le 6 novembre 2023 au Ministre de l’Agriculture un rapport «
Mobiliser les propriétaires forestiers » avec des propositions d’ac
tions
concrètes.
Le rapport public évoque le caractère soi-disant obsolète des
documents de gestion. II me semble qu’il faut relativiser ce constat. Tout
d’abord, même sous climat changeant, la planification de la gestion sur
une durée cohérente avec les cycles forestiers, longs par nature, reste le
pilier d’une gestion durable des forêts, d’une gestion pilotée et suivie, ainsi
que d’une transmission entre générations ou entre propriétaires en cas de
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
45
cession. Outre les outils d’aide à la décision évoqués pl
us haut, le
changement climatique est désormais intégré dans les documents cadre
pour cette gestion puisque des nouveaux Schémas Régionaux de Gestion
Sylvicoles (SRGS) sont en phase terminale de validation par le Ministère
(procédure terminée pour les régions Bretagne, Pays de Loire, Normandie,
Hauts de Frances, Centre Val de Loire, Ile de France, Bourgogne-
Franche-Comté, PACA et AURA ; très avancée pour les régions Occitanie,
Nouvelle-Aquitaine et Grand-
est, en attente d’un PRFB pour la Corse).
L’impact du
changement climatique y est désormais pris en considération
et les visites intermédiaires de PSG encouragées par la loi du 11 juillet
2023 renforcent la capacité à suivre les programmes de gestion. La Cour
recommande par ailleurs l’évaluation en continu d
e la vulnérabilité des
peuplements sur le terrain et c’est à quoi s’attachent les observateurs du
réseau du département de la santé des forêts, auquel participent très
largement les agents de terrain du CNPF. De même, de nombreuses
expérimentations sont suivies par notre établissement pour déterminer
quelles réponses de gestion sylvicole peuvent être apportées.
Ainsi, une
vision à long terme retrouvera au sein des futurs documents de gestion
durable toute sa crédibilité.
L’expertise de terrain demeure donc
bien le point clef de la
poursuite d’une gestion durable des forêts et de leur adaptation, de leur
résilience, de leur avenir en tant que productrices de bois, de leur
participation à la préservation de la biodiversité, de leur intérêt sociétal.
Vous insistez sur ce point et nous le partageons.
Vous mentionnez un sujet fondamental en page 25, celui de la
participation des opérateurs publics, CNPF entre autres, à la régulation
des populations de cervidés. Il reste à déterminer les modalités.
En ce qui conce
rne le risque de feux de forêts, je partage l’avis de la
nécessaire généralisation de la prévention aux régions nouvellement
exposées. Le CNPF s’y est résolument engagé, à la suite notamment de la loi
du 11 juillet 2023 qui le lui demande, et il est en train de recruter les agents
qui permettront d’installer un réseau national dédié à la prévention du risque
incendie dans le contexte du changement climatique et des autres risques qui
y sont liés. En outre, les nouveaux SRGS mentionnés plus haut vont permettre
l’intégration du risque incendie dans les documents de gestion durable des
forêts privées. Cela nécessitera, comme le relève la Cour, des actions de
sensibilisation et de promotion d’une culture de la gestion des risques auprès
des propriétaires forestiers, auquel le CNPF participera.
COUR DES COMPTES
46
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL D
E L’OFFICE FRANÇAIS
DE LA BIODIVERSITÉ (OFB)
Cette insertion, qui rappelle notamment les effets du changement
climatique sur la forêt et dresse le bilan des politiques publiques mobilisées
à c
ette fin, souligne un certain nombre de constats auxquels l’Office
français de la biodiversité (OFB) souscrit pleinement, même si
l’établissement n’en partage pas totalement les conclusions et la
recommandation s’agissant de l’équilibre sylvo
-cynégétique.
La Cour indique en effet que « le retour à l’équilibre ne peut être
confié qu’aux seuls chasseurs. Les opérateurs publics de l’État (ONF,
CNPF, OFB) pourraient être chargés, à titre expérimental, de réguler les
populations de cervidés sur les secteurs très dégradés. Cette mission, qui
augmenterait le niveau de prélèvements, serait de nature à réduire le
montant des aides allouées à la mise en place de protections ».
Au regard des nombreuses missions et priorités déjà assignées aux
services départementaux de
l’OFB, il ne me semble pas envisageable de
confier à l’établissement, dans le cadre actuel, une mission complémentaire
d’opérateur de premier niveau de la régulation des populations de grand
gibier et, partant, de garant de l’équilibre sylvo
-cynégétique. Je ne partage
ainsi pas la recommandation n° 4 tendant à « confier aux établissements
publics nationaux la direction et l’organisation de la régulation des
populations de cervidés sur les territoires marqués par un important
déséquilibre (ministre de la transition écologique et de la cohésion des
territoires, Office national des forêts, Centre national de la propriété
forestière, Office français de la biodiversité) ».
Il me semble en revanche important de souligner que,
conformément aux orientations définie
s dans son contrat d’objectifs et de
performance (COP), l’établissement est en mesure de fournir des
indicateurs robustes et adaptés, d’améliorer les outils de mesure du
déséquilibre forêt-
ongulés, ainsi que d’accompagner et d’évaluer leur
mise en œuvre, e
n fonction des objectifs fixés. Je pense notamment aux
indicateurs de changement écologique (ICE), qui peuvent être complétés
par la méthode dite « Brossier-Pallu », mais également aux outils de
diagnostic commun et de concertation.
Par ailleurs, je rappelle que, en matière de gouvernance de
l’équilibre sylvo
-cynégétique, les Assises de la forêt et du bois de mars
2022 ont notamment conclu à l’installation d’un comité technique national
de l’équilibre forêt
-gibier (fiche-action 4.3), rassemblant toutes les parties
prenantes et s’appuyant sur un baromètre national de cet équilibre, et à la
diffusion d’une instruction du Gouvernement destinée à établir un cadre
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
47
favorisant le dialogue entre les acteurs de la filière forêt-bois et les
fédérations départementales des chasseurs. Ce comité technique national
doit être le cadre de réflexion et de définition des objectifs en matière
d’équilibre sylvo
-cynégétique.
La gestion du déséquilibre relève bien de la compétence des acteurs
locaux (chasseurs, propriétaires et gestionnaires forestiers, agriculteurs). Il
revient alors au préfet de demander à ces acteurs locaux d’agir lorsque cela
est nécessaire, c’est
-à-dire en cas de constat de carence. Il peut dans ce cas
imposer des mesures correctrices supplémentaires pour améliorer la
connaissance et le partage de la situation, demander une meilleure protection
des secteurs les plus sensibles, augmenter les prélèvements, faire baisser les
populations et mettre en place des mesures financières. L’exercice de ces
prérogatives par le préfet me semble adaptées pour assurer la mise en œuvre
ou le renforcement des actions de restauration de l’équilibre sylvo
-
cynégétique quand des déséquilibres importants apparaissent.
C’est donc avant tout sur la mise en œuvre entière et effective de ces
mesures à l’échelle départementale et infra
-départementale que repose la
restauration rapide de cet équilibre. Les zones en déséquilibre sylvo-
cynégétique (« zones rouges ») et agro-sylvo-cynégétique (« points
noirs »), qui concentrent des dégâts forestiers et agricoles importants et
récurrents, sont particulièrement concernées. La restauration rapide de
cet équilibre peut aussi reposer sur la responsabilisation des territoires de
chasse et des acteurs locaux, grâce au choix concerté des outils adaptés à
la situation locale, notamment ceux à mettre prioritairement en œuvre.
Néanmoins, je ne suis pas opposé à la participation d’agents de
l’OFB pour de
s actions de régulation ciblées dans certains contextes
spécifiques qu’il conviendrait alors de définir (zones péri
-urbaines
particulièrement risquées, certaines aires protégées, etc.). Ainsi les
chasseurs conserveraient le premier niveau, les louvetiers le second et les
agents publics -
dont les agents de l’OFB
-
le troisième niveau. L’OFB
reste également prêt à contribuer à des opérations de régulation dans des
cas spécifiques, par exemple pour des enjeux sanitaires (peste porcine
africaine pour les sangliers ou brucellose pour les bouquetins),
L’OFB peut également contribuer à l’application des principes de
la gestion adaptative pour le sanglier, qui peut exercer une pression forte
sur la régénération du chêne et contribuer au déséquilibre forêt-ongulés,
au-delà des seuls cervidés pointés par la Cour dans ce chapitre.
Enfin, en complément d’une augmentation significative des plans de
chasse, qui reste la principale mesure efficace dans les zones en
déséquilibre, des mesures sylvicoles peuvent être prises (par exemple,
cloisonnements ou zones de gagnage) afin de favoriser l’installation d’une
végétation plus appétente que les essences forestières de production.
COUR DES COMPTES
48
Je tiens par ailleurs à apporter quelques compléments sur d’autres
thèmes abordés par la Cour dans le cadre de cette insertion consacrée à
l’adaptation de la forêt métropolitaine au changement climatique.
La Cour fait état du réseau mixte technologique adaptation des
forêts au changement climatique (RMT AFORCE), ainsi que du manque
d’investissement dans la recherche. Je me permets de signaler le rôle de
coordination exercé en la matière par le GIP ECOFOR, ainsi que les
moyens importants mis à disposition au travers des programmes et
équipements prioritaires de recherche « Forêts et changements globaux :
systèmes socio-écologiques en transition » - PEPR FORESTT.
Concernant l’adaptation des forêts (et de leur
gestion) au
changement climatique, je souligne l’intérêt des solutions d’adaptation au
changement climatique fondées sur la nature : en particulier la
régénération naturelle à partir des essences autochtones déjà présentes,
les interventions qui favorisent la fonctionnalité des écosystèmes, ou
encore la diversification des structures et modes de gestion.
Je souscris enfin aux analyses de la Cour sur les incendies de forêt,
en soulignant l’importance de la conciliation des enjeux de prévention des
incendies et de préservation de la biodiversité et des paysages, ainsi que
la réalisation de suivis de l'impact des incendies sur la biodiversité.
RÉPONSE DE LA DIRECTRICE GÉNÉ
RALE DE L’OFFICE
NATIONAL DES FORÊTS (ONF)
Tout d’abord, l'ONF souscrit pleinement au di
agnostic établi dans
le rapport, relatif à l’effet du changement climatique sur les peuplements
forestiers et aux nécessaires soutiens publics pour favoriser l’adaptation
des forêts à ce nouveau contexte. L'analyse de la Cour rejoint celle du
gestionnaire ONF.
Comme proposé dans le rapport, et formulé dans la recommandation
n°
3, intégrer l’enjeu d’adaptation dans les documents de gestion forestière
nécessitera de renforcer les moyens d'ingénierie des opérateurs publics
forestiers afin notamment d'évaluer en continu l'état des peuplements.
Les dispositifs de suivi
in situ
doivent se développer pour renforcer
la pertinence des diagnostics, comme le soutient l’ONF.
Outre cette observation, le développement de la filière graines-
plants est un autre enjeu majeur
pour permettre l’adaptation des
peuplements forestiers au changement climatique. Ce point est mentionné
dans le rapport mais mériterait, selon nous, d'être mis en avant et détaillé
afin d’en identifier les différents leviers.
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
49
Une fois les plants disponibles, le renouvellement des peuplements
forestiers nécessite, comme le souligne la Cour, de rétablir l'équilibre
forêt-gibier.
Cela
peut
nécessiter,
comme
proposé
dans
la
recommandation n° 4
,
une plus grande implication des établissements
nationaux dans l'acte de gestion des populations de cervidés. Nous
considérons toutefois que la reprise en gestion de lots de chasse par l'ONF
doit rester limitée et conserver une valeur d'exemplarité. Aussi, il nous
semblerait opportun de mettre prioritairement en exergue l'importance
d'augmenter significativement les plans de chasse des cervidés, car cet
enjeu concerne des superficies beaucoup plus importantes de forêt.
Concernant les moyens de la recherche sur l’adaptation des
peuplements forestiers au changement climatique, la Cour préconise, à
juste titre, de les consolider. Disposer de données les plus robustes possible
est de nature à améliorer l’aide à la décision pour les propriétaires
forestiers. Pour autant, l’ONF s’interroge sur la rédaction proposée
«
l’absence d
e données catégoriques de la recherche sur les meilleures
mesures d’adaptation à mettre en œuvre fragilise les propriétaires
forestiers
»
.
En effet, d’une part, la recherche produit régulièrement de
nouvelles données qui peuvent réinterroger les certitudes en place et,
d’autre
part,
les
démarches
expérimentales
proposées
par
les
gestionnaires ont vocation à produire de la connaissance qui est
régulièrement consolidée au profit des propriétaires.
Enfin,
la
mention
sur
les
chartes
forestières,
dans
la
recommandation n° 2, nous semblerait utilement devoir être décorrélée de
l’objectif de
regroupement des forêts communales.
RÉPONSE DU MINISTRE
DE L’INTÉRIEUR ET DE
S OUTRE-MER
Je
souhaite
apporter
plusieurs
précisions
quant
à
la
recommandation n° 1 du rapport incitant les communes forestières à mieux
piloter financièrement leur activité et leurs investissements sylvicoles, en
mettant en place des budgets annexes.
La constitution de budgets annexes n'est obligatoire que dans les
cas précisés par la loi. C'est notamment le cas s'agissant du suivi des
services
publics
à
caractère
industriel
ou
commercial
(SPIC),
conformément à l'article L. 2221-11 du Code général des collectivités
territoriales (CGCT) s'agissant d'une régie non dotée de la personnalité
morale. Le droit en vigueur impose, en effet, la constitution d'une régie
pour la gestion directe de ces services publics (article L. 1412-1 du CGCT)
COUR DES COMPTES
50
et prévoit une règle d'équilibre budgétaire stricte (article L. 2224-1 du
CGCT), tout en posant pour principe un financement de ces derniers par
les redevances payées par les usagers (CE, 30 septembre 1996, Société
stéphanoise des eaux). Les activités sylvicoles ne constituent pas des SPIC.
En tant qu'activité assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA),
et pour répondre à leurs obligations fiscales, les communes forestières ont
la faculté d'établir un budget annexe pour suivre l'activité sylvicole, comme
le précisent les instructions budgétaires et comptables M14 (régime des
communes) ou M57 (régime des métropoles).
Sur le plan du pilotage budgétaire, la constitution d'un budget
annexe ne paraît pas pertinente, et ce pour plusieurs raisons :
-
les recettes des ventes de bois ne sont pas systématiquement régulières
et conséquentes, ce qui rend l'atteinte annuelle de l'équilibre délicate
;
-
l'établissement du budget annexe ne constitue pas en soi un levier
facilitant le suivi du patrimoine, les obligations juridiques afférentes
à celui-ci ne posant pas de difficulté dans le cadre du budget principal
;
-
aucune garantie n'est assurée quant à un niveau de ressources
destinées à financer un programme d'investissement.
Dès lors que le volume et la régularité des recettes constituent des
conditions préalables à l'établissement des budgets annexes, la
recommandation s'adresse aux communes respectant ces conditions et
n'ayant pas encore constitué de budget annexe. Pour les communes n'étant
pas dans cette situation, la recommandation de ta Cour visant au
regroupement de la gestion des forêts communales dans des structures de
coopération intercommunale pourrait constituer une réponse plus adaptée.
En outre, la recommandation n° 2 propose de favoriser le
regroupement des forêts communales en accompagnant les communes
dans le développement de structures intercommunales. Il me semble que
ces évolutions doivent être étudiées au cas par cas :
-
l'échelon intercommunal permet effectivement une mutualisation de la
gestion sylvicole et des investissements plus importants. Il est ainsi
possible de prévoir une gestion intercommunale de la forêt publique
par un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à
fiscalité propre. En effet, l'article L. 5211-17 du CGCT permet le
transfert de compétences facultatives, c'est-à-dire dont le transfert
n'est pas prévu par la loi ou par la décision institutive de I'EPCI. Le
regroupement au niveau d'un EPCI à fiscalité propre n'emporte pas
LA GESTION DURABLE DE LA FORÊT MÉTROPOLITAINE, QUELLE
ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
51
de coût de création d'une structure nouvelle et constitue un niveau de
coopération au sein duquel les communes membres ont déjà l'habitude
de travailler ;
-
il est aussi possible d'organiser ce transfert vers un syndicat existant,
le cas échéant en modifiant ses statuts afin de lui permettre d'exercer
une compétence nouvelle ;
-
s'agissant toutefois de la création de syndicats nouveaux, l'article L.
5111-6 du CGCT dispose que le préfet ne peut autoriser la création
de syndicats que si elle est compatible avec le schéma départemental
de coopération intercommunale ou avec les orientations mentionnées
au III de l'article L. 5210-1-1 du même code. Or, parmi les
orientations fixées, figure au 40 du III de l'article précité « la
réduction du nombre de syndicats de communes et de syndicats
mixtes ».
D'autres dispositifs de mutualisation, plus souples, peuvent
également être mobilisés, comme les ententes (article L. 5221-1 du CGCT)
ou les prestations de service (article L. 5111-1 du même code).