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4
L’adaptation au changement climatique
des réseaux de transport
et de
distribution d’électricité
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Le transport et la distribution d’électricité constitue
nt deux des
quatre grandes activités de l’industrie électrique aux côtés, en amont, de
la production et, en aval, de la vente au consommateur final.
Schéma n° 14 :
présentation simplifiée du système électrique
Source : Cour des comptes
Le réseau de transport d’électricité comporte près de 106
000 km
de lignes très haute tension (225 et 400 kV) et haute tension (63 kV, 90 kV
et 150
kV) qui permettent de transporter l’électricité sur de longues
distances. La longueur du réseau de distribution est de plus de 1,4 million
de kilomètres. Il se compose de lignes à moyenne tension (10 à 30 kV) et à
basse tension (230 ou 400 V).
COUR DES COMPTES
358
Tableau n° 19 :
réseau de tr
ansport et de distribution d’électricité
gérés par RTE et Enedis en 2022 (en km)
Réseau de transport
Réseau de distribution
Total
Très haute tension Haute tension Moyenne tension Basse tension
49 365
56 451
664 447
736 976
1 507 240
Source : RTE (Open Data Réseaux Énergies - ODRE) et Enedis
Le réseau de transport s’étend des lieux de production vers plus de
2 300 postes de transformation, appelés « postes-sources », qui ont pour
rôle d’abaisser le niveau de tension.
Le réseau de distribution court des postes-
sources jusqu’au
x
compteurs des utilisateurs. L’électricité moyenne tension alimente
directement les clients industriels. Pour les autres clients (particuliers,
commerçants, artisans, etc.), elle est convertie en basse tension par des
postes de transformation (environ 800 000) avant livraison.
Réseau de transport d’électricité (RTE) est le seul gestionnaire du
réseau de tran
sport tandis qu’il existe 114 gestionnaires de réseaux de
distribution. Les gestionnaires métropolitains de plus de 100 000 clients sont
au nombre de six dont Enedis qui gère le réseau sur 95 % du territoire
323
.
Le changement climatique a des effets importants sur les réseaux
électriques du fait de leur densité et de leur localisation largement en
extérieur. Leur capacité à s’adapter au changement climatique constitue
donc une priorité. Pour les gestionnaires, elle nécessite d’identifier les points
de fragili
té des réseaux, d’engager des actions préventives pour supprimer
ou limiter les conséquences des aléas climatiques et de déterminer les
besoins d’investissements pour répondre à ces nouveaux défis,
amplifiés par
le développement de l’électricité à base d’é
nergies renouvelables.
Le présent chapitre ne porte que sur le réseau du territoire
hexagonal
324
. Il décrit les principaux risques climatiques auxquels font
face les réseaux électriques, puis analyse la pertinence des mesures
d’adaptation
prises par les gestionnaires de réseau
x avant d’
examiner les
impacts financiers, présents
et à venir, des mesures d’adaptation.
323
Les cinq autres principaux gestionnaires de réseaux de distribution d’éle
ctricité sont
les entreprises locales de distribution suivantes : Strasbourg Électricité Réseaux,
Réséda, Gérédis, SRD, GreenAlp.
324
Les problématiques propres à l’Outre
-mer et à la Corse sont traitées dans le rapport
de la Cour des comptes relatif aux soutiens publics aux zones non interconnectées.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
359
I -
Des risques accrus
et des vulnérabilités identifiées
Les réseaux électriques constitués d’un important linéaire réparti sur
l’ensemble du territoire sont de fait, tout à la fois dotés d’une bonne
résilience et exposés aux différents aléas climatiques. Néanmoins, le
changement climatique entraîne des modifica
tions dans l’intensité et la
fréquence des évènements extrêmes.
A -
La nature et l’intensité des risques modifiées
par le changement climatique
Les réseaux sont particulièrement sensibles aux phénomènes
climatiques aigus, comme les canicules ou les tempêtes.
D’autres risques
associés, comme l’élévation progressive du niveau de la mer, peuvent
également menacer les infrastructures de réseaux.
Les dommages provoqués par les évènements climatiques peuvent
affecter la structure physique des ouvrages, mais également leur capacité à
assurer leur service de façon optimale, par exemple en réduisant localement
le volume d’électricité acheminé. Ils peuvent aussi être à l’origine de
coupures de courant.
L’impact du changement climatique
sur les réseaux est soumis à des
incertitudes tenant à
l’impossibilité de prévoir avec exactitude les
évolutions climatiques et à la difficulté
d’établir
des projections à la maille
locale. Néanmoins, les différentes études réalisées par Météo-France et par
les gestionnaires de réseaux révèlent des évolutions significatives du degré
d’exposition des réseaux aux différents aléas climatiques.
Les vents forts et les tempêtes peuvent faire tomber des lignes
aériennes ou des arbres s’abatt
ant sur ces lignes. Le GIEC estime que
l’augmentation de ces phénomènes peut rester modérée mais
des variations
importantes sont prévisibles selon les régions du monde. Météo France
n’observe pas de tendance claire en termes de fréquence et d’intensité pour
la France, ce qui n’exclut pas l
es épisodes localement violents.
Les épisodes de froid entraînant des surcharges de glace et de neige
peuvent
avoir des conséquences importantes sur l’intégrité physique du
réseau ou sur son exploitation en créant des pertes d’isolation imposant la
mise hors tension.
COUR DES COMPTES
360
La neige collante
Il existe plusieurs types de neiges en fonction de la quantité d’eau
qu’elles contiennen
t.
En général, plus
l’
altitude est élevée et la température basse
(inférieure à 5 °C), plus la neige est « sèche ». La neige collante, plus
humide, est plus fréquente en plaine et tombe à une température égale ou
supérieure à zéro.
Ces épisodes neigeux sont souvent courts et localisés mais avec des
précipitations intenses. U
ne neige lourde s’agglomère autour des lignes
électriques pour former des manchons. Son accumulation peut causer des
dégâts, allant parfois jusqu’à
la rupture des lignes.
Les modèles climatiques projettent une diminution du nombre de
jours présentant des conditions favorables à l’apparition d’épisodes de
froid, gel et neige. Mais des phénomènes locaux ne peuvent être exclus.
Le risque
d’inondations
se manifeste de différentes manières. Il peut
s’agir de crues rapides et torrentielles résultant de précipitations intenses ou
d’inondations dues au ruissellement ou aux remontées de nappes. L’érosion
du trait de côte peut également accroître les risques de submersion marine.
Les inondations peuvent causer, par submersion, des dégâts aux
ouvrages souterrains mais aussi entraîner des glissements de terrain qui
peuvent emporter les câbles souterrains ou arracher les pylônes. Les
infiltrations d’eau peuvent accélérer leur vieillissement par l’effet de la
corrosion et entraîner des coupures d’électricité. Ce risque a tendance à
augmenter en raison de l’élévation du niveau de la mer,
des cumuls de pluies
lors d’évènements extrêmes et d’une modulation saisonnière plus marquée.
Enfin, dans son étude « Futurs Énergétiques 2050 », RTE relève que
la température est la variable pour laquelle les effets du changement
climatique sont les plus marqués.
Outre l’augmentation des températures
moyennes, les modèles climatiques anticipent une multiplication des
épisodes de canicule.
Les gestionnaires de réseaux estiment que la hausse des
températures moyennes a un impact limité sur la solidité et la performance
du réseau. En revanche, les réseaux électriques sont sensibles aux épisodes
de chaleur extrêmes.
Les températures élevées peuvent, par exemple, diminuer la
performance des matériels. L
e passage de l’électricité fait chauffer les
câbles conducteurs du réseau de transport (effet Joule). Lorsque la
température extérieure est particulièrement élevée,
l’impact de ce
phéno
mène d’échauffement est plus important et peut conduire
à une
diminution
du volume d’électricité
transporté.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
361
Une étude mentionnée par l’Agence européenne pour l’environnement
(EEA)
325
estime la baisse de performance, c’est
-à-dire de la puissance
transportée, à 1,5 % par degré en période estivale. Cette baisse de performance
des câbles aériens pourrait se cumuler avec l’augmentation de la demande
estivale d’électricité en cas de recours accru à la climatisation.
Par ailleurs, en raison de l’augmentation de l
a fréquence de
températures extrêmes, les épisodes de sécheresse devraient être plus
marqués. Ils peuvent favoriser les feux de forêts ou les aggraver quand ils
n’en sont pas directement la cause.
Les incendies peuvent alors limiter les
capacités de transi
t en raison de l’échauffement des câbles, causer des
dommages au réseau ou accélérer leur vieillissement. Enedis a relevé que
les incendies de l’été 2022
avaient entraîné 137 interruptions sur le réseau
de distribution, dont certaines de façon préventive pour permettre
l’intervention en sécurité des pompiers
.
Les effets de ces différents aléas climatiques peuvent se cumuler
(crue fluviale accompagnée d’orages violents) ou entraîner des effets en
cascade (chutes d’arbres provoqué
es par les tempêtes, incendies causés par
la chaleur, fragilisation des pylônes par des inondations). En juillet 2021,
les incendies dans l’Aude ont été à l’origine de la mise hors de tension
d’une ligne électrique à très haute tension
: il en a résulté une surcharge sur
les autres lignes de la région, avec pour conséquence, pour une durée d’une
heure env
iron, des coupures de courant et une déconnexion de l’Espagne
et du Portugal du réseau électrique européen.
B -
Une exposition aux risques qui varie
selon la nature des ouvrages
La sensibilité des infrastructures aux évènements climatiques
dépend d’un nombre i
mportant de facteurs.
Les réseaux aériens, principalement situés en zone rurale, sont plus
sensibles aux épisodes de vent violent, de givre ou de neige collante, en
particulier dans les zones boisées. Les températures élevées peuvent
affecter leur capacité de transport (cf.
supra
). Les réseaux souterrains sont
généralement moins exposés mais la performance des câbles est également
affectée en cas de chaleur intense. Ils sont en outre sensibles aux
glissements de terrain provoqués par des inondations.
325
Adaptation challenges and opportunities for the European energy system
,
European
environment agency (EEA)
, janvier 2019.
COUR DES COMPTES
362
Au sein du réseau de distribution, l
’infrastructure
de moyenne
tension
est à l’origine de l
a quasi-totalité du temps de coupure électrique
ayant une origine climatique en raison, notamment, de sa localisation dans
les zones boisées. Les réseaux souterrains de moyenne tension sont
également plus exposés
aux fortes chaleurs avec un taux d’incidents
quotidiens multiplié par cinq ou huit selon les matériaux utilisés pour
l’isolation des câbles
(cf.
infra
).
L’impact des aléas climatiques varie aussi selon la nature
des
ouvrages.
Schéma n° 15 :
exposition aux risques climatiques des différents
ouvrages du réseau électrique
Source : Carbone 4
Les pylônes aériens de très haute tension sont en général des
ouvrages robustes en métal, peu affectés par les aléas climatiques de type
tempête ou vents violents. La chute de tels ouvrages est exceptionnelle.
Néanmoins, l’érosion des sols causée par les inondations peut fragiliser
leurs fondations. Les structures en bois ou en aluminium du réseau de
distribution sont moins résistantes et peuvent être affectées par les chutes
d’arbres et
, pour celles en bois, par les incendies.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
363
Certains postes-sources reliant le réseau de transport au réseau de
distribution sont plus exposés aux risques de submersion lors de crues où
d’
inondations. Les dommages peuvent entraîner des coupures de courant
sur la zone inondée mais parfois au-delà, les postes-sources gérant
l’acheminement de l’électricité vers les clients finaux.
C -
Les faiblesses révélées par les tempêtes de 1999
Les 26, 27 et 28 décembre 1999, les tempêtes Lothar et Martin ont
balayé la France avec des rafales de vent atteignant 200 km/h. Plus de
1 000 pylônes de haute et très haute tension, 20 000 supports de moyenne
tension et 5 776 km de basse tension ont subi des dommages
326
. Près de
4
millions de foyers ont été privés d’électricité
. Au niveau européen, les
coûts de remplacement d
es ouvrages détruits ont été évalués à 152 M€ et
les pertes économiques estimées à 15
Md€
327
.
Ces évènements ont révélé des défauts structurels du réseau
d’électricité
mais aussi les limites de la capacité des gestionnaires à rétablir
le courant. Le rétablissement complet du réseau de distribution a pris deux
semaines.
Les décisions d’investissement prises à l
eur suite se sont, dans un
premier temps, concentrées sur les zones sinistrées afin de reconstruire les
parties du réseau endommagées.
RTE a lancé en 2000 un programme de sécurisation mécanique des
ouvrages vulnérables aux évènements climatiques, qui a inclus le
renforcement des fondations de certains pylônes,
l’installation de pylônes
anti-cascade et
l’élargissement des tranchées forestières. Les travaux ont
été réalisés jusqu’en 2017 pour un montant total de 2,5
Md€
2017
328
.
S’agissant du réseau de distribution, l
es premières mesures de
consolidation ont porté sur l’enfouissement des lignes et
sur
l’installation
de dispositifs de protection empêchant les chutes en cascade. Enedis a
également développé sa capacité de réponse aux crises en
s’engageant
à
réalimenter 90 % des clients touchés en moins de cinq jours et en créant en
juillet 2000 un
dispositif d’intervention d’urgence.
326
Vulnérabilité des réseaux d’infrastructures aux risques naturels
, CGEDD, septembre
2013, 102 pages.
327
Adaptation challenges and opportunities for the European energy system
,
European
environment agency (EEA)
, janvier 2019.
328
En euros 2017.
COUR DES COMPTES
364
La force d’intervention rapide électricité (FIRE)
La FIRE est un dispositif d’urgence créé en juillet 2000
par Enedis,
qui repose sur une nouvelle organisation de l’entreprise afin d’
intervenir
sous 48 heures
en cas d’incident climatique extrême. Elle permet de
mobiliser 2 500 salariés prêts à intervenir en soutien des équipes locales. Le
matériel nécessaire est réparti sur 11 plateformes logistiques de stockage
implantées
sur l’ensemble du territoire national
.
Initialement conçue pour les interventions sur le réseau aérien, la
FIRE intervient désormais aussi sur le réseau souterrain et sur les postes-
source. Depuis sa création, elle a été mobilisée une centaine de fois à la suite
d’évènements climatiques entraînant des coupures de courant
.
Afin de faciliter les opérations de rétablissement de courant, Enedis
a aussi mis en place un réseau privé de télécommunications qui lui permet
d’assurer la coordination des équipes
.
Les gestionnaires de réseaux ont par ailleurs développé des outils
pour
mieux connaître l’état de leurs infrastructures et intervenir plus
rapidement. Les cartographies
d’ouvrages et le développement d’outi
ls de
surveillance ont permis de mieux identifier les vulnérabilités du réseau et
de repérer les ouvrages les plus « incidentogènes ».
Certains de ces outils visent à recueillir et à traiter en temps réel des
données
sur l’état du réseau permett
a
nt d’intervenir, soit avant l’incident
soit en améliorant la réactivité des équipes d’intervention. En lien avec
RTE, le gestionnaire de réseau Gérédis a ainsi mis en place un outil
prédictif de croissance de la végétation permettant d’anticiper les besoins
d’élaga
ge et de débroussaillage à proximité des lignes électriques
aériennes. Sur le réseau basse tension, les compteurs Linky peuvent
détecter à distance des pannes et des anomalies de tension.
II -
Des mesures d’adaptation à renforcer
Au-
delà des mesures d’urgence
prises à la suite des tempêtes de
1999, les gestionnaires de réseaux ont progressivement pris des mesures et
élaboré des plans d’adaptation destinés à
anticiper ou répondre à des aléas
climatiques exceptionnels.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
365
A -
L’élaboration de plans d’adaptation
Chez Enedis, le plan « aléas climatiques » (PAC)
mis en œuvre à
partir de 2006 est notamment consacré au renforcement de la résilience du
réseau aérien de moyenne tension. Le plan vise à traiter les zones dites « à
risque avéré »
où le taux d’incident est, selon les estimations d’Enedis,
multiplié par six en cas d’aléas climatiques
. 47 200 km de lignes sont
concernés, soit environ 15 % des 316 500 km du réseau aérien de moyenne
tension.
Il s’agit, par exemple, des lignes voisines de massifs forestiers
ou
à diamètre trop réduit. Pour les parties moins directement exposées, un
programme complémentaire dit « Rénovation Programmée » se concentre
sur le seul remplacement des matériels non conformes au référentiel
technique.
Ce plan s’accompagne de programmes ciblés su
r certains
risques, par exemple les inondations, ou sur certaines technologies.
Chez RTE, les mesures d’adaptation ont d’abord visé le
renforcement des ouvrages face aux risques liés aux tempêtes. Un
programme plus récent (2019), dénommé « Résilience », se concentre sur
l’augmentation de la fréquence des épisodes caniculaires et la prévention
des risques d’inondations. Des études en cours sur ces sujets devraient
alimenter le nouveau schéma décennal de développement de réseau
(SDDR) en cours de finalisation (cf.
infra
).
B -
Des mesures en réponse à des évènements
climatiques des dernières décennies
1 -
La mise en souterrain des réseaux : une solution
relativement efficace mais coûteuse
La mise en souterrain des lignes a été la principale action mise en
œuvre par les
gestionnaires de réseaux pour améliorer la résilience des
infrastructures. Elle
présente l’avantage de protéger le réseau contre
plusieurs types d’évènements climatiques extrêmes, notamment les
tempêtes, les vents forts et la neige. Elle permet aussi de réduire les
opérations d’élagage
et de limiter les dommages en période de forte
chaleur, la température du sol étant inférieure à celle de l’air.
S
’agissant du
réseau de distribution géré par Enedis, la longueur des
réseaux souterrains a en conséquence doublé entre 2000 et 2022 et sa part
est passée de 30 % à 50 % sur la même période.
COUR DES COMPTES
366
Graphique n° 28 :
évolution depuis 2000 de la longueur des lignes
du réseau de distribution géré par Enedis (en km)
Source : données Enedis ; graphique Cour des comptes
La mise en souterrain des réseaux a pu contribuer à la baisse du
nombre d’incidents et du temps de coupure sur le réseau moyenne tension,
même si un lien de causalité direct est difficile à établir.
S’agissant du réseau de transport, la mise en souterrain est moindre
(7 % en 2022), car plus complexe techniquement. Néanmoins, les lignes
souterraines du réseau de transport ont augmenté de 68 % entre 2012 et 2022.
La mise en souterrain
des réseaux s’avère substantiellement plus
onéreuse en termes d’investissement
. Dans le schéma de développement
du réseau (SDDR) publié en 2019, RTE estime à + 40 % le surcoût
résultant de la mise en souterrain systématique des nouvelles lignes d’une
puissance de 63 à 225 kV, soit entre 750
M€ et 1,5 Md€ cumulés selon les
scénarios entre 2021 et 2035.
Enedis estime pour sa part que la mise en souterrain complète de ses
réseaux coûterait 170
Md€ en investissement dont 60
% pour le réseau
basse tension. Le gain estimé en temps de coupure serait de 21 minutes
pour le réseau moyenne tension mais marginal pour le réseau basse tension.
Si la fréquence des interventions, pour des réparations par exemple, est
moindre, les coûts et les durées d’intervention sont plus élevés.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
367
2 -
La suppression progressive des technologies
les plus incidentogènes
Certaines mesures prises, notamment par les gestionnaires du réseau
de distribution, consistent à supprimer progressivement les éléments
identifiés comme étant les plus vulnérables aux aléas climatiques.
Les lignes en conducteurs nus en cuivre, dites « fils nus » représentent,
fin 2022, 46 000 km de lignes aériennes basse tension gérées par Enedis
329
et
sont responsables de 15
000 incidents par an, soit un taux d’incident huit fois
plus élevé que celui de la basse tension en technique torsadée. La suppression
de la quasi-total
ité des fils nus est prévue à l’horizon 2040.
Le retour d’expérience de la canicule de 2003 a montré la vulnérabilité
du système d’isolation de certains câbles souterrains, notamment ceux isolés
au papier imprégné (CPI), posés jusque vers la fin des années 1970 en milieu
urbain. Les fortes chaleurs ont mis en évidence les défauts de ces câbles qui
ont entraîné de nombreuses défaillances, avec un taux d’incident multiplié par
huit sur le réseau souterrain moyenne tension.
Le programme de renouvellement lancé en 2008 a ciblé en priorité
les tronçons ayant la plus forte probabilité de défaillances : 8 300 km de
câbles CPI ont été déposés depuis 2010 sur les 30 000 km concernés pour
un coût de 1,5 Md€.
En moyenne tension, il subsiste 21 000 km de câbles issus de ces
technologies. Enedis a prévu de supprimer 85
% de ce stock d’ici 2040
pour un coût de 2,3 Md€, soit environ 1
000 km de câbles chaque année,
pour les remplacer par des câbles à isolation synthétique.
Graphique n° 29 :
programme de renouvellement des câbles CPI
du réseau souterrain (en km)
Source : Enedis (Capex 2040)
329
Elles représentaient au début 2000 un quart des lignes basse tension (150 000 km
sur 600 000 km).
COUR DES COMPTES
368
En basse tension, les mêmes défaillances ont été constatées mais le
risque de défaut est moins important. L’objectif d’Enedis est de renouveler
d’ici 2040 les câbles
présentant un risque important de défaillance, soit 65 %
du stock existant en 2021 (20 000 km environ) pour un coût de 2,9
Md€.
Dans son rapport de retour d’expérience sur la canicule de 2019,
l’inspection générale de l’environnement et du développement du
rable
(IGEDD) a estimé que le programme de remplacement des câbles CPI
semblait porter ses fruits
330
. Elle a en effet relevé qu’en comparaison du
précédent épisode de 2015, la canicule de l’été 2019, pourtant intense, n’avait
pas entraîné de crise majeure. En 2022, les chaleurs intenses et durables, plus
sévères que celles observées précédemment (hormis en 2003), ont été à
l’origine de nombreux incidents sur le réseau. Le retour d’expérience réalisé
par Enedis a toutefois relevé que les câbles synthétiques ayant remplacé les
câbles CPI ont connu un taux de défaillance beaucoup plus faible.
3 -
Inondations
: de premières actions d’adaptation engagées,
une cartographie encore incomplète
La mise en œuvre des mesures d’adaptation face au risque
inondations se concentr
e à ce jour sur l’
Île-de-France.
Dans son rapport relatif au retour d’expérience sur la
crue de mai et
juin 2016 dans les régions Centre et Île-de-France (20 000 foyers privés
d’électricité
),
l
’inspection
générale
de
l’environnement
et
du
développement durable (IGEDD)
331
a signalé les retards dans la
sécurisation des réseaux de distribution d’électricité. Elle a recommandé à
l’État d’engager au plus vite une démarche concertée avec l’ensemble des
gestionnaires de réseaux, afin de clarifier le plan d’action po
ur la
sécurisation de la distribution électrique en cas d’inondation majeure. Sur
cette base et dans le prolongement de l’exercice
Sequana
332
, Enedis et RTE
ont réalisé de façon conjointe un diagnostic de leurs ouvrages, qui a mis en
évidence des niveaux de protection insuffisants.
330
Retour d’expérience sur l’épisode caniculaire et la sécheresse 2019
, IGEDD, avril
2020, 138 pages.
331
Inondations de mai et juin 2016 dans les bassins moyens de la Seine et de la Loire
Retour d’expérience
, IGEDD-IGA, février 2017.
332
Sequana
est un exercice de simulation d’une gestion de crue centennale organisé en
mars 2016 par le secrétariat général de la zone de défense de Paris. Cet exercice avait pour
objectif de tester
la capacité des différents secteurs d’activi
té à gérer un tel évènement et à
coordonner leurs actions, et d’évaluer la pertinence et la cohérence de leurs plans d’urgence.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
369
Sur le périmètre du réseau de transport et en fonction des analyses
coûts-bénéfices, RTE a décidé soit la reconstruction des ouvrages en risques
aux normes correspondant à 115 % du débit constaté lors de la crue de 1910,
soit leur « mise en résilience », aux normes correspondant à 100 % du débit
constaté lors de la crue de 1910 (rehaussement des parties sensibles, portes
étanches, reprise de fondations) pour un coût évalué à 64
M€.
De son côté, Enedis a mis en place un programme de maîtrise du
risque d’inondation centré
sur les crues en zones urbaines. Ce programme
prévoit que les nouveaux ouvrages sont construits en zone non inondable.
Pour les ouvrages existants, des mesures de renforcement de la résilience
ont été mises en place en Île-de-
France, sur la base d’une cartographie des
zones de fragilités électriques
: installation de capteurs de niveaux d’eau
permettant d’envoyer des informations en temps réel, mise en place
d’équipements
submersibles,
surélévation
des
éléments
sensibl
es,
installation de pompes. Le programme prévoit également le renforcement
du maillage du réseau pour permettre à d’autres postes
-source de prendre
le relais en cas de perte ou de mise hors tension si l’un d’eux venait à être
inondé. Le coût de ces actions
est estimé à 500 M€
pour la seule région Île-
de-France
jusqu’en 2050
.
L’IGEDD, dans son rapport sur le retour d’expérience de la crue de
la Seine et de ses affluents de janvier-février 2018
333
a noté les progrès
réalisés par Enedis pour réduire progressivement la vulnérabilité des postes
de transformation stratégiques et assurer la réalimentation rapide des
clients coupés. La Cour fait un constat similaire dans son rapport sur la
prévention du risque inondation en Île-de-France
334
.
Hors Île-de-France
, l’élaboration d’une cartographie complète du
territoire métropolitain est en cours, sur la base d’un partenariat conclu en
2021 entre RTE et la Caisse centrale de réassurance (CCR).
333
Crue de la Seine et de ses affluents de janvier-février 2018, IGEDD, CGEDD-IGA,
décembre 2018.
334
La prévention insuffisante du risque
d’inondation en
Île-de-France, Cour des
comptes, novembre 2022.
COUR DES COMPTES
370
Étude de la caisse centrale de réassurance (CCR)
La CCR a élaboré une cartographie des risques déclinée sur trois types
d’aléas
: débordement de cours d’eau, ruissellement et submersion marine.
Pour sa réalisation, la CCR a utilisé les données issues du modèle
ARPEGE développé par Météo-France. Ce modèle simule des centaines de
fois la même année avec différents paramètres climatiques, ce qui lui permet
de disposer d’une grande variété de trajectoires climatiques. Ces modèles
alimentent un catalogue d’évènements fictifs qui sont appliqués aux différents
ouvrages, objets de l’
étude (pylônes et postes) et à différentes périodes de
retour afin d’estimer la probabilité de survenance des évènements.
Sur la base des données recueillies, un score est attribué à chaque
ouvrage pour mesurer son exposition aux risques, à climats actuel et futurs.
L
es premières conclusions de l’
étude montrent
qu’une proportion
importante des postes existants sont déjà exposés à l’un des trois risques
analysés. Elles relèvent une augmentation significative des risques de
débordement et de ruissellement à climat futur, notamment pour les
ouvrages situés à proximité des fleuves, dans les Alpes et sur le pourtour
méditerranéen. S’agissant du risque de submersion marine, qui est aggravé
par l’évolution du trait de côte, l’étude note que le nombre de sites ex
posés
est faible à climat actuel et en légère augmentation à climat futur.
C -
Renforcer la coordination entre les différents acteurs
La coordination entre les différents acteurs
335
intervient à plusieurs
niveaux.
En
premier
lieu,
l’interdépendance
croissante
des
réseaux
(électricité,
gaz,
transport,
eau,
télécommunications,
etc.)
rend
indispensable la coordination des différents opérateurs. À la suite des crues
de 2016 en Île-de-France, ces derniers se sont engagés à partager leurs
données, à améliorer le diagnostic de leurs ouvrages et à prendre les
mesures nécessaires pour renforcer leur résilience.
Dans une note d’analyse publiée en mai 2022
336
, France Stratégie a
préconisé l’approfondissement de la coordination entre opérateurs de réseaux et
le partage des
connaissances au travers d’un outil cartographique d’identification
des interdépendances. Elle a également suggéré l’expérimentation de plans
d’action locaux visant les interdépendances les plus critiques.
335
État, gestionnaires de réseaux, autorités concédantes.
336
Risques climatiques, réseaux et interdépendances
: le temps d’agir,
France Stratégie,
mai 2022.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
371
Dans le cas du réseau de transport d’électricité,
la coordination
relève aussi du niveau européen. Il existe en effet plus de
421 interconnexions physiques entre États européens, dont 51 en France.
Par ailleurs, la plupart de ces pays fait partie du « système électrique
continental synchrone »
337
, avec des
règles d’exploitation communes. Il
en résulte que des défaillances sur le réseau de transport d’électricité d’un
pays peuvent affecter la stabilité du système électrique européen.
L’analyse des impacts du changement climatique sur les réseaux et les
mesure
s d’adaptation qui en découlent doivent donc être prises en compte
à ce niveau.
S’agissant du réseau de distribution, les enjeux d’adaptation sont
essentiellement nationaux, voire locaux. La coopération entre les différents
acteurs et le rôle d’animation d’Enedis sont indispensables pour décliner
au niveau local les scénarios climatiques et définir une vision commune
des infrastructures de réseaux à moyen et long terme.
Le modèle de cahier des charges
des concessions d’électricité
prévoit l’élaboration d’un
schéma directeur des investissements sur la
durée du contrat (20 à 30 ans), décliné en programmes pluriannuels et
annuels. Il appartient aux acteurs chargés de la distribution de l’électricité
d’utiliser ces outils pour intégrer dans les programmes d’inve
stissement les
mesures d’adaptation au changement climatique.
Par ailleurs, le comité du
système de la distribution publique d’électricité (
CSDPE), qui rassemble
des représentants de l’État, des autorités concédantes et des gestionnaires
de réseaux
, doit devenir un lieu de partage d’information sur l’évolution
des aléas climatique et de coordination des actions d’adaptation.
D -
Formaliser les objectifs de l’État
vis-à-vis des gestionnaires
L’État dispose de plusieurs leviers, à travers la réglementation ou
les contrats passés avec les entreprises de service public, pour partager les
objectifs d’adaptation au changement climatique.
337
Ils partagent la même fréquence électrique à 50
Hz (la courbe d’électricité oscille
50
fois par seconde) en situation d’équilibre offre/demande. Selon que la production est
supérieure ou inférieure à la consommation, la fréquence augmente ou diminue et il faut
intervenir pour rétablir l’équilibre.
COUR DES COMPTES
372
L’
arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles
doivent satisfaire les distributeurs d’énergie électrique a été pris à la suite
des tempêtes de 1999. Il fixe les prescriptions permettant d’ass
urer la
résistance des ouvrages à des évènements violents dus au vent, au givre, à
la neige collante et à la pluie verglaçante. Bien que modifié à plusieurs
reprises, il ne prend toujours pas en compte l’évolution des risques liés au
changement climatique, notamment les épisodes de chaleur intense. La
Cour invite le ministère à analyser dans quelle mesure les référentiels
existants demeurent pertinents ou s’ils doivent imposer de nouvelles
mesures d’adaptation.
L’adaptation au changement climatique devrait
également figurer de
façon explicite dans les contrats de service public passés entre l’État et les
gestionnaires de réseau.
Le contrat de service public entre l’État
et RTE a été signé le
29 mars 2022. Il comprend 40 objectifs articulés autour de trois thèmes
(transition énergétique, mutations du système électrique, éclairage des
choix énergétiques). Le changement climatique y est évoqué, mais le
contrat ne prévoit
aucun objectif spécifique lié à l’adaptation du réseau
de
transport d’électricité
.
L’État et RTE doivent donc engager des discussions
pour insérer dans le contrat existant des objectifs d’adaptation au
changement climatique assortis d’indicateurs de résultats.
Par ailleurs, il n’existe toujours pas de contrat de service public entre
En
edis et l’État.
Dans un rapport de 2012 sur les comptes et la gestion de
l’entreprise
338
, la Cour a recommandé la signature «
au plus vite
» d’un tel
contrat. Cette recommandation a été réitérée dans un nouveau rapport
339
sur les comptes et la gestion d’Enedis
publié en 2021. Elle n’est toujours
pas mise en œuvre à ce jour, alors que la conclusion d’un tel contrat
constitue une obligation légale.
338
Cour des comptes,
Examen des comptes et de la gestion de la société « Électricité
réseau distribution France (exercices 2008-2010) »
, 2012.
339
Enedis | Cour des comptes (ccomptes.fr)
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
373
III -
Anticiper les évolutions des réseaux
et évaluer les moyens à mobiliser
Les travaux prospectifs
sur l’adaptation de
s réseaux au changement
climatique doivent prendre en compte le fait que le climat de demain sera
sensiblement
différent de celui d’aujourd’hui.
Ils doivent aussi intégrer les
enjeux découlant du développement des énergies renouvelables afin de
définir des
trajectoires d’investissement soutenables.
A -
Mieux articuler les réflexions sur la transition
énergétique et l’adaptation au changement climatique
La transition énergétique repose notamment sur le développement
de la production d’énergies renouvelables d’o
rigine éolienne et solaire.
Elle conduit à des changements importants dans la structure et le
fonctionnement des réseaux.
1 -
L’impact de la transition énergétique sur les réseaux électriques
Le rapport « Futurs énergétiques 2050 »
de RTE indique qu’à la
différence du parc nucléaire, qui se caractérise par un nombre limité
d’installations de grande taille, la production à base d’énergies
renouvelables repose sur de multiples sites de production, dont certains de
très petite taille,
répartis de manière diffuse sur l’ensemble du territoire
.
Les parcs de production d’électricité d’origine solaire et éolienne
représentaient au 31 décembre 2022 une puissance installée de près de
37 000 MW, soit une augmentation de 61 % en cinq ans. En 2050, ces
capacités de production seraient multipliées par un facteur allant de deux à
sept selon les scénarios de RTE.
COUR DES COMPTES
374
Graphique n° 30 :
puissance raccordée des énergies
renouvelables terrestres en 2050
Source : RTE (futurs énergétiques 2050)
Note : les scénarios M reposent sur un développement soutenu des énergies
renouvelables ; les scénarios N reposent sur une relance de la filière nucléaire
(le scénario N03 prévoit à horizon 2050 un mix comportant 50
% d’énergie
nucléaire et 50
% d’énergies renouvelables).
Cette évolution aura des impacts significatifs sur la circulation de
l’électricité
via
les réseaux. En effet, la localisation des installations de
production
dépend de l’énergie primaire existante
(éolienne ou solaire par
exemple), laquelle peut être éloignée des lieux de consommation. Par
ailleurs, la production électrique issue des énergies renouvelables peut être
déconnectée de la demande, entraînant une circulation plus importante de
l’électricité entre les territoires en fonction des besoins
. Enfin, alors que les
réseaux sont traditionnellement conçus pour
acheminer l’électricité
depuis
le réseau de transport vers le réseau de distribution, les surplus de la
production
d’origine renouvelable peuvent conduire à des «
refoulements »
du réseau de distribution vers le réseau de transport.
Les gestionnaires de réseaux doivent accompagner ces évolutions
en créant ou en mettant à niveau les ouvrages de raccordement nécessaires.
Enedis estime à 10 le nombre de postes-sources devant être créés chaque
année d’ici 2040
et la plupart des postes existants verront leur puissance
moyenne augmenter.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
375
2 -
Intégrer l’impact du changement climatique
dans la planification du développement des énergies renouvelables
Les enjeux de développement des énergies renouvelables et
d’adaptatio
n au changement climatique sont liés à plusieurs facteurs :
-
l’augmentation de la longueur des réseaux résultant du développement
des énergies renouvelables accroît mécaniquement l’exposition aux
risques climatiques ;
-
la conception et le dimensionnement des nouveaux ouvrages de
raccordement doivent tenir compte de l’évolution des risques
climatiques ;
-
les travaux nécessaires au développement de la production
renouvelable sont l’occasion d’améliorer la résilience des ouvrages
existants.
Pourtant, les réflexions sur ces sujets sont encore trop cloisonnées.
En particulier, les outils de planification de l’extension et de l’adaptation
des réseaux pour permettre le développement de la production
renouvelable ne prennent pas en compte les enjeux climatiques.
Les schémas régionaux de développement des énergies renouvelables
En application de l’
article L. 321-7 du code
de l’énergie, les
schémas
régionaux de développement des énergies renouvelables ont pour objectif
de
faciliter l’intégration de la production d’électricité à base d’énergies
renouvelables sur le réseau. Ils sont élaborés par RTE en lien avec les parties
prenantes.
Ces
schémas
s’inscrivent
dans
les
schémas
régionaux
d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires
(SRADDET),
qui
fixent
notamment
les
objectifs
régionaux
de
développement des énergies renouvelables.
Leur construction repose sur le recensement des gisements de
production d’
énergies renouvelables. La modélisation du fonctionnement
du réseau permet ensuite d’identifier les contraintes éventuelles induites par
le raccordement du gisement. Selon les cas, ces contraintes aboutiront à des
solutions de renforcement de réseau ou à la création de nouveaux ouvrages.
Enfin, le schéma évalue les coûts liés à l’adaptation des ouvrages existants
ou à la création de nouveaux ouvrages.
COUR DES COMPTES
376
Par suite, les outils de planification utilisés pour accompagner la
transition énergétique devraient mieux intégrer l’évolution
des risques
climatiques. À titre d’exemple, la planification spatiale des ouvrages
devrait tenir compte des risques d’inondation, actuels et futurs.
B -
Adapter les investissements
au changement climatique
1 -
Approfondir les analyses prospectives
Les
deux
principaux
gestionnaires
de
réseau
intègrent
progressivement les enjeux climatiques dans leurs réflexions prospectives.
Le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE consacre un
chapitre au changement climatique et analyse les principaux paramètres
d’évo
lution du climat et leurs impacts probables sur le système électrique.
Les réflexions sur l’évolution du
réseau de transport trouvent également
leur traduction dans les plans pluriannuels d’investissement.
Le schéma
décennal de développement du réseau (SDDR) mentionne la liste des
principales infrastructures qui doivent être construites avec leur calendrier
associé. Un nouveau projet de schéma, couvrant la période 2023-2040, est
en préparation. L’u
n de ses chapitres sera consacré aux risques climatiques
auxquels le réseau est désormais exposé, notamment les vagues de chaleur
et les inondations, afin
d’identifier les actions à mettre en œuvre e
t
d’évaluer l
es coûts correspondants.
S’agissant de la distribution d’électricité
, chaque gestionnaire de
réseau desservant plus de 100 000 clients doit élaborer un plan de
développement du réseau décrivant les investissements pour les cinq à dix
prochaines années au périmètre de sa
zone géographique d’intervention.
Cette obligation
résulte depuis mars 2021 de l’article
L. 322-11 du code de
l’énergie.
Enedis a récemment publié un document préliminaire qui
comprend un chapitre consacré à la résilience du réseau face aux risques
climatiques. Néanmoins, plus de deux ans après la promulgation de l’article
L. 322-
11, le décret d’application nécessaire à la mise en œuvre complète
de cet article n’est toujours pas intervenu
.
2 -
Clari
fier les stratégies d’investissement
L’adaptation au changement climatique implique pour les
gestionnaires de réseaux de réexaminer
leurs stratégies d’investissement,
pour tenir compte des conditions climatiques futures.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
377
La prise en compte de ces conditions les a déjà conduits à revoir
certains référentiels techniques. Ainsi, RTE a fait récemment évoluer ses
prescriptions de température maximale de fonctionnement des câbles
aériens en les portant de 65 à 85 °C pour les ouvrages neufs ou réhabilités.
Le surcoût est estimé de 20 à 40
M€ sur la période 2024
-2040 par rapport
à une construction à 65 °C.
Tableau n° 20 :
évolution des règles de dimensionnement
des câbles aériens du réseau de transport (RTE)
Nature de l’ouvrage
T °C de répartition
prescrite
jusqu’en
2022
Nouvelle T°C
de répartition
au 01/01/2023
Ouvrages neufs
ou reconstruits
à neuf
400 kV
90 °C
90 °C
225 kV
75 °C à 80 °C
85 °C
90/63 kV
65 °C
85 °C
Ouvrages réhabilités
A minima
65 °C
80 °C à 85 °C
sauf dérogation
pour descendre à 75 °C
Source : RTE
Une telle approche doit être systématisée. La durée de vie des
ouvrages pouvant dépasser 80 ans, les décisions d’investissement ou de
renouvellement d’aujourd’hui
doivent être conçues pour s
’adapter au
climat
à l’horizon 2100 et au
-delà.
Les
choix
d’invest
issements
dépendront
de
la
probabilité
d’occurrence des évènements climatiques mais aussi de l’impact financier
anticipé de ces évènements (dommages causés et coût de l’électricité non
distribuée en cas de coupures). Cette analyse coût-bénéfice est rendue
particulièrement complexe par les incertitudes concernant les effets
concrets du changement climatique. Les études d’investissement sur la
consistance et l’étendue des besoins d’adaptation devront en effet
reposer
sur des situations théoriques
, malgré l’incertitude qui s’y rapporte, et non
simplement à partir des situations observées dans le passé.
COUR DES COMPTES
378
C -
Un impact financier encore mal évalué
1 -
Mieux identifier les dépenses consacrées
aux mesures d’adaptation
L’u
ne des difficultés du chiffrage du coût des politiques
d’adaptation tient au fait qu’elles n’impliquent pas nécessairement de
dépenses nouvelles. Les investissements améliorant la résilience du réseau,
relatifs par exemple aux choix de matériaux, peuvent se traduire par une
réorientation de dépenses existantes, sans coût supplémentaire. Les
décisions d’investissement
peuvent aussi poursuivre plusieurs objectifs et
rendre difficile l’identification des dépenses d’adaptation
. Ainsi, la mise en
souterrain des lignes protège le réseau, contre certains évènements
climatiques extrêmes tout en améliorant la protection visuelle des sites et
l’acceptation sociale des projets
. Il en est de même des dépenses consacrées
à la surveillance et au pilotage du réseau qui concourent simultanément à
l’
identification des ouvrages les plus vulnérables aux événements
climatiques
et à l’amélioration de
la performance de l’exploitation.
Malgré ces difficultés, les gestionnaires de réseau, en lien avec
l’État, doivent clarifier les modalités d’imputation des dépenses
d’adaptation, par
exemple en se concentrant sur la finalité poursuivie à titre
principal ou sur les seuls investissements « additionnels » par rapport à la
situation existante afin d
’évaluer
les moyens financiers à mobiliser.
2 -
Mesurer les coûts d’adaptation au changement cl
imatique
S’agissant du réseau de
transport
, l’étude «
Futurs énergétiques
2050
» de RTE évalue notamment les coûts liés à l’adaptation au
changement climatique sur le réseau régional
340
à 1,5
Md€ entre 2020 et
2050.
Il s’agit d’une estimation préliminaire
a minima
du coût
d’adaptation
du réseau aux fortes chaleurs et aux risques hydrologiques. Le futur schéma
décennal de développement du réseau précisera ce coût
d’ici fin 202
4.
Au
sein de cette enveloppe, RTE évalue d’ores et déjà à une
fourchette comprise
entre 340 et 680 M€ sur la période 2024
-2040 les
surcoûts assoc
iés à la prise en compte de l’augmentation des températures
dans les projets de renouvellement pour obsolescence.
S’agissant des
340
Les réseaux régionaux jouent le rôle de répartition entre le grand transport (ouvrages
à 400 kV et une partie des réseaux 225 kV) et la distribution (ouvrages entre 230 et
20 kV). Ils représentent 70 % des 100 000 km du réseau de transport.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
379
risques hydrologiques, RTE estime à 64 M€ les besoins pour la se
ule région
Île-de-
France et l’étude en cours de la
Caisse centrale de réassurance
précitée permettra de donner une vision des besoins d’investissement sur
l’ensemble du territoire.
S’agissant d’
Enedis, les
dépenses d’adaptation à venir résultent de
la poursuite des actions en cours. En effet, ces prévisions de dépenses
reposent sur des programmes lancés depuis des années. Elles sont retracées
dans le tableau ci-dessous :
Tableau n° 21 :
estimation des principales dépenses d’adaptation
à venir pour Enedis (M€)
Aléas climatiques
Actions / programmes
Montant
Tempêtes,
vents, neige
Fils nus
1 200
Plan aléas climatiques et rénovations programmées
8 200
Chaleur
Câbles CPI moyenne tension
2 300
Câbles CPI basse tension
2 900
Inondations
Île-de-France
500
Source : Cour des comptes, à partir de Capex 2040 (Enedis)
Ces prévisions de dépenses ne couvrent sans doute pas l’ensemble
des besoins d’investissement, notamment sur le risque d’inondations, et ne
prennent pas non plus en compte l’évolution des risques à horizon 2050 et
au-delà. Le futur plan de développement du réseau devra constituer une
première étape dans l’identification exhaustive et dans le chiffrage des
besoins d’adaptation à climat actuel et à climat futur.
D -
Intégrer les enjeux climatiques dans les dépenses
globa
les d’investissement
Tous les gestionnaires de réseaux anticipent une forte augmentation
de leurs dépenses d’investissement résultant des raccordements des parcs
de production renouvelables, mais aussi des renouvellements de matériels
liés au vieillissement des infrastructures.
COUR DES COMPTES
380
1 -
Une augmentation massive des investissements
liés à la transition énergétique
RTE
341
évalue les besoins d’investissement sur le
réseau de
transport, selon six scénarios de mix de production, à un montant cumulé
compris entre 43 et 90
Md€ au cours de la période 2035
-2050 mais ce
chiffrage nécessite une mise à jour. Le raccordement des parcs éoliens en
mer en constitue le premier poste d’investissements dans cinq des six
scénarios ; il est compris entre 34 et 41 % de leur montant total.
Pour sa part, Enedis prévoit que ses investissements annuels
devraient atteindre un montant de 5,5
Md€ en 203
0, soit une augmentation
de 40 % par rapport au niveau actuel (hors Linky). Cette augmentation
résulte de l
’électrification croissante
des usages, dont le développement de
la mobilité électrique, ainsi que de la croissance de la production
renouvelable. Au cours de la période 2022-2040, Enedis prévoit des
investissements à hauteur de 96 Md€ (hors inflation).
2 -
Des investissements contraints
par des sous-investissements passés
Dans son rapport sur les comptes et la gestion de RTE
342
, la Cour a
relevé l’enjeu industriel majeur que constitue le vieilliss
ement du réseau de
transport, dont les dépenses de renouvellement sont appelées à augmenter
de façon très importante.
RTE - Un réseau vieillissant
Le maillage territorial du réseau de transport résulte de vagues
successives de grands travaux. La première
date de l’après
-guerre, avec le
réseau électrique 225 kV. Le réseau très haute
tension (400 kV) s’est
développé à partir de 1975 pour accompagner le développement de la
production nucléaire et des interconnexions.
Une grande partie des lignes sont encore en service et imposent un
renouvellement calé sur ces grandes périodes d’investissements. L’âge
moyen du réseau de transport d’électricité est d’environ 50 ans, globalement
supérieur aux autres États européens. Le vieillissement concerne
essentiellement le réseau aérien.
341
Étude « Futurs énergétiques 2050 », RTE.
342
Observations définitives : Réseau de transport d'électricité (RTE) (ccomptes.fr)
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
381
Le schéma décennal de développement du réseau (SDDR) de 2019
évoquait un « mur de renouvellement
» et évaluait l’effort financier à
530
M€ par an, en moyenne, sur 15 ans. L’étude «
Futurs énergétiques
2050 » a réévalué ce montant et antici
pe des dépenses annuelles de l’ordre
de 650
M€ par an au cours de la période 2020
-2035 et de 1,3
Md€ par an
au cours des années 2035-2050. La trajectoire pourrait être une nouvelle
fois revue à la hausse dans le nouveau schéma décennal.
Graphique n° 31 :
évolution des dépenses de renouvellement
pour le réseau de transport (2020-2050)
Source : RTE (futurs énergétiques 2050)
Concernant Enedis, la Cour a relevé, dans son rapport sur les
comptes et la gestion de
l’entreprise publié en mai 2021, que la baisse des
dépenses de modernisation du réseau à la fin des années 2010 avait conduit
à freiner le rythme de réalisation de certains programmes. Ces dépenses
décalées
se
cumulent
aujourd’hui
avec
les
investissements
de
raccordement des énergies renouvelables en forte croissance.
Des arbitrages seront nécessaires afin que l’augmentation des
dépenses ne conduise pas à un relèvement excessif des tarifs d’électricité
des consommateurs. La maîtrise des coûts impose également que les enjeux
climatiques, présents et futurs, soient intégrés de façon systématique et
anticipée dans les choix d’investissements.
COUR DES COMPTES
382
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS _________
Le changement climatique accroît la vulnérabilité des réseaux de
transport et de distribution. En particulier,
l’
augmentation de la fréquence
et de l’intensité
des épisodes de chaleur ou de pluies torrentielles est
susceptible de causer des dommages aux équipements ou d’affecter leur
performance.
Les gestionnaires de réseaux ont commencé à prendre des
mesures pour faire face à ces risques accrus. Les premières d’entre
elles, intervenues dans le prolongement des tempêtes exceptionnelles de
1999, se sont concentrées sur la résilience du réseau face aux tempêtes
et vents forts.
Les stra
tégies d’adaptation se sont progressivement élargies à
d’autres risques. Ainsi, la canicule de 2003 a mis en lumière les
défaillances de certains câbles du réseau souterrain, conduisant les
gestionnaires à remplacer des portions entières du réseau. De même,
la crue de la Seine en 2016 a conduit les deux principaux gestionnaires
de réseaux, RTE et Enedis, à travailler ensemble à une cartographie de
leurs ouvrages.
Les gestionnaires de réseau doivent prendre en compte des
conditions climatiques à des horizons de temps plus éloignés que ceux qui
sont aujourd’hui retenus dans le cadre des plans d’investissement
s. La
durée de vie moyenne des ouvrages
pouvant aller jusqu’à 80 ans
, voire
plus, un équipement nouvellement mis en service devra être en état de
fonctionner dans les conditions climatiques de 2100 et au-delà.
L’
État doit
veiller à la prise en compte adaptée de ces enjeux dans les investissements
futurs à travers les contrats de service public.
Les gestionnaires des réseaux électriques font également face à des
défis considérables pour assurer le renouvellement d’équipements vieillissants
et pour accompagner le développement de la production d’énergies
renouvelables dans un contexte de croissance anticipée de la demande
électrique. Les enjeux climatiques doivent être intégrés, de façon systématique
et anticipée, dans la planification globale de leurs investissements.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
383
La Cour formule les recommandations suivantes :
1.
modifier
l’
arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques
auxquelles doivent satisfaire les distributeurs d’énergie électrique
pour prendre en compte l’évolution des risques
liés au changement
climatique (ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique, 2025) ;
2.
intégrer dans les contrats de service public conclus entre l’État et les
gestionnaires de réseaux (existant pour RTE, à élaborer pour Enedis)
des objectifs d’adaptation au changement climatique (
ministère de
l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et
numérique, RTE et Enedis, 2024) ;
3.
p
ublier sans délai le décret d’application prévu par l’article L. 322
-11
du code de l’énergie afin de permettre aux gestionnaires de réseau de
distribution concernés d’élaborer, en concertation avec les parties
prenantes, les plans de développement du réseau (PDR) (ministère de
l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et
numérique, 2024) ;
4.
i
dentifier et mesurer les coûts d’adaptation au changement climatique
des réseaux électriques de transport et de distribution, en
fonctionnement et en investissement (RTE, Enedis 2024).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du président de Réseau de
transport d’électricité (RTE)
..........
386
Réponse de la présidente d’Enedis
.........................................................
387
Réponse de la présidente de la Commission de
régulation de l’énergie
(CRE)
......................................................................................................
389
Destinataire
n’ayant pas d’observation
Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
Destinataire n’ayant pas répondu
Madame la ministre de la transition énergétique
COUR DES COMPTES
386
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE RÉSEAU DE TRANSPORT
D’ÉLECTRICITÉ
(RTE)
RTE
accueille
favorablement
les
recommandations
et
les
observations que la Cour formule dans ce chapitre. Celles-ci vont dans le
sens d'une meilleure prise en compte du changement climatique et d
un
renforcement de l
adaptation des réseaux électriques à l
augmentation des
températures en France, au regard de la volonté de l
État de préparer
notre pays à un scénario à + 4 °C par rapport à l
ère préindustrielle.
Plus généralement, le réchauffement climatique aura des impacts
sur le fonctionnement d
ensemble de notre système électrique, qu
il
s
agisse de la consommation, de la production ou du transport et de la
distribution d'électricité. En 2021, l
étude de RTE sur les Futurs
énergétiques 2050 s
était appuyée sur une description fine de l
évolution
probable du climat de notre pays, afin de quantifier la probabilité
d
évènements extrêmes tels que vagues de froid, canicules, tempêtes,
épisodes de sécheresse et leurs conséquences sur le système électrique. Par
ailleurs, la récente publication du Bilan prévisionnel 2023 a permis de
réaffirmer la nécessité de développer de nouvelles capacités de production,
de maitriser la consommation d
électricité ainsi que d
accroitre le
potentiel de flexibilité du système électrique français dans le but
d
augmenter sa résilience face aux aléas climatiques ou d
autres natures.
En ce qui concerne le réseau de transport d
électricité, il convient
tout d
abord de rappeler que sa logique même de conception intègre une
notion de résilience à travers la redondance des chemins électriques offerts
entre deux points du réseau, via un fort maillage territorial. Cette
résilience structurelle constitue une première réponse importante vis-à-vis
d'évènements climatiques extrêmes mais localisés.
Pour
autant,
l
infrastructure
de
transport
d
électricité,
majoritairement aérienne, reste exposée à des évènements climatiques
géographiquement étendus. Ce fut le cas notamment des tempêtes de
décembre 1999 qui ont balayé une vaste portion du territoire. Nous avons
su tirer les enseignements de ces évènements et RTE s
est organisé pour
renforcer son infrastructure, dès sa conception, et la rendre résiliente sur
le long terme à des risques de tempêtes et de vents violents. Cette résilience
a d
ailleurs pu être vérifiée lors de la tempête Ciaran qui a frappé les côtes
bretonnes et le nord-ouest de la France en novembre 2023 et au cours de
laquelle les impacts sur les infrastructures aériennes de transport
d
électricité ont été très contenus.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
387
Pour l
avenir, RTE procède actuellement à la mise à jour de son
schéma décennal de développement du réseau (SDDR) qui précisera,
courant 2024, les évolutions du réseau de transport d
électricité
indispensables pour atteindre la neutralité carbone et ce jusqu'à l
horizon
2040. Pour la mise en œuvre de ce sché
ma, RTE assurera le
renouvellement et la construction de nombreux ouvrages dont la durée de
vie peut atteindre 80 ans. Il apparait effectivement indispensable d
assurer
que ces nouvelles infrastructures soient construites dans une optique de
résilience au climat de 2050, voire de 2100. La résilience du réseau de
transport au changement climatique occupera donc une place importante
dans le prochain schéma décennal et s
appuiera sur différents travaux
relatifs aux fortes chaleurs ou, en partenariat avec la Caisse Centrale de
Réassurance (CCR), sur les risques d
inondation et de submersion.
RTE s
efforcera enfin de répondre à la recommandation n° 4 de la
Cour qui préconise d'identifier et de mesurer les coûts d
adaptation au
changement
climatique
des
réseaux
électriques
de
transport,
en
fonctionnement et en investissement. Le prochain schéma décennal en sera
le vecteur d
explicitation, tant en consistance de travaux qu
en volumes
d
investissements, au travers d
une méthode transparente. Je souhaite
toutefois souligner qu
un tel exercice sera de nature largement plus
économique que comptable. En effet, au regard de la nature de nos
équipements, il est rarement possible d
isoler la part attribuée à des besoins
d
adaptation, de celle qui répond à d'autres contraintes de vieillissement des
actifs ou d
augmentation et de modification des flux d
électricité.
Concrètement, l
adaptation au changement climatique passe, selon les cas,
par une légère surélévation des pylônes, une augmentation de la section des
câbles souterrains, un renforcement des fondations, ce qui explique notre
difficulté à identifier ces coûts ex post dans notre comptabilité, mais qui
n
empêche pas de reconstituer ces coûts par des méthodes appropriées.
RÉPONSE DE
LA PRÉSIDENTE D’ENED
IS
La grande qualité des échanges et des travaux qui ont été menés
entre la Cour des comptes et les équipes d’Enedis tout au long de l’enquête
ont permis d’aboutir à un résultat d’une grande pertinence et d’une grande
précision auquel Enedis souscrit globalement.
Enedis e
st pleinement consciente de la nécessité d’adapter les
réseaux au changement climatique et très engagée en ce sens depuis
plusieurs décennies déjà. Je me réjouis que le rapport présente les choses
sous cet éclairage, sans minimiser les enjeux humains, techniques,
financiers qui sont encore en grande partie devant nous.
COUR DES COMPTES
388
Comme la Cour le fait remarquer, Enedis peut toutefois s’appuyer
sur une longue expérience. Notre entreprise a pris des mesures d’ampleur
pour faire face aux risques climatiques depuis la fin des années 1990, après
les tempêtes Lothar et Martin, et a fait évoluer son modèle d’exploitation
des réseaux, du déploiement des premiers systèmes de manœuvre
télécommandée au pilotage permis par les technologies les plus récentes.
Notre capacité de réponse aux crises a été largement développée depuis,
et les stratégies d’adaptation se sont progressivement élargies à de
nouveaux risques. Les tempêtes de l’automne 2023, Ciarán et Domingos,
ont apporté la preuve que d’une part il fallait continuer à œuvrer
pour
consolider le réseau face à des événements plus fréquents et plus forts, et
d’autre part qu’Enedis était capable de répondre rapidement et
efficacement par une mobilisation d’ampleur.
Les plans d’adaptation aux aléas climatiques et la suppression
progressive des technologies les plus incidentogènes que nous avons mis
en œuvre sont bien valorisés par la Cour. Ces adaptations sont en effet
déployées de la manière la plus fine possible en fonction des observations
les plus récentes et des moyens les mieux calibrés.
Vous soulignez également que les enjeux d’adaptation supposent
une excellente coopération entre les différents acteurs, soyez à nouveau
assurés que cette ligne conduite imprègne notre action nationale et locale
partout sur le territoire.
Alor
s que s’ouvre par ailleurs un nouveau chapitre de la stratégie
française pour l’énergie et le climat, il est utile de rappeler que le
document préliminaire au plan de développement du réseau d’Enedis qui
comprend toute une partie consacrée à la résilience du réseau face aux
risques climatiques, sera étoffé prochainement. Enedis s’attachera de plus
à le mettre en œuvre.
Enedis prévoit en effet, comme cela est indiqué dans les pages
conclusives du relevé d’observations provisoires, une augmentation à
hauteur des 25
% de ses investissements annuels d’ici 2032, avec un
passage de 4,4
Mds€/an en 2022 à plus de 5
Mds€/an à horizon 2032,
incluant non seulement la poursuite des programmes en cours répondant
au risque climatique, mais également l’intégration de l’év
olution des
usages, conséquence de la transition énergétique, dans la planification de
ses investissements. Les investissements de long terme font quant à eux
l’objet d’études prospectives de plus en plus précises. Le gestionnaire de
réseau prend en compte différents horizons temporels afin de cadrer au
mieux les investissements nécessaires au renouvellement et à la
consolidation des réseaux en fonction des conditions climatiques qui seront
celles de la fin de notre siècle.
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE DES RÉSEAUX
DE TRANSPORT ET DE DIST
RIBUTION D’ÉLECTRICI
389
Ces investissements s’inscriront
dans un cadrage stratégique précis
et une gestion opérationnelle efficace, qui s’appuiera en particulier sur
toutes les souplesses offertes par le pilotage du réseau avec l’aide des
flexibilités et de la gestion de données en masse. Bien conduits, ces choix
permettront de larges économies et éviteront de nombreux investissements
lourds, en particulier dans de nouveaux moyens de production.
La Cour a souhaité formuler plusieurs recommandations dont deux
s’adressent aux gestionnaires de réseau. Enedis en pr
end bonne note. Elle
peut d’ores et déjà s’appuyer sur le socle des travaux déjà engagés pour y
répondre à court terme et ne manquera pas, dans les mois qui viennent, de
renforcer encore l’arsenal de ses outils scientifiques et techniques, comme
sa stratég
ie, pour adapter le réseau de distribution publique d’électricité
au changement climatique dans les prochaines décennies.
RÉPONSE DE LA PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION
DE
RÉGULATION DE L’ÉNER
GIE (CRE)
En préambule, je souhaitais tout d'abord vous remercier pour la
qualité des échanges menés dans le cadre de ces travaux avec les services
de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et pour la prise en
compte de nos remarques dans le cadre de la rédaction de votre rapport.
Je souhaitais également souligner l'importance que la CRE accorde
aux politiques d'investissements des gestionnaires de réseaux de transport
et de distribution d'électricité, ainsi qu'au maintien d'un haut niveau de
qualité d'alimentation en France.
Dans le cadre de ses compétences relatives aux investissements
dans le réseau de transport d'électricité, la CRE s'assure que RTE prévoit
les investissements nécessaires à la sécurité du réseau et à un haut niveau
de résilience. De même, les documents prospectifs des opérateurs, schéma
décennal
de
développement
du
réseau
(SDDR)
pour
RTE
et,
prochainement, les plans de développement de réseau (PDR) pour les
gestionnaires de réseaux de distribution de plus de 100 000 clients, sont
soumis à son examen. La CRE s'assure ainsi de la pertinence de la
méthodologie retenue pour les choix d'investissements, et de son
adéquation avec les besoins actuels et futurs du réseau.
Depuis plusieurs périodes tarifaires, la CRE a fixé dans le TURPE
des objectifs de qualité d'alimentation ambitieux aux gestionnaires de
réseaux et une régulation incitative, qui ont permis une réduction durable
de la durée et de la fréquence des coupures. Pour respecter ces objectifs,
COUR DES COMPTES
390
les gestionnaires de réseaux ont notamment mis en
œuvre
des politiques
d'investissements permettant de sécuriser les ouvrages les plus sensibles
en cas d'événements climatiques.
Le projet de chapitre de votre rapport évoque la nécessaire
clarification des stratégies d'investissements des gestionnaires de réseaux
en matière de résilience au changement climatique.
Cet objectif de clarification est poursuivi par la CRE et il est
notamment pleinement intégré dans les travaux en cours avec RTE sur son
prochain SDDR. S'agissant des réseaux publics de distribution, je souscris
pleinement à la troisième recommandation de votre projet (« publier sans
délai le décret d'application prévu par l'article L. 32211 du code de
l'énergie afin de permettre aux gestionnaires de réseau de distribution
concernés d'élaborer, en concertation avec les parties prenantes, les Plans
de développement du réseau (PDR) »), qui permettra une meilleure
visibilité sur la prise en compte des enjeux climatiques et les
investissements associés.
Il est à noter que si la résilience au changement climatique doit être
un des paramètres pris en compte dans la définition des stratégies
d'investissements, il ne doit pas être le seul. Les réseaux de transport et de
distribution d'électricité font en effet face à de multiples enjeux tels que le
développement accéléré de la production d'origine renouvelable,
notamment l'éolien en mer pour RTE, la montée en puissance de la mobilité
électrique ou encore les enjeux de décarbonation de la consommation. Les
gestionnaires de réseaux doivent intégrer l'ensemble de ces enjeux dans
leur stratégie de dimensionnement, tout en maîtrisant la hausse des coûts
pour les consommateurs d'électricité.
Sur ce dernier point, je souhaite insister sur la nécessaire prise en
compte de la soutenabilité financière des trajectoires qui seront élaborées
par les gestionnaires de réseaux. RTE et Enedis sont confrontés à une très
forte hausse de leurs investissements. Votre projet de chapitre évoque
d'ailleurs cette question, au regard notamment des prévisions de l'étude
« Futurs énergétiques 2050 », qui pourraient être revues à la hausse dans
le nouveau SDDR.
L'adaptation au changement climatique des réseaux électriques,
objectif que la CRE partage pleinement, devra donc faire l'objet, comme
mentionné dans votre projet, d'analyses coûts-bénéfices comme les autres
politiques d'investissements de RTE et Enedis.