3
Aide au développement et adaptation
au changement climatique : la contribution
de l’Agence française de
développement
(AFD)
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
En 2022, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC) a souligné que les régions et peuples soumis à des défis
de
développement
subissaient
également
des
niveaux
élevés
de
vulnérabilité au changement climatique. Le financement de l’adaptation
au changement climatique est de fait devenu un enjeu central de
développement. Les principaux bailleurs renforcent progressivement leurs
financements et les rééquilibrent entre atténuation et adaptation,
conformément aux engagements internationaux. La COP28 de Dubaï a
marqué fin
2023 une nouvelle étape dans cette direction avec l’adoption
du cadre pour l’objectif mondial en matière d’adaptation
162
.
L’aide publique au développement
(APD) consacrée spécifiquement
à l’adaptation au changement climatique est à la croisée de deux prior
ités
gouvernementales : la hausse des crédits de l’APD, de 0,36
% du revenu
national brut de la France en 2016 à 0,56 % en 2022, et le plan national
d’adaptation au changement climatique 2018
-2022 (PNACC 2) qui
consacre deux actions spécifiques à l’APD.
162
Ce cadre doit permettre de guider la réalisation de l’objectif mondial d’adaptation fixé
dans l’article 7 de l’accord de Paris
; il comprend à la fois une méthodologie, des cibles et
des objectifs pour les actions d’adaptation, et la réaffirmation de la nécessité de
financements accrus en matière d’adaptation, notamment de la part des pays développés.
COUR DES COMPTES
220
Dans ce contexte, la Cour a analysé la contribution particulière de
l’Agence française de développement (AFD), principal opérateur de
l’
aide
bilatérale française
163
.
Au terme d’une enquête appuyée par l’examen de projets au
Maroc
et au Sénégal, le présent chapitre met en évidence la mobilisation effective
de l’AFD (I) ainsi que les acquis et les limites des actions d’adaptation
qu’elle conduit sur le
terrain
(II). Il identifie enfin des voies d’amélioration
pour des démarches qui restent à approfondir (III).
I -
L’
adaptation au changement climatique,
enjeu de mobilisation de l’AFD
L’aide publique au développement a pris en compte progressivement
les enjeux climatiques en général et d’adaptation en particulier. À l’échelle
internationale, un objectif chiffré de financement, par les pays développés
en faveur des pays en développement, a été fixé dès 2009, visant
100 milliards de dollars par an avant 2020
164
. Le Fonds vert pour le climat a
été créé en 2010, destiné spécifiquement aux pays en développement.
L’objectif d’un financement à parité de l’atténuation et de l’adaptation est
affirmé. La recherche de « cobénéfices climat » devient une pratique
généralisée pour tout projet de développement.
Les notions de « cobénéfices climat », de « finance climat »
et de « finance adaptation »
Un « cobénéfice climat » correspond à la contribution à l’adaptation
et/ou à l’atténuation du changement climatique d’un projet qui poursuit des
objectifs de développement.
La « finance climat » représente l’ensemble des ressources
mobilisées pour des projets ayant une incidence sur l’atténuation ou
l’adaptation au changement climatique
. La « finance adaptation »
comptabilise uniquement les ressources qui concourent à l’adaptation.
163
Le groupe AFD finance le développement. Il se compose de l’AFD, en charge du
se
cteur public et de la société civile, de Proparco, dédiée au secteur privé, et d’Expertise
France, agence de coopération technique. Les ressources de l
’AFD
proviennent pour
partie de crédits publics (dons, subventions et bonifications de prêts) et pour partie du
marché (
émissions d’obligations
par exemple).
L’Agence
gère également des crédits
délégués par d’autres bailleurs, comme l’Union européenne.
164
Objectif fixé dans les conclusions de la conférence des parties de la Convention cadre des
Nations-Unies sur le changement climatique (COP 15) de Copenhague en décembre 2009.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
221
L
’année 2015 marque la pleine convergence des enjeux
climatiques
et de développement, avec la succession du programme d’action d’Addis
-
Abeba sur le financement du développement, du sommet des Nations Unies
sur le développement durable (fixant 17 objectifs de développement
durable
165
pour 2030) et de la conférence de Paris sur le climat. Alors que
l’action climatique
implique
désormais l’ensemble des pays signataires de
l’
Accord de Paris, sa réussite suppose un appui particulier aux pays en
développement. Dans le même temps
, l’aide publique au développement
prend désormais appui sur les objectifs du développement durable qui
intègrent les enjeux de transition climatique.
A -
La contribution de l’AFD à la mise en
œuvre
des engagements internationaux de la France
La France mobilise à la fois des canaux multilatéraux et bilatéraux
pour mettre en œuvre ses engagements internationaux en matière
d’adaptation, avec une prédominance des financements bilatéraux
à travers
l’AFD
(76 % en 2022) par rapport aux financements multilatéraux à travers
des fonds spécialisés (24 % en 2022).
L’AFD est
engagée
à la fois en tant que principal opérateur de l’aide
bilatérale et en tant que banque de développement, acteur clef de la
« finance climat ».
1 -
L’AFD, opérateur de l’aide bilatérale
L’AFD s’est positionnée tôt sur les thématiques clim
atiques en
concevant une stratégie climat dès 2005, puis en adoptant un plan d’action
« climat et développement » en 2011. Ce plan pose en particulier les
principes du soutien à des politiques publiques d’adaptation.
L’État a assigné en 2014 à l’AFD l’obj
ectif de réaliser 50 % de
financements correspondant à des « cobénéfices » pour le climat
166
. Il a défini
en 2016 l’adaptation comme
« une nouvelle frontière à explorer »
par l’Agence.
L’État a ensuite révisé régulièrement à la hausse les objectifs fixés à l’Agence
en matière d’adaptation, au travers des contrats d’objectifs et de moyens.
165
Les 17 objectifs de développement durable composent « l’Agenda 2030 ». Ils
couvrent la diversité des enjeux du développement durable : pauvreté, faim, santé et
bien-être, éducation, égalité des genres, eau et assainissement, énergie, travail,
industrie, réduction des inégalités, villes, consommation, climat, biodiversité marine et
terrestre, institutions et la coordination entre tous ces enjeux.
166
Le taux de 50
% était calculé à l’échel
le d
’un ensemble non exhaustif de
financements de l’Agence
(et non du groupe AFD)
. L’assiette de calcul a été élargie à
l’échelle du groupe AFD dans le contrat d’objectifs et de moyens 2017
-2019
(cf. schéma n°1) ; elle omet encore certains financements du groupe AFD.
COUR DES COMPTES
222
Schéma n° 6 :
exigences des contrats successifs d’objectifs
et de moyens de l’AFD
Source : Cour des comptes
En 2021, l’objectif
de la France
a été porté à 6 Md€
d’engagements
annuels
167
en faveur du climat dont 2
Md€ pour l’adaptation
. En parallèle,
la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire
et à la lutte contre les inéga
lités mondiales a consacré l’adaptation comme
un enjeu de premier plan de l’aide publique au développement.
En conséquence, la « finance adaptation
» de l’AFD a crû fortement,
passant de 146 M€ d’engagements
annuels
en 2012 à 2,2 Md€ en 2022. Le
rééquilibr
age entre les actions d’atténuation et d’adaptation est perceptible
depuis 2019 avec un palier atteint autour de 2 Md€
par an
pour l’adaptation,
depuis cette date.
167
Les engagements de l’AFD dépassent le champ comptabilisé comme de l’aide
publique au développement car ils incluent, notamment, des financements par prêts.
Dans ce cas, seul le coût de l’écart entre le taux de marché et le taux du prêt, appel
é
bonification, est comptabilisé comme de l’aide publique au développement.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
223
Graphique n° 19 :
évolution du nombre de projets (échelle de droite)
et des financements de l’AFD
(échelle de
gauche, en M€)
consacrés à l’adaptation (flux annuel)
Source : AFD
2 -
L
’AFD
et la structuration de la « finance climat »
Les objectifs de mobilisation fixés au plan international ont amené
les principaux bailleurs, dont les banques publiques de développement
comme
l’AFD, à renforcer progressivement leurs engagements
financiers
en faveur du climat, en dernier lieu lors du sommet pour un pacte financier
mondial, à Paris en juin 2023. Les financements « climat » relevant de
l’aide publique au développement
sont en forte croissance, passant de
57 Md$ en 2014 à 96 Md$ en 2021. La France se distingue par un
engagement relatif fort sur les enjeux climatiques.
Graphique n° 20 :
p
art de la France dans l’aide publique
au développement des pays du Nord et dans la part de cette aide
qui est consacrée au climat en 2021
Source : OCDE
COUR DES COMPTES
224
L’AFD est, avec certaines de ses homologues (Japon, Italie), l’une des
banques de développement bilatérales qui ont le plus significativement engagé
ce mouvement vers le financement de l’adaptation (avec une part de «
finance
adaptation » comprise entre 25 et 35 %), aux côtés des banques multilatérales
de développement (32 % en moyenne, la Banque mondiale étant première en
volume de financements) et des fonds climatiques. Le rééquilibrage est plus
limité pour les banques de développement qui ont également une activité sur
leurs territoires nationaux, comme la KfW allemande ou la banque chinoise de
développement CDB (avec seulement 8 à 9 % de « finance adaptation »).
Compte tenu de l’importance des normes et des pratiques à établir
dans un domaine émergent et complexe, l’État a demandé à l’AFD de
participer à la structuration de la
« finance adaptation »
au niveau mondial.
L’AFD a ainsi œuvré à la création d’un club de banques de développement,
l’IDFC
168
, dont elle assure la présidence depuis 2017, ainsi qu’à la genèse
de
l’initiative
« Finances en commun »
, réseau mondial de toutes les banques
publiques de développement, dont elle assure le secrétariat. L’IDFC en
particulier a œuvré à la définition de principes communs sur l’adaptation en
2015, révisés en 2021, nécessaires à la bonne comptabilisation des soutiens
financiers aux politiques d’adaptation au changement climatique.
B -
Des financements cohérents avec les objectifs
de l'aide publique au développement
En 2022, la
« finance adaptation »
représente 32 % de la « finance
climat » du Groupe AFD avec 220
nouveaux projets engagés pour 2,2 Md€. Ses
priorités géographiques et sectorielles sont conformes à celles assignées par le
Gouvernement pour l’aide publique au développement. Les outils utilisés sont
marqués par un poids plus important des prêts souverains et des subventions.
1 -
Des financements en priorité en Afrique et en Asie,
répartis sur de nombreux secteurs d'activités
L’AFD définit quatre zones d’activité
: Orients
169
, Afrique,
Amérique latine et Trois Océans
170
. Les zones Orients et Afrique sont les
premières destinataires de la
« finance adaptation »
avec respectivement
880
M€ et 898
M€ en 2022.
168
International Development Finance Club
, regroupement de 26 banques de
développement d’Asie, Europe, Amérique Latine, Afrique et du Moyen
-Orient, créé en
169
La zone « Orients
» regroupe les pays du Proche et Moyen Orient et d’Asie.
170
La zone « Trois Océans » inclut des pays de l’Océan indien, des Caraïbes et du
Pacifique, ainsi que les collectivités et territoires ultramarins français. Les financements
relevant de l’adaptation concernant ces collectivités et territoires représentaient 86 M€
en 2022. Cour des comptes,
Les interventions de l’Agence française de développement
(AFD) en outre-mer
, observations définitives, décembre 2023.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
225
Carte n° 10 :
répartition thématique et géographique des projets
adaptation de l’AFD en 2022
L’intermédiation financière représente l’activité de soutien au secteur financier qui lui
-même appuiera
des projets de développement.
Source : AFD
L’analyse de la répartition par secteur thématique et par zone
géographique est cohérente avec le mandat de l’AFD. Le secteur de l’eau
occupe une place prépondérante, hormis en Amérique latine où prédomine
l’intermédiation financière (par exemple l’activité de prêt au secteur
bancaire), ce qui illustre les spécificités d’action de l’
agence dans la région.
COUR DES COMPTES
226
Les enjeux de l’agriculture sont co
rrectement couverts, avec une
montée en puissance des approches par la biodiversité et la préservation
des écosystèmes, en accord avec l’ambition de privilégier des solutions
« fondées sur la nature »
171
. De même, le poids significatif des enjeux de
gouvernance et de renforcement des capacités des acteurs publics et privés
rend compte de l’appropriation des
questions liées au climat par les
bénéficiaires de l’aide, en particulier
dans la zone Orients et en Amérique
latine. Enfin, le dernier pôle majeur est celui des infrastructures sociales
avec une attention de l’AFD à ce que ces projets intègrent des composantes
d’adaptation, particulièrement en Afrique et en Amérique latine.
2 -
Une part importante de prêts souverains et de dons
Parmi les outils de financement mobilisés en 2022, les prêts
souverains, c’est
-à-dire accordés aux États partenaires, prédominent
(1 551
M€
dont 53 % bonifiés
172
), devant les prêts aux entreprises et
collectivités locales (311
M€
dont 70 % bonifiés) et les subventions
(207
M€).
Cette prédominance des prêts souverains est le reflet de
l’attention portée prioritairement à la mise en place de politiques publiques
d’adaptation
.
L’intervention de l’AFD mobilise également un niveau important de
dons, provenant soit de subventions, soit de crédits délégués. Ces
ressources représentent 17 % de sa « finance adaptation
» alors qu’elles ne
comptent que pour 12
% de l’ensemble des ressources du groupe. Les
projets d’adaptation bénéficient donc d’une composante en dons
significativement plus élev
ée que la moyenne des interventions de l’AFD.
171
« Actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes
naturels ou modifiés, pour relever directement les enjeux de société de manière efficace
et adaptative tout en assurant le bien-être humain et des avantages pour la biodiversité »,
définition adoptée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN),
lors de son congrès mondial en 2016.
172
Un prêt bonifié voit une partie de ses intérêts pris en charge par l’État français au
titre de
l’aide publique au développement.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUT
ION DE L’AGENCE FRAN
ÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD)
227
Carte n° 11 :
répartition géographique des outils de financement
de l’adaptation utilisés par l’AFD en 2022
Source : AFD
Le recours privilégié aux dons ou aux prêts bonifiés n’est pas
géographiquement homogène. Les dons sont concentrés en Afrique, pour les
projets multi-
pays et pour la zone Trois Océans. L’Afrique concentre ainsi
95
% des crédits délégués que gère l’AFD sur la thématique de l’adaptation.
À
l’inverse, l’outil des prêts est concentré sur les autres zones
: 61 % des prêts
non-souverains sont réalisés dans la zone Orients et 24 % en Amérique latine.
COUR DES COMPTES
228
Le recours aux dons tient notamment à ce que les actions d’adaptation
nécessitent un fort investissement dans des mesures préalables au projet et
d’accompagnement
pendant son déroulement, étapes qu’il est plus difficile
de financer par des prêts. Ainsi, un projet d’adaptation comprend
régulièrement trois composantes financières : un ou deux financements en
amont sur don pour financer des études de vulnérabilité et de faisabilité, un
prêt pour le financement des activités mêmes du projet et un financement sur
don pour recruter une assistance technique, à travers, par exemple, des crédits
délégués de l’Union européenne et des financements du Fonds français pour
l’envi
ronnement mondial (FFEM)
173
ou du Fonds vert pour le climat.
Le projet de reforestation dans le parc national d’Ifrane au Maroc
illustre ce séquencement des financements. L’AFD
recourt à un don du
FFEM de 1,8 M€ pour des actions d’assistance technique
, en plus du prêt
de politique publique qu’elle a accordé à l’agence marocaine de gestion des
forêts. Cette dernière finance elle-
même l’essentiel du travail d’animation
et de dialogue avec les communautés forestières, dans le cadre de sa
stratégie sectorielle sur les forêts.
3 -
Des outils créés pour accompagner les projets
Dans cette logique, et pour renforcer sa capacité à accompagner des
projets, l’AFD
recourt à deux outils spécifiques, dont un exclusivement
orienté vers l’adaptation
:
•
La Facilité 2050, créée
par l’AFD en 2018 et dotée de 30 M€, vise le
renforcement de capacités et l’élaboration de stratégies à long terme dans
le respect des engagements de l’Accord de Paris. Au Maroc, elle permet
de financer
un programme de recherche visant à intégrer l’impact
du
changement climatique dans les prévisions macroéconomiques.
•
« AdaptAction
» a été créé par l’AFD en 2017 pour améliorer l’efficacité
des processus en amont des projets, faire émerger des projets d’adaptation
ensuite finançables par des prêts et mobilis
er des fonds délégués. Il s’agit
d’un programme d’assistance technique et d’activités de «
renforcement
de capacité »
174
lancé par l’agence pour développer son appui aux pays.
De 2017 à 2022, la première phase a été déployée dans 15 pays. Dotée
d’un budget de 30 M€ de subventions françaises, elle a permis de
développer 692 M€ de projets financés ou cofinancés par l’AFD, par le
173
Fonds français pour l’environnement mondial, créé en 1994, avec l’objectif de
financer des projets dédiés à l’environnement et au développement durable.
174
Activités visant à développer les compétences, capacités, processus et ressources des
organisations et communautés appuyées.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
229
Fonds vert ou par l’UE, à la date du comité de suivi de juillet 2023. Les
projets en cours d’instruction pourraient porter ce chiffre à près d’1 Md€.
L’activité du programme est organisée autour de trois dimensions :
comprendre les dimensions humaines du climat, planifier en soutenant
l’intégration de l’adaptation dans les politiques publiques et les dispositifs
de gouvernance et enfin investir en subventionnant des études de
vulnérabilité et de faisabilité de nouveaux projets finançables par l’AFD
ou un autre bailleur. Sur 71 appuis financés mi-2023, 22 concernaient la
gouvernance climat, 14 la gestion durable des terres, 10 les enjeux liés à
l’eau, cinq la biodiversité et les forêts.
II -
Des acquis avérés et des limites à prendre
en compte pour la conduite des projets
La Cour a, dans le cadre de visites de terrain, examiné plusieurs
projets d’adaptation que mène l’AFD au Maroc
et au Sénégal. Ces projets
mettent en évidence les acquis de la démarche en termes d’autonomie
économique des populations concernées et de transformation des
institutions publiques mais également des limites à prendre en compte.
A -
Des solutions valorisa
nt l’autonomie éc
onomique
des populations
Les projets d’adaptation contribuent à améliorer la résilience des
populations et des écosystèmes en privilégiant des solutions, notamment
sociales, qui réduisent leur dépendance à des moyens financiers, techniques
ou scientifiques extérieurs.
Par exemple, dans la commune de Ghassate au Maroc, est développé
depuis 2013 un projet d’adaptation de l’agriculture locale au changement
climatique à petite échelle,
à l’initiative d’une organisation de la société
civile. La subvention de l’AFD est modeste (0,7 M€ depuis 2017). Pourtant
le projet
est emblématique parce qu’il
remet en question une solution
technique, le goutte-à-goutte
175
, proposée sans analyse du besoin et des
alternatives en termes d’adaptation locale. Le projet a permis de ré
habiliter
des pratiques traditionnelles en les faisant évoluer et en les validant
175
Système d'irrigation qui fournit un arrosage faible mais constant près des racines des
plantes, de manière à réduire les pertes d'eau dues à l'évaporation et au ruissellement.
COUR DES COMPTES
230
scientifiquement
176
. Il présente un taux de succès important (84 % des
familles
continuent
l’activité
entre
trois
et
dix
ans
après
l’accompagnement) et nécessite un fort invest
issement en animation
(10 personnes accompagnent à temps plein 500 familles).
Même à une échelle plus large, les projets d’adaptation peuvent
remettre en cause des stratégies de développement fondées sur la technique.
C’est ce que montre la stratégie agri
cole du Maroc pour 2030. La
mécanisation n’est plus systématiquement privilégiée. D’autres techniques
comme le semis direct
177
sont prises en considération, dans une approche
s’appuyant à la fois sur l’agronomie, pour mesurer les gains de productivité,
et su
r l’économie, pour établir un ratio bénéfice/coût permettant d’arbitrer
entre les deux techniques. Là où il est approprié, le semis direct est privilégié
pour réduire à la fois les coûts de production et la dépendance des
agriculteurs. La vulnérabilité de ceux-
ci s’en trouve diminuée.
L’articulation entre science et tradition est un enjeu récurrent des
processus d’adaptation en milieu rural
, comme le montre le projet de
reforestation dans le parc national d’Ifrane.
Ce projet a permis de faire
discuter écologues, forestiers et communautés locales, en particulier
pastorales autour des zones de « mise en défens »
178
. Cette pratique a été
mise à mal par l’augmentation de la pression
des activités humaines. Le
projet a permis de la rationaliser et de la réinstitutionnaliser, faisant
converger préconisations scientifiques et tradition.
Cette convergence impose toutefois une vigilance et un arbitrage
rigoureux qu’illustre l’exemple du contrôle du déploiement de l’irrigation
en goutte-à-goutte au Maroc. Si cette technique permet une moindre
consommation
d’eau
par
hectare,
l’économie
initiale
peut
être
contrebalancée par l’extension des zones de culture
, qui entraîne
in fine
une
consommation d’eau supplémentaire. Sans contrôle, cette mesure
technique d’adaptation peut donc se transformer en
mal-adaptation
179
.
176
Dans ce cas, l’articulation entre élevage et arboriculture, avec une utilisation
appropriée du fumier, permet d’enrichir les sols et d’améliorer leur capacité de rétention
d’eau. Cette solution est ici préférable à l’irrigation au goutte
-à-goutte qui serait
coûteuse en ressources techniques et financières indisponibles.
177
Technique consistant à semer directement les graines, sans passer par un travail du
sol entre les lignes de semis comme le labourage mécanisé.
178
Pratique traditionnelle de protection du couvert forestier, qui consiste à instaurer des
clôtures fixes ou temporaires pour gérer les pressions de pâturage.
179
Cf. chapitre introductif, la mal-adaptation désigne une action pensée comme une
adaptation mais qui conduit
in fine
à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAIS
E DE DÉVELOPPEMENT (AFD)
231
Enfin, les projets d’adaptation peuvent renforcer la capacité d’action
des acteurs locaux et leur implication dans la gestion durable de leur
territoire. Dans la ville de Pikine, de la banlieue de Dakar, le projet
Ping-Giri
180
a par exemple expérimenté la mobilisation d’habitants pour
lutter contre les inondations. Au-
delà de l’identification des désordres et de
la recherche de solutions adaptées, ceux-ci participent au cofinancement
des aménagements collectifs et semi-publics. Ils utilisent pour cela un
fonds mutualisé auquel contribuent 15 000 habitants.
B -
Le soutien à la transformation des acteurs
économiques et institutionnels
Les projets examinés montrent que l’intervention de l’AFD
contribue à la transformation de ses partenaires, les aidant à mieux prendre
en compte le changement climatique et à s’y adapter. L’agence
utilise pour
cela plusieurs leviers.
En premier lieu, la durée et la qualité de la coopération permettent
aux
partenaires de l’AFD
d’être reconnus et d’accéder à un panel plus large
de bailleurs. Au Sénégal, la banque agricole, partenaire de longue date de
l’AFD
,
s’est ainsi dotée
,
avec l’appui de cette derni
ère,
d’un système de
gestion incluant le suivi d’indicateurs environnementaux et sociaux et des
financements affectés
à l’atténuation et à l’adaptation. Ce dispositif lui a
notamment permis d’obtenir l’accréditation du Fonds vert pour le climat.
Au Maroc,
l’agence nationale des eaux et forêts a fait de même.
Grâce à
son partenariat avec l’AFD,
elle a accéléré ses actions en faveur de
l’adaptation des écosystèmes forestiers, des aires protégées et des
communautés résidentes. Ce faisant, elle a gagné un accès
à d’autres
bailleurs positionnés sur cet enjeu : la Banque africaine de développement
et la Banque européenne d’investissement instruisaient chacune des
opportunités de prêts significatifs en 2023.
En deuxième lieu, l’accompagnement de l’AFD permet une
transformation graduelle de ses partenaires
en rehaussant l’ambition
de ces
derniers à l’occasion de
chaque financement. Ainsi le fonds marocain
d’équipement communal a mis en place un système de gestion
environnementale et sociale et élaboré une doctrine climatique sur la base
d’un premier financement (100 M€ de prêt et 1 M€ de subvention). Un
second financement signé en 2021 (200 M€ de prêt et 3,5 M€ de
180
Projet mené par quatre associations, deux françaises (Gret et urbaMonde) et deux
sénégalaises (Fédération sénégalaise des habitants, et UrbaSEN), de 2019 à 2023 pour
un budget global de 0,9
M€.
COUR DES COMPTES
232
subvention) vise la déclinaison opérationnelle d’outils financiers adaptés à
l’intervention
du fonds : l
igne de crédit adossée à un plan d’actions,
mécanismes incitatifs, actions d’assistance technique au profit des
collectivités territoriales.
En troisième lieu, l’AFD adopte une approche réactive
qui lui
permet d’
ajuster son analyse de la situation de ses partenaires et sa politique
d’intervention
si ceux-
ci développent une politique d’adaptation au
changement climatique. Elle a par exemple révisé à la baisse le niveau de
risque climatique physique de l’agence des ports du Maroc lorsque celle
-ci
a réalisé une étude de sensibilité au risque de submersion marine et établi
une stratégie pour y répondre.
L’adaptation au changement climatique passe
enfin par un mode de
conduite de projets souple, capable d’identifier les risques qui apparaissent
pendant la réalisation du projet et de les traiter en redéfinissant leur
contenu. Par exemple, face aux inondations régulières subies par la ville de
Pikine au Sénégal, un projet d’évacuation des eaux pluviales a été financé
par l’AFD. Le constat a
ensuite
été fait qu’un
autre projet financé par
l’AFD, celui de la construction d’une ligne de TER, ne prenait pas
suffisamment en compte la problématique des inondations et risquait de les
accentuer ; il a été révisé en conséquence.
C -
Des leviers d’action qui restent limités
Les
projets d’adaptation étudiés au Maroc et au Sénégal révèlent les
acquis des projets pour les populations comme pour les institutions. Ils
mettent aussi en lumière des limites, pour partie communes aux projets de
développement conduits historiquement par l’
AFD, mais qui présentent
aussi des spécificités en lien avec les problématiques d’adaptation.
Tout d’abord, un projet d’adaptation est nécessairement spécifique à
un territoire défini et limité. Le premier projet mis en œuvre par l’AFD sur
financement du Fonds vert pour le climat au Maroc
181
en fournit
l’illustration. Il visait à favoriser la construction d’un réseau d’irrigation pour
accroître la résilience de l’agriculture oasienne et celle de l’économie locale
au bénéfice de 1 800 personnes. Pour préserver la ressource en eau
souterraine, la surface irrigable devait être limitée à 15 000 ha. Or, le projet
d’adaptation locale ne concernait qu’une fraction réduite du territoire, moins
de 1
700 ha, l’essentiel étant consacré à la production de dattes Mahjoul
à
181
Ce
financement de 20 M€
a été
signé fin 2018 en complément d’un prêt de 40 M€
accordé par l’AFD en 2017
. Il est
dédié à l’adaptation de l’agriculture aux changements
climatiques en aval du barrage de Kaddoussa.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
233
forte valeur commerciale notamment à l’exportation. L’AFD a alors constaté
que des droits fonciers avaient été octroyés au-
delà du seuil d’exploitation
durable de 15 000 ha. La logique de développement économique, qui repose
sur l’irrigation de terrains
consacrés à des cultures commerciales, risque ainsi
d’entrer en contradiction avec celle de l’adaptation. En l’occurrence, cette
dernière consiste à construire un réseau d’irrigation pour accroître la
résilience de l’agriculture oasienne sur des surfaces l
imitées.
La deuxième limite des projets d’adaptation mise en évidence par
l’examen de projets locaux tient à la mesure des résultats et impacts, qui pose
des défis conséquents. Ils sont en effet difficiles à évaluer, à la différence des
projets d’atténuat
ion dont les effets peuvent être quantifiés en tonnes
d’émissions de CO
2
évitées. Les résultats des projets d’adaptation ne peuvent
être évalués qu’à partir de la trajectoire du pays partenaire, définie en
dialogue avec le bailleur, mais qui relève
in fine
des choix souverains du pays
concerné. Les conditions posées par le bailleur autant que sa capacité
d’accompagnement sont déterminantes. L’AFD, dans le cadre de prêts de
politiques publiques, peut alors prévoir des cibles annuelles conditionnant le
décais
sement des fonds. C’est par exemple le cas du projet de reforestations
d’Ifrane pour lequel le recrutement effectif des animateurs, nécessaires à la
mobilisation des acteurs locaux, fait partie des cibles annuelles.
Une troisième limite résulte des demandes spontanées des
bénéficiaires finaux, qui peuvent alimenter une dynamique de mal-
adaptation. Ces demandes visent plus spontanément la réduction de la
pauvreté ou le développement économique plutôt que l’adaptation au
changement climatique. Elles peuvent être favorisées, par exemple, par
l’incitation au développement d’activités agroalimentaires d’exportation,
dans le cadre des accords commerciaux internationaux, au détriment
d’activités davantage tournées vers les marchés locaux. Au Sénégal, dans
le cas d
’un projet de préservation de la mangrove autour de l’aire marine
protégée du delta du Saloum, les demandes portent plus sur l’installation
de chambres froides pour les mareyeurs et de nouvelles unités de
transformation agro-alimentaires que sur la mise en place de circuits courts
de distribution des produits de la pêche contribuant à l’optimisation de
l’usage des unités de transformation existantes, pourtant sous
-utilisées.
Pour faire face à ces trois types de limites, l’AFD doit porter une
attention part
iculière autant aux options d’adaptation proposées par les
projets qu’au moyen de les développer et de les diffuser auprès des
bénéficiaires, pour une appropriation durable. Cela passe par une ouverture
à des options d’adaptation qui remettent en cause des
schémas de
développement fortement implantés mais aussi par une vigilance à l’impact
des accords commerciaux sur les trajectoires de développement durable.
COUR DES COMPTES
234
Enfin, certaines situations révèlent des vulnérabilités qu’il n’est pas
possible de résorber totalement
. Il existe des limites à l’adaptation
et aux
possibilités de réduire la vulnérabilité. Dans le cas du projet de Ghassate,
les familles accompagnées ont certes mieux résisté à la sécheresse qui sévit
depuis trois ans au Maroc, mais elles ont tout de même
eu besoin d’une
aide
pour passer cette crise, sous la forme d’
alimentation fourragère pour
leur bétail.
III -
Des approches à approfondir et partager
L’AFD a engagé
des changements en profondeur pour prendre en
compte de manière transversale les enjeux d’adaptation dans l’ensemble de
ses activités, avec l’objectif de
les rendre toutes compatibles
avec l’Accord
de Paris (objectif « 100 % Accord de Paris »).
La définition de l’adaptation au changement climatique et de son
contenu effectif reste délicate et n’
est pas stabilisée au niveau international.
C’est un obstacle qui empêche, à ce jour, de faire figurer les atteintes à
l’adaptation sur la liste d’exclusion du groupe AFD. Ceci lui permettrait de
rejeter par principe le financement de certains projets cont
raires à l’exigence
d’adaptation, de la même manière que sont exclus les projets trop émissifs
en gaz à effet de serre ou portant une atteinte caractérisée à la biodiversité.
Dès lors, l’AFD doit être d’autant plus exigeante dans l’analyse au
cas par cas de chacun des projets
qu’elle
instruit
en vue de s’assurer de leur
compatibilité avec les exigences d’adaptation
.
A -
La recherche
d’une
compatibilité complète
avec l’
Accord de Paris
Dans le cadre de son plan d’orientation stratégique 2018
-2022 et de
l’objectif politique fixé dès 2017 de rendre l’intégralité de ses
activités
compatibles avec l’
Accord de Paris (objectif dénommé «
100 % Accord de
Paris
»)
, l’AFD a engagé plusieurs transformations visant à s’assurer de la
prise en compte transversale des enjeux d’adaptation.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
235
1 -
L
’adaptation
dans les stratégies territoriales et sectorielles
La politique de l’AFD est articulée autour de six stratégies
sectorielles
182
au sein desquelles elle a cherché à intégrer les enjeux
d’adaptation
,
qui concernent tous ses secteurs d’intervention et pas
seulement ceux identifiés « climat
». L’adaptation au changement
climatique est déjà prise en compte dans les stratégies thématiques « eau »
de 2014, ce secteur étant l’un de ceux les plus concernés, et «
santé » de
2015. Ces enjeux sont aussi présents dans la stratégie « mobilité », dont
l’objectif est d’adapter les infrastructures aux changements du climat. Ils
sont par contre bien moins intégrés à la stratégie « systèmes financiers » de
2018, dont
l’
une des dimensions est pourtant le développement de la
finance durable
183
.
Dans la même dynamique, les stratégies géographiques de l’AFD
intègrent l’adaptation au fur et à mesure de
leur mise à jour. Cet effort est
toutefois plus visible dans certains cas (Maroc, Sénégal, Vietnam) que dans
d’autres (Liban, Mali
) ou en Martinique, tout en progressant continument.
2 -
Des outils pour intégrer l’adaptation à l’évaluation des projets
Il
n’
existe
pas
de
définition
harmonisée
et
reconnue
internationalement de la vulnérabilité au changement climatique. Dans ce
contexte,
l’AFD a
mis en place ses propres
outils permettant d’intégrer
,
dans la gestion des projets, la prise en compte des enjeux d’a
daptation.
Elle s’est dotée d’un outil permettant de cibler les risques en
fonction des zones d’intervention. Elle produit ainsi depuis 2018 des
« fiches climat
» par pays et territoire d’intervention, recensant les
principaux enjeux climatiques. Ces fiches comprennent des données
économiques de contexte en lien avec les enjeux climatiques (par exemple,
le nombre de véhicules pour 1 000 habitants), des analyses des impacts
attendus du changement climatique et des zones de vulnérabilité tant
géographique que sectorielle. Elles fournissent enfin des éléments sur
l’existence de politiques publiques nationales et locales en faveur du climat
et de l’adaptation.
182
Transition démographique et sociale, territoriale, écologique, numérique et
technologique, économique et financière, démocratique et citoyenne.
183
Il s’agit de l’ensemble des activités et réglementations
financières poursuivant un
objectif de développement durable (cf. le chapitre sur le rôle des institutions financières
et bancaires dans l’adaptation de l’économie au changement climatique).
COUR DES COMPTES
236
Non publiées, ces fiches sont transmises par la division climat de
l’AFD à l’ensemble des équipes et permettent d’apprécier la cohérence
d’un projet donné avec les enjeux d’adaptation du pays ou du territoire
concerné.
Jusqu’à récemment, c
ette approche
n’était pas dupliquée au sein
des institutions financières internationales. La Banque mondiale produit
au
jourd’hui
des profils climatiques par pays. Mais ils ne couvrent pas
encore l’ensemble des pays où intervient l’AFD.
Deux autres outils, le « criblage climat » et «
l’avis de développement
durable
», ont été déployés graduellement depuis 2014 et s’appliqu
ent à
l’instruction de la majeure partie des projets financés par l’AFD.
Le « criblage climat » est ainsi déployé en amont du projet, selon un
outil en ligne et accessible depuis 2015 à l’ensemble des équipes. Pour un
projet, il croise d’abord l’estimation
des aléas climatiques, de la vulnérabilité
des bénéficiaires et de la capacité d’adaptation du pays et du projet. Dans une
deuxième étape, il traite un nombre limité de risques climatiques jugés les
plus pertinents et identifie des mesures d’adaptation à mettre en œuvre. Dans
le cas d’un projet d’adaptation au Niger, autour du barrage de Kandadji, par
exemple, l’outil a permis d’identifier des facteurs de vulnérabilité comme le
dimensionnement des ouvrages ainsi que des recommandations de gestion
comme le repositionnement des cycles de culture.
Graphique n° 21 :
exemple d’utilisation de l’outil de criblage climat,
cas
d’un projet à dimension adaptation au Niger,
barrage de Kandadji
Source : AFD
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
237
L’«
avis développement durable » est quant à lui un outil directement
intégré dans le processus de sélection des projets. Il permet depuis 2014
d’attribuer une note en fonction de l’impact du projet sur différents axes au
titre de la résilience climatique
184
. Un projet qui a reçu une note négative ne
peut pas être financé sans une
décision formelle du conseil d’administration.
Depuis 2019, trois projets ont fait l’objet d’une note négative
et n’ont pas été
financés. Deux projets ont reçu un avis réservé :
le financement de l’un
d’eux, consacré à la prévention de l’érosion et à la pr
otection du trait de côte
au Vietnam, a
in fine
reçu l’aval du conseil d’administration.
Schéma n° 7 :
g
rille de notation sur l’axe «
résilience »
de l’avis développement durable
Source :
Cour des comptes, d’après des données de l’AFD
184
La grille d’analyse inclut l’adaptation au travers de l’axe résilience aux côtés de six
autres axes : bas-carbone, biodiversité, social, genre, gouvernance et économie. Pour
chaque axe, un projet peut être noté de - 2 à + 3, la note 0 correspondant à un impact
neutre du projet sur cet axe. Les notes positives distinguent un projet adapté (+ 1), un
projet contribuant à l’adaptation plus gé
nérale (+ 2), un projet de nature à transformer
plus largement un secteur un ou un territoire (+ 3).
COUR DES COMPTES
238
Une marge de progression importante existe toutefois : sur
l’ensemble des projets retenus par l’AFD en 2020, seuls 9
% ont bénéficié
d’une note de compatibilité maximale avec les enjeux de climat (+
3) et
38
% une note attestant d’une dynamique globale engagée (+
2).
L’essentiel des projets continue donc de n’avoir qu’un impact au mieux
ponctuel en termes d’adaptation.
3 -
Une part d’activité hors du périmètre de comptabilisation
de la « finance climat »
Une proportion non négligeable des financements
que met en œuvre
l’AFD chaque année
(6 % en 2022 soit 709
M€) n’est
pas encore prise en
compte pour évaluer le soutien de l’Agence à des politiques climatiques.
Ces financements hors du périmètre de comptabilisation de la « finance
climat »
regroupent
certains
dispositifs
d’amorçage
(y
compris
« AdaptAction »), les aides budgétaires globales aux États ou les garanties.
Cette absence de prise en compte dans la « finance climat » traduit
la difficulté à mesurer la contribution (en positif) ou le risque (en négatif)
dont ils sont porteurs. Mais les obstacles techniques réels (financements
trop petits ou programmes globaux dont les activités ne sont pas spécifiées)
doivent être surmontés
en vue de se conformer à l’ambition «
100 %
Accord de Paris ».
B -
Un
portefeuille d’activité
s exposé
aux risques climatiques
En 2021, l’AFD a publié un premier rapport sur sa gestion des
risques financiers liés au climat. Elle s’est dotée d’une feuille de route
interne structurée autour de quatre grands axes : la prise en compte des
risques financiers climatiques par
le groupe AFD en tant qu’établissement
de crédit ; leur mobilisation pour le dialogue avec les partenaires financés ;
l’élaboration d’une offre et d’outils d’analyse pour que ses partenaires
puissent mieux prendre en compte les risques climatiques ; la contribution
aux débats internationaux et à l’élaboration des normes autour des risques
financiers climatiques.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
239
Deux grandes catégories de risques sont prises en compte : les
risques physiques, qui résultent des effets du changement climatique sur
l’activité, et les risques dits de transition, c’est
-à-dire les risques de
perturbation des modèles économiques existants par la mise en place d’une
politique économique « bas carbone »
185
.
•
Les risques dits de transition sont limités en raison de la politique
d’intervention de l’AFD
186
. Mais l’Agence est exposée au travers de son
activité d
’intermédiation financière
, dont le modèle économique peut
lui-
même être exposé dans le contexte d’une transition vers une
économie bas carbone.
•
L’AFD a établi un système de cotation
qui lui permet d’attribuer à chaque
pays une note évaluant globalement les conséquences macroéconomiques
et financières des risques climatiques physiques pour les emprunteurs
publics. Pour chaque partenaire mobilisé sur un projet, l’analyse permet
de croi
ser les risques par secteur d’activité économique pour cinq aléas
climatiques (cyclones, montée du niveau de la mer, précipitations
extrêmes, stress hydrique, stress thermique) et les mesures de réduction du
risque prévues. Un niveau de risque climatique physique est attribué à
chaque partenaire. Il figure dans le système d’information de l’AFD à côté
de sa note de crédit établie mais ne l’affecte pas.
Si un risque élevé est identifié pour un client donné, l’AFD peut
proposer de l’accompagner dans la définition et la mise en œuvre d’une
stratégie d’adaptation.
Les activités propres des partenaires
de l’AFD
peuvent la conduire
à réduire son
appréciation du risque, comme l’illustre le cas de l’agence
nationale des ports du Maroc. Cette agence ayant conduit, sur financement
de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD),
un programme de résilience face à l’accroissement de la houle
océanique, l’AFD a réduit son appréciation du risque climat
auquel est
exposé son partenaire et a financé
des travaux d’adaptation, comme le
relèvement de la digue du port de Casablanca. À
l’inverse, l’instruction
d’un projet peut amener à rehausser l’évaluation du risque associé à un
partenaire. C’est ce qui s’est passé dans le cas de la province de Santa
-Fé
en Argentine, où les indicateurs relatifs aux niveaux des précipitations
extrêmes et du stress thermique ont été révisés à la hausse. En conséquence
l’instruction du projet par l’AFD a été abandonnée.
185
Par exemple les coûts supportés par un opérateur de centrale à charbon dont la
fermeture est décidée par la puissance publique au titre de sa politique climatique
186
L’AFD finance des activités orientées vers le développement durable, qui sont donc
les moins perturbées par les politiques de décarbonation.
COUR DES COMPTES
240
Fin 2021, l’AFD a effectué un
bilan de son exposition aux risques
climatiques et de transition
, doté d’
indicateurs très fournis. Quelques
partenaires plus vulnérables ont été identifiés, en particulier en outre-mer,
ou parmi les collectivités locales dans les pays étrangers où intervient
l’Agence. Le risque physique pouvant avoir l’impact le plus élevé à
l’échelle d’un projet est la montée du niveau de la mer, tandis que les
risques les plus répandus avec un impact moyen sont les stress thermique,
hydrique et les précipitations extrêmes.
Graphique n° 22 :
déploiement détaillé des indicateurs
de risques physiques, par type de risque et par type de partenaire
Source : AFD
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
241
Quel que soit l’intérêt de ces analyses, elles n’ont aujourd’hui que des
effets minimes sur l’activité de financement de l’AFD
: l’analyse est
pri
ncipalement conduite à titre d’information. Or les dernières orientations
fixées par les autorités françaises à l’AFD
187
rendent nécessaires un
approfondissement et une exploitation plus active des analyses d’exposition
aux risques climatiques conduites jusq
u’ici et de leurs conséquences.
Il est en effet désormais demandé à l’Agence de concentrer s
on
action dans les pays les plus vulnérables
et d’introduire dans les prêts des
clauses de suspension du service de la dette en cas de catastrophes
climatiques. Ces
deux orientations devraient renforcer l’exposition de
l’Agence au risque climatique. L’outil dont elle s’est dotée devrait
permettre de vérifier qu’elle concentre bien son action sur des zones et les
partenaires vulnérables.
Par ailleurs, dès lors que des clauses de suspension du service de la
dette dans les pays vulnérables frappés par des catastrophes climatiques
seront introduites, l
e coût potentiel pour l’AFD devra
être anticipé et, le cas
échéant, un mécanisme de financement prévu.
L’outil d’évaluati
on de
l’exposition du portefeuille d’activités de l’Agence aux risques climatiques
pourrait être utilisé à cette fin. Il permettrait de qualifier et de quantifier le
risque financier associé au risque climatique et à l’activation potentielle
des clauses de suspension du service de la dette.
En amont des décisions de suspension, il permettrait de s’assurer
que l’AFD a bien anticipé leurs conséquences et leur coût tant pour
l’Agence que pour les finances publiques.
C -
Une expérience à mieux valoriser et partager
1 -
La recherche comme levier d’innovation
L’adaptation est un objet scientifique qui a pris une importance
croissante, ce dont témoigne la création d’un groupe de travail du GIEC
consacré aux impacts. La progression de la connaissance est inégale, moins
rapide par et sur les pays du Sud, les plus vulnérables.
L’AFD déploie une action de recherche articulée autour de trois
axes : le diagnostic des impacts physiques, le diagnostic des répercussions
sur la sphère socioéconomique et l’étude des trajectoi
res de développement
résilient en se focalisant sur les politiques publiques. 35 études ont été
financées entre 2018 et 2022, auxquels s’ajoutent deux études financées
par le programme « AdaptAction ».
187
Par le conseil présidentiel du développement en mai 2023 et le comité
interministériel de la coopération internationale et du développement en juillet 2023.
COUR DES COMPTES
242
Deux exemples illustrent
l’apport de la recherche
en matière
d’adaptation
.
Le premier concerne l’utilisation de la Facilité 2050 de l’AFD
, qui
vise le renforcement de capacités et l’élaboration de stratégies à long terme
dans le respect des engagements de l’
Accord de Paris. Dans le cas déjà
évoqué du program
me de recherche financé au Maroc sur l’intégration de
l’impact
du
changement
climatique
dans
les
prévisions
macroéconomiques, des travaux de modélisation développés par l’AFD,
couplés à un modèle hydro-agricole, ont produit des simulations des
rendements d
e cultures, sur la base des projections d’un modèle climatique
régional. Ces travaux articulent les enjeux de disponibilité en eau, de
rendement agricole et d’équilibre macro
-
économique à l’échelle du Maroc.
Les résultats
, bien qu’
imparfaits, convainquent
déjà de l’utilité du couplage
entre les deux types de modèle (macro-économique et hydro-agricole) pour
l’anticipation et l’intégration des conséquences du changement climatique
dans les politiques publiques.
Le second concerne un projet de recherche « Niayes 2040 » co-
financé par l’AFD et mené par le centre français de coopération
internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
avec
des
partenaires
sénégalais.
Il
a
mêlé
trois
approches
méthodologiques : élaboration des scénarios plaus
ibles d’évolution de
cette petite région rurale du Sénégal, définis par la population selon une
méthode participative
; jeu sérieux permettant d’identifier les pratiques et
règles sociales qui vont déterminer les trajectoires possibles du territoire en
déc
rivant les règles sociales d’accès à l’eau souterraine avec des exigences
d’équité ou de solidarité
; et enfin, dans une dernière étape, la modélisation
physique de la ressource en eau. Ce couplage d’outils qualitatifs et
quantitatifs permet à l’AFD de con
struire des projets appropriés, appuyés
sur la cohérence interne des scénarios définis par les populations locales,
et favorise l’identification d’alternatives de développement.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
243
Schéma n° 8 :
scénarios
d’évolution du territoire des Niayes
à l’horizon 2040 développés
avec les habitants
Source : CIRAD et AFD
Les travaux de recherche portés par l’AFD contribuent à la
définition des projets qu’elle finance
. Ils favorisent aussi les coopérations
de recherche avec les pays du Sud. Ils sont nécessaires pour que l’Agence
soit reconnue et écoutée dans le débat international sur les risques
climatiques, l’adaptation à ces risques et les trajectoires de développement
résilient. Ils peuvent de surcroît être diffusés et valorisés pour traiter des
problématiques d’adaptation en Fr
ance métropolitaine comme ultramarine.
COUR DES COMPTES
244
2 -
La volonté d’accélérer la convergence des enjeux
de biodiversité et d’adaptation
L’AFD s’est engagée dans une démarche en vue de faire converger
les enjeux d’adaptation et de préservation de la biodiversité
: l’adapt
ation
inclut la réduction de la vulnérabilité des écosystèmes et les solutions
fondées sur la nature sont efficaces et pertinentes pour favoriser l’adaptation.
En 2020, l’État a d’ailleurs rehaussé l’objectif assigné à l’Agence en matière
de biodiversité d
ans le contrat d’objectifs et de moyens.
L’Agence a développé une analyse des risques financiers liés à
l’érosion de la biodiversité. Il ressort de cette analyse que 40
% de son
portefeuille est exposé à un risque biodiversité. Ce risque est lui-même
aggr
avé par le changement climatique. C’est par exemple le cas pour des
services de régulation et de maintenance comme le contrôle de l’érosion ou
la protection contre les inondations par les mangroves ou les récifs coralliens.
Seule la KfW allemande travaille à développer une approche semblable.
Un objectif interne de l’AFD était que la réalisation de 30
% des
« cobénéfices climat
» s’appuient sur des engagements favorables à la
biodiversité. Cet objectif est atteint depuis 2021.
L’AFD
gagnerait à se
fixer un objectif plus ambitieux pour asseoir son leadership.
3 -
Un rôle de référent méthodologique à conforter
au sein de la communauté nationale comme internationale
Compte tenu du caractère innovant de ses approches et des enjeux
méthodologiques de l’adaptation,
il conviendrait que
l’AFD partage ses
méthodes et ses outils.
Au plan international, l’Agence a tout intérêt à partager ses méthodes.
D’une part, cela permettrait à ses partenaires de les utiliser s’ils le souhaitent
dans la préparation de projets d’adaptation au changement climatique. D’autre
part, elle pourrait ainsi influer sur les normes en cours d’élaboration par la
constitution d’un ensemble d’utilisateurs partageant les mêmes pratiques.
Il pourrait, par exemple
, s’agir de mettre
à disposition d’un p
ublic
plus large une version de son « criblage climat
», comme elle l’envisage
actuellement au profit de ses partenaires dans le cadre de la coopération
décentralisée.
L’AFD pourrait également partager une méthodologie
« 100 % Accord de Paris », dans le ca
dre du club IDFC qu’elle préside.
Cette initiative serait d’autant plus importante que les banques
multilatérales de développement ont, en juin 2023, publié une démarche
pour se mettre en conformité avec l’Accord de Paris.
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
245
Il conviendrait par ailleurs que
les acteurs de l’adaptation en France,
à l’échelon national et local, puissent bénéficier des retours d’expérience
des projets conduits par l’AFD dans d’autres territoires. L’Agence s’est
engagée dans cette voie auprès de collectivités territoriales ayant noué une
coopération avec leurs pairs de pays en développement au titre de la
coopération décentralisée. D’autres collectivités françaises soumises à des
problématiques d’adaptation pourraient s’inspirer de cette démarche
. Une
articulation renforcée des ac
tions entre l’AFD et la Caisse des dépôts et
consignations, acteur financier majeur de l’adaptation en France, pourrait
également être envisagée. L
’AFD pourrait ainsi contribuer, dans la logique
du plan national d’adaptation
au changement climatique, au renforcement
de la communauté des acteurs de cette politique publique en France.
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
L’adaptation est à la fois un enjeu de survie pour l’humanité et un
champ politique, scientifique, social, environnemental et économique
mouvant avec des développements rapides, des flous méthodologiques
persistants et des risques toujours plus complexes.
La France et l’AFD se sont saisi
es tôt
de l’enjeu climatique, plus
progressivement de celui de l’adaptation.
Par le biais de l’AFD, la France
contribue à la mobilisation de la finance adaptation. La transformation de
l’instruction des projets financés par
l’Agence et la prise en compte
horizontale de l’enjeu d’adaptation en son sein sont réelles
. Cependant les
démarches qu’elle met en œuvre doivent continuer à être déployées et
amplifiées. La Cour formule trois recommandations en ce sens :
1.
dans le cadre d
e l’engagement pris d’augmenter les financements
alloués à l’adaptation, accroître les crédits affectés au financement
par subvention des études préalables aux projets d’adaptation (études
de vulnérabilité et études de faisabilité), afin de garantir leur qualité
(ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Agence française de
développement) ;
2.
analyser
systématiquement l’impact de chaque action de financement
en termes d’adaptation au changement climatique, selon des modalités
adaptées à ses spécificités (Agence française de développement) ;
3.
r
enforcer le partage d’expérience tant avec des partenaires à
l’étranger
qu’avec
des
acteurs
français
confrontés
à
des
problématiques
d’adaptation
comparables,
notamment
les
collectivités territoriales (Agence française de développement).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du ministre de l’économie, des finances et
de la souveraineté
industrielle et numérique
........................................................................
248
Réponse du
ministre de l’Europe et
des affaires étrangères
....................
249
Réponse du ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
..........................................................................................
249
Réponse du directeur général de l’Agence française de développement
(AFD)
.....................................................................................................
250
COUR DES COMPTES
248
RÉPONSE DU MINISTRE
DE L’ÉCONOMIE, DES F
INANCES
ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE
Vous m'avez transmis le 29 novembre le chapitre du rapport annuel
de la Cour relatif à la contribution de l'Agence française de développement
(AFD) au soutien des politiques d'adaptation au changement climatique.
Je tiens à vous remercier pour la qualité de ce document, qui
analyse finement la manière dont l'AFD accompagne l'engagement de la
France en faveur des politiques de lutte contre le changement climatique,
et en particulier en matière d'adaptation.
Votre analy
se souligne le rôle de l’AFD dans la mise en œuvre de
la politique française de lutte contre le changement climatique, depuis
l'adoption de la stratégie climat de l'Agence en 2012, Ainsi, en 2022,
l’AFD a engagé 2,2 Md€ de financements en faveur de l'adapt
ation. Votre
rapport évoque toutefois des marges de progrès en matière de mesure des
impacts, d'engagement des États bénéficiaires et pointe le risque de
dilution de cet objectif parmi les autres priorités assignées à l'AFD. Vous
recommandez à l'Agence de confirmer son engagement sur la finance
adaptation en élargissant sa liste d'exclusion et en anticipant l'application
de la taxonomie européenne. Vos recommandations à destination de l'AFD
et du MEAE n'appellent pas de remarques de ma part,
La Cour appelle en outre la vigilance de l'État sur l'impact des
risques climatiques sur le modèle financier de l'Agence, en raison du
volume d'investissements nécessaires pour répondre aux besoins, et en
raison du coût important de la prise en compte de la vulnérabilité dans ses
instruments et pour son bilan. S'agissant des volumes d'intervention de
l'AFD, je tiens à rappeler que ceux-ci ont fortement augmenté en tendance
historique, avant de se stabiliser ces dernières années. L'activité du groupe
prend aujourd'hui largement en compte les enjeux climatiques. S'agissant
des risques liés à la vulnérabilité, je partage pleinement votre analyse et
veillerai, avec mes services, à ce que l'AFD mesure et intègre ce type de
risque pour s'assurer de la soutenabilité de son modèle économique.
Enfin, des dispositifs nouveaux ont été annoncés dans les conclusions
du Conseil présidentiel du développement (CPD) de mai 2023 et du Comité
interministériel de la coopération internationale et du développement
(CICID) de juillet 2023, visant à expérimenter l'inclusion de « clauses de
suspension du service de la dette » pour des raisons climatiques dans les prêts
de l'AFD. Ces outils nouveaux font l'objet d'une expérimentation, qui
permettra d'en mesurer la portée, les coûts et les risques, et des premières
opérations cibleront plus particulièrement les pays les moins avancés (PMA).
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION DE L
’AGENCE FRANÇAISE DE
DÉVELOPPEMENT (AFD)
249
RÉPONSE DU
MINISTRE DE L’EUROPE
ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Je vous remercie de la transmission du chapitre destiné à figurer
dans le rapport public annuel 2024 de la Cour des Comptes, relatif à l'aide
au développement et l'adaptation au changement climatique dans le cadre
de la contribution de l'Agence française de développement (AFD).
En visant des projets « 100% Accord de Paris », l'AFD contribue à
la mise en œuvr
e des engagements internationaux de la France et participe
à la réalisation de ses ambitions climatiques. L'aide au développement est
un élément clé de l'adaptation au changement climatique pour la France
et ses partenaires. À travers l'action de I'AFD, la
France met en œuvre des
engagements de coopération internationale et de solidarité, non seulement
en subventionnant ou en participant à des projets de préservation de la
planète, mais aussi en travaillant au renforcement des outils de lutte contre
le changement climatique, à travers notamment la finance climat.
La France travaille à l'agencement entre aide au développement et
adaptation au changement climatique avec une attention particulière
portée à l'Afrique et aux États insulaires vulnérables. L'engagement du
Président de la République d'investir 200 millions d'euros dans l'aide au
développement des États du Pacifique entre 2024 et 2027 est à comprendre
dans cette optique, avec une majorité des financements qui contribueront
à l'adaptation au changement climatique.
En tant que tutelle de l'Agence française de développement, ce
ministère utilisera les recommandations de la Cour comme une base de travail
pour améliorer l'action d'adaptation au changement climatique à travers
l'aide au développement. Il veillera particulièrement à renforcer ces projets.
RÉPONSE DU
MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Comme
proposé
par
la
Cour
des
comptes
dans
sa
3
e
recommandation, les échanges d'expériences devront être accrus,
notamment pour les actions réalisées au niveau international. Ils pourront
être enrichis par une étude, en cours de lancement par l'Ademe avec l'appui
de mon ministère et de nos ambassades, sur l'adaptation au changement
climatique, avec 4 pays pilotes retenus (Inde, Indonésie, Sénégal, Afrique
du sud). Cette étude permettra de finaliser un catalogue métier d'expertises
de l'Ademe permettant d'appuyer des projets de coopération adaptés aux
besoins spécifiques de chaque pays en matière d'adaptation.
COUR DES COMPTES
250
RÉPONSE DU DIRECTEU
R GÉNÉRAL DE L’AGENC
E
FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD)
J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt du chapitre «
aide au
développement et adaptation au changement climatique : la contribution de
l’AFD
» du rapport public annuel 2024 sur l’adaptation au
changement
climatique et j’en partage l’essentiel des constats et recommandations.
Au cours des dernières années, l’adaptation au changement
climatique a pris une place croissante dans le financement des opérations
de l’AFD. Vous soulignez la place centrale de l’adaptation dans nos
activités et le rôle souvent précurseur de l’AFD sur cette thématique,
notamment à travers le programme dédié Adapt’Action, l’ensemble des
outils d’analyse spécifiques développés par le groupe AFD et la recherche.
Nous partageons le constat que vous établissez sur la montée en
puissance progressive de l’adaptation dans les financements de l’AFD
(avec une multiplication par 15 des financements de 146
M€ en 2012 à
2,2
Md€ en 2022) ainsi que la conviction que l’adaptation nécessite
des
investissements spécifiques importants, financiers mais aussi en expertise.
Il est ainsi particulièrement justifié de poursuivre la hausse des
financements de l’adaptation à travers des programmes et financement dédiés
tel que le programme Adapt
’
Action, notamment pour des études préalables
comme souligné dans votre première recommandation. Des réflexions sont
en cours concernant l’extension géographique de ce programme vers les pays
les plus vulnérables au changement climatique, à destination des pays de
l’Asie du Sud
-
Est ou du Pacifique, ou d’Afrique de l’Est et australe, en
fonction des moyens en subvention qui pourront y être dédiés.
De la même manière, il nous semble particulièrement pertinent de
soutenir des travaux de recherche de qualité, en partenariat avec les
acteurs du Sud, afin d’éclairer nos activités opérationnelles et
stratégiques. L’adaptation est un domaine en évolution pour lequel le
niveau de connaissance est encore faible et dépendant des contextes. Il
nous appartient de nourrir notre connaissance sur les impacts du
changement climatique et les bonnes pratiques en matière d’adaptation.
Par ailleurs, les impacts du changement climatiques sur nos
opérations sont croissants et nous obligent à une amélioration permanente
de nos outils, procédures et pratiques. De nombreux sujets évoqués par la
Cour dans ce chapitre s’inscrivent dans la continuité de ces améliorations
constantes et nécessaires. Ainsi, j’apprécie l’analyse portée sur les
procédures et les outils que nous avons développés pour répondre aux
enjeux, en particulier le rôle central de l’analyse développement durable
et de l’outil « criblage climat ». Nous avons systématisé l’utilisation de ce
AIDE AU DÉVELOPPEMENT ET ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
LA CONTRIBUTION
DE L’AGENCE FRANÇAIS
E DE DÉVELOPPEMENT (AFD)
251
dernier dans nos procédures en septembre 2023, en ligne avec votre
deuxième recommanda
tion visant à analyser systématiquement l’impact de
chaque action de financement en termes d’adaptation, selon les modalités
adaptées à ses spécificités.
Enfin, nous partageons les constats et l’ambition de la troisième
recommandation portant sur le renfor
cement du partage d’expérience tant
avec des partenaires à l’étranger qu’avec des acteurs français confrontés
à
des
problématiques
d’adaptation
comparables,
notamment
les
collectivités territoriales. Dans le cadre de la présidence du Club des
banques publiques de développement IDFC (International Development
Finance Club) que l’AFD a exercée entre 2017 et 2023, et dont elle assure
le secrétariat depuis 2017, l’AFD a pu jouer, auprès de ses pairs, un rôle
d’entraînement sur l’intégration du climat dans les s
tratégies et opérations
des banques publiques de développement, avec des chiffres historiques de
finance adaptation atteints en 2022 pour IDFC à 31,6 Md USD.
Nous nous inscrivons aussi dans une démarche de partage
d’expériences, de diffusion des méthodolo
gies et bonnes pratiques au sein
du réseau Finance en Commun (FiCS), qui rassemble toutes les banques
publiques de développement du monde, en veillant à la diffusion des outils
spécifiques à l’adaptation comme le « criblage climat » ou à l’organisation
d’échanges sur l’alignement « 100
% accord de Paris ».
À cet égard, il est important de souligner que les membres du Club
IDFC et les banques multilatérales de développement ont adopté en novembre
2023, lors de la COP 28, des principes communs adaptation révisés, dans une
démarche d’amélioration de la qualification de la finance adaptation.
II nous revient également d’échanger davantage, comme vous le
suggérez, avec la communauté des acteurs de la politique d’adaptation au
changement climatique en France, notamment les collectivités territoriales
et locales d’Outre
-mer et de travailler à une articulation renforcée des
sujets adaptation entre l’AFD et la Caisse des Dépôts. Nous devons
notamment partager plus amplement les expériences d’adaptation des
partenaires du Sud que nous soutenons via des collaborations Sud-Sud
mais également Sud-Nord.
Pour conclure, je réitère, Monsieur le Premier Président, notre
adhésion aux recommandations formulées par la Cour qui contribueront à
nourrir notre futur plan d’orientatio
n stratégique (POS V) et son pilier
« 100 % Objectifs de développement durable ».
Nous nous tenons à la disposition des pouvoirs publics français,
dans la mesure du mandat confié à l’Agence pour poursuivre les échanges
et contribuer à la mise en œuvre de
ces recommandations.