LA FORMATION DES TRAVAILLEURS SOCIAUX
103
Le rôle de l’Etat dans la formation des
travailleurs sociaux après
la décentralisation
Les articles 52 à 55 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés
et aux responsabilités locales donnent compétence aux régions, à
compter du 1
er
janvier 2005, pour définir et mettre en oeuvre la politique
de formation des travailleurs sociaux. Toutefois, l’Etat conserve une
compétence notamment pour définir les orientations des formations
sociales, créer, organiser et délivrer les diplômes de travail social. Dans
son rapport annuel 2005, la Cour avait noté que le bon accomplissement
de la mission de l’État était une condition du succès de la
décentralisation et citait à ce titre : la création des diplômes ou leur
redéfinition complète pour rendre possible la validation des acquis de
l’expérience, l’organisation d’un cadre national pour leur obtention, et le
contrôle de la qualité des formations. La Cour s’inquiétait aussi des
lacunes du système d’information indispensable du fait du partage des
compétences.
Deux ans après ces premières observations, la Cour souligne que
les conditions d’une décentralisation réussie ne sont pas réunies. Il
apparaît en effet difficile, à l’expérience, de tirer tous les bénéfices du
transfert aux régions de la formation des travailleurs sociaux tout en
maintenant, pour l’essentiel, les attributions de l’Etat sur les aspects
pédagogiques.
104
COUR DES COMPTES
La Cour avait souligné les difficultés de pilotage susceptibles
de résulter de l’imbrication des compétences de l’Etat et de
celles
des régions
La réalité confirme l’analyse de la Cour. En effet, compte tenu des
délais des travaux d’élaboration ou de révision des PRDF
17
dans
les régions, l’Etat a lancé la préparation et la publication des
premières orientations nationales sans attendre que les schémas
régionaux des formations sociales soient rédigés. Néanmoins, les
régions semblent en accord avec l’Etat sur l’essentiel.
L’article 52 de la loi du 13 août 2004 prévoit que les
établissements dispensant des formations sociales sont soumis à
une obligation de déclaration préalable auprès du représentant de
l’Etat. Ce dispositif s’ajoute à l’agrément délivré par les régions.
La compétence de l’Etat sur le volet pédagogique des formations a
été réaffirmée à trois niveaux : par l’élaboration des référentiels de
formation au niveau national, par l’organisation et la présidence
des jurys pour les formations sanctionnées par un diplôme reconnu
par l’Etat, par la capacité de conduire des inspections ou contrôles.
Il demeure une incertitude sur la valeur ajoutée de la déclaration
préalable
en
matière
pédagogique.
En
outre,
le
guide
méthodologique sur sa mise en oeuvre, destiné aux DRASS
18
, est
toujours en cours d’élaboration.
La Cour avait noté que l’administration n’était pas en état de
faire face à l’afflux des candidats à la VAE
19
.
De fait, compte tenu de la très forte demande de VAE en vue de
l’obtention des diplômes de travail social et de santé, et en
l’absence de moyens supplémentaires dans les DRASS, il a été
procédé à une large externalisation de la gestion des candidatures
en recourant au CNASEA
20
.
La convention de gestion avec cet établissement public contient
l’objectif d’une capacité de traitement de 60 000 candidatures par
an. Mais au regard des effectifs autorisés au CNASEA,
l’administration centrale a dû pratiquer une régulation de l’accès à
la VAE, provoquant une diminution des candidatures reçues (près
de 35 000 en 2005, près de 27 000 en 2006). L’opérateur estime
17) Plans régionaux de développement des formations professionnelles.
18) Directions régionales des affaires sanitaires et sociales.
19) Validation des acquis de l’expérience
20) Centre national pour l’amélioration des structures et exploitations agricoles.
LA FORMATION DES TRAVAILLEURS SOCIAUX
105
que 93 postes seraient nécessaires (au lieu de 44) pour faire face à
la montée en charge constatée.
De plus, les candidatures antérieures au 30 juin 2006, date de
l’externalisation de la gestion auprès du CNASEA, restent gérées
directement par les DRASS. Dans le contexte d’insuffisance des
moyens, le transfert au CNASEA des 35 000 dossiers en stock,
gérés en DRASS, paraît impossible à envisager malgré l’intérêt
qu’il présenterait pour rendre aux services déconcentrés des
marges de manoeuvre et unifier le dispositif de gestion.
La VAE est un droit individuel qui s’exerce dans les délais fixés et
rendus
publics
par
le
certificateur,
elle
fonctionne
donc
normalement « à guichet ouvert » à chaque période de dépôt de
dossier. Cette logique de demande est aujourd’hui en conflit avec
la logique d’offre régulée imposée par l’administration en raison
des moyens limités. Elle pourrait déboucher sur des procédures
contentieuses si les DRASS ne parvenaient pas, dans les délais, à
satisfaire les 35 000 demandes antérieures en attente de réponse sur
leur recevabilité.
Ainsi, la situation critiquée perdure malgré les tentatives d’y
remédier. La Cour suggère que la DGAS, après avoir procédé à
une évaluation des missions des 164 agents (ETP
21
), dont 130
conseillers (CTTS
22
), affectés en DRASS aux tâches de contrôle
pédagogique, concentre ses moyens sur la mise en oeuvre de la
VAE.
La Cour avait souligné une insuffisance des données sur les
métiers du travail social
La Cour constatait l’insuffisance des données qualitatives et
quantitatives sur les emplois dans le secteur du travail social qui
sont nécessaires pour piloter le schéma national et en évaluer les
résultats. Elle recommandait que les « plates-formes d’observation
sociale » en place dans la plupart des régions fissent des
professions sociales un sujet prioritaire de l’observation partagée.
La décentralisation rend encore plus indispensable de disposer d’un
système d’information. Une circulaire du 11 juillet 2006 fait le
point sur l’organisation régionale de l’observation sociale. Mais il
ne ressort pas de ce texte que les professions sociales soient un
sujet prioritaire de l’observation partagée, comme le recommandait
la Cour. De plus, les initiatives prises en la matière n’ont pas
encore été évaluées globalement par la DGAS.
21) Equivalents temps plein.
22) Conseillers techniques en travail social.
106
COUR DES COMPTES
Or, l’administration centrale du ministère chargé des affaires
sociales tient pour acquise l’impossibilité de rendre compte de la
complexité des liens qualification/emploi dans des données
nationales.
La Cour constate pourtant que des données qui établissent un lien
entre qualification et emploi existent. Elle regrette aussi l’abandon
de l’indicateur LOLF
23
sur le taux d’insertion professionnelle des
diplômés au profit d’un indicateur sur le taux de diplômes délivrés
par VAE qui traduit davantage l’effort de l’Etat que la qualité du
service rendu.
***
La Cour avait largement anticipé les difficultés liées au processus
de décentralisation de la formation des travailleurs sociaux. Elle ne
manquera pas, à l’avenir d’apprécier l’évaluation des missions des
agents affectés en DRASS aux tâches de contrôle pédagogique et la
possibilité de les orienter vers la mise en oeuvre de la VAE.
23) Loi organique relative aux lois de finances.
LA FORMATION DES TRAVAILLEURS SOCIAUX
107
RÉPONSE DU MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES
ET DE LA SOLIDARITÉS
En préalable, il importe de souligner que les éléments d’anticipation
par la Cour des difficultés de pilotage liées au processus de décentralisation
ont été partagés par l’administration et ont contribué à la mise en oeuvre par
les services des réponses les plus adaptées. Il convient, cependant, de rétablir
quelques éléments d’analyse.
1.
La Cour indique que 130
24
conseillers techniques en travail social
(CTTS) sont affectés dans les Direction Régionales des Affaires
Sanitaires
et
Sociales
(DRASS)
aux
tâches
de
contrôle
pédagogique et suggère que soit étudiée la possibilité de les
réorienter vers la mise en oeuvre de la validation des acquis de
l’expérience (VAE).
En premier lieu, il convient de rappeler que les missions confiées aux
CTTS ne se réduisent pas au contrôle pédagogique. La grande majorité des
conseillers est affectée dans les Directions Départementales des Affaires
Sanitaires et Sociales (DDASS) et environ un quart seulement d’entre eux en
DRASS. Or, c’est uniquement au niveau régional que sont traitées les
questions de qualification et de délivrance des diplômes d’Etat de travail
social. L’expertise des CTTS est, notamment, sollicitée en ce domaine pour
l’organisation, l’encadrement des sessions de jurys et la délivrance des
diplômes d’Etat de travail social, que ce soit à l’issue de la formation ou par
la voie de la validation de l’expérience (VAE), les relations avec les
établissements de formation préparant aux diplômes d’Etat (incluant la
déclaration préalable – cf. intra- et le contrôle pédagogique), ainsi que les
relations avec les professionnels, employeurs et salariés.
S’agissant de l’accès aux diplômes sanitaires et sociaux par la voie de
la VAE, la Cour indique que 35 000 candidats (dossiers de demandes
antérieures à l’externalisation de gestion au CNASEA) sont en attente de
réponse sur la recevabilité de leur demande.
Notons d’emblée que le sujet dépasse le périmètre de « la formation
des travailleurs sociaux », objet du rapport, puisqu’il concerne également les
diplômes sanitaires ; les DRASS sont, en effet, autorité certificatrice tant
pour les diplômes sanitaires que pour les diplômes sociaux
25
; En outre, fort
heureusement, aucun des ces 35 000 candidats à un diplôme sanitaire ou
social n’est plus en attente d’une décision administrative, quant à la
recevabilité de sa demande.
24) Il faut préciser qu’au 31 décembre 2007, le corps des conseillers techniques en
service social ne devrait plus compter que 124 conseillers en activité.
25) L’externalisation de gestion au CNASEA concerne les dossiers des candidats aux
diplômes sanitaires et sociaux.
108
COUR DES COMPTES
Au 12 mars 2007 (enquête DGAS
26
auprès des DRASS), parmi les
35 000 dossiers demeurés à la charge des DRASS lors de l’externalisation de
gestion au CNASEA, figuraient :
−
d’une part 19 533 dossiers de candidats qui avaient été déclarés
recevables mais n’avaient pas encore remis leur livret de
présentation des acquis de leur expérience en vue du passage
devant un jury ou dont le passage était programmé pour une
prochaine session ;
−
d’autre part 15 591 dossiers de candidats auxquels une partie du
diplôme avait été attribuée par un jury et qui disposent de 5 ans
pour obtenir la totalité du diplôme, selon leur choix, au titre d’une
évaluation complémentaire par VAE ou dans le cadre d’épreuves
de certification, après avoir effectué un complément de parcours
par la voie de la formation.
Une enquête rapide effectuée en octobre 2007 permet d’évaluer le
nombre de dossiers de candidatures demeurant à la charge des DRASS à ce
jour à environ 25 000 dossiers. On le voit, les services des DRASS se sont
très fortement mobilisés sur l’enjeu de qualification que représente la VAE
dans le secteur sanitaire, social et médico-social, compte tenu du fort
développement de l’emploi dans ce secteur.
La reprise de la gestion de ces dossiers par le CNASEA est prévue
dans les toutes prochaines semaines. Une réflexion est actuellement menée
pour accroître la capacité du CNASEA afin de faciliter encore la fluidité du
traitement du processus de VAE.
2.
S’agissant
de
la
déclaration
préalable
à
laquelle
les
établissements souhaitant dispenser la formation préparant aux
diplômes d’Etat sont soumis : elle permet à l’Etat de vérifier d’une
part, la capacité pédagogique de l’établissement de formation à
assurer la préparation des candidats, en conformité avec les
principes des textes réglementant ce diplôme, d’autre part, de
s’assurer de la qualification des personnels d’enseignement et de
leur moralité
27
;
26) La DGAS assure la « chefferie » de projet inter-directions pour la VAE des
diplômes sanitaires et sociaux.
27) Nul ne peut, même de fait, y exercer une fonction de direction ou d’administration
s’il a fait l’objet d’une condamnation pénale à raison de faits constituant des
manquements à la probité, aux bonnes moeurs et à l’honneur. La personne physique
ou morale effectuant la déclaration préalable doit justifier des titres et qualités des
personnels d’enseignement et d’encadrement et de la relation entre ces titres et
qualités et la formation dont la réalisation est envisagée.
LA FORMATION DES TRAVAILLEURS SOCIAUX
109
Il faut souligner que cette capacité de vérification puis de contrôle du
respect des programmes, de la qualification des formateurs et directeurs
d’établissements et de la qualité des enseignements délivrés s’applique à des
diplômes qui pour nombre d’entre eux sont présentés après une durée de
formation de trois ans. La vérification et le contrôle pédagogique doivent
donc être également considérés comme une garantie pour les étudiants qui
s’engagent dans un tel cycle.
3.
Enfin, il est exact, comme le relève la Cour, que des données
statistiques qui établissent un lien entre qualification et emploi
dans le secteur social existent. Ainsi, l’enquête emploi de l’INSEE
permet d’une part un chiffrage très global du nombre des
professionnels du travail social et d’autre part de préciser leurs
caractéristiques
28
. La Direction de la Recherche, des Etudes, de
l’Evaluation et des Statistiques (DREES) organise des enquêtes
permettant de connaître le nombre des personnels employés dans
différents types de structures, avec une désagrégation selon la
fonction et la qualification. Il est, toutefois, nécessaire de
combiner ces sources entre elles pour obtenir une vision
d’ensemble des métiers du social, avec un risque de doubles
comptes ou d’omissions, ce qui rend cette estimation délicate. La
périodicité de réalisation du rapprochement de l’ensemble de ces
études n’a pas permis de maintenir l’indicateur LOLF de taux
d’insertion professionnelle des diplômes dans l’emploi.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION
DU CNASEA
Dans son rapport annuel de 2005 relatif au rôle de l’Etat dans la
formation des travailleurs sociaux après la décentralisation, la Cour avait
formulé des observations sur le traitement des dossiers des candidats à la
VAE.
Elle note, dans le présent rapport, qu’une large externalisation de la
gestion des candidatures à la VAE a été effectuée en recourant au CNASEA,
ce qui s’est traduit par une convention conclue en juin 2006.
Au vu de l’expérience des DRASS, l’administration a estimé à 2 h 30
le temps de traitement d’un dossier,
ce qui aboutissait à un effectif
nécessaire de 93 postes pour gérer un flux de 60 000 dossiers par an.
28) Cf. Etudes et Résultats n° 441-novembre 2005 – les métiers du travail social – en
2002
110
COUR DES COMPTES
Dès la signature de la convention,le CNASEA a mis en place, à
Limoges, un centre unique de traitement des dossiers. Cela a nécessité de la
part de l’établissement une grande réactivité ; dans un délai de trois mois, il
a en effet fallu procéder à la location et à l’aménagement de locaux et au
recrutement de personnel.
Les délais ont été tenus et la délégation nationale
VAE a été opérationnelle dès le 1
er
octobre 2006
.
Le flux attendu de 60 000 dossiers n’ayant pas été atteint, les moyens
complémentaires n’ont pas été débloqués et la délégation a fonctionné avec
44 postes
(24 en 2006 et 20 supplémentaires recrutés au cours du premier
trimestre 2007). Cet effectif a permis de traiter le flux de dossiers reçus fin
2006 et en 2007.
Au vu d’une année d’expérience, il apparaît que l’organisation mise
en place par l’établissement permet, après formation des agents, de réaliser
de substantiels gains de productivité.
Ainsi, à effectif constant de 44 postes, le CNASEA considère qu’en
2008 il sera en mesure de gérer un flux de l’ordre » de 35 000 dossiers, mais
également, contrairement à ce qui figure dans le rapport de la Cour, de
reprendre les quelque 30 000 dossiers, antérieurs à son intervention, qui sont
actuellement en attente dans les DRASS (mais ont déjà fait l’objet d’un
traitement partiel).
La reprise de ces dossiers sera formalisé par l’avenant 2008 à la
convention Etat-CNASEA.
Compte tenu de l’expérience que le CNASEA a acquis en la matière, il
est aujourd’hui en mesure de proposer un service analogue à d’autres
ministères qui rencontreraient des difficultés administratives de mise en
place de la VAE.