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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT ANNUEL
DU CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES (CPO)
« LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE (TVA), UN IMPÔT
À RECENTRER SUR SON OBJECTIF DE RENDEMENT
POUR LES FINANCES PUBLIQUES »
Jeudi 9 février 2023 – 9h00
Salle des conférences
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
***
Mesdames et Messieurs, je suis heureux de vous accueillir à la Cour pour vous présenter le
rapport que le Conseil des prélèvements obligatoires a adopté le 17 janvier dernier sur la Taxe
sur la valeur ajoutée, sujet qu’il n’avait pas traité depuis décembre 2015. Je le présenterai à la
commission des finances du Sénat le 8 mars prochain.
En février 2022, le CPO a également publié la première édition d’un baromètre des
prélèvements obligatoires qui est un sondage réalisé auprès d’un échantillon représentatif de
la population française et qui vise à mesurer périodiquement la perception qu’ont les français
des prélèvements fiscaux et sociaux. La seconde édition devrait sortir à l’hiver prochain. Le
CPO a aussi rendu en octobre dernier un rapport à la Commission des finances du Sénat sur
la fiscalité locale dans la perspective du Zéro artificialisation nette (ZAN).
Le rapport que je vous présente a d’abord la caractéristique d’être concis – il compte 54 pages
hors synthèse là où le rapport de 2015 était près de cinq fois plus volumineux. Il répond aussi
à l’ambition que j’ai fixée au CPO comme à la Cour des comptes d’être davantage au service
des citoyens grâce à des travaux plus accessibles, mais aussi plus en prise avec le monde de
la recherche académique. Il est enrichi par des comparaisons internationales qui font ressortir
que la France se distingue par une taxation de la consommation inférieure à celle des pays
européens comparables.
Il est assorti d’une dizaine de recommandations directement opérationnelles. Enfin, il s’appuie
sur cinq rapports particuliers, d’un total de 573 pages, qui sont mis en ligne simultanément et
qui s’efforcent de documenter de manière très approfondie toutes les questions d’actualité : le
cadre juridique, la place de la TVA dans les finances publiques, les comparaisons
internationales avec un focus sur cinq pays (Allemagne, Danemark, Italie, Royaume-Uni,
Suède), le rôle de la TVA comme outil de politique économique, enfin le rôle de la TVA face
aux défis socio-économiques.
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Générant des recettes de l’ordre de 186 Md€ en 2021, la TVA représente la troisième
catégorie de prélèvements obligatoires (PO) dans les comptes nationaux, derrière les
cotisations sociales qui atteignent 374 Md€ (34 % des PO) et les recettes d’imposition des
revenus (impôt sur les revenu et CSG), soit 288 Md€ (soit 26 % des PO). Mais il est en réalité
la première imposition en France, devant la CSG (129 Md€), l’impôt sur le revenu (80 Md€) et
l’impôt sur les sociétés (46 Md€), tous les chiffres concernant l’exercice 2021.
Cinq taux de TVA sont aujourd’hui applicables en France métropolitaine, en complément de
taux spécifiques en Corse et dans trois territoires ultramarins.
À l’évidence, l’environnement est aujourd’hui plus complexe qu’en 2015, parce que
l’encadrement européen a été assoupli, parce que des nouveaux types de fraude sont
apparus, et parce que de nouveaux débats ont émergé autour du pilotage conjoncturel de
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l’économie, de la réponse au choc énergétique, ou encore des défis environnementaux et de
santé publique.
Le premier message clef de ce rapport est qu’
il faut maintenir le rendement de la TVA pour
financer les services publics
.
En 2021, l’État ne perçoit plus qu’environ la moitié des recettes de TVA en raison d’affectations
croissantes aux organismes de protection sociale et aux collectivités territoriales. Ce
phénomène est tel qu’avec un total de 53,2 Md€ en loi de finances initiale pour 2023 la TVA
constituera la première ressource des collectivités territoriales.
Ces affectations répondent à des choix structurants d’organisation des relations financières
entre l’État et ces administrations publiques. Elles posent néanmoins la question de la
soutenabilité des finances publiques, l’État se trouvant, toutes choses égales par ailleurs, doté
de ressources fiscales qui se contractent alors que le niveau de dépenses publiques à financer
reste inchangé. Les affectations de TVA en dehors de ces deux champs, comme c’est le cas
pour l’audiovisuel public depuis 2022, génèrent des effets indésirables soulignés à plusieurs
reprises par le CPO, et devraient être évitées. Elles seront, au demeurant, interdites à compter
de 2025, en application de l’article 2 modifié de la loi organique relative aux lois de finances.
C’est la raison pour laquelle le CPO recommande
d’éviter désormais les affectations de
TVA en dehors du champ des organismes de protection sociale et des collectivités
territoriales.
L’enjeu de la sécurisation des recettes de TVA ne se limite pas à la problématique de
leur affectation
. Le rendement de la TVA est menacé par deux phénomènes de nature très
différente : le développement de la petite et de la grande fraude, et la multiplication des taux
réduits, rarement évalués et très difficiles à remettre en cause, même lorsque leur efficacité
apparaît limitée.
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Les récentes estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes que ce qui avait été
suggéré antérieurement, l’INSEE estimant les irrégularités, intentionnelles ou non, entre 20
et 26 Md€ sur la base de données de 2012. Si certains schémas de fraude à la TVA tels que
la fraude « carrousel » et l’économie souterraine sont désormais bien identifiés, de nouveaux
mécanismes frauduleux apparaissent en lien avec la numérisation de l’économie. À ce titre, le
paquet TVA « e-commerce », entré en vigueur en 2021, en révisant profondément le cadre
juridique des importations dans l’Union européenne (UE) en provenance d’États tiers, permet
de les combattre. Il institue notamment un mécanisme de redevabilité pour les plateformes de
vente de biens en ligne aux particuliers. Il édicte une obligation de
reporting
aux plateformes
de mise en relation par voie électronique de l’« économie du partage » ainsi qu’aux
prestataires de services de paiement. Enfin, la facturation électronique entre entreprises et la
transmission des données de transactions qui seront déployées en France dans les trois
prochaines années sécuriseront utilement les transactions.
Dans ce contexte, le CPO suggère un contrôle plus étroit des plateformes de ventes de biens
d’États tiers à l’UE, une redevabilité des plateformes de mise en relation par voie électronique,
et une harmonisation de la facturation électronique au sein de l’UE. Le récent paquet « TVA à
l’ère numérique », présenté par la Commission européenne le 8 décembre 2022, va
également dans ce sens.
Ces orientations, de même que la réorganisation des services d’enquêtes fiscales et des
autorités judiciaires, et le recours en matière fiscale à de nouveaux instruments juridiques, tels
que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la convention judiciaire
d’intérêt public, devraient permettre d’inverser la tendance à la baisse, constatée ces dernières
années en matière de droits de TVA rappelés. Elles pourront utilement alimenter les réflexions
en cours sur le plan de lutte contre les fraudes, annoncé par le Gouvernement pour la fin du
premier semestre 2023.
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L’autre source majeure de manque à gagner pour les finances publiques, notamment
par rapport à nos partenaires européens, tient aux taux réduits de TVA.
Ces dérogations
représentent un manque à gagner d’au moins 47 Md€ en 2021, soit près d’un quart des
recettes de TVA. Parmi ces mesures, 43 sont considérées par l’administration fiscale comme
des dépenses fiscales pour 17 Md€ en 2022, d’autres ne sont pas considérées comme telles
pour un coût estimé à 30 Md€ en 2020. Les dix premières représentent plus de 82 % du
montant total des mesures dérogatoires de TVA. La France compte plus de mesures
dérogatoires de TVA que le reste de l’Union européenne. Elle se caractérise aussi par une
assiette taxée au taux normal relativement plus étroite que ses voisins, soit 65 % de l’assiette
totale pour une moyenne européenne de 71 %, la plaçant au 19
ème
rang de l’UE.
Or, les taux réduits de TVA ont une efficacité qui apparaît limitée pour atteindre des objectifs
économiques et constituent une source de complexité pour les entreprises, comme l’illustre la
problématique des offres composites. Le bilan des taux existants doit ainsi conduire à éviter
l’adoption de nouveaux taux réduits de TVA, même si la directive du 5 avril 2022 a assoupli
leur encadrement, et à préférer d’autres outils pour poursuivre des objectifs économiques et
de politique publique. En parallèle, le présent rapport suggère de renforcer le suivi et
l’évaluation des taux réduits de TVA existants par le CPO ou une instance
ad hoc
et, sur la
base de ces évaluations, de supprimer les taux réduits inefficaces ou, à défaut, de les relever
à un taux supérieur dans le barème.
Le deuxième message central du rapport est de montrer que la baisse de
la TVA n’est le
meilleur moyen ni pour relancer l’économie ou lutter contre l‘inflation, ni pour conduire
des politiques sectorielles, environnementales ou sanitaires.
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En premier lieu, une baisse de TVA apparaît peu pertinente pour relancer l’économie
française. Dans le contexte de la crise sanitaire de 2020, plusieurs États membres, comme
l’Allemagne, ont procédé à des baisses de TVA, sectorielles ou générales, à des fins de
relance contracyclique. Or, les études empiriques sur ces expériences démontrent des effets
limités pour un coût élevé. La baisse temporaire de TVA de 2020 en Allemagne, pendant six
mois, aurait permis d’augmenter de 26 Md€ la consommation totale des ménages, soit
environ 1,6 % de la consommation totale des ménages allemands, mais son effet sur la
croissance économique a été marginal et la mesure a coûté 7 Md€, soit 1,9 % du budget
fédéral annuel. Ainsi, une baisse temporaire de TVA érode fortement les recettes fiscales d’un
État sans pour autant être très efficace.
De fait une
baisse de TVA est moins efficace que d’autres outils de relance budgétaire.
Selon le modèle de macro-simulation
Mésange
une baisse de 2 points de TVA en France a
pour effet une augmentation de 0,16 % du PIB au bout d’un an, alors que les outils alternatifs
que sont la CSG, la dépense publique et l’investissement public permettent des hausses
du PIB de respectivement 0,20 %, 0,39 % et 0,66 % au bout d’un an. Au bout de deux ans, les
écarts d’efficacité se maintiennent, voire s’accentuent. Ce résultat s’explique notamment par
des multiplicateurs budgétaires plus importants que les multiplicateurs fiscaux dans le modèle
de référence utilisé.
La TVA apparaît donc comme un instrument de politique conjoncturelle moins efficace que
d’autres outils pour agir sur la croissance économique.
En revanche, dans le contexte actuel post-
Brexit,
la TVA doit intégrer des enjeux de
compétitivité du secteur financier. En effet, dans le cadre du budget pour 2020, le Trésor
britannique a annoncé une révision du régime des fonds britanniques et une réflexion plus
large sur l'avenir de la TVA. Dans ce contexte, compte tenu de l’importance de la fiscalité dans
les choix de localisation de filiales financières étrangères, le régime de TVA du secteur
financier pourrait être modernisé. La loi de finances pour 2022 a fait un premier pas en
permettant d’exercer l’option à la TVA, non plus globalement, mais opération par opération. Si
on peut attendre de cette évolution qu’elle permette une gestion plus fine des rémanences de
TVA, son périmètre et les notions employées n’ont pas été substantiellement modifiés
depuis 1979 et pourraient être actualisés. L’autre voie d’amélioration pourrait être de conduire
une réflexion dans le cadre de l’OCDE sur l’usage des règles d’exonération avec droit à
déduction à des fins compétitives.
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En deuxième lieu, face au choc énergétique et à l’inflation qui en découle, une baisse de TVA
sur les énergies apparaît moins efficace que d’autres instruments budgétaires ou fiscaux.
À la différence de la plupart de ses voisins européens, la France a privilégié d’autres
instruments qu’une baisse de la TVA en réponse à la hausse des prix de l’énergie, pour une
efficacité meilleure mais un coût pour les finances publiques supérieur. Les simulations
conduites par le CPO montrent que le « bouclier tarifaire » est plus efficace qu’une baisse de
taux de TVA à 10 % sur le gaz et l’électricité, mais est trois fois plus coûteux. Le chèque
énergie protège davantage les ménages vulnérables qu’une mesure de baisse de TVA non
ciblée, tout en engendrant un coût moindre pour les finances publiques.
Les mesures de soutien non ciblées aux dépenses énergétiques ne doivent toutefois pas
remettre en cause l’atteinte des objectifs environnementaux nationaux, et ne peuvent être ainsi
être que temporaires. En effet, à long terme la priorité doit être de modifier les comportements
par des incitations structurelles à la décarbonation. Dans ce contexte, une réflexion générale
sur la fiscalité des énergies apparaît nécessaire. Elle doit viser une mise en cohérence des
accises et de la TVA avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet
de serre. Ces évolutions du cadre fiscal pourront s’accompagner, en parallèle, d’un soutien
temporaire aux entreprises et au pouvoir d’achat des ménages modestes.
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Enfin, d’autres instruments apparaissent plus efficaces que la TVA pour réduire les inégalités
et relever les défis environnementaux et de santé publique.
D’une part,
la TVA est un impôt régressif, au sens où sa part dans le revenu des ménages est
plus élevée pour les ménages modestes, qui consomment une part plus grande de leur revenu.
Ce constat doit toutefois être nuancé à deux titres. D’abord, une analyse sur l’ensemble du
cycle de vie, qui tient compte de la consommation ultérieure d’une partie de l’épargne, confirme
le caractère régressif de la TVA, mais celui-ci se trouve réduit de près de moitié. Ensuite, ce
constat peut être relativisé en prenant en compte le fait que la TVA finance des dépenses qui,
pour certaines, bénéficient davantage aux ménages modestes, comme le CPO l’a montré
dans son rapport de février 2022. Dans ce contexte, une baisse de la TVA, notamment sur les
produits alimentaires, constitue une mesure moins efficace pour soutenir le pouvoir d’achat
des ménages modestes que des transferts monétaires, en raison de l’incertitude sur le taux
de répercussion sur les prix et de l’impossibilité de cibler certaines catégories de ménages à
travers une baisse de TVA.
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De même, la TVA n’est pas un instrument efficace face aux défis environnementaux et
de santé publique.
La proposition d’une
« TVA environnementale » ou modulée selon un
étiquetage alimentaire de type « Nutri-score », en particulier, se heurte à d’importants
obstacles qui limitent les possibilités de ciblage ainsi que son impact sur les différentes étapes
de la chaîne de valeur. Ces éléments suggèrent de privilégier d’autres instruments, tels que
les transferts ciblés, les accises, le système européen d'échange de quotas d'émission, les
investissements ou la réglementation d’une part en matière énergétique, et la fiscalité
nutritionnelle existante en matière de santé publique d’autre part, pour poursuivre ces objectifs
économiques de long terme. Le présent rapport aboutit à une conclusion similaire pour le
soutien aux secteurs économiques « sobres » que sont le transport ferroviaire et l’économie
circulaire.
En revanche, le rapport recommande de systématiser l’intégration de la dimension
environnementale dans les évaluations des taux réduits de TVA. Le CPO s’attachera à
appliquer cette recommandation dans son prochain rapport consacré à la fiscalité du
logement.
Voilà, Mesdames et Messieurs les principaux messages et recommandations de ce rapport
sur la TVA, il est opérationnel et tout entier tourné vers les défis de l’action publique. Je vous
remercie de votre attention. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.