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5
ème
CHAMBRE
S2022-1933
1
ère
SECTION
OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
LA PRÉVENTION DES
EXPULSIONS LOCATIVES
Exercices 2016-2021
Le présent document
, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 26 octobre 2022.
En application de l’article L
. 143-1 du code des juridictions financières, la communication de
ces observations est une prérogative de la Cour des comptes, qui a seule compétence pour
arrêter la liste des destinataires.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
2
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES RECOMMANDATIONS
........................................................................
7
INTRODUCTION
.....................................................................................................
8
1
UNE ACTION PUBLIQUE EPARSE ET LIMITEE, TOURNEE VERS LE
MAINTIEN DANS LE LOGEMENT
.................................................................
11
1.1
Une action publique difficilement évaluable, aux objectifs ambitieux
..........
11
1.1.1
Un phénomène d’ampleur difficilement quantifiable où l’impayé domine
....
11
1.1.1.1
Une décrue du contentieux qui ne réduit pas le nombre des décisions d’expulsion
12
1.1.1.2
La dette
locative au cœur des risques d’expulsion
...............................................
13
1.1.2 Des évolutions législatives, réglementaires et organisationnelles pour
favoriser le maintien dans le logement
............................................................
15
1.1.2.1
Une évolution législative par petites touches
.......................................................
15
1.1.2.2
Un renforcement des procédures pour éloigner le risque d’expulsion
.................
16
1.1.2.3
La lente construction d’un pilotage nationa
l
........................................................
19
1.1.2.4
Les Ccapex, clés de voûte fragiles de la prévention des expulsions
.....................
22
1.2
Une coordination des acteurs et des leviers d’action à renforcer
...................
23
1.2.1
Le fonds de solidarité pour le logement, levier d’accompagnement financier
principal à la main des collectivités
................................................................
24
1.2.2
Le rôle central des caisses d’allocations familiales
.........................................
25
1.2.3 Un traitement spécifique et efficace de la prévention des expulsions dans le
parc social
........................................................................................................
27
1.2.4 Le rôle grandissant des commissions de surendettement
................................
29
1.2.5
La phase judiciaire peut exclure ou retarder l’expulsion
.................................
31
2
UNE POLITIQUE PUBLIQUE QUI RESTE À CONSTRUIRE
........................
34
2.1
Un système d’information défaillant en phase d’évolution
...........................
34
2.1.1
Le pilotage interministériel historique d’Exploc est une source de complexité
34
2.1.2 Exploc : une base de données gravement défaillante
......................................
35
2.1.2.1
Exploc : en théorie pierre angulaire de la prévention des expulsions
...................
35
2.1.2.2
Un système d’information très difficilement exploitable
.....................................
36
2.1.3
Un projet de refonte d’Exploc aussi lent qu’attendu
.......................................
37
2.2
Des expulsions sans véritable politique de relogement
..................................
39
2.2.1 Le concours de la force publique aux expulsions
............................................
39
2.2.1.1
Le cadre strict du concours de la force publique
..................................................
39
2.2.1.2
Le refus du concours de la force publique et ses conséquences
...........................
40
2.2.2 Un objectif de maintien dans le logement plutôt que du maintien dans un
logement
..........................................................................................................
42
2.2.2.1
Le relogement ou l’hébergement des ménages expulsés n’entre pas dans les
dispositifs de prévention des expulsions
..............................................................
42
2.2.2.2
L’obligation théorique de relogement des ménages bénéficiaires du Dalo
..........
43
2.3
La crise sanitaire a renforcé la prévention des expulsions et favorisé
l’expérimentation de nouvelles pratiques
.......................................................
45
2.3.1 Un suivi et un accompagnement social renforcés
...........................................
45
2.3.2 Des mesures de prévention effective des expulsions
......................................
46
CONCLUSION GENERALE
.................................................................................
48
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
3
RAPPEL DE LA PROCEDURE
La Cour a réalisé une enquête sur la prévention des expulsions locatives de 2016 à 2021.
La 5
ème
chambre de la Cour des comptes, délibérant le 26 octobre 2022 a adopté les
présentes observations définitives.
Le contrôle a été notifié le 22 février 2022 à monsieur le délégué interministériel à
l’hébergement et à l’accès au logement
, monsieur le secrétaire général du ministère de
l’intérieu
r, monsieur le secrétaire général des ministères de la transition écologique et de la
cohésion des territoires, monsieur le directeur des affaires civiles et du Sceau, madame la
d
irectrice générale de l’union sociale pour l’habitat
, monsieur le directeur général de la caisse
na
tionale d’allocations familiales
, madame la d
irectrice générale de l’aménagement, du
logement et de la nature.
Les entretiens de fin de contrôle ont été menés en présence de l’équipe de contrôle et de
la contre-rapporteure le 13 juin 2022 avec la direction des affaires civiles et du Sceau, le 15 juin
2022 avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques et le 20 juin 2022 avec la
Dihal.
Lors de sa séance du 1er juillet 2022, la chambre a examiné le rapport d’instruction et
décidé l’envoi d’un relevé d’observations provisoires, avec une date limite de réponse fixée au
19 septembre 2022.
Les prése
ntes observations définitives tiennent compte de l’ensemble des réponses
parvenues.
Ont participé au délibéré tenu le 26 octobre 2022 sous la présidence de M. Philippe
Hayez, président de section, Mme. Isabelle Latournarie-Willems, conseillère maître, M. Denis
Berthomier, conseiller maître et M. François Brottes, conseiller maître en service
extraordinaire.
Ont été entendu, en leur rapport, M. Guillaume Lacroix, conseiller référendaire, et Mme.
Sylvie Bou-Najm, vérificatrice.
Mme Dorothée Chau, greffière, a assuré la préparation de la séance de délibéré et tenu
les registres et dossiers
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
4
SYNTHÈSE
La prévention des expulsions locatives est un phénomène par nature
difficilement quantifiable ou évaluable
La prévention des expulsions locatives est difficilement quantifiable ou évaluable car
les indicateurs manquent cruellement. À défaut d’une mesure de la réalité des actions de
prévention,
c’est le prisme du contentieux de l’expulsion,
qui, bien que déformant, donne
malgré tout une idée des évolutions.
Sur la période comprise entre 2016 et 2019, dernière année pour laquelle existent des
données
1
, ce
contentieux locatif s’est ainsi infléchi de 18,5
% pour atteindre un peu plus de
150 000 assignations en 2019 au lieu de près de 180 000 en 2016. Cette décrue des assignations
est notable alors
que, sur la même période, la part des locataires s’est accrue en France.
Néanmoins, la réduction du nombre d’assignations n’a pas
entraîné la baisse du nombre de
décisions d’expulsion ferme. Si celles
-ci ont été moi
ns nombreuses jusqu’en 2018, leur niveau
en 2019 quasiment égal à celui de 2016, soit un peu plus de 52 000 expulsions.
La dette locative est la principale cause des risques d’expulsion
Les impayés représentent entre 94 % et 95 % des assignations dans le contentieux du
bail, faisant de l’usage impropre des locaux loués, des conflits de voisinage ou du non
-respect
des réglementations des causes marginales. En 2018, cette tendance lourde se traduisait, en
amont des assignations, par 138 000 commandements de payer signifiés par huissier dans le
parc social (3,1 % des locataires) et par 352 000 dans le parc privé (4,9 % des locataires)
2
. La
tendance est stable pour le parc social.
De leur côté, les caisses d’allocations familiales (Caf)
, qui sont obligatoirement
informées des impayés de leurs allocataires, observent une stabilité des signalements depuis
2018 et leur légère décrue depuis 2020.
Enfin, selon la Banque de France, qui gère les procédures de lutte contre le
surendettement, la dette de logement était présente en 2021 dans près de la moitié (46,1 %) des
dossiers recevables. Si cette part décroît depuis 2016, le poids de la dette locative lui augmente,
atteignant désormais en moyenne 6 219
€ par dossier.
En juillet 2021, sans publier de données précises pour autant,
l’observatoire des impayés
de loyer mis en place par le Gouvernement dans le contexte de la crise sanitaire ne relevait pas
1
La réforme de 2020 remplaçant les tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance par des
tribunaux judiciaires a eu pour conséquence regrettable de ne plus permettre, à ce stade, d’isoler les données
statistiques de contentieux des loyers.
2
Rapport
Prévenir les expulsions locatives, tout en protégeant les propriétaires, et anticiper les
conséquences de la crise sanitaire
remis par le député Nicolas Démoulin à la demande du Premier ministre,
décembre 2020.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
5
d’augmentation significative des dettes locatives
3
,
malgré l’impact de la crise sanitaire
sur
l’économie.
Un pilotage national restreint
Si la délégation interministérielle à l’hébergement et de l’accès au logement (Dihal) est
compétente depuis 2016 en matière de prévention des expulsions, sa montée en puissance a été
progressive et son action n’est visible que depuis 202
0, dans le contexte de la crise sanitaire.
Au plan des moyens, la prévention des expulsions
n’a mobilisé
qu’un seul ETP jusqu’en 2019
et trois ETP e
n 2022. Le budget d’intervention nationale est aujourd’hui
éclaté entre le
programme 177, géré en partie par
la Dihal, le programme 135, géré par la direction de l’habitat,
de l’urbanisme et des paysages (DHUP), et le programme 216, géré par le ministère de
l’intérieur. Ce budget n’est pas consolidé et la majeure partie de ses crédits est par ailleurs
déconcentrée.
Au plan des outils, le système d’information Exploc est particulièrement défaillant. Il
ne produit aucune donnée statistique fiable ne permet aucun pilotage et ne répond pas aux
impératifs « métier » de la prévention des expulsions locatives. En pleine refonte, ce système,
soutenu en partie par le
plan d’investissement d’avenir, tarde
à voir sa refonte aboutir et
demeure incomplet dans ses objectifs.
Une action publique qui repose sur une coordination locale fragile
La prévention des expulsions constitu
e une somme d’interventions publiques dont
l’objet est de garantir le maintien du locataire dans le logement. La mise en œuvre de cette
action nécessite de concilier la propriété, droit consacré par la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, avec l’objectif de valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil
constitutionnel en 1995
d’une
«
possibilité pour toute personne de disposer d’un logement
décent
». Sur le plan opérationnel, l’action publique repose principalement sur les commissions
d
e coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) placées sous l’autorité
conjointe des préfets et des présidents de département. Sans pouvoirs propres, ces commissions
sont censées réunir les acteurs qui, par les aides personnelles qu’ils a
llouent ou les procédures
d’apurement de dette qu’ils mettent en œuvre, facilitent la reprise des paiements et permettent
ainsi de retarder ou d’empêcher l’expulsion.
Incombant principalement aux collectivités locales, aux Caf, aux bailleurs sociaux ou
aux commissions de surendettement de la Banque de France, ces actions de prévention ne
relèvent pas de l’autorité de l’État déconcentré. Dans les faits, les moyens de
ces services
déconcentrés sont réduits, avec 190 ETP théoriques répartis entre les trois ministères de la
transition écologique,
de l’intérieur et des affaires sociales. Quoique renforcés durant la crise
sanitaire, les services de l’État chargés de la prévention des expulsions n’en demeurent pas
3
Communiqué de presse de la ministre du logement sur le site
www.ecologie.gouv.fr
en date du 12 juillet
2021.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
6
moins confrontés à des difficultés opérationnelles qui restreignent leur rôle et rendent leur plus-
value difficilement évaluable.
L’objectif public de maintien dans le logement a été renforcé durant
la crise sanitaire
Depuis loi Alur
4
, la prévention des expulsions vise avant tout au maintien
de l’occupant
dans le logement. Le cadre législatif et réglementaire a particulièrement évolué afin de renforcer
les résolutions amiables et de faciliter la coordination des leviers d’action.
Ainsi, pa
r exemple, depuis la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du
numérique (dite loi Elan
5
), la convergence des procédures de surendettement auprès de la
Banque de France et des contentieux judiciaires du bail a été renforcée.
Pour autant, les décisions
« d’expulsion
ferme » avoisinaient, en 2019, 52 000 cas par
an,
soit autant qu’en 2016. Dans ce cadre, l’État qui assure la prévention des expulsions est
aussi amené à apporter son concours à leur exécution. Sous l’autorité des préfets, le concours
de la force publique (CFP) pour les expulsions est particulièrement réglementé et ne peut être
refusé sans conséquence quant à la responsabilité de l’État et
à
l’indemnisation des bailleurs
concernés. Cette situation est d’autant plus complexe que les préfets se trouvent confrontés à
des injonctions contradictoires, qui leur demandent de procéder aux expulsions judiciairement
exécutoires et, en même temps, de piloter la prévention des expulsions et de reloger les
locataires éligibles au droit au logement opposable (Dalo) avant toute expulsion.
Dans la réalité,
la prééminence du droit de propriété et de la force de l’autorité de la
chose jugée, l’absence de politique spécifique de relogement ou d’hébergement, comme la
réalité des situations individuelles et des contingents préfectoraux de logements disponibles
r
endent ardue la mise en cohérence de l’action publique.
Dans le contexte de la crise sanitaire, le Gouvernement a décidé de renforcer les
dispositifs de prévention des expulsions pour garantir l’objectif de maintien dans le logement.
Outre un abondement de 30
M€ de l’enveloppe du fonds de solidarité pour le logement (FSL),
la durée de la trêve hivernale
6
qui fait échec aux expulsions a été prolongée jusqu’au 10 juillet
2020 et, pour l’année suivante, jusqu’au 31 mai 2021. Enfin, des instructions gouvernemen
tales
successives de 2020 à 2022 ont appelé les préfets à réserver le CFP aux cas les plus
inextricables. En conséquence, les expulsions avec CFP sont passées de 16 210 en 2019 à 8 156
en 2020 et 12 000 en 2021. Pour accompagner ces mesures, le programme 216 concourant à
l’indemnisation des bailleurs a été abondé de
10
M€
respectivement en 2020 et 2021.
4
Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014.
5
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018.
6
Du 1
er
novembre au 31 mars de l’année N+1 depuis la loi Alur.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
7
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n°
1 :
(
Ministère de l’économie, des finances, de la souveraineté
industrielle et numérique - Direction du budget) : Achever
d’ici la fin 2023 le transfert des
crédits de prévention des expulsions inscrits au programme 135 vers le programme 177.
Recommandation n°
2 : (D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement) : Fixer des objectifs quantitatifs aux Ccapex, notamment au regard du nombre de
dossiers d’assignation au sein de chaque territoire.
Recommandation n°
3 :
(D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement)
: Ouvrir une concertation avec les collectivités territoriales en vue d’harmoniser les
critères d’ouverture des
droits au fonds de solidarité pour le logement au titre de la prévention
des expulsions.
Recommandation n°
4 :
(Ministères de la transition écologique, de la cohésion des territoires
et des relations avec les collectivités territoriales, et de la mer - SGMTE) : Rendre opérationnel
le système d’information Exploc d’ici la fin 2023, au besoin en faisant évoluer son encadrement
réglementaire en vue de garantir la protection des données personnelles.
Recommandation n°
5 :
(D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement) : Mett
re en œuvre un suivi spécifique des bénéficiaires du Dalo ayant
été
l’objet
d’une expulsion par concours de la force publique.
Recommandation n°
6 :
(D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement) : Prendre en compte, dans le cadre du plan «
Logement d’
abord », dès la phase de
prévention des expulsions, les besoins de logement et d’hébergement des ménages de bonne foi
dont l’expulsion est inévitable.
Recommandation n°
7 :
(Ministère de la justice - DACS) : Après évaluation de
l’expérimentation
faite par le tribunal de Rouen, encourager les démarches de conciliation en
lien avec le contentieux du bail.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
8
INTRODUCTION
La prévention des expulsions ne relève pas d’une politique publique spécifiquement
encadrée par des lois ou des règlements. Les évolutions de l’action
publique en la matière
remontent à la loi Besson
7
et ont évolué, dans le cadre de plusieurs textes jusqu’à la loi Alur
8
.
Celle-
ci a consacré le maintien dans le logement comme priorité de l’action publique. Cet
objectif a été repris dans le plan quinquennal du «
Logement d’abord
» pour la période 2018-
2022
9
.
Depuis 2016, le pilotage national de la prévention des expulsions a été confié à la
délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal), désormais
chargée du service public de la rue au logement
10
. Celle-ci est dirigée par un délégué
interministériel rattaché au Premier ministre,
qui s’appuie sur la délégation à l’hébergement au
logement, composante de l’administration centrale des ministères chargés de la transition
écologique, de la cohésion des territoires et de la mer.
Au plan budgétaire, pour la période sous contrôle, la prévention des expulsions est
répartie entre cinq programmes budgétaires différents :
le programme 177
Hébergement
,
parcours vers le logement et insertion des personnes
vulnérables,
géré par la Dihal ;
le programme 216
Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur
,
pour l’indemnisation
des bailleurs et une partie de la gestion du système d’information Exploc
11
, géré par le
ministère de l’intérieur
;
le programme 135
Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat
, géré par la DHUP
pour l’animation territoriale
;
le programme 349
Transformation de l’action publique
, pour la refonte du système
d’information spécifique Exploc
.
Le programme 217
Conduite
et pilotage des politiques de l’écologie, du développement
et de la mobilité durables
du ministère de la transition écologique (MTE) finance des postes
consacrés à la prévention des expulsions locatives (secrétariat des Ccapex, instruction des
dossiers,
etc
.).
Un projet de fusion des interventions des programmes 135 et 216 dans le programme
177 est en cours. Cette simplification permettra un véritable pilotage budgétaire ainsi qu’un
suivi des crédits dont le périmètre est aujourd’hui impossible à définir et
quantifier précisément.
7
Loi n° 90-449 du 31 mai 1990.
8
Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014.
9
Le plan gouvernemental « L
ogement d’abord
» 2018-
2022, présenté en septembre 2017 a fait l’objet
d’un référé
de la Cour des comptes adressé au Premier ministre le 20 octobre 2020.
10
Décret n° 2021-326 du 25 mars 2021 modifiant le décret n° 2010-817 du 14 juillet 2010 instituant un
délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées.
11
Jusqu’en 2020,
le programme 307
Administration territoriale
était mobilisé.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
9
Le périmètre de la prévention des expulsions
La prévention des expulsions est un objectif public qui ne fait l’objet d’aucune définition juridique
précise. Depuis la loi Alur, la prévention des expulsions vise «
le maintien dans le logement
». Cet objectif est
inscrit dans les priorités du plan quinquennal pour le «
Logement d’abord
»
12
.
L’action publique s’est focalisée sur la prévention des expulsions liées aux impayés locatifs qui
constituent environ 95 % du contentieux du bail. Dès lors, la prévention des expulsions repose sur la reprise des
paiements de loyer. Dans ce cadre, la prévention des expulsions peut intervenir depuis la connaissance des premiers
impayés jusqu’à la phase judiciaire et son exécution.
La connaissance des
impayés demeure néanmoins le point de départ de l’action de l’État.
Si les bailleurs sont, avec les caisses d’allocations familiales (Caf), les premiers prévenus d’un impayé,
l’État l’est
,
pour sa part, au travers du système d’information spécifique Exploc, dès lors qu’un acte de
commandement de payer a été signifié au locataire par un huissier, sur demande du bailleur.
Dans la phase précontentieuse, la prévention des expulsions repose principalement sur l’État déconcentré
(coordination), les collectivités territoriales (aides financières dans le cadre du fonds de solidarité pour le logement)
ainsi que les caisses d’allocations familiales (maintien des allocations et plan d’apurement), le réseau de la Banque
de France (dans le cadre des procédures liées au s
urendettement) et les bailleurs (plan d’apurement ou d’effacement
de la dette).
Afin de coordonner les actions de prévention, l’État a chargé les préfets de présider des commissions de
coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) en co-pilotage avec les présidents de départements.
Ces commissions ne disposent d’aucun pouvoir contraignant. Elles font par ailleurs le lien avec les commissions
du droit au logement opposable (ComDalo) ainsi que les procédures d’hébergement.
Parallèlement, si la procédure précontentieuse prévoit une incitation à la conciliation, la phase
contentieuse, qui prend corps avec une assignation du locataire devant le juge de la protection, prévoit, depuis
2020, une conciliation pour les litiges inférieurs à 5 000
€. Une coordination avec les procédures de surendettement
est mise en place depuis 2019.
La phase contentieuse n’aboutit pas nécessairement à une décision d’expulsion ferme. Le juge peut
notamment décider d’une expulsion assortie d’une suspension avec déla
i pour apurement de la dette. En outre, une
décision d’expulsion prononcée par le juge peut faire l’objet d’une demande de délai ou de prorogation de délai
devant le juge de l’exécution.
De leur côté, les bailleurs sociaux peuvent signer, avec le locataire
frappé d’expulsion, un plan de
cohésion sociale lui permettant de rester dans le logement.
Une fois la décision de justice définitive et exécutoire, le CFP peut, dans certains cas, être requis par le
bailleur. Au regard de la jurisprudence, le CFP, juridiquement encadré et reposant sur les préfets, ne peut être
refusé que si c’est nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou si surviennent des circonstances postérieures à
la décision judiciaire d’expulsion telles que l’exécution de celle
-ci serait susc
eptible d’attenter à la dignité de la
personne humaine. Par ailleurs, des instructions gouvernementales prévoient le relogement de ménages
bénéficiaires du Dalo avant expulsion sans force contraignante. Si le régime juridique de la prévention des
expulsion
s s’arrête par nature avec l’expulsion physique des locataires, la question du relogement relève d’une
action publique plus large. Cette question se pose avant l’expulsion
,
tant en termes d’action sociale par la recherche
de logements pécuniairement mieux adaptés à la situation des locataires que pour les ménages bénéficiaires du
12
Le Gouvernement a mis en place un plan quinquennal pour le logement d'abord et la lutte contre le
sans-abrisme, dit plan «
Logement d’abord
» pour la période 2018-2022. Ce plan a pour ambition de diminuer de
manière significative le
nombre de personnes sans domicile d’ici 2022, en privilégiant des solutions pérennes de
retour au logement, plutôt que la multiplication de réponses d’hébergement de court terme
. Il repose sur cinq
priorités, dont la priorité n° 3 tend à «
mieux accompagner les personnes sans domicile et favoriser le maintien
dans le logement
».
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
10
droit au logement opposable qui doivent en théorie être relogés avant expulsion. Au-
delà de l’expulsion, ce sont
les orientations du plan quinquennal «
Logement d’abord
» qui trouv
ent à s’appliquer.
La prévention des expulsions a fait l’objet de deux rapports majeurs au cours de ces
dernières années. Le premier, daté d’août 2014, émane d’un
travail conjoint du conseil général
de l’environnement et du développement durable (CGEDD
13
),
de l’inspection générale des
affaires sociales (IGAS), de l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et de
l’inspection générale de l’administration (IGA). Il
a abouti à 48 recommandations. Le second a
été remis par le député Nicolas Démoulin à la demande du Premier ministre, en décembre 2020.
Il présente 53 recommandations. Malgré six années d’écart et des évolutions notables en matière
de prévention des expulsions, beaucoup de constats et critiques restent d’actualité.
Le présent rapport, s’app
uyant notamment sur une enquête portant sur les modalités de
mise en œuvre de la politique publique au sein d’un
e sélection de douze préfectures
14
, cherche
à la fois à apprécier l’efficacité et l’efficience de la prévention des expulsions et à présenter les
défis et enjeux qui permettraient
d’en améliorer la cohérence. La mise en œuvre de cette action
est délicate car elle nécessite en permanence de concilier le droit de propriété, qui figure au
nombre des droits consacrés
par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789, la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent
étant
même devenu un objectif à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil
constitutionnel de 1995
15
.
13
Devenu inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) par d
écret n°
2022-1025 du 20 juillet 2022.
14
Préfectures du Nord, du Bas-Rhin, de la Sarthe, des Alpes-Maritimes ainsi que les huit préfectures
d’Ile
-de-France (Paris, Val-de-Marne, Seine-et-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-
Denis, Val d’Oise, Essonne
et Yvelines).
15
Décision n° 94-
359 DC du 19 janvier 1995, loi relative à la diversité de l’habitat
: «
s’il appartient au
législateur de mettre en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne
de disposer d’un logement décent, et s’il lui est loisible, à cette fin, d’apporter au droit de propriété les limi
tations
qu’il estime nécessaires, c’est à la condition que celles
-
ci n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la
portée de ce droit en soient dénaturés
».
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
11
1
UNE ACTION PUBLIQUE EPARSE ET LIMITEE, TOURNEE
VERS LE MAINTIEN DANS LE LOGEMENT
La prévention des expulsions locatives est difficilement évaluable. L’action publiqu
e,
qui s’est considérablement accrue depuis le début des années 1990, a poursuivi un objectif
constant de maintien dans le logement. Ce rappel suffit à confirmer que si le
statu quo
est
prioritairement recherché, celui-ci est impossible à quantifier sauf à ce que chaque ménage qui
aura échappé à l’expulsion se déclare comme tel.
C’est donc par le prisme déformant des expulsions ou des risques avérés d’expulsion
qu’
on parvient à cerner les contours de la prévention,
dont la règlementation n’a cessé
d’accroît
re les objectifs et les contingences procédurales ou organisationnelles, sans véritables
moyens. Par une approche déconcentrée, dans une recherche de coopération renforcée des
acteurs publics, la prévention des expulsions s’organise lentement et imparfaite
ment pour tenter
de favoriser le suivi individuel des locataires défaillants et la reprise des paiements.
1.1
Une action publique difficilement évaluable, aux objectifs ambitieux
La prévention des expulsions locatives suppose, en théorie, une connaissance des
situations individuelles fragiles, avant toute phase précontentieuse ou contentieuse. En réalité,
telle
qu’est conçue l’organisation publique aujourd’hui, la prévention active des expulsions ne
commence, dans la plupart des cas,
qu’après un premier command
ement de payer délivré par
voie d’huissier à un locataire défaillant. Le nombre de ces actes n’est pas aujourd’hui consolidé
nationalement
16
,
malgré l’existence d’un système d’information particulier.
Le phénomène du
risque d’expulsion locative est
ainsi difficilement quantifiable même si les ressorts qui le sous-
tendent sont bien identifiés. Dans ce cadre, la dette locative demeure la principale cause du
risque d’expulsion. En parallèle de la protection constitutionnelle du droit de propriété, l’action
publ
ique s’est néanmoins renforcée en faisant du maintien des locataires dans le logement une
priorité. La réalisation de cet objectif a été confiée à la délégation interministérielle à
l’hébergement et l’accès au logement (Dihal), sans véritables moyens affec
tés.
1.1.1
Un phénomène d’ampleur difficilement quantifiable où l’impayé domine
Si l’ampleur du phénomène des risques d’expulsion semble impossible à quantifier,
différents indicateurs permettent d’attester que la question des expulsions demeure importante
et se focalise d’abord sur la dette locative.
16
La base de données Exploc qui recense les commandements de payer ne permet pas de statistiques
nationales fiables.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
12
1.1.1.1
Une décrue du contentieux qui n
e réduit pas le nombre des décisions d’expulsion
L’une des rares données disponibles en matière d’expulsions est produite par le
ministère de la justice, selon un classement des contentieux
permettant d’identifier
le
contentieux locatif jusqu’en 2019. La r
éforme de 2020 qui a conduit à remplacer les tribunaux
d’instance et de grande instance par des tribunaux judiciaires ne permet toutefois plus
l’établissement de statistiques à ce stade.
Néanmoins, sur la période 2016-
2019, le contentieux locatif s’est inf
léchi de 18,5 %
pour atteindre un peu plus de 150 000 assignations en 2019, au lieu de près de 180 000 en 2016.
Ces informations doivent cependant être analysées avec prudence. D’une part, les
assignations ont baissé alors que, sur la même période, la part
des locataires s’est accrue en
France. À l’inverse, la réduction du nombre d’assignations n’a pas eu pour corollaire la baisse
du nombre de décisions d’expulsions fermes. Si celles
-
ci ont été moindres jusqu’en 2018, le
niveau de 2019 est quasiment égal à celui de 2016, soit un peu plus de 52 000.
Graphique n° 1 :
Évolution du contentieux locatif 2015-2019
Source : Cour des comptes selon données DACS.
Nota : l
’absence de données postérieures à 2019 ne permet pas de dresser un constat de la situation actuelle. Si
la péri
ode sous contrôle débute en 2016, l’évolution depuis 2014 permet d’établir une tendance.
Ces données qui permettent de mesurer l’évolution du contentieux de l’expulsion
n’éclairent néanmoins pas totalement sur le rôle positif ou non de la prévention. D’une
part,
aucune donnée ne permet de déterminer si les locataires assignés et expulsés avaient bénéficié
d’un suivi ou d’un accompagnement dans le cadre de la prévention. D’autre part, le nombre
décroissant d’assignations ne trouve pas d’explication sociale o
bjective.
Ainsi, sur un échantillon de plusieurs territoires
, il n’appara
ît pas de corrélation directe
entre l’évolution des procédures d’expulsion et l’évolution de
la situation sociale, de la
démographie ou de la tension immobilière. Il résulte de ces éclairages locaux que la baisse du
contentieux s’observe de manière similaire dans des territoires tout
-à-
fait différents. S’il est
impossible de démontrer l’impact direct des actions de prévention dans cette tendance, une
évolution à la hausse n’aurait pourtant pas manqué d’interroger sur la plus
-
value de l’action
publique.
39,3
39,4
39,5
39,6
39,7
39,8
39,9
40
0
50000
100000
150000
200000
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Contentieux
Expulsions fermes
% de locataires en France
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
13
Pour autant, la réduction du nombre d’assignations ne saurait occulter la réalité de
risques d’expulsions principalement fondées sur la dette locative, dont le poids et l’importance
demeurent prépondérants.
1.1.1.2
La dette locative au cœur des risques d’expulsion
Selon les données du ministère de la justice, les impayés représentent environ 95 % des
assignations, les motifs relatifs à
l’usage impropre des locaux loués,
aux conflits de voisinages
ou au non-respect des réglementations étant très marginaux.
En 2018, cette tendance lourde se traduisait, en phase précontentieuse, par
138 000 commandements de payer
17
dans le parc social (3,1 % des locataires) et 352 000 dans
le parc privé (4,9 % des locataires)
18.
La tendance était la même en 2019 pour le parc social
19
sans que le système d’information Exploc ne permette un suivi annuel fiable de l’ensemble du
parc.
Dans le parc social, les impayés concernaient entre 18 % et 19 % des locataires présents
(6,4 % pour les retards de plus de trois mois), et ce depuis 2017, soit une tendance relativement
stable. Pour le parc privé, aucune donnée nationale consolidée n’est établie.
Graphique n° 2 :
Évolution des impayés dans le parc social (2017-2020)
Source : USH, enquête impayés 2019-2020
Un autre indicateur provient des caisses d’allocations familiales
(Caf) auxquelles les
bailleurs sont tenus d’indiquer les impayés des allocataires
20
auxquels ils louent leur bien.
17
Acte d’huissier qui ouvre un délai de deux mois pour régler la dette locative.
18
Cf. rapport Démoulin précité.
19
Résultat des enquêtes impayés 2019 et 2020 menées par l’USH.
20
Décret n° 2016-748 du 6 juin 2016. Ce décret prévoit que les bailleurs informent les Caf des impayés
locatifs des allocataires (toutes allocations confondues) sous deux mois. Le défaut de signalement est passible
d’une amende.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
14
Graphique n° 3 :
Évolution des signalements d’impayés des allocataires Caf
(en nombre de dossiers)
Source : Cour des comptes selon données de la Cnaf. Situation constatée au 30 juin de chaque année.
L’augmentation des signalements entre 2016 et 2018 est en partie liée à la mise en place
de l’obligation de signalement des impayés, sans préjuger d’une augmentation des situations
d’impayés. Depuis 2018, les tendances sont stables et se situent entre 310
000 et 320 000
signalements annuels. La réduction du nombre de signalements en 2021 n’est pas objectivable
à ce stade. L’année 20
22 permettra de juger si cette baisse est liée au renforcement des mesures
d’accompagnement pendant la crise sanitaire ou non.
De son côté la Banque de France, qui gère les procédures de lutte contre le
surendettement, constate que les trois quarts des ménages surendettés sont des locataires. Si la
part de dossiers recevables contenant une dette locative a baissé, pour passer de 48,2 % de
l’ensemble des dossiers en 2016 (soit 84
293 dossiers) à 46,1 % en 2021 (soit 51 982 dossiers),
le poids de la dette locative a augmenté, en revanche. Il représentait 5,2
% de l’ensemble des
dettes en 2016, pour atteindre 6,4 % en 2021, pour un montant global de 312,1
M€.
La dette locative moyenne dans les dossiers recevables s’élève à 6
219
21
. Les
créanciers se répartissent entre les organismes de logements sociaux (50,3 %), les particuliers
(24,5 %) et les autres créanciers privés (23,7 %).
Enfin, face au risque d’augmentation d’impayés dans le cadre de la crise sanitaire, la
Dihal a mis en place, en novembre 2020, un observatoire des impayés locatifs dont la qualité,
la fiabilité, la complétude et l’actualisation des données ne sont pas avérées à ce stade.
En juillet 2021, cet observatoire, sans publier de données précises pour autant, ne
relevait pas d’augmentation sign
ificative des dettes locatives
22
malgré la crise sanitaire.
Un manque de données qui nuit au pilotage de la politique publique
Dans un référé du 12 mai 2022 sur la production et
l’utilisation des données utiles à la politique du
logement, la Cour des comptes fait état de nombreuses carences
des systèmes d’information publics
qui nuisent
21
Banque de France,
Le surendettement des ménages
, enquête typologique 2021.
22
Communiqué de presse de la ministre du logement sur le site
www.ecologie.gouv.fr
en date
du 12 juillet 2021.
0
50000
100000
150000
200000
250000
300000
350000
2016
2017
2018
2019
2020
2021
Impayés allocataires parc privé
Impayés allocataires parc social
Total des impayés signalés
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
15
au pilotage de la politique publique et relève des imperfections liées à la fiabilité des données, à leur actualisation,
à leur accessibilité ou à leur partage.
Ce constat récent se confirme en matière de prévention des expulsions locatives,
qui ne fait l’objet d’aucun
suivi statistique d’ensemble et dont l’étude ne repose que sur des données partielles et peu fiables.
1.1.2
Des évolutions législatives, réglementaires et organisationnelles pour favoriser
le maintien dans le logement
Alors que les i
mpayés sont au centre des risques d’expulsion, l’action publique n’a cessé
de s’accroître en faveur du maintien dans le logement depuis le début des années 1990. Des
procédures ont été renforcées, tant en phase précontentieuse que contentieuse, et un pilotage
national des dispositifs de prévention a été confié à la Dihal. La coordination des actions de
prévention repose pour sa part sur l’échelon territorial de l’État.
1.1.2.1
Une évolution législative par petites touches
Si la loi Besson
23
a ouvert la voie d’une p
rise en considération des locataires en difficulté
au travers de la mise en œuvre du droit au logement, notamment au travers de plans
départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) et de la
création du fonds de solidarité pour
le logement (FSL), c’est à la loi relative à la lutte contre les
exclusions
24
que revient l’initiative des dispositifs de prévention des expulsions. Ainsi ce texte
de 1998 a expressément prévu l’accompagnement des locataires en situation d’impayé au
travers de commissions départementales des aides publiques au logement, devenues
obligatoires depuis la loi Molle
25
sous le nom de commissions de coordination des actions de
prévention des expulsions locatives (Ccapex), sous la responsabilité conjointe de l’État
et des
départements.
Cet accompagnement déconcentré des personnes risquant une expulsion est allé de pair
avec des mesures fortes en faveur des personnes en difficulté. La loi Dalo
26
a expressément
intégré les personnes en risque d’expulsion comme possibles
bénéficiaires du relogement dans
le cadre des contingents préfectoraux. De nouvelles aides financières, au-delà du FSL, ont été
décidées depuis la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 par la création du fonds
national d’accompagnement vers et dans le logement (FNADVL). Mais c’est la loi Alur
27
qui
a consacré le maintien dans le logement comme priorité. Plusieurs mesures, telles que
l’encadrement des loyers, l’interdiction des pénalités pour les retards de paiement, la réduction
à trois ans du délai de prescription pour recouvrement des impayés, en sont les symboles.
La loi Élan de 2018 a apporté différentes améliorations de procédure et a notamment
permis une avancée majeure, en liant désormais les procédures de surendettement diligentées
23
Loi n° 90-449 du 31 mai 1990.
24
Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998.
25
Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009.
26
Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007.
27
Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
16
auprès de la Banque de France avec les procédures contentieuses pour résiliation de bail. En
conséquence, les procédures précontentieuses et contentieuses ont été coordonnées au fil du
temps pour tenter de réduire le nombre des expulsions.
1.1.2.2
Un renforcement des pr
océdures pour éloigner le risque d’expulsion
Alors que l’impayé représente le principal risque d’expulsion et que le maintien dans le
logement revêt le caractère d’objectif public prioritaire, la seule voie possible pour la prévention
repose sur la connais
sance précoce des situations et le report des décisions de justice dont l’issue
ne peut que faire droit aux propriétaires lésés.
C’est dans cet esprit que se sont bâties des
procédures, de mieux en mieux concertées entre acteurs sociaux, collectivités, État déconcentré,
officiers ministériels, justice et police.
1.1.2.2.1
Une procédure longue où la reprise des paiements joue un rôle central
La procédure d’expulsion compile des délais légaux incompressibles auxquels
s’ajoutent les délais aléatoires de procédure devan
t les tribunaux judiciaires. Dans ce cadre, la
procédure peut durer aisément plus d’un an. Il en résulte potentiellement un risque d’inquiétude
pour les bailleurs, qui pourraient préférer s’abstenir de louer. Un travail d’objectivation de ce
risque, en lie
n avec l’état de vacance des logements, devrait être mené par la puissance publique.
Tableau n° 1 :
Délais de procédure
Acte de procédure
Délai
Commandement de payer
2 mois avant de pouvoir assigner
Assignation
Durée de la procédure selon juridiction
28
Décision
d’expulsion
2 mois avant d’expulser
Demande de concours de la force publique
2 mois avant décision
Source : Cour des comptes
Ces délais peuvent encore être allongés. D’une part, la trêve hivernale fait obstacle à
toute expulsion entre le 1er novembre et
le 31 mars. D’autre part, une reprise des paiements
peut conduire le juge à surseoir à l’expulsion, et ce dans des délais qui peuvent atteindre trois
ans.
28
Délai auquel il faut ajouter les délais de conciliation obligatoire pour les litiges inférieurs à 5 000
€.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
17
Schéma n° 1 :
Procédure de prévention et de mise en œuvre des expulsions locative
Source : rapport Démoulin remis au Premier ministre, décembre 2020.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
18
1.1.2.2.2
La prévention en phase précontentieuse repose sur une information précoce et
complète.
L’information des situations critiques le plus en amont possible est essentielle et, pour
permettre une prévention efficace, ces situations doivent être connues en amont des
commandements de payer signifiés par huissier au locataire défaillant.
Dans ce cadre, la saisine des Ccapex par les travailleurs sociaux qui constateraient des
difficultés sociales pouvant donner lieu à des risque
s d’impayés serait une plus
-value. Cette
responsabilité repose aujourd’hui principalement sur les conseils départementaux, même si
aucune obligation n’est expressément prévue.
C’est en réalité la procédure de commandement de payer, voire le signalement d’i
mpayé
à la Caf, qui enclenche aujourd’hui l’intervention publique. Celle
-ci, pour être rapide et
efficace, repose en partie sur la qualité de l’information délivrée par les huissiers autant que par
la bonne information des ménages menacés d’expulsion de le
urs droits.
C’est dans cet esprit que l’article 122 de la loi
É
lan a prévu l’amélioration de la qualité
de l’information transmise aux Ccapex, au stade du commandement de payer, notamment par
l’intégration du montant du loyer ainsi que du décompte de la de
tte entre loyer et charges. Cet
enjeu d’amélioration de l’information a été complété par l’article 30 de la loi pour la confiance
dans la justice
29
qui autorise désormais les huissiers de justice à entrer directement en contact
avec les personnes menacées d
’expulsion
afin de leur remettre le commandement de payer en
main propre. Cette modification permet d’améliorer à la fois l’information des locataires mais
aussi une meilleure connaissance de leur situation.
Outre que cette procédure permet aux huissiers
de disposer d’informations plus
complètes sur les situations individuelles (réalité du nombre d’occupants, situation sociale, etc.)
elle satisfait aussi à l’exigence d’une sensibilisation précoce des personnes en risque
d’expulsion.
La connaissance de leurs devoirs, droits et voies de recours par les personnes en risque
d’expulsion est un sujet central. Si des informations
importantes sont inscrites sur les
commandements de payer, telles que
l’existence des Ccapex, le rôle d’informati
on des Adil
30
avec lesquelle
s les services déconcentrés de l’État contractualisent, ou encore le rôle
d’accompagnement des travailleurs sociaux, encore faut
-il que ces
actes d’huissier
atteignent
effectivement les personnes visées et que celles-ci puissent en comprendre la teneur et la portée.
1.1.2.2.3
La phase contentieuse ne met pas un terme à la prévention des expulsions
Au plan du contentieux, pour permettre de renforcer la prévention des expulsions, des
évolutions notables ont été mises en œuvre par la loi
Élan, la loi de programmation et de réforme
de la justice
31
et la loi confiance dans l’institution judiciaire.
29
Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.
30
L’
Anil a édité un état des lieux de ses actions en juin 2022.
31
Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
19
L’harmonisation des diagnostics sociaux et financiers obligatoirement transmis aux
magistrats avant l’audience, la tentative de règlement amiable oblig
atoire pour les litiges
inférieurs à 5 000
32
, l’injonction de médiation ouverte aux magistrats avant délibéré
33
en sont
autant d’exemples. Il en va de même de la coordination des procédures de redressement dans
le cadre du surendettement avec le contentieux du bail.
La prévention des expulsions locatives, au sens de l’intervention publique hors
contentieux, s’intercale donc entre le signalement de situations critiques et la décision de justice
exécutoire et exécutée.
1.1.2.3
La lente construction d’un pilotage nati
onal
La délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal) est
chargée du service public de la rue au logement
34
. Elle est dirigée par un délégué interministériel
rattaché au Premier ministre qui s’appuie sur la délégation à l’
hébergement au logement,
composante de l’administration centrale des ministères chargés de la transition écologique, de
la cohésion des territoires et de la mer.
1.1.2.3.1
Un pilotage national aux moyens réduits
Depuis 2016, la Dihal est chargée du pilotage et de la coordination de la prévention des
expulsions locatives. Néanmoins, la mise en place de cette nouvelle compétence ne s’est pas
faite sans difficulté, puisque,
jusqu’en 2020
,
la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des
paysages (DHUP) a conservé la compétence d’animation territoriale, la co
-
maîtrise d’ouvrage
de la base de données Exploc, le suivi du FSL et une part de la compétence budgétaire
notamment au travers du programme 135.
Au plan des moyens cette lente construction s’est traduite par la présence d’un seul ETP
chargé du pilotage national jusqu’en 2019. En 2022
, le pôle chargé de la prévention des
expulsions locatives a été porté à trois ETP, dont un apprenti, auxq
uels s’ajoute un poste
temporaire consacré
s au transfert du système d’information Exploc à la Dihal et au projet
d’amélioration de ce dernier
. Il est financé dans le cadre du fonds pour la transformation de
l’action publique (FTAP).
Au plan budgétaire, depuis 2022 seulement, une ligne « actions de prévention des
expulsions locatives » est inscrite dans le programme 177. Cette rubrique permet notamment
d’intégrer les mesures de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté
décidée en 2019 par le gouvernement à hauteur de 6,9
M€, ainsi que le complément du FSL
décidé en 2020 pour 30
M€ (8
M€ pour 2022) visant à aider les locataires en situation d’impayé.
32
Depuis le 1
er
janvier 2000 une partie n’est pas recevable à agir si elle n’a pas, au préalable, tenté de
mettre en œuvre une conciliation menée par un concilia
teur de justice, une médiation ou une procédure
participative (article 750-1 du code de procédure civile sur la base du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019).
33
Décret n° 2022-
245 du 25 février 2022 en application de la loi confiance dans l’institution
judiciaire.
34
Décret n° 2021-326 du 25 mars 2021 modifiant le décret n° 2010-817 du 14 juillet 2010 instituant un
délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
20
L’estimation globale des dépenses spécifiquement liées à la prévention des expulsions
sur le
programme 177 demeure impossible à ce jour.
Dans le même sens, une connaissance de la réalité
des dépenses d’animation territoriale
toujours intégrées au programme 135 géré par la DHUP est en cours afin d’envisager un
transfert des actions et des crédits vers le programme 177 à horizon 2023. Son estimation est à
ce jour encore impossible.
Enfin la Dihal, pour la période sous contrôle,
n’a pas
eu la main sur les actions de
prévention des expulsions du programme 216 relevant du ministère de l’intérieu
r. Ce
programme finance notamment une part importante du système d’information Exploc, ainsi que
les indemnisations des bailleurs en cas de refus du concours de la force publique (CFP) après
décision judiciaire d’expulsion et dont le transfert partiel vers
le programme 177 est à l’étude
depuis 2021
35
.Une convention en date du 10 août 2022
36
est venue finaliser ce transfert à
échéance du 1
er
janvier 2023.
Parallèlement, la Dihal contribue au pilotage du FNAVDL
37
doté de 4,6
M€ en 2022 et
dont les crédits accompagnent principalement des actions générales de sensibilisation et de
prévention ainsi que les aides indirectes aux ménages sous forme d
’accompagnement social.
Ces crédits sont intégralement territorialisés.
E
n l’absence de capacité de pilotage budgétaire,
la Dihal demeure dans une situation de
faiblesse pour assurer son rôle de coordination nationale de la prévention des expulsions.
Recommandation n° 1.
(
Ministère de l’économie, des finances, de la souveraineté
industrielle et numérique - Direction du budget)
: Achever d’ici la
fin 2023 le transfert
des crédits de prévention des expulsions inscrits au programme 135 vers le programme
177.
1.1.2.3.2
Un rôle central d’animation et de coordination du réseau territorial renforcé pendant
la crise sanitaire
Si la Dihal s’est impliquée depuis 20
16 pour insuffler les évolutions législatives et
réglementaires favorisant la prévention des expulsions, elle s’est aussi particulièrement illustrée
durant la crise sanitaire en mettant en œuvre les directives gouvernementales de prorogation de
la trêve hivernale ainsi que des instructions de gestion de la crise comme de sortie de crise
38
.
Ce rôle spécifique de coordination de l’action publique dans une période incertaine a permis
d’asseoir la Dihal dans son rôle de pilote.
35
Mission d’évaluation sur l’amélioration de la gestion administrative de la procédure d’expulsion
locative
confiée au CGEDD et à l’IGA par les ministres de l’intérieur, du logement et de la citoyenneté en date du
18 février 2021 et rapport rendu en août 2021.
36
Convention pour le transfert
de la maîtrise d’ouvrage de l’application de gestion des expulsions
locatives passée entre le ministère de l’intérieur et le ministère du logement.
37
Ce fonds est constitué par les astreintes financières auquel l’État est soumis lorsqu’il ne remplit pas se
s
obligations dans le cadre du Dalo.
38
Ordonnances n° 2020-306 et n° 2021-140 et instructions du 2 juillet 2000 et du 26 avril 2021.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
21
En matière d’animation territoriale, la Dihal s’est focalisée, dès 2017, sur la nécessité
de relancer l’action publique déconcentrée. Dans ce cadre
,
elle a permis l’élaboration de trois
plans interministériels pour la prévention des expulsions locatives. Ceux-ci réaffirment
notamment la nécessité que les Ccapex soient mieux pilotées et que le rôle des services
déconcentrés de l’État soit renforcé pour assurer une bonne coordination avec les collectivités
territoriales, la Banque de France, les Caf, les bail
leurs, en lien avec l’autorité judiciaire.
En termes d’animation, outre un poste affecté depuis 2020, la Dihal a mis en place une
plateforme numérique d’échanges, des visio
-conférences thématiques et procède à des
rencontres régulières sur le terrain, nota
mment grâce à l’organisation de journées nationales.
Néanmoins, la Dihal doit aussi assurer ses missions avec les moyens des services
déconcentrés disponibles. Ces derniers relèvent de trois programmes budgétaires.
Le programme 217 du ministère de la transition écologique (MTE) finance des postes
consacrés à la prévention des expulsions locatives (secrétariat de Ccapex, instruction de
dossiers, etc.). Historiquement localisés en DDCS ou DDT, ils sont désormais le plus souvent
transférés aux nouvelles direct
ions départementales ou régionales de l’économie, de l’emploi,
du travail et des solidarités (DDEETS ou DREETS
39
).
Le programme 216 du ministère de l’intérieur (MI) finance
pour sa part des postes de
secrétariat
de
sous-Ccapex
territoriales
et
l’instruction
de
dossiers
à
l’échelle
d’arrondissements. Il finance aussi les postes affectés à la gestion de la procédure à partir du
stade du commandement de quitter les lieux et à l’instruction des demandes d’indemnisation
des bailleurs. Le programme 124 du ministère des affaires sociales (MAS) finance
essentiellement des postes de chef de service et chef de pôle en DDETS, particulièrement sur
des services couvrant à la fois des thématiques d’hébergement et de logement.
La Dihal a lancé le 22 juin 2021 une démarche de remontée des besoins en matière de
postes non occupés ou non pourvus sur la prévention et la mise en œuvre des expulsions
locatives dans les services départementaux.
Au 31 juillet 2021, 52 départements avaient répondu à l’e
nquête, représentant 61 % de
la population nationale et 65
% des procédures judiciaires d’expulsions locatives en 2019. Ce
travail a permis de recenser, auprès des répondants, 190,1 ETP « théoriques », dont 124,5
relevant du MTE, 45,2 relevant du MI
40
et 15,4 relevant du MAS. 56 % des répondants (29
départements sur 52) faisaient état d’un effectif réel inférieur à leur effectif théorique au 1er
juin 2021.
Face à cette situation, le Gouvernement a décidé, durant la crise sanitaire, de renforcer
les moyens. D
’une part, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté,
26 équipes mobiles de travailleurs sociaux ont été créées pour aller au contact des populations.
Par ailleurs, pour faire face à la crise sanitaire et aux enjeux de sortie de crise en matière de
prévention des expulsions, un renfort de 73 postes de chargés de mission a été mis en place en
2021 et 2022 dans 69 départements.
39
Créées en 2021, notamment en remplacement des directions de la cohésion sociale.
40
Hors préfets et sous-préfets.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
22
Malgré ces mesures, les préfectures font toujours état de difficultés persistantes pour
assumer la charge qui leur incombe.
1.1.2.4
Les Ccapex, clés de voûte fragiles de la prévention des expulsions
Le fonctionnement actuel des Ccapex repose sur un décret de 2015
41
et une instruction
interministérielle de 2017
42
. Sans pouvoirs propres, ces commissions ont pour fonction de
réunir les acteurs qui, par les aides personnelles qu’ils allouent ou les procédures d’apurement
de dette qu’ils mettent en œuvre, facilitent la reprise des paiements et permettent ainsi de
retarder ou d’empêcher l’expulsion. Co
-présidées par les préfets et les présidents de conseils
départementaux, les Ccapex associent les collectivités locales, les Caf, les bailleurs sociaux ou
ceux du parc privé, les représentants des commissions de surendettement notamment pour
permettre un suivi des situations individuelles les plus critiques dont chacun peut avoir à
connaître. Sans capacité coercitive ou de décision, ces commissions sont pourtant réputées
permettre la coordination des actions en matière de prévention des expulsions.
Leur organisation prévoit une commission plénière départementale et des sous-
commissions territorialisées, le plus souvent par arrondissement. Leur action repose sur des
chartes de prévention des expulsions qui sont obligatoires et dont l’objet est de permettre à
chaque acteur de faire valoir ses bonnes pratiques, tant en termes de suivi individuel que de
partage d’information ou de mode d’action.
Dans les faits, outre les moyens humains réduits dont elles disposent, les Ccapex peinent
à s’imposer et à fédérer. Plusieurs niveaux de d
ifficulté sont ainsi à relever.
Le premier tient à
l’inefficience du système d’information Exploc. Outre que le
requêtage de chaque dossier individuel peut prendre jusqu’à dix minutes, les informations
fournies sont bien souvent incomplètes, tant sur la situation réelle de la personne en risque
d’expulsion que sur les actions menées par d’autres partenaires en sa faveur.
Ainsi, par exemple, la Banque de France renseigne la recevabilité d’une demande de
surendettement mais n’est pas amenée à indiquer si un
plan de redressement a été formalisé et
si la dette locative y est totalement ou partiellement intégrée, alors même que la loi Élan a prévu
une information complète sur les situations suivies dans le cadre des deux procédures. Un
manque d’information est a
ussi constaté pour les décisions de maintien ou non des allocations
par les Caf dans le cadre de plans d’apurement.
Enfin, la présence aléatoire de ces institutions lors des réunions des Ccapex, comme
l’absence majeure des représentants des bailleurs privé
s et parfois même des bailleurs sociaux,
limitent la portée des travaux menés en commission.
Au-
delà de ces difficultés, l’organisation territoriale des Ccapex est à géométrie
variable. Les sous-commissions territoriales ne sont pas systématiquement créées. Dans
certains cas, ces sous-
commissions n’ont d’ailleurs d’autre fonction qu’une animation
territoriale des acteurs, sans suivi des situations individuelles. Selon les départements, le rythme
41
Décret n° 2015-1384 du 30 octobre 2015 en application de la loi Alur.
42
Instruction NOR : LHALI1709078C du 22 mars 2017.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
23
des réunions est aléatoire, d’une fois par an pour certaines C
capex plénières à un cadencement
mensuel pour d’autres.
Le système d’information Exploc ne permettant pas de quantifier le nombre de dossiers
suivis, la réalité des travaux des Ccapex est impossible à évaluer.
Les constats effectués par la Cour des comptes auprès de douze préfectures montrent
que les Ccapex traitent un nombre marginal de dossiers, souvent très bas au regard du nombre
des assignations du territoire. Les ratios les plus élevés entre situations étudiées en Ccapex et
nombre d’assignations en ju
stice se situent en dessous de 20 % pour atteindre seulement 3,2 %
dans un département qui comptait 7 675 assignations en 2018 pour 245 cas étudiées en Ccapex.
Par ailleurs, une préfecture dont le ressort représente
plus d’un million d’habitants, n’aura
étudié que trois situations en Ccapex entre 2016 et 2018, ce qui révèle un véritable
dysfonctionnement. Au total
, sur l’échantillon
analysé, le nombre de dossiers étudiés est passé
de 2 250 en 2016 à 2 736 en 2021. Les résultats pour les situations suivies
ne font l’objet
d’aucun bilan.
Plus globalement, les Ccapex ne disposant d’aucun pouvoir contraignant, leur action est
par nature limitée.
Alors même que les Ccapex ont été créées pour constituer la clé de voûte des dispositifs
de prévention des expulsions
, on peut s’interroger sur leur réelle plus
-
value aujourd’hui, qui
plus est, en l’absence d’objectifs quantifiables comme de suivi de leurs résultats. Dans le même
esprit, il convient de relever que les acteurs et les leviers de la prévention des expulsions ne
relèvent pas directement
de l’autorité de
s préfets.
Recommandation n° 2.
(D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement) : Fixer des objectifs quantitatifs aux Ccapex, notamment au regard du
nombre de dossiers d’assignation au sein de chaque territoir
e.
1.2
Une coordination des acteurs et des leviers d’action à renforcer
Conformément à l’objectif de politique publique de maintien
des occupants dans le
logement malgré une situation d’impayé, les leviers portent principalement sur l’octroi d’aides
financière
s ou sur le déclenchement de procédures spécifiques d’apurement de dette. Ces
actions de prévention s’étendent depuis le commandement de payer jusqu’à la phase
contentieuse où les juges du bail peuvent suspendre la clause résolutoire du bail pour impayé et
aménager le remboursement de la dette. Dans tous les cas, les préfets, chargés de coordonner
la prévention des expulsions, ne disposent
d’aucun levier de plein exercice.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
24
1.2.1
Le fonds de solidarité pour le logement, levier d’accompagnement financier
principal à la main des collectivités
Depuis 2004
43
le FSL a été décentralisé auprès des conseils départementaux et plus
récemment des métropoles compétentes. Il permet d’a
ccorder des aides financières (sous forme
de cautionnement, prêts, avances remboursables, garanties ou subventions) aux personnes ayant
des difficultés à payer leurs dépenses de logement, leurs factures d'eau, d'énergie ou de
téléphone.
Avec des modalités de gouvernance souples, les FSL départementaux sont placés sous
la responsabilité des collectivités compétentes, qui en assurent le financement pour une grande
partie,
même si l’État compense cette décentralisation à hauteur de 94 M€ par an. Par ailleurs,
le Gouvernement a décidé la création
d’un fonds national d’aide aux impayés de 30
M€
44
,
auxquels 26 départements sont aujourd’hui éligibles.
Si
le FSL relève de la seule compétence des collectivités, l’État est associé
, pour la
forme et sans impact réel,
à la réflexion sur l’utilisation
des fonds de plusieurs manières. Ainsi,
le préfet et le président du conseil départemental sont cosignataires des plans départementaux
d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), pour
lesquels le FSL est un levier d’ac
tion majeur. Il découle de ce travail commun une participation
de l’État aux réflexions sur les règlements intérieurs FSL, sans pouvoir d’injonction. En
parallèle, les Ccapex sont co-présidées par les préfets et les présidents de conseils
départementaux.
C
ette coopération renforcée n’empêche pas pour autant des situations hétérogènes.
La Dihal signale ainsi plusieurs situations complexes, voire discutables :
-
le règlement intérieur de nombreux FSL limite l’éligibilité de ménages dont les
ressources sont proches ou inférieures aux minima sociaux, excluant de fait une part
non négligeable des ménages menacés d’expulsion
;
-
de nombreux FSL conditionnent également l’octroi ou le versement des aides à une
reprise préalable du paiement du loyer pendant plusieurs moi
s, alors qu’un tel critère
peut être de nature à compromettre la résolution rapide des situations, et peut même
avoir pour conséquence leur aggravation, voire la résiliation du bail ;
-
souvent, les règlements intérieurs des FSL prévoient également des montants limites
de dette locative éligible, ou d’aide susceptible d’être versée
; dans certains cas, ces
limites correspondent à moins de deux mois du loyer moyen sur le territoire, ce qui
empêche le FSL d’être un outil véritablement pertinent de prévention de
s
expulsions.
Au-
delà des critères d’accès, les FSL font face à plusieurs difficultés préjudiciables au
traitement des impayés de loyer et à la prévention des expulsions locatives :
-
la Dihal observe des contradictions entre les engagements pris par les collectivités
dans le cadre des chartes départementales pour la prévention des expulsions
43
Article 65 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
44
Instruction du 2 juillet 2020 de la ministre du logement.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
25
locatives et les conditions de mise en œuvre des aides prévues sur les mêmes
territoires par les règlements intérieurs des FSL ;
-
la méconnaissance de l’obligation légale
de financement des FSL par la plupart des
fournisseurs d’énergie (hormis les opérateurs historiques) contribue à l’insuffisance
de trésorerie de nombreux FSL et une incapacité à faire face à l’ensemble des
demandes d’apurement des dettes de charges locati
ves ;
-
l’absence de report systématique par les collectivités au sein du budget des FSL du
droit à compensation
45
versé à ce titre par l’État (environ 10
% des budgets des FSL
sont aujourd’hui inférieurs aux droits à compensation).
Une autre difficulté relève du suivi des crédits FSL, dont le bilan annuel est pourtant
prévu
46
.
.
La Dihal, qui assure depuis 2021 le suivi du FSL aux lieu et place de la DHUP, a
diligenté en 2022 une enquête pour tenter de mesurer l’enveloppe financière consacrée au FSL
et la part réservée au maintien dans le logement.
Sur 102 collectivités compétentes (sur 116), ayant répondu en 2021, il apparaît que le
montant total des aides versées au titre du FSL
était d’au moins 222 M€ dont au moins 31 M€
étaient destinés au maintien dans le logement.
Enfin, les aides FSL et les procédures de surendettement ne sont pas coordonnées. Dans
ce cadre, un protocole conventionnel de redressement peut être bâti ou refusé sans connaissance
de ces aides, et le FSL n’être tenu par aucune décision en la ma
tière.
Recommandation n° 3.
(Dihal) :
Ouvrir
une
concertation
avec
les
collectivités
territoriales en vue d’harmoniser les critères
d’ouverture des droits au fonds de
solidarité pour le logement au titre de la prévention des expulsions.
1.2.2
Le rôle central des caisses d’allocation
s familiales
Les Caf sont associées aux Ccapex et contribuent, au travers de la Caisse nationale des
allocations familiales (Cnaf), au pilotage national de la prévention des expulsions.
Le rôle des Caf dans la prévention des expulsions a été renforcé depuis 2016 avec la
mise en œuvre du décret relatif au maintien des aides au logement en cas d’impayé
47
. Outre que
celui-ci prévoit le signalement obligatoire par le bailleur des dettes locatives des allocataires, il
poursuit aussi un double objectif de réduction des délais de procédure et de coordination
renforcée avec la procédure d’expulsion locative.
Pour ce faire, le décret a prévu différentes mesures de clarification, d’harmonisation et
de simplification. Ainsi, la définition de l’impayé est arrêtée à un mo
ntant équivalent à deux
échéances de loyer hors charges en location. Par ailleurs, il a réduit les délais de procédure,
désormais compris entre huit et onze mois au maximum, contre neuf à seize mois
précédemment, ainsi qu’une coordination renforcée avec la
procédure d’expulsion locative,
45
Enveloppe budgétaire versée par l’État aux départements en compensation du transfert de compétence.
46
Arrêté du 13 février 2006 NOR : SOCU0512197A.
47
Décret n° 2016-74 du 6 juin 2016.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
26
ainsi que l’échange d’informations entre l’organisme payeur et la Ccapex tout au long de la
procédure.
Au-delà, le décret renforce le rôle « solvabilisateur » des allocations logement pour les
ménages à faibles revenus en s
ituation d’impayé, principalement par le maintien des aides au
logement pour les allocataires de bonne foi, quelle que soit l’aide au logement dont ils
bénéficient
48
.
Ce maintien des aides s’accompagne d’un plan d’apurement de la dette locative
sur trois ans.
Schéma n° 2 :
Évolution du volume de maintien des aides Caf
Source : Cour des comptes selon données de la Cnaf au 30 juin de chaque année (les données sur le parc social
ne sont disponibles que depuis 2018)
Entre 2018 et 2020, le taux de maintien des aides s’
est élevé en moyenne à 82 % de
l’ensemble des situations signalées d’impayés. En 2021, il
était de 76,5 %. Pour les seuls
allocataires des APL, qui représentaient un peu moins de six millions de foyers en 2020, le
signalement des impayés concernait 4,1 % des bénéficiaires et les aides ont été maintenues dans
plus de 84 % des cas.
Au plan institutionnel,
le réseau des Caf fait montre d’une véritable implication. La mise
en place récente par la Cnaf d’un suivi spécifique des impayés locatifs pour les allocataire
s
durant la crise sanitaire dans le cadre de l’observatoire national piloté par la Dihal ainsi que la
finalisation, début 2022, d’un contrat d’interfaçage
49
entre le système d’information Exploc et
le système d’information Cristal de la Cnaf, témoignent de
la volonté de travail commun.
48
Il existe trois aides personnelles au logement,
non cumulables. L’aide personnalisée au logement (APL)
est destinée aux locataires d’un logement neuf ou ancien qui a fait l’objet d’une convention entre le propriétaire et
l’État fixant l’évolution du loyer, la durée du bail, les conditions d’entretien, l
es normes de confort notamment.
L’allocation de logement familiale (ALF) est destinée aux personnes qui ne peuvent pas bénéficier de l’APL et
qui sont mariées depuis moins de cinq ans ou ont des enfants (nés ou à naître) ou une personne à charge.
L’allocation de logement sociale (ALS) s’adresse aux locataires éligibles qui ne peuvent bénéficier ni de l’APL,
ni de l’ALS.
49
Contrat d’interfaçage non encore mis en œuvre.
0
100000
200000
300000
400000
2018
2019
2020
2021
Total aides maintenues
Total impayés
Aides maintenues dans le parc privé
Aides maintenues dans le parc social
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
27
Au plan territorial,
l’implication
des Caf est à géométrie variable du fait de restrictions
budgétaires, des ressources disponibles et d’un recentrage sur le
ur
cœur de métier.
Le rôle des Caf est donc particulièrement actif et pourrait être encore accru, au regard
de leur capacité à être informées précocement, mais aussi grâce à leurs moyens d’interaction
directe avec les bailleurs et allocataires, permettant de développer davantage la démarche de
sensibilisation et de préventi
on. L’information des Ccapex sur les décisions de maintien des
aides et la nature des plans d’apurement qui reste aléatoire devrait être renforcée dans le cadre
du rapprochement en cours des systèmes d’information.
1.2.3
Un traitement spécifique et efficace de la prévention des expulsions dans le parc
social
Au regard de leur capacité à connaître rapidement les situations d’impayé, les bailleurs
sociaux sont particulièrement attentifs à la prévention des expulsions alors même qu’ils
perçoivent directement les aides au logement de leurs locataires, lorsque ces derniers sont
allocataires de la Caf ou de la Mutualité sociale agricole (MSA).
Dans ce cadre, nombre de bailleurs sociaux ont développé des services spécifiques avec
des résultats notables. Les statistiques
nationales témoignent de l’efficacité de ces services. Les
données de l’Union sociale pour l’habitat (USH) font ainsi état d’une
réduction du nombre des
locataires concernés par un impayé locatif durant la phase précontentieuse de plus de 75 %.
Pour le parc privé, il est estimé que plus de 90 % des impayés aboutissent à une procédure
judiciaire.
À cette fin, les bailleurs sociaux peuvent mettre en place un plan d’apurement amiable
de la dette, sous forme de convention, qui permet notamment le maintien des aides au logement,
en lien avec la Caf. Cette procédure précontentieuse, menée directement par les bailleurs,
généralement sans recours aux mesures de conciliation du parc privé, a aujourd’hui les faveurs
des bailleurs sociaux. Selon l’USH, 500
000 plans
d’apurement ont été signés en 2020.
Néanmoins, au regard de leur mission et du fait que le bail social est par nature la seule
véritable alternative digne pour les personnes expulsables ou expulsées, la loi Borloo de 2005
50
a prévu la mise en place de protocoles de cohésion sociale (PCS), permettant un maintien dans
le logement des personnes frappées d’une décision judiciaire d’expulsion
au terme d’un long
processus d’accompagnement social. Ces PCS prévoient notamment un plan d’apurement de la
dette sur deux ans, renouvelable, visant à rétablir le bail. Ils peuvent aussi permettre de prendre
le temps de procéder à un changement de logement mieux adapté à la situation personnelle et
financière du locataire défaillant.
En l’absence d’incitation, ces
PCS sont a
ujourd’hui moins
prisés des bailleurs
, même s’ils représentaient 40
% des baux résiliés en 2020
selon l’
USH.
50
Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
28
Graphique n° 4 :
Évolution des actions des bailleurs sociaux dans la prévention des expulsions
Source : Cour des comptes selon données USH. Le présent graphique
présente l’évolution des deux dispositifs
sans corrélation entre leur évolution respective.
Au-delà, en 2020, 19 000 ménages ont été concernés par des effacements de dettes -
contre 25 000 en 2019 et 29 000 en 2018 -
dans le cadre d’un plan de redressement
ou d’une
procédure de rétablissement personnel au titre du surendettement, pour une dette moyenne par
ménage s’élevant à 3
070
€ (3
320
€ en 2019). Le montant moyen des effacements de dettes est
assez fluctuant depuis 2015 et se situe entre 2 500
€ et 3
000
€, avec un pic en 2019 avec
3 320
€.
Graphique n° 5 :
Évolution des effacements de dette dans le parc social
Source : Cour des comptes selon données USH
Nota : la courbe bleue présente le nombre de ménages concernés par un effacement de dette tandis que la courbe
orangée
permet de mesurer l’évolution en euros de la dette moyenne.
Les bailleurs sociaux se sont par ailleurs impliqués, depuis 2014, dans un projet
d’accompagnement social renforcé des ménages les plus en difficulté. Ce programme, intitulé
11%
10,40%
11,10%
12%
0,31%
0,30%
0,26%
0,22%
0,00%
0,50%
1,00%
1,50%
2,00%
10%
10%
11%
11%
12%
12%
13%
2017
2018
2019
2020
Plans d'apurement amiables signés
Plans de cohésion sociale signés par ménage
28000
29000
25000
19000
€2
880
€3
040
€3
320
€3
070
€2
000
€3
000
€4
000
€5
000
0
10000
20000
30000
40000
2017
2018
2019
2020
Ménages concernés par des effacements de dette
Dette locative moyenne affectée par ménage
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
29
« 10 000 logements HLM accompagnés
51
», vise à un suivi accru, en lien principalement avec
des associations sociales qui jouent le rôle de « tiers de confiance » avec les bailleurs et les
ménages. Ces projets accompagnent en moyenne 25 ménages par an pour l’accès et le mai
ntien
dans le logement. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont principalement
concernés (70 % des projets)
52
. Cette action complète les mesures de prévention des impayés
par un renforcement de l’information sur les droits des locataires
et un accompagnement
individualisé.
1.2.4
Le rôle grandissant des commissions de surendettement
Les procédures de surendettement relèvent du code la consommation. Les mesures
décidées par les commissions de surendettement, lorsqu’elles intègrent tout ou partie
de la dette
locative, participent indirectement à la prévention des expulsions.
1.2.4.1.1
Les décisions des commissions de surendettement réduisent l’impayé
Les commissions de surendettement disposent de deux principaux leviers pour traiter de
la dette locative.
Le premier levier est la procédure de rétablissement personnel sans liquidation
judiciaire, qui consiste à effacer les dettes non professionnelles lorsque le débiteur se trouve
dans une situation irrémédiablement compromise (impossibilité de remboursement)
et qu’il ne
possède pas de bien dont la vente pourrait permettre de rembourser une partie des dettes. Cette
procédure peut être diligentée avec liquidation judiciaire lorsque le débiteur dispose de biens
pouvant permettre de procéder à tout ou partie du remboursement et que ce dernier donne son
accord. La liquidation judiciaire a concerné 73 dossiers en 2021.
Le second levier consiste en un plan de remboursement de la dette. Si ce plan est
consenti avec les créanciers, il prend la forme d’un plan conventio
nnel de redressement. À
défaut, l’aménagement de la dette prend la forme de mesures imposées.
En 2021, sur l’ensemble des décisions prises en faveur d’une procédure de
rétablissement personnel (effacement de dette), 56,1 % des cas concernaient au moins une dette
locative. Pour les plans conventionnels de redressement, l’accord entre bailleur et locataire ne
concernait que 7,9 % des dossiers.
51
Appels à projets de 2014, 2016 et 2018 en accompagnement des objectifs gouvernementaux sur le
«
Logement d’abord
».
52
Évaluation du dispositif « 10 000 logements HLM accompagnés », 5 juillet 2019, Algoé consultants
pour le compte de l’USH.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
30
Graphique n° 6 :
Répartition des décisions contenant au moins une dette locative
Source : Cour des comptes selon données Banque de France.
1.2.4.1.2
Un renforcement de la coordination des procédures contentieuses
La législation sur le surendettement permet au débiteur, après avis favorable de la
commission de surendettement, de demander au juge du bail la suspension de l’expulsion
53
. Le
juge saisi peut alors statuer et confirmer la suspension, qui est alors acquise tout au long de
l’instruction du dossier par la commission (fixée au maximum à deux ans) et ce jusqu’à la
validation des mesures imposées ou du plan conventionnel de redressement définitif. Entre
2018 et 2021, 2 546 demandes de suspension ont été adressées au tribunal judiciaire.
L’article 118 de la loi
Élan
54
marque une étape supplémentaire très importante dans la
convergence de la prévention des expulsions : elle permet désormais de coordonner les
procédures de surendettement et de contentieux du bail. Jusqu’alors, le sort de la dette locative
était soumis à deux procédures, et parfois à deux contentieux disjoints parfois contradictoires.
Ainsi, par exemple, un locataire qui bénéficiait d’un plan conventionnel de redressement
n’intégrant pas sa dette locative, risquait de voir le plan remis en cause pour aggra
vation de sa
dette s’il répondait à l’injonction du juge du bail de payer son loyer.
53
Articles L. 722-6 et suivants du code de la consommation.
54
Article portant modification de l’article 24 de la loi n°
89-462 du 6 juillet 1989 et du livre VII du code
de la consommation.
2575
1110
889
820
44286
35098
27356
28761
32416
29179
22395
24784
0
10000
20000
30000
40000
50000
60000
70000
80000
2018
2019
2020
2021
Plans conventionnels de redressement défintifs
Rétablissement personnel sans liquidation judiciaire accordé
Mesures imposées avec effacement partiel ou non
Dossiers recevables avec dette locative
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
31
À l’inverse, les commissions de surendettement pouvaient statuer sans connaître les
décisions judiciaires antérieures.
Depuis le 1
er
mars 2019, le juge du bail et les commissions de surendettement ou le juge
du surendettement procèdent à une information mutuelle de l’état des procédures et
coordonnent leurs décisions, apportant ainsi une cohérence entre les différentes mesures
d’aménagement de dette
55
.
Dès lors, les délais e
t modalités de paiement pour le règlement d’une dette de loyer
accordés antérieurement au dépôt de dossier de surendettement par un juge ne sont pas
suspendus suite à la recevabilité du dossier. Le débiteur doit continuer à payer son loyer courant,
ses charges locatives et sa dette de loyer selon les modalités du jugement pendant toute
l’instruction du dossier de surendettement, jusqu’à la mise en place des mesures de
surendettement.
En revanche, si le jugement n’est pas respecté, le juge de l’exécution peu
t mettre en
œuvre la procédure d’expulsion.
Si cette coordination renforcée en matière contentieuse fait sens, il est préoccupant qu’il
n’en aille pas de même dès la phase précontentieuse. Ainsi, alors que la loi Elan a expressément
prévu la coopération entre les Ccapex et les commissions de surendettement, notamment par la
représentation réciproque possible dans chacune des commissions ainsi que l’échange
d’informations, cette coordination demeure bien souvent théorique. Elle l’est d’autant plus que
les Cc
apex ne disposent pas d’un niveau d’information précis, le système Exploc ne contenant
à ce jour que l’information relative à la recevabilité d’une demande de procédure de
surendettement, sans précision sur la mise en place ou non d’un plan conventionnel d
e
redressement intégrant tout ou partie de la dette locative.
De ce point de vue l’interfaçage existant entre Exploc et le système Suren de la Banque
de France mériterait d’être amélioré, dans le respect des réglementations en vigueur en matière
de protection des données personnelles.
1.2.5
La phase judiciaire peut exclure ou retarder l’expulsion
Depuis le 1
er
janvier 2020, les tribunaux d’instance ont été supprimés
56
et remplacés par
le juge des contentieux de la protection, qui dépend du nouveau tribunal judiciaire.
Le juge saisi peut, s’il estime que le locataire est en mesure de régler sa dette, accorder
des délais de paiement dans la limite de trois ans et ne pas résilier le bail. Dans ce cas, le
locataire doit respecter le plan d’apurement prononcé par le ju
ge, et payer également le loyer
courant. Dans le cas contraire, le bail sera résilié. Le juge peut aussi résilier immédiatement le
bail, fixer les modalités du paiement de la dette (loyers et charges impayés, indemnités
d’occupation, frais de procédure) et
du départ du locataire, avec ou sans délais.
55
La garde des Sceaux a adressé une note explicative aux parquets et aux président
s de cour d’appel et
de TGI le 2 février 2019.
56
Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
32
Si une ordonnance d’expulsion est rendue, le code des procédures civiles d’exécution
57
interdit toute expulsion avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement
d’avoir à libérer les lieux, dès
lors que l’expulsion porte sur «
un lieu habité par la personne
expulsée ou par tout occupant de son chef ».
Le locataire a par ailleurs encore la possibilité de demander des délais de grâce après
l’ordonnance d’expulsion, auprès du juge de l’exécution
après la signification du
commandement d’avoir à libérer les locaux. Le juge dispose de la faculté d’accorder des délais
renouvelables aux occupants de lieux habités dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement,
chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales,
sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.
Ce délai ne peut,
en aucun cas, être inférieur à trois mois ni supérieur à trois ans.
Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté
manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du
propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de
sinistré par faits
de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les
circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en
vue de son relogement.
Ces délais supplémentaires sont donc accordés aux personnes de bonne foi, car le
premier délai légal de deux mois ne peut être réduit ou supprimé qu’en cas de voie de fait
(notamment pour les squatteurs).
Ces délais cumulatifs se combinent avec celui de la trêve hivernale prévue à l’article
L. 412-6 du code des procédures
civiles d’exécution, qui s’étend du 1
er
novembre au 31 mars
de l’année suivante, pendant laquelle toutes les expulsions sont suspendues.
Si l’ensemble des délais de la phase précontentieuse comme de la phase contentieuse
peuvent apparaître comme particuliè
rement longs, ils répondent néanmoins à l’ambition de
maintien des locataires dans le logement en garantissant le temps nécessaire à la reprise des
paiements.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
La prévention des expulsions ne relève pas, à proprement parler, d’une
politique
publique mais plutôt d’interventions publiques élaborées au fil du temps dans un objectif de
maintien dans le logement par la reprise des paiements. Dans ce cadre, la prévention des
expulsions déploie à la fois des dispositifs de suivi et d’acco
mpagnement pour la reprise des
paiements autant que des procédures assurant des délais suffisants pour répondre à cet objectif.
Sans visibilité ni pilotage budgétaire, dotée de moyens humains réduits, la coordination
nationale confiée à la Dihal se constru
it lentement. Elle pâtit par ailleurs de l’absence d’un
système d’information efficient ainsi que d’une action publique déconcentrée et partiellement
décentralisée, par ailleurs structurellement et opérationnellement fragile.
57
Articles L. 411-1 et suivants.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
33
Si la crise sanitaire a renforcé le rôle de cette structure ainsi que les moyens des services
déconcentrés, les enjeux de fluidité et de complétude de l’information, tant sur les situations
individuelles que sur les accompagnements mis en place, seront centraux pour permettre une
inter
vention publique d’ampleur et efficace.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
34
2
UNE POLITIQUE PUBLIQUE QUI RESTE À CONSTRUIRE
Alors que le pilotage national de la prévention des expulsions devient plus cohérent et
lisible avec une compétence affirmée de la Dihal, cette dernière ne dispose pas
aujourd’hui d’un
outil approprié à ses missions. Le système d’information Exploc est, en l’état actuel,
inadapté
tant par rapport aux attentes statistiques permettant un véritable suivi de la politique qu’aux
exigences de mise en œuvre des objectifs natio
naux. Si la refonte du système est engagée, les
projets actuellement menés sont lents à réaliser et incomplets.
Parallèlement, alors que l’État est tenu d’apporter le
CFP quand celui-ci est requis après
une décision de justice exécutoire d’expulsion, les enjeux de relogement et d’hébergement
demeurent négligés. Les mesures spécifiques bénéficiant aux personnes éligibles au droit au
logement opposable (Dalo) sont, elles aussi, peu efficaces.
Dans ce contexte, il aura fallu une crise sanitaire pour observer un sérieux renforcement
des dispositifs publics de prévention des expulsions, intégrant pleinement les enjeux de
relogement, tant avant l’expulsion qu’après celle
-ci.
2.1
Un système d’information défaillant en phase d’évolution
Le système d’information Exploc,
conçu originellement pour assurer le suivi des
procédures d’expulsion, est aujourd’hui l’outil unique consacré à la mise en œuvre de la
prévention des expulsions locatives. Il ne répond correctement aujourd’hui à aucune des
attentes ou missions qui lui échoient. Si un projet de refonte est en cours dans le cadre du plan
d’investissement, le rythme des évolutions reste lent et leurs objectifs demeurent incomplets
pour lui permettre d’être véritablement opérationnel.
2.1.1
Le pilotage interministériel historique d’
Exploc est une source de complexité
Avant d’être encadré par un arrêté du 23 juin 2016, le fichier Exploc a été mis en œuvre,
sans base légale, en 2009 par le ministère de l’intérieur, dans le cadre du suivi des procédures
concourant à l’exécution des expu
lsions avec CFP. Avec le développement des politiques
publiques de prévention des expulsions, la base de données a été progressivement élargie à ces
enjeux dits de « métier ».
En conséquence la gouvernance d’Exploc est interministérielle depuis 2014. Le
mi
nistère de l’intérieur en assure la co
-
maîtrise d’ouvrage avec la DHUP jusqu’en 2019, puis
avec la Dihal depuis 2020. La direction du numérique du ministère de l’intérieur (DNUM) en
assure la maîtrise d’œuvre dont les développements et la maintenance sont
sous-traités à un
prestataire privé dans le cadre de marchés publics établis jusqu’en 2024.
Depuis 2019, dans le cadre du grand plan d’investissement, la refonte du système
d’information a été retenue dans le cadre du fonds pour la transformation publique
(FTAP) pour
être soutenue à hauteur de 2,1
M€.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
35
Des conventions financières sont annuellement passées entre le ministère de l’intérieur
et le ministère de la transition écologique, la charge financière étant répartie sur trois
programmes
58
.
Hors crédits du
FTAP, le coût d’Exploc était de 316
000
€ en 2019 et de 372
000
€ en
2020. Dans leur rapport sur l’amélioration de la gestion administrative de la procédure
d’expulsion locative, l’IGA et le CGEDD évaluaient les emplois concernés au sein de la DMAT
et de la DNUM à 1,75 ETP
jusqu’en 2022
.
La gestion interministérielle d’Exploc aurait dû prendre fin en 2020 avec le transfert des
crédits des programmes 216 et 135 sur le programme 177 au profit d’une gestion unique par la
Dihal. La convention passée en août 202
2 entre les ministères de l’intérieur et du logement
marque l’aboutissement de cette démarche concernant les crédits du programme 216 qui seront
transférés au 1
er
janvier 2023.
2.1.2
Exploc : une base de données gravement défaillante
2.1.2.1
Exploc : en théorie pierre angulaire de la prévention des expulsions
Exploc est le système d’information qui gère le volet préventif de la politique en faveur
du «
Logement d’abord
». Il est, en théorie, le complément de l’action du système d’information
et de gestion de l’hébergement (SIAO) pour la mise en œuvre des deux axes de cette politique
:
sortir les personnes de la rue et éviter qu’elles n’y tombent.
Au plan opérationnel, le système d’information Exploc est censé permettre aux Ccapex
de se voir délivrer les éléments qui leur sont réglementairement communicables
59
, à savoir
l’identification et la composition du ménage, les caractéristiques du logement, la situation par
rapport au logement (état de la procédure d’expulsion, demande de logement social, droit au
logement opposable), la situation financière du ménage et notamment le montant de la dette
locative, les motifs de la menace d’expulsion et les actions d’accompagnement social ou
médico-
social mises en œuvre.
Par ailleurs, Exploc est chargé de la gestion administrative de
la procédure d’expulsion
locative ainsi que des dispositifs de prévention des expulsions locatives.
Son champ d’intervention couvre l’ensemble de la procédure d’expulsion locative, de
la phase amont de détection d’un locataire en difficulté de paiement de son loyer jusqu’au terme
de la procédure et son éventuelle expulsion avec le concours des forces de l’ordre. Dans ce
cadre, la base est interfacée avec la base Adec (actes de procédure signifiés par huissiers).
En tant que système d’information, Exploc
devrait enregistrer la totalité des procédures
d’expulsion pour impayés locatifs engagées au niveau national et le suivi des procédures.
Grâce
à l’interface fonctionnelle mise en place avec les huissiers de justice depuis 2017, Exploc
permet en théorie aux se
rvices déconcentrés de disposer d’une vision exhaustive et actualisée
58
Programmes 216 (depuis 2020, antérieurement programme 307), programme 135 et programme 349.
59
Article 12 du décret n° 2015-1384 du 30 octobre 2015 relatif à la Ccapex.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
36
des procédures d’expulsion en cours en matière d’impayés locatifs
dans le parc privé, ainsi que
d’un certain nombre d’éléments permettant de caractériser la situation des ménages concern
és :
montant du loyer et de la dette, composition de la dette (loyer et charges).
Ce fichier est également utilisé par les forces de l’ordre de certains départements afin
d’assurer le suivi et l’exécution des CFP.
Exploc permet aussi d’organiser les
séances des Ccapex (invitations, comptes rendus),
ou encore d’émettre des courriers à destination des ménages ou des partenaires.
Dans les faits, ce système d’information est profondément incomplet et, à bien des
égards, inopérant.
2.1.2.2
Un système d’information très
difficilement exploitable
Outre que la base de données Exploc ne permet aucune extraction statistique fiable et
qu’elle ne permet donc en rien un pilotage de la politique de prévention des expulsions, celle
-
ci connaît des carences et des défaillances nombreuses.
Au-delà des enjeux de sécurisation des données, les utilisateurs relèvent, au plan
purement fonctionnel, des pertes récurrentes de dossiers, des temps de requêtage très longs
(jusqu’à dix minutes pour obtenir un dossier), un manque de fiabilité des
calculs
d’indemnisation pour les bailleurs ou encore l’absence de visibilité des dossiers prioritaires.
Au plan métier, les données recueillies dans Exploc et fournies par les huissiers sont
souvent incomplètes.
Au-
delà, l’outil ne permet pas d’obtenir l’
ensemble des informations nécessaires. Ainsi,
concernant les actions de la Banque de France, seule la recevabilité des demandes de plan d’aide
face au surendettement sont indiquées sans connaissance de la mise en place effective ou non
d’un plan convention
nel de redressement intégrant tout ou partie de la dette locative.
Concernant les Caf, le maintien ou non des aides n’est pas indiqué, pas plus que la mise en
place de plans d’apurement. Il en va de même avec les bailleurs sociaux et les plans d’apurement
ou de cohésion sociale. Ce constat se retrouve encore avec les conseils départementaux,
pourtant co responsables des Ccapex, quant aux accompagnements sociaux diligentés ou non,
ou sur les diagnostics sociaux transmis aux magistrats dans le cadre des procédures judiciaires.
La mise en place de fonctionnalités nouvelles ou renforcées ne saurait néanmoins préjuger de
la complétude des informations qui reposera alors sur des partenaires nombreux.
Face à cette situation, de nombreuses préfectures indiquent tenir des fichiers internes
spécifiques qui ne permettent aucun suivi national et méconnaissent la législation en matière de
protection des données personnelles.
Enfin Exploc ne permet aucune interface avec les autres bases données du logement
60
.
60
Notamment avec
le système informatique national d’enregistrement des demandes de logement social
(SNE), la base de données Syplo qui permet de gérer le contingent de logements rés
ervataires de l’État, la base de
données ComDalo qui permet de suivre le droit au logement opposable ou encore le SIAO qui permet d’assurer le
pilotage de l’hébergement
.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
37
Ne permettant aucun pilotage national, ne garantissant que très peu de fonctionnalité et
d’ergonomie et ne répondant pas aux attentes minimales d’une prévention effective des
expulsions, le système d’information Exploc ne permet pas aujourd’hui la mise en place d’une
véritable politique publique.
Cette critique, déjà formulée par le député Démoulin dans son rapport, est aujourd’hui
d’actualité, alors que la question des expulsions a été majeure pendant la crise sanitaire.
Si des évolutions profondes du système sont auj
ourd’hui programmées,
que les
dysfonctionnements ont été repérés et sont suivis par la DINUM, leur résolution comme la
réalisation des améliorations restent lentes et aléatoires. Elles et devront par ailleurs respecter
le renforcement des régimes de protection des données personnelles.
2.1.3
Un projet de refonte d’Exploc aussi lent qu’attendu
Depuis 2019, le sujet de la base Exploc a été posé par la Dihal qui a permis de mettre la
refonte de ce système d’information au centre des préoccupations. Le concours du fo
nds pour
la transformation de l’action publique (FTAP), acté en 2019, retenait cinq chantiers majeurs à
mettre en œuvre pour 2022
:
-
interfaçage avec les conseils départementaux ;
-
interfaçage avec les DDFIP pour que les Ccapex aient connaissance de la situation
financière et familiale des personnes suivies ;
-
interfaçage avec les systèmes d’information du logement
;
-
interfaçage avec les bailleurs ;
-
développement d‘un outil d’analyse de données et d’aide à la prise de décision.
D
ans les faits, ce projet a connu des évolutions. L’interfaçage avec les
DDFiP comme
le développement d’un outil d’analyse de données ne semblent plus à l’ordre du jour, et celui
avec les systèmes d’information métier (Syplo, SNE, ComDalo,
etc.
) paraît au point mort. Ces
interfaçages sont pourtant essentiels pour permettre aux services de l’État d’assurer un suivi
des personnes en risque d’expulsion dans leurs démarches pour changer de logement, ou se voir
attribuer un logement dans le cadre du droit opposable et des priorités du plan pour le
«
Logement d’abord
».
À l’inverse, deux projets d’interfaçage sont en cours avec les Caf et avec les bailleurs
sociaux.
Concernant les Caf, le contrat d’interface entre le système d’information de la Cnaf
intitulé Cristal et la base Exploc a été finalisé en février 2022. La mise en production sera
effective au premier semestre 2023. Cette interface est centrale pour le développement
d’Exploc, car elle permettra aux Ccapex de disposer très en amont de l’ensemble des
inform
ations relatives aux allocataires du parc social et du parc privé en situation d’impayés
locatifs. Parmi ces informations figurent notamment le détail des ressources et la composition
familiale de ces ménages, données indispensables pour déterminer la capacité de maintien au
regard du montant du loyer.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
38
Concernant les bailleurs sociaux, le contrat d’interface est en passe d’être finalisé au
début du second semestre 2022
61
. Cet interfaçage permettra de dématérialiser le signalement
règlementaire effectué par l
es bailleurs sociaux à la Ccapex deux mois avant l’assignation. Il
permettra également de disposer de l’ensemble des informations relatives à la situation des
locataires du parc social en situation d’impayé locatif y compris pour les non
-allocataires Caf,
sur la base des fichiers de la réduction de loyer de solidarité (RLS).
Au-
delà de ces deux nouveaux projets, l’interfaçage avec les conseils départementaux a
été engagé à la fin de 2021 dans le cadre de la mise en place des chantiers prévu par le projet
fi
nancé par le FTAP. Les groupes de travail préalables à la conception du contrat d’interface
ont démarré en février 2022
62
. Il sera effectif en 2023. Ce chantier permettra de fluidifier la
relation entre préfectures et conseils départementaux, favorisant ainsi la simplification et la
coordination du traitement des impayés avec les services de l’État. Il permettra aussi d’orienter
vers les services sociaux de droit commun les signalements de ménages menacés d’expulsion
reçus par la Ccapex.
Dans ce cadre de refonte générale, la Cour relève que le traitement Exploc est fondé sur
les dispositions de l’article 7
-2 de la loi Besson issu de la loi Alur
63
, de l’article 12 du décret du
30 octobre 2015
64
et de l’arrêté du 23 juin 2016 pris pour son application. Sauf à méc
onnaître
les droits des personnes en matière de protection des données personnelles, toute
interconnexion, refonte ou élargissement de ce traitement doit se faire dans le cadre,
éventuellement remanié, de ces dispositions réglementaires.
Recommandation n° 4.
(Ministères de la transition écologique, de la cohésion des
territoires et des relations avec les collectivités locales, et de la mer - SGMTE) : Rendre
opérationnel le système d’information Exploc d’ici la fin 2023, au besoin en faisant
évoluer son encadrement réglementaire en vue de garantir la protection des données
personnelles.
61
Le ministère de l’intérieur entreprend parallèlement la création d’une interface spé
cifique intitulée
Publik,
qui est nécessaire à l’interfaçage opérationnel des centaines de serveurs des différents bailleurs sociaux qui
ne possèdent pas de plateforme nationale.
62
Cet interfaçage bénéficiera de la technologie développée dans le cadre du chantier avec les bailleurs
sociaux à travers la plateforme Publik, qui permettra également de relier Exploc avec la multiplicité des serveurs
informatiques des collectivités.
63
Dernier alinéa de l’article 7
-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la
mise en œuvre du droit au
logement, issu de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 : «
La composition et les modalités de fonctionnement de la
commission, notamment du système d’information qui en permet la gestion, sont fixées par décret en Conseil
d’État
».
64
Décret n° 2015-1384 du 30 octobre 2015 relatif à la commission de coordination des actions de
prévention des expulsions locatives.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
39
2.2
Des expulsions sans véritable politique de relogement
Alors que l’État est tenu d’apporter le concours des forces de l’ordre aux décisions
judiciaires exécutoires d’expulsion, aucune véritable politique globale de relogement n’est
malgré cela conduite en dehors du droit au logement opposable, dont les résultats sont peu
encourageants. Le plan quinquennal pour le «
Logement d’abord
», qui vise à réduire le nombre
de sans-
abris et à renforcer l’accès au logement, fait pourtant du maintien dans le logement une
priorité.
2.2.1
Le concours de la force publique aux expulsions
Le CFP
peut être requis pour permettre d’exécuter une décision de justice définitive
d’expulsion. Cette responsabilité incombe aux préfets qui peuvent, dans certains cas, ne pas
octroyer ce concours. Il en résulte alors une responsabilité de l’État do
nnant lieu à
indemnisation du bailleur, financée sur les crédits du programme 216.
2.2.1.1
Le cadre strict du concours de la force publique
Aux termes de l’article L.
153-1
du code des procédures civiles d’exécution
: «
l’État
est tenu de prêter son concours à l’
exécution des jugements et des autres titres exécutoires.
»
Cette procédure s’ouvre lorsqu’un huissier chargé de faire exécuter un commandement
de quitter les lieux (CQL), émis suite à une décision de justice définitive d’expulsion, s’est
heurté à une impossibilité de procéder à son office. Il saisit alors le préfet.
Avant d’accorder ou de refuser le
CFP
, l’administration doit apprécier les conditions de
l’exécution des jugements d’expulsion, selon la règle de l’examen particulier des
circonstances
65
.
La déc
ision de l’administration doit être prise sous deux mois, sauf conditions
particulières qui nécessitent une intervention plus rapide. Passé ce délai, sans réponse de l’État,
la responsabilité de ce dernier est engagée.
Dans le délai de deux mois, le préfet vérifie que la demande de CFP est bien régulière
et obtient des services de police les éléments d’information sur la situation des occupants
notamment.
Si la décision d’octroi est prise, le préfet dispose alors de quin
ze jours pour
l’exécuter.
Deux hypothèses peuvent faire échec ou retarder une expulsion.
65
Il appartient à l’administration de procéder, avant la prise d’une décision, à un examen réel et complet des
données pro
pres à l’affaire (CE, 7 août 1920,
Secrettant
, p. 853), et, d’apprécier plus précisément les conditions
d’exécution du titre exécutoire pour l
equel le CFP est requis (cf. CE, 30 novembre 1923,
Sieur Couitéas
, n°38284,
48688, publié au recueil Lebon), à l'issue d'une instruction pourvue des nécessaires garanties d'impartialité (CE, 2
juin 2010,
Marie-Thérèse A
., n°307772, mentionné aux tables du recueil Lebon).
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
40
Le cas le plus connu est celui la trêve hivernale. Du 1
er
novembre au 31 mars de l’année
suivante, aucune expulsion ne peut intervenir
66
. Cette période n’empêche pas le
s assignations
de se poursuivre, mais interdit toute opération d’expulsion
manu militari
. Durant la crise
sanitaire, la date de fin de la trêve hivernale a été prorogée à deux reprises.
L’autre cas est la signature d’un protocole de cohésion sociale avec u
n bailleur social
67
.
Ce dispositif, qui prévoit la reprise partielle ou totale du paiement du loyer, vaut titre de location
pour un locataire frappé d’une décision judiciaire d’expulsion. Dans ce cas, le préfet ne peut
expulser un locataire présent dans le logement de la volonté même du bailleur.
En dehors de ces cas, le préfet ne dispose que de peu de marge de manœuvre pour refuser
le CFP
. Un tel refus n’est par ailleurs pas sans conséquence puisqu’il lèse le bailleur, lequel est
en droit d’engager la responsabilité de l’État en vue d’être indemnisé.
Dans les faits, les préfets, qui sont aussi chargés de la prévention des expulsions au
travers de présidence des Ccapex, veillent régulièrement à interroger ces dernières dans le cadre
de leur décision. Plusieurs préfectures ont indiqué dans le cadre du présent contrôle, tenir
compte de cette dimension pour décider du CFP.
Il n’en demeure pas moins que les préfets disposent d’un total pouvoir d’appréciation
en l’absence de circulaire ministérielle.
Les bailleurs privés sont les grands absents et les grands perdants
Le droit de propriété est protégé constitutionnellement. Dans le cadre des impayés locatifs, si le bail du
locataire défaillant est résiliable de plein droit, avec ou sans clause résolutoire, les délais pour recouvrer le bien
sont particulièrement longs. Outre les délais inhérents à la procédure du commandement de payer, ce sont ensuite
les délais classiques de la procédure d’assignation et ceux de l’exécution de l’expulsion qu’il faut comptabiliser.
Il
faut donc compter plusieurs mois de rigueur (près d’un an), hors décision éventuelle de suspension de l’expulsion
par le juge. À cela s’ajoute la trêve hivernale.
Les bailleurs privés sont pourtant particulièrement absents des dispositifs de prévention des expulsions,
alors même que la résolution précoce de l’impayé au travers des dispositifs publics d’accompagnement leur
permettrait d’éviter des pertes sèches. Par ailleurs, leur participation active permettrait d’avoir une connaissance
concrète et immédi
ate des situations d’impayés et, par ailleurs, d’obtenir rapidement les coordonnées
téléphoniques des locataires, données qui manquent aujourd’hui cruellement à la prévention des expulsions pour
les sensibiliser et les accompagner.
2.2.1.2
Le refus du concours de la force publique et ses conséquences
Au regard du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs
68
, le refus d’octroi du
concours de l’État à l’exécution d’une décision de justice n’est légal que si des considérations
impérieuses le justifient.
66
Article L. 412-6
du code des procédures civiles d’exécution.
67
Article L. 353-15-
2 du code de la construction et de l’habitation.
68
Article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
41
Dans une décision de 2010
69
, le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser qu’en matière
de CFP
à une décision exécutoire d’expulsion, le refus du préfet n’est légal que si la décision
relève de la sauvegarde de l’ordre public ou en cas de survenance de circonst
ances postérieures
à la décision judiciaire d’expulsion telles que l’exécution de celle
-
ci serait susceptible d’attenter
à la dignité de la personne humaine.
La légalité d’une décision de refus, si elle peut faire échec à une procédure en
responsabilité de
l’État pour faute lourde, n’empêche pas que le bailleur dispose d’un droit à
indemnisation
70
fondé sur la responsabilité sans faute de l’État.
Cette procédure d’indemnisation, qui peut être diligentée par le bailleur sous forme
contentieuse ou amiable, ten
d à faire compenser par l’État le préjudice locatif qu’il a subi.
Ce préjudice repose sur la base du « juste loyer »,
c’est
-à-dire le loyer et les charges
récupérables auprès du locataire durant la période pour laquelle le refus d’intervention de l’État
fait grief.
Les indemnisations des bailleurs sont financées sur les crédits du programme 216 géré
par le ministère de l’intérieur, qui assure également le suivi des décisions de
CFP. En 2019, les
préfets avaient eu à instruire 52 860 demandes de concours, pour lesquelles 35 208 accords
avaient été décidés, soit près de 67 %. Seules 16 210 interventions effectives des forces de
l’ordre avaient néanmoins été mises en œuvre. Ce décalage est en partie dû à des locataires qui
quittent les lieux avant l’exécution
de l’expulsion. Les chiffres de 2020 et 2021 ont connu une
baisse importante, du fait des mesures liées à la crise sanitaire. Concernant les indemnisations
des bailleurs, les procédures amiables sont le plus souvent utilisées.
Tableau n° 2 :
Répartition procédures
amiables et procédures contentieuses pour l’indemnisation
des bailleurs
Nature de règlement des indemnisations de RCFP
2016
2017
2018
2019
2020
Nombre de règlements amiables
6 814
9 431
8 178
6 433
6 372
Nombre de de règlements contentieux (1ère instance)
154
198
256
189
179
% de règlements sur décision de justice sur l'ensemble
2,21
2,06
3,04
2,85
2,73
Source : Cour des comptes selon données du rapport IGA -CGEDD 2021 (données Chorus et Indigo)
Le montant des indemnisations connaît, pour sa part, des évolutions importantes depuis
dix ans. L’augmentation des dépenses entre 2019 et 2020 s’explique principalement par les
mesures prises durant la crise sanitaire en faveur d’un maintien dans le logement.
69
CE, 30 juin 2010,
ministre de l’intérieur c/ SCI Debersy
, n°332259, publié au recueil Lebon. Décision
confirmée le 15 mai 2013, N°343051.
70
Article L. 153-
1 du code des procédures civiles d’exécution.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
42
Tableau n° 3 :
Évolution du montant des indemnisations des bailleurs sur le programme 216
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Indemnisations amiables (M€)
30,68
39,8 34,23
35,35 22,38 40,2
31,04
25,2
26,02
Indemnisations contentieuses (M€)
7,66
6,64
3,84
2,48
3,45
1,9
2,38
2,19
4,26
Total
38,34
46,4
38,07
37,83
25,83
42,1
33,42
27,04
30,28
% des indemnisations contentieuses
19,98 14,31 10,09
6,56 13,36 4,52
7,12
8,10
14,07
Source : Cour des comptes selon données du rapport IGA -CGEDD 2021
Ces données sont intéressantes au regard de l’évolution de la prévention des expulsions.
Si l’on considère l’année 2016 comme celle de mise en œuvre de la loi Alur, on constate qu’en
dehors de l’année 2017, qui aura été marquée par une augmentation des ind
emnisations et donc
des refus de CFP accru
(en conséquence d’un apurement de stock de dossiers antérieurs)
, le
montant des indemnisations est en réalité stable.
2.2.2
Un objectif de maintien dans le logement plutôt que du maintien dans un
logement
Le cadre
d’intervention publique en matière de prévention des expulsions ne prévoit pas
de dispositions particulières, hors droit commun, pour le relogement ou l’hébergement des
personnes expulsées. Pourtant, si le régime juridique de la prévention des expulsions s
’arrête
par nature avec l’expulsion physique des locataires, la question du relogement relève d’une
action publique plus large. Cette question se pose avant l’expulsion
71
, tant en termes d’action
sociale par la recherche d’un logement pécuniairement mieux a
dapté à la situation des
locataires, que pour les ménages bénéficiaires du droit au logement opposable, qui doivent en
théorie être relogés avant expulsion. Au-
delà de l’expulsion, ce sont les orientations du plan
quinquennal «
Logement d’abord
» qui trouv
ent à s’appliquer.
2.2.2.1
Le relogement ou l’hébergement des ménages expulsés n’entre pas dans les
dispositifs de prévention des expulsions
Certaines préfectures usent de méthodes non écrites pour tenter de ne pas mettre de
nouveaux publics dans la rue. Ainsi, certains locataires qui devront être expulsés sont invités à
s’inscrire en amont dans les procédures d’hébergement, dont le niveau de tension est tel
qu’aucune garantie de logement précaire ne peut être assurée en parallèle de l’expulsion.
D’autres agissent
en refusant le CFP, notamment dans le cas de personnes âgées ou de familles
avec enfants en bas âge.
71
Dans son rapport public thématique publié en janvier 2022 sur le Dalo, la Cour des comptes constate
néanmoins que les commissions en charge de la reconnaissance de ce droit attendent une décision judiciaire
d’expulsion pour agir alors même qu’il est ouvert dès la menace d’expulsion.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
43
Si les préfectures disent que nombre d’expulsions se soldent avec un hébergement dans
l’entourage familial ou amical, aucune donnée ne permet aujourd’hui d
e quantifier le nombre
de personnes expulsées sans aucune solution.
Depuis la crise sanitaire, la Dihal tente
d’établir
un bilan mensuel des relogements et
hébergements. Les données transmises à la Cour, basées sur un bilan partiel pour les mois de
juin à octobre 2021, font état de 10 938 CFP octroyés pour 1 586 relogements et 3 086 solutions
précaires d’hébergement, soit 6
266 ménages
auxquels aucune solution de relogement n’aura
été proposée, sans pouvoir quantifier la proportion de ceux mis à la rue.
2.2.2.2
L’
obligation théorique de relogement des ménages bénéficiaires du Dalo
En théorie, la règle est que les ménages Dalo doivent être relogés avant expulsion,
comme l’ont rappelé aux préfets deux instructions ministérielles de 2012
72
et 2015
73
.
L’instruction de 20
12 rappelle le cadre légal
74
prévoyant que les ménages menacés
d’expulsion sans relogement peuvent déposer un recours auprès de la commission de médiation
Dalo, sans avoir à attendre que le délai anormalement long d’attente d’un logement social soit
dépassé
. L’instruction précise que «
le législateur a entendu créer, pour les ménages dont le
Dalo est reconnu, une obligation de relogement (…). Dans ces conditions, il apparaît
paradoxal que le préfet, sur lequel pèse cette obligation, prête son concours à l’ex
pulsion du
ménage avant que le relogement ne soit effectif.
» L’instruction de 201
5, en appelant à
«
appliquer pleinement l’instruction (…) du 26 octobre 2012
», donne les modalités
d’utilisation du contingent préfectoral.
Ces
circulaires n’ont néanmoins p
as de portée juridique contraignante. En effet, si les
préfets ne peuvent décider de refuser le CFP
sans motif impérieux, la reconnaissance d’une
qualité de priorité Dalo ne fait pas obstacle, selon le Conseil d’État
75
, à l’expulsion de
l’occupant qui en bénéficie. La Cour d’appel de Paris
76
a par ailleurs décidé qu’un occupant
Dalo sous le coup d’une décision d’expulsion avec
CFP
ne pouvait se prévaloir de l’instruction
de 2012 pour faire obstacle à l’exécution de son expulsion par les forces de l’ordre.
Dans ce cadre, si les Ccapex peuvent alerter les préfets dans le cadre des procédures
d’octroi du
CFP, celles-ci ne disposent pas du droit de les interrompre. Sans autorité sur les
commissions Dalo, elles ne peuvent non plus imposer de relogement.
En conséquence, si les préfets veillent effectivement à suivre les situation Dalo
spécifiquement, ils ne peuvent être tenus par une interdiction d’expulsion. Leur marge de
manœuvre est, de fait, très réduite. Un refus de
CFP entraînera par principe une indemnisation
72
Instruction du 26 octobre 2012, n° NOR INTK1229203J des ministres de l’intérieur et de l’égalité des
territoires et du logement.
73
Instruction du 6 février 2015, annexe 1 n° NOR ETTEL1501345J de la ministre de logement, de
l’égalité des territoires et de la ruralité.
74
Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (Dalo).
75
CE, ordonnance du 11 février 2010, ministre de l’intérieur, n° 329927.
76
Arrêt n°17PA01732 du 27 décembre 2017.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
44
du bailleur et un risque avéré de responsabilité de l’État. Ce refus pourrait, par ailleurs, entraîner
des décisions du juge administratif faisant obligation au préfet de faire procéder à l’expulsion.
Si le relogement dans le cadre des commissions Dalo reste la meilleure hypothèse,
encore faut-il que les logements disponibles dans le cadre du contingent soient suffisants, qui
plus est au regard d’autres situations prioritaires
examinées dans ce cadre et relevant d’un
caractère tout aussi urgent
77
.
La quadrature du cercle du relogement des Dalo expulsés à Paris
Par courrier du 14 mars 2013, le ministre de l’intérieur alertait le Premier ministre sur les difficultés
d’application de l’instruction du 26 octobre 2012 au regard de la situation parisienne. Le ministre faisait alors état
de 1 300 logements annuellement disponibles dans le cadre du contingent préfectoral, sur lesquels 81 % étaient
d’ores et déjà réservés aux ménages Dalo. Le ministre de l’intérieur alertait par ailleurs sur l’augmentation
substantielle des indemnisations du programme 216, qu’un refus systématique d’expulsion des ménages Dalo ne
pouvait que faire croître encore. Cette alerte n’aura pas connu de réponse.
Quelques années plus tard le préfet de police de Paris, en janvier 2019, interpellait le préfet d’Île
-de-
France sur le même sujet. Rappelant que 737 procédures de CFP étaient requises contre des occupants Dalo, le
préfet de police insistait sur la poursuite d’une coopération forte pour signaler ces situations et tenter de les reloger
en amont d’une expulsion. Il insistait sur les refus de
CFP donnant lieu, pour quatre situations, à des injonctions
du juge administratif de procéder à l’expulsion. Dans le même esprit, en mars 2022, le préfet de police de Paris
confirmait à son homologue d’Île
-de-France la doctrine de non-expulsion des Dalo et les contraintes juridiques
qui en résultaient.
Dans les faits, la préfecture de police accorde des délais avant octroi du CFP afin de permettre le
relogement, conformément à la circulaire du 26 février 2012. Elle est aussi conduite, dans ce cadre, à accorder des
concours à effet différé, tout en informant les acteurs en charge de la prévention des expulsions que les demande
de relogement au titre du droit au logement opposable soient examinées prioritairement avant mise en œuvre des
CFP.
Ce travail en intelligence, dans un contexte particulièrement complexe, donne des résultats qui, à défaut
de parvenir à n’expulser aucun ménage Dalo, traduisent néanmoins une gestion réelle de la contrainte.
Source
: Préfecture de police de Paris
Il résulte de ces constats que si les bénéficiaires du Dalo sont effectivement expulsables,
l’effort de relogement demandé à l’État antérieurement à l’expulsion ne se poursuit pas par un
77
Dans son rapport publié en janvier 2022 sur le Dalo, la Cour des comptes estime que «
si les données
disponibles pour vérifier le respect des
obligations légales souffrent de défauts de fiabilité (…), les ordres de
grandeur dont disposent les services de l’État pour vérifier le respect de la loi révèlent des taux très inférieurs aux
minima légaux et, par conséquent, une moindre offre de relogement, alors même que 78 000 ménages attributaires
d’un Dalo sont en attente d’une proposition
. »
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
45
suivi automatique des foyers expulsés. Plus largement, alors même que le plan « Logement
d’abor
d » tend à réduire le nombre de personnes sans solution de logement, il semblerait
cohérent de ne pas attendre l’expulsion ferme des locataires suivis dans le cadre de la prévention
des expulsions pour les intégrer dans les dispositifs de droit commun de l
’hébergement et de
l’accès au logement.
Recommandation n° 5.
(D
élégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement)
: Mettre en œuvre un suivi spécifique des bénéficiaires du Dalo ayant
été
l’objet d’une expulsion par concours de la force publique.
Recommandation n° 6.
(Délégué inte
rministériel pour l’hébergement et l’accès au
logement) : Prendre en compte, dès la phase de prévention des expulsions, les besoins
de logement et d’hébergement des ménages de bonne foi dont l’expulsion est inévitable
dans le cadre du plan «
Logement d’abo
rd ».
2.3
La crise sanitaire a renforcé la prévention des expulsions et favorisé
l’expérimentation de nouvelles pratiques
Avec les périodes de confinement pendant a crise sanitaire,
l’objectif de maintien dans
le logement
, malgré les situations d’impayés, est
devenu un motif impérieux dans le cadre de
l’état d’urgence.
Dans ce contexte, l’État s’est particulièrement mobilisé, tant sur le plan social
qu’en matière de prévention effective des expulsions.
2.3.1
Un suivi et un accompagnement social renforcés
Au plan de la prévention des expulsions, le suivi et la détection des situations fragiles
ont été particulièrement renforcés. Au-
delà de la mise en place d’un observatoire des impayés
locatifs, les moyens déconcentrés ont été accrus. En termes de moyens humains, 26 équipes
mobiles ont été déployées sur les plus grandes agglomérations pour aller au-devant des
personnes éloignées ou inconnues des dispositifs sociaux. Le budget qui y a été consacré s’est
élevé à 8
M€ sur deux ans (2021
-2022) dans le cadre de la stratégie nationale de lutte et de
prévention contre la pauvreté. Parallèlement, un renfort exceptionnel de 73 chargés de mission
dans 69 départements a été alloué pour soutenir l’effort territorial de sortie de crise des services
déconcentrés et appuyer leur miss
ion de mise en œuvre territoriale. Le budget alloué s’est élevé
à 6,6
M€ sur deux ans (3,7
M€ en 2021 puis 2,9
M€ en 2022) attribué, là encore, dans le cadre
de la stratégie nationale de lutte et de prévention contre la pauvreté.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
46
L’accompagnement social a
été également renforcé par un abondement de 30 MF du
FSL sur deux ans, à compter de 2021. Par instruction du ministre du logement
78
, les droits au
FSL ont été élargis en ouvrant les plafonds de ressource au moins à 1,1 Smic, en supprimant
tout plafond de mo
ntant de la dette locative, en ne conditionnant plus l’aide à une reprise
préalable des loyers et en enlevant tout critère de composition familiale. 29 départements
volontaires ont décidé d’être partie prenante de cette enveloppe qui nécessitait un
cofinancement par le FSL
79
.
2.3.2
Des mesures de prévention effective des expulsions
Les mesures prises durant la période de crise sanitaire ont consisté en une extension et
un renforcement du droit commun.
Les mesures les plus emblématiques ont été la prolongation de la trêve hivernale
jusqu’au 31 mai puis 10 juillet 2020
80
la première année et jusqu’au 31 mai 2021
81
pour la
seconde année.
Parallèlement, plusieurs instructions de gestion de crise et de suivi de la fin des trêves
hivernales ont été adressées aux services déconcentrés
82
à l’appui d’un troisième plan d’action
interministériel de prévention des expulsions mobilisant sept ministères.
Le Gouvernement a créé 21
000 places d’hébergement supplémentaires et requis un
renforcement du dispositif «
Logement d’abord
»
83
en prévoyant différentes mesures pour
l’hébergement et le logement, dont la construction de logements très sociaux
84
.
Dans ce cadre, les préfets ont reçu instruction d’assortir toute décision d’expulsion d’une
proposition de relogement et d’exclure toute re
mise à la rue « sèche
» du parc d’hébergement,
même après le 10 juillet 2020. De la même manière, les préfets ont été sollicités pour prioriser
et échelonner l’octroi des
CFP « en fonction du degré de précarité financière du bailleur et de
la vulnérabilité des occupants ».
Ces instructions se sont traduites dans les faits par une baisse significative des
expulsions avec CFP, qui sont passées de 16 210 en 2019 à 8 156 en 2020 et 12 000 en 2021.
Pour accompagner ces mesures, le programme 216 a été abondé de 10
M€
respectivement en
2020 et 2021 de crédits du ministère du logement.
78
Instruction du 2 juillet 2020.
79
Selon l’Association des départements de France, neuf départements, sur 34 ayant répondu à leur
enquête, déclaraient avoir constaté une augmentation des dépenses de FSL pendant la crise.
80
Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prolongeant de la trêve hivernale jusqu'au 31 mai puis
amendement gouvernemental adopté dans le cadre de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prolongeant la trêve
jusqu’au 10 juillet 2020
.
81
Ordonnance n° 2021-141 du 10 février 2021 prolongeant la trêve du 1
er
avril au 31 mai 2021.
82
Instruction ministérielle D20008000 du 2 juillet 2020 de sortie de trêve hivernale 2020 ; Instruction
interministérielle NOR INTK211638J du 26 avril 2021 de sortie de crise.
83
Dans son rapport d’octobre 2020 sur le «
Logement d’abord
», la Cour constatait que près de 300 000
personnes étaient sans logement en France avant même la crise sanitaire, et que les premiers résultats du plan
étaient en-deçà des objectifs et des attentes.
84
Instruction du ministre du logement D20006369 du 3 juin 2020.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
47
Par instruction interministérielle du 29 mars 2022, le Gouvernement a souhaité
poursuivre les orientations antérieures à l’issue de la trêve hivernale redevenue échue
au 31 mars comme auparavant.
Une expérimentation innovante de la justice civile en Seine-Maritime
Durant la crise sanitaire et face à l’absence importante des défendeurs aux audiences d’expulsion (70,4
%
des audiences en 2020), qui par nature fait échec à toute possibilité de suspension et de mise en place de plans
d’apurement, le tribunal judiciaire de Rouen s’est engagé, en partenariat notamment avec le comité d’accès aux
droits de Seine-Maritime, à promouvoir et faciliter les résolutions amiables.
Dans ce cadre, un conciliateur est désormais présent en marge de chaque audience et dispose de locaux attenants
à la salle de délibéré. Le magistrat indique préalablement à l’ouverture de l’audience qu’une résolution amiable
est possible sans délai. Si un accord est trouvé entre bailleur et locataire, il est immédiatement transmis au juge de
la protection. À défaut, l’audience reprend. Par ailleurs, les délibérés accueillent désormais les défendeurs
accompagnés de « tiers taisants
», dont la mission s’apparente à celle de sou
tien moral ou de confiance. En 2022,
15
% des dossiers ont connu une résolution amiable en marge de l’audience.
Recommandation n° 7.
(Ministère de la justice - DACS) : Après évaluation de
l’expérimentation
faite par le tribunal de Rouen, encourager les démarches de
conciliation en lien avec le contentieux du bail.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Rendre opérationnel le système d’information Exploc, dans le respect du droit de la
protection des données personnelles, fait figure d’urgence absolue pour bâtir une véritable
action publique de prévention des expulsions. Sans outil statistique ni de pilotage, sans
opérationnalité de l’outil sur le terrain, il est illusoire d’imaginer conduire une action publique
efficiente.
Une fois cette étape franchie, l’objectif de maintien
dans le logement devra être
complété d’une politique en matière de relogement et d’hébergement des personnes expulsées,
qui fait aujourd’hui défaut.
Les décisions prises durant la crise sanitaire, en accroissant les moyens de
l’accompagnement social des lo
cataires défaillants et en restreignant au maximum les
expulsions, ont montré qu’il était possible de mener une politique de prévention efficace qui
pourrait désormais être pérenniser.
LA PRÉVENTION DES EXPULSIONS LOCATIVES
48
CONCLUSION GENERALE
La prévention des expulsions locatives repose principalement sur la capacité à détecter
très tôt les situations de fragilité qui peuvent
conduire à l’
expulsion des locataires. Dans ce
cadre, le rôle des travailleurs sociaux, mais aussi celui des bailleurs privés et publics, doivent
être renforcés. À défaut de pouvoir prévenir le non-paiement des loyers, l
’amélioration
des
dispositifs de conciliation reste un moyen efficace pour éviter les contentieux.
L’action publique
,
telle qu’elle est actuellement conçue, qui intervient théoriquement
au stade du commandement de payer, est déjà tardive. Les délais nécessaires pour sensibiliser
les locataires, à condition de trouver comment les contacter, ainsi que ceux
de mise en œuvre
des procédures d’accompagnement, excèdent souvent ce que les bailleurs peuvent
raisonnablement supporter, surtout pour ceux dont le loyer constitue un revenu essentiel. Cette
situation peut même être à l’origine du choix de ne pas louer des locaux vacants à usage
d’habitation.
Alors que les résolutions à l’amiable font la preuve de leur
efficacité, les assignations
devant le juge de la protection restent les plus nombreuses, ce qui atteste
de l’inefficacité d’une
prévention précoce à ce jour.
Afin de garantir le maintien des occupants dans le logement, les prochains plans
interministériels de prévention des expulsions devront veiller à améliorer substantiellement la
coordination et l’efficience des leviers d’action. Dans ce cadre, un travail renforcé avec les
départements et les métropoles compétentes devra être mis en œuvre pour que les a
ides
d’accompagnement
financier soient à la hauteur des enjeux. Ces réflexions devront être menées
avec tous les acteurs.
Parallèlement il ne serait pas incohérent de prolonger l’objectif d
u maintien dans le
logement à celui du maintien dans un logement en application du plan gouvernemental pour le
« L
ogement d’abord
»
. Dans ce cadre, il est difficilement compréhensible d’observer que les
publics expulsés doivent, dans la majorité des cas, reprendre dès le début la procédure de droit
commun d’hé
bergement et de relogement, la situation des ménages éligibles au Dalo étant
emblématique de ce paradoxe.
Enfin, et plus marginalement, alors que les situations individuelles d’impayé peuvent
relever de causes multiples, il apparaît que celles liées à des pathologies relevant du champ
psychologique et psychiatrique sont régulièrement observées par les préfectures. Cet aspect,
déjà abordé dans les plans territoriaux de santé mentale
85
,
mériterait d’être mieux pris en
considération dans les dispositifs de prévention des expulsions.
Accroître l’efficience et la cohérence de la prévention des expulsions locatives n’est en
fin de compte pas seulement une nécessité pour améliorer la situation de ménages vulnérables
mais un objectif concourant à la plus grande effic
acité de l’effort public en faveur du logement.
85
Instruction ministérielle DGOS/R4/DGCS/3B/DGS/P4/2018/137 du 5 juin 2018.