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Présentation à la presse du rapport sur la sécurité sociale
Conférence de presse
Mardi 4 octobre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous présenter
l’édition
2022
de notre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
J
’ai
à mes côtés Véronique HAMAYON, nouvelle présidente de la sixième chambre et
Stéphane SEILLER, conseiller maître, qui est le rapporteur général de ce rapport. Je salue
également la présence dans la salle du rapporteur général adjoint, Thibault PERRIN. Je
voudrais aussi mentionner le rôle majeur de Denis MORIN, président, jusqu
il y a peu, de la
sixième chambre, dans la conception de ce rapport important. Je souhaite les remercier
chaleureusement
pour leur implication, ainsi que la vingtaine d’autres rapporteurs
qui ont
contribué à ce travail lourd, approfondi et que je crois utile.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre
de la mission constitutionnelle
d’assistance de la Cour au Parlement et au
Gouvernement
. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2023
. J’i
rai
d’ailleurs
demain devant les commissions
des affaires sociales de l’Assemblée et
du Sénat pour présenter nos constats et recommandations.
Ce rapport intervient cette année dans un contexte nouveau.
Les tensions économiques,
notamment inflationnistes, résultant de la guerre en Ukraine sont un sujet de préoccupation.
La nécessité d’adapter notre société toute entière aux conséquences du dérèglement
climatique est également au centre du débat public. Et la lutte contre la pandémie de Covid
19, qui a
continué à peser sur les dépenses de l’assurance maladie en 2021 et 2022
, laisse
une empreinte durable sur la dette et les déficits publics.
Comme chacun le sait, les transferts sociaux jouent partout, et essentiellement dans
notre pays un rôle essentiel, comme ils viennent de le prouver en amortissant
efficacement les conséquences de la crise sanitaire.
Pilier
de la République, la protection
sociale, pour être solide
demain comme elle l’a été hier,
doit être efficace. Elle ne peut
s’installer
durablement
dans l’accumulation non maîtrisée de déficits. Rappelons qu’une
branche maladie ou une branche retraite déséquilibrées, ce sont des dépenses de soins ou
des pensions
d’aujourd’hui financées par nos enfants ou nos petits
-enfants plus tard. Ces
derniers auront à assumer, demain et après-demain, les nouvelles dettes auxquelles nous
avons recours aujourd’hui.
Le rapport qui vous est présenté montre qu’il n’est pas possibl
e de différer plus
longtemps l
’engagement d
es réformes dont la sécurité sociale a besoin.
C’est un travail
de longue haleine, qui devra être conduit avec courage et constance dans les années qui
viennent, en suivant une trajectoire de redressement, qui soit explicite et solide.
J’aurai
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Seul le prononcé fait foi
l’occasion dans quelques instants d’évoquer les éléments de prévision figurant en annexe au
PLFSS 2023.
*
La Cour est consciente des difficultés que présente le redressement des comptes de la
sécurité sociale
. Par ses travaux, elle identifie de nombreuses
marges d’efficience,
notamment dans les domaines
de l’assurance maladie ou de la retraite.
Le rapport qu’elle consacre à l’application des lois de financement de la sécurité sociale
présente
un ensemble d’
évolutions nécessaires.
Je note
d’ailleurs
avec intérêt que le
PLFSS, cette année, comporte de nombreuses propositions qui prennent acte de nos propres
avis.
À travers ce rapport,
-
La Cour dresse le bilan tiré de l’application de quelques réformes récentes,
dans une démarche
d’
évaluation.
Nous avons identifié des insuffisances, mais
aussi des réformes réussies, dont il peut être tiré quelques enseignements pour
l’avenir
;
-
Elle
souligne la nécessité d’améliorer la qualité de l’action publique et des
services rendus aux assurés sociaux
,
tout en contribuant à l’effort de maîtrise
des dépenses
; quelques exemples illustrent l’intérêt d’engager
un nouveau
chantier de réformes, mais ciblé et
avec un souci de cohérence d’ensemble
.
***
1. Je souhaite
d’abord
rappeler la situation financière actuelle de la sécurité
sociale, ainsi que ses perspectives dans les prochaines années,
au vu des dernières
données disponibles communiquées par la commission des comptes de la sécurité sociale,
ainsi que de la trajectoire financière quadriennale présentée par le Gouvernement en annexe
au PLFSS 2023.
Le déficit 2021
de la sécurité sociale, qui s’est
très
élevé à 24,3 Md€, reste à un niveau
très élevé.
D’autant que, vous le savez, la Cour a signifié, par son refus d’approuver les
comptes 2021 de l’Acoss et des Urssaf, que 5 Md€ de recettes de prélèvements sociaux
ont
été indûment
rattachés à l’exercice 2021. S’ils avaient
tous
été rattachés à l’ex
ercice 2020,
comme la Cour le demandait,
le déficit tous régimes
2021 aurait été de 29,3 Md€,
soit une
réduction par rapport à 2020
de 5,4 Md€
, et non
de 15,4 Md€
comme affiché.
En 2022, je note par ailleurs la persistance d
un déficit structurel, hors dépenses liées
à la crise sanitaire, équivalent à celui de 2021, aux alentours de 6
Md€
. Ce déficit de
nature structurelle est préoccupant.
À nouveau, la Cour souligne la nécessité d’un programme pluriannuel de réformes dans les
domaines de l’assurance
-maladie et des retraites, qui permette à la sécurité sociale de revenir
à un équilibre financier qui soit pérenne.
Or, une telle orientation
n’apparaît pas dans le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2023.
Le PLFSS prévoit certes une réduction du déficit de la sécurité sociale qui
passerait de près de 18
Md€ en 2022 à moins de 7
Md€ en 2023. Mais cette réduction du
déficit repose sur une hypothèse optimiste, celle de la division par 10 des dépenses
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Seul le prononcé fait foi
exceptionnelles d’assurance maladie dues à la crise sanitaire.
Dans son avis sur le PLFSS
2023, le Haut conseil pour les finances publiques a considéré que cette estimation, qui
suppose notamment que les dépenses de tests soient divisées par 20 par rapport à 2021,
risquait de se révéler très insuffisante.
La croissance des dépenses d’assurance maladie hors crise sanitaire serait,
dans le
PLFSS, inférieure à la hausse des prix,
ce qui
suppose des effets vertueux
d’ajustements
importants des professionnels et des établissements de santé. C’est un objectif
très
volontariste
, dont les exercices passés nous ont montré qu’il est
très incertain. Les dépenses
structurelles pourraient être le cas échéant sous-estimées. À notre avis, le déficit pourrait donc
s’inscrire à un niveau plus élevé que celui prévu,
indépendamment même des incertitudes qui
affectent l’environnement macroéconomique.
À cela
s’ajoute que
le montant de 123
Md€ de déficits sociaux que la caisse
d’amortissement de la dette sociale (Cades) a été autorisée à reprendre sera atteint en
2023
.
Pour continuer d’absorber des déficits sociaux, à structure de recettes inchangée, il
faudra donc prolonger sa durée de vie au-delà du terme prévu de 2033. Nous ne devons pas
nous voiler la face : il existe un risque réel de croissance continue
de l’endettement social, au
détriment des générations futures. Fin 2022, il atteindrait environ 160
Md€
.
Pour 2024 et 2025, les annexes au PLFSS prévoit un déficit de la sécurité sociale qui
repartirait à la hausse, avant de se tasser quelque peu par la suite.
En 2026, il s’é
lèverait
à près de 12
Md€.
Malgré des transferts en sa faveur, au détriment de la branche famille, la
branche maladie serait encore en déficit de près de 3
Md€.
Encore faut-il souligner que ce
niveau de déficit supposerait une stabilisation des
dépenses de l’Ondam en termes réels.
Les
efforts correspondants d’économies restent à
définir et à
mettre en œuvre.
Le déficit de la
branche vieillesse et du FSV atteindrait quant à lui près de 14
Md€, contre moins de 2
Md€ en
2021, en raison de la dégradation de la situation financière des régimes de retraite de base
des salariés du secteur privé et des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
La dégradation tendancielle du déficit prévisionnel
de la sécurité sociale est d’autant
plus préoccupante qu’elle
repose sur des prévisions de croissance économique
considérées comme optimistes par le Haut conseil pour les Finances publiques,
dans
son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à
2027. Ce qui me conduit à dire que la trajectoire prévue
de retour à l’équilibre puis de
désendettement semble peu crédible
aujourd’hu
i ; il est prioritaire de la revoir, et de
documenter précisément les mesures de redressement nécessaires.
Par ailleurs, le rapport souligne aussi combien la multiplicité et les fréquentes
modifications des sources de financement et des flux financiers affectent la
compréhension des soldes des branches et du FSV
. La Cour propose que les sources de
financement des différentes branches soient clarifiées, simplifiées et stabilisées.
Il ne s’agit
pas d’un sujet théorique, mais
, bien au contraire, des modalités pratiques du redressement de
la sécurité sociale dans la durée. Si les exigences de clarté, de rigueur et de stabilité ne sont
pas bien prises en compte, le respect des trajectoires pluriannuelles prévues pour les
différentes branches ne pourra pas être garanti.
Enfin, de 2010 à 2021, les dépenses de soins de ville ont augmenté trois fois plus vite
que l’inflation.
La Cour considère que les professionnels libéraux de santé doivent davantage
contribuer aux priorités nationales de santé tout en respectant les objectifs de dépenses liés
à la trajectoire pluriannuelle du risque maladie. Cette orientation devrait être, à notre sens, au
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Seul le prononcé fait foi
centre des prochaines négociations entre
l’assurance maladie et
les syndicats des professions
libérales de santé. Voilà pour les objectifs financiers.
***
2.
J’en viens maintenant à mon deuxième point
: nous avons évalué trois
réformes récentes pour évaluer si leurs objectifs avaient été atteints.
-
La première porte sur la prestation d’accueil du jeune enfant («
la Paje »).
Nous
nous sommes intéressés aux deux principaux dispositifs versés sous condition de ressources
:
la
prestation partagée
d’éducation de l’enfant
(Prépare), créée en 2014, qui indemnise
les périodes de cessation d’activité durant les trois premières années de l’enfant, et le
Complément de libre choix du mode de garde
(CMG), créé dix ans plus tôt,
qui aide les
familles à financer la garde des enfants de moins de six ans par des tiers, tous deux
réaménagés au milieu de la dernière décennie.
Nous constatons que la Prépare a échoué à atteindre ses objectifs.
Elle gagnerait à être
recentrée sur les arrêts d’activité des parents durant la seule première année de l’enfant et
accompagnée d’une indemnisation plus élevée. Les barèmes du CMG, quant à eux, sont
défavorables aux familles les moins aisées, qui ne sont pas réellement libres du choix du mode
de garde de leurs enfants. Les barèmes devraient donc être réaménagés pour permettre aux
familles les plus modestes de recourir davantage à l’ensemble des modes de garde externe.
J’ai noté que le PLFSS prévoit une mesure qui modifie le CMG dans le sens que nous
recommandons, sans toutefois toucher à la Prépare
. Nous pensons aussi qu’il serait
opportun de faire évoluer les deux dispositifs de manière cohérente et concomitante
,
pour en
garantir une meilleure efficacité tout en évitant un coût supplémentaire à la branche famille,
voire en lui permettant de moindres dépenses.
-
La deuxième réforme que nous avons examinée concerne les modes de calcul et
de versement de celles des prestations sociales qui dépendent des ressources de leur
bénéficiaires.
S’il est séduisant de vouloir calculer
automatiquement les prestations à partir des
données les plus récentes, « contemporaines », relatives aux salaires ou aux revenus
de remplacement perçus par les bénéficiaires, l’expérience des
aides personnalisées
au
logement (APL)
montre les risques
à
maîtriser.
Nous faisons
plusieurs
recommandations, et nous invitons l’administration à en tenir compte dans le cadre des
expérimentations prévues du principe de « solidarité à la source », souhaité par le Président
de la République.
La priorité, pour le versement des prestations financées par la solidarité nationale, reste
le paiement exact à qui de droit et en temps et en heure.
En outre, les mécanismes
automatiques obligent à conduire le chantier de simplification des bases ressources servant
au calcul des prestations sociales. Ce chantier indispensable devrait avoir pour objectif
d’homogénéiser la définition des salaires pris en compte pour les diverses prestations.
-
Le dernier exemple porte sur le transfert au régime général de la gestion de la
sécurité sociale des travailleurs indépendants, du fait de la suppression du Régime
social des indépendants
. Cette opération est globalement réussie. Nous pensons que
l’administration doit s’attacher maintenant à pousser les réformes au
-delà des sujets
d’organisati
on de la gestion pour traiter les problèmes de fond qui subsistent en matière de
protection sociale de ces catégories professionnelles importantes pour l’économie de notre
pays.
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Seul le prononcé fait foi
Il s’agit notamment de l’équité du prélèvement social à la charge des travail
leurs
indépendants par rapport à celui des salariés
, de l’équit
é de ce prélèvement entre les
différentes catégories d’indépendants et de la complétude de la protection sociale de ces
derniers.
***
3.
J’en arrive maintenant à mon troisième et dernier
point
: l’amélioration
de la qualité et la maîtrise de la dépense dans le champ de la protection sociale : à notre
sens, cela nécessite une approche méthodique, ferme, engagée, domaine par domaine,
si l’on veut
que chaque
euro d’impôt ou de cotisation soit utilement dépensé dans
l’intérêt de nos concitoyens. Nous avons examiné quatre domaines, qui font apparaître
chacun d’eux de très nettes marges d’amélioration.
-
Les deux premiers concernent le champ de la santé et de l’a
ssurance
maladie
, dont j’ai déjà souligné qu’il doit constituer
un terrain de réforme prioritaire.
Nous savons tous combien la situation de l’hôpital public appelle des efforts
particuliers.
Les personnels attendent les mesures, notamment d’organisation, de gestion et
de répartition plus juste des moyens. De meilleures conditions de travail sont nécessaires pour
que
leur engagement, dont on a vu qu’il peut être sans limite, puisse s’exprimer
librement.
No
tre conviction est qu’une autre clé se trouve du côté de
la médecine libérale, dont les
activités interagissent avec le secteur hospitalier.
Nous avons choisi pour illustrer cela
deux activités distinctes, la radiologie et la radiothérapie.
Elles mettent en exergue des problématiques similaires : une répartition territoriale
insatisfaisante,
des procédures d’évaluation et de prise en charge de l’innovation
limitées, et
des actions insuffisantes
d’amélioration de
la pertinence des actes, une connaissance
sommaire des activités réalisées et de leur coût, et une inadéquation de la tarification des
activités, avec un impact sur les rémunérations des professionnels, qui constitue une perte
d’attractivité
préoccupante pour
l’hôpital.
Nous pensons que des réponses doivent être apportées rapidement à ces
problématiques.
-
Un autre exemple concerne un aspect majeur pour la qualité de la prise en charge
ou de l’accompagnement de nos concitoyens âgés ou en situation de handicap.
Il s’agit
des conditions de travail des personnels du secteur médico-social.
Nous les avons
analysées, et ce de manière inédite à travers le prisme des accidents du travail ou des
maladies professionnelles.
La fréquence des accidents ou les maladies auxquels sont exposés les salariés de
certaines catégories d’établissements, notamment ceux des Ehpad,
est trois fois
supérieure à celle constatée
dans l’ensemble des secteurs de l’économie toute entière
.
Nous avons montré que l’amélioration
progressive
du taux d’encadrement, c’est
-à-dire le
nombre des salariés disponibles pour prendre en charge et accompagner les personnes,
permettrait, non seulement d’améliorer la qualité des services rendus à ces personnes, mais
aussi de réduire fortement le nombre des accidents et des maladies professionnels. En
d’autres termes,
nous avons détecté le
cercle vicieux de l’économie
aveugle qui engendre des
dépenses supplémentaires.
-
Le dernier exemple
d’amélioration de la qualité et de l’efficience
concerne un
aspect mal connu de notre système de retraite
. Il s’agit des droits familiaux attribués aux
parents au titre de leurs enfants. Ces droits représentent tout de même
près de 20 Md€ de
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Seul le prononcé fait foi
dépenses annuelles. Ils ont été institués il y a cinquante ans ou plus, à une époque où les
familles étaient plus nombreuses et les mères travaillaient considérablement moins. Ces
dispositifs complexes accordent des trimestres mais sans compenser suffisamment les pertes
de salaires subies par les mères. Nous recommandons une remise à plat pour corriger cette
injustice, sans dépenses nouvelles.
***
Mesdames et messieurs, pour conclure, je veux revenir sur le message principal du
rapport.
Il est impératif de
mettre fin à l’accroissement continu de la dette sociale, en
remettant
rapidement la sécurité sociale sur un chemin effectif
d’équilibre
financier.
Pour cela, il
convient
de ne pas s’en tenir aux perspectives aléatoires de croissance de l’activité
économique dont dépendent les recettes sociales, mais
d’entreprendre les réformes
nécessaires de notre protection sociale, qu’il s’agisse
des retraites, mais aussi de
l’organisati
on de notre système de santé, en rendant les dépenses plus efficientes. Dans ce
domaine, ce qui est crucial, c’est la qualité et l’efficience de la dépense publique et non pas
une austérité aveugle.
Ces réformes sont
d’abord
nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de
retraite et
l’accès de tous à des soins de qualité sans réduire les niveaux de prise en
charge par l’assurance maladie
.
C’est ce
qu’attendent
nos citoyens.
Je vous remercie pour votre attention
et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent,
à votre disposition pour répondre à vos questions.